Roi des Arvernes
Vercingétorix naquit à Gergovie, capitale des Arvernes[1]. Son père, le
plus puissant chef[2]
de Quel était l’âge de Vercingétorix lors de la fin tragique
de son père ? L’histoire est muette à cet égard. Cependant comme au moment où
le héros arverne fut élevé au commandement en chef de L’Arvernie avait jadis formé un royaume[4] très
considérable, dont la domination s’étendait, au sud jusqu’aux frontières de
Marseille et de Narbonne, et même jusqu’aux Pyrénées. Au nord et à l’ouest,
elle atteignait le Rhin et l’Océan. Du temps de César, les Vellauniens, les
Cadurques, les Gabals étaient les seuls peuples qui obéissent à ses lois, ou
qui lui fussent unis par les liens d’une intime alliance[5]. Sa puissance
était donc encore une des plus redoutables de Les armées romaines pénétrèrent, pour la première fois,
dans César fut nommé au gouvernement de Mais les chefs des Gaulois, instruits du meurtre de
Clodius, et pensant que César serait retenu en Italie par ces discordes
civiles, résolurent de recommencer la guerre. Ils se rassemblent dans les
forts, afin de ne pas éveiller l’attention des Romains ; et déplorant l’asservissement
de Au jour désigné par les grands de César, après tant de victoires sur les nations gauloises, pensait sans doute avoir assuré pour jamais leur asservissement ; et cependant il allait être obligé de soutenir une guerre plus terrible que les précédentes. Jusqu’à présent, le proconsul a combattu contre les Gaulois divisés, et ne se prêtant mutuellement aucun appui ; ou si quelques-uns de ces peuples ont tenté de se réunir, le conquérant, rapide comme la foudre, s’est opposé à leur jonction, et les a battus isolément. Les généraux gaulois, imprudents, inexpérimentés et souvent même téméraires, tandis que leur ennemi, tour à tour serpent par la ruse, et lion par l’audace, ne livrait aucun événement au hasard, ne se sont pas inquiétés des positions de leurs adversaires, de la supériorité de leur discipline et de leurs armes ; et, comme le fait observer Strabon, ils n’ont déployé, dans les batailles, que de la force et du courage. Mais maintenant nous allons voir à la tête des Gaulois un général, vraiment cligne de ce nom, choisissant habilement son terrain, soit pour camper, soit pour combattre, et assurant en campagne la subsistance de ses troupes. Elles ne se débanderont pas par défaut de vivres, et, loin d’imiter tes Belges dans le désordre de cette retraite qui leur conta des pertes si considérables, elles exécuteront lès leurs avec ordre et intelligence, sous la conduite d’un chef aussi grand que César par le génie, et qui lui aurait fait repasser les Alpes plus rapidement qu’il ne les avait franchies, si la science, l’organisation militaire et surtout les armes eussent été les mômes des deux côtés. A peine Vercingétorix est-il bien assuré que les chefs des
Carnutes, fidèles à leur serment, ont secoué le joug de Rome qu’il réunit ses
clients, les enflamme par le feu de ses paroles, et pénètre avec eux dans
Gergovie. Mais Gabanition, son oncle, et les autres chefs de la cité, n’approuvant
pas la guerre qu’il méditait contra les Romains, le contraignirent aussitôt d’en
sortir. Il est vraiment singulier que des Gaulois brûlassent d’un zèle aussi
ardent pour les intérêts de Rome, ou plutôt de César qui, sans prétexte même
apparent, attaquait successivement toutes les nations gauloises, si elles ne
s’empressaient pas de lui envoyer des députés pour protester qu’elles étaient
prêtes à se soumettre humblement à ses lois. Mais l’homme qui prodiguait des
millions de sesterces, dans Rome, aux édiles[15], aux préteurs,
aux consuls et à leurs femmes, afin de se frayer les voies à la souveraine
puissance, cet homme connaissait trop le pouvoir de l’or sur les âmes
vénales, pour ne pas avoir employé ce moyen de séduction auprès de quelques
grands de Gergovia : ou Gabanition et Espasnact, chefs de la faction romaine
dans cette ville, étaient les pensionnaires de César, ou l’on ne peut s’expliquer
par quel charme ils se dévouaient ainsi à la politique conquérante des
Romains ; car le proconsul, à cette époque, ne dissimulant môme ;plus son
dessein d’asservir entièrement Vercingétorix n’avait pas pensé, sans doute, en pénétrant
dans Gergovia, qu’il pût y exister des cœurs assez insensibles à la gloire et
à la liberté de leur patrie pour refuser de s’associer au dessein d’expulser
de On a vu précédemment que Celtil, dont l’influence s’étendait
non seulement sur sa patrie, mais encore sur les autres nations gauloises,
avait voulu transformer en monarchie la république des Arvernes ; et que, par
l’opposition des grands, il échoua dans l’exécution de son projet.
Vercingétorix, plus favorisé que lui par les circonstances, devait. aux
acclamations populaires, poser sur sa tête cette couronne à laquelle Celtil
avait vainement aspiré ; car les Arvernes, convaincus du péril de leur
situation, et pensant qu’il était nécessaire de prévenir les dissensions qui
pourraient nitre parmi leurs chefs pendant la guerre qui allait décider de
leur sort, résolurent de rétablir la monarchie dans leur pays ; afin que les
ambitions rivales, étant contenues par une autorité énergique, émanant de la
volonté de la nation, toutes ‘ses ressources fussent dirigées, sans obstacle,
contre les oppresseurs de César, plein de sa mauvaise foi habituelle, s’est efforcé d’obscurcir la gloire du héros arverne, en le représentant comme un ambitieux vulgaire, qui n’atteignit au pouvoir suprême qu’avec l’appui d’hommes perdus de réputation, ou de misérables, sans moyens d’existence, dont les espérances reposaient sur une révolution. Vercingétorix, pour être grand aux yeux de la postérité, n’avait pas besoin d’une apologie de son bourreau, dont les contradictions sont ici manifestes : puisque, de l’aveu du proconsul, le héros gaulois exerçait une influence toute puissante sur les Arvernes, que lui imposaient des gens sans aveu et des misérables pour se saisir de l’autorité ? Et puisque, d’après le récit des Commentaires, il n’agit sur ses compatriotes que par la persuasion, ce fut donc la volonté nationale qui l’éleva au pouvoir suprême ; et enfin, comment s’imaginer si les Arvernes n’étaient pas en communauté de sentiments avec Vercingétorix, qu’ils lui aient ouvert les portes de leur capitale, dont César et son armée de cinquante mille hommes ne parvinrent pas à se rendre maîtres ? Qui aurait pu croire qu’une pareille accusation serait formulée contre Vercingétorix par César, qui n’établit sa domination sur les Romains qu’après avoir inondé l’univers des flots de leur sang ; qui, au témoignage des historiens de l’antiquité, fut le persécuteur de tous les citoyens vertueux de Rome, et dont le parti ne se composa jamais que des scélérats de cette ville et de l’Italie ? Mais Vercingétorix ayant fait à Gergovia éprouver un échec considérable au proconsul, et enchaîné pendant dix mois l’essor de sa fortune, César, pour se justifier de sa cruauté envers lui, s’est efforcé de le flétrir. De R. 700. — Av. J.-C. 52. Libre enfin de se livrer entièrement aux préparatifs de la guerre, Vercingétorix dirige ses pensées uniquement vers cet objet. Des députations aux peuples qui étaient entrés dans la conspiration contre les Romains partent immédiatement de Gergovia. Vercingétorix, par l’organe de ses députés, conjure les chefs de ces nations lie rester fidèles à la foi jurée, et de déployer le zèle et l’énergie nécessaires au triomphe de la cause nationale. Les Sénonais, les Pictons[16], les Parisii, les Cadurques, les Turons, les Aulerques, les Lémovices, les Andes ainsi que les tribus gauloises qui habitaient près de l’Océan le proclamèrent aussitôt général en chef de leur confédération. Investi de cette autorité, qui lui fut spontanément offerte[17], Vercingétorix prescris à chaque état confédéré de faire fabriquer, chez soi, avant le commencement des hostilités, autant d’armes qu’il le pourra. Il ordonne à ces mêmes nations de lui fournir des otages, et de lui envoyer promptement un certain nombre de troupes. Mais il s’attache surtout à réunir une bonne cavalerie. A une activité incroyable, il joint une extrême sévérité dans le commandement, et terrifie par la grandeur des supplices ceux qui hésitent à se déclarer ; il punit par le feu et par toutes sortes de tourments, les coupables convaincus de graves délits ; la perte des yeux et des oreilles était l’expiation des fautes légères ; et l’on renvoyait chez eux les individus ainsi mutilés, afin d’imprimer l’épouvante dans les cœurs de ceux qui seraient tentés de désobéir. Comme on le voit, nous n’avons dissimulé aucune des
accusations de César contre Vercingétorix. Si nous voulions rapporter toutes
les atrocités que le proconsul avoue avoir commises dans les Gaules, et
celles dont la chargent les historiens de l’antiquité, nous aurions un trop
juste sujet de le taxer de barbarie. Cependant comme nous n’écrivons pas son
histoire, mais celle de Vercingétorix, nous nous bornerons à faire observer,
pour la défense de ce grand homme, que les supplices infligés aux criminels
dans les Gaules étaient excessivement rigoureux. Pour s’en convaincre, on n’a
qu’à lire la description que César fait des mœurs gauloises dans ses
Commentaires[18].
A son témoignage, on peut ajouter ceux de Strabon[19] et de Diodore de
Sicile, exactement conformes au sien. Vercingétorix, commandant une armée composée
de tant de peuples divers ; dut y maintenir sévèrement la discipline, sans
laquelle il n’y a pas de véritable armée. S’il eût souffert que ses soldats
vexassent les habitants des pays où il faisait la guerre, et pillassent leurs
propriétés, sa faiblesse aurait soulevé contre lui toutes les nations
gauloises, qui se seraient empressées de faire cause commune avec les
Romains. D’ailleurs, il avait un conseil[20] au sein duquel
se discutaient toutes les questions de gouvernement et d’administration ; et,
dans les châtiments qu’il faisait infliger aux criminels, Vercingétorix était
obligé de se conformer aux lois de sa patrie. La confiance, le dévouement, et
même l’amour dont l’entourèrent, jusqu’à sa chute, les peuples gaulois,
prouvent qu’il n’abusa jamais de son autorité. César prétend aussi que
Vercingétorix usa de violence envers ceux qui hésitaient à prendre les armes
contre les Romains. Mais dans une guerre où il s’agit du salut de la patrie
et de son indépendance, tout individu capable de combattre et qui refuse de
le faire est un traître, et doit être traité comme tel. Vercingétorix put
aussi être contraint à des sévérités que l’état politique de Le général gaulois, ayant donc réuni des troupes assez
considérables pour commencer ses opérations, partagea son armée en deux corps
: le plus faible fut confié à Luctérius, guerrier d’une valeur à toute
épreuve, appartenant à la nation des Cadurques. Le premier objet de la
mission de ce général était d’amener les Ruténiens[22] à entrer dans l’alliance
des peuples confédérés contre les Romains. Vercingétorix, à la tète du reste
de l’armée, se dirigea sur le Berry. A son arrivée, les Bituriges[23], clients des Éduens,
leur envoyèrent des députés pour en obtenir du secours. Les Éduens, par le
conseil des lieutenants qui commandaient les troupes romaines, en l’absence
de César, firent marcher un corps de cavalerie et d’infanterie afin d’aider
les Bituriges à repousser l’invasion des Arvernes. Ce détachement ayant
atteint Aussitôt après que les Éduens eurent abandonné les rives
de Ainsi, par l’influence de Vercingétorix sur les nations
gauloises, les forces de la ligue s’accroissaient, et tout semblait annoncer
qu’elles s’accroîtraient encore. En effet, il était impossible que les autres
peuples de |
[1] Strabon, liv. IV, c. II.
[2] César, de Bell. Gal., Iiv. VII, c. IV.
[3] Les Druides, chez les Gaulois, étaient les prêtres des Dieux.
[4] Strabon, liv. IV, c. Il.
[5]
Strabon, liv. IV, e. II, et César, de
Bell. Gal., lib. VII, o. UXV. Les Vellauni étaient les peuples du Velay ;
Cadurci, ceux du Quercy ; Gaboli, ceux de
[6] Polybe, liv. XXXIII, c. VIII. Les Osybiens et les Decéales étaient Liguriens d’origine ; mais ils avaient franchi le Var et s’étalent établis aux environs de Nice et d’Antibes, colonies de Marseille.
[7] Les Saliens occupaient le territoire d’Amibes à Marseille, et même un peu au-delà ; ils étaient de race gauloise.
[8] Santons, les peuples de l’ancienne Saintonge.
[9] Sequani, les Francs-Comtois.
[10]
Ædui, les Éduens ; ils habitaient entre
[11] Senones, les Sénonais. Sens, département de l’Yonne, était leur chef-lieu.
[12] Carnutes, peuples de Chartres (Eure-et-Loir). Genabum, Orléans, était une de leurs villes.
[13] Florus, lib. III, c. X, et César, de Bel. Gal., liv. VII, c. IV.
[14] Les Perses, pour transmettre les nouvelles, usaient du même moyen que les Gaulois. Voir, à ce sujet, Diodore de Sicile, liv. XIX, c. XVII.
[15] Plutarque, Vie de Pompée, c. LIII.
[16]
Parisii, les Parisiens ; Pictones, les peuples du Poitou ; Turones, ceux de
[17] Qua oblald potestate. Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. IV. Puisque Vercingétorix fut choisi, à l’unanimité, pour général en chef par les nations gauloises, confédérées contre les Romains, il devait avoir déjà fait preuve de talents militaires, et n’était probablement pas aussi jeune qu’on se la figure communément. Les Romains, par extension, donnaient le titre d’adolescens (César appelle ainsi Vercingétorix), aux personnes de l’un et de l’autre sexe qui n’avaient pas dépassé quarante ans.
[18] Com. de Bell. Gal., lib. VI, c. XVI.
[19] Strabon, liv. IV, c. IV. Diodore de Sicile, lib. V, c. XXXII.
[20] Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. XXXVI.
[21] Com. de Bell. Gal., lib. VI, c. XI.
[22] Ruteni, peuples du Rouergue.
[23] Bituriges, les habitants du Berry.
[24]
Gergovie Boiorum
: Moulins, selon quelques traducteurs de César ; mais plus vraisemblablement
Saint-Révérien (Nièvre), à
[25] Avaricum, Bourges (Cher).