Plus Empereur que jamais. — Souvenirs d'enfance retrouvés à Wilhelmshöhe. — Calomnies et injures. — 200 millions d'économies, ou 800 ? — Divers modèles d'ingratitude. — Ce qu'en dit Napoléon III. — Un historiographe allemand. — Jugement de Napoléon III sur M. Émile Ollivier. — Sur Jules Favre et Gambetta. — Sur M. Grévy. — M. Grévy et M. Thiers avant le 4 septembre. — Les quémandeurs prussiens à Wilhelmshöhe. — Hommages de fidélité généreusement déclinés. — Sentiments de Napoléon III pour l'armée. — Ce qui reste à l'Empereur après vingt ans de règne. — Où passent ses dernières ressources. — Bienfaisance anonyme. — Ce qu'on appelle les conspirations de Chislehurst et de Wilhelmshöhe. — Remerciements secrets et insultes publiques. — Le roi Guillaume, la reine Augusta, M. de Bismarck. — L'Impératrice à Wilhelmshöhe. — Le traité de paix apprécié par Napoléon III. — Napoléon III sera-t-il mis en liberté avant le 16 mars ? — Napoléon III et les officiers allemands qui le gardent. — Les serviteurs du château. — Comment Napoléon III apprit la déchéance. — Comment il apprit la proclamation de la Commune. — Départ pour l'Angleterre. Au prisonnier de Ham, son parrain, Mme Cornu écrivait, en juin 1841, qu'on ne pouvait bien juger les hommes tant qu'ils restent heureux et qu'un de ses proverbes favoris était : Dis-moi comment tu as souffert, je te dirai qui tu es. Napoléon Ier avait su bien souffrir. Sans la campagne de France, Fontainebleau, Sainte-Hélène, on ne l'aurait pas connu tout entier. Ceux qui pleurent des larmes de sang, au souvenir de son agonie de six années, — comme Mme Cavaignac, l'Inconnue, dont on publiait récemment les curieux Mémoires, — s'en consolent comme elle, en pensant que Sainte-Hélène ajouta encore à la gloire de leur héros et le montra aussi grand dans l'adversité par le caractère, qu'il l'avait été jusqu'alors par le génie qu'après avoir dominé le monde il avait su s'y dominer lui-même : jugeant ceux qui l'avaient trahi, non avec cette magnanimité hypocrite et fastueuse qui aggrave encore les crimes qu'elle feint de pardonner, mais avec une impartiale indulgence qui cherche et met en avant les motifs les plus plausibles de compatir et d'excuser[1]. Napoléon III ne sut pas moins bien traverser les jours d'épreuve qui lui restaient à vivre ; il le sut encore mieux. C'est à Wilhelmshöhe, à Chislehurst qu'il faut surtout l'admirer ; c'est là surtout qu'il montre une âme supérieure, une âme auguste, une âme impériale ; et jamais on ne vit mieux qu'à cette heure où la couronne venait de lui échapper, combien il était digne de la porter. Que m'importe où je vais ? avait-il écrit. Pour lui-même, au delà de l'abîme où il tombait, il ne voulait plus rien espérer, rien attendre : sa vie était brisée. Mais la France, cette France qu'il avait voulue, qu'il avait faite si prospère et si grande, qu'allait-elle devenir ? Et les siens, qu'il aimait d'une si profonde affection ?... Comment l'Impératrice était-elle sortie de cette horrible crise ? Où était-elle ? Le Prince Impérial pourrait-il la rejoindre ? Et quand lui-même serait-il rassuré sur leur sort ? Napoléon III se posait toutes ces questions avec angoisse, en se rendant, — à travers les sympathiques acclamations du peuple belge et les vociférations injurieuses des Allemands[2], — au château où il allait subir une captivité de six mois. S'il n'est pire misère qu'un souvenir heureux dans les jours de
douteur, — comme le disent, traduits par Alfred de Musset, ces vers du
Dante, que Louis-Napoléon aimait à citer dans sa correspondance de jeunesse,
— le séjour de Wilhelmshöhe lui sera particulièrement pénible ; car il y
retrouvera partout des souvenirs de l'heureuse et brillante époque où il est
né. Napoléon y avait reçu la fastueuse hospitalité de Jérôme, roi de
Westphalie, et y avait couché dans le lit qui va être le sien ; lui-même y
avait, tout enfant, demeuré quelques jours. Les meubles qui le garnissaient,
les tableaux qui en ornaient les murs, à cette époque, y sont restés depuis.
Le lendemain de son arrivée, après une nuit qu'il a passée à se promener dans sa chambre,
on offre à Napoléon III de lui faire visiter le château. Dans l'une des
salles qu'il parcourt avec indifférence, il s'arrête brusquement comme un homme frappé
en pleine poitrine : en face de lui il vient de voir le portrait de la
reine Hortense. Il prie les personnes qui l'accompagnent de se retirer, et,
pendant une demi-heure, il reste seul, devant l'image de cette mère, de cette
amie, de cette confidente, qu'il avait vivement regretté de ne pouvoir
associer à son bonheur, à laquelle il demande sans doute maintenant le
courage de porter sa lourde croix. Avec le souvenir de sa mère, l'affection
de l'Impératrice et du Prince Impérial peuvent seuls désormais le soutenir...
Et les jours, les semaines s'écoulent lentement sans lui apporter de leurs
nouvelles. L'Impératrice lui a pourtant écrit plusieurs fois ; mais ses
lettres se sont égarées, l'officier sous le couvert duquel elles devaient
être adressées ayant quitté Wilhelmshöhe. Le 17 septembre seulement, après
quinze jours d'une cruelle attente, elles sont remises à Napoléon III, qui,
rasséréné pour un instant, répond aussitôt : J'ai éprouvé une bien douce
consolation en recevant hier soir et ce matin les lettres du 3, du 14 et du 15. Les expressions tendres de
ces lettres m'ont fait grand bien ; car j'étais très peiné de ton silence.
Certes, le malheur qui nous frappe est bien grand ; mais ce qui l'aggrave,
c'est l'état dans lequel va se trouver la France, en proie à l'invasion et à
l'anarchie. Je suis bien de ton avis de ne rien faire, si ce n'est de réfuter
les calomnies dont nous sommes abreuvés. Les lettres suivantes arriveront désormais régulièrement, à la grande joie de l'Empereur, — qui ne saurait plus en avoir d'autres : A quoi puis-je me rattacher, — écrit-il le 29, — si ce n'est à ton affection et à celle de notre fils ? Il parait que tu as été malade en arrivant en Angleterre ; vas-tu bien maintenant ? Tout le monde fait l'éloge de ton courage et de ta fermeté dans des moments bien difficiles. Cela ne m'étonne pas. S'il avait longtemps attendu des nouvelles d'Angleterre, Napoléon III avait plus vite connu ces calomnies dont il était abreuvé en France ou en Allemagne, par les journaux qu'on lui communiquait et où elles étaient complaisamment reproduites. Elles étaient fort variées, ne se ressemblant que par la niaiserie du fonds et la grossièreté de la forme. Les hommes qui, pour le renverser, et ne s'en cachant pas, avaient fait échouer ses projets militaires, les hommes que la défaite de Reischoffen avait remplis d'espoir ; les hommes qui en demandaient avec instances encore une ! — devenus subitement des foudres de patriotisme, — accusaient Napoléon III d'avoir provoqué par un caprice de despote une guerre dynastique, d'avoir livré Sedan, livré 80.000 hommes pour sauver sa tète et sa couronne. Si Mac-Mahon n'est pas revenu, comme il le voulait, de Châlons sur Paris, c'est que par malheur l'empereur était là : ses instances d'abord, ses ordres ensuite contraignirent Mac-Mahon à modifier ses plans : le journal qui l'affirme est le plus modéré, le plus bienveillant de toute la presse ; sympathique ù l'Empereur jusqu'à sa chute, il ne doit pas tarder à le redevenir : par celui-là, qu'on juge les autres !... L'Électeur Libre, dirigé par les frères Picard, apprend à ses concitoyens que l'empereur faisait fabriquer de faux billets de banque ; on a découvert et on publiera plus tard des pièces l'établissant de la manière la plus authentique. D'après un autre, on a constaté, dans les comptes de la Liste Civile un déficit de... sept milliards ! Aussi l'Empereur a-t-il mis de côté une jolie somme. Le Bulletin de la République, organe du Gouvernement, en indique le chiffre : L'histoire dira qu'au lieu d'armer son peuple contre l'étranger, il n'a songé qu'à s'armer contre lui et qu'après avoir sauvé, pour sa part, 200 millions d'économies, il a laissé la France aux abois avec vingt milliards de dettes. Et ces économies frauduleuses, il les emploie à conspirer, de concert avec l'ennemi, contre la France qu'il a vendue. Le Bulletin de la République est trop modéré : Ce n'est pas 200 millions, assure un rédacteur du Bien Public, organe intime de M. Thiers, — que l'ex-Empereur a ainsi prélevés, tant sur les fonds de la Liste Civile que sur ceux qu'il détournait, comme tout le monde le sait, du Ministère de la guerre, — mais bien 800 millions : et ce rédacteur est en mesure de le savoir, puisque, jusqu'au 3 septembre, il émargeait aux fonds secrets — 300 francs par mois : les reçus existent encore —. D'autres vont même jusqu'à 1.200 millions, dont cent millions de propriétés, en Italie seulement. Et, pour prouver, par des détails précis, qu'on n'invente rien, on cite une longue liste des banques étrangères où ont été disséminés ces dépôts clandestins : il y en a en Angleterre, en Amérique, en Autriche, en Russie, en Hollande, au Mexique, il y en a partout. Les banquiers protestent : qu'est-ce que cela prouve ? ils doivent couvrir leur client ! Enfin, comme il est de notoriété publique que Louis Bonaparte a versé des sommes importantes à l'étranger, et que ces sommes sont le produit d'une infâme dilapidation, le conseil municipal d'une grande ville, — sur la proposition d'un conseiller qui rimait platement naguère des cantates officielles, — somme le gouvernement de les faire saisir par nos agents diplomatiques : commission difficile qui leur est heureusement épargnée. Parmi ses insulteurs du lendemain, Napoléon III a la douloureuse surprise d'apercevoir, — en petit nombre il est vrai, — des hommes qui auraient dû avoir, sinon le courage de la gratitude avouée, du moins celui du silence. Lui, que nous avons vu, sur le trône, si courtois, si bienveillant, même pour ses ennemis, il est, à cette heure, attaqué, injurié par quelques-uns de ceux qu'il a le mieux accueillis. A ses amis, les maîtres du jour, qui lui reprochaient d'avoir accepté les subsides de César et de s'en être caché, le poète Leconte de Lisle a répondu : Quand on va aux latrines a-t-on besoin de le crier sur les toits ? Edmond About, l'ancien courtisan de Compiègne, — qui définissait jadis l'Empereur un homme de génie, doublé d'un homme de bien, qui s'indignait qu'un absurde préjugé prêtât des goûts frivoles à l'Impératrice, cette femme sérieuse, laborieuse, héroïque à l'occasion, — les accable maintenant de sanglantes railleries. Napoléon III, — déception plus cruelle, — se voit même outragé par deux des hommes qui avaient le plus de raisons pour le défendre : par Viollet-le-Duc, comblé, comme artiste, de fructueuses commandes, comme hôte familier, comme ami, d'attentions de toutes sortes[3] : — par un officier dont on pouvait présager dès lors la triste fin, le colonel d'A..., qui avait appartenu à sa maison, qui y avait reçu des marques de sa grande libéralité, même des marques de son extrême indulgence, — mais qui connaissait trop son ancien maître pour redouter, même en l'insultant, la moindre indiscrétion de sa part. De telles provocations ne purent vaincre, en effet, l'indicible mansuétude de Napoléon III. En lui faisant connaître, le 26 décembre, ce témoignage d'une ingratitude sans pareille, il écrivait simplement à l'Impératrice : Je t'envoie une vilaine lettre de d'A... ; mais, au moins il te rend justice, et, à cause de cela, je lui pardonne. Jamais, sur aucun de ceux qui l'insultaient, si bien armé qu'il fût pour se défendre, il ne s'exprima plus vivement. Nous pouvons le prouver, non seulement par l'unanime affirmation des fidèles qui partageaient sa captivité, mais par le témoignage, plus précis, d'un étranger qui le vit alors de près, l'interrogeant sur tout et sur tous, recueillant, consignant aussitôt ses moindres paroles. Napoléon III était depuis peu de jours à Wilhelmshöhe lorsqu'un publiciste allemand, nommé Mels, lui demanda une audience, sans lui en dissimuler le but. Chargé par le Times de lui adresser quelques lettres sur l'impérial prisonnier, il souhaitait vivement de pouvoir lui poser quelques questions. Qu'une pareille demande fût indiscrète, qu'il fallût la laisser sans réponse, que, sous ce prétendu correspondant du Times, se cachât sans doute un correspondant secret de M. de Bismarck, — tel fut l'avis de tous ceux qui entouraient l'Empereur, mais non de l'Empereur lui-même. Toujours rebelle à la méfiance, refusant toujours de croire au mal avant qu'il fût prouvé, disant qu'il n'avait rien à redouter même de la curiosité d'un espion, Napoléon III accorda l'audience demandée ; et, dès cette première entrevue, conquis par la bienveillance de son accueil, frappé surtout par l'élévation de son langage et la dignité de son attitude, blets se sentait aussitôt attiré vers lui par un sentiment de sympathique admiration, qui devait se transformer peu à peu en une enthousiaste ferveur. Il se fixa dans le village voisin du château, où il se rendait, presque chaque jour, notant avec soin tout ce qu'il y voyait, tout ce qu'il y entendait. De ces notes il alimenta d'abord une correspondance adressée à plusieurs journaux. Plus tard, il en fit un volume[4] rempli d'intérêt, et confirmant, avec quelques détails, ce qu'on avait vaguement appris, d'autre part, sur les sentiments du souverain détrôné, — comme il est lui-même confirmé, par les témoignages plus précis, plus directs que nous donnons ici. Mels s'attendait à entendre l'Empereur récriminer amèrement contre tout le monde, se plaindre avec aigreur d'avoir été mal servi par ceux-ci, perfidement combattu ou trahi par ceux-là, distribuer enfin entre les uns et les autres la lourde responsabilité qu'on se plaisait à faire peser sur lui tout entière. Il n'entend rien de tel. Loin d'accuser ses ministres, Napoléon III les défend avec chaleur. Ils n'ont pas voulu, plus que lui, la guerre ; M. de Bismarck le sait mieux que personne. Il rend un hommage particulier au caractère de M. Émile Ollivier qui a fait son devoir d'honnête homme et de bon Français, en se rapprochant de l'Empire, — au lieu de s'en éloigner comme d'autres, — à mesure que l'Empire se rapprochait de ses idées : Pour agir ainsi, il lui a fallu, dans un pays comme la France, une conviction telle que peu d'hommes politiques la possèdent et un courage qui n'est pas commun'[5]. C'est à peine s'il se plaint de ceux qui travaillaient
depuis si longtemps à le remplacer et y sont parvenus, aux dépens de la
France : Il aurait fallu l'entendre quelques
semaines après le 4 septembre, s'exprimer sur Jules Favre, Gambetta, Trochu,
Rochefort, etc. On aurait cru que tout cela s'était passé en 1670. Jamais ces
hommes qui, en énervant l'Empire pendant des années et en le renversant en
face de l'ennemi, ont facilité les victoires allemandes, n'ont été jugés plus
impartialement, je devrais dire plus charitablement que par ce prince qu'ils
venaient de détrôner[6]. De M. Grévy, Napoléon III parlait beaucoup mieux que de tous les autres vainqueurs de septembre. En apprenant son élection à la présidence de la Chambre, il dit : Je n'aurais pas cru qu'on fit un aussi bon choix... Mels n'en demanda pas davantage. S'il avait voulu savoir la cause de son estime particulière pour le nouveau président, Napoléon III lui aurait sans doute raconté ce qu'il savait déjà, ce qui était et est resté peu connu du public : Aux derniers jours de la Régence, l'Impératrice avait cru devoir faire, sans beaucoup d'espoir, un suprême appel au patriotisme des députés de la gauche. Elle avait d'abord envoyé Mérimée près de son ami M. Thiers. Comment celui-ci le reçut-il ? Son biographe, très bienveillant, va nous le dire en faisant parler M. Thiers lui-même[7] : Il n'avait pas été écouté ; et maintenant on lui offrait de prendre sa responsabilité dans les désastres ! Que lui demandait-on, d'ailleurs ? Des conseils, il n'y en avait plus à donner ; de sa part, ils paraîtraient toujours suspects ; et il ne les donnerait pas lui-même avec tranquillité. M. Thiers comprenait apparemment qu'on lui reprocherait d'avoir songé devant la France en détresse, à sa petite responsabilité personnelle ; et le rôle qu'il avait joué, en cette occasion, ne lui semblait pas sans doute inattaquable ; car, en racontant la scène plus tard, il en changeait sensiblement la date : il prétendait que son concours lui avait été demandé, qu'il l'avait refusé, — après la bataille de Sedan. Par une de ces opportunes défaillances de mémoire qui lui étaient familières, il se trompait de plusieurs jours : M. A. Filon l'a nettement démontré[8]. Sans se laisser décourager par cet échec, l'Impératrice pria le marquis de Piennes, son ancien chambellan, député de la Manche, de voir les autres membres de la Gauche et de leur dire : Il ne s'agit pas, à cette heure, de la dynastie, il s'agit de la France[9]. Notre seule chance de salut, c'est l'union. Serrez-vous autour du gouvernement pour faire face à l'ennemi. Ensuite vous règlerez, comme vous voudrez, vos comptes avec lui. Tous les collègues du marquis de Piennes le reçurent comme M. Thiers avait reçu Mérimée, — sauf un ; M. Grévy répondit sans hésiter : Vous avez raison ; c'est notre devoir. Et voulant faire jusqu'au bout ce qu'il estimait son devoir, il ne se rendit pas, le 4 septembre, à l'Hôtel de Ville, avec ceux qui allaient y proclamer la République[10]. Même à l'égard des Allemands qui venaient de le battre, en l'attirant dans un piège préparé de longue date, Napoléon III ne se départait pas de son inaltérable modération[11]. Il eut pourtant une occasion, bien imprévue, de leur être désagréable. Nous avons vu que, quand il était sur le trône, il avait une assez nombreuse clientèle de quémandeurs prussiens. Beaucoup de ces quémandeurs, — le croirait-on ? — lui restèrent fidèles après sa chute, envoyant leurs demandes à Wilhelmshöhe, comme ils les envoyaient jadis aux Tuileries. Mois indigné voulait écrire un article virulent contre ces misérables. L'Empereur le lui défendit, en disant : Comme vous comprenez mal tout ceci ! Ne sentez-vous pas que ces hommes doivent avoir de moi une opinion bien haute et que je voudrais pouvoir justifier, si j'en avais le moyen ? Ils me supposent capable d'oublier, devant leur misère, les insultes de leur nation, les infamies de leurs journaux, la douleur d'avoir été vaincu par les leurs. Ces pauvres gens sont, sans s'en douter, plus flatteurs que ceux qui m'adressaient des compliments quand j'étais aux Tuileries. Et pour que ces lettres ne restassent pas dans les mains d'un Français, il les remit à Mels ; puis, comprenant que celui-ci, toujours furieux, serait capable de les publier un jour, il le décida à les jeter, sur l'heure, au feu. Indifférence ! insensibilité ! rien ne pouvait plus l'émouvoir, diront les gens qui cultivent leurs préventions et seraient désolés de les perdre : ils se tromperaient, une fois de plus. Si indulgent pour les calomniateurs et les renégats, Napoléon III savait témoigner très vivement sa reconnaissance aux fidèles : Ce brave G..., écrivait-il, par exemple, le 15 mars, m'a adressé une lettre touchante de dévouement. Ces témoignages-là font plaisir ! A ceux qui remplissaient un devoir bien simple en lui restant attachés, il savait beaucoup plus de gré, qu'il n'en voulait à ceux qui, comblés par lui, l'abandonnaient. Ces ingrats, on doit le dire, étaient assez rares ; et les fidèles ne l'étaient pas. Un grand nombre de fonctionnaires, au risque de perdre leur emploi, désiraient aller lui témoigner eux-mêmes leur respectueux attachement, et avaient sollicité du gouvernement prussien l'autorisation de se rendre à Wilhelmshöhe. Avant de la leur accorder, on voulut savoir si leur visite serait agréable à l'Empereur ; et l'Empereur répondit négativement. Comme Mels s'étonnait de cette réponse, il la lui expliqua : Le devoir d'un souverain, dit-il, ne finit pas avec sa chute. Le mien est de conserver à la France le savoir et l'expérience de ces hommes qui voulaient venir à moi. Tout cela serait autant de perdu pour le pays. Les partis ne leur pardonneraient pas. On dirait retour de Wilhelmshöhe, comme on disait jadis retour de Gand. J'ai sauvé des forces vivantes pour la France en les empêchant de venir. Je vous prierai même de ne pas parler de cela dans les journaux. On ne comprendrait pas le sentiment qui me guide. On dirait que je songe à introduire mes créatures dans le gouvernement pour conspirer ![12] Ses successeurs, pour dénoncer ses conspirations, n'avaient nul besoin de ce nouveau prétexte. Ils craignaient de s'être un peu trop pressés en remerciant la Prusse de les avoir débarrassés de l'Empire : si la Prusse allait se raviser ! Tous les moyens leur avaient paru bons pour renverser l'Empereur : comment l'Empereur ne voudrait-il pas, à son tour, employer tous les moyens pour remonter sur le trône ? Se méprenant bien sur son caractère, ils l'avaient craint dès la première heure. Ils le craignaient surtout depuis qu'ils avaient appris ce que l'Empereur faisait pour les soldats prisonniers. Rien de plus simple et de plus naturel cependant pour qui le connaissait. Napoléon III aimait, il avait toujours aimé passionnément l'armée, non comme un instrument de règne et de conquête, mais pour elle-même, pour ses mâles vertus. Dès le commencement de 1854, l'Impératrice appelle en souriant cette armée, dont l'Empereur lui parle et s'occupe sans cesse, sa rivale. Quelques mois après, venant d'apprendre l'échec sanglant du Mamelon-Vert, Napoléon III lui écrit : Cette pauvre armée a bien souffert ; cela me navre le cœur. Plus tard, du camp de Châlons, il lui avouera qu'au contact de sa chère armée son âme est plus joyeuse et sa santé même meilleure : Mon séjour ici agit toujours sur moi d'une manière favorable. Je me trouve dans un milieu où l'on se sent à l'aise. Dévouement, abnégation, sympathie, voilà ce qu'on respire ici. Très sensible à ses maux, même à ceux dont la guerre est faite, il avait peine à en supporter le spectacle ; et cette impression douloureuse compensait, dominait presque en lui la joie de la victoire. De Verceil, le 31 mai 1859, il écrivait : Nous avons déjà pris dix canons, et environ 800 prisonniers : c'est un bon début. Mais quelle triste chose que de voir des blessés, des mourants ! Et, après la bataille de Solferino, il n'avait pu, malgré son rare, empire sur lui-même, retenir ses larmes, en parcourant la plaine jonchée de cadavres : la gloire de la France, à ce prix, lui semblait chèrement achetée... Mais payer d'un tel prix la défaite et l'humiliation de la patrie ! Le souvenir du champ de bataille, des rues de Sedan, où il avait vu décimer cette armée déjà vaincue et maintenant prisonnière, le hantait sans cesse à Wilhelmshöhe : Quand je pense à tous les braves gens que j'ai vu mourir inutilement, — écrivait-il le 17 septembre, — cela me fend le cœur ! Ceux qu'a épargnés le feu de l'ennemi vont connaître un autre genre de souffrances. Ils sont si nombreux, hélas ! que, même en s'y efforçant, l'administration prussienne ne pourrait les loger, les habiller, les nourrir comme il le faudrait. Prévoyant toutes les privations qu'ils auront à subir, l'Empereur a fait ce qu'il a pu pour atténuer leur misère. Le 2 septembre, il restait dans ses fourgons 900.000 francs : il a fait distribuer presque entièrement cette somme aux soldats. Qu'était-ce pour tant de besoins ? On apprend bientôt tout ce que ces malheureux prisonniers ont à souffrir. L'Empereur voudrait leur venir en aide. Mais comment le ferait-il efficacement ? Bien qu'on eût déjà vendu ses chevaux et ses voitures de campagne, qu'avait-il alors entre les mains t Dans la lettre du 17 septembre, dont nous citions déjà plus haut, quelques lignes, il l'apprenait à l'Impératrice, — arrivée elle-même en Angleterre, les mains vides : Je n'ai avec moi que 260.000 francs ; mais, comme toi, je suis fier de tomber du trône sans avoir placé de l'argent à l'étranger. Pas d'argent à l'étranger ? Où se trouvent donc les économies de l'Empereur ? Nulle part ! Il aurait pu très légitimement en faire, nous l'avons dit ; mais il ne s'en est pas soucié. Ce qu'il aurait eu le droit, peut-être le devoir d'épargner est tombé dans les innombrables mains tendues devant lui... Non, pas tout cependant : une faible partie a été employée à des acquisitions, faites soit pour satisfaire une fantaisie de collectionneur, — comme celle du musée chinois de Fontainebleau, ou du cabinet d'armes de Pierrefonds ; soit pour conserver une demeure historique et remplie de souvenirs, — comme celle de La Malmaison ; soit pour être agréable à un souverain détrôné, — comme celle du Palais des Césars ; soit pour encourager les progrès agricoles, — comme celle des fermes modèles de Champagne, des Landes, ou d'Algérie[13]. En achetant tout cela, Napoléon III ne songeait certes pas à faire un placement pour l'avenir ; tout cela cependant lui créerait maintenant des ressources nécessaires, —, si tout cela, saut le Palais des Césars, n'était sous séquestre et n'y devait rester longtemps : ce qui en sera rendu ne le sera qu'à l'Impératrice, après la mort de Napoléon III. La paix conclue, un officieux, voyant avec peine à quelle situation se trouve réduit l'Empereur, lui suggérera un moyen de rentrer immédiatement en possession de ces biens personnels : c'est d'en faire dire un mot par le roi Guillaume au gouvernement de Paris ; et une lettre du 17 février racontera comment a été accueillie cette étrange idée : Je reçois les propositions les plus absurdes. Quelqu'un me conseillait de demander à celui qui est le maitre aujourd'hui d'intervenir pour qu'on me rendit mes propriétés ! J'ai répondu que je m'humilierais presque, s'il le fallait, pour obtenir de meilleures conditions pour la France, mats que, pour moi personnellement, je préférerais ne manger que du pain noir plutôt que de rien demander dans un but d'intérêt privé. Je ne conçois pas Qu'il y ait des gens qui ne comprennent pas la dignité qu'on doit garder dans le malheur. Napoléon III a heureusement une autre manière de se procurer quelques fonds. Par l'entremise de son ancien et fidèle ami le comte Arese, il vend le Palais des Césars au gouvernement italien, pour près d'un million, en stipulant cette clause, — où l'on retrouve son invariable sollicitude pour tous ceux qui l'ont approché, — que le chevalier Pietro Rosa en restera le conservateur et pourra y continuer ses fouilles. Du produit de la vente il est fait deux parts égales ; l'une est expédiée à Chislehurst, l'autre reste à Wilhelmshöhe : elle n'y restera pas longtemps ! Quand il ne pouvait presque rien envoyer lui-même aux prisonniers, Napoléon III avait voulu du moins recueillir de l'argent pour eux ; et, le 17 novembre, il avait prié l'Impératrice de l'y aider : Je compte créer à Bruxelles une société qui recevra des offrandes pour donner aux prisonniers français des vêtements chauds et des sabots. Je souscrirai 10.000 francs pour moi et 5.000 pour toi. Je voudrais bien qu'à Londres on fit la même chose, car les besoins sont grands et le nombre des prisonniers est immense... Maintenant qu'il est riche, il peut se montrer plus généreux, — si généreux que, le 23 février, il devra lui-même confesser ses folies, sans la moindre contrition d'ailleurs : J'ai dépensé beaucoup pour venir au secours des officiers et des soldats ; et quand je vois combien avec peu de chose je faisais d'heureux, je ne m'en repens pas. On pourrait croire que cette bienfaisance était
intéressée, et qu'en soulageant les prisonniers Napoléon Hl cherchait à
entretenir parmi eux d'utiles dévouements. Et, bien entendu, on le disait
alors en France. On fit même tant de tapage à ce sujet que l'Indépendance
Belge, écho du gouvernement de la Défense Nationale, et confident de ses
appréhensions, somma la Prusse de mettre un terme aux intrigues de Wilhelmshöhe. C'était trop
! cela révolta l'entourage de l'Empereur et quelques-uns de ses amis qui lui
en écrivirent. On voulut lui persuader de cesser tout acte de bienfaisance
envers les prisonniers. Se priver de ses dernières ressources pour
fournir une nouvelle arme aux calomniateurs, c'était vraiment, lui disait-on,
une duperie : Napoléon III ne se laissa pas persuader. Pour faire taire ces bavardages stupides, il fallait faire
choix entre divers sacrifices : ou bien cesser les secours, comme on le lui
conseillait ; — ou bien s'abaisser jusqu'à faire publier dans les
journaux des rectifications qui ressembleraient à des réclames ou à des
excuses ; — ou bien enfin éteindre le sentiment de
la reconnaissance dans le cour des infortunés, en leur dissimulant l'origine
des bienfaits. Sans hésiter, sans écouter aucun conseil, Napoléon choisit ce
dernier parti. Les secours ne furent pas suspendus un seul instant, mais on
s'arrangea pour que la source en demeurât inconnue[14]. M. Alfred
Pommier, grand industriel français, établi depuis
des années à Leipsick, devint le distributeur des bienfaits anonymes
de Wilhelmshöhe. Il sut remplir cette mission de
haute confiance avec tant de dévouement, une discrétion si absolue que
Napoléon III se déclara plus d'une fois son obligé[15] ; — et que l'Indépendance
Belge se déclara satisfaite : Voyant qu'il ne
pouvait pas corrompre le républicanisme de l'armée, l'ex-empereur avait
sagement cessé ses distributions d'argent qui déshonoraient le soldat
français. Mais, à en croire les nouveaux maîtres de la France, cette distribution de déshonorants subsides était la moindre des intrigues de Wilhelmshöhe et de Chislehurst. Voulant reconquérir le pouvoir à tout prix, on n'y reculait devant aucun moyen. On y conspirait avec l'ennemi pour entraver la défense nationale. Si la France manquait d'armes pour repousser l'envahisseur, ce n'était pas parce qu'autrefois les républicains avaient empêché l'Empereur de lui en donner, mais parce qu'aujourd'hui l'Empereur empêchait les républicains d'en acheter. Nous n'inventons rien. Le 1er novembre 1870 — qu'on retienne cette date ! —, du balcon de la Préfecture de Tours, Gambetta déclare que le gouvernement fait tous ses efforts pour se procurer des fusils, des canons, mais qu'il rencontre sur les marchés étrangers la concurrence ennemie et que cette concurrence est faite par l'homme de Sedan. Du balcon de la Préfecture de Bordeaux, le 1er janvier 1871, il adjure le pays de ne pas oublier que la fortune adverse contre laquelle se débat son génie est l'œuvre des intrigues de Bonaparte au dehors. En racontant, avec preuves à l'appui, ce qui s'était fait, depuis le 4 septembre, à Chislehurst et à Wilhelmshöhe, — où l'on ne cessait d'être d'accord, — nous allons montrer si cette odieuse accusation était fondée ; si de tous les membres du Gouvernement, de tous les Français, Gambetta n'était pas le dernier qui dût la formuler. Il ne s'agit pas de sauver la dynastie, il s'agit de sauver la France : depuis la défaite de Reischoffen jusqu'à son départ des Tuileries, l'Impératrice, — traduisant la pensée de l'Empereur, qu'elle connaissait bien, — n'avait cessé de le dire. Elle continue à le dire, en Angleterre comme à Paris, et, par tous ses actes, à prouver qu'elle le dit sincèrement. Dès le 13 septembre, elle écrit à l'Empereur de Russie : Si j'ai bien compris les rapports adressés par notre ambassadeur, le général Fleury, Votre Majesté écartait à priori l'idée du démembrement de la France. Le sort nous a été contraire. L'empereur est prisonnier et calomnié. Un autre gouvernement a entrepris la tâche que nous regardions comme notre devoir de remplir. Je viens supplier Votre Majesté d'user de son influence afin qu'une paix honorable et durable puisse se conclure. Que la France, quel que soit son gouvernement, trouve chez Votre Majesté les mêmes sentiments qu'elle nous avait témoignés dans ces dures épreuves[16]. L'Impératrice adressa la même prière à l'Empereur d'Autriche, lui disant encore : Votre Majesté comprendra que ma seule préoccupation est la France et que c'est pour elle seule que mon cœur éprouvé fait des vœux. Oui, c'est pour la France, pour le succès de ceux qui la défendent maintenant, que les souverains, détrônés et, chaque jour, outragés par eux, font des vœux ardents, dont la réalisation, — ils le savent bien, — leur enlèverait la dernière chance de restauration. De Chislehurst l'Impératrice écrit à la Comtesse Vandal : Que Dieu donne une victoire à l'armée de la Loire et je serai consolée de toutes mes douleurs. Près d'elle, le Prince Impérial dit avec élan : Que Trochu sauve Paris, et je lui pardonne[17]. Et pendant ce temps, à Wilhelmshöhe, on suit avec la même anxiété les opérations des armées républicaines : Quand un télégramme annonçait une sortie de l'armée assiégée à Paris, ou qu'une bataille était attendue sur un point quelconque, l'Empereur et les généraux qui l'entouraient, courbés sur des cartes, calculaient, discutaient les probabilités, où leur patriotisme s'accrochait à un vague peut-être ?[18] Les exilés ne se bornent pas seulement à faire des vœux platoniques pour le Gouvernement de la Défense ; ils sont prêts à lui venir en aide : ils ont bientôt une occasion de le prouver. Bazaine, voyant échouer ses combinaisons personnelles, envoie un de ses lieutenants à Chislehurst. L'Impératrice repousse les offres qu'il est chargé de lui transmettre. Informée par le prince de Metternich que le gouvernement de Tours est fort inquiet de ces pourparlers, elle répond que c'est une injustice de plus, qu'elle désire autant que qui que ce soit, sauver la dernière armée régulière. Puis, par la même voie, elle fait savoir à Tours ce qu'elle vient d'apprendre : que les vivres manquent, à Metz, que la reddition de la place est une affaire d'heures ; qu'il faut donc se hâter de conclure l'armistice, en ce moment discuté[19]. Gambetta, à qui une telle générosité semblait extraordinaire, envoyait M. Tissot, chargé d'affaires de France, porter ses remerciements officiels à Chislehurst ; — où on ne le recevait pas, en disant qu'on avait voulu rendre un service à la France, mais non à ses maures, qu'on n'avait donc nul droit à leurs remerciements, qu'on les dispensait même de toute reconnaissance. Ceux-ci comptaient bien s'en dispenser d'eux-mêmes. Car le lendemain du jour où, par cette démarche officielle mais inconnue du public, il avait dû reconnaître secrètement le patriotisme et l'abnégation de l'Impératrice, Gambetta s'écriait : Bazaine a trahi ! Il s'est fait l'agent de l'Homme de Sedan ! Et maintenant, Français, mesurez la profondeur de l'abîme où vous a précipités l'Empire. Vingt ans la France a subi ce pouvoir corrupteur, qui tarissait en elle les sources de la grandeur et de la vie, etc. Et le surlendemain, il prononçait le discours, encore plus insultant, dont on a lu plus haut un extrait[20]. Dans toute cette affaire de Metz, comme dans les autres, l'Impératrice avait bien interprété le sentiment de l'Empereur ; car en réponse à la lettre, où, dès que ces préoccupations lui en laissèrent le loisir, elle lui en raconta les pénibles péripéties, Napoléon III écrivait, le 29 octobre : Je comprends combien tu as dû souffrir de tant d'épreuves et je conçois que tu n'aies pas eu le temps d'écrire. Mais, no recevant pas un seul mot de toi depuis six jours, je me figurais une foule de choses pénibles. Quand on est malheureux, on s'inquiète facilement !... Heureusement ta lettre d'aujourd'hui est venue jeter du baume dans mon cœur. Je suis complètement de ton avis et la lettre qui s'est croisée avec la tienne te prouvera que, de loin, nos pensées et nos cœurs se comprennent. Mille fois plutôt rester dans l'oubli et la misère même que de devoir son élévation à un oubli de sa dignité ou des intérêts de son pays. Adieu, chère amie ; calme-toi en pensant à ceux que tu aimes et à cette volonté qui plane sur nos destinées et à laquelle il faut obéir. Quand cette lettre, ainsi qu'une autre, écrite le lendemain, et où Napoléon III exprimait à l'Impératrice le vif désir de la voir, arrivèrent en Angleterre, l'Impératrice n'y était déjà plus. Depuis longtemps elle avait, elle aussi, grande envie d'aller retrouver l'Empereur, de lui porter les consolations de sa tendresse auxquelles il se montrait si sensible. Mais ne pouvant abandonner le prince impérial' à Chislehurst elle avait dû faire demander à M. de Bismarck si, allant à Wilhelmshöhe, elle en pourrait revenir ; si elle n'y serait pas retenue comme prisonnière de guerre ; et M. de Bismarck n'avait voulu prendre encore, à cet égard, aucun engagement. Après les graves incidents auxquels elle vient d'Ocre
mêlée, voulant faire savoir exactement à l'Empereur dans quelle. situation
elle s'est trouvée, quelle conduite elle a cru devoir tenir, l'Impératrice ne
peut se décider à attendre davantage. Puisqu'on lui refuse un sauf-conduit,
elle s'en passera et tâchera d'accomplir ce long voyage à l'insu de tous.
Elle se rend à Londres, accompagnée du comte Clary, sans même emporter une
valise. Elle y prend le chemin de fer ; elle s'embarque pour Ostende, elle
arrive jusqu'à la station la plus proche de Wilhelmshöhe, sans avoir été
reconnue par personne. Un fiacre la mène chez le gouverneur ; le gouverneur
est au château, où elle se fait alors conduire, laissant d'abord le comte
Clary y entrer seul. L'Empereur, à qui le comte se fait annoncer, en éprouve
une grande surprise : Vous ici ?... Je viens
précisément d'écrire à l'Impératrice, pour lui demander si elle ne pourrait
venir. L'Empereur n'étant pas seul, M. Clary répond : Dès que l'Impératrice connaîtra le désir de Votre Majesté,
elle s'y rendra certainement. Puis, il fait entendre à l'Empereur
qu'il désirerait lui parler sans témoins ; et, resté seul avec lui, il lui
apprend que l'Impératrice est à la grille du château : Est-ce possible ? s'écrie l'Empereur très ému ; qu'elle vienne vite ! Et, avec le comte Clary,
il va jusqu'au perron. Mais là se trouvent encore quelques personnes de son
entourage ; et Napoléon Ill, craignant par dessus tout de se donner en
spectacle, sait, cette fois encore, se maîtriser assez pour recevoir
l'Impératrice, — après les tragiques événements qui les ont depuis quatre
mois séparés, — avec le même visage que s'il l'avait quittée la veille, en
des circonstances ordinaires. Si bien qu'elle le connût, l'Impératrice est
étonnée, presque peinée de ce calme apparent. Mais, dès que la porto du
cabinet de l'Empereur est refermée sur elle, le masque impassible se détend
tout à coup, et Napoléon III se jette, en pleurant, dans ses bras. Le surlendemain l'Impératrice quitte Wilhelmshöhe aussi secrètement qu'elle y est arrivée et rentre en Angleterre avant que cette fugue hardie eût été ébruitée. Les lettres qui s'échangèrent entre Chislehurst et Wilhelmshöhe après cette visite montreront quel bien en avait éprouvé l'Empereur ; elles montreront surtout qu'entre l'Impératrice et lui l'accord est plus étroit que jamais sur l'attitude qu'il leur convient de prendre, ou plutôt de conserver. Comme Napoléon III l'avait écrit, — le 30 septembre, et comme le croiront sans peine tous ceux qui l'ont connu, — la perspective de régner de nouveau, sur la France dévastée et amoindrie ne pouvait le tenter vivement. Mais les circonstances ne lui en feraient-elles pas un devoir ? Si le gouvernement prussien était prêt à lui offrir des conditions de paix sensiblement meilleures qu'à Messieurs du Pavé, comme M. de Bismarck appelait dédaigneusement ses successeurs, aurait-il le droit de décliner ces propositions plus avantageuses pour le pays ? S'il refusait d'atténuer ainsi le désastre qu'il n'avait pas dépendu de lui de conjurer, ne lui en ferait-on pas, et à juste titre, un nouveau grief ? Une telle éventualité, d'ailleurs, était fort douteuse. Le roi Guillaume, sans doute, — on l'a indirectement appris, préférerait traiter avec l'Empereur. Il parle avec éloge de son noble caractère, dit avoir, comme tout le monde, subi son charme. Il se rappelle d'ailleurs, un peu tard, — et peut-être parce qu'une brochure écrite ou, du moins, signée par le marquis de Gricourt, vient de la rendre publique, la promesse d'éternelle gratitude qu'en 1856 il lui avait faite, au nom de la Prusse et de la maison de Hohenzollern : il ferait donc volontiers, pour son compte, à l'Empereur des concessions qu'il refuserait à d'autres. Et ce n'est pas la reine Augusta qui chercherait à l'en détourner. Car elle témoigne directement sa sympathie personnelle pour l'infortune de Napoléon III, en s'efforçant d'adoucir sa captivité par des attentions de toute sorte, notamment en faisant remplacer tous les serviteurs allemands de Wilhelmshöhe, sans exception, par des serviteurs suisses ou français ; — attentions telles que l'Empereur avoue en être gêné ; car s'il lui répugnerait d'y paraître insensible il n'en coûte pas moins à sa dignité de devoir un remerciement à ceux dont il est le prisonnier. Mais M. de Bismarck est plus âpre au gain que son maître. Il n'a, lui, qu'une préoccupation : obtenir de la victoire tout ce qu'on peut en tirer, et traiter avec qui se montrera le plus accommodant. Les offres qu'il fait transmettre à Wilhelmshöhe, Napoléon III ne voudrait les accepter ; il le sait fort bien : par ce semblant de négociations il cherche seulement à affoler, à énerver les plénipotentiaires français redoutant par dessus tout une restauration impériale, et leur faire accepter ses conditions draconiennes. Cette tactique lui réussit. Le traité de paix est enfin signé. Dès qu'il le connaît, l'Empereur en éprouve une vive douleur. Parce qu'il ne l'a pas signé lui-même ? Non : parce que les sacrifices qui nous sont imposés lui semblent exorbitants et dépassent toutes ses craintes. Il écrit aussitôt : Ma chère Eugénie, tu dois éprouver ce que je ressens en apprenant les conditions de paix. Je t'avoue que je croyais que Mets nous serait restée et que l'indemnité de guerre né dépasserait pas trois milliards. Cette paix ne peut âtre qu'une trêve et elle prépare bien des malheurs pour l'Europe ! J'en suis profondément affecté, et en présence de tels malheurs ma pensée est absorbée entièrement. Si encore la France était unanime dans ses sentiments, si elle avait un gouvernement assez fort pour travailler sans relâche à une résurrection, on pourrait se prendre à espérer ! Mais que voyons-nous ? Des fous ou des égoïstes. J'en suis profondément affligé. Je n'ai pas le courage aujourd'hui de parler d'autre chose. J'espère bientôt te revoir. Il me tarde de te presser ainsi que Louis sur mon cœur. Je t'embrasse tendrement. NAPOLÉON. Malgré cette impatience de revoir l'Impératrice et le prince Impérial, de presser sur son cœur ce fils chéri, dont jadis il avait peine à s'éloigner pour deux jours, et dont il est séparé depuis le 27 août, — l'Empereur ne voudrait pourtant pas que sa captivité cessât avant celle des autres vaincus de Sedan. Se croyant menacé d'une telle faveur il s'en montre ému : Je suis inquiet, — écrit-il, le 23 février, — des nouvelles qu'on répand dans les journaux de ma mise en liberté. Je ne puis accepter tant que l'armée est prisonnière. Ce qu'il souhaite seulement, c'est d'être libre avant le 16 mars : Je voudrais bien être en Angleterre pour l'anniversaire de la naissance de Louis. Et ce modeste vœu du prince qui, quinze ans plus tôt, à pareille époque, avait reçu les hommages de l'Europe entière, ne se réalisera pas : C'est demain le 16 et je ne serai pas auprès de vous ; cela me fait beaucoup de peine. Il ne quittera, en effet, Wilhelmshöhe que quatre jours plus tard. Quel souvenir devait-il y laisser à ceux qui l'y avaient vu pour la première fois et y avaient appris à le connaître. ? Pour le savoir, nous devons revenir au Mémorial de Mels. Quand Napoléon III était arrivé à Wilhelmshöhe, les habitants du pays étaient violemment prévenus contre lui. Convaincus, sur la foi des journaux prussiens, que l'Empereur avait provoqué l'innocente et pacifique Allemagne et déchaîné sur eux tous les maux de la guerre pour assouvir une égoïste ambition, ils lui manifestaient brutalement leur hostilité. Mais peu à peu, l'aspect seul de l'Empereur, la dignité majestueuse avec laquelle il supportait son sort tragique avaient atténué, dissipé ces préventions ; à la haine, à la colère avaient succédé la compassion, puis l'intérêt, le respect, et finalement la sympathie. Chez les officiers qui le gardaient et le voyaient de plus près, ce changement d'attitude et de langage avait été plus prompt, presque immédiat. Par tous les témoignages de déférence que n'interdisaient pas formellement leurs instructions, ils s'efforçaient de faire oublier à Napoléon III qu'il était le prisonnier et non l'hôte de leur roi. Ils cherchaient surtout à lui épargner le spectacle humiliant de leurs manifestations patriotiques : Ce qui faisait notre joie, dit Mels, apportait une mortelle douleur à ceux pour qui nous avions le cœur plein d'estime ; et, au moment de fêter, le verre en main, quelque nouvelle victoire allemande, cette pensée les retenait ; on pourrait s'en apercevoir au château, disait-on ; et l'on n'en parlait plus[21]. Lorsqu'à la veille du départ de Napoléon III, ils furent admis à prendre congé de lui, ils ne cherchèrent plus à dissimuler les sentiments qu'il leur avait inspirés : Le capitaine d'artillerie de S... pleurait comme un enfant en sortant du château ; et, se tournant vers son voisin, qui était Mels, il lui disait : Je voudrais maintenant tordre le cou à un journaliste, à un de ces imbéciles qui écrivent tant d'infamies contre ce malheureux et digne souverain[22]. Les domestiques français dont une pensée délicate avait entouré Napoléon III étaient plus à l'aise pour manifester leur émotion et leurs regrets. Ce que l'Empereur avait été pour eux, le trait suivant le fera comprendre. M. Bernard — de Grenoble — le chef envoyé de Berlin à Wilhelmshöhe, était, paraît-il, un artiste célèbre, auteur de savants traités, très prisés de ses confrères. Ayant la conscience de son mérite il était fier de pouvoir le déployer devant celui qu'il considérait encore comme son souverain. Mais Napoléon III avait toujours été fort peu gourmet ; et, loin d'oublier les malheurs de son pays en faisant bombance, comme l'affirmaient les publicistes officieux de Paris[23], — il se souciait alors moins que jamais de ce qui était servi à sa table ; il ne faisait guère honneur, guère attention aux menus élaborés, exécutés avec tant de soin par M. Bernard. Cette indifférence navrait l'artiste méconnu. Mels, qui recevait ses doléances, en rit d'abord. Mais voyant que ce chagrin était très sérieux, que le pauvre homme en devenait malade, il prit la liberté grande d'intervenir près de Sa Majesté, en faveur de son cuisinier. Le soir même l'Empereur goûta de tous les mets, complimenta le chef, se fit donner des explications par lui sur je ne sais quel plat. Et Bernard se retira fou de joie[24]. Quant à Mels lui-même, il avait éprouvé, dans une circonstance beaucoup plus grave, l'exquise bonté de Napoléon III, s'oubliant pour compatir à la peine d'autrui. Au milieu du mois de février, il avait perdu sa fille ; et, depuis ce moment, absorbé par son chagrin, il n'avait plus paru au château, où jusqu'alors on était renseigné par lui sur les événements du dehors. Le 2 mars un aide de camp de Napoléon III reçoit un télégramme de la Reine d'Angleterre, le chargeant de préparer l'Empereur à une importante et très pénible nouvelle. De quoi s'agit-il ? Avec quelle impatiente anxiété Napoléon III et son entourage désirent l'apprendre ! Mels, à qui un employé du télégraphe vient de porter une dépêche ; le sait certainement ; le prince de la Moskowa veut aller le lui demander : respectant la douleur du père, Napoléon III ne permet pas qu'on la trouble dans son intérêt. Informé, par un serviteur du château, de ce qui vient de s'y passer, Mels n'hésite plus. Il prend la dépêche et, rencontrant l'Empereur dans le parc de Wilhelmshöhe, il la lui présente, en s'inclinant avec respect, mais incapable de prononcer une parole. Cette dépêche sur laquelle se fixent, anxieux, dévorants, les regards des généraux qui l'accompagnent, Napoléon III la prend d'une main ; de l'autre, il serre longuement celle du pauvre père qu'il n'a pas revu depuis son malheur. Et alors, — ajoute Mels, —
celui qu'on appelait un despote sanguinaire,
se souvint, avant de songer à lui-même et à ses infortunes souveraines, que
l'homme qui était devant lui s'était arraché à une famille en deuil. Il sentit,
dans la bonté infinie de son âme qu'il devait, mal- gré la solennité
historique de l'heure, quelques mots à ce père qui venait de dire un dernier
adieu à son enfant. Ce que Napoléon me dit, je ne le sais ; mais ses paroles
venaient du cœur, car je sentais qu'elles arrivaient au mien ! Et
maintenant, termina-t-il, ne vous dérangez plus pour moi, votre place
est près des vôtres. Je m'inclinai et je partis. Les officiers se rapprochèrent
pour lire la dépêche. L'Empereur ne l'avait pas encore ouverte. Au coude de
l'allée, je me retournai. Il était immobile à la même place et me regardait
m'éloigner. Ayant vu que mes yeux se tournaient vers lui, Napoléon III leva
son chapeau. Alors seulement qu'il m'eut entièrement perdu de vue, il
consentit à ouvrir la dépêche, — qui lui
annonçait sa déchéance[25]. Trois semaines plus tard, le 20 mars, — après avoir entendu la messe au château, après avoir donné à l'officiant, curé d'une petite église voisine, les vases sacrés et les ornements envoyés d'Angleterre par l'Impératrice, après avoir été se recueillir encore une fois devant le portrait de la Reine Hortense, — Napoléon III se dirigeait vers la gare où il devait s'embarquer, lorsque Mels reçut une nouvelle dépêche. Il put rejoindre l'Empereur à la station et la lui remettre. Elle contenait ces mots : Révolution à Paris. Deux généraux assassinés. Socialistes maîtres de la capitale. Paie remise en question. Après l'avoir lue, Napoléon III pâlit et leva les bras au ciel en disant : La seconde fois, en présence de l'étranger ![26] |
[1] Mémoires d'une Inconnue, p. 350.
[2] La foule allemande ne se contentait pas de vociférer. Dès que le train s'arrêtait, elle se précipitait sur les marchepieds du wagon. où se trouvait l'Empereur, pour l'insulter de plus près et lui montrer le poing avec colère, s'étant laissé persuader par M. de Bismarck et par son ingénieuse falsification de la dépêche d'Ems que l'Empereur était seul responsable de la guerre. D'après ceux qui accompagnaient Napoléon III dans ce douloureux voyage, rien ne saurait donner l'idée du caractère de sauvagerie de ces scènes plusieurs fois répétées.
[3] Que se passa-t-il dans cet esprit, jusque là si sympathique, et pourquoi, dès le lendemain de la chute, renier si violemment son maitre ? Le coup parut dur au prisonnier de Wilhelmshöhe. Ceux qui l'ont vu alors assurent que jamais un autre nom que celui-là ne sortit de ses lèvres pour une plainte ; le nom de l'ami des meilleurs jours dont il n'avait pas prévu l'abandon est le seul qu'il ait prononcé avec une apparence d'amertume. P. DE CHENNEVIÈRES, Souvenirs d'un ancien Directeur des Beaux-Arts.
[4] Wilhelmshöhe, Souvenirs de la Captivité de Napoléon III, par A. MELS, 1880.
[5] Wilhelmshöhe, p. 162.
[6] Wilhelmshöhe, p. 56. — Un autre journaliste, ayant été reçu en 1811 à Wilhelmshöhe, y avait éprouvé la même surprise. Peu de jours après la mort de Napoléon III, il écrivait à son journal, le Commercial Advertiser : La prospérité n'est pas la pierre de touche des caractères d'or pur connue le sien. Ils ne brillent de leur plus bel éclat que dans l'adversité... Nous l'avons vu à Wilhelmshöhe, nous avons longuement causé avec lui et nous n'avons pas entendu une parole amère contre ses ennemis, pas une récrimination contre ceux qui l'avaient trahi, pas un reproche pour les alliés qui avaient promis de le soutenir et qui l'avaient laissé seul au premier revers... Il était plus grand encore datas sa retraite que sur le trône.
[7] Ch. DE MAZADE, Monsieur Thiers, Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1881.
[8] Mérimée et ses amis, p. 315.
[9] Ce que l'Impératrice-Régente faisait dire, par M. de Piennes, aux députés de la Gauche, elle le disait elle-même à tous ceux qui l'approchaient, connue l'ont attesté, devant la commission d'enquête parlementaire, M. BUFFET : L'Impératrice écoula avec beaucoup de calme et de dignité les observations que je lui présentai et répondit : L'avenir de la dynastie est aujourd'hui ce qui me préoccupe le moins ; — par le général de CHABAUD-LATOUR : C'était dans la nuit du 7 au 8 août. On venait d'apprendre Forbach et Reischoffen. Je fus appelé chez les ministres avec l'Impératrice. Elle tint le langage le plus noble, le plus digne ; elle nous dit : Il ne s'agit pas de sauver l'Empire, il s'agit de sauver la France ; — par le général TROCHU, lui-même : L'Impératrice a montré du caractère, du cœur, des sentiments bien plus français qu'impérialistes.
[10] Il assista même avec les membres de l'ancienne majorité, à la réunion qui eut lieu dans l'après-midi à la Présidence. Prié d'aller, en leur nom, faire une dernière tentative à l'Hôtel de Ville, il s'en défendit, en disant : Je m'étais promis de ne pas paraître à l'hôtel de Ville. C'est une promesse que je voulais tenir. Je ne voulais pas qu'on me vit là. J'hésite donc beaucoup. Ernest DRÉOLLE, La journée du 4 septembre, au Corps législatif.
[11] ... Napoléon n'avait pu fait, en tout ceci, l'ombre d'une allusion aux griefs personnels qu'il devait certainement avoir contre l'ancien hôte de Biarritz. Jamais, ni à Wilhelmshöhe, ni, plus tard, à Chislehurst, je n'ai entendu, de la bouche de l'Empereur un mot de récrimination contre l'homme éminent, de qui, — je dois le dire quoi qu'il m'en coûte, — Napoléon avait tant à se plaindre. A. MELS, Wilhelmshöhe, p. 108.
[12] L'année suivante, Napoléon III, traitait de nouveau cette question, avec le même désintéressement : Un matin, à Chislehurst, quelques courtisans du malheur déploraient la facilité avec laquelle plusieurs favoris des beaux jours avaient tourné après le 4 septembre. L'Empereur paraissait très mécontent de ces diatribes intempestives contre des gens qui, après tout faisaient leur métier de serviteurs de l'État, en le servant sous tous les régimes. Un journaliste parisien, qui se trouvait là, et qui, n'ayant pas été à la curée pendant le règne, pouvait se permettre une respectueuse franchise après la chute, dit à l'Empereur : Sire ! c'est votre Majesté, qui a manqué, le 4 septembre, à tous les serments qu'on lui avait prêtés. Vous manquant, beaucoup de fonctionnaires ont pu se croire déliés. — Vous avez raison, Monsieur X, répliqua le souverain déchu. C'était l'opinion de Napoléon Ier. Il l'a consignée éloquemment dans la proclamation du Golfe-Juan. Quand vous serez de retour à Paris, faites donc un article pour bien expliquer cela. J. RICHARD, Comment on a restauré l'Empire, p. 253. (Ne serait-ce pas un souvenir personnel que M. J. Richard racontait là ?)
[13] Quant aux propriétés d'Italie, elles se réduisaient à celle de Civita-Nuova, léguée par le roi Louis à son fils et qui ne valait pas précisément cent millions !
[14] A. MELS, Wilhelmshöhe,
p. 147.
[15] A. MELS, Wilhelmshöhe,
p. 149.
[16] Après avoir, le premier croyons-nous, publié cette lettre dans son Histoire de la Diplomatie du Gouvernement de la Défense Nationale, M. J. Valfrey disait : ... Loin de subordonner sa conduite à des intérêts dynastiques, l'Impératrice en faisait le sacrifice le plus complet, afin de ne pas nuire à la défense nationale et de lui laisser toute liberté d'action.... Il n'y aura qu'une voix dans l'opinion publique pour rendre hommage à l'élévation et à la droiture des sentiments exprimés dans cette lettre. Bien que la Cour de Russie ne crût pouvoir se rendre à l'éloquent appel de l'Impératrice elle en avait été fort émue : Cette émotion se traduisait par l'accent avec lequel la tzarine disait à la comtesse Fleury, prenant congé d'elle : L'Impératrice vient d'adresser au csar une lettre admirable.
[17] M. Rouher, réfugié à Twickenham, d'où il se rendait souvent à Chislehurst, écrivait, de son côté, le 7 décembre, à Grenier de Cassagnac : La résignation et le silence étaient un devoir patriotique vis-à-vis de la Défense Nationale. La délivrance de la patrie eût été le bien suprême ; tout devait être sacrifié à cette espérance. Pour mon compte, je me seuls incliné, je m'inclinerais devant tout pouvoir, devant tout homme auquel je devrais l'expulsion des Prussiens. Mais, hélas ! nos chances s'évanouissent graduellement ! Souvenirs du second Empire, t. III, p. 193.
[18] A. MELS, Wilhelmshöhe, p. 139.
[19] Cette fois encore, nous avons la satisfaction de le constater, la conduite de l'Impératrice fut très noble et très patriotique. J. VALMY, t. I, p. 129.
Dans le procès du maréchal Bazaine, le Commissaire du Gouvernement, voulut également rendre hommage aux généreux efforts de l'Impératrice en faveur de l'armée de blets et reconnaître le patriotisme élevé d'une femme qui a si bien compris la loi du devoir et de l'honneur et l'abnégation devant les intérêts du pays.
[20] Au moment de la mort de l'Empereur, son Journal, la République française, devait publier un article dont la Gazelle de France elle-même fut révoltée, ne comprenant pas qu'on pût parler en termes injurieux d'une femme, d'une mère, d'une épouse dont on devrait, su moins, respecter la douleur.
[21] Wilhelmshöhe, p. 110.
[22] Wilhelmshöhe, p. 202.
[23] Cet homme, à qui vous devez tous vos malheurs, vous croyez peut-être qu'il souffre de vos souffrances ?... Vous vous tromperiez. Cet homme habite un château splendide ; on lui sert vingt et un plats à sa table, etc. Bulletin de la République, 1er janvier 1871.
[24] MELS, Wilhelmshöhe, p. 42.
[25] MELS, Wilhelmshöhe, p. 188.
[26] MELS, Wilhelmshöhe, p. 206.