Roi des Arvernes
An de R. 700. - Av. J.-C. 52. En ce moment les assiégés avaient consommé tout leur blé,
et le jour où ils espéraient être secourus étant écoulé, Vercingétorix réunit
son conseil pour délibérer sur les résolutions que, dans la circonstance présente,
il convenait d’adopter. Les opinions furent partagées : les uns proposant de
se rendre, et les autres de se faire jour, l’épée à la main, pendant que
leurs forces n’étaient pas épuisées. Critognat, d’une des familles les plus
distinguées d’Arvernie, et jouissant d’une très grande autorité, émit un
sentiment qui fait frémir d’horreur, mais qui n’en prouve pas moins combien
les Gaulois détestaient le joug de Rome, et l’immense désespoir que leur
causait la perte prochaine de leur liberté. Je ne m’occuperai nullement,
dit-il, de l’avis
de ceux qui déguisent sous le nom de capitulation la plus honteuse servitude,
et, loin de croire qu’ils doivent siéger dans ce conseil, je pense qu’ils se
sont même rendus indignes du nom de citoyens ; je ne discuterai donc que l’avis
des membres de cette assemblée qui, de votre aveu unanime, en inclinant pour
une sortie, ont prouvé que le souvenir de l’antique valeur de la nation n’est
pas éteint dans leurs cœurs. C’est lâcheté, et non force d’âme, que de ne
pouvoir pas supporter quelques jours de disette ; car il se rencontre plus d’hommes
disposés à s’offrir volontairement à la mort, que d’autres capables de
souffrir patiemment la douleur. J’adopterais le projet d’une sortie, l’honneur
étant tout-puissant sur moi, si nous n’y exposions que nôtre propre vie.
Toutefois, avant de nous arrêter définitivement à cette résolution, songeons
à Le résultat de la délibération fut que l’on ferait sortir de la place ceux que des infirmités et la faiblesse de l’âge rendaient impropres à la défense, et qu’on se soumettrait à tous les maux humainement supportables, avant d’adopter, l’avis de Critognat ; mais que si les secours tardaient trop à paraître, et que la nécessité y contraignît, on userait de ce moyen plutôt que d’accepter la paix ou une capitulation. Les Mandubiens qui avaient reçu l’armée gauloise, dans leurs murs, en furent expulsés par elle ; ils s’approchèrent, avec leurs femmes et leurs enfants, des retranchements des Romains, et, les yeux baignés de larmes, ils leur demandèrent d’être réduits en esclavage, pour prix de la nourriture qu’ils imploraient. César fit placer des gardes sur le rempart, et défendit qu’on les reçut : ainsi ils moururent de faim entre les deux armées. Telles furent les extrémités épouvantables auxquelles, pour ne pas fléchir devant César, se portèrent ces Gaulois qu’il nous représente comme ayant eu besoin d’être excités à lui faire la guerre par les discours artificieux de Vercingétorix et de ses ambassadeurs. Ici les mensonges du proconsul se produisent dans tout leur jour ; car il est visible que si tous les Gaulois ne s’étaient pas plus tôt coalisés contre les Romains, c’est que la crainte de leurs armes les avait retenus, et surtout parce que, jusque-là, aucun homme ne s’était présenté qui, par l’autorité de son nom et de son influence, fût capable de mettre un terme à leurs discordes et de les réunir contre l’ennemi commun ; et la défense d’Alésia, prolongée même au delà des bornes prescrites par l’humanité, prouve quelle haine invincible ils avaient vouée à leurs oppresseurs. Néanmoins, la responsabilité de ces horreurs ne doit pas retomber sur les Gaulois, mais sur le perfide qui, sous prétexté de les venger des Helvétiens et d’Arioviste, s’était introduit dans leur pays, afin de se l’approprier. Cependant Comius, et les autres chefs de l’armée confédérée arrivèrent devant Alésia et campèrent sur une colline éloignée de mille pas environ de la circonvallation des Romains[1]. Le lendemain, la cavalerie gauloise se déploya dans cette plaine de trois mille pas de longueur dont nous avons parlé ; mais l’infanterie se tint cachée non loin de là, derrière les crêtes des hauteurs[2]. Du sommet de la montagne d’Alésia on découvrait au loin la campagne. A la vue de l’armée de secours, les assiégés se réunissent et, s’adressant de mutuelles félicitations, ils se livrent aux transports de la joie la plus vive. Ils sortent de la ville et s’établissent sous la muraille. Le fossé, qui s’étend à sa base, est couvert de claies ou rempli de terre, et Vercingétorix, attendant le moment de s’élancer sur les fortifications des Romains, se tient pria à tout événement. César disposa ses troupes sur les deux lignes de
contrevallation et de circonvallation, afin que chacun connût et occupât le
poste qu’il devrait défendre, si les Gaulois livraient l’assaut aux
retranchements. Il ordonna ensuite à sa cavalerie d’en sortir et d’engager le
combat. De tous les camps des Romains, placés sur les hauteurs, le regard
plongeait sur le champ de bataille, et
les soldats des deux armées étaient en proie à de vives inquiétudes
sur l’issue de cette action. Les Gaulois, pour arrêter l’impétuosité du choc
des Romains et secourir leurs cavaliers, avaient mêlé à leurs rangs un petit
nombre d’archers et quelques fantassins armés à la légère. Cette première
charge fut tout à leur avantage : un grand nombre de Romains tombèrent si
grièvement blessés, qu’ils durent se retirer de ce théâtre de carnage.
Lorsque, en voyant ployer les cavaliers de César, l’espérance de la victoire
enflammait les Gaulois, on les entendait, de la ville et de la campagne,
pousser des cris et des hurlements, pour encourager leurs soldats. Le combat
se livrant en présence des deux armées, nulle lâcheté, nulle action
glorieuse, ne pouvaient se dérober aux regards ; et le désir de mériter des
louanges et la crainte de l’ignominie, excitaient de part et d’autre les
cavaliers à déployer toute leur intrépidité. Le soleil était sur son déclin,
et quoique cette lutte acharnée durât depuis C. Trébonius et le célèbre Sardanapale romain, M. Antoine, lieutenants de César, étaient chargés de la défense de ces quartiers. Ils eurent bientôt occupé les postes qui leur avaient été assignés, les jours précédents, et firent venir des redoutes qui n’étaient pas attaquées des troupes qu’ils envoyèrent aux endroits trop vivement pressés par les Gaulois. Les machines de guerre les accablaient de traits, de balles de plomb et de pieux entassés d’avance sur le rempart. L’épouvante se répandit parmi eux ; mois le combat ayant lieu la nuit, de part et d’autre il y eut beaucoup de blessés. Les Gaulois, par la multitude de leurs flèches, tant qu’ils se tinrent éloignés des fortifications des Romains, eurent de l’avantage sur eux ; mais dès qu’ils s’en furent approchés, ils se blessèrent aux chausse-trappes dont ils ignoraient l’existence ; ils tombaient dans les fosses garnies de pieux qui les perçaient d’outre en outre, ou mouraient frappés par les pilum muraux que l’on dardait contre eux du haut des tours et du retranchement. Partout ils furent criblés de blessures, sans parvenir à forcer la circonvallation ; et, le jour étant près de paraître, craignant d’être attaqués, sur un de leurs flancs découvert, par les troupes de César qui occupaient les forts supérieurs, ils se retirèrent dans leur camp. Pendant que ce combat se livrait, Vercingétorix avait ordonné de combler les premiers fossés de la contrevallation des Romains avec les matériaux qu’il avait fait préparer à l’avance. Niais celte opération ayant exigé plus de temps qu’il ne l’avait pensé, il reconnut, avant d’avoir pu approcher de la ligne de contrevallation du proconsul, que l’armée de secours s’était retirée. II rentra donc dans la place sus avoir rien exécuté. Les fautes des généraux gaulois, dans ce tombai, sont d’une évidence qui frappe : d’abord, ils attaquèrent les lignes de .César du tâté de la plaine, et par l’endroit le plus fort. S’ils avaient pris la peine de les faire reconnaître, ils auraient su qu’au septentrion elles étaient dominées, et que c’était là qu’ils devaient diriger leurs principaux efforts ; en second lieu, ils ne firent aucune fausse attaque, ce qui pourtant leur était facile à cause de la nuit et de leur supériorité numérique sur les Romains. Par là, ils les auraient vivement inquiétés et tenus dans l’incertitude du point où devait se livrer le véritable assaut. Mais que pouvait-on attendre de quatre généraux en chef tout à fait indépendants les uns des autres et qui ne se soutenaient même pas mutuellement ? Si l’armée gauloise extérieure eût été dirigée par Vercingétorix, malgré les obstacles accumulés par César, ses lignes, comme on va le voir, eussent été forcées. |
[1]
[2] L’armée de secours était, dit César, de deux cent quarante mille hommes ; elle ne campe pas, ne manœuvre pas comme une armée si supérieure à celle de l’ennemi, mais comme une armée égale en nombre. Après deux attaques, elle détache soixante mille hommes pour attaquer la hauteur du nord : ce détachement échoue, ce qui ne devait pas obliger l’armée se retirer en désordre. Les ouvrages de César étaient considérables ; l’armée eut quarante jours pour les construire, et les armes offensives des Gaulois étaient impuissantes contre de pareils obstacles (Napoléon, extrait textuellement de ses Mémoires).
[3] La joie du triomphe fait perdre la mémoire à César ; de quels moyens veut-il parler, puisqu’il nous a prévenus que tout l’art des Gaulois dans les sièges consistait à chasser les défenseurs de la ville assiégée, à coups de pierres et de traits, des murailles ; à former la tortue avec leurs boucliers ; à s’approcher des portes et de saper les murs (Com. de Bell. Gal., lib. II, c. VI) ? Et les machines de guerre, les Gaulois en avaient-ils ?