HISTOIRE DE VERCINGÉTORIX

Roi des Arvernes

 

CHAPITRE VII.

 

An de R. 700. - Av. J.-C. 52.

Cependant les attaques contre Avaricum devenaient de plus en plus vives, et le général romain ne négligeait aucun moyen pour triompher de la résistance des assiégés.

A l’intrépidité extraordinaire de nos soldats, dit César, les Gaulois, doués d’une intelligence supérieure, et possédant, au suprême degré, la faculté d’imiter et d’exécuter ce qu’ils ont vu pratiquer par les autres peuples, opposaient les artifices les plus ingénieux.

En effet, ils se servaient de lacets pour détourner les faux murales ; et, lorsqu’ils étaient parvenus à les saisir, ils les attiraient .à eux à l’aide de câbles. Ils creusèrent une galerie souterraine sous une terrasse, élevée par les Romains, et la firent écrouler. La Gaula alors surabondant de grandes mines de fer, ses habitants avaient une parfaite connaissance et l’habitude des travaux qui ont rapport à leur exploitation ; et cette science leur donna la facilité de retarder les opérations du siége. Bientôt même les murs d’Avaricum, dans toute leur étendue, se couronnèrent de tours en bois, recouvertes de peaux d’animaux, qui les préservaient de l’incendie. Nuit et jour, les assiégés faisaient des sorties, et tandis que les uns attaquaient les Romains, au milieu de leurs ouvrages, les autres mettaient le feu à la terrasse. En vain César la rétablissait-t-il en lui donnant toujours plus d’élévation, pour augmenter celle des tours qu’elle supportait, les Gaulois ajoutant des étages aux leurs, les tenaient au niveau de celles des Romains ; aux mines de César ils opposaient des contre-mines, qu’ils fermaient avec d’énormes pierres ; ils y plantaient des pieux, brûlés et aiguisés par le bout ; et, couvrant les assiégeants de poix bouillante ,ils les écrasaient sous une grêle de projectiles et les empêchaient d’approcher des murs d’Avaricum. Malgré la boue, le froid et des pluies fréquentes, les soldats romains déployèrent tant d’énergie et de persévérance qu’en vingt-cinq jours ils construisirent une nouvelle terrasse de trois cent trente pieds de large, sur une hauteur de quatre-vingt. Elle touchait presque aux murailles de la ville ; et César, selon son habitude, était au milieu de ses soldats, pour les encourager à travailler sans relâche, lorsqu’il s’aperçut tout à coup qu’une fumée s’échappait de la terrasse, à laquelle les Gaulois avaient mis le feu, en pratiquant une mine au dessous. En même temps une immense clameur s’élève du sommet des murs de la ville. Les Gaulois s’en élancent par deux portes, et attaquent les flancs des tours, pendant que ceux qui gardent le rempart jettent sur la terrasse des torches enflammées, du bois sec, de la poix et toutes sortes de matières propres à activer l’incendie. Dans la confusion qui résulta de cette sortie inopinée, César ne pouvait pas facilement distinguer sur quels points devaient être dirigés les premiers secours. Riais il se laissait rarement surprendre : d’après ses ordres, deux de ses légions, en armes, veillaient toujours devant ses retranchements. Elles se précipitèrent suries Gaulois et furent soutenues par plusieurs autres, employées alors aux travaux du siége. Les Romains se trouvèrent ainsi promptement en mesure do résister à la sortie, d’éloigner les tours des murailles et de couper la terrasse, afin de la préserver d’une entière destruction. D’ailleurs, toute l’armée accourut pour aider à éteindre l’incendie.

Le combat qui avait commencé après minuit, se prolongea, avec acharnement, jusqu’au jour ; car les Gaulois étant parvenus à réduire en cendres les claies qui protégeaient les tours, voyaient que les Romains ne pouvaient sans danger se porter en avant pour les secourir ; de plus, la garnison de la ville pensait que le salut de la Gaule dépendait de la conservation d’Avaricum ; et ces motifs, réunis, contribuaient à exalter son courage. Mais l’immense supériorité num6rique des Romains, et les terribles effets de leurs machines de guerre leur donnaient de si grands avantages sur les Gaulois, que l’issue de la lutte ne pouvait être incertaine, quoique les assiégés déployassent une intrépidité qui a arraché à César lui-même un cri d’admiration.

Nous fûmes témoins, dit-il, d’un événement que nous avons cru digne d’être transmis à la postérité : Un Gaulois, devant une porte de la ville, jetait au feu, dans la direction de nos tours, des boules de suif et poix, qu’on lui transmettait de main en main. Il tombe mort, percé au flanc droit par le trait d’un scorpion[1] ; son voisin s’élance par-dessus son corps et le remplace ; il est frappé à son tour ; un troisième lui succède ; puis un quatrième ; et enfin la place ne resta inoccupée que lorsque nous eûmes éteint le feu à la terrasse, et entièrement rejeté l’ennemi dans la ville.

Tant de bravoure méritait d’être couronnée du plus éclatant succès ! Mais l’ange de la mort, guidé par l’infernal génie qui dirigeait l’armée romaine, planait au-dessus des murs d’Avaricum. Vercingétorix, dont la sollicitude s’étendait sur ses défenseurs, ayant appris le résultat du dernier combat, leur ordonna d’évacuer la ville. Les Gaulois furent contraints de s’y résigner, et résolurent d’exécuter cette retraite pendant la nuit, espérant qu’elle ne leur coûterait pas des pertes trop considérables, parce que le camp de leur généralissime n’était pas éloigné, et que les Romains seraient obligés de contourner le marais, et par conséquent retardés dans leur poursuite. Mais au moment où, au milieu des ténèbres, les assiégés s’apprêtent à partir, les mères de famille, s’attroupant sur la place publique, se jettent, en larmes, à leurs pieds, et les conjurent de ne pas livrer à la furie d’impitoyables vainqueurs leurs femmes et leurs enfants, que la faiblesse naturelle ou celle de l’âge empêche de chercher leur salut dans la fuite. Voyant leurs époux inébranlables, car dans les périls extrêmes, dit César, la crainte rend inaccessible à la pitié, les femmes, poussant de grands cris, signalent aux Romains la résolution des Gaulois. Ceux-ci alors, redoutant que les passages ne soient interceptés par la cavalerie ennemie, renoncent à leur projet.

Le lendemain, César fit avancer une de ses tours, et il indiquait à ses officiers les ouvrages à exécuter lorsque éclata un violent orage. Il le jugea favorable à la réussite d’un dessein conçu par lui à l’instant même, parce qu’il s’aperçut que les sentinelles, à cause de la pluie, gardaient, avec un peu moins de soin, les murailles de la ville. Afin d’endormir de plus en plus la vigilance des Gaulois, il ordonna à ses soldats de ralentir leurs travaux, comme s’ils y eussent été contraints par la force de la tempête. Le proconsul découvre alors son projet aux légions, en armes, cachées derrière les mantelets, et les exhorte à recueillir enfin le fruit de tant de fatigues ; il fait briller à leurs yeux les récompenses destinées à ceux qui, les premiers, escaladeront la muraille, et donne le signal de l’assaut. Les soldats romains s’élancèrent avec tant de rapidité qu’un instant après ils eurent couronné les remparts d’Avaricum.

Surpris par cette attaque imprévue, les Gaulois furent promptement chassés et des tours et de la muraille ; mais ils se rallièrent sur la place publique, dans les endroits assez spacieux pour les contenir, et s’y rangèrent en force de coin, résolus à livrer bataille à l’armée romaine, par laquelle ils s’attendaient à être assaillis de front. Cette erreur causa leur perte : en effet, les soldats romains, au lieu de descendre des remparts, se prolongèrent autour de leur enceinte, afin d’enfermer les Gaulois dans un cercle de fer. A cette vue, ces derniers, craignant que toute retraite ne leur soit fermée, jettent leurs armes, rompent leurs rangs, et courent, en désordre, vers l’extrémité de la ville la plus éloignée. Ceux qui parvinrent à gagner la campagne tombèrent sous les sabres de la cavalerie romaine ; un grand nombre d’entre eux s’étouffèrent en se pressant à des portes trop étroites, et l’infanterie des légions massacra les autres. Tout fut égorgé sans pitié, car nos soldats, dit le proconsul, excités par le souvenir du meurtre des citoyens romains à Genabum, et par les fatigues du siège, ne pardonnèrent ni à la vieillesse, ni aux femmes, ni même aux enfants à la mamelle. Quarante mille personnes se trouvaient dans Avaricum au moment de sa prise ; huit cents, à peine, arrivèrent sans blessures au camp de Vercingétorix. Elles durent ce bonheur, si toutefois c’en était un que de survivre à la ruine de leur patrie et de leurs concitoyens, à la promptitude avec laquelle elles prirent la fuite aux premiers cris des Romains pénétrant dans Avaricum. Vercingétorix avait envoyé ses amis et les principaux chefs de la Gaule à la rencontre de ces fuyards ; mais, appréhendant que le spectacle de leur infortune n’excitât une sédition dans son armée, il attendit la nuit pour les recevoir, et les fit distribuer dans les bivouacs de leurs nations respectives.

Ainsi tomba Avaricum par la négligence et l’impéritie du commandant des Gaulois : si, bravant un vain orage, il se fût , comme le général romain, tenu près des murailles, entouré d’une partie de ses troupes en armes, tout en conservant les autres en réserve dans un emplacement assez peu éloigné pour qu’elles pussent .participer à temps au combat, en cas d’assaut de la part des Romains ; s’il eût veillé à ce que les sentinelles remplissent exactement leur devoir, le proconsul ne se serait pas emparé de la ville par une surprise qui ne doit jamais réussir contre un officier actif et intelligent. Les soldats de la ville réunis à ceux de la garnison présentaient certainement un effectif de vingt mille combattants[2]. En combinant les heures de repos et de garde de manière que ces troupes alternassent les unes avec les autres dans ce service, elles auraient suffi, sans se fatiguer, à tous les besoins ; parce que le front d’attaque n’étant pas étendu, il ne fallait que des forces peu considérables pour soutenir le premier choc des Romains. Même quand ils eurent pénétré dans la ville, ils auraient acheté bien cher la victoire, si le chef des Gaulois eût été un homme de tête et de cœur. Sa perte était inévitable sans doute, mais, du moins, il serait mort glorieusement, et en réparant la faute de s’être laissé surprendre. Il en fit une bien plus grande encore en ne maintenant pas ses soldats sous le drapeau, et en leur donnant peut-être l’exemple de fuir vers la campagne, où ils ne pouvaient échapper au fer des cavaliers romains. Car s’il ne se fût pas troublé, s’il eût montré à ses Gaulois qu’il ne leur restait plus qu’à vaincre ou à mourir, leur résolution désespérée aurait coûté des flots de sang à leurs ennemis. Comment Vercingétorix confia-t-il la défense d’Avaricum à un pareil officier ? Ce choix dut lui être imposé par les Bituriges, jaloux d’avoir pour gouverneur d’Avaricum un chef de leur nation. Dans les armées gauloises, les grades étaient exclusivement l’apanage de la haute naissance, souvent dépourvue de capacité. Il n’est donc pas étonnant que des catastrophes, semblables à celle qui frappa alors la ligue celtique, en fussent le résultat ; chez les Romains, au contraire, tout soldat qui déployait du talent et de la bravoure, pouvait parvenir aux premiers emplois de la légion, et même au commandement eu chef. Cette seule différence, dans l’organisation des deux armées, constituait en faveur des Romains un immense avantage.

César, sentant que la cruauté sauvage qu’il déploya contre Avaricum est indigne du général d’un peuple civilisé, s’est efforcé d’en faire retomber la honte sur les passions vindicatives de ses soldats. Mais il exerçait sur eux une puissance absolue ; et jamais, pendant ses campagnes des Gaules, ni même dans la guerre civile, où il avait tant d’intérêt à les ménager, il ne toléra de leur part aucun acte d’insubordination. Il fit même décimer, à Plaisance, la neuvième légion qui s’était révoltée, parce qu’il s’opposait à ce qu’elle se livrât au pillage. Cependant alors, simple chef de parti, armé contre les lois, de Rome, il n’avait pas encore triomphé de Pompée. C’est donc César, et uniquement César, qui doit être responsable, aux yeux de la postérité, du sanglant massacre d’Avaricum. Ces exécutions, d’ailleurs, étaient en harmonie avec le système politique adopté par lui dans les Gaules, qu’il voulait amener à une entière soumission par la terreur, dut-il pour parvenir à son but en exterminer tous les habitants ! Ajoutons que, dans le sac d’Avaricum, le général romain put satisfaire cette soif inextinguible de richesses qui le dévorait[3].

 

 

 



[1] Le scorpion, d’après Végèce, était une arbalète. Malgré la finesse et la légèreté des traits qu’elle lance, elle ne laisse pas, dit-il, d’être très meurtrière. Végèce, liv. IV, c. XXII.

[2] Vercingétorix jeta deux fois des troupes dans Avaricum : dix mille hommes d’élite, après s’être justifié de la trahison dont on l’accusait ; mais César ne fait pas connaître, la force du détachement que le général gaulois Introduisit dans la ville au commencement du siège. Ces deux corps, réunis aux combattants fournis par la population, devaient élever les défenseurs de la cité au nombre de vingt mille.

[3] Dans les Gaules, il pilla les temples des Dieux qui étaient remplis de riches offrandes. Il détruisit les villes plutôt pour y faire du butin qu’en punition de quelque faute (Suétone, Vie de J. César).