Roi des Arvernes
An de R. 700. — Av. J.-C. 52. Dès que le siège de Gergovia eut été levé, les nations gauloises, coalisées contre les Romains, transportées d’admiration pour les talents que Vercingétorix venait de déployer, lui décernèrent unanimement le titre de roi[1]. Ce héros goûta ainsi la jouissance la plus douce qu’un grand cœur puisse désirer, celle de ne devoir son élévation qu’à la juste reconnaissance de ses compatriotes, et aux éminents services qu’il leur avait rendus. Aucune tache de sang gaulois ne souilla la splendeur de son nouveau diadème, au lieu que le trône où César s’éleva, par tant de crimes, ne reposa que sur les cadavres de cent quatre-vingt-dix mille Romains immolés à sa dévorante ambition. L’avenir s’offrait donc rayonnant de gloire aux yeux de Vercingétorix ; le proconsul, au contraire, inquiet de l’issue d’une campagne qui s’était ouverte pour lui sous les plus brillants auspices, n’apercevait, de quelque’ côté qu’il tournât ses regards, qu’un horizon assombri, des amis douteux, ou des ennemis acharnés. Il avait franchis l’Allier lorsque Eporédorix et Viridomar lui apprirent que Litavicus, suivi de la cavalerie éduenne, était déjà parti afin de soulever ses compatriotes contre les Romains. Comment ce général qui, après le massacre des Italiens marchant sous la protection de son convoi, s’était réfugié auprès de Vercingétorix, parvint-il à enlever les cavaliers de sa nation à César ? Le proconsul n’entre dans aucun détail à ce sujet ; mais ce fait prouve, ce que nous avons précédemment avancé, que le sentiment national chez les Éduens était hostile aux Romains ; et que Litavicus, sans commettre contre eux d’inutiles cruautés, n’aurait pas été désavoué par sa république s’il eût conduit directement à Gergovie ses dix mille fantassins. Eporédorix et Viridomar demandèrent à César l’autorisation de le devancer pour retenir leurs compatriotes dans son alliance. Quoiqu’il fût, dit-il, convaincu de leur perfidie, cependant il ne s’opposa point à leur départ ; car il ne voulait ni les blesser ni leur inspirer le soupçon que son âme éprouvât le moindre sentiment de crainte ; il leur rappela seulement de combien de bienfaits il s’était plu à combler les Éduens, et de quel état d’oppression il les avait retirés pour les élever à la fortune la plus éclatante. Eporédorix et Viridomar se dirigèrent sur Noviodunum[2], place forte des
Éduens, avantageusement située sur Cette nouvelle perfidie des Éduens, plus horrible que la première et plus inexcusable, encore, puisque César ne s’était pas vengé du pillage de son convoi et du meurtre de ses compatriotes par Litavicus, nous prouve jusqu’à quel point l’explosion des haines nationales est terrible, lorsqu’elles ont été excitées par la politique satanique d’un homme tel que lé proconsul. Eu toute autre circonstance, il eût exercé d’épouvantables représailles contre les Éduens, mais alors il s’était cru obligé de dissimuler pour ne pas les jeter dans le parti de Vercingétorix. En apprenant les massacres de Noviodunum, César se dirigea,
à marches forcées, sur On a vu que Labienus s’était séparé de César à Décétia. Il
marcha sur Agendicum, et y laissa ses bagages, ainsi que ceux du reste de l’armée,
sous la garde des recrues nouvellement arrivées d’Italie, et se dirigea vers
Lutèce, ville des Parisii, située dans une lie de La guerre prit bientôt des proportions plus considérables.
Les Éduens, selon les Commentaires,
firent aux nations gauloises, qui observaient encore la neutralité, des
offres d’argent et de brillantes promesses pour les décider à s’unir à eux,
les menaçant, en cas de refus, de mettre à mort les otages qu’elles avaient
livrés aux Romains, et dont Eporédorix et Viridomar s’étaient emparés à
Noviodunum. César alors, ne pouvant recevoir de secours ni d’Italie ni de Cependant Vercingétorix s’était transporté à Bibracte pour
y régler, avec les Éduens, la direction future des opérations de la guerre.
Oubliant les services qu’il avait rendus à la patrie commune, et la volonté
formellement exprimée des nations gauloises, dont il était l’élu, ses
nouveaux alliés osèrent lui disputer le commandement en chef. Vercingétorix
refusa de s’en dessaisir ; mais il offrit de soumettre le différend à une
assemblée générale des députés de Les Éduens, dit César, furent profondément affectés de la
décision des représentants de Proclamé de nouveau généralissime, Vercingétorix fixe aux
États, récemment entrés dans Le roi des Arvernes donna ensuite au frère d’Éporédorix le commandement de dix mille hommes d’infanterie, Éduens et Ségusiens[8], pour porter la guerre chez les Allobroges[9] ; huit cents cavaliers furent attachés à ce corps. Les Gobais et les cantons de l’Arvernie, limitrophes des Helviens, envahirent leur territoire, et les Ruténiens et les Cadurques répandirent la dévastation dans le pays des Volsques Arécomices. Malgré ses hostilités contre les Allobroges, Vercingétorix ne cessait de les solliciter, par de secrètes députations, de se déclarer en sa faveur. Il espérait que la dernière guerre qu’ils avaient eue avec Rome aurait laissé dans leurs cœurs des désira de vengeance qu’il serait possible d’enflammer. Il faisait des offres d’argent à leurs chefs, et leur promettait la souveraineté de toute la province. A tant d’attaques, le lieutenant L. César, chargé de la défense
de Cette cavalerie, l’élite de l’armée de la ligue,
n’admettait dans ses rangs que la noblesse gauloise, et avait une
organisation à peu près semblable à celle de la gendarmerie française au
moyen-âge. Aussi intrépide, mais aussi indisciplinée et aussi peu manœuvrière
qu’elle, sa fougue et sa témérité, lorsque la victoire semblait assurée à
Vercingétorix, furent la cause de la perte de ce grand homme, et de
l’indépendance de la nation. Ces nobles Gaulois, pour les assister dans les batailles,
avaient des serviteurs n’appartenant pas à leur caste, mais qui étaient de
condition libre[11],
quoique déshérités des biens de la fortune. Nous avons vu les chefs de cette
cavalerie réprimandés par Vercingétorix, à Noviodunum des Bituriges, parce
qu’ils avaient imprudemment engagé un combat contre les cavaliers dé César. Bientôt,
désobéissant de nouveau à leur général en chef, et croyant que tout est
possible à leur intrépidité, nous verrons ces généraux avec leurs seuls cavaliers,
oser attaquer quatre-vingt mille Romains[12], se faire battre
par eux, et rouvrir à César l’entrée de En ce moment, le proconsul ne pouvant plus subsister dans
un pays entièrement soulevé contre lui, et dévasté parles ordres de son
adversaire, dont les lieutenants, de trois côtés à la fois ; envahissaient Le discours que César prête à Vercingétorix a été composé
avec beaucoup d’art, et il faut avouer qu’il surabonde de raisons qui, au
premier coup d’œil, lui donnent une apparence de vérité : on s’aperçoit
qu’il est l’œuvre de l’homme qui entreprit, dans le sénat, la défense de
Catilina et de ses complices, et dont les arguments captieux allaient
infailliblement sauver la vie à des scélérats tels que lui, si la généreuse
audace de Caton n’eut foudroyé sa pernicieuse éloquence. Mais, en soumettant
les affirmations de César à l’analyse, elles ne supportent pas le plus léger
examen il est bien singulier ; en effet, que Vercingétorix, après avoir déclaré
aux représentants de Le lendemain du jour où
le conseil s’était tenu et où Vercingétorix avait rapproché son camp
de celui ces Romains, le proconsul poursuivait sa marche vers Les députés de Après la défaite de ses cavaliers, Vercingétorix retira son infanterie de devant ses retranchements, et se dirigea immédiatement vers Alésia[16], place forte des Mandubiens. Il fit sortir promptement ses bagages de ses camps et prescrivit de les faire marcher à la queue de la colonne d’infanterie. César établit les siens sur une colline voisine, et poursuivit Vercingétorix jusqu’à la nuit. Il parvint à tuer trois mille hommes de l’extrême arrière-garde de l’armée gauloise ; niais la faiblesse de cette perte prouve que son adversaire manœuvra avec habileté, en appuyant à propos les troupes qui soutenaient sa retraite. Cette opération s’exécuta sans désordre, et Vercingétorix alla prendre position sur la colline d’Alésia, au pied de laquelle César parut le lendemain. Ainsi le combat de cavalerie[17] dut se livrer à dix ou douze lieues, au plus, à l’orient d’Alésia. |
[1] Orose, lib. VI.
[2] Nevers (Nièvre).
[3] Paris.
[4]
Ce marais devait être formé par la rivière de Bièvre ou des Gobelins qui se
jette dans
[5] Melun (Seine-et-Marne).
[6] Les Ubiens, peuples de Cologne et d’autres que César ne comme pas (Com. de Bell. Gal., lib. IV, c. XVI et XVIII).
[7]
Rhemi,
les Rhémois (Marne) ; Lingones, les peuples de Langres (Haute-Marne) ; Treviri,
les Trévires, peuples de Trèves, sur
[8]
Segusiani,
les Ségusiens, habitants des départements de
[9]
Ils occupèrent
[10] La cavalerie que César avait recrutée chez les Germains était aussi très nombreuse. Appien d’Alexandrie la fait monter à dix mille chevaux (Bibliothèque historique et militaire ; Essai sur les milices romaines, tome II, p. 250, par MM. Liskenne et Sauvan). Toutes les éditions d’Appien n’étant pas complètes, nous n’avons pu vérifier cette citation dans le texte de l’auteur, mais MM. Liskenne et Sauvan sont très exacts.
[11] Diodore de Sicile, liv. V, c. XXIX, et César, Com. de Bell. Gal., lib. VI, c. XV.
[12]
César avait dix légions, entretenues aux frais de
[13] Duæ se acies ab duobus lateribus ostendunt, una primo agmine iter impedire cæpit (Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. LXVII). Que signifie cette contradiction ? Vercingétorix a annoncé à ses généraux de cavalerie que les Romains, probablement, s’empresseraient de se sauver en abandonnant leurs bagages (relictis impedimentis suæ saluti consulant, etc., Com. de Bel. Gal., lib. VII, c. LXVI). Mais comment pourront-ils fuir, puisque le général gaulois s’y oppose, en leur faisant barrer la route ? Donc Vercingétorix n’avait pas ordonné à Cotus d’attaquer l’armée romaine, mais simplement d’éclairer sa marche. Tout au plus pourrait-on inférer du récit des Commentaires, qu’il lui avait prescrit de la harceler en queue, sans trop s’engager, de manière à la forcer d’abandonner ses bagages ; et dans l’un ou l’autre cas, même selon César, Cotus a désobéi à Vercingétorix.
[14] Si qua in parte nostri laborare aut gravius premi videbantur, eo signa inferri Cæsar aciemque constitui jubebat (Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. LXVII). César était si peu inquiet du résultat de ce combat, qu’il n’avait pas même daigné déployer ses légions.
[15] Il permit qu’on lui décernât des honneurs qui dépassent les bornes des grandeurs humaines : il eut au sénat et au tribunal un siége d’or, et, dans les pompes du cirque, un char et un brancard sacrés, des temples, des autels, des statues côté de celles des Dieux, un coussin, un pontife et des prêtres lupurcaux (Suétone, Vie de César, c. LXXVI). Maintenant voici comment il permit qu’on lui décernât ces privilèges : Helylus Cinna, tribun du peuple, a avoué à beaucoup de monde qu’il avait rédigé et tenu toute prête une loi que, d’après l’ordre de César, il devait proposer en son absence. Cette loi lui permettait d’épouser les femmes à son gré, et tout autant qu’il en voudrait, pour en avoir des enfants (Ibid., id., c. LII).
[16] Alésia, aujourd’hui Alise Sainte-Reine, à trois lieues est de Sémur (Côte-d’Or). Les traditions mythologiques attribuaient la fondation d’Alésia à Hercule (Diodore de Sicile, liv. IV, c. XIX, et liv. V, c. XXIV). Les Mandubiens étaient une tribu des Éduens.
[17] C’est dans ce combat de cavalerie que, si l’on en croit Plutarque, les Arvernes enlevèrent l’épée de César ; mais nous avons observé, lors du siège de Gergovia, combien ce fait est peu vraisemblable. Un ancien commentateur de Virgile en affirmait un autre encore plus incroyable. Nous allons le rapporter, en transcrivant littéralement les paroles de Crévier qui l’a inséré dans son Histoire romaine faisant suite à celle de Rollin : Dans son journal (celui de César) qui semble devoir être distingué de ses Commentaires, et qui est perdu depuis plusieurs siècles, il racontait lui-même, selon le témoignage de l’ancien commentateur de Virgile, qu’il avait été pris dons la mêlée, et que déjà un Gaulois l’emportait tout armé sur son cheval, mais qu’on autre Gaulois, qui était sans doute un officier supérieur, l’ayant vu en cet état ; s’étant mis à hurler pour lui insulter : César ! César ! L’ambiguïté de ce mot, qui signifiait en langue celtique : relâchez-le, mettez-le en liberté, fut cause que celui qui le tenait prisonnier le laissa aller.
Ce dernier fait n'est guère vraisemblable, et je ne sais si l’autorité du grammairien que j'ai cité est assez grande pour nous le faire recevoir (Crévier, Hist. rom., c. XLII).