NAPOLÉON III INTIME

 

1815-1848

II. — LOUIS-NAPOLÉON ET SON PÈRE.

 

 

Naissance de Louis-Napoléon. — Son départ pour l'exil. — Foyer désuni. — Le père en Italie, la mère à Aix, à Constance, en Bavière, en Suisse. — Le cabinet noir. — Le roi Louis réclame son fils aîné. — Ses sentiments pour le second. — Légende réfutée par lui-même. — Intérêt qu'il prend aux études de Louis-Napoléon. — Divergence entre les idées du père et celles du fils. — Opinion du roi Louis sur la guerre et le métier militaire. — Ses deux fils prennent part au soulèvement de 1871. — Mort du prince Napoléon. — A-t-il été tué ? — Douleur du prince Louis. — Il se console par le travail. — Premières publications. — Ce qu'en pense son père. — Griefs et récriminations.

 

Charles-Louis-Napoléon était né au mois d'avril 1808, à l'apogée de la fortune impériale. L'empereur, à peine revenu de Venise, où il avait reçu les hommages de tous les princes d'Italie, était alors à Bayonne, où Charles IV lui offrait la couronne d'Espagne ; il allait bientôt partir pour Erfurt.

Il n'avait pas encore d'héritier direct. Joseph n'avait que des filles. La couronne semblait promise à la descendance de Louis. La naissance du nouveau prince fut célébrée dans toute l'étendue du vaste empire avec une grande solennité. Son parrain fut l'Empereur, sa marraine, l'Impératrice.

Sept ans plus tard, on l'amenait à la Malmaison, où Napoléon vaincu, détrôné pour la seconde fois, s'était retiré presque seul ; l'Empereur l'embrassait à plusieurs reprises avec une émotion profonde et mouillait son front d'une larme... Puis, avec sa mère, qui n'y devait plus revenir, il quittait Paris, il quittait la France pour aller mendier une hospitalité précaire aux anciens vassaux de son oncle, devenus ses ennemis.

Il ne devait pas avoir la consolation d'y vivre, comme il l'eût voulu, entre son père et sa mère, à côté de son frère Napoléon, l'être qu'il aimait le plus au monde et de qui il était le plus aimé. Le roi Louis et la reine Hortense allaient s'installer loin l'un de l'autre, sans que les cinq puissances eussent à s'en mêler. Leur incompatibilité d'humeur suffisait à leur imposer cette séparation. Elle était absolue. Jamais deux natures n'avaient été moins faites pour se plier à la vie commune.

Le roi Louis était intelligent, instruit ; il avait l'âme droite et fière ; mais un esprit inquiet, enclin à la contradiction, un caractère morose et défiant, qui le poussait à mal interpréter les choses les plus simples, à exercer autour de lui une surveillance minutieuse et blessante, à rendre ainsi malheureux, comme il l'était lui-même, ceux qu'il aimait le mieux. Napoléon, déplorant, à Sainte-Hélène, son humeur insupportable, son esprit porté à la bizarrerie et au travers, gâté encore par la lecture de Jean-Jacques, ajoutait qu'il n'était pas méchant ; que d'ailleurs le triste état de sa santé dérangée de bonne heure et dans des circonstances atroces devait avoir singulièrement agi sur son moral. Les cruelles infirmités dont il était atteint déjà, qui déjà le rendaient à peu près perclus d'un côté, allaient s'aggraver avec le temps, et, en exaspérant ses souffrances, le rendre de moins en moins sociable.

Après un séjour à Rome, il avait dei se fixer à Florence, y vivant dans un cercle étroit et se rétrécissant de jour en jour. Plus les années s'écoulaient, plus il s'éloignait du monde et cherchait à s'en faire oublier. En 1828, il allait passer quelques semaines auprès de Madame-Mère ; mais rentré chez lui, pour s'excuser de l'avoir quittée il lui écrivait qu'il avait besoin de retrouver le repos de la tête et de l'esprit, en s'isolant du bruit et de l'éclat des voix de femmes et de l'agitation des enfants[1].

La reine Hortense était une créole, élevée, comme les femmes du dix-huitième siècle, pour briller dans les salons, pour s'y plaire, el, par la faute de cette éducation première, un peu frivole ; mais, naturellement douce, aimable et généreuse, elle avait le goût, presque le besoin de la société, de la causerie, des soins empressés dont, depuis son enfance, on l'avait gâtée. Après la première abdication de l'Empereur, elle s'était laissée retenir à Paris par toutes ces attaches mondaines ; et, même en 1815, — comme elle le confia plus tard à Mme Récamier, son amie[2], — elle avait vivement regretté de n'y pouvoir rester  C'est à peine si elle avait pu rester en Europe ! Et, pour la suite de cette étude, il n'est point sans intérêt de rappeler quels traitements elle eut alors à subir.

Sommée, le 14 juillet, de quitter immédiatement le territoire français, la duchesse de Saint-Leu, — car c'est le nom que portera désormais la reine Hortense, — se rend à Genève ; on la prie d'en partir ; elle se réfugie à Aix, où elle attendra que son sort soit fixé. Le 2 septembre, M. Decazes, — ancien secrétaire de Madame-Mère, devenu Ministre de la Police générale du royaume, — écrit au baron Finot, Préfet du Mont-Blanc : Dans une conférence tenue, le 27 août, par les ministres des cours alliées, et dans laquelle on a réglé la résidence future des membres de la famille Bonaparte, il a été déterminé que la duchesse de Saint-Leu serait autorisée à séjourner en Suisse, sous la surveillance des missions des quatre cours et de celle de S. M. Très Chrétienne près la Fédération helvétique[3]. Quelques jours plus tard, en effet, la duchesse de Saint-Leu reçoit un beau firman, — signé : Castelreagh, Hardemberg, Humboldt, Rasoumoski, Capo d'Istria, Metternich, etc., — lui permettant de s'installer, dans le canton de Saint-Gall, sous l'engagement de n'en plus sortir, ainsi qu'il a été convenu au sujet des autres personnes de la famille Bonaparte.

Les quatre cours daignaient donc l'autoriser à demeurer... chez le voisin, sans savoir si le voisin y consentirait. La duchesse de Saint-Leu tient à être fixée sur ce point. Le Préfet, condescendant au désir de cette dame, écrit au colonel fédéral de Sonnenberg pour l'interroger ; et le colonel lui répond aussitôt que la Haute-Diète est bien décidée à ne souffrir en Suisse aucun membre de la famille Bonaparte. Le Préfet de l'Ain, fait savoir, d'autre part, à son gouvernement que le séjour de Mme Hortense dans un pays aussi voisin de la France aurait de graves inconvénients.

La duchesse ne peut donc aller en Suisse, encore moins rentrer en France ; et le gouvernement sarde, à qui la Savoie va être livrée, la renverra certainement d'Aix : le baron Finot se demande donc ce qu'il peut faire de cette dame embarrassante ; mais la dame elle-même indique une solution : si elle ne peut rester sur le territoire suisse, elle peut le traverser ; elle ira donc à Constance. Là du moins, dans les Etats de sa cousine Stéphanie, elle espère être bien reçue. A peine y est-elle arrivée que le Grand-Duc, ne voulant pas se brouiller avec son voisin, le Roi de France, la prie poliment d'aller chercher gîte ailleurs. A force d'instances, elle obtient pourtant d'y séjourner temporairement, — sous l'œil vigilant de la police française.

Celle -ci se fait minutieusement renseigner sur ses moindres démarches et ses moindres paroles, où elle ne constate d'ailleurs rien de répréhensible. Le comte de Bouthellier, Préfet du Bas-Rhin, interceptant, lisant ses lettres, en reconnaît également la parfaite innocence. Il n'y trouve qu'une trace des mauvais sentiments de Mme de Saint-Leu : elle a osé se réjouir de l'évasion de La Valette

Ayant reçu du Directeur de la police bernoise une liste complète des personnes avec lesquelles correspond la duchesse, le zélé préfet réquisitionne les lettres adressées par ces personnes ou reçues par elles et demande à Paris ce qu'il faut en faire. Le Ministre écrit : Cette correspondance doit être envoyée à M. d'Herbouville[4]....  Et les préfets voisins s'en mêlent ! Un de mes correspondants, dit celui du Doubs, m'envoyant officieusement la liste des lettres expédiées ou reçues par Mme Hortense Bonaparte, depuis le 8 février jusqu'au 8 mars, je l'envoie à Votre Excellence, qui décidera si je dois stimuler le zèle de cet officieux, ou bien le remercier. — Stimulez ! Stimulez ! lui répond Son Excellence, et communiquez-moi tout ce que vous recevrez ainsi.

On ne surveille pas seulement la reine Hortense, mais tout ce qui l'entoure et tout ce qui l'approche. Mlle Cochelet, sa lectrice, se rend, en mars 1816, à Paris pour des affaires personnelles : ordre est donné de la filer avec soin. Trois mois plus tard, le comte Auguste de Talleyrand, notre Ministre à Berne, adresse au duc de Richelieu, qui la transmet à son collègue Decazes, la communication suivante : Un tailleur nommé Joseph Gruber, qui a travaillé pour le fils de Mme Hortense, doit partir incessamment pour Paris. Ce tailleur est un homme peu délicat, passionné pour l'argent et grand bavard. Peut-être Votre Excellence pourrait-elle s'en servir utilement.

Disons tout de suite, — afin de n'y plus revenir, — que ces marques d'intérêt données par la police française à la Reine, à ses fils, à leur entourage ne cesseront pas de longtemps. Ainsi, pour citer seulement quelques faits Parmi mille autres, l'ambassadeur de France à Rome avisera, au mois de mai 1820, le Ministre des Affaires étrangères, — et celui-ci, le Ministre de la Police, — et celui-ci, le Préfet de la Seine-Inférieure, — qu'un sieur Castelain lui a demandé un passeport pour aller recueillir, à Yvetot, la succession de son père, et que, comme il a été maitre de mathématiques du fils de Louis Bonaparte on doit avoir l'œil sur lui ; l'œil de l'administration constate que le sieur Castelain, — s'il ne se cache pas d'avoir donné des leçons à un jeune Bonaparte, — a cependant une attitude irréprochable et s'occupe exclusivement de son héritage. Et la correspondance consacrée à cette grave affaire formera un important dossier !

Quoiqu'en revenant toujours bredouille la police française ne se lassera pas de cette chasse. En 1822, un fourgon rempli de meubles et d'objets d'art, traversant Vesoul, et se dirigeant vers Arenenberg, sera signalé à l'autorité supérieure : l'autorité supérieure le fera venir à Belfort, puis à Colmar et touiller de fond en comble ; mais les vérifications les plus minutieuses n'ayant pu rien faire découvrir, cette voiture est repartie pour la Suisse..... Encore quatorze lettres minutées et copiées pour rien !

De 1820 à 1827, M. Philippe Lebas, homme de grand mérite, chargé, avec l'abbé Bertrand, de l'éducation du prince Louis, ira passer régulièrement ses vacances à Paris. Chaque année cet individu et sa femme seront, bien à tort, honorés d'une attention particulière de la police secrète. Parfois même le Préfet du Bas-Rhin s'occupera d'eux lui-même, en faisant faire, — et toujours inutilement, — une perquisition exacte dans les effets et papiers de ces deux voyageurs. En le félicitant de son zèle, le Ministre l'engagera pourtant à réclamer, la prochaine fois, l'assistance des douaniers, pour sauver les apparences. On verra même, en octobre 1827, le Préfet de Police opérer en personne et se vanter d'avoir directement interrogé un ancien domestique, congédié par la reine Hortense, — qui ne lui en donnera point d'ailleurs pour son argent, car il lui dira simplement que la duchesse de Saint-Leu reçoit un certain nombre de visites, qu'elle fait beaucoup de bien dans le pays et y est fort aimée.

Revenons à Constance, vers la fin de 1816. La reine a appris qu'elle n'y pourrait rester davantage. Cédant aux instances de la Légation française, le Grand-Duc a dû le lui signifier le plus doucement possible. Le ministre de Bade en Suisse, se trouvant alors en congé à Carlsruhe, y surprend cette intéressante nouvelle, et en instruit aussitôt son collègue le comte de Talleyrand, par un billet très confidentiel, que celui-ci s'empresse d'expédier à Paris. Renvoyée par son cousin, sur la demande du gouvernement français, la reine acceptera l'asile que le prince Eugène et son beau-père lui assurent en Bavière ; elle s'installera à Augsburg, où le prince Louis pourra suivre les coure d'un excellent collège ; — mais elle ne s'y installera pas sans esprit de retour.

Le Conseil du canton de Thurgovie, en effet, — après une longue discussion, s'est décidé à lui offrir l'hospitalité ; et, le 10 février 1817, elle a acheté, pour la modique somme de 30.000 florins, la villa d'Arenenberg. En apprenant cette acquisition, le comte de Talleyrand s'est ému ; il songe déjà à retourner le conseil de Thurgovie, et M. Pasquier, son ministre, est disposé à le suivre dans celle voie : M. Decazes lui écrit de s'en bien garder ; que sur sa colline d'Arenenberg, il surveillera Mme de Saint-Leu, plus facilement que partout ailleurs. C'est donc là, qu'après y avoir fait exécuter d'indispensables travaux, la reine compte revenir ; et c'est là qu'elle revient en effet, trois ans plus tard, pour s'y fixer définitivement, pour y mourir.

Un tel séjour ne semblait pas cependant fait pour elle et devait lui paraître doublement sévère. Cette modeste résidence, alors d'un accès moins facile qu'aujourd'hui, était située dans un pays pittoresque et riant, mais dont le climat, pendant l'hiver, même pendant l'automne, est fort rigoureux. Elle ne devait y trouver ni ce commerce du monde que réclamaient ses goûts, ni cette douce température qu'exigeait sa santé[5].

Ce qui l'y soutiendra, ce qui y prolongera sa vie de quelques années, c'est le souci de ses enfants ; car, si elle n'avait pas été une épouse irréprochable, elle sut toujours remplir ses devoirs de mère avec une tendresse, une conscience, un dévouement sans pareils.

Ses deux fils avaient dû se séparer, comme leurs parents, Louis vivant, en Suisse, avec elle, Napoléon, avec son père, en Italie. Mais, chaque année, Napoléon venait passer quelques semaines à Arenenberg, pendant que Louis allait le remplacer à Florence, — de sorte que les deux frères, si attachés l'un à l'autre, n'avaient presque jamais le bonheur de se trouver ensemble.

Si Napoléon avait dû suivre son père, c'est parce qu'il était l'aîné. Dans ce choix si naturel, on voulut voir l'indice d'une préférence marquée pour lui, d'une sorte d'éloignement pour son frère, dont la chronique mondaine indiquait malignement la cause. Ce que certains se bornaient à insinuer, d'autres, plus hardis, l'affirmaient. Dans un livre récent, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir, on écrit, comme un fait notoire, que le mari de la séduisante Hortense n'avait jamais voulu reconnaître Louis-Napoléon pour son fils, et qu'à Florence le portrait du prince manquait dans la collection des effigies de famille[6].

Les légendes, chez nous, les légendes scandaleuses surtout, naissent facilement et elles ont la vie dure. Les gens qui prennent la peine de réfléchir sentaient bien que le roi Louis, avec sa nature soupçonneuse et jalouse, n'eût jamais donné ni laissé donner son propre prénom à l'enfant dont il ne se serait pas cru le père. Mais, si sérieux que parût ce raisonnement, il fallait davantage pour convaincre les sceptiques. S'ils ne tiennent pas à conserver leur opinion erronée, nous les engageons à lire une charmante étude de M. Lucien Perey, qui les édifiera[7]. Ils y verront, en effet, que dans l'année qui précéda la naissance de Louis-Napoléon, au mois de juin 1807, le roi et la reine de Hollande, rapprochés par la mort de leur fils aîné, vivaient à Cauterets dans la plus affectueuse intimité ; qu'à cette époque le personnage dont la chronique devait faire le véritable père du futur prince, était si peu avant dans la faveur de Leurs Majestés Hollandaises, qu'il se faisait recommander à elles par un homme honoré de leur amitié : le préfet des Basses-Pyrénées ; — et tout cela, clairement établi par des lettres, jusqu'alors inédites de ce préfet, le comte de Castellane.

Une preuve aussi catégorique paraîtrait-elle insuffisante ? On en trouvera une autre, plus intime, plus directe et plus décisive encore, dans la propre correspondance du roi Louis, dont nous donnerons plus loin divers extraits.

Sans doute, elles étaient souvent sèches, parfois dures, ces lettres paternelles ; et Louis-Napoléon eut beaucoup à en souffrir. Son âme sensible et tendre avait besoin d'affections, surtout de ces affections domestiques, qui tinrent et gardèrent toujours une si grande place dans sa vie. Les rares joies, les nombreuses douleurs de sa famille, il les sentait très vivement. Nous en citerons, parmi beaucoup d'autres, un seul exemple. Lorsqu'en 1823, sa mère avait été soigner, à Munich, le prince Eugène, atteint de la maladie qui, en apparence, conjurée, devait l'emporter l'année suivante, Louis-Napoléon lui écrivait, le 16 avril : Nous sommes tous d'une tristesse mortelle. J'espère pourtant que Dieu exaucera nos vœux, en nous conservant un oncle, qui est l'objet de notre plus vif amour et de notre respect le plus tendre. Soignez-le bien, ma chère maman, mais ne vous fatiguez pas trop. — Le 21 : Comment exprimer la joie que je ressens en apprenant que mon cher oncle va mieux ! — Le 27 : Que Dieu est bon de nous l'avoir conservé ![8] Éprouvant un aussi vif sentiment pour un oncle qu'il n'a guère vu, le prince Louis a pour son père une affection tout autre, une affection que ne doivent ni décourager ni refroidir les gronderies les moins justifiées, mais qu'il voudrait voir payer d'une effusion égale à la sienne. L'effusion, la nature du roi Louis ne la comporte guère. Il écrit à son second fils comme à l'aîné, comme à ses frères Jérôme ou Joseph[9]. Avec nul autre il n'est plus onctueux ;

Et jusqu'à Je vous aime ! il dit tout froidement.

Certains jours, cependant, — jours bien rares, — il sait le dire au prince Louis autrement, avec une réelle tendresse, une réelle chaleur. C'est ainsi qu'à la veille de sa première communion, le 9 avril 4824, il lui écrit :

J'ai reçu ta lettre du 13 mars, mon cher enfant. Je remercie maman, ton gouverneur et l'abbé de t'avoir préparé à remplir le premier devoir solennel que te présente la religion. Je te donne ma bénédiction de tout mon cœur. Je prie Dieu qu'il te forme un cœur pur et reconnaissant envers lui, qui est l'auteur de tout bien, qu'il te donne les lumières nécessaires pour remplir tous les devoirs que peuvent t'imposer ton pays et tes parents et pour pouvoir toujours discerner le bien d'avec le mal... Adieu, cher ami, je t'embrasse de tout mon cœur et je te renouvelle, dans cette occasion solennelle, la bénédiction paternelle, que je te donne, par la pensée, chaque matin, chaque soir, et toutes les fois que mon imagination se porte vers toi.

Ton affectionné père,

LOUIS.

S'il ne savait pas souvent témoigner de la sorte à son fils ses sentiments pour lui, — l'eût-il fait une seule fois d'ailleurs que cela suffirait à réfuter la fameuse légende, — le roi Louis les lui prouvait constamment par l'intérêt qu'il prenait à sa vie, à sa santé, à ses travaux.

Il ne prétendait point diriger, de si loin, les études du jeune prince, mais il les suivait avec attention, indiquant des travaux à faire, des livres à lire, voulant savoir quels ouvrages contenait la bibliothèque de son fils, lesquels y manquaient, et mille autres choses. Louis-Napoléon le remerciait de cette affectueuse sollicitude, en lui écrivant le 17 novembre 1827 : Plus je deviens grand, plus je sais apprécier mon bonheur d'avoir un aussi bon père, qui m'instruit par ses conseils... Je m'applique beaucoup aux mathématiques, et je m'arrête attentivement aux calculs d'intérêt composé, suivant votre recommandation ; — le 23juin 1828 : Je vous promets de suivre exactement le système d'éludes que vous me proposez. Dès aujourd'hui j'ai pris dans la bibliothèque de maman les œuvres de Condillac... je compte faire un cours de chimie. Je me lève tous les matins à cinq heures et je me couche à dix heures. Je vais une fois par semaine à la chasse, etc.

En surveillant les études du jeune prince, le roi Louis espérait modeler son âme et son esprit, lui faire adopter ses propres sentiments sur les hommes et sur les choses. Mais, plus le fils grandissait, plus il semblait penser, sentir à sa façon, — que le père jugeait déplorable.

Entre ce vieillard désenchanté, maladif, terminant dans un douloureux isolement sa vie jadis si brillante, et ce jeune homme plein de vigueur, plein de sève, impatient d'avoir, lui aussi, sa part de glorieuses aventures, l'écart était grand en effet, plus grand encore qu'entre la reine Hortense et son mari. Le fossé qui les séparait devait se creuser chaque jour davantage. Le prince, en redoublant d'affectueuse déférence envers son pare, s'appliquait en vain à s'en excuser ; le roi n'en pouvait prendre son parti ; et cette déception ajoutait à ses souffrances, de plus en plus vives, une nouvelle cause d'irritation, que le ton de sa correspondance accusait sans ménagements.

Tout est entre eux une occasion de désaccord. Le père rumine le passé ; le fils rêve à l'avenir. Le père cherche à se faire oublier ; le fils, à se faire connaître. Le père se défie de tout le monde ; le fils accorde trop aisément sa confiance. Le père, bien que sa famille doive tout au peuple, ne voit plus de la démocratie que ses vices et ses égarements ; le fils s'exagère sa sagesse et sa générosité. Le père, revenu de toutes les chimères, voudrait que son fils songeât un peu moins à la gloire, un peu plus à ses intérêts matériels, qu'il ménageât sa modeste fortune, en cherchant à l'accroître par un mariage avantageux ; — et, de tous les conseils du père c'est celui que le fils aura le plus de peine à suivre.

L'argent ! Pour son compte, n'ayant aucun goût de luxe, de parade, le prince Louis n'y tient guère. Le peu qu'il en a, il ne sait pas le garder. Le donner est son plus grand plaisir. Dès sa plus tendre enfance, il avait cet instinct, encouragé par sa mère. Il avait huit ans lorsqu'à Constance Mlle Cochelet, lectrice de la reine Hortense fut témoin du joli trait qu'elle raconte dans ses mémoires : Un jour qu'il s'était échappé, je fus la première à le voir revenir de sa petite fuite ; il arrivait en manches de chemise, les pieds nus dans la boue et dans la neige. Il fut un peu embarrassé de me trouver sur son passage lorsqu'il était dans un accoutrement si différent de ses habitudes, je voulus savoir pourquoi il était dans cet état ; il me conta qu'en jouant à l'entrée du jardin il avait vu passer une pauvre famille si misérable que cela faisait peine à voir et que, n'ayant pas d'argent à leur donner, il avait chaussé l'un des enfants de ses souliers et habillé l'autre de sa redingote[10]. Il poussait même parfois cette noble faiblesse jusqu'à donner ce qui ne lui appartenait pas, comme il s'en confessa plus tard, sans trop de contrition d'ailleurs, au comte de Falloux : un jeune étudiant suisse se désolait de ne pouvoir acheter une boîte de compas nécessaire pour ses éludes ; le docteur Conneau en avait une dont il ne se servait jamais : le petit prince avait trouvé tout naturel de la prendre au docteur pour la remettre à l'étudiant... Voir une main tendue sans y rien mettre, et faire des économies, il était déjà, il devait être toujours incapable d'un tel effort.

Une occasion se présenta bientôt où cette constante divergence entre les velléités généreuses du prince et les résolutions positives du roi Louis devait se manifester nettement... Étrange coïncidence ! En 1877 la Russie et la Turquie étaient en guerre ; le Prince Impérial, impatient de voir le feu, désirait ardemment faire campagne avec l'armée russe ; on l'en détourna, non sans peine, en invoquant des considérations politiques, qu'on ne put, hélas ! lui opposer, plus tard, pour l'empêcher d'aller se battre au Zululand : c'est dans des circonstances analogues, en s'enrôlant sous la drapeau russe pour guerroyer contre les Turcs, que son père avait tenté, sans pouvoir l'obtenir davantage, de faire ses premières armes. Le 19 janvier 1829 il écrivit au roi Louis :

Mon cher papa, j'ai pris un grand parti, que, j'espère, vous ne désapprouverez pas ; il est trop beau et trop noble. Permettez que je vous le dise, à vous que j'aime de tout mon cœur et qu'avant tout je demande votre permission. Je désire, au delà de toute expression, faire, au printemps prochain, la campagne contre les Turcs, étant comme volontaire dans l'armée russe. Maman, à qui j'en ai parlé, e beaucoup balancé, mais sentant combien cela pouvait mètre utile, elle. e consenti entièrement. L'empereur serait, d'après ce que maman a pu juger par ses relations avec elle, très bien pour moi ; je serai sans doute dans son état-major. Maman choisirait, pour m'accompagner, un ancien militaire. Enfin je ferais quelque chose de digne de vous ! Si vous consentez tout ira à merveille et maman s'occupera de faire les démarches auprès de l'Empereur. Ah ! mon cher Papa, pensez que vous n'aviez pu encore mon lige et que déjà vous vous étiez couvert de gloire ! En faisant cette campagne comme volontaire — ce qui ne m'engage à rien —, j'aurai l'avantage de m'instruire parfaitement, de montrer au monde le courage que j'ai reçu de vous, en naissant, et de m'attirer par là l'intérêt général. Ma tante, la grande-duchesse de Bade, è laquelle j'en avais parlé, il y a quelques mois, m'avait bien engagé à vous en demander la Permission, disant que c'était une action bien digne de quelqu'un qui est votre fils.

Enfin, mon cher Papa, répondez-moi, je vous en prie, le plus tôt possible. Pensez que je désire tellement faire cette campagne que si vous ne me donniez pas votre consentement, et votre bénédiction avant de partir, j'en mourrais de chagrin.

Adieu, mon cher Papa, je vous en prie encore, au nom de ce que vous avez de plus cher, permettez-moi de me rendre digne de mon nom.

 

Le roi lui répondit :

Je me doutais bien que les grandes victoires des Russes sur les barbares musulmans éveilleraient ton ardeur guerrière. Mais tu as tant d'esprit et d'heureuses qualités qu'un peu de réflexion te calmera entièrement. En effet, mon ami, rien n'est plus beau que la gloire militaire. Savoir que son nom est partout répété, commander absolument et disposer d'un grand nombre de ses semblables, voir, sous ses yeux et dans un vaste champ, se changer la destinée des peuples et des États, et cela dans un instant et par l'effet des plus savantes combinaisons, tout cela est sans doute beau et attrayant et doit exalter l'imagination de tout jeune homme bien né ; mais malheureusement il y a une vérité bien certaine et tout aussi contraire à cette noble exaltation, c'est que la guerre, hors le cas de légitime défense, c'est-à-dire si elle n'est pas faite pour le salut de sa patrie et la défense de ses foyers, n'est qu'une barbarie, qu'une férocité, qui ne se distingue de celle des sauvages et des bêtes féroces que par plus d'art, de fausseté et de futilité dans son but...

En voilà assez sur ce chapitre. Je ne veux conclure de tout ceci que ce que je t'ai dit souvent, savoir : Qu'on ne de faire la guerre que pour son pays. Ceux qui agissent autrement sont des aventuriers, des ambitieux, ou des méchants, pour ne pas dire plus.

Ma santé n'est pas bonne...

 

Si dur que lui fut le refus de son père, le prince l'accueillit, comme il accueillait ses remontrances et ses critiques, avec une respectueuse soumission. Une lettre, qu'il lui &dressait le 3 mars suivant, se terminait ainsi : Adieu, mon cher Papa, croyez à mon sincère attachement ; je vous en ai donné une véritable preuve, en renonçant à mon projet ; car si je ne vous avais pas tant aimé, je n'aurais pas pu résister au désir de l'accomplir même contre votre volonté. Et, le 21 avril : ... J'ai aujourd'hui vingt-et-un ans ; je suis majeur ; mais je n'y vois qu'une raison de plus pour toujours vous obéir, et, suivant vos conseils, me rendre digne de vous. Je ne puis mieux employer cette journée qu'en écrivant à mon cher père pour l'assurer de nouveau de mon sincère attachement et de ma tendre reconnaissance.

Il s'est remis au travail, attendant une autre occasion d'employer son énergie, son courage à quelque noble cause. En apprenant la révolution de 1830, il croit un moment pouvoir les consacrer à la cause nationale, en la servant sous n'importe quel titre. Cette illusion dure peu : le Gouvernement de Juillet semble résolu à traiter les Bonaparte, comme les traitait la Restauration, en ennemis.

Mais, entraînée par l'exemple de la France, l'Italie fermente à son tour. Elle aussi voudrait secouer le joug de 1815, dont bien plus durement que la France, elle a senti le poids. Regrettant ces administrateurs éclairés, ces institutions démocratiques auxquelles l'avait habituée le régime napoléonien et qu'elle a appréciées surtout en les perdant, elle avait espéré que la France de juillet, la France du drapeau tricolore l'aiderait à les reconquérir. Privée de son appui, si ce n'est de ses vagues encouragements, elle avait déjà l'ambition de fare dà se... Combattre la domination autrichienne avec les Italiens qui se disent sympathiques à la Franco, sympathiques au souvenir de l'Empereur, prêts à restaurer une partie de son œuvre ; faire une première brèche à ce régime de 1815, dont leur famille avait eu tant à souffrir, c'était pour le Prince Louis et son frère Napoléon une tentation trop forte : ils y cédèrent et se rendirent à l'appel des bandes mal organisées, mal armées, des Constitutionnels.

Pour mieux comprendre une aussi téméraire entreprise, un pareil élan d'enthousiasme irréfléchi, il faut se reporter à cette époque, si différente de la nôtre. Ah l oui, Gambetta eut bien raison de le dire : Les temps héroïques sont passés. Mais, vers 1830, c'étaient leurs beaux jours. Moins raisonnables, moins pratiques qu'à cette heure, les jeunes gens se passionnaient pour les nations plus ou moins opprimées ; ceux-ci pour la Grèce, où avaient couru bien des Français, où le Prince Paul — second fils de Lucien — était allé mourir ; ceux-là pour la Pologne ; d'autres enfin pour l'Italie, où plusieurs de nos compatriotes avaient risqué leur vie... Et tel était alors le fougueux entrain des plus pacifiques que les querelles littéraires elles-mêmes avaient un air de guerre sainte, et les chevaliers du romantisme une ferveur de Croisés.

Les patriotes italiens furent aisément vaincus. Avant leur dispersion, les deux princes, — comme nous le rappellerons avec plus de détail, en parlant de la Reine Hortense, — avaient dû se séparer d'eux. L'aillé, Napoléon, forcé de s'arrêter à Forli, y était mort d'une rougeole aggravée par les fatigues de cette courte campagne. Du moins l'avait-on écrit à sa famille. Était-ce un pieux mensonge, comme on l'a dit souvent, comme M. le baron Larrey le déclarait encore récemment dans son bel ouvrage sur Madame-Mère[11] ? Cette fin, qui eut honoré son frère et lui-même, en prouvant qu'ils avaient fait vaillamment leur devoir de soldats, pourquoi le prince Louis l'eût-il dissimulée ? Son père, le sommant de lui dire la vérité, il n'aurait pas osé la lui taire. Or, le 24 mars 1831, après quelques remontrances sur l'aventure dans laquelle il s'était jetée, le roi lui écrivait : Je te demande deux choses, à peine arrivé à Constance : 1° Tous les détails possibles sur votre fatale escapade ; 2° Id., sur les derniers moments de ton frère. A-t-il eu réellement la rougeole ? Est-il sûr que sa fin n'a pas été avancée ? etc., etc. Est-il mort dans tes bras ? Adieu, mon ami, aie du courage et de la fermeté. C'est le moment d'en montrer pour toi et pour ta mère. A cette question, le prince répondait, de Londres : Je ne vous parle pas des événements passés, leur souvenir seul est un supplice pour moi. Mais quant au soupçon que vous me témoignez qu'on ait accéléré les jours de mon malheureux frère, croyez bien que si un crime aussi atroce avait été commis, j'aurais bien su trouver l'auteur et en tirer une vengeance éclatante. Le médecin qui a soigné mon frère est M. Versari. Il devait faire imprimer un récit détaillé de la maladie de Napoléon : vous pourriez lui écrire, pour qu'il vous l'envoyât. Ah mon cher Papa, que ce monde est cruel ! On n'y vit que pour souffrir et voir souffrir les autres. Je ne conçois vraiment pas comment j'ai pu survivre à mon frère, le seul ami que j'eusse en ce monde, le seul avec lequel j'aurais pu me consoler de tous les malheurs possibles. Mais je n'oublie pas pourtant qu'il me reste encore un père que j'aime tendrement et une excellente mère.

En rentrant à Arenenberg, il éprouve une vive émotion : la vue des portraits de Napoléon, de son cheval, de sa montre, envoyée par son père, le fait beaucoup pleurer ; il a toujours sous les yeux les traits de ce frère chéri, comme son souvenir dans le cœur. (Lettre du 22 août.) Mais cette mort imprévue laisse à régler des questions d'intérêt matériel. A une lettre de son père sur ce sujet, qui lui répugne, le prince Louis n'a fait nulle réponse. Le roi en exigeant une, il lui écrit : Hélas ! puisqu'il faut s'occuper d'un sujet aussi triste que l'héritage de mon pauvre frère, je vous' dirai que je trouve très bien ce que vous avez fait, que naturellement notre premier soin doit être de remplir ses intentions, en payant tout ce qu'il avait commandé ; et, quant à moi, je ne tiens nullement à de l'argent qui me vient d'une source aussi malheureuse. Ce à quoi je tiens, c'est à tout ce qui lui appartenait. Si vous voulez m'envoyer tout ce que vous ne voudrez pas conserver comme souvenir de lui, vous me ferez plaisir. (Lettre du 31 août 1831.)

A sa belle-sœur, la princesse Charlotte, il avait écrit, deux jours auparavant : J'ai perdu l'être que j'aimais le mieux sur cette terre. Depuis qu'il n'est plus, il faut que je me force pour n'être pas indifférent à tout. Je n'éprouvais pas un désir, je ne formais pas un projet sans que mon frère entrât pour moitié dans toutes mes idées... Qui pourrait remplacer pour lui ce confident, cet unique ami ? Pour la Première fois il songe au mariage et s'en ouvre à son père. J'ai tellement besoin d'affection que si je trouvais une femme qui me plût et qui convint à ma famille je ne balancerais pas à l'épouser. Ainsi, mon cher papa, donnez-moi là-dessus vos conseils. (Lettre du 15 décembre 1831.)

Quels furent ces conseils ? Nous ne le savons pas positivement, n'ayant pas retrouvé la lettre qui devait les contenir : nous pouvons toutefois le deviner, par la recommandation que, consulté de nouveau sur ce sujet par son fils, il devait lui adresser, quelques années plus tard, de faire uniquement un mariage de raison : Tu me consoles en disant que tu n'es pas amoureux. C'est une chose essentielle pour bien choisir quand on veut se marier, c'est-à-dire pour éviter les malheurs trop communs dans cet état. Tu vois, d'après ce qui se passe, que nous sommes pauvres malgré cc qu'a publié la fausse renommée...

Ne trouvant pas la femme qui pût lui plaire et convenir à sa famille, le prince Louis cherche à se consoler de ses chagrins par le travail. Il écrit les Rêveries politiques, dont l'épigraphe, empruntée à Montesquieu, résume la doctrine de toute sa vie : Le peuple, qui a la souveraine puissance, doit faire par lui-même tout ce qu'il peut faire, et ce qu'il ne peut pas bien faire, il faut qu'il le fasse par ses ministres. Puis il reprend, à l'École d'artillerie de Thoune, ses études interrompues. Le 30 avril 1832, le petit conseil de Thurgovie, dans le désir de prouver combien il honore l'esprit de générosité de Mme la duchesse de Saint-Leu et de sa famille décerne au prince Louis Napoléon le droit de bourgeoisie honoraire du canton.

L'année suivante, le prince se rend en Angleterre, où le comte de Survilliers, c'est-à-dire le roi Joseph, devenu — depuis la mort du duc de Reichstadt le chef de la famille Bonaparte, — a désiré s'entretenir avec lui. Il a pour compagnon de voyage, le jeune comte Arese, fort galant homme, avec lequel il est lié depuis dix ans, qui lui donnera jusqu'à son dernier jour les preuves du dévouement le plus solide et le plus désintéressé.

Le roi Louis, n'approuvant ni les idées du prince, ni son voyage en Angleterre, ni les conditions dans lesquelles il le fait ; et, sans le connaître, ayant contre le jeune Arese d'injustes préventions, voudrait que son fils s'en séparât brusquement. Pour la première fois le prince regimbe contre les exigences paternelles. Pour son compte il a subi, il continuera de subir, sans récriminations, toutes les critiques et toutes les semonces qui lui viendront de Florence ; mais vouloir qu'il blesse, qu'il humilie de la sorte, et sans motifs, un ami sûr, c'est trop lui demander :

Il m'est vraiment bien pénible, — répond-il, le 10 mai 1833, — de vous voir, à tout propos, irrité contre moi, soit que je hasarde d'exprimer ce que je pense, soit que, par désir de distraction, je passe d'un pays dans un autre. Je suis venu ici pour voir mon oncle Joseph. N'ayant pas d'antre personne près de moi, j'ai emmené le comte Arese, et, si vous voulez consulter la lettre que je vous ai écrite lors de mon départ de Suisse, vous verrez que je vous le nommais en toutes lettres. Ce jeune homme est d'une des premières familles de Milan. Il est très calme, d'un caractère très sûr et, de plus, il m'est très attaché, et je l'aime beaucoup. Vous devez concevoir que je dois être un peu peiné lorsqu'après vous avoir nommé, il y a six mois, mon compagnon de voyage, vous m'ordonnez tout à coup de renvoyer une personne que j'affectionne, et cela sur de faux rapports qui vous auront été faits. Songez, mon père, que j'ai vingt-cinq ans, que je ne suis plus un enfant. Mais pourtant je suis jeune, et, — toujours sur une terre étrangère, — il me faudrait réprimer tout sentiment noble, faire abstraction de mes opinions, sans même pouvoir avoir un ami 1 Vous conviendrez que c'est un arrêt un peu dur à subir.

Le roi Louis, peu accoutumé à un tel langage, en est blessé. Il boude son fils et reste près de trois mois sans lui écrire. Il s'y décide pourtant, au commencement de juillet ; et, d'Arenenberg, où il est rentré, le prince l'en remercie avec effusion : J'ai éprouvé un grand plaisir en recevant votre lettre ; car il y avait si longtemps que n'avais reçu de vos nouvelles que j'en étais vraiment peiné. Je vous en supplie, mon cher papa, ne vous fâchez jamais contre moi, cela me cause trop de chagrin. Je suis jeune, j'ai une position difficile et ennuyeuse. Pardonnez-moi si je diffère quelquefois de vos opinions, et faites-moi alors vos reproches, mais sans me punir en ne m'écrivant plus. Seul ici, avec ma mère, n'ayant d'autres liens que ceux qui m'attachent à vous, obligé de passer ma jeunesse sans amis, sans patrie, je tâche de me distraire, en m'occupant de choses sérieuses... (Lettre du 9 juillet 1833.)

Quelles sont ces choses sérieuses dont il s'occupe ? Il l'indique avec quelque détail. Il étudie surtout la vie, les œuvres de Napoléon, pour lequel son enthousiaste ferveur augmente tous les jours, puis les institutions politiques et militaires de la Suisse, dont il essaye d'écrire sommairement l'histoire.

Ce dernier travail, — où de toutes les conceptions de l'Empereur le prince fait un éloge sans réserve, — est achevé ; il est publié ; et le 14 août, Louis-Napoléon, comptant bien obtenir enfin sa difficile approbation en annonce à son père le prochain envoi :

Mon cher papa,

J'ai fait imprimer une petite brochure sur la Suisse, j'espère que cela ne vous aura pas déplu... En parlant de l'acte de médiation, j'ai été amené à parler de la politique de l'Empereur, et, en voulant prouver qu'il avait bien fait de placer ses frères sur des trônes étrangers plutôt que d'autres, je m'exprime ainsi : Mon père, en Hollande, fut un exemple frappant de ce que j'avance. Si l'empereur Napoléon eut nommé un général français, au lieu de son frère, en 1810, les Hollandais se fussent battus contre la France. Mon père, au con traire, ne croyant pouvoir concilier les intérêts du peuple qu'il était appelé à gouverner avec ceux de la France, préféra perdre son royaume plutôt que d'aller contre sa conscience ou contre son frère. L'histoire nous offre rarement un pareil exemple de désintéressement et de loyauté. J'espère, mon cher papa, que ce jugement de ma part sur votre conduite ne vous déplaira pas, et que vous trouverez naturel que je défende ce que j'ai de plus cher au monde, votre réputation et celle de l'Empereur.

Non, son père ne le trouve pas naturel, et un tel hommage ne lui plaît pas. Il se borne à en marquer son déplaisir d'un mot, attendant pour le motiver d'avoir lu complètement la brochure. Le pauvre prince est découragé d'avoir si mal réussi : J'ai peut-être eu tort, comme vous le dites, de ne pas vous prévenir d'avance ; mais je croyais être sûr de ne pas vous contrarier en mettant une seule phrase à votre éloge. Si j'avais voulu expliquer au long votre conduite et votre politique, certes je ne l'aurais pas fait sans vous consulter. (Lettre du 2 septembre.)

Dix jours après, le roi Louis envoie l'appréciation motivée qu'il a promise. Son fils, ayant assez de mérite pour supporter la vérité, il ne la lui ménage pas. Laissant de côté les nombreuses critiques de forme et de détails qu'il lui adresse, nous indiquerons seulement ses deux griefs les plus graves :

La politique du chef de ta famille, d'un homme tel que l'Empereur, doit-elle être jugée légèrement par un jeune homme de vingt-quatre ans, surtout quand ce jeune homme est son neveu ? Je t'ai déjà écrit que je n'approuvais pas ce que tu as publié sur les motifs de ma conduite. Tu aurais dû, pour toutes sortes de raisons, me consulter, ou, du moins, consulter mes documents de la Hollande... Faire autrement, c'est non seulement me manquer, mais te manquer à toi-même.

En quoi ces documents auraient-ils pu modifier le jugement du prince sur son père ? Prouvaient-ils donc que celui-ci avait abdiqué par caprice ? Qu'il n'avait pas, en le faisant, donné un rare exemple de désintéressement et de loyauté ?... Mais, cette question personnelle réglée, le roi Louis touche un autre point, d'un ordre plus général :

Page 26, je lis les lignes suivantes : Le peuple, qui est le plus fort et le plus juste de tous les partis, le peuple qui abhorre autant les excès que l'esclavage, le peuple qu'on ne peut corrompre et qui a toujours le sentiment de ce qui lui convient... Je suis fiché de te le dire, mon ami, mais ces lignes contiennent autant de faussetés que de mots. Pour moi, je crois qu'on pourrait plus raisonnablement rédiger ce passage de ton livre de la manière suivante : Le peuple, le plus fort, mais souvent le plus injuste de tous les partis, le peuple si enclin Mir excès, qui se laisse' si facilement porter d l'esclavage, que l'on corrompt si facilement, et qui a si rarement le sentiment de ce qui lui convient...

Un de ces Bonaparte qui devaient tout au peuple pouvait-il reprocher à un autre Bonaparte, en attendant tout, de ne pas le déclarer dépourvu de toute justice et de tout bon sens ?... Cette lettre si sévère se terminait ainsi :

Voilà, mon cher ami, les observations que j'ai à te faire sur ton ouvrage. Il m'aurait fait bien plus plaisir si je n'y avais pas remarqué les incohérences, les choses hasardées et même inconvenantes que je t'ai rapportées. Je te prie d'y faire attention pour l'avenir ; sans cela tu iras, sans t'en douter, contée ton but, qui ne peut être que de soutenir la gloire de ton nom et de t'en rendre digne.

Je te répète, au reste, que je suis content de ton ouvrage, qu'il te fait honneur et que cela est très convenable. Les méditations sur l'histoire sont l'occupation la plus raisonnable et la consolation la plus efficace pour des hommes qui se trouvent dans notre position. Adieu.

LOUIS[12].

Conclusion flatteuse, mais imprévue ! Comment, d'un ouvrage rempli de choses inconvenantes et d'incohérences, le roi Louis pouvait-il être si content ? Comment son fils pouvait-il s'honorer, en montrant une légèreté, qui devait compromettre la gloire de son nom et l'en rendre indigne ?... Il faut convenir qu'en le rappelant à la cohérence cette lettre ne lui en donnait pas précisément l'exemple. Après l'avoir lu, si déférent qu'il fût pour son auteur, le prince dut se le dire tristement à lui-même.

Il n'en continua pas moins à envoyer à son père ce qu'il jugeait lui devoir être agréable, et notamment des vers où l'on célébrait sa noble conduite en Hollande. Mais cette communication ne fut pas mieux accueillie que la précédente ; et, pour tout remerciement, le roi Louis lui écrivit, le 19 décembre 1833 :

J'ai reçu les vers que tu m'as adressés ; mais tu as trop de bon sens pour ne pas sentir que les éloges que l'on m'y donne sont des injures, puisqu'ils le sont au détriment de la mémoire de mon frère, qui non seulement est le chef de la famille, mais qui en fait toute la gloire. Tout ce qui tend à nous faire comparaître, ainsi qu'on le dit trivialement, comme l'ombre d'un si grand tableau, ne peut être qu'à notre grand désavantage et, j'ose le dire, déshonneur. Voilà pourquoi j'ai blâmé l'épigraphe de ton bon ouvrage sur la Suisse et quelques passages hasardés. Adieu, mon ami, je t'embrasse de tout mon cœur. Ne doute jamais de mon attachement, quelle que soit la divergence de nos opinions, et, je te le dis avec peine, de nos principes.

LOUIS.

Quelques semaines plus tard, une épidémie de choléra se déclarait à Florence ; et le prince Louis, craignant que son père, usé par ses maux, fût plus exposé qu'un autre à la contagion, voudrait aller le soigner. Le roi n'accepte pas son offre généreuse ; mais, comme s'il sentait sa fin prochaine, il lui parle des dispositions qu'il compte prendre.

S'imaginant, peut-être à tort, que son père avait vu dans son projet de voyage une arrière-pensée d'intérêt, le prince ressent, de cette injuste suspicion, une blessure qui saignera longtemps[13]. Sans lui laisser voir toutefois, combien il en est ulcéré, il lui répond simplement : Votre lettre m'a fait grand plaisir, excepté lorsque vous me parlez de patrimoine. Ce que je désire c'est de ne jamais en jouir. Je fais bien peu de cas de l'argent et il n'y a que la vue des malheureux qui m'arrivent journellement qui me fait regretter quelquefois de ne pas en avoir. Mais souvent je pense avec plaisir que si, par un hasard malheureux, j'étais tout à coup forcé de travailler pour vivre, je supporterais ce changement de fortune avec la plus grande résignation. Je crois, du reste, qu'en général le malheur est facile à supporter ; il nous rend même meilleurs. Mais c'est le bonheur qui nous éblouit et qui est la véritable pierre de touche du caractère humain. (Lettre du 2 février 1834.)

Tout en reconnaissant les bonnes qualités qui distinguent son fils, tout en appréciant le désintéressement dont il lui donne une nouvelle preuve, le roi Louis trouve qu'il les pousse un peu loin et voudrait le voir plus pratique : Je me souviens avec orgueil qu'un jour, auprès du lit de ta grand'maman, tu fus peiné et affligé de voir que des propos d'intérêt pécuniaire se rutilaient aux expressions de l'amour filial et prenaient quelquefois l'apparence de discussion. Oh ! papa, me dis-tu, il ne faudrait pas que les enfants héritassent jamais de leurs parents ! Ce propos fait honneur à la sensibilité de ton cœur ; mais le sentiment n'en est cependant pas juste. Si le ciel permet que tu aies aussi une famille et des enfants, tu sentiras quelle douce consolation c'est pour un père de penser qu'il travaille pour ses fils, qui prolongeront, pour ainsi dire, son existence. Ce nom de patrimoine qui te choque est, au contraire, aussi doux qu'honorable. Qu'y a-t-il qui le soit plus, en effet ; pour un enfant, que de tenir tout de celui à qui l'on doit la vie ? Dans notre situation, mon cher ami, non seulement tout me prescrirait de régler de bonne heure la succession du peu de fortune qui me reste, mais m'en fait une nécessité urgente... (Lettre du 17 février 1834.)

Ce petit dissentiment aplani, Louis Napoléon allait bientôt, sans plus le vouloir, sans plus le prévoir, en provoquer un autre. Au printemps de 1834, il publiait un Manuel d'Artillerie, que devaient apprécier les hommes spéciaux, et où, — a dit Louis Blanc, — le résultat des plus savantes études était exposé dans un style ferme, clair et précis. A la suite de cette publication le Conseil exécutif de Berne lui adressa le brevet de capitaine de l'artillerie fédérale ; et le prince le remercia de cette faveur, par une lettre où il disait : Le gouvernement français me repousse parce que je suis le neveu d'un grand homme, vous êtes plus équitables envers moi. Son père, voyant là une nouvelle occasion de se fâcher, lui écrivit, le 16 septembre :

J'ai reçu ta lettre du 30 août. Il faut bien nous entendre pour rester bons amis. Je suis bien content que tu mérites l'estime et la considération des Suisses. J'en ai vu la preuve dans le grade honoraire qu'ils t'ont offert et que tu as accepté. Mais, du reste, tu connais mon opinion et je te prie d'y faire attention ; je ne saurais trop te le répéter : dans aucun cas, ni pour quelque motif que ce puisse être, on ne doit servir un pays étranger. L'état militaire est le plus beau, le plus honorable,  le plus vertueux même, quand on défend sa patrie ; autrement, je n'hésite pas à dire, que c'est k plus méprisable. Car qu'est-ce qu'un métier où l'on renonce à toutes ses affections, à tous ses droits, à tous ses devoirs naturels pour une obéissance passive et, pour ainsi dire, mécanique ? Je sais que tu dois être fatigué de m'entendre toujours rabâcher les mêmes choses ; mais comme tu ne te lasses pas de ne faire nulle attention à ce que je te dis, je ne me lasse pas de te répéter ce que je crois être de mon devoir de te représenter.

Louis-Napoléon commettait, au gré de son père, une autre faute : il reconnaissait, par un cadeau, l'honneur que lui avait fait antérieurement le canton de Thurgovie, en lui conférant le droit de bourgeoisie. En outre, la commune de Sallenstein, où se trouve Arenenberg, ayant voulu créer une école gratuite, il contribuait, pour une forte part, à sa construction. Tout cela, le roi Louis le trouvait mauvais ; de tout cela il se plaignait, et si acrimonieusement que le pauvre prince, à bout de soumission, lui répondait, plus vivement que de coutume : Mon cher papa, je reçois si souvent des paroles dures de votre part que je devrais y être accoutumé. Et cependant chaque reproche que vous m'adressez me fait une blessure aussi vive que si c'était le premier. Votre lettre du 27 janvier me fait beaucoup de peine. Vous me blâmez à cause d'un article que je n'ai pas lu et qui a sans doute dénaturé les faits. Les voici... Il exposait alors qu'obligé d'offrir un témoignage de reconnaissance au canton de Thurgovie, et celui-ci se constituant une petite artillerie, il lui avait offert deux canons, qui lui coûtaient quatre mille francs, payables en deux ans ; qu'il avait, en- outre, souscrit pour l'école de Sallenstein, affectant à de petites subventions de cette nature, une part de la somme qui lui revenait, sur le prix de la villa vendue après la mort du prince Napoléon, — 16.000 piastres, à partager entre sa belle-sœur et lui. Il terminait ces explications en disant : Telle a été ma conduite ; tels sont mes projets. Je n'y vois ni calculs intéressés, ni vues ambitieuses, mais seulement le désir de m'occuper tranquillement et d'être utile à mes semblables. Est-ce donc juste qu'en cherchant toujours à faire le bien, je m'attire sans cesse vos reproches ? (Lettre du 7 février 1835.)

Quand le roi Louis n'avait pas, ne croyait pas avoir contre son fils de griefs plus sérieux, il lui reprochait aigrement... sa mauvaise écriture. A ce jeune homme de 28 ans, qui, six mois plus tard, allait déployer à Strasbourg, l'aigle impériale, il écrivait comme il aurait pu lui écrire quand il était encore sur les bancs du collège d'Augsburg : Mon cher fils, je reçois avec plaisir ta lettre du 19 mars ; elle me ferait bien plus de plaisir encore si je n'avais pas tant de mal à la lire. Ne pourrais-tu pas, pour ménager mes yeux, écrire beaucoup plus gros et plus distinctement ? Je sais que, vous autres savants, mettez une sorte d'amour-propre à mépriser les soins minutieux qu'exige une belle écriture. Mais je ne puis me dispenser de te dire que cette opinion est aussi erronée qu'inconvenante. (Lettre du 13mars 1838.)

Plus qu'aucun autre pourtant le roi Louis aurait dei montrer quelque indulgence à cet égard ; car, à lire la lettre qui lui apportait cette nouvelle semonce, le prince dut avoir autant de peine que nous en avons éprouvé nous-mêmes, et ce n'est pas peu dire : si l'écriture du fils n'était pas un modèle de calligraphie, celle du père était indéchiffrable[14].

 

 

 



[1] Lettre citée par le baron Larrey, Madame-Mère, t. II, p. 331.

[2] Souvenirs de Mme RÉCAMIER, t. II, p. 77.

[3] Cet extrait de la correspondance administrative, — comme tous ceux qui suivront, — est tiré des Archives Nationales.

[4] M. d'Herbouville était le Directeur-Gérant des Postes, à Paris.

[5] Dans une lettre que Mme Vieillard adressait d'Arenenberg, le 23 octobre 1834, à Mme Et. Giraudeau, sa sœur, elle écrivait : Nous avons ici un temps affreux et le vent souffle comme je ne l'ai entendu nulle part. Il parait que c'est l'ordinaire dans cette saison. Mais il faut convenir que c'est triste pour la Reine d'habiter un pays si peu abrité l'hiver.

[6] Louis-Napoléon prisonnier au fort de Ham, par P. Hachet-Souplet, Paris, 1893.

[7] La Reine Hortense. — Vie Contemporaine, 1er février 1894.

[8] En lui annonçant, le 19, que le prince Eugène semblait sauvé, la Reine lui disait quelle avait été l'anxiété de la population bavaroise les jours précédents : Tant d'intérêt prouve tout ce que vaut l'homme par lui-même, et c'est quand on a été sur le point de le perdre qu'on en a connu tout le prix. Ici les églises étaient pleines, on n'entendait que des sanglots et tout le peuple a passé la nuit sur la place.

[9] Répondant à une de ses lettres, le roi Joseph lui écrivait, le 1er août 1834 : On aggrave les douleurs en s'étudiant à voir tout en mal, et on ne remédie a rien par la mauvaise humeur. (Cité par le baron Ducasse, Les rois frères de Napoléon.)

[10] Mémoires sur la Reine Hortense, t. IV, p. 303.

[11] Il avait été tué à la tête des partisans qu'il commandait. On dut cacher la vérité sa grand-mère. On lui fit croire qu'il avait succombé à la rougeole. Madame-Mère, t. II, p. 377.

[12] Cette longue lettre ne figure pas aux archives de la famille impériale. Elle fut trouvée aux Tuileries au mois de septembre 1870, et parut dans l'un des recueils de Papiers secrets, qui furent publiés depuis. (Paris, Lachaud, 1871.)

[13] Dans une lettre qu'en 1815 il écrivait de Ham, et que la Revue de Paris a publiée le 15 avril 1894, il évoquait ce douloureux souvenir, en disant : Jamais je n'ai pu oublier cela ; c'était si opposé à mes sentiments que je ne pouvais même pas comprendre une pareille idée. Ne suis-je pas malheureux d'avoir été si mal apprécié ?

Moi, agir par intérêt ! Aujourd'hui que j'ai dépensé presque toute ma fortune pour soutenir dans le malheur les hommes dont j'ai compromis l'existence, je donnerais tout mon héritage pour une caresse de mon père. Qu'il donne à Pierre ou à Paul toute sa fortune, peu m'importe, je travaillerai pour vivre, mais qu'il me rende son affection !... Il y a beaucoup d'hommes qui vivent très bien avec le cœur vide et l'estomac plein ; pour moi, il faut que j'ale le cœur plein, peu m'importe l'estomac !

[14] L'écriture du roi Louis était d'une lecture si difficile que ses lettres autographes étaient le plus souvent recopiées avant d'être mises sous les yeux de Napoléon. (Félix Rocquain, Napoléon et le roi Louis. Préface.)