NAPOLÉON III INTIME

 

1848-1870

VIII. — LA CONCILIATION.

 

 

L'Empereur de tous. — Grand parti sans état-major. — Comment Napoléon III venge Louis-Napoléon. — Un gouvernement ouvert. — M. Carnot ingénieur. — Le révocation de M. de Laprade. — Napoléon III et l'Académie. — M. Berryer s'abstient de la visite. — MM. de Falloux, de Broglie, Guizot et Prévost-Paradol aux Tuileries. — Dernier usage du pouvoir personnel. — Courtoisie administrative. — M. Thiers injurié par MM. de Persigny et Haussmann. — Napoléon III refuse, même pour se défendre, d'ouvrir ses tiroirs. — Un noble principe. — Les protégés de l'Opposition. — Au pavillon des Princes. — Tentative d'amnistie en 1849. — George Sand obtient plus qu'elle ne demande. — Barbès libéré malgré lui. — Pourquoi Orsini ne fut pas gracié. — Faveurs et largesses éclectiques. — Un conservateur radical. — Comment Napoléon III se comporte à l'égard de ses prédécesseurs. — Une seule exception : les biens de la famille d'Orléans.

 

Comme on l'a vu dans les chapitres précédents, pour monter sur le trône, où, depuis le 10 décembre, il était manifestement appelé par la volonté nationale, Napoléon III n'avait voulu marcher qu'au pas de la France ; et, maure du pouvoir, il ne s'était plus laissé seulement pousser par l'opinion : de l'aveu de ses adversaires, de ceux du moins qui se piquaient de franchise, il l'avait devancée. Une étude historique, écrite dans sa prison de Ham, se terminait ainsi : Marchez à la tête des idées de votre siècle, elles vous soutiennent ; marchez à leur suite, elles vous entrainent ; marchez contre elles, elles vous renversent. En substituant peu à peu les institutions du gouvernement libre à celles du pouvoir absolu, Napoléon III avait constamment marché à la tête des idées de son pays, — jusqu'aux derniers jours de son règne, où il fut, à son tour, entraîné par le mouvement qu'il avait provoqué, sans songer toutefois, un instant, à l'enrayer.

Mais ce n'est pas seulement par sa déférence absolue pour, l'opinion, et son ferme propos de lui obéir, que Napoléon III voulait rendre l'Empire accessible aux hommes de bonne volonté des divers camps, c'est aussi, c'est surtout par sa façon d'être à leur égard. De 1815 à 1851, la France n'avait connu que des gouvernements de classes ou de partis. Sous la Restauration, cent mille électeurs, sous le régime de juillet, deux cent mille, avaient mené les affaires à leur gré. Par un mot qui exprimait brutalement leurs prétentions exclusives, ils s'intitulaient le pays légal. Le reste, la vile multitude était une quantité négligeable, qui ne possédait aucun droit politique, et, quand elle se croyait opprimée, ne pouvait protester qu'à coups de fusil. Les gouvernants de 1848 avaient donné au pays le moyen de faire connaître sa volonté, mais sans vouloir en tenir compte : ils ne représentaient au pouvoir qu'une infime minorité, dont ils prétendaient imposer les préférences au reste de la population[1].

Napoléon III avait toujours eu du gouvernement une conception bien différente. Sincèrement démocrate, il voulait tenir le pouvoir de toutes les classes et l'exercer au profit de toutes, en satisfaisant l'intérêt de chacune, dans la mesure où le permettrait l'intérêt des autres. A un ouvrier, qui pendant un de ses premiers voyages lui avait dit que Charles X était le roi de la noblesse, Louis-Philippe le roi de la bourgeoisie, qu'il serait, lui, le roi du peuple, il avait aussitôt répondu, en souriant : Oui ; mais qui dit peuple dit tous. Ce rôle de médiateur est toujours ingrat. En voulant empêcher des adversaires de se jeter l'un sur l'autre on attrape des horions des deux côtés. Les classes, comme les individus, sont peu sensibles à ce qu'on leur donne, et beaucoup à ce qu'on leur refuse. Mais ce rôle ingrat s'impose pourtant à tout pouvoir juste et prévoyant ; car seul il permet de maintenir la paix sociale. Napoléon III, estimant qu'il lui était commandé par son nom, ne s'en départit jamais[2].

Napoléon Ier avait dit : Gouverner avec un parti, c'est se mettre tôt ou tard dans sa dépendance. On ne m'y prendra pas. Je suis national. Je me sers de tous ceux qui ont de la capacité et la volonté de marcher avec moi. Et, en donnant ses instructions à Savary, nommé ministre de la Police, il insistait sur ce point : Je n'épouse aucun parti que celui de la masse. Cherchez à réunir. Il faut que je gouverne avec tout le monde, sans regarder à ce que chacun a fait[3].

De toutes les idées napoléoniennes c'était celle dont le neveu de l'Empereur s'était le plus pénétré, celle qui devait être le pivot de toute sa politique. A réaliser cette idéel essentielle il allait éprouver plus de difficultés que son oncle. Le parti national s'était sans doute formé spontanément autour de lui, dès le 10 décembre. Mais à ce grand parti les états-majors manquaient. Napoléon Ier, en arrivant au pouvoir, avait trouvé table rase ; il avait pu disposer des hommes comme des choses, nul n'espérant alors ni le rétablissement de la République, ni le retour des Bourbons. Napoléon III se trouvait dans une situation bien différente. Les hommes qui auraient dû être les soutiens naturels de son trône étaient pour la plupart engagés dans d'autres partis. Causant à l'Élysée avec Granier de Cassagnac, il lui disait[4] : Si j'étais arrivé au pouvoir en 1830 j'aurais trouvé presque entière et prête à me servir la génération des hommes éminents de l'Empire. En 1848, ces hommes étaient morts ou compromis avec la cause de Louis-Philippe.

Pour combler cette lacune et donner des chefs à la masse qui l'avait acclamé, il ne négligea rien ; et, du début à la fin de son règne, il fit toutes les avances que permettait sa dignité. Dans le manifeste qu'il publia au lendemain de son élection, il disait déjà : Ma tâche est difficile, je le sais. Mais je ne désespère pas de l'accomplir, en conviant à l'œuvre, sans distinction de parti, les hommes que recommandent à l'opinion publique leur intelligence et leur probité. Cet appel à toutes les bonnes volontés, il le répétait, après le 2 décembre : Je veux inaugurer une ère de paix et de conciliation, et j'appelle, sans distinction, tous ceux qui veulent concourir avec moi au bien public. Il le renouvelait encore, en 1858 : J'accueille avec empressement, sans m'arrêter à leurs antécédents, tous ceux qui reconnaissent la volonté nationale.

Ce n'était pas une de ces banalités officielles, comme on en débite souvent, pour éblouir le public, sans se croire tenu de les prendre au sérieux. Cet appel adressé, du haut du trône, aux réfractaires de droite ou de gauche, les préfets étaient chargés de le leur transmettre directement. Par ordre de l'Empereur, M. de Persigny leur écrivait : Je vous recommande de ne rien négliger pour achever l'œuvre de réconciliation entre les partis. Beaucoup d'hommes honorables et distingués des anciens gouvernements, tout en rendant hommage à l'Empereur pour les grandes choses qu'il a faites, se tiennent encore à l'écart, par un sentiment de dignité personnelle. Témoignez-leur tous les égards qu'ils méritent ; ne négligez aucune occasion de les engager à faire profiter le pays de leurs lumières et de leur expérience ; et rappelez-leur que s'il est noble de conserver le culte des souvenirs il est encore plus noble d'être utile à son pays.

Et les hommes qui répondaient à cet appel, Napoléon III, comme il le leur avait promis, les accueillait avec empressement. C'est ainsi qu'il put recruter ses ministres et ses i principaux serviteurs dans tous les camps, — les uns venant de la République, comme MM. Billault, Duruy, Ollivier, Thuillier, Gery, Jolibois, Petetin, Duvernois, etc. ; les autres, du régime de juillet, comme MM. Magne, Baroche, Fould, Delangle, Vuitry, Dupin, Drouin de Lhuys, Chasseloup-Laubat, Béhic, La Valette, etc. ; les autres enfin, du parti légitimiste, comme MM. de Pastoret, d'Andigné, del Mortemart, de La Rochejaquelein, de Gramont, de Laguéronnière, de Moustier, etc. Ne pouvant le méconnaître, les ennemis de l'Empire essayaient d'en faire une arme contre lui. Les amis du gouvernement, — disait l'un d'eux, — ne viennent pas tous de la même paroisse. Parlementaires, légitimistes, républicains, socialistes même, la coalition officielle se recrute dans tous les camps. Dans cet amalgame où les sentiments, les intérêts distincts, et parfois opposés, des divers groupes de la population se trouvaient justement représentés, on prétendait voir la plus incohérente, sinon la plus immorale des promiscuités[5].

Napoléon III, dans une page écrite à Ham sur un personnage politique, lui reprochait de n'avoir pas eu les deux qualités essentielles pour conduire une grande nation : Savoir devancer l'opinion et pardonner. On a vu, dans le chapitre précédent, que le premier de ces reproches ne saurait lui être adressé : il méritait encore moins le second ; et nul n'eut jamais le pardon plus facile que lui. Napoléon III tout-puissant oubliait les injures de Louis-Napoléon exilé ; ou, s'il s'en souvenait, c'était pour accorder des faveurs à ceux qui avaient autrefois rempli leur devoir à ses dépens. Du duc de Montebello, qui avait exigé son expulsion de Suisse, il fit un sénateur et son ambassadeur à Saint-Pétersbourg. A M. Choppin d'Arnouville, préfet du Bas-Rhin an moment de l'affaire de Strasbourg, il confiait plusieurs missions ; de son fils, il faisait un avocat-général à Paris. Le fils du sous-préfet dont l'énergie avait fait si vite avorter sa seconde tentative, devenait, dès 1852, l'un de ses plus fermes préfets. Il nommait officier de la Légion d'Honneur le maire de Boulogne qui avait activement contribué à son arrestation, et chevalier le gendarme qui avait mis, le premier, la main sur lui. Le lieutenant Thiboutot, qui l'avait conduit de Strasbourg à Paris et de Paris à Lorient, recevait un bon emploi dans l'administration des domaines impériaux. Le commandant Demarle qui l'avait gardé, — mal gardé, mais contre son gré, — à Ham, était nommé commandant du palais de Meudon en 1852 ; du palais de Saint-Cloud, en 1854, et du palais de l'Élysée, en 1855. Enfin, M. Durand Saint-Amand, le seul préfet qui eût obtenu, le 10 décembre 4848, une majorité pour le général Cavaignac, n'en fut qne mieux traité sous la Présidence et sous l'Empire.

Tout en servant bien l'Empereur et le pays, les hommes qui avaient commencé leur carrière sous un autre régime pouvaient avoir conservé avec celui-ci quelque attache de sentiment ou de principes : Napoléon III le trouvait tout naturel ; et ceux qui croyaient lui plaire en reniant leur passé le connaissaient fort mal.

Aux militaires, moins encore qu'aux personnages politiques, il demandait compte de leurs antécédents, de leurs préférences intimes. Napoléon Ier avait pris pour aides de camp les Drouot, les Mouton, les Bernard : Napoléon III l'imita. Parmi les officiers qui firent la plus brillante carrière sous son règne, bien peu étaient des impérialistes de la veille ; plusieurs étaient à peine des impérialistes du jour.

Bosquet était républicain, grand ami de Lamoricière et de Cavaignac. Le coup d'État, — sa correspondance qu'on vient de publier nous l'apprend — lui avait brisé le cœur et la tête. Ne voulant pas servir le régime de décembre, il demande sa mise en disponibilité. On la lui refuse : sa carrière est pourtant perdue : il le sent bien. Le Président et son ministre n'ont pas osé, à la première heure, briser son épée. Mais ils lui font l'honneur de le compter parmi leurs ennemis. Ils doivent avoir contre lui le même fonds de rancune qu'ils lui savent contre eux ; et le moment venu, ils se vengeront !

Quelques mois plus tard, en effet, l'Empereur, sachant que Bosquet garde ses idées républicaines comme un Romain, le mande aux Tuileries : c'est évidemment la vengeance !... Elle est douce : l'Empereur se montre très gentilhomme, très bienveillant, ne dit pas un mot de politique, ne fait pas la plus légère allusion au passé, ne parle que de l'Algérie, et lui témoigne beaucoup d'intérêt. En mai 1853, quoique simple brigadier, on lui donne à commander une division. Pour une autre, ce serait la troisième étoile à brève échéance. Mais lui ! On le sait fidèle à ses amitiés ; on arrêtera son avenir. On ne l'arrête pas longtemps : dès le mois de septembre, à 43 ans, il est nominé général de division. L'armée d'Orient se forme, on lui confie une superbe division, à lui le plus jeune, tandis que tant d'autres brigueraient l'honneur de l'obtenir. Au bout de six mois, il devient grand-officier, puis commandant d'un corps d'armée, à la tête duquel il se couvre de gloire. Ses soldats disent qu'on devrait le faire maréchal.

Mais il n'aura pas ce bonheur : on se souvient trop de ses premières et toujours saintes amitiés avec Cavaignac et Lamoricière. La guerre finie il est invité à dîner aux Tuileries, se demandant pourquoi. Au dessert, l'Empereur dit : Messieurs, faites remplir vos verres, je veux porter un toast à deux bons amis que j'ai près de moi : Au maréchal Canrobert ! Au maréchal Bosquet ! Les voilà tous deux saisis, à peu près sans voix, cherchant la main de Sa Majesté, qui leur est tendue avec la plus gracieuse simplicité[6]. Recevant le bâton à 46 ans, après l'avoir bien gagné d'ailleurs, et convaincu enfin qu'on ne cherchait pas à arrêter son avenir, Bosquet devient un impérialiste dévoué du lendemain : impérialiste de la veille, eût-il été mieux traité ?

Le général de Mac-Mahon avait des inclinations royalistes et l'avait loyalement avoué à l'Empereur. L'Empereur répondait à cet aveu en l'envoyant au Sénat, où, seul, il vota en 1858 contre les lois de sûreté générale. L'Empereur le punit de cet acte d'opposition en le faisant, l'année suivante, maréchal et duc de Magenta. Le général Pélissier n'était rien moins que courtisan. Il parlait de tout, même de son maitre, avec une singulière liberté. Rencontrant en Angleterre, où il se trouvait comme ambassadeur, son ancien chef d'Afrique, M. le duc d'Aumale, il en manifestait publiquement son plaisir. Malgré ses allures indépendantes il n'en fut pas moins comblé : maréchal, duc, gouverneur général de l'Algérie, pourvu d'une belle dotation, il faisait, en outre, partie du Conseil Privé. Le général Frossard, dont. Napoléon III fit son aide de camp et le gouverneur du Prince Impérial, avait été attaché, comme officier d'ordonnance, au roi Louis-Philippe.

Dès le 2 décembre, et avec cette affectation qu'il mettait naturellement en toutes choses, le général Trochu s'était prononcé contre le nouveau régime ; il ne lui avait pas suffi de voter négativement ; il avait tenu à motiver sentencieusement son vote : Le Prince-Président s'en vengeait en lui faisant donner au ministère de la guerre un haut emploi fort envié, — qui lui servit à devenir, plus tard, malgré ses doléances et ses critiques incessantes, un des plus jeunes divisionnaires de l'armée.

Son intime ami, l'amiral Fourichon, affichait des allures bien plus frondeuses encore, sans avancer moins vite. Et dans la marine, — où le souvenir d'un prince aimable et bienveillant avait entretenu des sympathies orléanistes, son exemple n'était pas isolé. Un des vétérans de la cause royaliste, le comte de Circourt, en citait plusieurs autres, dans une récente étude sur le prince de Joinville et ses anciens officiers[7]. Trois de ceux-ci, dont le prince-amiral avait deviné le mérite et favorisé les débuts, s'étaient marqués par la fidélité de leur reconnaissance ; après l'avoir constaté, M. de Circourt ajoutait : Napoléon III, disons-le à sa louange, n'hésita pourtant pas à les faire amiraux, tente à donner à l'un d'eux un emploi qui l'attachait à sa personne ; et sur l'un de ces trois officiers il racontait une anecdote intéressante : le capitaine de vaisseau Jaurès, qui, en 1851, avait pris ouvertement parti pour l'Assemblée contre le président, — commandait sept ans plus tard un bâtiment que Napoléon III vint visiter en détail. Dans la cabine du commandant, et bien en évidence, sur sa tabla de travail, un portrait attira l'attention de l'Empereur : C'est le portrait du Prince à qui je dois ma fortune et pour qui j'ai une inaltérable reconnaissance, dit, sans se troubler, M. Jaurès. Napoléon III lui répondit : Vous avez bien raison ; et, peu après, il le nomma contre-amiral, prouvant ainsi, une fois de plus, qu'il n'était ni petit ni défiant. Et ce second hommage, rendu par l'écrivain royaliste au caractère de l'Empereur, était suivi d'un troisième. A propos d'un autre commandant qui, par un acte hardi d'indépendance professionnelle, au lieu de blesser Napoléon III, avait conquis son estime, M. de Circourt écrivait encore : L'Empereur avait été séduit par Dubourg ; mais il avait, lui aussi, de la séduction.

Si, parmi les officiers de vaisseau, un certain nombre étaient restés orléanistes, il y avait dans l'artillerie de marine quelques républicains, — comme le général Frébault, devenu sénateur inamovible de la gauche. Dans une notice, écrite il y a peu d'années sur lui, on lit qu'il avait été nommé général de brigade en 1864, général de division en 1867, c'est-à-dire à cinquante-quatre ans ; et que son avancement d'une rapidité exceptionnelle s'expliquait par ses glorieux services. Il n'était certainement pas dû à ses flatteries pour le souverain. Celte notice nous apprend, en effet, que l'Empereur, l'ayant consulté sur la question des batteries flottantes, le général Frébault avait combattu ses idées si vivement que le Ministre de la Marine, — présent à l'entretien, — l'engageait, par des regards éloquents, à se modérer. A la fin, impatienté, le général Frébault se lève brusquement, en s'écriant : On peut être un excellent empereur et un très mauvais canonnier. Le ministre resta foudroyé ; mais l'empereur se mit à rire,et adopta le système des batteries flottantes du général Frébault.

Au personnel administratif, — recruté avec le même éclectisme que le personnel politique ou le personnel militaire, — le gouvernement ne demandait qu'une chose : de faire convenablement sa besogne. M. Roulier le rappelait, un jour, à la tribune de l'Assemblée ; et, comme on semblait contester son affirmation, il adressa un appel direct aux souvenirs du président du conseil, dont, pendant huit ans, il avait été le chef : Je demande à M. de Freycinet, si jamais un ingénieur ou un conducteur, admis régulièrement, a été frappé pour cause politique. M. Rouher, à l'appui de sa parole, aurait pu citer un illustre exemple. A une époque où il ne prévoyait ni sa future grandeur, ni sa fin cruelle, M. Carnot occupait un modeste emploi d'ingénieur dans la Haute-Savoie. Il était déjà républicain, même républicain pratiquant[8]. Mais il remplissait ses fonctions avec zèle et talent. Aussi, en juillet 1866, son préfet demandait-il de l'avancement pour cet ingénieur particulièrement méritant, — sachant bien qu'il pouvait témoigner de n'aère à ce fonctionnaire mal pensant mais appliqué, sans se compromettre lui-même.

Ce que M. Rouher avait tenu à dire de l'administration des Ponts et. Chaussées, l'ayant dirigée, il l'aurait pu dire également des autres. Quelqu'un s'en est chargé pour lui, — un démissionnaire du 2 décembre, ayant salué avec joie la République, mais n'ayant pas tardé à s'en voir exclu, pour insuffisante ferveur. A l'intolérance du nouveau régime 1 M. Vacherot opposait ainsi la tolérance de l'Empire : Peu lui importait l'origine des fonctionnaires qu'ils fussent, bonapartistes, légitimistes, orléanistes, républicains. Il tenait même particulièrement à être servi par des fonctionnaires éprouvés des anciens gouvernements. Et quand les républicains voulaient bien accepter des fonctions dans l'administration impériale, le chef de l'Etat en était trop heureux... L'Empire laissait la porte des administrations ouvertes à tous les partis, comprenant que c'était le servir que de bien servir l'Etat[9].

Combien de preuves à l'appui, — en ayant les mains pleines, — nous pourrions apporter ici. Mais nous voulons réviser le procès de Napoléon III, non instruire le procès de ses adversaires. Nous ne mettons ceux-ci sur la sellette que quand nous y sommes forcé. Nous pouvons du moins y montrer ceux qui s'y sont mis d'eux-mêmes, et reproduire, par exemple, ce qu'en juin 1887 M. Henry Merci, ancien employé de M. Haussmann, eut la loyauté d'écrire : Dans ce temps-là, nous étions un grand nombre de républicains à la Ville, qui,Rochefort doit s'en souvenir,ne cachions guère notre drapeau. A la vérité, je doute que l'Empire eût jamais consenti à nous charger d'une haute fonction, mais il nous laissait parfaitement nos postes et ne nous révoquait pas.

Les fonctionnaires pouvaient non seulement mal penser du gouvernement, même en mal parler à demi-voix : ils pouvaient, si leur conscience les y poussait, faire acte \d'opposition contre lui, sans qu'il leur en contât trop cher. A propos de la mesure prise, l'année dernière, contre l'archevêque de Lyon, l'Univers rappelait que Mgr Pie avait pu directement offenser Napoléon III sans être aussi sévèrement frappé ; — qu'un conseiller d'État, M. Léon Cornudet, qui avait osé prendre la défense du prélat dans une question aussi personnelle à l'Empereur, ne fut puni de son courage que par sa promotion, peu de temps après, à la dignité de président de section.

Mais M. de Laprade ? ce professeur brutalement révoqué, comme un sous-préfet, pour quelques pauvres vers ?... Nous nous garderions bien de l'oublier ; car les clameurs provoquées par cette révocation, le souvenir, presque légendaire, qui en est resté, prouve précisément, — et mieux que tout ce que nous venons de dire, — combien on était peu habitué alors aux rigueurs du pouvoir, même au mieux justifiées. Nous avons vu, depuis, des professeurs de Facultés !privés de leur chaire pour avoir collaboré, sous des pseudonymes, à des journaux d'opposition ; nous avons vu la presse radicale réclamer impérieusement la destitution d'un professeur de la Sorbonne, ayant osé dire que Diderot avait écrit des ordures. Le cas de M. de Laprade, il faut en convenir, était plus grave.

Il avait rimé les plus acerbes satires contre l'Empereur, son gouvernement et tous ceux qui le soutenaient. Dans celle qui fit déborder le vase, — bien rempli, comme on le verra tout à l'heure, — de l'indulgence officielle, le poète-tribun opposait à la scélératesse impériale le courage et le désintéressement de ses adversaires

. . . . . . . . . . . . . . . Fiers d'un serment unique,

Qui rêvent de leur Prince ou de leur République,

Adorant un principe et non pas un succès...

Satisfaits de rester de simples gens de bien,

Et, quand vous êtes tout, heureux de n'être rien.

On le prit au mot ; on le rendit heureux, en lui rappelant, ce qu'il semblait oublier, qu'il était encore quelque chose... Mais, avant de prendre ce parti, le gouvernement impérial avait montré une rare longanimité. M. de Laprade fut révoqué le 14 décembre 1861, et près de deux années auparavant, il avait inauguré cette campagne de philippiques rimées, en adressant à Napoléon III une violente injure[10]. Ce qui n'eût pas empêché d'ailleurs ce débonnaire souverain d'être tout prêt à dédommager l'ancien professeur si celui-ci eût daigné le demander.

Le comte de Pontmartin appartenait au même groupe politique que M. de Laprade. Mais, en jugeant à distance cet incident dénaturé par la passion de parti, il avoua honnêtement que de tels vers, où la colère chantait faux, étaient réellement le symptôme d'une fièvre chaude, la triste expression de cet esprit de vertige auquel avaient alors cédé tant de cervelles ; — que, dans toute cette affaire, ce n'est pas l'Empereur qui joua le rôle défavorable ; — que les ministres avaient montré quelque patience en tolérant les premières satires du Juvénal-fonctionnaire ; — et que, quand l'Empereur et M. Emile Ollivier offrirent un rectorat à Laprade, c'est encore eux qui curent la bonne part. Nous nous croyons autorisé par un tel témoignage à dire que le cas isolé de M. de Laprade était une de ces exceptions qui confirment avec éclat les règles[11].

Pour les hommes politiques moins exaltés que M. de Laprade, mais aussi hostiles à l'Empire, qu'une circonstance quelconque mettait en sa présence, Napoléon III avait encore plus de ménagements. Dans ces ennemis, d'apparence irréconciliables, il semblait voir des amis ou des neutres de l'avenir ; il y voyait surtout des gens bien élevés, devenus ses hôtes pour un instant et qu'il devait recevoir en parfait gentleman.

Le vicomte de Melun se vante dans ses Mémoires de n'avoir jamais voulu se faire présenter aux Tuileries, de ne s'être jamais associé aux hommages qu'on rendait au Souverain, de n'avoir fait mystère à personne de son hostilité contre l'Empire. Et il nous apprend que, malgré cela, l'Empereur le fit tout spontanément chevalier, puis officier de la Légion d'Honneur ; que l'Empereur se montra toujours gracieux et expansif envers lui, toujours disposé à accueillir ses idées et à accepter ses propositions ; que l'Empereur, quand il le voyait, prolongeait ordinairement la conversation avec le ton de la confiance et de l'intimité et demandait à tout le monde ce qui pourrait lui être agréable[12].

Rien de plus curieux, à cet égard, que les relations de Napoléon III avec l'Académie française. Celle-ci se considérait alors comme le quatrième pouvoir de l'État, ayant reçu d'elle-même — la mission de régenter les autres. Avec quelle ardeur et quelle sécurité les membres de ce petit parlement sans mandat s'évertuaient à discréditer l'Empire, M. Drumont le rappelait gaiement, au lendemain de la guerre : Ils avaient tout, ces vieillards. L'Empereur leur fournissait des tambours pour battre aux champs quand ils allaient tirer de l'arc, c'est-à-dire faire des discours à allusions. Ils comparaient l'Empire à Tibère et les municipaux de corvée à des prétoriens. Tibère souriait et les municipaux faisaient circuler la foule pour que les académiciens ne s'enrhumassent pas à attendre leurs voitures. Ils avaient la fortune, ils avaient la gloire ; on leur aurait donné des places s'ils avaient voulu ; on ne leur demandait que de rester quelques années sans parler, afin que la France reprit son équilibre et sa sécurité !...

Leurs deux harangues à peine prononcées, le nouvel élu et le directeur qui lui avait répondu, allaient les porter à Tibère, qui devait les en remercier : Sire, voici deux discours où nous avons démontré clairement, quoique à demi-mot, que Votre Majesté est un affreux despote et ceux qui la servent, des cuistres. — Je suis bien touché, Messieurs, de cette aimable attention ; ainsi le voulait l'usage ! Et, grâce au tact parfait de Napoléon III, grâce à ses manières exquises, cette obligation n'avait rien d'embarrassant pour le visiteur, ni surtout pour le visité.

Un seul académicien crut devoir s'en affranchir : l'illustre Berryer — qui avait cependant plus de titres que tout autre à recevoir du souverain un bon accueil, et moins de raisons pour s'y soustraire. On a vu plus haut avec quelle délicatesse Louis-Napoléon, avant de partir pour Ham, avait témoigné sa reconnaissance à son éloquent défenseur. L'éloquent défenseur avait aussitôt répondu : Recevez, prince, mes remerciements de la lettre honorable et gracieuse que vous avez bien voulu m'écrire ; ce m'était un titre d'honneur d'avoir été choisi par vous ; ce m'est une grande satisfaction el une douce récompense de mes efforts de recevoir cette expression de votre amitié. Il est rare, au temps où nous sommes, d'obtenir ce noble prix de services loyalement rendus.

Berryer étant allé le voir dans sa prison, le prince voulut lui faire accepter un supplément d'honoraires, qu'il refusa très noblement. Mais, peu de temps après, il se vit obligé de lui écrire : Lorsque j'eus l'honneur de vous voir à Ham, vous voulûtes bien m'offrir une somme que je refusai, parce que je ne croyais pas que vous me dussiez rien. A présent je vous demande de me rendre un service, s'il vous est possible, en mettant à ma disposition une somme de 8 à 10.000 francs qui me serait nécessaire d'ici à la fin du mois... Je me mettrais, d'ailleurs, en mesure de vous rendre le plus tôt possible la disposition de cette somme pour quelque autre sacrifice. La réponse ne dut pas se faire attendre ; car, trois jours plus tard, Berryer lui écrivait de nouveau : Mon prince, je reçois votre lettre, et je m'empresse de vous remercier non seulement de la satisfaction que j'ai d'être ainsi délivré d'ennuis qui me pesaient fort, en ce moment, mais du vrai contentement que j'ai ressenti en voyant avec quelle bonne grâce et quel prompt bon vouloir vous avez répondu à ma demande. Pardonnez-moi d'être comme surpris et charmé de trouver en vous un souvenir si bienveillant des efforts que j'ai faits pour vous servir. C'est qu'au temps où nous sommes, il est rare de trouver ce noble retour de gratitude et de bons sentiments. Toutefois je n'admets pas que vous fussiez redevable envers moi et je reste reconnaissant du service que vous me rendez et surtout de l'expression de vos sentiments pour moi.

Berryer reçut-il, après le rétablissement de l'Empire, d'autres preuves des bons sentiments, de la gratitude de son ancien client ? Il en reçut au moins une : sur son désir, son fils fut nommé Commissaire du Gouvernement près la Compagnie des Docks. Dans ces conditions le grand orateur aurait pu, comme tous les autres académiciens, se rendre aux Tuileries, sans avoir rien à redouter, sinon d'y être trop bien accueilli. Il en jugea autrement ; et il écrivit à M. Mocquard pour réclamer de lui un bon office, consistant à informer l'Empereur qu'il ne comptait pas lui rendre, à l'occasion de son entrée à l'Académie, la visite traditionnelle : Je crois avoir acquis, il y a quinze ans, disait-il, le droit de m'abstenir aujourd'hui d'une formalité, dont l'accomplissement ne serait peut-être pas pénible pour moi seul. M. Mocquard sait bien que, par principe comme par caractère, j'ai autant de répugnance pour le bruit inutile et les vaines manifestations que pour un manque d'égards personnels. Je le prie de vouloir bien, sans retard, faire connaître la détermination qu'un sentiment honorable m'impose. — M. Mocquard répondit le jour même :

L'ancien confrère s'est empressé de se rendre à l'appel de M. Berryer : la réponse suivante en est la preuve.

L'Empereur regrette que, dans M. Berryer, les inspirations de l'homme politique l'aient emporté sur les devoirs de l'académicien. Sa présence aux Tuileries n'aurait pas causé l'embarras qu'il semble redouter. De la hauteur où elle est placée Sa Majesté n'aurait vu dans l'élu de l'Académie que l'orateur et l'écrivain, dans l'adversaire d'aujourd'hui que le défenseur d'autrefois.

M. Berryer est parfaitement libre d'obéir ou à ce que lui prescrit l'usage ou à ce que ses répugnances lui conseillent.

L'ancien confrère est heureux d'avoir pu rendre à M. Berryer ce qu'il croit être, ce qu'il appelle un bon office et lui offre les compliments de sa vieille et cordiale confraternité. — Mocquard.

 

En recevant ce billet d'une si mordante urbanité, le nouvel académicien regretta peut-être de l'avoir provoqué.

Tout aussi bien que M. Mocquard, ses confrères de l'Académie auraient pu l'édifier sur le caractère que la haute courtoisie de l'Empereur donnait à ce genre de rencontres. M. de Falloux écrit, dans ses Mémoires, qu'étant ministre du Prince-Président, il lui avait avoué sans détour ses sentiments royalistes, que cet aveu ne lui avait nullement aliéné les bonnes grâces du Prince ; qu'en quittant le ministère, il avait cru devoir le remercier de la constante bonté avec laquelle il avait été traité par lui ; et je crois, ajoute-t-il, que sa sympathie n'était pas feinte ; car je la retrouvai aux Tuileries, bien des années après, lorsque je dus m'y rendre au nom de l'Académie française.

Si le comte de Falloux devait au souvenir de ces anciennes relations un accueil particulièrement aimable, ceux de ses confrères qui n'avaient pas, comme lui, approché Napoléon III et ne l'avaient jamais combattu qu'à distance, étaient sûrs de trouver au palais impérial, sinon la même sympathie, du moins une parfaite aménité.

Le duc V. de Broglie, comme directeur, avait loyalement rappelé les immenses services rendus au pays par le gouvernement sorti du 18 Brumaire. Après l'avoir vivement remercié de cet acte d'impartialité, l'Empereur ajoutait : J'espère, Monsieur le duc, que votre petit-fils parlera un jour du 2 Décembre comme vous avez parlé du 18 Brumaire... Avec une dignité affable et souriante, l'Empereur savait dire ainsi à chacun ce qu'il fallait, tout ce qu'il fallait, en fort peu de mots, et prendre doucement sa revanche sur ces raffinés, ces dédaigneux, — obligés de se dire en quittant les Tuileries — comme M. de Kisselef, le 5 janvier 1853 — : Décidément, c'est quelqu'un ! Les masses, — que ces parlementaires en disponibilité méprisaient si profondément. — l'avaient compris avant, bien avant eux : dès Boulogne et Strasbourg, dont les salons avaient ri, non les chaumières. Alors, comme dans toutes les occasions décisives où son sort est en jeu, le peuple avait été mieux éclairé, par son seul instinct, que les politiques professionnels par leurs lumières et leur expérience. Pourquoi ? C'est encore dans les Œuvres de Napoléon III que nous trouves la réponse : Parce que chez les masses, les sentiments précèdent le raisonnement et que le cœur sent avant que l'esprit conçoive[13].

Mais nous nous laissons entrainer trop loin des Tuileries, des visites officielles qu'y faisaient les académiciens... La plus intéressante fut assurément celle de Prévost-Paradol. Aussi mérite-t-elle d'être racontée avec quelque détail.

Le brillant rédacteur du Journal des Débats et du Courrier du Dimanche était entré, fort jeune, à l'Académie, pour les ardentes campagnes qu'il avait menées contre : l'Empire. Nul ne s'était montré plus dur que lui pour Napoléon III et son gouvernement. Nul ne savait, comme lui, blesser à fond ses adversaires sans les injurier et jamais poison plus subtil ne fut présenté dans une coupe plus élégamment ciselée, disait récemment son meilleur ami[14]. Encore pourrions-nous faire observer que s'il n'avait ni le goût, ni l'habitude de l'injure brutale, il ne sut pas toujours l'éviter et que certaine phrase fameuse sur les indignes amours de la France ne saurait passer pour un Modèle d'atticisme. Mais, on nous l'a appris en publiant sa correspondance, ce qu'il disait tout haut traduisait faiblement la violence de ses haines. Lorsqu'il s'épanchait avec ses amis, il traitait les ministres de l'Empereur de traîtres, de banqueroutiers, de pirates[15] et de brigands[16]. Quant aux électeurs qui avaient approuvé le coup d'État, aux ouvriers qui l'avaient accueilli avec une indifférence presque sympathique, aux paysans qui l'avaient acclamé d'avance, c'étaient une tourbe d'imbéciles... de lâches et d'idiots[17]. Prévost-Paradol n'admettait pas que cette immense foule de laboureurs, d'artisans, de ce qui faisait le personnel de l'esclavage antique[18] pût imposer ses préférences aux gens éclairés ; que ceux qui n'ont besoin que des biens du corps pussent sevrer de leur liberté ceux qui ont besoin des mouvements de l'esprit[19]. Il ne lui venait pas un instant à la pensée que ces besoins matériels de la masse pauvre et, illettrée dussent paraître moins négligeables à celui qu'elles avaient élu pour les protéger ; qu'il eût été peut-être injuste de les sacrifier aux besoins intellectuels d'une délicate mais peu nombreuse élite. Il n'était donc pas seulement l'adversaire de l'Empereur, mais, au fond, l'ennemi déclaré du principe qu'il représentait : la volonté nationale, exprimée par le suffrage universel.

Dans le discours qu'il avait prononcé à l'Académie, Prévost-Paradol n'abordait pas ces graves questions ; il n'attaquait pas directement l'Empire : il se contentait d'être désagréable à l'Empereur, qui venait d'écrire la Vie de César et de témoigner pour son héros une assez vive admiration. Il louait M. Ampère, dont il occupait le fauteuil, d'être resté inaccessible aux systèmes aujourd'hui à la mode sur une partie importante de l'histoire romaine ; d'avoir eu l'âme trop haute et l'esprit trop droit, pour oser soutenir la cause de César contre Pompée, etc. Et c'est cette mordante critique de son œuvre qu'il venait offrir à l'historien couronné.

Napoléon III n'était pas homme à en éprouver beaucoup de dépit, ni surtout à le montrer. Il préféra se venger de l'écrivain qui, depuis quinze ans, avait fait tant d'esprit à ses dépens, en se montrant plus spirituel que lui. La scène fut charmante ; et, pour qu'on ne nous soupçonne pas de l'arranger, nous allons la laisser raconter par Prévost-Paradol, et par le directeur qui l'accompagnait, M. Guizot, ces deux versions, légèrement différentes, devant se compléter l'une par l'autre.

Après avoir constaté que Napoléon III l'avait reçu avec un grand air de bienveillance, Prévost-Paradol ajoutait : Dialogue. — L'EMPEREUR : Je regrette qu'un écrivain si distingué ne soit pas de nos amis. LE SUJET REBELLE : Je le regrette aussi. L'EMPEREUR : Vous n'êtes pas de mon avis sur César dans votre discours, mais nos opinions se rapprochent davantage dans votre Histoire Universelle. — Surprise du sujet rebelle, qui n'a pas eu le temps de rien ajouter, l'empereur ayant demandé des nouvelles de sa santé à M. Guizot, sans laisser d'intervalle entre une phrase et l'autre. — Salut et sortie.

On ne voit pas trop ce que le sujet rebelle aurait pu ajouter, même en ayant tout le temps de réfléchir, — sinon que l'histoire, à l'Académie, n'était que de la politique transposée. Car la contradiction était très nette entre son opinion d'académicien et son opinion d'historien. Celle-ci se trouvait dans un ouvrage qu'il avait publié en 1854, revu et réédité en 1865, et où il parlait de César encore plus favorablement que Napoléon III ne devait le faire[20]. Ne pensant pas que son Essai fût connu de l'Empereur, Prévost-Paradol n'avait guère prévu ce coup droit ; — et M. Guizot avoue qu'il chercha vainement une parade : Paradol, un peu surpris et ne sachant pas ce qu'il avait pu dire dans son précis d'histoire universelle, ne répondait rien. Je suis intervenu : Votre Majesté met en pratique ce que disait, un jour, à l'Empereur son oncle, M. de Fontanes : — Laissez-nous, au moins, la République des Lettres. — Oui, certainement.

Quant à M. Guizot lui-même, l'Empereur l'avait accueilli par ces mots : Il y a longtemps que je n'ai eu le plaisir de vous voir. Votre santé me parait bonne. Rien ne vous fatigue. Il avait ajouté quelques compliments sur son beau langage et sur la dignité de sa vie. Avant de le congédier, Napoléon III lui adressait encore quelques mots obligeants sur ses travaux et ses trop courts séjours à Paris. Enfin cet entretien, où l'Empereur avait montré en tout une courtoisie préméditée et sans apparence d'effort, étant terminé, on se sépara content[21].

On se sépara ; — mais on devait se revoir, avec une égale satisfaction. En 1870, M. Guizot, désirant entretenir l'Empereur des affaires assez embrouillées du culte protestant, se fit conduire aux Tuileries par M. Émile Ollivier. Il y revint seul ensuite, y causant volontiers de toute chose, encouragé par l'aimable accueil qui lui était fait. Napoléon III eut d'ailleurs l'occasion de lui témoigner plus sensiblement sa bienveillance, en rendant à son fils un service assez considérable, en le faisant ensuite entrer, comme chef de division, dans l'administration des Cultes.

Prévost-Paradol devait entrer, lui aussi, par une plus large porte, au service de l'Empire. Il avait frappé à cette porte, de lui-même, écœuré des luttes de la presse et sans doute éclairé par sa dernière campagne électorale. Aux théoriciens traitant les questions politiques du fond de leur cabinet, à ceux que Napoléon Ier appelait sévèrement des idéologues, — les solutions semblent faciles. Quand on voit de près les sentiments, les intérêts contraires dont se compose la politique, on a la solution moins prompte et l'on sent qu'en cette matière, plus qu'en aucune autre, la critique est aisée, mais l'art difficile.

Prévost-Paradol candidat à Nantes, avait écrit le 9 mai 1869 à son ami le plus intime, M. Halévy : Oh ! mon bon Ludovic, combien je serai consolé aisément si j'échoue Pour quelques bons Français éclairés et honnêtes, combien de vilaines gens et surtout d'imbéciles !... Tu n'imagines pas ce que sont les cléricaux d'ici, comme on les appelle, et le parti avancé est plus sot encore... Les uns veulent qu'on leur promette d'abolir l'armée et les impôts ; les autres mettent tout sous les pieds du pape ; et quand on pense que la France en est partout là, comment être tenté de mettre la main aux affaires dans ce temps-ci ![22] Prévost-Paradol avait dû se dire alors que la tâche des hommes ayant la main aux affaires et chargés de les conduire, en ce temps difficile, était peu commode, moins commode qu'il ne l'avait jugée de loin. Il avait sans doute apprécié plus justement le rôle de modérateur, de conciliateur, qu'entre ces passions contraires et également violentes, l'Empereur avait da remplir jusqu'alors. Mais ce qu'il avait le mieux compris, c'est que le suffrage universel, flairant avec son sûr instinct ses ennemis, comme ses amis, ne l'enverrait sans doute jamais au Parlement.

D'ailleurs, en janvier 1870, Napoléon III avait presque entièrement réalisé son programme. Ayant déclaré hautement qu'il accepterait de toute main la liberté, telle qu'il la comprenait, Prévost-Paradol ne faisait que tenir cet engagement public, en demandant à servir ce nouveau régime, si différent de l'Empire autoritaire.

Mais on se tromperait fort en croyant que la porte à laquelle il avait frappé, lui fut ouverte aussitôt par ses anciens amis de l'Union Libérale, par ceux, — comme M. Daru, ministre des Affaires Etrangères, — qui semblaient, dans le cabinet du 2 janvier, ses patrons naturels. Cette porte, c'est Napoléon III qui l'ouvrit lui-même, appliquant cette maxime d'un de ses écrits, qu'un souverain national ne doit connaître ni haine ni rancune. Instruit du désir de Prévost-Paradol, par un haut fonctionnaire du gouvernement, — de qui nous tenons ces détails, — Napoléon III s'y était montré très favorable ; et s'il eut été encore le maitre, il eût immédiatement nommé le jeune académicien à un poste diplomatique. Mais il avait alors à compter avec ses ministres, à obtenir leur agrément. M. Emile Ollivier approuva son projet. M. Daru parut l'approuver : il trouvait pourtant que cet ancien journaliste était de bien petite naissance pour entrer dans la diplomatie, et ne pouvait se décider à lui en ouvrir l'accès. Il faisait entendre, — assurait-on, — à Prévost-Paradol que l'Empereur l'avait compris lui-même, et, à l'Empereur que son candidat, moins rallié qu'il ne le disait, continuait à l'attaquer dans une correspondance adressée au Times. Prévost-Paradol alla retrouver le haut fonctionnaire, qui lui avait déjà servi d'intermédiaire avec les Tuileries : Est-il vrai, lui dit-il, que l'Empereur ne veuille plus de moi ? Je suis las du journalisme, et résolu, quoi qu'il advienne, à y renoncer. La diplomatie me tenterait. L'Empereur a rétabli le système de gouvernement que je souhaitais ; rien ne m'empêche de le servir loyalement, sans arrière-pensée. Mais, s'il en doute, je tiendrais à le savoir. Le haut fonctionnaire répondit : Je connais l'Empereur ; il n'a pas l'habitude de revenir sur sa parole. Je vais le voir, d'ailleurs ; veuillez revenir demain, et vous serez fixé.

Napoléon III interrogé fit connaître alors quelles considérations on invoquait pour écarter son candidat. Une naissance insuffisante ? L'objection lui semblait peu sérieuse. La correspondance hostile adressée au Times ? Il n'y croyait pas. La démarche spontanée de Prévost-Paradol avait répondu d'avance à cette calomnieuse insinuation : Je le juge incapable de jouer ce double jeu, disait l'Empereur en concluant ; on lui a fait une promesse, on doit la tenir ; j'en parlerai dès aujourd'hui à M. Daru. La nomination fut signée le lendemain. Elle ne l'aurait jamais été sans doute si Napoléon III n'avait usé encore une fois — la dernière !— de son pouvoir personnel, en faveur de l'écrivain qui avait le plus contribué à l'en dépouiller et auquel il eut même la générosité de ne pas dire : Avouez que ce pouvoir personnel avait parfois du bon... Pouvait-on se venger plus galamment ?

Etait-ce par tactique et dans l'espoir de les rallier à sa cause que Napoléon III traitait aussi poliment les membres de l'opposition ? Nullement ; il cédait à un instinct de sa nature, à la conception, très haute, qu'il avait toujours eue, des devoirs d'un chef d'État. II plaignait sincèrement ceux qui défendaient leurs opinions par l'invective d'avoir été aussi mal élevés ; et respectait ses adversaires, parce qu'il se respectait lui-même.

Sous le gouvernement de juillet, M. Thiers, ministre de l'Intérieur, flétrissait les carlistes et leur cause, en déclarant que celle-ci lui inspirait toujours les mêmes sentiments qu'autrefois, c'est-à-dire l'indignation et le dégoût. Depuis nous avons entendu traiter les anciens serviteurs de Napoléon III, — qui avaient pourtant bien peu de chèques sur la conscience, — de pourriture impériale. Plus récemment, nous avons vu la presse officieuse couvrir de boue le général Boulanger et ses nombreux partisans ; dans l'organe particulier d'un président du Conseil, nous avons lu cette appréciation de certain manifeste du Parti national : De tous les papiers abjects auxquels ce misérable a mis son nom, celui-là est peut-être le plus méprisable. On y sent la collaboration de tous les chefs de la bande. L'effronterie, le mensonge, l'insolence s'y allient en un groupe sympathique, etc.

Napoléon III voulait que son gouvernement, — bien élevé comme lui-même, — eût une autre tenue, un autre langage. Il estimait qu'on ne peut jeter de la boue à ses adversaires sans qu'il vous en reste aux doigts, et tenait à avoir les mains propres. Dans une circulaire qui n'était pas faite, — il faut le noter, — pour la galerie, puisque nous l'avons connue seulement par la publication des Papiers secrets, M. Pinard écrivait, par son ordre, aux préfets de l'Empire : Partout où vous aurez à vous expliquer sur des candidats de l'opposition, vous devez, il me parait inutile d'insister sur ce point, vous attaquer à leur altitude politique, jamais à leur personne.

Mais, dit-on, les ministres ne pensaient, n'écrivaient pas tous de même ; et, en 1863, ils n'avaient pas de semblables scrupules : M. Thiers l'apprit à ses dépens. Cet homme éminent, que l'Empereur, du haut du trône, avait eu la galanterie de nommer l'historien illustre et national, ne se vit-il pas insulter, vilipender publiquement par le comte de Persigny et le baron Haussmann ?... Encore une légende, aussi erronée, aussi tenace que celle du poète Laprade, victime de l'intolérance impériale

Oui, sans doute, M. Thiers prétendit alors qu'on l'avait insulté ; et ses admirateurs le répétèrent avec tant d'assurance que le public en resta convaincu. En 1887, l'un d'eux écrivait encore : M. Thiers ne pouvait pardonner à M. le comte de Persigny et à M. Haussmann l'inconvenance de leurs anathèmes. Il revenait sans cesse sur ce sujet, déclarant qu'un homme comme lui n'était pas fait pour être traité de la sorte, qu'il n'avait rien fait qui justifiât de la part des amis de l'Empereur l'indécence de leurs accusations... Et, de fait, M. Thiers avait le droit d'être surpris et blessé des injures dont l'accablaient les amis de Napoléon III[23].

Ce qu'on appelait, en ce temps de politesse officielle, d'indécentes accusations et d'accablantes injures, c'étaient ces simples mots : Si M. Thiers, rendant hommage à la grandeur du nouvel Empire, se fût présenté au suffrage universel en ami de nos institutions, le gouvernement eût accueilli avec sympathie sa rentrée dans la vie publique ; mais, du moment où il a consenti à se rendre, pour s'en faire le champion, dans une réunion uniquement composée d'ennemis déclarés de l'Empereur et de l'Empire, il a rendu lui-même impossible l'accueil que le gouvernement eût été disposé à faire à l'illustre historien du Consulat et de l'Empire. M. Thiers est trop honnête homme pour que personne puisse l'accuser de prêter un serment qu'il n'aurait pas l'intention de tenir. Mais ce que veut M. Thiers, c'est le rétablissement d'un régime qui a été fatal à la France et à lui-même. Et la circulaire continuait, en attaquant ce régime fatal, mais ni directement, ni indirectement M. Thiers. Quant à M. Haussmann, il critiquait à son tour le gouvernement parlementaire, mais sans même prononcer le nom de l'illustre candidat qui avait promis de le faire rétablir, — et qui a tenu sa promesse !... Quand on se rappelle de quelle façon M. Thiers ministre traitait les carlistes, de quelle façon M. Thiers Président faisait traiter par ses journaux, par ses préfets et traitait lui-même à l'occasion l'Empereur et les impérialistes, on doit avouer qu'il se montrait bien susceptible, en dénonçant le langage si modéré de M. de Persigny comme une intolérable injure.

Le gouvernement impérial ne se bornait pas à ménager ses adversaires ; il veillait paternellement sur leur vie. Déposant, en 1872, devant une commission d'enquête parlementaire, Jules Favre se plaignait de l'ingratitude de ses anciens électeurs, gagnés en 1869 par le candidat socialiste, et de l'accueil qu'ils avaient osé lui faire dans certaines réunions ; puis, d'un ton contrit, il ajoutait : En sortant de ces réunions, j'ai été plusieurs fois accompagné par les invectives les plus extraordinaires... Un jour, c'est bien malheureux pour moi, j'ai été protégé par la police. On avait formé le dessein de renverser ma voilure ; on m'aurait renversé aussi.

Napoléon III, — dont le 3 septembre, il demanda la déchéance, — n'avait pas seulement fait défendre sa vie contre les énergumènes des clubs : il avait lui-même défendu son honneur. Les fameux papiers que Millière fit paraitre et qui brisèrent la vie politique de Jules Favre, en révélant les irrégularités de son état civil, un journal officieux les avait eus, à la fin de l'Empire, et comptait les publier. Napoléon III, prévenu, s'y opposa formellement. On assure même, — mais ne le sachant pas d'une façon certaine, nous cessons ici d'affirmer, — qu'il paya de sa poche la somme déboursée par le journal pour se procurer ces pièces. Ce que nous pouvons dire, avec plus d'assurance, c'est qu'il indemnisa le directeur d'un théâtre, en lui interdisant la représentation d'un draine plein d'allusions très douloureuses, — pour une famille qui lui faisait la plus vive opposition.

L'Empereur avait bien d'autres petits papiers à sa disposition. Il refusa toujours de s'en servir pour rappeler à la justice, même à la pudeur, des hommes qui l'attaquaient sans mesure, après avoir sollicité, obtenu ses bienfaits. Il avait sur ce point un principe absolu, dont il ne s'écarta pas une seule fois, et qu'il nous sera permis de trouver assez noble : Un gouvernement, disait-il, doit le secret à ceux qu'il a secrètement obligés. Si, — après Jules Favre, — MM. Duportal, Lisbonne et bien d'autres se virent jeter à la face des documents fort désagréables, ce fut sous la République, et par des mains républicaines, qui avaient trouvé ces documents dans un tiroir des Tuileries, — où, sans le 4 septembre, ils dormiraient encore. Et les sentiments, les procédés de Napoléon III, à cet égard, étaient si connus qu'un écrivain radical, victime d'une nouvelle indiscrétion opportuniste, s'écriait naïvement : Ce n'est pas l'Empire qui eût jamais fait cela !

Ménagés, protégés, les membres de l'opposition étaient même influents. On mettait une sorte de coquetterie à satisfaire leurs clients, fût-ce au détriment de candidats plus dévoués. Être fils ou frère d'un député bien hostile, comme cinq ou six fonctionnaires que je pourrais nommer, — n'était pas une cause de révocation, mais plutôt une cause d'avancement. Quand ces messieurs daignaient s'adresser à l'Empereur, — et cela arrivait bien quelquefois, — ou à l'un de ses ministres, — et cela arrivait souvent, toute chose sollicitée par eux, si elle était faisable, était faite. M. Jules Simon a avoué que, le 4 septembre, en allant s'emparer du Ministère de l'Instruction Publique, il se demandait si les huissiers le laisseraient passer. Le premier qu'il rencontra le reçut avec effusion et se fit un honneur de l'introduire dans le cabinet ministériel : c'était un de ses anciens protégés, qui lui devait sa place et qui ne l'avait pas oublié. Certain député de l'extrême gauche, ayant fait beaucoup parler de lui, il y a quelques années, des journaux rappelèrent que Napoléon III l'avait nommé sous-conservateur d'un beau musée qu'il venait de fonder : il répondit qu'en conservant son musée, il conservait aussi ses opinions ; que, radical dès .1848, et bien connu pour tel, il n'avait jamais cessé de l'être. Ce qu'il ne disait pas, — et ce qui rendait son cas plus piquant, — c'est qu'il avait obtenu cette faveur impériale à la demande du marquis de N..., — orléaniste militant.

Parmi les lettres de Mgr le comte de Chambord, dont on a publié un recueil, se trouve la suivante : Je veux vous remercier moi-même, mon cher X., de votre bonne lettre et de l'écrit dont elle accompagnait l'envoi. Votre dévouement, je le sais, est un de ceux sur qui je puis compter en toute occasion. Je me rappelle avec plaisir la visite que vous êtes venu me faire à Francfort, etc. Le jeune homme auquel étaient adressés ces augustes remercîments ne pouvait être un démagogue : il assistait pourtant aux réunions démagogiques, qui avaient lieu, en 1869, à la salle du Vieux-Chêne ; il y prenait même la parole ; il se faisait applaudir de l'assistance en traitant de belle façon l'Empire, en disant par exemple : Il y a dix-sept ans, il y eut des gens assez fous pour croire qu'avec des proscriptions, on vous étoufferait : vous êtes encore vivants, etc., — puis en abîmant Napoléon Ier, comme c'était la mode alors parmi les opposants de toute nuance[24].

Ce jeune et fougueux orateur était-il donc de ceux qu'on avait proscrits, dix-sept ans auparavant ? Non ; si l'on avait tenté de l'étouffer, c'était en lui donnant une place de bibliothécaire, et, — par faveur spéciale, — un logement à l'Institut : place et logement qu'il occupait encore, au moment où il en témoignait ainsi sa gratitude, — et qu'il ne perdit pas pour si peu... Or, la mère de ce jeune homme — comme celui-ci, comme toute sa famille, hostile à l'Empire —, ayant quelque embarras d'argent, dut vendre un tableau de prix : le portrait de Mme Récamier, sa tante, peint par Gérard. L'Empereur l'apprit ; et se souvenant que Récamier avait été l'amie de sa mère, qu'il l'avait vue à Arenenberg, et voulant secourir, sans l'humilier, sa famille embarrassée, il acheta fort cher le portrait de Gérard, — pour le donner au Louvre.

Il fallait que ces procédés débonnaires de Napoléon III et de son gouvernement fussent bien reconnus, bien incontestables pour que le Bien public, journal inspiré par M. Thiers, et très dur ordinairement pour le régime déchu, laissât, en 1873, échapper cet aveu : Il me semble que, sous l'Empire, la tolérance entre les partis existait plus qu'à présent. A de rares exceptions près, les agents du gouvernement impérial faisaient métier de respecter les adversaires de leur politique ; même en les frappant, ils semblaient les frapper à regret, et la porte était toujours ouverte à l'entente... Que si on demeurait brouillé avec le pouvoir, c'est qu'on le voulait bien, car il ne demandait pas mieux que d'entrer en composition.

Que le gouvernement impérial entrât volontiers en composition avec ceux qu'il venait de frapper à regret, — c'est ce qui, dans une page charmante, était redit, l'an dernier[25], par M. Jules Simon, — dont nous devons, encore une fois, invoquer le témoignage, parce qu'en racontant avec une spirituelle bonhomie ses souvenirs, il ne croit pas devoir écarter ceux qui sont favorables à ses adversaires. Parlant de Sainte-Pélagie et du fameux Pavillon der Princes, où l'Empire enfermait ses détenus politiques, M. Jules Simon avouait que le régime de cette prison n'était pas très rigoureux ; qu'on y pouvait recevoir ses camarades et les visiteurs du dehors, même obtenir aisément des jours de sortie. L'un d'eux, Louis Jourdan, demande au Préfet de police l'autorisation d'aller soigner son fils, qui se portait le mieux du monde. M. Piétri répond par une lettre d'audience. Louis Jourdan se rend à la Préfecture : Il trouva une antichambre encombrée, mais on n'est pas un prisonnier politique pour faire antichambre chez le Préfet de police ; il passa devant tout le monde ; il exposa sa demande, en s'attendrissant un peu sur la santé délicate du malade. J'espère pourtant que ce n'est pas grave ? dit le préfet d'un ton paternel. — Je l'espère aussi, dit l'autre. Ils se comprenaient. Quel jour préférez-vous ? dit le Préfet en prenant un permis tout imprimé. — Aujourd'hui, si vous voulez bien. — C'est le vendredi ? Je puis vous donner deux jours francs, le samedi et le dimanche. Vous irez chez vous le vendredi, le plus tôt possible, vous reviendrez chez nous le lundi, le plus tard possible. Cela vous va-t-il ? On devine la réponse. Il donna le papier, se leva et se mit à reconduire Jourdan vers la porte. C'est hebdomadaire, dit-il, je ne veux pas vous avoir dérangé pour une misérable journée.

Enhardi par cette bienveillance, Louis Jourdan demande s'il ne pourrait pas rester chez lui tout à fait ? Cela ne dépendait plus du Préfet, mais de l'Empereur. Il fallait le lui demander : la réponse n'était pas douteuse. Solliciter le tyran ? Jamais !... Le Préfet haussa les épaules : Vous ne le connaissez pas, dit-il ; il est aussi républicain que vous ! Et M. Jules Simon terminait son article en disant qu'alors le Pavillon des Princes était souvent une souricière ; on y entrait rebelle, on en sortait, je ne dis pas sénateur — cela n'arriva qu'à Mérimée — mais sur le chemin du Sénat.

Aux heures de crise violente, Napoléon III, sans doute, avait frappé plus sévèrement ; mais, dès que les circonstances l'avaient permis, ces rigueurs inévitables avaient été atténuées. A peine élu à la présidence il manifestait ses dispositions-clémentes, en proposant, par trois fois, à ses ministres une amnistie, dont eussent bénéficié les condamnés de juin. Nous nous récriâmes tous avec une telle unanimité, — dit M. de Falloux, en racontant sa dernière tentative, que le Président ne put s'empêcher de rire, en disant : Je vois que décidément l'amnistie n'a pas de succès auprès de vous. Là-dessus, nous nous mîmes à rire aussi, sentant bien que la victoire, ainsi avouée, était définitive ; et, en effet, il n'y revint plus. Sans pitié pour les insurgés de juin, le comte de Falloux s'intéressait davantage aux prisonniers du mont Saint-Michel : des royalistes qui y étaient enfermés depuis la tentative de la duchesse de Berry, en 1832. Il demanda leur grâce ; ses collègues s'y opposèrent ; le Président passa outre : Si j'avais connu plus tôt, dit-il, l'existence de ces prisonniers, ils seraient déjà en liberté. Ils furent dès le lendemain.

Barbès avait été condamné, pour l'affaire du 15 mai 1848, à la détention perpétuelle. Pendant la guerre de Crimée, ne préférant pas, comme d'autres, la défaite à l'Empire, il avait exprimé, dans une lettre privée, ses vœux pour le succès de nos armes. Napoléon III, l'apprenant, écrivit aussitôt au Ministre de la justice : Un prisonnier qui conserve, malgré de longues souffrances, de si patriotiques sentiments, ne doit pas, sous mon règne, rester en prison. Faites-le donc mettre en liberté sur le champ et sans conditions. Barbès protesta publiquement contre une telle injure, en déclarant que si on l'expulsait de sa prison, il s'expatrierait volontairement.

Après le 2 décembre, ayant pris l'engagement de rétablir l'ordre, Napoléon III dut sévir. Mais, même alors, on le trouvait prêt à entrer en composition. George Sand alla le prier de commuer simplement la peine d'un de ses amis, condamné à la déportation. Pour l'obtenir, — a-t-elle écrit depuis, — sans compromettre et avilir celui qui était l'objet de cette demande, j'osai compter sur un sentiment généreux de la part du Président et je le lui dénonçai comme son ennemi personnel et incorrigible. Sur le champ, il m'offrit la grâce entière. Je dus la refuser, au nom de celui qui en était l'objet, et remercier en mon nom. De ce jour je me suis regardée comme engagée à ne pas laisser calomnier complaisamment devant moi le côté du caractère de l'homme qui a dicté cette action. M. Quentin-Bauchart, envoyé dans les départements où des arrestations, à la suite de troubles sérieux, avaient été faites, vint rendre compte au Prince Président de sa mission et de l'emploi des fonds qu'il avait reçus pour la remplir. En le voyant déposer sur son bureau le reliquat, assez élevé, de ces fonds, le Prince lui dit : Pourquoi avoir rapporté tout cet argent ? Il fallait le laisser aux femmes, aux enfants de ces malheureux égarés.

Ajoutons que, dès le 4 février 1853, la plus grande partie de ceux qui venaient d'être arrêtés, étaient mis en liberté sous la seule condition de se soumettre au gouvernement établi par la volonté nationale ; qu'une amnistie, générale et sans conditions, fut proclamée en 1859. Ajoutons encore que Napoléon III gracia l'un des trois complices d'Orsini, qu'il eût gracié Orsini lui-même, si le Conseil des Ministres et le Conseil Privé ne s'y étaient énergiquement opposés, en disant qu'il n'avait pas le droit d'oublier que les bombes italiennes, sans l'atteindre, avaient fait autour de lui plus de cent cinquante victimes.

Le chef d'un gouvernement national ne doit pas seulement recruter ses serviteurs dans tous les camps, laisser toujours la porte ouverte à l'entente, et traiter ses adversaires assez courtoisement, pour que ceux-ci puissent un jour, s'il leur plan, s'associer à son œuvre : il doit encore mettre à l'aide les fonctionnaires des précédents régimes et sauvegarder leur dignité, en parlant lui-même, avec justice et convenance, de leurs anciens maures. Il doit enfin montrer qu'il ne représente pas un parti, qu'il représente la nation tout entière, non seulement par sa façon de gouverner le pays, mais par sa façon de juger ceux qui l'ont, avant lui, gouverné ou illustré.

Napoléon Ier l'avait admirablement compris. Il le prouvait en écrivant au roi Louis : Je ne me sépare pas de mes prédécesseurs, et, depuis Clovis jusqu'au Comité de salut public, je me tiens solidaire de tout. En acceptant la couronne, le 1er décembre 1852, Napoléon III devait dire, à son exemple : Non seulement je reconnais les gouvernements qui m'ont précédé, mais j'hérite en quelque sorte de ce qu'ils ont fait de bien et de mal ; car tous les gouvernements qui se succèdent sont, malgré leur origine différente, solidaires de leurs devanciers.

Napoléon Ier avait tenu à honorer tous les grands souvenirs ; en faisant mettre à l'Hôtel des Invalides, à côté des statues de Hoche, de Joubert et de Marceau, la statue de Condé, les cendres de Turenne et le cœur de Vauban ; en faisant revivre à Orléans la mémoire de Jeanne d'Arc, et à Beauvais celle de Jeanne Hachette ; en donnant une pension à la sœur de Robespierre et à la mère du duc d'Orléans... à la veuve de Bailly comme à la dernière descendante des du Guesclin[26] ; et Napoléon III, — qui avait, dans un de ses écrits, signalé ce généreux éclectisme de son oncle, à l'égard du passé comme à l'égard du présent, — s'était promis de l'imiter. Il le fit, et commença à le faire dès la minute où il prit le pouvoir. A peine son élection à la présidence est-elle proclamée par l'Assemblée Nationale qu'il monte vers le banc où siège l'ancien Chef du Pouvoir Exécutif, pour lui tendre la main ; et, dans le manifeste qu'il fait paraître le lendemain, il dit : La conduite du général Cavaignac a été digne de son caractère et de ce sentiment du devoir qui est la première qualité d'un chef d'Etat.

Le maréchal Bugeaud est frappé d'une maladie foudroyante : le Prince-Président va le voir, à son lit de mort. Lamartine, — qui avait donné l'ordre à tous les commissaires de le faire arrêter, — se trouve dans une situation précaire : l'Empereur vient délicatement à son aide, en lui faisant offrir par la Ville de Paris un chalet qu'elle possède, près de la Muette, en lui faisant allouer, par le Corps Législatif, vingt-cinq mille livres de rente, à titre de récompense nationale. Sous l'Empire, et par l'Empire, des pensions sont accordées à M. de Chantelauze, à la veuve de M. de Martignac, à la mère et au frère du Président Marrast, à la maréchale Bugeaud, etc. Un représentant radical, ayant marqué en 1848 et depuis laissait sa femme légitime dans la misère. A cette malheureuse, — ainsi, croyons-nous, qu'à la veuve de Caussidière. — il fit donner un bureau de tabac ; — nous précisons : celui qui portait le n° 406. A Rambouillet, le 2 août, le roi Charles X avait nommé chevalier de la Légion d'honneur un des officiers qui l'accompagnaient. Cette nomination in extremis n'avait pas été ratifiée par le gouvernement de juillet : elle le fut par un décret impérial du 21 juin 1859.

Napoléon Ier, visitant la cathédrale d'Auch, s'aperçoit que les vitraux sont recouverts d'un voile, — parce que ces vitraux sont semés de fleurs de lys. Il se fâche d'une telle mesquinerie : Durant des siècles, s'écrie-t-il, les fleurs de lys ont conduit les Français à la victoire, comme mes aigles les y conduisent aujourd'hui. Ce signe doit rester cher et respecté. Napoléon III ne se contenta pas de respecter les fleurs de lys, là où elles se trouvaient ; il les fit rétablir là où le régime de juillet les avait grattées, notamment sur l'écusson de la Ville de Paris, — en disant à M. Haussmann : On ne peut supprimer ni corriger l'histoire ; il est puéril de s'attaquer aux monuments qui en marquent les diverses périodes. Loin de chercher à supprimer l'histoire, à faire oublier les fastes glorieux de la royauté, Napoléon III les rappelait lui-même à l'occasion. Inaugurant, en 1858, le nouveau bassin du port de Cherbourg, il disait : Tout en rendant hommage à l'Empereur, nous ne saurions oublier, en ces lieux, les efforts persévérants des gouvernements qui l'ont précédé et qui l'ont suivi. L'idée première de la création du port de Cherbourg remonte, vous le savez, à celui qui a créé tous les ports militaires et toutes nos places fortes, à Louis XIV, secondé du génie de Vauban. Louis XVI continua activement les travaux, le chef de nia famille leur donna une impulsion décisive, et, depuis, chaque gouvernement a regardé comme un honneur de la suivre

Une proclamation, que Napoléon III adressait aux habitants de l'Algérie, le 3 mai 1865, en arrivant parmi eux, se terminait ainsi : Justifions enfin sans cesse l'acte glorieux d'un de mes prédécesseurs, qui faisait planter, il y a trente-cinq ans, sur la terre d'Afrique, le drapeau de la France et la croix, y arborant à la fois le signe de la civilisation, le symbole de la paix et de la charité. Et, pour perpétuer le souvenir de cet acte glorieux de son prédécesseur, il décidait qu'une des places de la ville recevrait le nom de Charles X ; — comme déjà il avait fait donner à des boulevards ou des rues de Paris, ceux de Bugeaud, d'Argout, Pasquier, Duperré, Corvetto, Roy, Rigny, Arago, Berryer, etc., et rendu le nom de Louis-Philippe au nouveau pont construit à la place de celui qui le portait autrefois.

Loin de s'attaquer aux monuments qui consacraient d'anciens souvenirs, l'Empereur approuvait qu'on en construisit de nouveaux. La ville de La Flèche désire élever une statue là son bienfaiteur Henri IV : Napoléon III, après avoir encouragé ce projet, se fait représenter à la cérémonie d'inauguration, par le Marquis de Chaumont-Quitry, son chambellan, et le descendant d'un compagnon du Béarnais. Celui-ci félicite, en son nom, la ville de La Flèche d'avoir voulu honorer la mémoire d'Henri IV, ce souverain qui fut à la fois un grand capitaine, un grand politique et le sincère ami du peuple.

Napoléon III, quand il fut détrôné, venait d'autoriser l'érection d'une statue de Louis XVI à Bordeaux et de s'intéresser personnellement à ce projet. Deux ans auparavant il avait envoyé 10.000 francs à la souscription ouverte pour l'érection d'une statue de Jeanne d'Arc à Rouen. En 1869 le bruit courait, — et certains journaux l'avaient charitablement recueilli, — que les travaux exécutés à la Conciergerie entraîneraient la démolition du cachot occupé par Marie-Antoinette. Dans une lettre adressée d'Egypte à l'Empereur, l'Impératrice lui en témoignait sa douloureuse surprise. L'Empereur répondit aussitôt : J'ai fait démentir la nouvelle relative au cachot de Marie-Antoinette : ce serait un sacrilège d'y toucher.

Napoléon III avait témoigné ses sentiments personnels pour la mémoire de Louis XVI, —avant de lui rendre l'hommage officiel dont nous venons de rappeler le projet, — en respectant l'anniversaire de sa mort. Jamais il n'y eut, aux Tuileries, le 21 janvier, la moindre réception. Si, par hasard, la périodicité des grands bals qui s'y donnaient chaque année coïncidait avec cette date, la fête était ajournée, — comme le fut un grand dîner qui devait y avoir lieu, le jour où l'on apprit la mort de la reine Marie-Amélie.

Napoléon III ayant ainsi compris ses devoirs de chef d'Etat envers les anciennes familles régnantes et leurs serviteurs, — comment expliquerons-nous les décrets du 22 janvier, qui annulaient la donation du 7 août 1830, enlevaient à la famille d'Orléans une partie de ses biens et l'obligeaient à vendre les autres ? Ecrivant cette élude avec une conviction profonde, y disant, en toute sincérité, ce que nous croyons fermement, nous répondrons, sans hésiter, que nous n'expliquerons pas les décrets, — par la simple raison que nous ne les comprenons pas ; et que nous nous demandons encore pourquoi, en les signant, Napoléon III se montrait si différent de lui-même.

Nous savons tout ce qu'on a dit pour défendre cette mesure. Nous savons qu'en droit strict elle pouvait se justifier ; que, si la donation du 7 août avait respecté la loi, c'était en la tournant ; et que les arguments du mémoire alors rédigé pour le démontrer, par l'ancien ministre Teste, semblaient bien solides. Nous savons que Napoléon III suivit, en cette occasion, l'exemple de ses devanciers ; qu'en réunissant au domaine de l'Etat les biens acquis par la liste civile pendant le règne de Charles X, Louis-Philippe avait été médiocrement généreux pour la famille qui lui avait rendu sa fortune et son rang. Nous savons que les Bourbons de la branche aînée s'étaient montrés encore plus rigoureux envers les individus de la famille Bonaparte, et, après avoir pris l'engagement formel de leur laisser leurs biens, les en avaient dépouillés ; — que leur successeur, en consacrant cette inique spoliation, même à l'égard de la Reine Hortense, avait paru bien peu se souvenir des services que sa tante et sa mère en avaient reçus. Nous savons que ces traditions rigoureuses se sont perpétuées jusqu'à nos jours et que les princes dépossédés en 1866 par la Prusse se virent enlever leurs biens en même temps que leurs Etats. Nous savons encore que Napoléon III n'avait pas songé de lui-même à cet acte d'inutile rigueur ; qu'il lui fut suggéré avec insistance : C'est M. de Persigny, — dit M. Granier de Cassagnac, fort initié à cette affaire[27], — qui eut l'initiative des décrets du 22 janvier. Il était, tenace dans ce qu'il voulait... J'affirme que les décrets furent virtuellement son œuvre. Nous savons enfin que Napoléon III ne se décida pas, sans hésitation, à l'écouter ; que les décrets, prêts à paraître le 2 décembre, furent remis en portefeuille ; que, pour les en faire ressortir, on attribua aux princes d'Orléans des velléités agressives, à leurs amis des complots, sans doute imaginaires, et qu'on insista sur le danger de laisser entre leurs mains d'aussi puissants moyens d'action[28].

Mais nous n'en sommes pas moins surpris que Napoléon III, — tel qu'il nous apparaît en toute autre occasion, — ait voulu suivre les traditions dont sa famille avait été victime ; que des conseillers mal inspirés aient pu, dans cette circonstance unique, triompher de son instinctive magnanimité.

Les décrets du 22 janvier, — et certaines faiblesses d'ordre privé que Napoléon III n'afficha pas sans doute, comme trop de souverains, mais qui eurent, après sa chute, le plus regrettable éclat : ce sont les deux seules pages que nous voudrions pouvoir effacer de cette vie, dont toutes les autres nous montrent Napoléon III sous un si noble aspect.

 

 

 



[1] Ne perdez pas de vue, écrivait le général Cavaignac, chef du pouvoir exécutif, que la République, objet des espérances et du culte d'un petit nombre de citoyens, fut proclamée un jour où tout gouvernement manquait à la France. M. Peyrat, en 1869, évaluait ce petit nombre de citoyens à cinquante mille, et Louis Blanc reconnaissait que la République improvisée par eux avait été accueillie avec stupeur par le pays.

[2] On peut, à cet égard, enregistrer encore un intéressant aveu. En 1890, M. le Président Carnot étant à la veille d'entreprendre un long voyage, M. le député Gavini l'avait prié de se rendre en Corse où les bonapartistes le recevraient avec respect. Et M. Carnot avait eu le bon goût de répondre : En voyage, monsieur le député, je représente la France. Cette réponse si naturelle avait scandalisé la presse radicale. M. Carnot ne devait représenter, même en voyage, que la France républicaine. Le journal de Gambetta lui-même n'avait-il pas reconnu qu'on ne gouverne que par un parti ? La réponse du président était donc peu correcte et peu constitutionnelle. Le Temps la justifia en disant : Supposons que la France fût représentée par un Empire : est-ce que l'Empereur se considérerait comme le représentant des bonapartistes ? Evidemment non : c'est au nom de la France entière qu'il parlerait et agirait en toute circonstance.

[3] Mémoires du duc de Rovigo, II, IV, p. 360.

[4] Souvenirs sur le Second Empire, t. Ier.

[5] Ernest DUVERGIER DE HAURANNE, La Coalition libérale, 1849.

[6] Lettres du maréchal Bosquet, 1834-1848.

[7] Prince et Marin, Revue de Paris, 13 juin 1894.

[8] C'est à cause de son solide républicanisme bien connu dans le pays, — disait dans le Figaro, au lendemain de sa mort, un de ses amis — qu'en 1811, il fut sollicité d'accepter un mandat de député. — Aux obsèques du député Philippe, M. Chautemps, savoyard comme lui, louait le Président Carnot d'avoir secondé le défunt dans sa lutte contre l'Empire lorsqu'il était ingénieur à Annecy.

[9] Les Nouveaux Jacobins, Revue des Deux-Mondes, 1er juillet 1880.

[10] Dans une apostrophe à Tartufe il avait dit :

Choisis : tu peux rester un modeste grand homme,

Ou tu peux devenir, en habit cousu d'or,

Ministre et sénateur, peut-être plus encor.

[11] La fièvre chaude constatée par le comte de Pontmartin, ne devait pas se calmer avec le temps, bien au contraire ; car, dans une lettre de 1871, M. de Laprade écrivait : Tout plutôt que l'Empire ; plutôt Vermesch !... Je n'accepte d'autre place que la dictature, et quand j'aurai fait fusiller tous les bonapartistes et proclamer roi le comte de Paris, je rentre dans la vie privée.

[12] Tome 2, page 126. Le vicomte de Melun se chargeait ainsi de réfuter lui-même ce qu'il avait écrit quelques pages plus haut : Comme son oncle, Napoléon préférait gouverner avec les honnêtes gens et toutes les aristocraties qu'avec la canaille, mais à la condition qu'aristocrates et honnêtes gens seraient les très obéissants serviteurs de sa personne.

[13] Tome Ier, p. 12. L'idée napoléonienne.

[14] OCTAVE GRÉARD, Prévost-Paradol. Étude suivie d'un choix de lettres, p. 68.

[15] OCTAVE GRÉARD, Prévost-Paradol. Étude suivie d'un choix de lettres, p. 210.

[16] OCTAVE GRÉARD, Prévost-Paradol. Étude suivie d'un choix de lettres, pp. 182-183.

[17] OCTAVE GRÉARD, Prévost-Paradol. Étude suivie d'un choix de lettres, p. 184.

[18] OCTAVE GRÉARD, Prévost-Paradol. Étude suivie d'un choix de lettres, p. 187.

[19] OCTAVE GRÉARD, Prévost-Paradol. Étude suivie d'un choix de lettres, p. 180.

[20] Il n'appartient qu'aux âmes médiocres de désirer le pouvoir pour le pouvoir lui-même. Ce grand génie n'y voyait que l'instrument des plut vastes et des plus généreuses entreprises. La soumission de l'Asie barbare, la formation d'un grand empire Traversé par des roules immenses, l'extension du droit de cité à l'élite de iliaque nation, la rédaction d'un Code, l'agrandissement de Rome, devenu en réalité la capitale du monde : tels étaient les desseins sublimes qui remplissaient la pensée de César pendant qu'autour de lui on complotait sa mort. (Essai sur l'Histoire universelle, t. Ier, p. 375.)

[21] Lettres de M. Guizot à sa famille et à ses amis. Lettre du 19 mars 1866 à Mme de Witt.

[22] OCTAVE GRÉARD, Prévost-Paradol, p. 293.

[23] HECTOR PESSARD, Mes petits Papiers.

[24] A. VITU, Les Réunions publiques à Paris (1848-1869), pp. 42 et 58.

[25] Le Figaro, 22 août 1894.

[26] Idées napoléoniennes, p. 50.

[27] Souvenirs sur le Second Empire, t. II, p. 193.

[28] ... Il désirait m'expliquer les motifs qui l'avaient conduit à confisquer les biens de la famille d'Orléans... Il n'avait aucune animosité contre cette famille. Il avait désiré laisser à leur poste tous les fonctionnaires orléanistes... Mais il avait découvert que leurs agents cherchaient à renverser son autorité, et il avait alors cru ne pas devoir laisser aux princes de si vastes domaines dont ils auraient eu le pouvoir de se servir contre le Gouvernement. (Journal de la Reine Victoria.)