Le costume crétois[1] nous est connu par toutes sortes de monuments figurés. Chez les hommes il ne varie pas beaucoup, chez les femmes il change extraordinairement ; mais toujours les Minoens des deux sexes sont habillés autrement que le serrent les Grecs. Il faut oublier le costume de l’antiquité classique et chercher plutôt des points de comparaison, au moins pour les modes féminines, chez les peuples modernes. Aussi loin que remontent nos documents, en constate que les habitants de la Crète filaient et tissaient la laine. Les étoffes ne se sont pas conservées dans les pays de l’Égée, comme ailleurs dans les terres torrides et dans les tourbières ; c’est à peine si l’on a trouvé quelques bribes de tissu dans des tombes de Zafer-Papoura et de Mycènes. Il n’en est pas moins certain que le filage et le tissage étayent connus déjà dans les stations néolithiques : la preuve en est faite par de nombreux pesons de fuseau. Toutefois, avant de s’habiller de laine, longtemps hommes et femmes n’avaient que des dépouilles de bêtes. Ces peaux recevaient presque forcément une forme identique. Dans les pays chauds, elles servaient seulement à couvrir les parties sexuelles, pour répondre à une idée religieuse bien plus qu’à un besoin physique, non pour protéger, mais pour cacher. La même jupe à queue que revêtaient les femmes de Cogul à l’époque du renne figure encore en Crète dans la représentation des scènes rituelles[2]. Arrondie sur le devant, elle dessine exactement le contour d’une peau fendue, et l’appendice dont elle est munie est la queue même de l’animal. En peau ou en tissu, ce vêtement des ancêtres fut respectueusement conservé dans l’exercice du culte. Sur le sarcophage de Haghia Triada, une peau bigarrée de panthère ceint les porteurs d’offrandes et les prêtresses ; sur les intailles et les empreintes, une jupe plus souple, mais de forme pareille, pare tous ceux qui participent aux cérémonies sacrées. lies origines du costume minoen expliquent bien des choses. Quand des peuples qui ne connaissent pas encore l’art de tisser ont l’horreur sainte de la nudité au point de couvrir de fourrures certaines parties du corps, il est impossible qu’un sentiment aussi puissant ne devienne pas héréditaire. En Crète, les hommes ont le torse nu, et les femmes montrent leurs seins ; mais hommes et femmes dissimulent toujours la région des hanches. La nudité complète n’apparaîtra qu’avec une autre race. C’est seulement après l’invasion dorienne que l’homme ne cache plus rien et que la pudeur des Préhellènes passera pour un préjugé de barbares[3]. D’autre part, les Minoens empruntent aux plus lointains aïeux le principe même de leur costume, avec point d’appui pris à la taille. On conserve la culotte primitive, mais en tissu et plus ou moins transformée. Quand elle se raccourcit, ce n’est plus qu’un pagne, commode pour la vie pratique, surtout pour les exercices violents, et par suite emprunté aux hommes par les femmes gymnastes. Quand elle s’allonge, elle forme une jupe, vêtement essentiellement féminin, mais porté aussi parles hommes comme costume de cérémonie, dans les palais et les lieux saints. I. — LE COSTUME D’HOMME. Le costume le plus simple était une sorte de poche attachée à la ceinture et servant ide suspensoir. Cette pièce apparaît, surtout de profil, comme une gaine pareille à celle que connurent les Libyens de l’antiquité ou les Occidentaux de la Renaissance. Mais il est rare qu’elle se suffise ; elle se combine avec le pagne, et le plus souvent le pagne la rend inutile. Le pagne a été en usage chez tous les peuples de la Méditerranée. Le schenti des Égyptiens était un pagne simple ; le subligaculum ou subligar, qui précéda la tunique en Italie et y fut longtemps conservé par les paysans et les paysannes, était un pagne attaché en forme de caleçon. Dans l’Égéide, c’est le vêtement habituel des hommes, celui qu’on voit porté par les travailleurs des champs et les pêcheurs, par les athlètes et les guerriers, par les hauts dignitaires et les princes. Mais il est susceptible ide coupes très différentes, d’autant qu’il est tantôt en toile souple, tantôt en une étoffe raide ou même en cuir. Quelquefois, il fait le tour des cuisses ou même des genoux en forme de jupe courte, où bien fortement échancré sur les hanches, il retombe en deux tabliers[4]. En général, il se termine par derrière en une pointe qui s’allonge parfois et se recourbe comme une queue de bête. Par exception, on voit deux pagnes superposés qui font volants et descendent à mi-cuisse par une double pointe en avant et en arrière[5]. Les peintures murales nous montrent tout ce que le pagne de cérémonie peut comporter de taxe. Les Kefti peints sur les tombes égyptiennes du XVe siècle portent sur un vêtement bariolé une bande, raidie par les ganses et les broderies, qui descend obliquement jusqu’au niveau des genoux. Dans les Cyclades, on porte le pagne à la crétoise. Mais, sur le continent, il se ferme et se convertit en caleçon ou en culotte courte. Une statuette de Kampos, en Laconie[6], nous montre comment on a eu l’idée de la transformation : le pagne, assujetti à la ceinture par derrière, est passé entre les jambes et ramené à la ceinture par devant. La forme prise ainsi par une pièce d’étoffe fut donnée définitivement par coupe et couture. Le caleçon collant se trouve bien sur des monuments figurée en Crète, mais porté soit par des étrangers[7], soit par des démons qu’on voulait représenter sous un aspect étrange. Chez les Mycéniens, au contraire, c’est le vêtement d’homme habituel. Le pagne et le caleçon ont également besoin d’être fixés à la taille par une ceinture. Les Crétois prirent de bonne heure l’habitude de la serrer très fort. Le Porteur de vase en a une qui parait composée d’un bourrelet à bords métalliques. Certains fragments de lames de cuivre trouvés dans la nécropole de Phaistos proviennent peut-être d’un ceinturon. De pareils objets pouvaient être des pièces de grand prix, par une fresque, des jeunes gens richement vêtus ont la taille prise dans des ceintures décorées de rosaces et de spirales et peintes en blanc et en jaune, ce qui indique qu’elles sont en or et en argent. D’autres fois, la plaque de métal mit défaut. Sur un bronze on voit une large bande d’étoffe pelucheuse qui fait deux fois le tour de la taille. L’étoffe se prêtait, d’ailleurs, au luxe comme le métal : sur une tombe égyptienne, la ceinture des Kefti est figurée par deux longs rubans raides, brochés, qui dressent sur les hanches de grandes coques. En métal ou en étoffe, la ceinture était serrée à l’excès : le Crétois se sanglait comme le damoiseau du XVIe siècle avec ses buscs. D’ordinaire, le Crétois est nu au-dessus de la ceinture. Cependant, certains personnages, sur les monuments figurés, ont le torse protégé par une sorte de casaque qui présente quelquefois des imbrications, comme si elle était en lamelles métalliques. Aussi a-t-on pu la prendre pour une cuirasse. Mais elle est souvent assez ample pour que les bras restent dessous, et n’apparaît jamais que dans des scènes religieuses. Ce qui prouve bien que ce vêtement est une sorte de chape rituelle, c’est qu’on le voit dans la main d’une femme revêtue de la jupe à queue de bête, en présence d’une double hache suspendue dam les airs[8]. De même que la casaque, la robe longue, descendant d’une pièce jusqu’aux pieds, est pour les hommes un costume de cérémonie. Elle n’est portée que par les princes, les hauts dignitaires, les prêtres, comme chez nous par les gens d’église, les gens de justice et les professeurs. Elle est de couleurs vives, à riches broderies. Dans une procession[9], on voit drapés ainsi quatre personnages officiels dont la peau basanée révèle le sexe. Sur le sarcophage de Haghia Triada, un joueur de flûte et un joueur de lyre sont vêtus d’une tunique qui descend du cou au mollet ou à la cheville, exactement comme les femmes qui prennent part au sacrifice ou comme le mort à qui sont offerts les funèbres hommages. Cependant, le pagne ne pouvait suffire que par les temps chauds. Dans la montagne en toute saison, dans la plaine par la pluie et en hiver, il fallait bien un vêtement long par-dessus. Les Égéens ont toujours eu le manteau en peau de bête, la diphthéra à laine épaisse. Une figurine de Petsofa porte même une espèce de mantelet qu’on a plus ou moins justement rapprochée du plaid écossais[10]. Les conducteurs de chars ne manquaient jamais de s’envelopper d’un long manteau, qui fait penser à celui dont se drapent les auriges de la Grèce future. Les Crétois vont souvent tête nue. Pourtant ils connaissent plusieurs espèces de couvre-chefs. Quand ils ne portent pas les cheveux longs, ils mettent fréquemment un turban ou un béret. On voit aussi sur une tête d’homme un grand chapeau plat et rond, qui semble en peau et rappelle par la forme certain chapeau de dame connu à Petsofa ou plutôt encore le pétase des Grecs. En général, les Crétois se chaussent pour sortir. Le mot sandale n’est pas grec, mais préhellénique. La plupart du temps, les hommes portent des brodequins très hauts, des demi-bottes qui montent jusqu’aux mollets. Les statuettes masculines de Petsofa ont toujours les chevilles bien prises dans des chaussures peintes en blanc, c’est-à-dire faites d’un cuir blanc ou chamois pâle, pareil à celui où les Crétois taillent aujourd’hui encore leurs fameuses bottes. Le même genre de bottines, mais teintes en rouge comme du cuir de Russie, se voit sur une fresque d’Orchomène, avec des lanières qui font sept fois le tour de la jambe. Grands marcheurs, adonnés à la palestre, les Crétois avaient besoin de chaussures pour à route comme pour le stade : il en fallait surtout aux toréadors pour sauter à terre sans se blesser. Les grands personnages de la cour ne se montraient pas en public pieds nus sur les peintures égyptiennes, les messagers de Minos portent des souliers ou des sandales finement ouvrés, qui sont attachas par de larges lanières jusqu’au-dessus des chevilles. La richesse qu’on déployait sur cet objet de toilette se voit quelquefois aux perles qui ornent les lanières. Cependant, la chaussure ne paraissait pas toujours indispensable. Les pécheurs en auraient été fort embarrassés ; même certains pugilistes n’en ont pas. A l’intérieur des maisons et des sanctuaires, on allait pieds nus. Dans les palais, les marches des escaliers extérieurs sont fortement usées, tandis que les escaliers intérieurs et tous les pavements, même ceux dont le ciment est délicatement teinté de rose, sont demeurés en bon état de conservation. Les Crétois ne mettaient donc leurs chaussures qu’au moment de sortir. Plus tard, les Grecs font de même. Les héros d’Homère ne mettent leurs belles chaussures que pour voyager ou aller se battre, et, longtemps après, on voit la Victoire Aptère, au sortir de l’action, dénouer ses sandales. Les Mycéniens, qui adoptèrent la chaussure crétoise, refusèrent d’accepter l’essentiel du costume crétois. Au lieu du pagne, ils portent le caleçon. Au lieu de laisser le torse nu, ils l’enveloppent d’un chiton à manches courtes serré à la taille par une ceinture et descendant par des pans raides jusqu’à mi-cuisses. Cette différence dans le costume masculin est une de celles qui manifestent le mieux la dualité des races crétoise et continentale. II. LE COSTUME DE FEMME. Jamais, dans les variations continuelles de la mode, les Minoennes n’eurent la noblesse d’attitude que donneront aux Grecques et aux Romaines les plis des voiles flottants et la retombée naturelle des molles draperies. Ce qui les caractérise plutôt, à la grande surprise de ceux qui les voient pour la première fois, c’est le cachet occidental de toilettes qui semblent parfois copiées sur les derniers modèles de Paris. Certaines dames de Cnosse, de Haghia Triada ou de Pseira, donnent d’abord une extraordinaire impression de luxe et d’élégante recherche par le bariolage des étoffes et la richesse des ornements : les couleurs s’harmonisent ou s’opposent ; les dessins les plus variés se combinent gracieusement, et l’étoffe est parsemée à profusion de plissés et de bouillonnés, de broderies et ide passementeries multicolores. Mais plus étonnantes encore sont les formes qu’affectent les deux pièces dont se composent le vêtement, la jupe et le corsage. La coupe en rappelle à chaque instant les modes les plus singulières, parfois les plus extravagantes, qu’on ait imaginées depuis la Renaissance jusqu’à nos jours. De pareilles ressemblances seraient inexplicables, si elles ne provenaient pas d’une filiation commune et d’une évolution parallèle, quoique non synchronique. Il fut un temps, bien avant l’âge du métal, où les races destinées à vivre dans l’Egéide et celles qui devaient peupler occidentale s’habillaient pareillement. Du costume néolithique et peut-être paléolithique sortirent, par un développement, plus ou moins prompt, le costume minoen et le costume moderne. Avec les différences résultant de climats différents ou dues à des fantaisies individuelles, les Égéens ont, dans l’espace de deux millénaires, fait subir au costume féminin les modifications que les peuples septentrionaux, retardés par la longue prédominance des modes grecques et romaines, ont mis trois millénaires de plus à produire. Ayant à faire des costumes qui prenaient leur point d’appui à la taille, les couturières de l’époque minoenne et celles d’aujourd’hui n’ont pu satisfaire l’éternelle coquetterie des femmes qu’en donnant à des créations forcément indépendantes des formes semblables et les mêmes accessoires. L’origine de la jupe, cet allongement du -pagne primitif, est quelquefois rappelée par le tablier dont elle est couverte ou peur une polonaise fortement échancrée sur les côtés[11]. D’ordinaire, la jupe apparaît seule. Toujours serrée à la ceinture et collant sur les hanches, elle est, quant au reste, susceptible de variantes à l’infini. Le modèle le plus ancien qu’un connaisse, celui qu’on voit déjà sur des sceaux du M. A. III, est très net sur une figurine de Petsofa : tissu à larges rayures, façon unie, forme cloche. Pour assurer à la jupe un diamètre respectable, on s’avise de la raidir par des cerceaux horizontaux. Parfois même, pas tard, les bandes brodées de la jupe forment un cône tellement raide et large, qu’il faut se les figurer distendues par des cannes de jonc ou des lamelles métalliques, de véritables baleines de crinoline. On voit par des figurines de Palaicastro que la mode de la jupe raide persiste dans les bourgades provinciales jusqu’au M. R. Peut-être n’a-t-elle pas été sans influence sur la plastique religieuse ; elle a pu contribuer à faire asseoir sur une base cylindrique les figurines de déesse. A partir du M. M. III, la jupe se rétrécit dans le bas. Les statuettes de la Déesse aux serpents et de sa prêtresse nous en montrent deux spécimens de façon bien différente. Sur la première, l’étoffe unie est coupée en une vingtaine de bandes horizontales par des cercles de galons et bordée de croisillons : cet emploi du tissu plat, mais sans les galons, se retrouve à la même époque sur une jupe allongée par un large dépassant plissé, ou sur une jupe courte bordée de passementeries. Quant à la jupe de la prêtresse, on y voit apparaître une façon qui durera autant que la civilisation minoenne, celle des volants. Cousus sur le fond de jupe, les volants le couvrent tout entier à partir des hanches. On les voit d’abord tous égaux, de plus en plus étroits quand ils passent de cinq ou six à la douzaine. Sur la jupe de la prêtresse aux serpents, ils dessinent un damier aux carrés alternativement bruns et beiges ou bruns et bleu clair. A partir du M. R., la forme dominante est celle de la jupe divisée. Les volants ne se font plus suite, mais laissent paraître le fond de jupe par bandes ; en même temps, ils se terminent en pointe devant, pour bien marquer la forme. L’exemple le plus remarquable et le plus riche de cette mode est présenté par une fresque de Haghia Triada : sur un tissu a croix blanches rehaussées de rouge qui alternent avec des croix bleues, sont posées, à l’aide d’un cache-point muge sur fend blanc, deux rangées de volants à rectangles blancs, bleus, rouges et bruns, l’une au-dessus du genou, l’autre dans le bas[12]. La grande époque du palais, le M. R. 11, donne la vogue à une tacon plus sobre : seule, la partie inférieure de la jupe est garnie de volants terminés en pointe sur le devant[13]. Au contraire des hommes, les femmes, sur le continent, adoptèrent avec enthousiasme les modes de Cnosse. Dans la période prémycénienne il n’en était pas encore ainsi. La troisième tombe à fosse de Mycènes, où était ensevelie quelque douairière fidèle aux modes d’antan, renfermait des bijoux qui n’ont pas leurs pareils en Crète, des épingles qui, avec leur énorme longueur ou leur lourde tête en cristal de roche, ne pouvaient pas servir à retenir les cheveux et fermaient un costume analogue au péplos. Mais les Mycéniennes de la nouvelle génération ne furent pas longues à préférer les modes seyantes d’outre-mer ; elles n’en voulurent plus d’autres. La jupe collante de forme cloche se retrouve donc à Mycènes avec les mêmes variétés de façon et d’ornements qu’en Crète. Mais c’est surtout la jupe divisée à volants qui triomphe en Argolide. Elle rappelle quelquefois, par l’énormité des volants à courbes fortement baleinées, un modèle rare en Crète[14]. Sur les grandes fresques de Tirynthe et de Thèbes, elle est formée de beaux volants multicolores qui alternent avec la bande de tissu[15]. Sur une gemme de Mycènes, elle est surmontée d’un énorme ballonnement, la tournure[16]. Encore plus fréquente, et répandue jusqu’en Laconie, est la jupe inaugurée à la cour de Cnosse aux beaux jours du M. R. II. Tous les échantillons de jupes qui ont passé sous nos yeux, même la jupe cloche de la déesse cnosienne en faïence, même la jupe divisée des élégantes peintes sur les murs des palais, ne suffiraient pas à donner une impression juste de la grâce suprême que pouvait prêter au vêtement un tissage artistique. Mais nous avons des modèles dont l’exactitude et le charme ne laissent rien à désirer, les jupes votives en faïence qui étaient suspendues dans une chapelle de Cnosse. Sur un fond blanc verdâtre coupé en deux par une ligne ondulée, se détachent des motifs en brun pourpre, une gerbe de fleurs élancées, une rangée de crocus[17]. C’est d’un goût parfait. Il n’en est plus tout à fait de même à Phylacopi : on y voit plus de magnificence, exemple : cette jupe qui fait miroiter entre des ramages blancs, rouges et jaunes, des chamarrures figurant deux hirondelles aux ailes déployées[18]. Au-dessus de la taille, la mode égéenne ignore nos pudeurs. Par là les dames si séduisantes de la cour minoenne s’avèrent les descendantes des femmes que représentent les figurines néolithiques. Mes ne se montrent pas le torse entièrement nu, comme font parfois les déesses et les prêtresses ; mais leur corsage ne voile rien ou presque rien de la poitrine. A la fin du M. A. III et pendant les premières périodes du M. M., il se termine sur la nuque en col Médicis, mais est ouvert par devant jusqu’à la taille. Au M. M. III, le col disparaît, le décolleté subsiste : le corsage n’est lacé qu’en dessous des seins. Lest cette mode qui, de la Crête, se répand à Tirynthe, à Mycènes et à Thèbes. Mais, à la belle époque de Cnosse, le costume de gala se complète d’une chemisette transparente. La Parisienne porte un corsage retenu par un ruban passant sous les bras et surmonté à la nuque d’un grand nœud qui prend en retombant un air de pli Watteau ; par devant, elle a un transparent garni d’étroits rubans bleus et rouges. La Danseuse porte un boléro jaune bordé de broderies sur une chemisette arrondie à la naissance du cou. Partout, en tout temps, les avant-bras sont nus : le corsage est à manches courtes, tantôt collantes, tantôt bouffantes, tantôt même à gigots. Les femmes avaient bien le droit, tout comme les hommes, de se serrer la taille. Elles y arrivaient quelquefois au moyen d’un corset. La Déesse aux sergents, es dames peintes sur les fresques de Tirynthe et de Thèbes ne portent pas de ceinture : pour faire coller à ce point la jupe sur les hanches, pour donner à la taille cette minceur, pour faire ainsi saillir les seins nus, il fallait une armature en lamelles métalliques. Toutefois, la plupart du temps, la rencontre de la jupe et du corsage est marquée par urne ceinture. Les femmes du M. M. I l’enroulent deux fois autour de la taille et en laissent retomber les bouts par devant sur le bas de la jupe, ce qui produit l’effet le plus bizarre quand la ceinture fait des bourrelets énormes. Cette ceinture à deux rangs et à deus ; pans n’est pas sans rapport avec celle qui a été portée en Occident à l›âge de la pierre. Il est possible que dams l’Égéide elle soit un legs de cette période. En tout cas, la ceinture à deux bourrelets superposés, mais sans pans, est restée à la mode très longtemps, et l’on en a trouvé des exemplaires votifs en faïence à décoration florale. On se décida cependant à simplifier la grosse ceinture en supprimant un des bourrelets : cette mode a existé en Crète, mais semble avoir été plus en vogue sur le continent[19]. Par contre, sur une bague de Mycènes, des femmes se ceignent la taille et les hanches d’un bourrelet triple. La robe longue d’une pièce n’était de mise, pour les femmes comme pour les hommes, que dans certaines cérémonies. La signification religieuse de ce costume ressort du sarcophage de Haghia Triada, où les femmes qui le portent accomplissent des actes rituels, et d’une intaille, où la déesse assise entre des lions est tout entière enveloppée d’une chape qui lui cache les bras[20]. Toujours comme les hommes, les femmes mettaient le manteau long pour monter en char. Dans d’autres circonstances, elles jetaient sur leurs épaules une mante ou une pèlerine en peau sans manches[21]. Restant davantage à la maison, les femmes étaient moins souvent chaussées que les hommes ; mais elles portaient aussi, selon l’occasion, des sandales, des souliers ou des bottines hautes. On observe que certaines chaussures de darnes sont munies de talons[22]. Le chapeau préoccupait fort les élégantes de Crète. Les figurines de Petsofa ont pu suggérer à Myres un chapitre des chapeaux[23]. C’est la visite à la modiste au commencement du M. M. Les formes les plus pimpantes ou les plus bizarres se succèdent avec une amusante variété. Voici une capote presque aussi haute que la figure qu’elle encadre. Voici un breton. Voilà un marquis orné de rosaces et surmonté d’un objet frisé, plume ou dentelle. Plusieurs autres chapeaux se distinguent par l’élégance de la garniture blanche sur forme noire. A côté de ces modèles qui pourraient être de nos jours, on est tout surpris de voir le polos des Tanagréennes, et surtout une énorme coiffure en forme de corne qui a bien l’aspect le plus étrange qu’on puisse imaginer. Plus déconcertants encore sont les chapeaux ou les bonnets qu’on voit sur la tête des déesses, des prêtresses, des génies. La Déesse guerrière a le chef couvert d’une tiare orientale ; la Déesse aux serpents parait agrandie par une sorte de shako ; des adorantes portent une toque d’une hauteur démesurée. On voit plus fréquemment une espèce de béret ou de turban plat, en général agrémenté d’une aigrette ou surmonté d’une fleur à trois pointes ; sur le tête du sphinx, il s’orne d’une grande plume plantée au milieu, ou d’une longue houppe qui flotte au vent. Il est bien possible qu’avant d’être réservés aux images divines ou sacerdotales, la tiare et le turban aient servi aux femmes. III. — LA PARURE. La toilette des Minoens et des Mycéniens riches se relevait de parures somptueuses. Il se déployait en Crète et sur le continent un grand luxe de bijoux, qui ne donnait pas seulement satisfaction à la coquetterie féminine : quantité d’objets en or ont été trouvas dans les tombes sur des squelettes d’hommes. Un très grand nombre de bagues sont faites pour de gros doigts, et leurs grands chatons, où sont gravées si souvent des scènes de combat ou de chasse, servaient de sceaux. Bracelets et colliers étaient portés à peu prés également par les deux sexes. Une figurine virile de Petsofa a au bras gauche un bijou peint n blanc. De fait, sur le poignet gauche d’un chef enseveli à Zafer-Papoura étaient posées trois gemmes à intaille, une agate, un onyx et une cornaline, dont la présence à cette place est expliquée par le lourd bracelet découvert dans la quatrième tombe à fosse de Mycènes. Souvent même, les hommes s’ornent chaque poignet. Fréquemment aussi, le même bras est chargé de deux bracelets : le Porteur de vase a au poignet gauche un cercle mince, interrompu d’une grosse pierre moirée, une mate, et à la hauteur du biceps gauche un cercle large à deux tores. Si la mode est suivie sur le continent comme en Crête, on observe pourtant de tune à l’autre une certaine différence : de Mycènes proviennent de beaux exemplaires en or ciselé ; en Crète, sur les fresques, des couleurs variées et de riches dessins indiquent, en même temps que la finesse dies ciselures, la combinaison clés métaux précieux et des pierres. On pense bien que les femmes n’étaient pas ers reste aven les hommes pour se parer de bracelets. On na qu’à voir la Déesse à la colombe : elle porte à chaque poignet un cercle fin rehaussé d’une grosse gemme et à chaque bras une enfilade de pierres précieuses. D’ailleurs, les exemplaires réels ne manquent pas. Mais Crétois et Crétoises de tout rang mimaient surtout à étaler des colliers sur leur poitrine nue. Il n’y a, pour ainsi dire, pas de site dans l’île qui n’ait livré par grandes quantités des perles en pierres communes. Les tombes de la plèbe, dans la nécropole de Phaistos, en contenant à profusion. Pour faire des colliers plus précieux, on enfilait des perles en stéatite, en pâte bleue ou kyanos imitant le lapis-lazuli, en agate, en améthyste, en cornaline, en cristal de roche, ou bien des plaquettes de métal percées clans l’axe ; on interrompait les rangs de perles avec des pendants à motifs variés, fleura, oiseaux, taureaux, lions, figures hues Une dame de Pseira porte deux colliers, l’un à perles jaunes, en or, d’où pendent des festons, l’autre à perles bleues, en kyanes ; la Dresse à la colombe a la poitrine barrée d’un quadruple collier, à trois rangs de perles et un de plaquettes triangulaires ; une des dames en bleu étale sur cinq rangs tout ce qu’on peut enfiler de joyaux. Aussi bien que le courtisan qui se pavane sur la fresque de Crosse, l’homme du commun représenté à Petsofa porte un collier peint en blanc. Le Chef de Haghia Triada a un triple collier, et le roi de Cnosse porte majestueusement, d’une épaule à l’autre, un large collier d’or à fleurs de lis. De Crête, cette mode masculine passa dans les îles et sur le continent. Doit-on trouver surprenant que des hommes couverts de bracelets et de colliers aient piqué des épingles et, placé des rangs de perle à dans leurs longs cheveux P. Ils avaient quelquefois une coiffure compliquée. Quant aux femmes, leur chevelure était bizarrement guindée au M. M. ; elle prit un, air plus naturel au M. R., avec des mèches ondulées dans le dos et des accroche-cœurs sur le front. Il fallait maintenir ces constructions capillaires et les faire valoir. On y piquait des épingles ; on y enroulait des bandeaux. Tous les sites de l’Égée, ont fourni une ample collection d’épingles à cheveux. Il y en a en cuivre, il y en a en or. Les plus simples ont la tête enroulée en spirale. Mais, de très bonne heure, à Mochlos, on avait des épingles d’or terminées par des pâquerettes ou d’autres fleurs. A Mycènes, la richesse des épingles égale leur variété. Plusieurs se terminent par des plaques d’or richement ciselées, des bondes de quartz on de cristal de roche ; d’autres ont pour tête un animal en relief ou en ronde bosse. Une épingle bien connue de Troie. Il est surmontée d’une console portant six petites cruches. En général, les plus grandes et les plus précieuses, comme celles qui ont été découvertes dans la troisième tombe à fosse de Mycènes, appartenaient aux femmes. Pourtant on a trouvé dans la tombe d’Isopata une belle épingle d’or en torsade, parure d’un roi, et plusieurs provenant de la quatrième tombe à fosse se terminent en tête d’animal sauvage ornement cher à des princes amateurs de chasse. Le Chef de Haghia Triada porte même dans ses cheveux à longues boucles un bijou orné de grosses perles. Mais ce genre de parure convenait encore plus aux femmes. Elles prenaient leurs tresses dans des anneaux ou mêlaient à leurs boucles des spirales en filigrane d’or. Elles portaient surtout des bandeaux. C’étaient quelquefois de simples rubans d’or. Le plus souvent, c’étaient de véritables diadèmes. Ceux de Mochlos étaient couverts à profusion de feuilles et de fleurs qui faisaient de ces délicates couronnes de jolies pièces d’orfèvrerie. Sur la fresque miniature de Cnosse, les dames du palais, avec leur catogan sur la nuque, leurs frisons sur le front, leurs boucles sur les tempes, portent des diadèmes d’or et ressemblent — le mot a été dit — aux beautés qu’on admirait à la cour de l’impératrice Eugénie. Les princesses de Mycènes ne le cédaient en rien à celles de Crète. Leurs tombes renfermaient tout un assortiment de plaquettes découpées en forme de feuilles et munies de charnières qui servaient à les fixer sur les diadèmes. Les grandes dames de Cypre se distinguèrent par le même genre de luxe. Enfin, à Troie, dans le trésor de Priam figurait une parure de tète devenue célèbre : avec ses soixante-quatre chaînettes, d’où pendent sur les épaules et sur le front autant de plaquettes à forme d’idoles, cette parure est d’un pittoresque extrême et d’une somptuosité tout orientale. Les femmes, toutes les femmes, même les moins riches, mettaient toutes sortes d’autres bijoux. Les boucles d’oreilles avaient les formes les plus variées : fils ou lamelles roulés en spirales, plaques en demi-lune ornées de rosaces. On a découvert en grand nombre des pendants et des boutons d’oreilles. Beaucoup de bagues sont trop petites pour de doigts d’homme, par exemple le célèbre anneau de Mochlos où est gravée une déesse naviguant sur un bateau. |
[1] Voir PERROT, LXVII, 752 ss. ; MYRES, BSA, IX, 363 ss. ; MACKENZIE, ibid., XII, 233 ss. ; DEONNA, IX ; RODENWALDT, LXX, 7 ss., 76 ss. ; FIMMEN, XXV, 185 ss.
[2] Voir L. FOUGERAT, La pelleterie et le vêtement de fourrure dans l’antiquité, Paris-Lyon (1914), 48, fig. 25 ; 227-8, fig. 82-3.
[3] HÉRODOTE, I, 10 ; Cf. THUCYDIDE, I, 6.
[4] La fig. 7 d’après BSA, IX, pl. IX.
[5] MA, XIII, 43, fig. 40.
[6] LXVII, fig. 865.
[7] BSA, VII, 44, fig. 13.
[8] JHS, XXII, 78, fig. 5.
[9] BSA, VII, 12 ss.
[10] BSA, IX, pl. X, 11 ; cf. MYRES, ibid., 365-6.
[11] JHS, XXII, 78, fig. 4 ; ΑΔ, IV, 53, fig. 3 ; BSA, X, 217-8, fig. 6, g-k.
[12] MA, XIII, pl. X, cf. 43, fig. 38 ; JHS, l. c., fig. 2, 8.
[13] Voir RODENWALDT, LXX, 78.
[14] LXVII, fig. 343.
[15] LXX, pl. VIII ; XLI, fig. 143.
[16] XIII, 164, fig. 44.
[17] BSA, 8-2, fig. 58.
[18] XXI, fig. 61.
[19] MA, XIII, 40, fig. 34 ; XII, fig. 44, 51, 58, 63-4.
[20] XIII, fig. 45.
[21] JHS, XXII, 76, pl. VI, 10.
[22] LVII, fig. 151.
[23] BSA, III, 370-2 ; voir pl. XI, 15-20, XX, 36, VIII. Cf. ΑΔ, IV, 53, fig. 3.