Roi des Arvernes
An de R. 700. — Av. J.-C. 52. L’armée de César, après sa concentration, était une des
plus considérables qu’un général romain eût commandées depuis la bataille de
Cannes. Elle se composait de dix légions ainsi nommées : septième, huitième,
neuvième, dixième, onzième, douzième, treizième, quatorzième et quinzième ;
le nom de la dernière est inconnu. Pendant la cinquième campagne du proconsul,
quinze cohortes, aux ordres des lieutenants Colla et Sabinus, étaient tombées
sous les coups d’Ambiorix, chef des Éburons. César, pour réparer cette perte,
eut recours à l’amitié de Pompée, dont il méditait de renverser la puissance,
et en reçut deux légions, suivant Plutarque[1] ; mais une
seulement, si l’on en croit les Commentaires. Toutes ces troupes étaient à la
charge du trésor de la république, et toutes avaient été levées dans Mieux instruit que personne de sa situation, et comprenant
quel péril courait sa fortune, le proconsul flottait indécis entre les
résolutions diverses qui s’offraient à son esprit. Il n’ignorait pas que
Vercingétorix assiégeait Gergovia des Boïens, et que, ainsi, la lutte était
engagée entre les Éduens et les Arvernes. Entrer en campagne avant la fin de
l’hiver, c’était s’exposer à manquer de vivres, ou à ne pouvoir s’en procurer
qu’A l’aide de transports très difficiles, par suite du mauvais état des
routes et des rigueurs de la saison ; au contraire, rester dans ses
cantonnements, et abandonner, sans tenter de les secourir, les Boïens ,
tributaires des Éduens, aux attaques des Arvernes, c’était prouver aux autres
alliés de Rome qu’ils n’avaient aucune protection à attendre d’elle, et les
engager à faire cause commune avec Vercingétorix. Il parut néanmoins préférable
à César de braver les inconvénients attachés à une campagne d’hiverplut8lqued’avoir
à craindre que son inaction et la honte qui en rejaillirait sur ses armes ne
jetassent ses alliés dans les bras de son ennemi. Après avoir exhorté les Éduens
à lui fournir des vivres, le proconsul fit prévenir les Boïens qu’il allait
se mettre en marche pour leur pays ; et il leur recommanda de prolonger la
défense de leur ville jusqu’à son arrivée. Puis, sans perdre de temps, il partit
pour Agendicum où il laissa les bagages de son armée, sous la garde de deux
légions. Il se dirigea ensuite vers Genabum, ville des Carnutes, située sur Le lendemain de son départ d’Agendicum, le général romain arriva devant Vellaudunum[5], ville des Sénonais, et résolut de s’en emparer, afin de ne laisser derrière lui aucune place forte qui pût intercepter ses convois de vivres. Les travaux du siège ayant été commencés de suite, la contrevallation fut terminée en quarante-huit heures. Des députés de la ville s’étant présentés, le troisième jour, pour traiter de sa reddition, César leur ordonna de lui livrer leurs armes, les bêtes de charge et six cents Mages. Déployant ensuite dans ses opérations cette activité que Cicéron appelait monstrueuse, il confia à son lieutenant, C. Trébonius, le soin de veiller à l’exécution de la capitulation, et poursuivant lui-même sa marche sur Genabum, il se présenta sous ses murs deux jours après son départ de Vellaudunum. Six seulement s’étaient écoulés depuis qu’il avait quitté Agendicum. Ainsi il employa quatre jours à franchir la distance entre la capitale des Sénonais et Genabum, et la moyenne de ses marches fut d’environ trente et un kilomètres. Mais le proconsul n’agissait avec tant de rapidité que pour se rendre maître de Genabum avant que Vercingétorix et son armée vinssent y mettre obstacle. On préparait dans cette dernière place des troupes qui devaient aller au secours de Vellaudunum ; la reddition de cette cité et l’arrivée de César firent manquer cette opération. Le proconsul établit son camp sous les murs de Genabum, dont
les fortifications n’étaient certainement pas redoutables, puisqu’il aurait
essayé de s’en emparer de suite sans l’heure avancée de la journée. Cette circonstance
le força de remettre l’attaque au lendemain ; mais, pendant la nuit, il fit
préparer, par ses soldats, tout ce qui était nécessaire à la réussite d’un
assaut. César était arrivé devant Genabum par la rive droite de Telle fut la vengeance que le proconsul tira du meurtre du
chevalier romain et de quelques négociants que les Carnutes avaient égorgés
dans Genabum. Ici, comme dans les autres actions de sa vie, décrites par les
Commentaires, il a su colorer sa barbarie des apparences de la justice.
Toutefois, en remontant à l’origine de ses démêlés avec les Carnutes, on n’a
pas de peine à découvrir que tous les torts sont de son côté : les Carnutes
et les Sénonais, fatigués de servir de marchepied à son ambition, et de lui
fournir des troupes pour asservir leurs compatriotes, avaient refusé d’envoyer
des députés à une assemblée générale de Maintenant si l’on recherche les causes de la destruction de Genabum, il est évident que, puisque Cotuatus et Conétodunus étaient étrangers à cette ville et qu’ils l’envahirent subitement, ses habitants ne devaient pas être responsables du massacre de quelques citoyens romains qu’ils auraient bien pu égorger eux-mêmes, sans le secours de personne, s’ils en avaient eu la volonté. César ne ruina donc pas Genabum pour le punir de sa participation à des meurtres dans lesquels, de l’aveu des Commentaires, il n’avait pas trempé ; et l’on est contraint de rechercher ailleurs les motifs de la barbarie du proconsul. Déjà il méditait la guerre civile qui avait été le rêve[8] de toute sa vie : en livrant la ville au pillage, il prétendait enrichir son armée et l’attacher de plus en plus à ses intérêts ; et en abandonnant cette cité aux flammes, son but était d’épouvanter les autres villes gauloises qui verraient, par cet exemple, quel sort était réservé à celles qui oseraient lui résister. En outre, attendu qu’il réduisit le peuple de Genabum en esclavage, la vente de tant d’esclaves, qu’il se réserva, fut pour lui une abondante source de richesses. Ses soldats, en cette occasion ; durent recueillir une ample moisson de butin ; car Genabum, où des négociants romains avaient établi leur résidence, faisait sans doute un commerce considérable. Elle fut rebâtie plus tard, et Strabon[9] nous apprend que, sous Auguste comme du temps de César, c’était le port d’échange des Carnutes. Son opulence, en enflammant l’avidité du proconsul, le détermina à la livrer au pillage et à la destruction. Pendant que César parcourait les campagnes des Sénonais et des Carnutes, à la lueur de l’incendie de leurs villes, et répandait partout la dévastation, Vercingétorix continuait le siège de Gergovia des Boïens. Mais cette opération était pour lui d’une difficulté extrême, car il était dépourvu des moyens nécessaires à l’attaque des places. De quelque beau génie que soit doué un homme de guerre, il échouera devant toute ville bien défendue par la nature ou par l’art ; s’il ne possède pas un bon corps d’ingénieurs. En effet, leur science étant le résultat de plusieurs autres, qui ne s’acquièrent que par de longues et pénibles études, n’est pas de celles auxquelles il soit possible de suppléer par l’expérience ou par l’imitation. Or, César va nous instruire lui-même du degré d’habileté des Gaulois dans cette partie si importante de l’art militaire : Ces peuples, dit-il, à propos du siége de Bibrax[10] par les Belges, entourent, avec leurs troupes, la ville dont ils veulent s’emparer ; ils chassent les défenseurs des murailles à coups de pierres et de traits ; puis, formant la tortue, ils s’approchent des portes, sapent les murs et les renversent. Cette méthode expéditive, employée par les Gaulois, pouvait réussir contre des peuples aussi ignorants qu’eux dans la science de l’ingénieur, mais non lorsque les villes étaient situées sur des hauteurs ; car alors ni les pierres, ni les traits n’atteignaient au sommet des murailles. Il parait que c’était le cas de la cité des Boïens qui, assiégée par des Gaulois, n’avait à redouter que la famine. Cependant César s’avançait dans le Berry, et sa marche ne tarda pas à être connue de Vercingétorix qui, levant aussitôt, le siège de Gergovia, se porta au-devant de l’armée romaine. Le proconsul ayant rencontré sur sa route une ville nommée Noviodunum[11], appartenant aux Bituriges, résolut de l’assiéger. Mais comme cette place n’avait que de faibles moyens de défense, elle envoya des députés à César pour le supplier d’écouter la voix de la clémence, et de ne pas l’abandonner à la furie d’une soldatesque effrénée. Le général romain, afin d’être libre de déployer dans ses opérations cette rapidité qui, presque toujours, avait assuré leur réussite, ordonna qu’on lui livrât les armes, les chevaux et des otages. Déjà môme une partie des Stages lui avait été remise, et l’on s’occupait de l’accomplissement des autres articles de la capitulation ; des centurions et quelques soldats romains avaient pénétré dans la ville pour recevoir les armes et les bêtes de somme, lorsque tout à coup apparut au loin la cavalerie qui précédait l’armée de Vercingétorix. A la vue de ce secours inespéré, les assiégés poussent de grands cris, saisissent leurs armes, et fermant les portes de la ville ils se hâtent d’en border les remparts. Les centurions romains, qui étaient dans la place, comprenant aux mouvements des Gaulois qu’ils ont adopté une nouvelle résolution, s’emparent des portes, et s’ouvrent un passage l’épée à la main ; tous parvinrent à se retirer sains et saufs. César fit sortir de son camp sa cavalerie, et lui ordonna d’engager le combat contre celle de Vercingétorix. Mais les cavaliers romains, vivement pressés par leurs adversaires, étaient sur le point d’être mis en déroute, lorsque le proconsul qui avait conservé une réserve de six cents cavaliers germains les lança si à propos sur la cavalerie gauloise qu’elle fut enfoncée en éprouvant une perte assez considérable. Il n’est pas nécessaire de réfléchir longtemps sur les
événements de ce combat pour découvrir la cause de la victoire de la
cavalerie romaine : d’abord il ressort de l’analyse des faits, rapportés par
les Commentaires, que Vercingétorix
ne s’était fait précéder par ses cavaliers que pour être instruit de la
position et des forces de l’armée romaine. En effet, s’il eût voulu livrer un
combat sérieux, il aurait suivi de près sa cavalerie qui, séparée de son
infanterie, pouvait être exposée aux attaques des légions de César ; car
lorsque ses cavaliers pliaient, il ne manquait jamais de les faire soutenir
par ses fantassins. La cavalerie gauloise fut donc justement punie de sa
désobéissance aux ordres de son général. Vercingétorix voulait sans doute qu’elle
reconnut l’ennemi en escarmouchant, s’il le fallait, mais non qu’elle
exécutât des charges à fond contre des cavaliers appuyés par une armée
entière. La responsabilité de cet échec doit donc retomber sur l’imprudence
des généraux de la cavalerie de Vercingétorix. Ce généralissime des Gaulois,
entouré des principaux chefs de Dès que les habitants de Noviodunum eurent connaissance de l’issue de ce combat de cavalerie, ils s’emparèrent de ceux qui avaient excité le peuple à rompre la capitulation et les livrèrent aux Romains. César Marcha aussitôt après sur Avaricum, place la plus forte et la plus considérable des Bituriges, dans l’espoir que s’il parvenait à s’en rendre maître, ces peuples s’empresseraient de lui faire leur soumission. Mais nous verrons bientôt combien son espérance était mal fondée. |
[1] Plutarque, Vie de César ; Com. de Bell. Gal., lib. VIII, c. LIV.
[2] Suétone, Vie de J. César.
[3] Suétone, Vie de César.
[4] Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. XIII ; lib. II, c. X ; lib. V, c. XXVI.
[5] Château-Landon (Seine-et-Marne) ou Beaune (Loiret).
[6] Paris.
[7] Com. de Bell. Gal., lib. VI, c. III et suivants, et c. XLIV.
[8] Suétone, Vie de César, c. XXVII.
[9] Strabon, liv. IV, c. Il.
[10] Bièvre, entre Petit-à-Vaire et Laon (Aisne).
[11] Neuvy, à sept lieues nord, quart-ouest, de Bourges (Cher).