Roi des Arvernes
An de A. 700. - Av. J.-C. 52. On travaillait aux ouvrages ordonnés par César, mais déjà
la famine se faisait sentir parmi ses troupes. Les Boïens, dont les ressources
en blé étaient très restreintes, à cause du peu d’étendue de leur territoire,
ne pouvaient que faiblement venir en aide aux légions ; d’ailleurs ils eurent
bientôt épuisé leurs réserves. Les Éduens, honteux de contribuer à l’asservissement
de Déjà les tours approchaient des murailles, lorsque César fut informé, par des prisonniers, que Vercingétorix, après avoir consommé le fourrage aux environs de son camp, s’était rapproché de celui des Romains, et qu’il était allé, avec ses cavaliers et l’infanterie légère, qui dans les combats se mêlait à eux pour les soutenir, se mettre en embuscade dans un endroit où il pensait que la cavalerie romaine irait fourrager le lendemain. À cette nouvelle, le proconsul résolut de profiter de l’absence de Vercingétorix pour attaquer le camp des Gaulois. Il sortit donc du sien en silence, au milieu de la nuit suivante, et marcha droit aux ennemis. Mais les Gaulois, en ayant été promptement instruits par leurs éclaireurs, envoyèrent leurs bagages dans le fond des forêts ; et, se formant en bataille sur une hauteur entièrement découverte, ils y attendirent l’armée romaine. César aussitôt ordonna à ses soldats de déposer leurs sacs et de se préparer à combattre. L’armée gauloise, distribuée par nations, s’était déployée sur une colline, en pente douce à sa base, environnée, presque de toutes parts, par un marais de cinquante pieds seulement de largeur, mais difficile à traverser, et dont on, avait rompu les ponts et occupé les débouchés praticables, ainsi que les gués, par de fortes gardes. Si César essayait de traverser le marais, les Gaulois se montraient disposés à fondre sur ses troupes, au moment où elles seraient engagées dans les embarras du passage. Après avoir reconnu cette position, le général jugea qu’il était impossible de l’attaquer sans s’exposer à des pertes trop considérables. Ses soldats, indignés de l’audace des Gaulois qui semblaient les défier, demandaient le signal du combat. César refusa obstinément de le donner, et leur déclara qu’il se considérerait comme le plus misérable des hommes si, les voyant dans la résolution de braver les plus grands périls pour sa gloire, leur vie ne lui était pas plus précieuse que la sienne. Il est remarquable que le proconsul n’osa qu’une seule fois lancer ses soldats à l’attaque des positions occupées par l’armée gauloise, et qu’il fut complètement battu, tant son adversaire savait habilement choisir son terrain ! Mais à l’époque du siège de Bourges, Vercingétorix ne s’était pas encore jugé assez puissant sur ses troupes pour leur faire adopter l’usage de retrancher leurs camps, comme ceux des Romains. Il fallait qu’un nouveau désastre frappât l’armée gauloise pour qu’elle se conformât enfin aux sages avis de son général. César rentra le même jour dans son camp, et le profond dépit qu’il éprouva de la non réussite de son dessein s’exhale dans ses Commentaires, où il prétend qu’en ne considérant que la faible distance qui séparait les deux armées ; on aurait cru que les Gaulois présentaient un combat à chances à peu près égales ; tandis qu’on reconnaissait sans peine, par les conditions désavantageuses auxquelles ils l’offraient, qu’ils faisaient parade d’un sentiment de bravoure bien éloigné de leurs cœurs. C’est ainsi que cet homme savait rendre justice à ses ennemis : pour être un grand capitaine, à ses yeux, il aurait fallu que Vercingétorix, au lieu de suppléer aux camps retranchés par la force des positions, livrât sans défense ses troupes au fer des Romains. De retour à son armée, Vercingétorix est accusé de
trahison : les apparences en effet étaient contre lui ; car non seulement,
après avoir rapproché son camp de celui des Romains, il s’était éloigné avec
sa cavalerie, mais il n’avait même pas désigné de général pour le remplacer ;
et il paraissait difficile de comprendre que ce fût par un simple effet du
hasard, que les Romains, profitant de son absence, eussent paru si à propos
et si promptement devant l’armée gauloise. Aimez-vous donc mieux, lui
reprochait-on, obtenir l’empire de Il est évident, par ces paroles, que les tribus gauloises, dont les plus nombreuses, selon Diodore de Sicile[1], étaient de deux cent mille hommes, avaient enfin compris que, pour préserver leur indépendance de la dévorante ambition des Romains, il était nécessaire qu’elles se réunissent sous l’autorité d’un chef puissant et fort, devant lequel s’abaissassent toutes les rivalités ; et elles voyaient très bien que leur faiblesse tenait à leurs divisions que César entretenait soigneusement, et qu’il ne triomphait d’elles qu’on les armant les unes contre les autres. Vercingétorix n’eut pas de peine à se justifier des accusations dont il était l’objet : Si j’ai rapproche mon camp de celui des Romains, dit-il, c’est sur votre propre demande, et parce que nos fourrages étaient épuisés. D’ailleurs, le nouveau camp que j’ai choisi est si fort naturellement qu’il se défend par lui-même. La cavalerie ne vous aurait été d’aucun secours au milieu de ces marais, tandis qu’elle pouvait être utile dans le lieu on je l’avais conduite. C’est de dessein prémédité que je n’ai point nommé de général pour me remplacer, dans la crainte que, cédant aux vœux de la multitude qui désire le combat, il ne se laissât entraîner à livrer cette bataille que tout le monde je le sais, souhaite passionnément ; non par intrépidité, mais par mollesse, afin de ne pas supporter plus longtemps les fatigues de la guerre. Que les Romains se soient présentés par hasard, ou par suite de quelque avis secret, vous ne m’en devez pas moins de reconnaissance, puisque vous avez pu juger de leur petit nombre, et de la lâcheté qu’ils ont fait paraître en se retirant honteusement dans leur camp, sans avoir osé combattre. Je ne désire point obtenir par une trahison ce que je puis acquérir par la victoire, dont je suis et dont vous devez être pleinement assurés. Reprenez le commandement que vous m’avez confié, si vous pensez que j’en retire plus d’honneur que vous d’avantages ; et pour que vous jugiez de la vérité de mes paroles ; les soldats romains eux-mêmes vont servir à les confirmer. Il produisit en même temps des esclaves, dont il s’était emparé, quelques jours auparavant dans un fourrage, et qu’il avait chargés de fers et soumis aux tourments de la faim la plus cruelle. Instruits d’avance, par Vercingétorix, du langage qu’ils devaient tenir ; ils se donnèrent pour des légionnaires romains, et déclarèrent que, pressés par la disette, ils étalent sortis en secret de leur camp, afin d’aller chercher du blé et du bétail, dans les campagnes ; que l’armée romaine, en proie aux mêmes privations, succombait sous le poids des travaux du siège ; et que, s’il ne survenait pas quelque changement heureux dans sa position, César était résolu à s’éloigner dans trois jours. Voilà cependant, reprit Vercingétorix, les services que vous rend le général que vous accusez de trahison : grâce à sa sagesse, une grande armée victorieuse est presque détruits par la famine ; et il a pourvu à ce que, dans la fuite qu’elle sera bientôt contrainte d’exécuter, aucun État ne la secoure dans sa détresse. Les Gaulois, faisant résonner leurs armes, signe ordinaire de leur approbation, s’écrient, d’une voix unanime, que Vercingétorix est un parfait général, que sa loyauté est à l’abri même du soupçon, et qu’il est impossible de diriger la guerre plus habilement que lui. On décida ensuite que dix mille hommes d’élite seraient introduits dans Avaricum, parce qu’on ne voulait pas confier uniquement aux Bituriges la défense d’une ville dont la conservation intéressait le salut commun ; et que l’on comprenait, si César était obligé d’en lever le siège, qu’ils s’attribueraient tout l’honneur de la victoire. Le témoignage d’un ennemi est toujours suspect : ainsi il est inutile d’avertir qu’il faut imputer à César les mensonges qu’il prête à Vercingétorix. Mais comme il est important, pour la suite de l’histoire du héros arverne, de dévoiler l’art perfide avec lequel le proconsul a rédigé ses Commentaires, nous allons démontrer que ses allégations sont dénuées de vraisemblance : en effet, puisque Vercingétorix fut accusé de trahison immédiatement après sa rentrée dans son camp, il n’eut donc pas le temps de dicter aux prisonniers romains les paroles qu’ils devaient prononcer devant ses troupes. Il paraît que la justification de ce général eut lieu en présence de l’armée gauloise, et non devant le conseil, ce qui semble résulter des mots toute la multitude[2], employés par César, tandis que dans les autres circonstances il se sert de la première dénomination. Or, il est absurde de supposer que l’armée gauloise ou le conseil ignorât si les individus présentés par Vercingétorix étaient des esclaves ou des légionnaires ; car il ne s’en était pas emparé sans la coopération de ses soldats, et quand bien même il aurait pu en tromper quelques-uns à cet égard, mille voix se seraient élevées, à l’instant même, pour le démentir. D’ailleurs, la vérité devant être bientôt connue, un pareil mensonge ne pouvait que lui être très préjudiciable. Vercingétorix affirma peut-être à son armée, pour ranimer ses espérances et l’encourager à supporter patiemment les fatigues de cette campagne d’hiver, que la famine était extrême dans le camp des Romains, et qu’ils seraient obligés, tôt ou tard, de lever le siége ; puis, il produisit à l’appui de son témoignage celui des esclaves qu’il avait faits prisonniers. Riais n’avait-il pas été question de la levée du siége dans le camp de César ; et, qu’y a-t-il d’étonnant que ces esclaves aient considéré comme une certitude ce qui, dans la pensée du général romain, n’était qu’un projet, subordonné à la volonté de ses légions ? Enfin, ce qui démontre invinciblement la fausseté du récit du proconsul, c’est qu’il prétend que les Gaulois, après la justification de Vercingétorix, ne jetèrent dix mille hommes dans Avaricum que pour enlever aux Bituriges une parsie de la gloire d’un triomphe dont ils étaient déjà pleinement convaincus. Mais César a oublié qu’il nous a prévenus que Vercingétorix, avant le commencement du siège, avait fait entrer dans la ville une garnison d’élite. Les Gaulois ne pouvaient donc pas redouter, puisque leurs propres troupes occupaient Avaricum, que l’honneur de sa défense revint uniquement aux Bituriges. Ce ne fut donc pas par cette raison que Vercingétorix introduisit un secours dans la place. Pourquoi en usa-t-il ainsi ? Parce que, loin de considérer la levée du siège comme prochaine, il croyait au contraire à sa continuation. C’est ce qui résulte de l’analyse logique des Commentaires, et ces contes ont été inventés par César, pour rendre son adversaire odieux, en lui imputant des faits indignes du grand caractère qu’il déploya toute sa vie. |