Roi des Arvernes
An de R. 700. - Av. J.-C. 52. Cependant les attaques contre Avaricum devenaient de plus en plus vives, et le général romain ne négligeait aucun moyen pour triompher de la résistance des assiégés. A l’intrépidité extraordinaire de nos soldats, dit César, les Gaulois, doués d’une intelligence supérieure, et possédant, au suprême degré, la faculté d’imiter et d’exécuter ce qu’ils ont vu pratiquer par les autres peuples, opposaient les artifices les plus ingénieux. En effet, ils se servaient de lacets pour détourner les
faux murales ; et, lorsqu’ils étaient parvenus à les saisir, ils les
attiraient .à eux à l’aide de câbles. Ils creusèrent une galerie souterraine
sous une terrasse, élevée par les Romains, et la firent écrouler. Le combat qui avait commencé après Nous fûmes témoins, dit-il, d’un événement que nous avons cru digne d’être transmis à la postérité : Un Gaulois, devant une porte de la ville, jetait au feu, dans la direction de nos tours, des boules de suif et poix, qu’on lui transmettait de main en main. Il tombe mort, percé au flanc droit par le trait d’un scorpion[1] ; son voisin s’élance par-dessus son corps et le remplace ; il est frappé à son tour ; un troisième lui succède ; puis un quatrième ; et enfin la place ne resta inoccupée que lorsque nous eûmes éteint le feu à la terrasse, et entièrement rejeté l’ennemi dans la ville. Tant de bravoure méritait d’être couronnée du plus éclatant succès ! Mais l’ange de la mort, guidé par l’infernal génie qui dirigeait l’armée romaine, planait au-dessus des murs d’Avaricum. Vercingétorix, dont la sollicitude s’étendait sur ses défenseurs, ayant appris le résultat du dernier combat, leur ordonna d’évacuer la ville. Les Gaulois furent contraints de s’y résigner, et résolurent d’exécuter cette retraite pendant la nuit, espérant qu’elle ne leur coûterait pas des pertes trop considérables, parce que le camp de leur généralissime n’était pas éloigné, et que les Romains seraient obligés de contourner le marais, et par conséquent retardés dans leur poursuite. Mais au moment où, au milieu des ténèbres, les assiégés s’apprêtent à partir, les mères de famille, s’attroupant sur la place publique, se jettent, en larmes, à leurs pieds, et les conjurent de ne pas livrer à la furie d’impitoyables vainqueurs leurs femmes et leurs enfants, que la faiblesse naturelle ou celle de l’âge empêche de chercher leur salut dans la fuite. Voyant leurs époux inébranlables, car dans les périls extrêmes, dit César, la crainte rend inaccessible à la pitié, les femmes, poussant de grands cris, signalent aux Romains la résolution des Gaulois. Ceux-ci alors, redoutant que les passages ne soient interceptés par la cavalerie ennemie, renoncent à leur projet. Le lendemain, César fit avancer une de ses tours, et il indiquait à ses officiers les ouvrages à exécuter lorsque éclata un violent orage. Il le jugea favorable à la réussite d’un dessein conçu par lui à l’instant même, parce qu’il s’aperçut que les sentinelles, à cause de la pluie, gardaient, avec un peu moins de soin, les murailles de la ville. Afin d’endormir de plus en plus la vigilance des Gaulois, il ordonna à ses soldats de ralentir leurs travaux, comme s’ils y eussent été contraints par la force de la tempête. Le proconsul découvre alors son projet aux légions, en armes, cachées derrière les mantelets, et les exhorte à recueillir enfin le fruit de tant de fatigues ; il fait briller à leurs yeux les récompenses destinées à ceux qui, les premiers, escaladeront la muraille, et donne le signal de l’assaut. Les soldats romains s’élancèrent avec tant de rapidité qu’un instant après ils eurent couronné les remparts d’Avaricum. Surpris par cette attaque imprévue, les Gaulois furent
promptement chassés et des tours et de la muraille ; mais ils se rallièrent
sur la place publique, dans les endroits assez spacieux pour les contenir, et
s’y rangèrent en force de coin, résolus à livrer bataille à l’armée romaine,
par laquelle ils s’attendaient à être assaillis de front. Cette erreur causa
leur perte : en effet, les soldats romains, au lieu de descendre des
remparts, se prolongèrent autour de leur enceinte, afin d’enfermer les
Gaulois dans un cercle de fer. A cette vue, ces derniers, craignant que toute
retraite ne leur soit fermée, jettent leurs armes, rompent leurs rangs, et
courent, en désordre, vers l’extrémité de la ville la plus éloignée. Ceux qui
parvinrent à gagner la campagne tombèrent sous les sabres de la cavalerie
romaine ; un grand nombre d’entre eux s’étouffèrent en se pressant à des
portes trop étroites, et l’infanterie des légions massacra les autres. Tout fut égorgé sans pitié, car nos soldats,
dit le proconsul, excités par le souvenir du
meurtre des citoyens romains à Genabum, et par les fatigues du siège, ne
pardonnèrent ni à la vieillesse, ni aux femmes, ni même aux enfants à la
mamelle. Quarante mille personnes se trouvaient dans Avaricum au
moment de sa prise ; huit cents, à peine, arrivèrent sans blessures au camp
de Vercingétorix. Elles durent ce bonheur, si toutefois c’en était un que de
survivre à la ruine de leur patrie et de leurs concitoyens, à la promptitude
avec laquelle elles prirent la fuite aux premiers cris des Romains pénétrant
dans Avaricum. Vercingétorix avait envoyé ses amis et les principaux chefs de
Ainsi tomba Avaricum par la négligence et l’impéritie du commandant des Gaulois : si, bravant un vain orage, il se fût , comme le général romain, tenu près des murailles, entouré d’une partie de ses troupes en armes, tout en conservant les autres en réserve dans un emplacement assez peu éloigné pour qu’elles pussent .participer à temps au combat, en cas d’assaut de la part des Romains ; s’il eût veillé à ce que les sentinelles remplissent exactement leur devoir, le proconsul ne se serait pas emparé de la ville par une surprise qui ne doit jamais réussir contre un officier actif et intelligent. Les soldats de la ville réunis à ceux de la garnison présentaient certainement un effectif de vingt mille combattants[2]. En combinant les heures de repos et de garde de manière que ces troupes alternassent les unes avec les autres dans ce service, elles auraient suffi, sans se fatiguer, à tous les besoins ; parce que le front d’attaque n’étant pas étendu, il ne fallait que des forces peu considérables pour soutenir le premier choc des Romains. Même quand ils eurent pénétré dans la ville, ils auraient acheté bien cher la victoire, si le chef des Gaulois eût été un homme de tête et de cœur. Sa perte était inévitable sans doute, mais, du moins, il serait mort glorieusement, et en réparant la faute de s’être laissé surprendre. Il en fit une bien plus grande encore en ne maintenant pas ses soldats sous le drapeau, et en leur donnant peut-être l’exemple de fuir vers la campagne, où ils ne pouvaient échapper au fer des cavaliers romains. Car s’il ne se fût pas troublé, s’il eût montré à ses Gaulois qu’il ne leur restait plus qu’à vaincre ou à mourir, leur résolution désespérée aurait coûté des flots de sang à leurs ennemis. Comment Vercingétorix confia-t-il la défense d’Avaricum à un pareil officier ? Ce choix dut lui être imposé par les Bituriges, jaloux d’avoir pour gouverneur d’Avaricum un chef de leur nation. Dans les armées gauloises, les grades étaient exclusivement l’apanage de la haute naissance, souvent dépourvue de capacité. Il n’est donc pas étonnant que des catastrophes, semblables à celle qui frappa alors la ligue celtique, en fussent le résultat ; chez les Romains, au contraire, tout soldat qui déployait du talent et de la bravoure, pouvait parvenir aux premiers emplois de la légion, et même au commandement eu chef. Cette seule différence, dans l’organisation des deux armées, constituait en faveur des Romains un immense avantage. César, sentant que la cruauté sauvage qu’il déploya contre Avaricum est indigne du général d’un peuple civilisé, s’est efforcé d’en faire retomber la honte sur les passions vindicatives de ses soldats. Mais il exerçait sur eux une puissance absolue ; et jamais, pendant ses campagnes des Gaules, ni même dans la guerre civile, où il avait tant d’intérêt à les ménager, il ne toléra de leur part aucun acte d’insubordination. Il fit même décimer, à Plaisance, la neuvième légion qui s’était révoltée, parce qu’il s’opposait à ce qu’elle se livrât au pillage. Cependant alors, simple chef de parti, armé contre les lois, de Rome, il n’avait pas encore triomphé de Pompée. C’est donc César, et uniquement César, qui doit être responsable, aux yeux de la postérité, du sanglant massacre d’Avaricum. Ces exécutions, d’ailleurs, étaient en harmonie avec le système politique adopté par lui dans les Gaules, qu’il voulait amener à une entière soumission par la terreur, dut-il pour parvenir à son but en exterminer tous les habitants ! Ajoutons que, dans le sac d’Avaricum, le général romain put satisfaire cette soif inextinguible de richesses qui le dévorait[3]. |
[1] Le scorpion, d’après Végèce, était une arbalète. Malgré la finesse et la légèreté des traits qu’elle lance, elle ne laisse pas, dit-il, d’être très meurtrière. Végèce, liv. IV, c. XXII.
[2] Vercingétorix jeta deux fois des troupes dans Avaricum : dix mille hommes d’élite, après s’être justifié de la trahison dont on l’accusait ; mais César ne fait pas connaître, la force du détachement que le général gaulois Introduisit dans la ville au commencement du siège. Ces deux corps, réunis aux combattants fournis par la population, devaient élever les défenseurs de la cité au nombre de vingt mille.
[3] Dans les Gaules, il pilla les temples des Dieux qui étaient remplis de riches offrandes. Il détruisit les villes plutôt pour y faire du butin qu’en punition de quelque faute (Suétone, Vie de J. César).