AMMIEN MARCELLIN, SA VIE ET SON ŒUVRE

 

DEUXIÈME PARTIE. — L'ŒUVRE.

CHAPITRE PREMIER. — NOTIONS PRÉLIMINAIRES.

 

 

De l'homme passons à l'œuvre. Et d'abord, quelle était sa véritable étendue ?

Ammien Marcellin nous dit que son récit embrassait la période de temps écoulée depuis l'avènement de Nerva jusqu'à la mort de Valens à la bataille d'Andrinople : A principatu Cæsaris Nervæ exorsus ad usque Valentis interitum[1]. C'était l'histoire de l'empire romain et du monde connu d'alors, pendant près de trois siècles (96-378). Trente et un livres, dit-on, composaient cette œuvre ; il n'en reste que dix-huit (de XIV à XXXI), lesquels contiennent les récits des vingt-cinq dernières années seulement de ce long espace de temps (353-378). Faut-il croire que l'histoire des deux cent cinquante-six années précédentes était contenue dans les treize premiers livres aujourd'hui perdus ? C'est, en général, l'opinion de tous ceux qui se sont occupés de l'histoire de la littérature latine et d'Ammien Marcellin en particulier. L'on a cru que l'historien s'était contenté de faire dans les treize premiers livres un récit abrégé des temps qui l'avaient précédé, tandis que dans les dix-huit autres il s'est longuement étendu sur les événements dont il avait été le témoin ou le contemporain[2]. Une étude plus attentive des textes nous donnera une plus juste idée de la véritable étendue de l'œuvre d'Ammien Marcellin et une conception plus nette de la valeur de cette œuvre[3].

 

I. — Véritable étendue de l'œuvre d'Ammien Marcellin.

Si l'on tient compte des nombreuses déclarations de l'auteur, des allusions répétées qu'il fait en passant aux récits aujourd'hui perdus, il est difficile de croire que l'historien n'ait fait dans les treize premiers livres qu'une courte revue des temps antérieurs. Nous lisons au livre XXII, 15, 1 : C'est en peu de mots, car le temps l'exige, que nous parlerons de l'Égypte, pays que nous avons déjà longuement décrit dans le récit des actes des empereurs Hadrien et Sévère. Et l'historien, après ce préambule, n'en commence pas moins une interminable digression sur l'Égypte. Or, si relativement à la précédente, celle-ci était courte, quelle pouvait être l'étendue de la première, et, dans ce cas, comment une telle digression aurait-elle trouvé place dans un rapide abrégé ?

Telle est la difficulté. Elle a frappé plusieurs critiques qui se sont occupés de notre historien. Aug. Moeller la pose incidemment dans un travail fait en 1863[4]. Il a cru la résoudre en voyant dans le préambule de cette digression une faute d'inattention ; et il en conclut qu'Ammien Marcellin, surpris par la mort, n'a pu retoucher son œuvre et faire disparaître ces oublis. Cette explication n'en est pas une. On peut bien admettre, avec A. Moeller, que l'historien, dans cette seconde digression sur l'Égypte, s'est trop abandonné à ses souvenirs de voyages ou de lectures, mais on ne saurait nier qu'il n'ait déjà une première fois consacré à ce pays des merveilles pour les anciens une digression importante. Et, de plus, il est certain que ces deux digressions sur l'Égypte ne faisaient pas double emploi ; car dans la première l'auteur racontait surtout ses impressions personnelles : Visa pleraque narrantes, tandis que dans la seconde il rapportait tous les renseignements puisés dans les manuels de géographie de l'époque. Enfin, ce fait n'est pas isolé, et ce que A. Moeller regarde comme une distraction est au contraire un système. La digression sur l'Égypte n'est pas la seule, et l'auteur en indique bien d'autres qui avaient paru dans la partie aujourd'hui perdue de ses œuvres[5].

Prenons, par exemple, les allusions que l'auteur fait aux événements déjà racontés et se rapportant aux années qui précèdent immédiatement son temps, au règne de l'empereur Constantin et de ses fils (324-353). Ces allusions, fort nombreuses, démontrent qu'Ammien Marcellin n'avait rien négligé pour faire de cette période de temps importante et si troublée un récit exact, complet et minutieux. Guerres étrangères, guerres intestines, troubles civils, digressions géographiques et ethnographiques, tout s'y trouvait comme dans les livres qui nous ont été conservés. Ainsi l'historien parlait d'une guerre entreprise par l'empereur Constant, en Bretagne, contre les Scots et les Pictes, et, à ce sujet, faisait une digression sur les mouvements du flux et du reflux de l'Océan, décrivait le site de la Bretagne et les mœurs des sauvages Aréains[6]. Les préludes de l'interminable guerre que le roi des Perses, Sapor II, entretint contre l'empire durant ce siècle étaient longuement racontés : Ut dudum retulimus plene. L'auteur en indiquait les causes, c'est-à-dire les intrigues de Métrodore et les complaisances de l'empereur Constantin pour ce perfide négociateur ; il décrivait les principaux faits d'armes de cette guerre : les désastres subis à Hileia et à Singara, et les nombreux sièges de Nisibe[7].

Les autres historiens de ce temps, ecclésiastiques où profanes, ne font pas même mention de l'expédition de Constant en Bretagne, et se taisent sur la plupart des faits rappelés en passant par l'auteur au sujet des guerres de Sapor en Mésopotamie. Il est donc certain que notre historien avait écrit l'histoire des règnes de Constantin et de ses fils avec la même abondance de détails et le même système de digressions que nous retrouvons dans les livres conservés. Au récit du siège de Singara, il avait poussé l'exactitude jusqu'à raconter l'heureuse sortie d'Ælius avec quelques nouvelles recrues et jusqu'à décrire le bélier qui servit à enfoncer les murs de la citadelle[8]. Ne semble-t-il pas, dès lors, que le seul récit des événements de la première moitié du quatrième siècle ait suffi pour remplir les treize premiers livres qui manquent à l'œuvre actuelle d'Ammien Marcellin ?

Bien plus, si nous considérons les allusions que fait l'historien aux événements du deuxième et du troisième siècles, nous voyons qu'il avait dû les raconter amplement avec force développements et digressions à l'appui. Ainsi avait-il longuement décrit l'expédition entreprise contre les Parthes par Trajan, à la fin de son règne, en 116, et renouvelée par Sévère cent ans après, vers 200 : Prope Hatram venimus, dit l'historien en racontant le retour de l'armée en Syrie après la mort de Julien, vetus oppidum... quod eruendum adorti temporibus variis Trajanus et Severus, principes bellicosi, cum exercitibus pœne deleti sunt, ut in eorum actibus has quoque digessimus partes[9]. Le règne de l'empereur Marc-Aurèle avait dû être aussi l'objet d'une étude sérieuse, car l'historien fait souvent allusion aux actes de ce prince, qu'il estime au-dessus de tous. Il s'étendait longuement sur la résistance que cet empereur opposa à l'invasion des Quades et des Marcomans, vers 166, et il cite même des faits militaires qui ne sont pas mentionnés par les plus graves historiens de ce temps : Obsessa a Quadis et a Marcomanis Aquileia, Opitergiumque excisum et cruenta complura perceleri acta procinctu, vix resistente perruptis Alpibus Juliis principe serio, quem ante docuimus, Marco[10]. On sait combien fut éphémère le règne des Gordiens. En moins de sept ans, trois princes de ce nom revêtirent la pourpre. Ammien Marcellin n'avait pas moins fait du règne de ces empereurs un récit détaillé en remontant jusqu'aux premiers actes de leur jeunesse : Gordiani imperatoris vidimus tumulum cujus actus a pueritia prima exercituumque felicissimos ductus et insidiosum interitum digessimus tempore competenti[11]. On pourrait multiplier de pareilles citations se rapportant aux règnes des empereurs Commode, Maximin, Gallien, etc. ; mais celles-ci suffisent pour établir que l'historien avait fait du règne de ces princes- non un rapide abrégé, mais une véritable histoire.

Cette conclusion s'impose d'autant plus que l'historien avait inséré dans ces divers récits, comme dans ceux que le temps a épargnés, toutes sortes de digressions et de développements. Ainsi, à l'occasion des guerres entre les Perses et les Romains, il avait signalé les transformations par lesquelles l'empire.des Arsacides était passé, les différents noms qu'il avait portés, l'excellence des armes des soldats et leur entente dans l'art militaire, l'effroi qu'inspirèrent toujours aux Romains ces tours ambulantes chargées d'hommes et portées par des éléphants : ut retulimus sæpe, ajoute l'historien. Il avait de même profité des voyages des empereurs Hadrien et Sévère en Égypte pour faire une longue digression sur ce pays : ut digessimus late, comme, en d'autres circonstances, il avait parlé des origines d'Icosium : cujus supra docuimus conditores, et des commencements de Cæsarea dans la Mauritanie : cujus itidem originem in Africœ situ digessimus plene[12]. L'historien ne se bornait pas à décrire les sites des pays et les mœurs des peuples qu'il rencontrait, il entrait même dans des discussions théologiques, et, selon son procédé ordinaire, profitait du moindre incident pour les insérer dans son récit. C'est ainsi que, sous l'empereur Commode, à l'occasion du complot de Maternus aux fêtes de Cybèle, l'historien s'était empressé de rappeler comment la statue de la mère des dieux avait été apportée à Rome[13]. De même, parlant de l'expédition de Verus en Orient et de la prise de Séleucie, il avait eu soin de rappeler comment la statue de l'Apollon grec fut enlevée de son temple et apportée à Rome dans le sanctuaire de l'Apollon palatin[14]. Ces digressions étaient fort nombreuses, car l'auteur les rappelle et mentionne souvent dans la suite du récit que nous possédons ; et elles devaient être fort longues, comme le sont toutes celles de notre historien, jaloux de faire montre d'érudition, et comme d'ailleurs il l'indique lui-même : Ut retulimus plene, ut digessimus late...

De ce rapprochement des textes, de toutes ces allusions aux récits antérieurs, il résulte évidemment qu'Ammien Marcellin ne s'était point borné à tracer une esquisse de l'histoire du deuxième et du troisième siècles. Au contraire, il en avait fait une longue et patiente étude, combinant les divers récits de ses devanciers, cherchant plus à les compléter qu'à les abréger, insérant enfin à tout propos des digressions de toutes sortes[15]. C'était, en un mot, de l'histoire avec les mêmes procédés de composition que nous retrouvons dans les dix-huit livres qui nous sont restés. Or, est-il possible de concevoir que les treize premiers livres perdus aient suffi pour raconter avec une telle abondance de détails et de digressions l'histoire de deux siècles et demi, alors que les dix-huit derniers embrassent à peine une période de vingt-cinq ans ?

Il est au commencement du XVe livre une déclaration de l'auteur qui n'est pas sans importance et parait répondre fort bien à la question. Je viens de raconter, dit Ammien Marcellin, selon l'ordre des faits, et autant que j'ai pu en découvrir la vérité, les choses que j'ai vues dans la première jeunesse, ou dont j'ai tâché de m'assurer en consultant adroitement ceux qui en avaient été les témoins ; j'exposerai ce qui suivra avec plus de soin encore et selon la mesure de mes forces, sans redouter ces critiques qui méprisent un ouvrage par cela seul qu'il leur paraît long[16]. Il résulte de ce passage deux faits : 1° l'auteur, parlant de ses sources de renseignements, allègue son propre témoignage et celui de contemporains plus âgés qui ont pu être témoins des événements ; 2° les livres de l'auteur déjà parus devaient être fort nombreux, puisqu'ils avaient provoqué des critiques et que l'historien sentait le besoin de s'excuser sur un travail de si longue haleine. Or, peut-on objecter, ce travail n'eût pas été déjà si long s'il n'avait embrassé que les quatorze premiers livres d'une moyenne de trente pages chacun environ, et en outre, comment l'historien aurait-il fait appel à son témoignage personnel et à celui de ses contemporains s'il avait eu en vue l'histoire du deuxième et du troisième siècles ?

Toutes ces difficultés disparaissent grâce à une conjecture qui paraît tout concilier. L'œuvre entière de notre historien aurait embrassé deux parties d'une étendue à peu près égale : la première, consacrée au récit des événements antérieurs à l'auteur ; la seconde, embrassant les faits contemporains. Chacune de ces parties aurait constitué un tout et peut-être même porté un titre différent. De cette grande œuvre, la première partie serait totalement perdue, et le quatorzième livre actuel serait le quatorzième de la seconde partie, dont nous aurions ainsi les deux tiers. Dès lors, il n'est pas étrange que les livres déjà parus, beaucoup plus nombreux que nous ne le pensions, aient soulevé des discussions, et l'on comprend que l'historien, dans le passage cité du XVe livre, ne pensant qu'à la seconde partie de son œuvre, ne mentionne comme source de renseignements que son propre témoignage et celui de ses contemporains. Et de plus, point capital, nous voyons comment l'historien a pu donner à l'histoire, soit de la première moitié du quatrième siècle, soit du deuxième et du troisième siècles, tous les développements que comportent les nombreuses allusions déjà mentionnées. Son œuvre, dans son ensemble, n'était rien moins que du double plus étendue qu'on ne le supposait. Ce n'était pas treize livres, mais une cinquantaine peut-être qui étaient consacrés aux récits des temps antérieurs, à savoir : une quarantaine environ pour le deuxième et le troisième siècles constituant la première partie, et les treize premiers de la seconde partie contenant le récit des événements de la première moitié du quatrième siècle. Il est probable, en effet, que l'auteur, faisant à Rome la lecture de ses livres à mesure qu'il les composait, donna, par un calcul de symétrie, à chaque partie une étendue à peu près égale, de même qu'il donne à chaque livre, objet sans doute d'une seule lecture, le même nombre de pages. Son œuvre contenait donc près de quatre-vingts livres, et l'on comprend que Libanius, son compatriote et ami, écrivant à l'historien pour le féliciter, ait remarqué que son histoire était divisée en fort nombreuses parties : είς πολλά τετμηένη[17]. Cette conjecture n'est, il est vrai, confirmée par aucun témoignage contemporain, mais elle a pour elle toutes les vraisemblances, et seule elle peut résoudre les difficultés que nous avons rencontrées.

Est-il possible de déterminer à quelle date précise prenait fin la première partie et commençait la seconde ? On ne peut le dire sûrement ; mais à s'en rapporter au texte déjà cité, il est permis de le conjecturer. L'historien donne en cet endroit, comme source de renseignements de la seconde partie, son témoignage personnel dans sa jeunesse, et celui de ses contemporains plus âgés et témoins des faits, tels que le brave général Ursicin, à la suite duquel Ammien Marcellin fit ses premières armes. Il paraît, dès lors, que l'historien remontait au delà de son temps, et, comme il était né vers l'an 335, nous pensons quo la seconde partie devait prendre à l'an 324. Cette année, en effet, vit périr à Thessalonique le dernier des compétiteurs et rivaux de Constantin, et fut comme le point de départ d'un règne nouveau[18]. La défaite et la mort de Licinius devait être le dernier récit de la première partie de l'œuvre d'Ammien Marcellin.

 

II. — Elle fait suite aux Histoires de Tacite.

Cette division de l'œuvre d'Ammien Marcellin en deux parties ou même en deux ouvrages distincts ne saurait nous étonner et devenir une objection. Elle avait été déjà adoptée par un illustre devancier, par Tacite, qui, après avoir raconté dans les Histoires les événements dont il avait, été témoin ou le contemporain, reprit dans les Annales ceux qui l'avaient précédé depuis la mort d'Auguste. Et ce rapprochement est encore une induction, il nous amène à penser et à dire qu'Ammien Marcellin s'est constitué le continuateur de Tacite. Sans doute, il y a loin du grave auteur, ami de Pline et de Trajan, au rude historien du quatrième siècle, pour la sévère entente de l'œuvre et l'art achevé du langage. L'un n'est pas plus l'autre que le Romain du premier siècle, à la longue et simple toge de patricien, n'est le Byzantin du temps de Constance à la tunique chamarrée et surchargée d'ornements. Mais, malgré l'intervalle de trois siècles, la parenté n'en existe pas moins entre les deux historiens et la filiation est facile à établir.

D'abord, ce n'est pas par un pur effet du hasard qu'Ammien Marcellin a commencé son histoire à l'avènement de Nerva. Ce point de départ était voulu et justifié dans son esprit. Tacite était mort avant d'avoir pu mettre le sceau à sa grande œuvre par le récit du glorieux règne de Trajan. Avec lui périt la grande histoire, celle qui est le tableau animé de la vie d'un peuple, d'un empire, non moins que le portrait d'un prince. Elle fit place à la biographie que Cornelius Nepos avait inaugurée à Rome, et qui devait se perpétuer jusque sous Dioclétien et Constantin par les maigres auteurs de ce qu'on appelle l'Histoire auguste. Le plus connu, sinon le plus important de ces biographes-anecdotiers fut Marius Maximus, qui vécut du deuxième au troisième siècle, sous les empereurs Commode et Septime Sévère. Il écrivit les vies des empereurs depuis Trajan jusqu'à Alexandre Sévère. Les abréviateurs de la fin du troisième siècle le citent sans cesse, et Spartien paraît lui avoir emprunté les vies d'Hadrien et de Septime Sévère[19]. L'histoire ainsi restreinte avait perdu toute sa dignité quand Ammien Marcellin eut la noble ambition de lui rendre son ampleur et son élévation. C'est d'un ton qui trahit le dépit qu'il nous parle de ces frivoles Romains du quatrième siècle, ses contemporains, qui n'avaient entre les mains que les satires de Juvénal ou les biographies de Marius Maximus[20]. Quant à lui, il n'éprouve que du mépris pour ces lecteurs affadis, détracteurs de toute œuvre de longue haleine : Nihil obtrectatores longi, ut putant, operis formidantes[21]. Il n'hésite pas à aller à l'encontre des idées reçues, à rompre avec le courant, à remonter jusqu'à Tacite. Il entreprend de combler, à l'aide de travaux partiels déjà faits, cette lacune de trois siècles, d'écrire une histoire générale de ces temps, de faire pour cette période ce que Tite-Live avait fait pour les sept premiers siècles de Rome et Tacite pour le premier siècle de notre ère.

Ammien Marcellin a fait plus que continuer Tacite : il s'est inspiré de son œuvre et pénétré de son esprit. Comme lui, il a un sentiment élevé de la dignité humaine et ne peut souffrir les excès d'un pouvoir qui n'a d'autres limites que la servilité des courtisans ; comme lui, il a le don de l'observation, l'art de pénétrer dans les cœurs pour sonder les intentions et démêler les mobiles secrets des actions. Il a même adopté son plan dans la distribution des matières, procédant année par année, ne s'écartant jamais sans raison de cet ordre chronologique. Son histoire, conçue sur un ‘vaste plan, est, comme celle de Tacite, le tableau fidèle des temps qu'il décrit. Elle ne se borne pas à écouter aux portes et à faire des récits d'antichambres ; elle va plus loin et s'élève plus haut. Elle groupe autour du nom du prince les faits qui appartiennent à l'histoire générale ; elle raconte les grandes expéditions militaires, assiste aux délibérations du Sacré-Consistoire, insiste sur les événements publics et les actes des magistrats, sans oublier les intrigues ourdies par les courtisans dans les cabinets des Césars. L'un et l'autre enfin, quand ils déplacent le centre d'action et racontent une campagne, aiment à préparer le cadre du récit, à décrire les lieux, les mœurs et les origines des peuples qui vont entrer en scène[22]. L'un et l'autre ont de ces mots à effet, de ces traits qui dessinent une situation ou peignent un homme, de ces rapprochements saisissants qui sont plus du poète que de l'historien.

Faut-il aller plus loin et dire qu'Ammien Marcellin, scrupuleusement attaché à son modèle, s'est efforcé de reproduire le style, la langue de l'auteur des Annales, de lui emprunter même de ces ornements, oratoires ou poétiques, que Tacite se permettait ? Ce serait, semble-t-il, dépasser les limites et faire trop d'honneur à l'inculte et barbare langue de notre historien. Citer des mots, des expressions identiques, des tours de phrases analogues est souvent chose facile, mais périlleuse ; on risque de prêter à un auteur sas propres intentions et de prendre pour des effets voulus des rencontres de pur hasard[23]. Mais, en laissant de côté ces rapprochements et ces conclusions trop absolues, il est bon de retenir qu'Ammien Marcellin n'est pas un biographe, un anecdotier à la façon de Suétone et de Marius Maximus, qu'il est un vrai historien, que son œuvre, par l'étendue du récit et la gravité du ton, appartient à la vraie histoire, que même elle est digne, malgré de graves et nombreux défauts, de paraître à côté des monuments achevés de Tite-Live et de Tacite.

 

III. — But de l'auteur.

Les livres d'Ammien Marcellin étaient donc l'histoire de Rome, de l'empire et du monde connu d'alors pendant une période de deux cent quatre-vingt-deux ans (de 96-378), et faisaient naturellement suite aux œuvres de Tacite. Ils avaient le caractère d'une histoire générale, et il ne faudrait pas, avec les frères H. et A. de Valois, en restreindre la portée pour ne voir en eux qu'un monument élevé à la gloire de Julien[24] On a pu le dire de l'histoire d'Eunape, et à juste titre. Son récit prenait à l'avènement de Claude II le Gothique (268), le prétendu aïeul de la famille. de Constantin, et s'étendait longuement sur le règne de Julien, son dernier représentant, en dissimulant les fautes afin de mieux glorifier les hauts faits[25]. Il n'en est pas ainsi des livres d'Ammien Marcellin. Ils remontaient jusqu'au règne de Nerva pour se terminer au désastre d'Andrinople et à la mort de Valens (378). Dans cette œuvre, le règne de Julien n'a que les proportions qui conviennent à l'ensemble du récit. Sans doute, il est évident qu'Ammien Marcellin a été favorable à Julien. Les qualités du jeune César comme général, administrateur et écrivain, ne pouvaient que faire une forte impression sur l'esprit d'un ancien soldat devenu homme de lettres. Le souvenir des faiblesses de Constance à l'égard des barbares et des misères de son gouvernement faible et despotique était bien fait pour accroître le prestige d'un prince redoutable an dehors et d'une intègre administration au dedans. Aussi l'historien dit, en abordant le récit des exploits de Julien sur les bords du Rhin, qu'il élèvera le ton et mettra en œuvre toutes les ressources de son médiocre génie[26]. Mais il ne faut pas abuser de ces paroles et voir dans cette formule un aveu, le but même de son œuvre. Le règne de Julien n'est dans l'esprit de notre historien qu'un brillant épisode de sa longue histoire. Ces expressions ne s'étendent pas au delà et ne témoignent rien de plus. C'était là le ton, toujours un peu faux et déclamatoire, des lectures publiques, si bien que l'auteur termine son récit par un appel encore plus retentissant pour célébrer les gloires du règne de Théodose : Scribant reliqua potiores ætate doctrinisque florentes, quos id, si libuerit, aggressuros procudere linguas ad majores mono stylos[27]. D'ailleurs, quelles que soient les sympathies d'Ammien Marcellin pour Julien, l'historien ne dissimule point, à la façon d'Eunape, les torts du sectaire persécuteur. Il fait ses réserves à plusieurs reprises et il a de généreuses protestations[28]. Il condamne même l'ingratitude de Julien à l'égard de Constance, après tout l'auteur de sa fortune, et les injustes sarcasmes dont le prince philosophe poursuivait la mémoire de Constantin[29]. Assurément, ce n'est pas ainsi que procède un panégyriste. Loin de faire la part du blâme et de la louange, il s'étudie à atténuer les torts, à dissimuler les fautes quand il ne peut les convertir en éloges. Julien n'est donc point le héros de notre historien : ni le point de départ de son histoire, ni la place occupée par le règne de ce prince dans l'ensemble de l'œuvre, ni les jugements portés sur lui n'autorisent une telle supposition.

Il est d'ailleurs une figure autrement belle et grande que celle de Julien, et qu'Ammien Marcellin se plaît maintes fois à lui opposer comme type et modèle idéal : c'est la figure de l'empereur Marc-Aurèle. L'historien ne prononce jamais son nom qu'avec une sorte de vénération, et il déclare ce prince bien supérieur au jeune César du quatrième siècle, qui cependant se flattait de l'imiter et de l'égaler[30]. Autant qu'il est permis d'en juger par les nombreuses allusions que fait l'auteur dans les livres qui nous restent, l'histoire du règne du meilleur des Antonins dut occuper dans les annales d'Ammien Marcellin une grande place, et il est bien regrettable -que ces livres soient perdus. Peut-être aurions-nous le dernier mot sur la figure énigmatique de ce prince, et lés ombres qui font tache sur sa réputation seraient dissipées. Quoi qu'il en soit, il est certain que notre historien eut un culte pour ce philosophe couronné, dont les qualités de cœur et d'esprit étaient précisément les siennes : un courage suffisant devant l'ennemi, la prudence dans le conseil, le pardon des injures, le sens de tout ce qui est de l'homme, et, avant tout, cette modéra-,ration, qui était le trait distinctif de l'esprit de notre historien. Malgré ces préférences, son histoire n'en gardait pas moins un caractère général et n'était pas plus consacrée à glorifier Marc-Aurèle que Julien.

Il ne faudrait pas davantage ajouter foi à l'opinion du critique allemand Müller, qui prêté à notre historien une intention morale comme but et fait de lui un réformateur se servant de l'histoire comme d'un moyen de critique et de satire[31]. Ce serait donner aux déclamations d'Ammien Marcellin sur les vices de son temps une portée qu'assurément il n'avait pas en vue. On a dit de même que Tacite avait voulu flétrir le régime impérial coupable de tant de folies dans la personne des premiers Césars. Il est bon de se tenir en garde contre de tels jugements et de ne pas prêter aux anciens de gratuites inventions de l'esprit. Ammien Marcellin n'a pas plus voulu réformer les vices et les travers des hommes de son temps que Tacite n'a cru pouvoir ramener la Rome du premier siècle aux principes républicains des Brutus et des Catons. L'un et l'autre ont fait simplement de l'histoire, et comme ils étaient honnêtes, ils n'ont pu que manifester leurs sentiments et protester, le premier contre les stupidités d'un Claude et les folies d'un Néron et la corruption des affranchis, le second contre les faiblesses de Constance, la jalousie de Valens et l'odieux pouvoir des eunuques, maîtres du palais des princes. Ammien Marcellin, comme Tacite, a été moraliste ; mais la morale est restée chez l'un et chez l'autre au second plan, toujours subordonnée à l'histoire. Ils sont à l'occasion peintres de mœurs, mais avant tout historiens.

 

IV. — Date de la composition.

Il n'est pas indifférent de savoir à quelle date Ammien Marcellin a composé ses livres d'histoire, et les renseignements fournis par l'auteur à ce sujet ne manquent pas de précision. Dans une de ses longues digressions, l'historien voyageur nous parle du Serapeum, fameux temple de Sérapis, à Alexandrie, comme étant alors, si l'on excepte le Capitole romain, la plus grande merveille du monde : Ita est exornatum ut, post Capitolium quo se venerabilis Roma attollit, nihil orbis terrarum ambitiosius cernat[32]. On avait justement, semble-t-il, inféré de ce texte que l'auteur avait dû composer son histoire, ou du moins en était arrivé à ce point (XXIIe livre), avant la destruction de ce temple, c'est-à-dire avant le mois de janvier 392[33]. Comment, en effet, l'auteur aurait-il pu parler de ce temple comme étant debout et digne d'admiration s'il eût été renversé ? C'était l'opinion. de tout le monde. Mais un savant critique, le dernier éditeur des œuvres d'Ammien Marcellin, Victor Gardthausen, s'est inscrit en faux contre cet argument, et a soutenu que, l'historien ayant l'habitude dans ses digressions de copier servilement des sources anciennes, ses dires en pareille matière sont dépourvus d'autorité. C'est ainsi, ajoute le critique, qu'Ammien Marcellin fait régner encore de son temps sur le trône des Perses la dynastie des Arsacides, laquelle avait été renversée par celle des Sassanides dès l'année 226, et qu'il énumère parmi les peuples de la Bithynie, les Bébryces, que le géographe Ératosthène nous disait déjà de son temps (IIIe siècle av. J.-C.) entièrement disparus[34]. Et il n'est que trop vrai, en général, qu'Ammien Marcellin, dans ses digressions, se borne à transcrire ses sources en les juxtaposant[35]. Mais il n'est pas moins vrai qu'il ne néglige jamais d'insérer un renseignement nouveau, une observation personnelle, dans ces mêmes digressions, toutes les fois que l'occasion se présente[36]. Or, parlant du Serapeum à propos de l'Égypte, comment aurait-il omis de faire mention du siège et de la destruction de ce temple si déjà elle avait eu lieu ? Il n'aurait pu l'ignorer, lui homme d'État et politique, en relations avec tous les hauts fonctionnaires de l'empire, car l'univers entier retentit de ce coup d'éclat qui assura le triomphe de la politique de Théodose contre le dernier refuge du paganisme. Il faut donc conserver à ce détail toute sa valeur probante et admettre que l'historien en était au moins arrivé au XXIIe livre de son œuvre dans l'année 391 avant la destruction de ce temple.

Cette date est d'ailleurs confirmée par bien d'autres témoignages. Une lettre de Libanius, déjà plusieurs fois citée, nous apprend qu'Ammien Marcellin était à Rome occupé à lire les nombreux fragments de son histoire à mesure qu'il les composait. Cette lettre fut donc écrite pendant que l'historien travaillait à son œuvre. Or, il n'est pas impossible de trouver au moyen du contexte la date de cette lettre. Après avoir félicité son compatriote et ami, le rhéteur lui faisait part de la perte de son fils Cimon, qui mourut en 391[37]. Cette date concorde fort bien avec ce que nous avons dit du Serapeum. Elle est. encore justifiée par d'autres passages de l'historien. Ammien Marcellin a l'habitude, dès qu'un nom de personnage se présente dans son récit, de nous dire ce qu'il advint de lui dans la suite, quelles fonctions il remplit, comment il mourut. C'est ainsi qu'au livre XXIe, parlant d'Aurelius Victor, l'hist6rien que Julien nomma consulaire d'Illyrie en 361, il ajoute que le même fut longtemps après préfet de Rome : Victorem scriplorem historicum Pannoniæ secundæ consularem præfecit Julianus et honoravit œnea statua, virum sobrietatis gratia œmulandum MULTO POST URBI PRÆFECTUM[38]. Or, nous savons qu'Aurelius Victor fut, en effet, préfet de Rome longtemps après, en 389[39]. Il nous dit de même, à l'occasion, que Rusticus Julianus mourut plus tard préfet dans l'exercice de sa charge, c'est-à-dire en 388[40], que Neotherius fut consul et que Tarracius Bassus devint préfet[41]. Or, l'un et l'autre remplirent cette charge en 390[42]. Il est à remarquer que ces. rapprochements de date se rapportent aux années 388-391. Évidemment l'auteur n'a pu avoir écrit cette partie de son histoire avant ces dates absolument certaines, et même il faut croire que la pensée ne lui vint de faire ces rapprochements que parce qu'il écrivait pendant que ces magistrats étaient en charge. Quoi qu'il en soit, aucune indication de ce genre ne va au delà de 391, ce qui confirme notre opinion précédente qu'Ammien Marcellin a dû composer son histoire avant la destruction du Serapeum, c'est-à-dire avant 392. Tout porte donc à croire qu'il a écrit durant les années 387-392, et cette date concorde fort bien avec les circonstances politiques qui, comme on l'a dit plus haut, durent amener la retraite d'Ammien Marcellin de ses hautes fonctions administratives.

Des critiques ont cru reconnaître dans l'œuvre d'Ammien Marcellin un point de soudure au commencement du XXVIe livre[43]. L'historien avait primitivement clos son récit à la mort de Jovien (janvier 384). Mais, encouragé par les applaudissements des lettrés et les garanties qu'offrait un gouvernement sage et pondéré, modestia fretus prœsentis temporis, dit-il lui-même, il aurait plus tard repris et continué son récit jusqu'à la mort de Valens, à la bataille d'Andrinople (378). Ce sont les six derniers livres de son histoire. M. Ad. Cart prétend que ce travail aurait été fait après la mort de Théodose (janvier 395), comme l'indique, croit-il, cet éloge de l'empereur fait par l'historien et qui paraît rétrospectif : Theodosius junior, dux Mœsiæ, prima etiamtum lanugine juvenis, princeps postes perspectissimus[44]. Cette conjecture, il faut l'avouer, est fondée sur un indice bien léger, et l'éloge que fait l'historien pouvait être adressé aussi bien au prince encore vivant qu'à sa mémoire. De plus, une telle assertion n'est pas sans offrir des difficultés. C'est, en effet, une règle de prudence pour notre historien d'être très sobre de renseignements à l'égard des princes encore vivants et de ne porter sur eux des jugements qu'après leur mort. Ainsi, bien que son histoire s'arrête à la mort de Valens (9 août 378) et que l'empereur Gratien soit mort cinq ans après (25 août 383), l'historien fait le portrait de ce prince à la suite du récit de ses victoires contre les Allemands Lentiens[45]. C'est qu'il écrivait après la mort de Gratien. Au contraire, il se montre plein d'une respectueuse réserve pour l'empereur Théodose, et il ne dit presque rien du jeune Valentinien II, qui périt misérablement en mars 392. D'après cette méthode, notre historien eût certainement fait allusion i ce malheur au livre XXX, 10, 5, où il raconte l'avènement de ce prince et parle de la bonté que Gratien témoigna toujours dans la suite à son jeune frère ; et maintes fois, il aurait eu occasion de se prononcer ouvertement sur l'empereur Théodose lui-même, tandis qu'il se contente de lui donner en passant, une fois on deux, un éloge banal, indispensable. Cette réserve, ce silence sont pour nous une preuve évidente que l'historien avait achevé la composition de son œuvre avant la mort de Théodose (janvier 395), et même avant celle du jeune Valentinien II (mai 392) ; et du reste, comme il a été dit, toute allusion faite par l'historien aux hommes qui ont joué dans ce temps un rôle politique s'arrête à l'année 391. Ces renseignements suffisent pour établir contre M. V. Gardthausen qu'Ammien Marcellin avait écrit son XXIIe livre avant la destruction du Serapeum, et contre M. Ad. Cart, que, s'il y a un point de soudure au commencement du XXVIe livre, ce point n'est qu'artificiel, apparent : l'historien n'en dut pas moins régulièrement et sans interruption poursuivre son œuvre et la compléter dans le courant de l'année 391, avant la défaite du paganisme à Alexandrie et la mort de Valentinien II (15 mai 392).

C'est à Rome qu'Ammien Marcellin composa ses livres d'histoire. Libanius le dit ouvertement dans la lettre de félicitation qu'il envoya à son compatriote, et les deux chapitres, si curieux et si intéressants, que l'historien a consacrés à la peinture des mœurs des Romains au quatrième siècle, trahissent un témoin oculaire qui a le don de l'observation et qui livre ses impressions personnelles[46]. D'ailleurs, ce n'est qu'à Rome que l'historien pouvait trouver l'ensemble de documents nécessaires à la composition de son œuvre. C'est là qu'il rencontrait ces riches bibliothèques, fermées pour ses contemporains comme des tombeaux, nous dit-il[47], mais où il ne craignait pas d'entrer et de s'ensevelir, afin de s'instruire des récits de ses devanciers, de compulser tous les documents Officiels et tous les écrits propres à lui fournir quelques savantes digressions. C'est à Rome qu'il retrouvait encore les anciens hommes politiques, généraux ou fonctionnaires qui, comme lui, vivaient dans la retraite ou le travail de l'étude : Aurelius Victor, Euthère, l'ancien chambellan de Julien[48], Hypathius, beau-frère de l'empereur Constance, consul en 357 et préfet du prétoire d'Italie en 388, ami intime de notre auteur Hypathius noster[49], Eupraxius, questeur de Valentinien et plus tard préfet de Rome, homme de caractère, loyal et indépendant, que notre historien paraît avoir bien connu et estimé[50]. C'étaient enfin les chefs de l'aristocratie de Rome, les Symmaque et les Prétextat, dont l'historien ne parle jamais qu'avec admiration et, sans doute, parce qu'il était étranger, soldat et fils de soldat, avec un sentiment d'infériorité et de respect[51].

Ammien Marcellin lut à Rome, en lectures publiques, ses livres d'histoire à mesure qu'il les composait. C'était un usage grec, introduit à Rome au siècle d'Auguste, et un des derniers délassements de cette aristocratie romaine devenue presque étrangère à toute vie politique. Libanius nous dit qu'Ammien Marcellin eut dans ces lectures beaucoup de succès et il en félicite son ami. Peut-être ne pouvait-il parler autrement et était-il décemment obligé de donner des éloges à un compatriote. Quant à nous, si nous lisons bien entre les lignes et les-demi-aveux de l'historien, nous croirions volontiers qu'il ne fut approuvé que par les hommes instruits et sérieux, toujours peu nombreux — qu'en revanche il fut en butte à bien des critiques et des dédains de la part surtout des fils de cette aristocratie de date récente, arrivée des provinces par la voie des honneurs : descendants frivoles d'hommes de mérite, pleins de morgue et de prétention, à la recherche des plaisirs faciles et impatients de tout travail sérieux[52]. L'historien protesta contre de telles critiques et n'en continua pas moins son. œuvre. Chacun de ses livres, d'une longueur à peu près égale, nous représente l'étendue d'une de ces lectures, et, dans son ensemble, son œuvre nous offre l'aspect d'un cours de professeur d'histoire, publiant ses leçons telles quelles, sans avoir eu le temps de les remanier pour enlever tout ce qui était accordé aux exigences d'un auditoire.

Après ces études préliminaires sur l'ensemble de l'œuvre de notre historien, entrons plus avant dans le sujet. Nous rechercherons d'abord où Ammien Marcellin puisa les documents qui sont comme le fond et la matière de ses récits, en un mot, quelles furent ses sources ; et puis, nous étudierons le travail d'élaboration et de critique qu'il a fait subir à ces premières données.

 

 

 



[1] Ammien Marc., XXXI, 16, 9.

[2] Chifflet, Vita Ammiani Marcell., en tête de l'édition des frères de Valois. — C.-C.-G. Heyne, Opuscula Academica, t. VI, Censura ingenii Ammiani Marcell. — Boissonnade, Critique littéraire, t. II, Ammien Marcellin.

[3] Cette question a été soulevée et discutée par M. Hugo Michaël dans un remarquable travail intitulé : Die verlorenen Bücher des Ammianus Marcellinus, Breslau, 4880.

[4] De Ammiano Marcellino, Regimonti, 1863.

[5] Les allusions de l'auteur à ces livres perdus sont très nombreuses. Elles sont réunies au commencement de l'édition d'Ammien. Marcellin, par Gardthausen. Cependant, plusieurs ont été oubliées, telles que : XXV, 8, 5 ; XXIX, 9, 6 ; XXV, 4, 23, etc. — Nous les donnons en appendice.

[6] Ammien Marc., XXVII, 8, 4 ; XX, 1, 1 ; XVIII, 3, 8.

[7] Ammien Marc., XXV, 4, 23 ; XVIII, 5, 7 ; XXV, 8, 13.

[8] Ammien Marc., XVIII, 9, 3 ; XX, 6, 5.

[9] Ammien Marc., XXV, 8, 5.

[10] Ammien Marc., XXIX, 6, 1.

[11] Ammien Marc., XXIII, 5, 7.

[12] Ammien Marc., XXIII, 6, 2 ; XXIII, 6, 83 ; XIX, 2, 3 ; XXIX, 5, 16 ; XXIX, 5, 18.

[13] Ammien Marc., XXII, 9, 6.

[14] Ammien Marc., XXIII, 6, 24.

[15] Nous verrons plus loin, au chapitre des Sources, que l'historien avait largement puisé aux récits des plus graves historiens grecs : Dion Cassius, Hérodien, etc.

[16] Ammien Marc., XV, 1, 1.

[17] Nous donnons en appendice la lettre de Libanius.

[18] Licinius fut battu en Asie à Chrysopolis par Constantin (sept. 323). Il lui fut permis de se retirer à Thessalonique ; mais il ne tarda pas à y recevoir un ordre de mort (324) : contra religionem sacramenti, dit Eutrope, X, 6 ; contra jus sacramenti, dit S. Jérôme, Chron. 2339.

[19] E. Perino, De fontibus Vilarum Hadriani et Septimi Severi imperatorum ab Ælio Spartiano conscriptarum, Fribourg, en Brisgau, 1881.

[20] Ammien Marc., XVIII, 4, 14.

[21] Ammien Marc., XV, 1, 1.

[22] Tacite, Histoires, V, 1-13 ; Ammien Marc., XV, 9-13.

[23] Wœlfflin, dans Pauly R. E., Ammianus ; et dans Philologi, XXIX, p. 537. — Müller, De Ammiano Marcellino, pp. 7, 10, notes, Posen, 1852.

[24] De Valois, préface de l'édition d'Ammien Marcellin, Paris, 1681.

[25] L'histoire d'Eunape s'arrêtait à la mort de Julien ; elle ne fut reprise que plus tard, à un assez long intervalle de temps. (V. Fragmenta historic. græcor., t. IV, édit. Didot.) Les Vies des sophistes de cet auteur donnent encore à ce sujet de nombreuses indications. La mère de Constance Chlore était nièce de Claude le Gothique.

[26] Ammien Marc., XV, 9, 1.

[27] Ammien Marc., XXXI, 16, 9.

[28] Ammien Marc., XXII, 10, 7 ; 12, 6 ; 14, 3.

[29] Ammien Marc., XXI, 10, 8.

[30] Ammien Marc., XVI, 1, 1 ; XXI, 16, 11 ; XXX, 9, 1.

[31] A. Müller, De Ammiano Marcellino, Posen, 1852.

[32] Ammien Marc., XXII, 46, 12.

[33] La date précise de la destruction du temple de Sérapis a été l'objet de nombreuses discussions ; mais il ne paraît pas qu'on doive la mettre au delà d'août 391, ni en deçà de janvier 392.

[34] Ammien Marc., XXIII, 6, 3-4 ; XXII, 8, 14. V. Gardthausen, Conjectanea Amminea, p. 25, Kiliœ, 1869. Die Geographischen Quellen Ammians, Leipzig, 1879.

[35] Voir notamment la digression XXIII, 6. L'auteur suit une source de 2-7, et puis la fait suivre d'une autre de 7-9, et puis une autre, etc.

[36] Ammien Marc., XXII, 8, 1 ; XXII, 15, 1 ; XXIII, 6, 21 : amnes quos ipsi transivimus ; XXVII, 4 2 : quæ vidisse meminimus ; XXVII, 4, 5 : ut nunc cernimus, etc.

[37] Libanius, Épist. 983, et Oratio : De Vita sua. — Auguste Mœller, De Amm. Marcellino, Regimonti, 1864.

[38] Ammien Marc., XXI, 10, 6.

[39] Corsini, De Præfectis Urbi.

[40] Ammien Marc., XXVII, 6, 12.

[41] Ammien Marc., XXVI, 5, 14.

[42] Corsini, De Præfectis Urbi, 8.

[43] Ad. Cart., Quæstiones Ammianeæ, Berolini, 1808.

[44] Ammien Marc., XXIX, 6, 15.

[45] Ammien Marc., XXXI, 10, 18 : Prœclaræ indolis adolescens, facondus et moderatus et bellicosus et clemens, ad æmulationem lectorum progrediens principum, dum etiam tum lanugo genis inserperet speciosa, ni vergens in ludibriosos adule natura laxantibus proximis semet ad vana studio Cæsaris Commodi convertisset, licet hic incruentus.

[46] Ammien Marc., XIV, 6, et XXVIII, 4, et d'autres passages de moindre importance.

[47] Ammien Marc., XIV, 6, 18.

[48] Ammien Marc., XVI, 7, 2-4.

[49] Ammien Marc., XXIX, 2, 46.

[50] Ammien Marc., XXVII, 6, 14 ; XXVIII, 1, 25. — Symmachus, epist. lib. X, 65.

[51] Ammien Marc., XXVII, 3, 3 ; XXII, 7, 6 ; XXVII, 9, 8.

[52] Ammien Marc., XIV, 6, 18-19 ; XV, 1, 1 ; XXVIII, 4, 7.