Roi des Arvernes
An de R. 700. — Av. J.-C. 52. Cependant Vercingétorix poursuivait le cours de ses
négociations avec les chefs des nations gauloises : ses députés leur
représentaient que le moment était venu où Riais de nombreuses difficultés s’opposaient au succès de
cette négociation : d’abord le proconsul, eu délivrant les Éduens de
l’invasion des Helvétiens, et du tribut que leur avait imposé Arioviste,
s’était acquis des droits à leur reconnaissance ; et de plus, comme il avait
certainement rempli le sénat de Bibracte de ses pensionnaires et de ses
créatures, il ne semblait pas possible d’amener le conseil public des Éduens
à renoncer à l’alliance de Rome. Il est bien vrai que César ne s’était pas
armé contre les Helvétiens uniquement pour les punir des ravages qu’ils
exerçaient dans le pays des Éduens ; mais parce qu’ils l’avaient attaqué à
Genève, et afin de les empêcher d’aller à établir en Saintonge, contrée
voisine de Toulouse, alors soumis aux Romains. Carle proconsul pensait que la
proximité d’un peuple aussi belliqueux que les Helvétiens des établissements
de Rome dans Enfin Convictolitan, auquel, ainsi que nous l’avons
précédemment rapporté, le proconsul avait déféré la souveraine magistrature
des Éduens, prêta l’oreille aux propositions de Vercingétorix, et résolut de
rompre avec les Romains. Eclairé sur l’ambition de César qui, avant son
départ pour Gergovia, ne s’était nullement mis en peine de dissimuler sa
résolution d’asservir entièrement la Gaule[4], il jugea qu’il
n’e fallait pas perdre de temps pour s’opposer à ses desseins : car de quel
peuple les Romains de ce siècle respectaient-ils l’indépendance ? De
quel outrage s’étaient rendus coupables envers le proconsul les Armoricains[5] et tant d’autres
peuples gaulois, auxquels il avait ravi la liberté ? Convictolitan
pouvait-il douter que la chute de César avait demandé aux Éduens toute leur cavalerie et dix
mille fantassins comme auxiliaires dans sa guerre contre les Arvernes. Les
cavaliers partirent en même temps que le proconsul ; mais l’infanterie, qui
devait lui amener un grand convoi de vivres, ne s’était pas encore mise en
marche. Si l’on en croit les Commentaires,
Convictolitan, après avoir reçu de Vercingétorix une somme d’argent, l’aurait
partagée avec Litavicus et plusieurs autres jeunes hommes des plus illustres
familles des Éduens. Ce fait semble peu probable, parce que le roi des
Arvernes, obligé d’entretenir une nombreuse armée et de ravager le territoire
de sa patrie pour affamer l’armée romaine, n’avait pas de trésors à répandre,
tandis que César, ayant pillé les villes les plus riches et les plus
florissantes des Gaules, était bien plus en état que son adversaire d’acheter,
au poids de l’or, l’amitié de Convictolitan. D’ailleurs, la guerre de barbare
que le proconsul faisait aux Gaulois suffisait pour les animer tous contre lui
d’une profonde haine, Le premier magistrat des Éduens, en cette circonstance,
dut être guidé par son patriotisme, et il ne dut associer à ses desseins que
des hommes dont le dévouement à la gloire et à la liberté de Convictolitan ayant donc réuni ses confidents, leur adressa
la parole en ces termes : Souvenez-vous que vous
appartenez à une nation libre et faite pour commander[6]. Les Éduens seuls, par l’influence de tour exemple,
retiennent les autres peuples dans l’alliance des Romains et retardent la
victoire assurée de leurs compatriotes. Mais que notre république change de
parti, et l’armée romaine n’aura plus aucun lieu de refuge dans Ce discours du premier magistral des Éduens comparé aux
circonstances dans lesquelles il le prononça, alors que les Arvernes, sur le
triomphe desquels reposait toute l’espérance de la liberté de Les soldats éduens poussent des cris d’indignation et supplient leur commandant d’adopter une résolution. Mais il n’y a pas à délibérer, reprend Litavicus, et il ne nous reste d’autre ressource que de nous rendre à Gergovia et de nous réunir aux Arvernes : car il est indubitable que, après s’être souillés d’un si noir forfait, les Romains ne tarderont pas à paraître pour nous égorger nous-mêmes. S’il reste quelque courage dans nos âmes, vengeons, sur des brigands, l’indigne assassinat de nos concitoyens. Litavicus montre en même temps à ses soldats les Romains qui voyageaient sous l’escorte du convoi et les fait mettre à mort dans les plus cruels supplices. Il envoie aussitôt des messagers à toutes les villes des Éduens, afin de leur annoncer la fausse nouvelle du massacre de leur cavalerie et de leur noblesse, et il les exhorte à l’imiter dans la vengeance qu’il en a tirée. Il est impossible d’approuver le moyen, contraire à la morale, dont se servirent Convictolitan et Litavicus pour amener une rupture entre leur patrie et les Romains. Mais, d’autre part, il faut considérer que si Convictolitan eût mis en délibération dans le sénat de Bibracte la proposition de leur déclarer la guerre, il aurait éprouvé d’extrêmes difficultés à réussir. Le proconsul nous l’avons déjà fait observer, avait sans doute acheté le dévouement des plus influents sénateurs éduens, et le druide Divitiacus, très puissant dans sa patrie, était un partisan déclaré de l’alliance avec les Romains, et de plus l’ami particulier de César. Nos paroles ne reposent pas sur de vaines suppositions, puisqu’elles s’appuient sur la politique constante du proconsul qui, grâce à ses rapines, disposant d’immenses richesses, répandait l’or à pleines mains dans Rome et ne laissait parvenir aux dignités de la république que des hommes entièrement soumis à ses volontés[7]. Chez les Gaulois, il ne s’écartait pas de cette ligne de
conduite ; et l’on voit qu’il rétablissait dans leur ancienne autorité les
familles déchues du pouvoir, afin de paralyser l’influence de celles qui, à
son arrivée dans les Gaules, en étaient oit possession. De cette manière, il jetait
des semences de division parmi les Gaulois et se créait des alliés dont la
fidélité devait être d’autant plus inébranlable, que s’il eût retiré la main
qui les soutenait ils seraient tombés à l’instant même. Les Gaulois,
parfaitement fixés alors sur la politique perfide de César, et se souvenant
que, après avoir déclaré au roi Arioviste qu’il fallait, suivant le décret du
sénat romain, laisser Néanmoins, Convictolitan ne devait pas ordonner à Litavicus
d’égorger les citoyens romains qui marchaient sous la protection de la foi
jurée, mais lui prescrire, au contraire, de les renvoyer au proconsul et de lui
signifier que les Éduens allaient lui déclarer la guerre, s’il n’évacuait pas
immédiatement César, chez les Éduens comme dans Rome, disputait les honneurs et les dignités. Deux jeunes hommes de cette nation, Eporédorix, d’une famille illustre et très puissante, et Viridomar, du même âge que lui et jouissant d’une aussi grande influence, mais dont la naissance était moins éclatante, sur l’invitation formelle du proconsul, l’avaient suivi avec la cavalerie de leur nation au siége de Gergovia. A la recommandation de Divitiacus, César s’était plu à tirer Viridomar d’une situation humble et ignorée pour l’élever aux emplois les plus brillants. Eporédorix et lui se disputaient le premier rang ; et, dans l’élection à la souveraine magistrature, ils avaient déployé tout leur pouvoir, l’un en faveur de Convictolitan et l’autre dans l’intérêt de Cotus. Eporédorix, informé des desseins de Litavicus, en donne avis à César, au milieu de la nuit, et le supplie de ne pas souffrir que l’alliance entre les Romains et ses compatriotes soit rompue par la perfidie de quelques jeunes gens ; de qui arrivera infailliblement si tant de milliers d’Éduens se joignent à Vercingétorix, car ni leurs parents ni leurs concitoyens ne feront assez peu de cas de leur vie pour l’exposer, en n’imitant pas leur exemple, à la vengeance des Arvernes. A cette nouvelle, César n’hésite pas ; et, comprenant que le succès dépend de la promptitude, sans perdre de temps à diminuer l’étendue de ses retranchements, il prend quatre légions, toute sa cavalerie, laisse leurs bagages dans le camp, en confie la garde à son lieutenant C. Fabius, et vole à la rencontre des Éduens. Avant de partir, il avait ordonné l’arrestation des frères de Litavicus. Mais déjà ils s’étaient réfugiés auprès de Vercingétorix, dans Gergovie. Les soldats de César, enflammés par ses paroles ; se prêtèrent courageusement aux fatigues de cette marche rapide et nécessaire ; et, dès qu’ils eurent parcouru vingt-cinq mille pas, Es découvrirent la colonne de Litavicus. Le proconsul aussitôt lance contre elle la cavalerie en lui recommandant, toutefois, de ne tuer personne, et de se borner à empêcher les Éduens de s’échapper. Eporédorix et Viridomar, que leurs compatriotes croyaient morts, se montrent au milieu des cavaliers romains, et appellent leurs amis par leurs noms. Les Éduens alors, reconnaissant la fourberie de Litavicus, tendent les mains à César, jettent leurs armes et le supplient de ne pas les faire mourir. Litavicus, accompagné de ses clients, car chez les Gaulois c’était un crime capital d’abandonner ses patrons, même dans les plus grands périls, s’enfuit en toute hâte à Gergovie. Le proconsul envoya immédiatement des courriers à Bibracte, afin de prévenir le sénat de cette ville que maître, parle droit de la guerre, d’ôter la vie à ses soldats, il les avait cependant épargna. Il reprit ensuite le chemin de Gergovie, après avoir donné trois heures de repos à ses troupes. Au point du jour qui suivit le départ du proconsul se rendant au-devant des Éduens, Vercingétorix descendit de Gergovie, et attaqua les retranchements de Fabius. Les Romains soutinrent vigoureusement le choc ; mais, le général gaulois renouvelant sans cesse ses troupes, les légions de Fabius, accablées de fatigues, à cause de la vaste étendue des camps qu’elles étaient obligées de défendre, coururent les plus graves périls. Les archers gaulois les accablaient de flèches et de toute espèces de traits, en sorte qu’elles eurent un très grana nombre de blessés. Mais les machines[9] de guerre, dont les remparts des camps romains étaient bordés, décidèrent la victoire en faveur de Fabius. Les Gaulois, écrasés par leurs projectiles, finirent par se retirer ; et le lieutenant de César, redoutant que l’attaque ne se renouvelât le lendemain, fit clore les portes du camp, excepté deux, et ajouter un parapet au rempart. César, instruit de ces événements par des cavaliers de Fabius, qui le joignirent à moitié chemin de Gergovia, au lieu où il avait rencontré les Éduens, accéléra sa marche et, secondé par l’énergie de ses soldats, il rentra dans son camp avant le lever du soleil. Pendant ce temps, les Éduens avaient reçu les lettres de Litavicus. Aussitôt, et sans délibérer, ils tuent les Romains établis chez eux, ou les réduisent en servitude, ou les forcent à quitter le pays. Convictolitan, afin de rendre impossible un accommodement avec les Romains, pousse ses concitoyens dans la voie de ces massacres. M. Aristius, tribun des soldats, qui rejoignait sa légion, est expulsé de la ville de Cabillon[10], ainsi que les négociants romains qui s’y étaient provisoirement fixés pour leur commerce. Ils sont attaqués en route et dépouillés de leurs bagages. Enfin les partisans de la guerre et ceux de Rome en viennent nuit et jour aux mains ; beaucoup de sang est versé de part et d’autre ; et les troubles ne font que s’accroître. Mais les courriers de César étant alors arrivés à Bibracte, les chefs des Éduens, apprenant qu’il est maître de leurs soldats, accourent vers le tribun M. Aristius, et allèguent, pour s’excuser des attentats commis contre les Romains, que l’autorité publique n’en a pas été complice, et qu’ils sont uniquement l’effet des passions sauvages de la multitude. Ils ordonnent une enquête sur le pillage des biens des citoyens romains, mettent en vente ceux de Litavicus et de ses frères, et envoient des députés à César. Le proconsul les reçut très bien, et leur assura que les
mouvements inconsidérés d’une multitude ignorante ne l’engageraient jamais à
rien diminuer de son amitié pour les Éduens. Mais il comprit qu’il ne pouvait
plus compter sur leur alliance ; car tout en lui faisant des protestations de
dévouement, afin de recouvrer leurs soldats, ils se préparaient secrètement à
la guerre, envoyaient des députations aux autres peuples, et les
sollicitaient de s’unir à eux contre les Romains. La rupture était donc
imminente, quoique de part et d’autre on dissimulât pour mieux se tromper.
César, séparé de Labienus par une distance de cent lieues, craignait d’être
bientôt entouré sous les murs de Gergovia par les troupes de Ainsi les promesses du roi des Arvernes à son conseil sont
près de se réaliser, et le proconsul n’aura plus un seul peuple qui lui prête
son appui dans |
[1] Com. de Bell. Gal., lib. I, c. X.
[2] Com. de Bell. Gal., lib. I, c. XXXIII.
[3] Cette défaite des Romains eut lieu chez les Allobroges, l’an 645 de Rome ; le consul L. Cassius y perdit la vie ainsi que L. Pison, personnage consulaire, aïeul de L. Pison, beau-père de César.
[4] Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. XXXIV.
[5]
Com. de Bell. Gal., lib. II, c.
XXXIV. Les Armoricains occupaient
[6] Convictolitan n’avait pas besoin de parler de gloire ni de liberté aux conjurés, s’il s’était assuré, à prix d’or, de leur dévouement ; et cependant, dans le discours que lui prête César, il ne leur tient que ce langage.
[7] Il s’appliqua spécialement à rendre toujours responsables les magistrats de chaque année ; à ne seconder et à ne laisser parvenir aux honneurs que ceux qui s’engageraient é le défendre en son absence (Suétone, Vie de César, c. XXIII). Tous ceux qui l’approchaient, et même beaucoup de membres du sénat, étaient ses débiteurs, ou sans intérêt ou pour l’intérêt le plus modique (Id., id., c. XXVII, et Plutarque, Vie de César, c. XXXII).
[8] Com. de Bell. Gal., liv. I, c. XLV.
[9] Ad hæc sustinanda magno usui fuisse tormenta (Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. XLII).
[10] Châlons-sur-Saône (Saône-et-Loire).