AMMIEN MARCELLIN, SA VIE ET SON ŒUVRE

 

PREMIÈRE PARTIE. — L'HOMME.

CHAPITRE PREMIER. — BIOGRAPHIE.

 

 

I. — Naissance d'Ammien Marcellin ; sa famille ; sa situation ; dans l'empire, officier des gardes du prince protecteur domestique.

La critique moderne, amie des détails intimes et de tout ce qui touche à la vie d'un auteur, se trouve déconcertée en présence d'Ammien Marcellin. Elle ne peut faire de cet historien qu'une biographie incomplète, fondée sur les quelques renseignements que l'auteur nous livre en passant et sur les maigres indications de ses contemporains. Né dans la première moitié du quatrième siècle, Ammien Marcellin vécut dans la seconde, et sa mort précéda de quelques années à peine les grandes invasions barbares. Aussi, malgré les succès que l'auteur put remporter dans les lectures publiques, à Rome, sa mémoire fut promptement oubliée. Cassiodore, il est vrai, paraît s'être inspiré, dans son Histoire des Goths, des travaux de notre historien, et Priscien cite un exemple tiré du XIVe livre des Rerum gestarum. Mais Cassiodore était un érudit, l'homme le plus savant de son siècle, un précurseur de l'ordre des Bénédictins, et Priscien un grammairien[1]. Aucun autre écrivain du cinquième siècle ne parle d'Ammien Marcellin. En présence d'Alaric, d'Attila et de Genséric, les préoccupations des hommes instruits se portaient sur tout autre sujet que les lettres. Faute de renseignements plus précis, il est donc nécessaire de revenir à l'œuvre même de notre historien et d'en dégager ce qu'il nous laisse deviner ou entendre de son origine et de sa vie.

Ammien Marcellin était d'origine grecque. Il lui arrive souvent de trahir ses préférences pour ce génie de la Grèce, qui est le sien, et il en vante les heureux dons. Timagène, dit-il d'un historien géographe, était Grec par la langue et son amour de la vérité[2]. Parfois dans le récit, quand le mot latin lui fait défaut, il insère l'expression équivalente en la faisant précéder de ces mots : ut nos appellamus. Sa phrase elle-même, incorrecte ou embarrassée, conserve sous les mots latins le moule grec, révélant ainsi l'habitude de l'auteur de penser dans cette langue. Enfin, l'historien termine son œuvre par une déclaration aussi franche que rude : hæc ut miles quondam et græcus... pro virium explicavi mensura[3].

Ce fils de la Grèce n'était point originaire de l'Attique. Il ne fut pas élevé sous l'influence de ce ciel qui inspirait aux siens un sentiment si juste de la mesure, une émulation si ardente vers le vrai et le beau dans les arts. Ammien Marcellin était un Grec d'Asie, né dans une des villes de la Syrie où le génie grec, tout en conservant ses qualités natives, ne laissait pas d'être atteint par ce ton exagéré propre au génie de l'Orient. Il naquit à Antioche, ville alors très importante, résidence obligée des empereurs, après Alexandrie la première ville de l'Orient[4]. C'est du moins ce que l'historien nous laisse entendre à plusieurs reprises dans le courant du récit. Il fait rarement mention de cette ville sans en faire précéder le nom d'une épithète qui rappelle celle du poète et trahit le même sentiment :

Et dulces moriens reminiscitur Argos.

Antioche, c'est l'ornement de la Syrie, une ville connue du monde entier, incomparable par ses ressources, tant par celles qui lui viennent du dehors que par celles qui lui sont propres[5]. Antioche, c'est la gloire de l'Orient, Orientis apicem pulchrum[6] ; si bien éclairée pendant la nuit, que la lumière des flambeaux rivalise d'éclat avec celle du soleil[7]. Aussi l'historien prend fait et cause pour ses concitoyens quand ils sont attaqués. Pour lui, la mordante satire de Julien contre les habitants d'Antioche, le Misopogon, est exagérée, addens veritati complura[8]. Il prend la défense du Sénat de cette ville, tour à tour opprimé par le César Gallus en 354, et ruiné par Julien on 362[9]. Il s'indigne de l'oppression que l'empereur Valens lui fait subir en 371, lors de la répression du complot avorté de Théodore[10]. Enfin, c'est à Antioche, qu'après toutes ses campagnes, Ammien Marcellin vient chercher le repos et reprendre des forces, Antiochiam revisimus[11].

Toutefois, ces indications paraîtraient insuffisantes si elles n'étaient confirmées par un témoignage certain. Libanius, le fameux rhéteur, le grand épistolier du temps, ne fit faute d'écrire à notre historien. Dans une lettre qui nous a été conservée, il le félicite du glorieux succès qu'obtint, à Rome, la lecture publique de ses livres d'histoire. Ce succès, lui dit-il, fait honneur à nous et à vous, qui sommes vos concitoyens ; et plus loin il ajoute : Efforcez-vous encore d'acquérir plus de gloire, accordez-nous cette satisfaction ; l'éclat dont brille le nom d'un citoyen ne peut que rejaillir sur ses compatriotes et sur sa patrie elle-même[12]. Le rhéteur fait donc d'Ammien Marcellin son concitoyen, et, quant à lui, il a pris garde de ne pas nous laisser ignorer qu'Antioche lui avait donné, le jour.

Des renseignements précis nous font défaut sur la date de sa naissance et la condition de ses parents. Cependant, grâce à quelques rapprochements de textes, il est permis de croire qu'il naquit vers l'an 335 et qu'il appartenait à une famille distinguée par les hautes fonctions que le père dut occuper dans l'armée[13]. Ammien Marcellin nous apprend, en effet, qu'en 353 il était envoyé, par ordre de l'empereur Constance, en garnison à Nisibe, ville forte de la Mésopotamie. Il devait faire partie de l'escorte d'Ursicin, maître de cavalerie en Orient, en qualité de protecteur domestique[14]. Or, Ammien Marcellin était, à cette date, encore très jeune, puisque quatre ans plus tard, au mois de juillet 357, il ne fut pas promu, comme plusieurs de ses collègues, au grade de tribun, parce qu'il était trop jeune : provectis e consortio nostro ad regendos milites natu majoribus, adolescentes eum sequi jubemur, quidquid pro republica mandaverit, impleturi[15]. Le jeune officier pouvait donc avoir, en 353, dix-huit ans environ, le Romain entrant en charge à dix-sept ans révolus.

Ammien Marcellin, si jeune encore et déjà protecteur domestique, devait appartenir à une famille de condition élevée. C'étaient, en effet, des soldats émérites ou des jeunes gens instruits, fils de hauts dignitaires, qui étaient admis dans ce corps d'élite. Dioclétien était domesticorum comes dans la garde de Numérien quand il fit tuer le préfet du. prétoire Aper et s'empara du pouvoir (284) ; Constance Chlore le commandait quand il fut nommé César (292), et Jovien en était le primicier quand l'armée, après la mort de Julien, en Perse, le revêtit de la pourpre (363). Un simple protecteur domestique, Marcellus, crut pouvoir continuer à son profit la révolte déjà comprimée de Procope (365). Les soldats signalés par leur mérite, parvenus au grade de centurion, n'entraient dans ce corps qu'après de longs services et après avoir fait preuve d'une vraie intelligence. Ces officiers constituaient la garde personnelle du prince. Souvent ils étaient envoyés par lui dans les provinces en mission confidentielle, et leur corps était une vraie école pour les officiers supérieurs de l'armée romaine[16]. Ammien Marcellin, protecteur domestique à dix-huit ans, dut évidemment cette faveur au crédit dont jouissait sa famille et, semble-t-il, à la haute situation que son père occupait dans l'armée. Cette conjecture n'est pas sans fondement. Dans le Bas-Empire, dit M. V. Duruy, l'hérédité fut le principe dominant ; admis pour le principat, pour les sénateurs, il fut imposé aux curiales, aux colons... et à un grand nombre de soldats[17]. Or, en 349, un certain Marcellinus était, en effet, comte d'Orient et, comme tel, il reçut plusieurs lois qui lui furent adressées[18]. Le comte d'Orient exerçait un grand commandement militaire embrassant plusieurs provinces et résidait à Antioche, où nous savons que naquit Ammien Marcellin[19]. Ce Marcellinus a pu être le père de notre historien, d'autant plus que des deux noms celui de Marcellinus devait être le nom gentilice. Au quatrième siècle, l'usage grec de désigner les personnes par un seul nom, celui de la famille, avait prévalu. Or, la lettre que Libanius avait adressée à notre historien porte la suscription Μαρκελλίνω, et Priscien, qui vivait dans le siècle suivant, le cite encore sous le nom de Marcellinus[20]. Il est donc probable que le comte d'Orient Marcellinus fut le père du jeune officier nommé protecteur domestique en 353. Si l'on tient compte du temps, du lieu de résidence, du nom commun aux deux, et enfin de la faveur impériale dont Ammien Marcellin fut l'objet, on avouera du moins que notre conjecture n'est pas dépourvue de vraisemblance.

Parmi les protecteurs domestiques, les uns séjournaient à la cour, au service des princes, les autres étaient envoyés en province, dans la suite de quelque maître de la -milice. Les premiers étaient les plus nombreux : les intrigues de cour furent toujours des moyens efficaces pour obtenir des faveurs. Julien dut défendre au préfet du prétoire de fournir des rations de vivres aux protecteurs qui, sans ordre, séjourneraient à la cour. Une loi inscrite au Code fut portée pour obliger ces officiers à se rendre à leur poste, en province[21]. Procope nous apprend qu'ils aimaient les beaux costumes, préférant la parade à l'exercice[22]. Pour Ammien Marcellin, ce fut dans les camps, sur les champs de bataille, en courant des bords de l'Euphrate à ceux du Rhin, qu'il s'initia aux choses de la guerre sous la direction du générai Ursicin.

Le maître de cavalerie Ursicin était un des plus grands hommes de guerre de son temps. Chargé de défendre l'Orient contre les entreprises de Sapor II, roi des Perses, il était le rempart de. ces provinces exposées aux attaques de cet implacable ennemi[23]. Il était, lui aussi, d'Antioche, formé à l'école du grand Constantin, et sans doute le frère d'armes du comte Marcellinus. Dès lors, les rapports de la plus intime confiance s'établirent entre le général et le jeune officier. L'histoire d'Ammien Marcellin prouve qu'en maintes circonstances il n'y eut pas moins de bienveillance dans le premier que de dévouement dans le second. Ursicin, soldat avant tout, d'esprit fort indépendant, toujours suspecté à la cour de Constance, à raison même de sa supériorité, et d'ailleurs plus habile à déjouer les calculs de l'ennemi que les intrigues ourdies par les familiers de l'empereur, ne laissa pas d'agir fortement sur l'esprit du jeune officier et d'avoir par là influé sur la conduite de toute sa vie. Ses mâles vertus, sa bravoure devant l'ennemi, son indépendance vis-à-vis du pouvoir furent la règle de conduite du soldat qui devait être plus tard l'historien de son temps.

 

II. — Ses campagnes en Syrie, dans les Gaules, en Perse.

Cette période de la vie d'Ammien Marcellin (353-360) est la plus connue. Mêlé à la plupart des événements, l'auteur ne cache pas le rôle qu'il :a joué dans ces diverses campagnes. Son récit offre alors tous les caractères des mémoires. La lecture n'en est que plus intéressante. Au légitime attrait qu'inspirent ces pages, écrites avec la verve du soldat, se joint un accent de modestie qui révèle un homme de beaucoup de sens-. Comme Xénophon et César, Ammien Marcellin sait dire ce qu'il a fait sans se rendre haïssable. Essayons de le résumer en dégageant brièvement les faits principaux auxquels il prit part ou dont il fut témoin.

Pendant sept ans, de 353 à 360, Ammien Marcellin est, en qualité de protecteur domestique, constamment attaché aux pas de son général. Il est son confident dans les ennuis, son compagnon dans les dangers, son homme de confiance dans les missions périlleuses. Avec lui, il accourt de Nisibe à Antioche, en 354, quand le César Gallus, devenu tyran par l'enivrement du pouvoir, prépose Ursicin au jugement de ceux que son inexpérience des affaires avait poussés à la révolte. L'historien nous représente le maître de cavalerie improvisé juge imaginarius judex[24], siégeant malgré lui, au milieu d'assesseurs prévenus, misérables complices des folies du César couronné. D'Antioche, il l'accompagne à Milan, où résidait l'empereur Constance. L'esprit soupçonneux et perfide de celui-ci était encore plus à craindre que l'instinct sanguinaire et brutal de Gallus. Excité par les intrigues des officiers du palais, Constance se défiait d'Ursicin. Il redoutait ce général, maître de l'Orient par son ascendant sur l'armée, et dont les fils, déjà connus et pleins d'avenir, étaient dignes de leur père[25]. Constance appelle donc Ursicin à Milan, sous le prétexte de s'entendre avec lui pour une expédition contre les Barbares, en réalité pour s'assurer de sa personne. Le maître de cavalerie accourt au palais, accompagné d'Ammien Marcellin. Il repousse hautement les malveillantes insinuations des eunuques, du chambellan Eusèbe, les éloges plus perfides encore de collègues jaloux, tels que le général Arbétion[26]. Ursicin fit face à toutes ces attaques. Ammien Marcellin, témoin de ces intrigues, nous représente son général, soldat loyal et généreux, peu préoccupé du danger qui le menace et gémissant surtout du sort fait au mérite dans ces temps malheureux. Il était affligé de l'inconstance et de la servilité des hommes. De ces nombreux amis qui l'entouraient dans la bonne fortune, disait-il au jeune officier, tous l'abandonnaient, pareils à ces licteurs qui passent d'un maître à un autre, attachés à la fonction et non à la personne[27]. Ammien Marcellin ne fut pas du nombre de ces licteurs ; il resta attaché au sort du maître de cavalerie, son chef et son ami, et l'impression produite en son âme fut telle que, trente ans plus tard, devenu historien, il n'eut qu'à se souvenir pour ressusciter tous les incidents de ces odieuses intrigues.

Un événement qui aurait pu perdre Ursicin le sauva. Les menées des officiers subalternes de la cour firent un rebelle. Sylvain, Franc d'origine, était l'un des plus braves généraux de l'empire. En 354, il fut chargé de la défense des Gaules contre les perpétuelles irruptions des Alamans et des Germains. Pendant qu'il se battait loyalement à la frontière, il fut desservi à la cour au moyen de lettres supposées et réduit, pour se sauver, à payer d'audace, à usurper la pourpre (355). A cette nouvelle, la cour de Milan fut frappée de stupeur ; mais les intrigants, sans se déconcerter, profitèrent des circonstances pour jouer un double jeu. Ils songèrent à opposer Ursicin à Sylvain, le mettant ainsi dans la nécessité de se perdre lui-même ou de les sauver. Dès lors, le ton fut donné et l'on ne parla plus que de lui. Le rebelle d'hier était le sauveur d'aujourd'hui, le général le plus habile, le frère d'armes du grand Constantin, le seul capable de réduire le révolté. Ursicin dut partir pour les Gaules, comme successeur de Sylvain, accompagné d'une simple escorte de tribuns et de dix protecteurs domestiques[28]. Ammien Marcellin fut de ce nombre avec son collègue Verinianus. Aussi nous raconte-t-il avec force détails tous les incidents de cette périlleuse campagne. Il ne fallut rien moins que tromper Sylvain en paraissant entrer dans ses vues, acheter ses troupes et le battre avec ses armes ; c'est ce que fit Ursicin. Le récit minutieux de toutes ces négociations prouve que dans ces circonstances Ammien Marcellin prit une grande Part à cette affaire et fut le bras droit du maître de cavalerie[29] (août 355).

A la suite de ces événements, Ursicin et Ammien restèrent dans les Gaules pendant deux années (355-357) ; mais il ne paraît pas qu'Ursicin ait effectivement succédé à Sylvain dans le commandement des troupes. Constance, rendu toujours plus défiant, résolut de ne plus confier de grands commandements militaires à des mains étrangères. Cédant aux instances de sa femme Eusébie, il créa césar Julien, frère de Gallus, le dernier survivant des neveux de Constantin. Il l'adopta, le revêtit de la pourpre devant l'armée, lui composa une maison militaire à son gré et l'envoya dans les Gaules pour repousser les Mamans qui débordaient par toutes les frontières (6 nov. 355). Avec lui partit le maître de cavalerie Marcellus, au lieu et place d'Ursicin, et ce dernier reçut ordre de rester dans ces mêmes contrées pour surveiller les préparatifs des campagnes du jeune César[30]. Les Barbares occupaient quarante-cinq villes des Gaules et labouraient le territoire d'Autun. Julien, improvisé général, dut s'appliquer à former des soldats, à les aguerrir et à refouler pied à pied un ennemi qui paraissait se multiplier dans les défaites. L'action décisive eut lieu à la victoire d'Argentoratum, où sept rois barbares ligués furent battus par Julien (7 août 357). Ammien Marcellin fait de ce combat le récit le plus circonstancié ; mais il ne paraît pas y avoir pris part. Dans ce même temps, Ursicin fut, en effet, rappelé des Gaules avec son escorte par l'empereur Constance. Les armées gauloises n'entraient guère en campagne qu'au mois de juillet, à cause des pluies[31]. Ursicin, et avec lui son escorte, durent recevoir l'ordre de rappel au mois de juin, à la suite du voyage triomphal de Constance à Rome (mai 357)[32].

C'est à Sirmium que Constance avait donné rendez-vous à Ursicin. Les embarras de l'empire étaient nombreux et pressants. Les Barbares impatients, Juthunges et Alamans, Quades et Sarmates, se massaient sur les bords du Danube, tandis que Sapor II préparait une invasion des provinces de Syrie. Ammien Marcellin nous fait assister aux conseils qui furent tenus à ce sujet dans le Sacré-Consistoire[33]. Les protecteurs domestiques plus âgés furent promus tribuns des légions, tandis que lui, encore jeune, adolescens, fut maintenu protecteur dans l'escorte d'Ursicin et envoyé en Orient pour surveiller les mouvements du roi des Perses[34].

Sapor ne rêvait rien moins que de rétablir l'ancien empire des successeurs de Darius, et, à ce titre, réclamait toutes les provinces romaines de l'Asie-Mineure. Ursicin et Ammien se rendirent donc à Samosate, en Commagène, pour surveiller tous les préparatifs de résistance. En ce moment, dit notre historien, il eût fallu appeler au secours de l'Orient l'invincible Ursicin, eût-il résidé à l'extrémité de l'empire, dans l'île de Thulé[35]. Plus que tous les généraux de son temps, Ursicin avait, en effet, par son expérience de la guerre et sa connaissance des lieux, les moyens de s'opposer au torrent qui allait fondre sur les provinces de l'Orient. Or, à cette heure, les basses intrigues et les jalousies mesquines triomphaient de nouveau à la cour de Constance. Le chambellan Eusèbe obtenait du faible empereur un ordre de rappel d'Ursicin et lui donnait pour successeur, en Orient, Sabinianus, un vieillard impotent, qu'effrayait le bruit des clairons et que ses richesses avaient recommandé à la faveur du ministre[36]. Ursicin rappelé partit aussitôt avec Ammien Marcellin. Ils étaient déjà arrivés en Thrace, sur les bords de l'Hèbre, quand de nouveaux ordres de l'empereur leur enjoignirent de retourner en Orient, afin de se mettre au service de Sabinianus. C'était compter un peu trop sur l'abnégation de ces soldats, et tant de fatigues, tant de contre-ordres, mirent à une rude épreuve leur fidélité. Ils hésitèrent à obéir, avoue l'historien, se demandant où était le devoir[37]. Le bénéfice de la victoire, si l'issue de la campagne était bonne, serait au profit du général en chef, de Sabinianus ; dans le cas contraire, la responsabilité de l'échec serait à la charge d'Ursicin. C'était toujours le même système de défiance dont on usait à son égard, et qui consistait à le retenir au second rang pour profiter de son expérience sans lui assurer aucun avantage. Ursicin et Ammien obéirent néanmoins en maugréant. Ils reprirent le chemin de la Syrie et retrouvèrent Sabinianus assistant aux exercices militaires, autour des sépulcres d'Édesse, comme s'il était question de faire la paix avec les morts, dit l'historien indigné[38].

L'action d'Ursicin dans cette campagne ne put être que sans effet. Relégué au second rang et contrarié dans ses desseins, ce général ne put même porter secours à la ville d'Amida, assiégée par toutes les forces des Perses[39]. Les circonstances mirent en revanche Ammien Marcellin plus en vue. C'est lui qui fut envoyé en Corduène, chez le satrape Jovinien, de connivence avec les Romains, afin de reconnaître au passage les forces de l'ennemi[40]. Au retour, séparé de son général dans un combat de surprise, il dut se réfugier dans la place forte d'Amida, qui fut alors investie[41]. Le siège dura soixante-treize jours, et Ammien Marcellin prit une part énergique à la défense que commandait le comte Élien. A la fin, la ville, décimée par la peste et ruinée par les attaques, dut se rendre ; mais notre historien, en Grec non moins avisé que brave, sut au dernier moment s'échapper et fuir dans la direction des montagnes. Il courut à Mélitène, où il retrouva Ursicin désespéré de n'avoir pu secourir Amida par l'incurie du faible Sabinianus. Tous deux regagnèrent Antioche, leur patrie, tandis que Sapor, qui s'était attardé devant Amide, dut, à l'approche de l'hiver, rentrer dans ses états, automno prœcipiti (359)[42].

Ursicin ne tarda pas à être rendu responsable de l'échec subi devant cette ville. Dès le commencement de l'année 360, Ammien Marcellin nous apprend qu'Ursicin fut rappelé à la cour et remis entre les mains du maître de la milice, Arbétion, et de Florentius, maître des offices, pour rendre compte de ses actes[43]. Le général protesta fièrement et osa déclarer que, tandis que l'empereur se laissait traîner à la remorque de quelques eunuques du palais, la Mésopotamie désarmée allait être envahie de nouveau par Sapor, et qu'alors les Romains seraient certainement vaincus et refoulés, fussent-ils commandés par l'empereur en personne. Ce fier langage toucha au vif le faible et vaniteux Constance. Ursicin fut déposé et rendu à la vie privée[44]. Les auteurs contemporains ne parlent pas de ce général. C'était cependant, au témoignage d'Ammien, un rude soldat, un des derniers hommes de guerre formés à l'école du grand Constantin, Constantini Magni commilito, comme on disait alors[45]. Sa renommée était fort grande, et les provinces d'Orient s'émurent quand elles se virent privées de leur unique défenseur[46]. Son caractère était digne de sa réputation. Fier, indépendant, comme tout homme qui a le sentiment légitime de ce qu'il vaut, il ne sut pas et ne voulut pas céder aux caprices de courtisans, auprès desquels, dit amèrement notre historien, l'empereur avait quelque crédit[47]. Le nom d'Ursicin ne reparaît plus dans l'histoire d'Ammien Marcellin, mais le maître de cavalerie d'Orient ne fut point oublié. Parmi les nombreux officiers qui tombèrent dix-huit ans plus tard, à la sanglante bataille d'Andrinople (378), se trouve mentionné Potentius, le fils d'Ursicin, alors tribun des légions. L'historien devait ce souvenir à celui qui l'avait initié pendant sept ans au rude métier de la guerre, qui fut pour lui un père et un ami[48].

Le coup qui frappait le général atteignit-il aussi le jeune officier ? L'auteur ne nous le dit pas, et, de fait, rien ne prouve qu'il en ait été ainsi. Il est probable que, comme protecteur domestique, Ammien Marcellin resta à la cour de Constance et ne fut point, comme auparavant, député en province au service de quelque maître de la milice. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il dut apprendre avec plaisir l'élévation de Julien au souverain pouvoir dans les Gaules et la mort inattendue de Constance, à Mopsueste, au moment où les deux princes allaient en venir aux mains dans les plaines de la Thrace (oct. 361). Le jugement sévère, mais mérité, qu'il porte sur l'empereur Constance et l'admiration sincère, mais raisonnée, qu'il professe pour Julien, prouvent qu'il était, de cœur ; avec ces soldats qui marchaient en murmurant contre le jeune usurpateur, renitentibus plurimis murmure tenus[49]. Et c'est assurément avec complaisance que l'historien nous décrit l'entrée triomphale de Julien dans Constantinople : élevé au souverain pouvoir par la volonté du ciel, dit-il, sans aucune atteinte portée au bonheur des peuples, principatum denique derente nutu cœlesti, absque ulla publicœ rei suscepisse jactura[50].

C'est évidemment à la cour de Julien qu'Ammien Marcellin passa l'année 362, à Constantinople d'abord, et puis à Antioche. L'historien ne le dit pas expressément, mais on le devine aux mille traits et anecdotes qu'il raconte au sujet de ce prince[51]. Son récit est celui d'un familier qui note au jour le jour les moindres événements de la cour. Il est encore certain qu'au printemps de l'année suivante (363) il partit avec Julien pour l'Assyrie, et prit part à la fameuse expédition entreprise par ce prince pour venger les dernières défaites des Romains. Julien marcha de triomphe en triomphe jusqu'à la capitale de la Perse, Ctésiphon ; mais là, trompé par des transfuges, il s'égara dans le désert et tomba frappé au cœur d'un javelot, après un rude combat (juillet 363). Ammien Marcellin, témoin oculaire, a longuement raconté tous les incidents de cette téméraire entreprise, mais il a négligé de nous dire à quel titre il prit part à ces événements[52]. Quand, après la mort de Julien, les chefs de l'armée se réunirent pour élire un empereur, Ammien raconte qu'un officier d'un grade élevé, honoratior miles, proposa de confier provisoirement le commandement de l'armée au plus expérimenté d'entre eux et de n'élire le maître de l'empire qu'après le retour de l'armée en Syrie, lorsqu'on aurait rejoint Procope campé en Arménie, sans doute dans le but de réserver le pouvoir à ce dernier, parent de Julien[53]. Quelques auteurs ont cru qu'Ammien Marcellin s'était désigné lui-même sous le voile de l'anonyme. Cette conjecture n'a rien d'invraisemblable. Elle est au contraire d'accord avec la sobre modestie de l'auteur et répond aux intimes désirs que devait éprouver ce partisan dévoué de Julien, Procope étant le candidat de tous ceux qu'avait surpris et attristés la mort prématurée de ce prince. Dans tous les cas, le conseil émis par ce soldat politique ne prévalut pas. L'armée ne put se passer d'un empereur ; elle nomma Jovien, alors primicier de l'ordre des protecteurs domestiques. Ammien Marcellin, qui peut-être commandait sous lui dans un grade encore élevé, paraît l'avoir eu en médiocre estime. Enfin, après bien des souffrances et des humiliations, l'armée arriva en Syrie et Ammien Marcellin revint à Antioche, Antiochiam venimus. C'était là pour lui le lieu du repos, la patrie, la famille.

 

III. — Sa retraite, sa mort (335 ?-396 ?).

Jusqu'ici nous avons pu dégager de l'œuvre d'Ammien Marcellin la part qu'il prit aux événements de son temps. Mais après le retour de l'expédition en Perse (363) l'auteur se dérobe et ne se met plus en scène. A peine reparaît-il de loin en loin en évoquant un souvenir personnel, et dans des conditions telles qu'il est difficile de savoir ce qu'il fut désormais dans l'empire. Cependant, Ammien Marcellin était, à cette date, à peine âgé de trente ans, et il vécut longtemps encore puisque nous le trouvons, trente ans plus tard, en 392, occupé à écrire son histoire. Comment a-t-il rempli cette autre moitié de sa vie ? Les uns ont prétendu que notre historien avait continué de suivre la carrière des armes, et même, parce qu'il lui arrive parfois de s'identifier avec les Romains et de dire nous, ils ont cru qu'il avait pris part aux divers combats de Valentinien contre les Barbares. C'est, croyons-nous, une erreur, car c'est donner un sens particulier à une simple forme du récit[54] ; et, d'ailleurs, pourquoi nous aurait-il laissé ignorer ce qu'il était et ce qu'il faisait dans l'armée lui qui jusqu'à présent nous avait si franchement avoué la part qu'il avait prise à ces campagnes ? On ne saurait dire, avec Chifflet, que l'historien a cru devoir passer sous silence les hautes dignités militaires auxquelles il fut élevé afin de donner plus de poids à son œuvre en paraissant plus libre et plus indépendant, car pour la même raison Ammien Marcellin aurait dû se taire sur la part qu'il avait prise aux événements avant 363. D'autres, et c'est le plus grand nombre, disent qu'il abandonna la carrière des armes pour se livrer au repos et à l'étude, préparant ainsi l'œuvre qui devait être le couronnement de sa vie. Ce repos qui aurait duré plus de trente ans ne laisse pas de nous surprendre et nous invite à faire de nouvelles recherches[55].

Nous trouvons dans l'histoire d'Ammien Marcellin les noms de plusieurs fonctionnaires qui des cadres de l'armée passèrent dans les rangs de l'administration civile ou judiciaire. Nebridius, par exemple, comte d'Orient en 353, au service du César Gallus, était questeur de Julien en 359, dans les Gaules, et fut nommé préfet du prétoire par Constance au moment où le jeune César victorieux se laissait proclamer Auguste par l'armée (361)[56]. Tel fut encore Modeste qui, comte d'Orient lui aussi en 359, se trouve en 371 préfet du prétoire de Valens, et, comme tel, le guide et le bras droit de ce prince[57]. C'est ainsi qu'en plein quatrième siècle, malgré les réformes d'Alexandre Sévère, d'Aurélien et surtout de Dioclétien et de Constantin, qui avaient amené la séparation des pouvoirs civils et militaires, l'on voyait encore des officiers de l'armée passer dans les rangs de l'administration. Ces usages étaient dans les traditions de l'empire et subsistaient encore malgré des tendances contraires. C'étaient des restes de l'antique confusion des pouvoirs dans les mains des gouverneurs des provinces, dont on retrouve encore des traces sous les fils de Constantin.

Les chefs militaires, dit M. Bouché-Leclercq, étaient investis non seulement du commandement des troupes et de la collation des grades, mais d'une juridiction étendue qui empiétait par bien des côtés sur la juridiction des magistrats civils[58]. Et de fait, Ammien Marcellin nous montre le maître de cavalerie Ursicin appelé par le César Gallus et présidant le tribunal qui devait juger les victimes de la tyrannie inconsidérée de ce prince[59]. Il n'est donc pas étonnant de voir des généraux devenir questeurs, préfets du prétoire et, préfets de la ville, car ils étaient préparés à ces hautes fonctions par le commandement militaire qu'ils avaient déjà exercé. Ammien Marcellin n'aurait-il pas fait de même et n'est-il pas permis de conjecturer qu'après avoir passé dix ans dans l'armée il entra lui aussi dans l'administration civile ? Ce n'est pas invraisemblable et il est bon de le rechercher.

Le corps des protecteurs domestiques, auquel il appartenait, était une école d'élite legio lecta, dit le Code, instituée pour le service personnel des princes imperatorum obsequiis inhœrere, et encore pour les besoins publics de l'État officiis publicis deputari, ce que notre historien exprime dans ces mots : ad juvandas publicas necessitates[60]. Les jeunes gens qui sortaient de ce corps, après en avoir parcouru tous les grades, étaient admis aux plus hautes charges tant civiles que militaires. Il semble, en effet, que les services rendus dans cet ordre les disposaient également aux unes comme aux autres[61]. Et de fait, les dispositions relatives au corps des protecteurs domestiques sont réglées dans le code Théodosien au livre VI, chapitre des dignités de la cour ; tandis que les règlements faits pour les fonctions purement militaires et leur hiérarchie sont à part, dans le livre VII. Ainsi rien n'empêche de supposer qu'Ammien Marcellin, ail retour de l'expédition en Perse, abandonna l'armée et entra dans la carrière administrative.

Cette conjecture n'est pas sans fondements. On trouve, en effet, dans les livres de notre historien bon nombre de faits et d'expressions qui, sans cette hypothèse, seraient presque inexplicables. C'est ainsi que les divers procès du temps sont racontés avec une telle abondance de détails que le récit en devient fastidieux[62]. L'auteur emploie, en mille rencontres, des termes empruntés au langage juridique avec la précision d'un homme habitué à cette langue[63]. Il lui arrive même de discuter la légalité de tel ou tel acte[64], et il fait de continuels appels à l'œil incorruptible de la justice inconnivens justitiœ oculus, ce qui trahit les préoccupations d'un magistrat[65]. Il dira d'Eupraxius, questeur de Valentinien, homme d'une fermeté inébranlable dans le bien, qu'il était semblable aux lois qui, en présence des cas les plus divers, tiennent toujours le même langage[66]. L'historien a, dans plusieurs passages, des théories très justes et très larges sur le pouvoir, des discussions théologiques et scientifiques qui sont plus d'un homme habitué à penser et à réfléchir que d'un soldat[67]. Enfin, un des chapitres les plus intéressants est une digression sur les travers des avocats de son temps super indignitate quam in illis partibus agens expertus sum[68]. C'est, semble-t-il, non comme client, mais Comme juge condamné à les subir en les écoutant, que l'auteur a dû les connaître.

La correspondance de Libanius, nous fournira un argument plus décisif. Dans la lettre 983e, déjà citée, le rhéteur d'Antioche félicite notre historien du beau succès qu'il a obtenu, à Rome, dans les lectures publiques. Il est probable que Libanius était en relations avec Ammien Marcellin et qu'il eut occasion de lui adresser bien d'autres lettres. Or, de celles qui portent la suscription de Μαρκελλίνος, comme la lettre précédente, toutes s'accordent à nous le représenter comme un homme probe, de haute considération, et occupant dans l'administration civile une position élevée[69]. Dans le code Théodosien, nous trouvons. encore une loi adressée à un Marcellin, qui avait par sa charge juridiction sur les magistrats. Le commentateur Godefroy n'a pas hésité à croire que cette loi était adressée à notre historien[70]. A considérer toutes ces indications, il est impossible de ne pas être frappé de ces rapprochements et de ne pas conclure que, après l'expédition de Julien en Perse, Ammien Marcellin déposa l'épée et s'engagea dans l'administration civile, où il s'éleva aux plus hautes dignités. En cela, il ne fit que suivre l'exemple de plusieurs hommes politiques de son temps, comme lui-même le dit des préfets Honoratus, Nebridius, Modestus, etc., à un âge d'ailleurs où le repos n'a pas de raison d'être. A défaut d'autres preuves, son œuvre demanderait une telle supposition. Comment, en effet, l'historien aurait-il été au courant de toutes les affaires de son temps s'il n'eût été, par sa situation placé au centre même des informations officielles ?

Il paraît certain qu'Ammien Marcellin resta en Orient au service de l'empereur Valens jusqu'à la mort de ce prince, tué à la bataille d'Andrinople (378). L'historien donne, en effet, beaucoup de détails relatifs à la cour de ce prince, et pour celle de Valentinien, il ne semble recueillir que de loin les rumeurs. C'est ainsi qu'il s'étend longuement sur le récit de la conjuration avortée de Théodore, à Antioche, en 371, et des sanglantes répressions qui la suivirent. Il ne dissimule même pas la terreur qu'il éprouva à ce sujet, omnes ea tempestate velut in Cimmeriis tenebris reptabamus paria convivis siculi Dionysii pavitantes[71]. Il est probable qu'il fut tenu alors en suspicion, comme beaucoup d'autres hommes politiques fidèles au souvenir de Julien. Libanius fut lui aussi compromis, accusé de magie, et ne fut sauvé que grâce à l'intervention d'un haut dignitaire de l'armée.

Après le désastre d'Andrinople (378), la plupart des hommes d'État de l'Orient cherchèrent un refuge en Occident, à la cour de Gratien et de Valentinien Il, et s'y établirent. C'est ainsi qu'Hypatius, frère d'Eusébie, la femme de Constance, qui, en 371, était, par ordre de Valens, obligé d'assister aux funérailles d'Héliodore, un insolent parvenu et le scandale d'Antioche, cet Hypatius se retrouve, dans les annales de Rome, préfet de la ville en 379 et préfet du prétoire d'Italie en 382-383. Hypatius était l'ami de notre historien, commendabilis noster Hypathius[72]. Les circonstances et l'amitié entraînèrent en Occident Ammien Marcellin où, comme Hypatius, il trouva une haute situation. La loi du code Théodosien, citée plus haut, et qui lui était adressée selon toute probabilité, est datée de Milan (383). Ammien Marcellin était donc, en ce moment, en Occident.

Il n'est pas possible de savoir à quelle date fixe Ammien Marcellin se retira de la vie publique pour se livrer à la composition de ses livres d'histoire. Toutefois, cette date ne peut être portée au delà de 387 ou 388, car deux ou trois ans après, vers 390, l'historien faisait à Rome la lecture de ses livres[73].

Cette date concorde fort bien avec les changements qui eurent lieu, cette année, dans le personnel administratif de l'Italie. Au mois de septembre 387, l'usurpateur Maxime franchit les Alpes, chasse Valentinien II, s'empare de la Péninsule et donne des gages de protection à Symmaque, accouru à Milan pour le féliciter au nom du Sénat[74]. L'année suivante, Théodose a châtié l'audace de Maxime et rendu l'empire d'Occident au jeune Valentinien (388). Les représentants du paganisme à Rome, protégés par Maxime, durent faire amende honorable et se soumettre. Bon nombre d'entre eux furent déposés et congédiés. Ammien Marcellin était plus ou moins engagé dans ce parti par ses relations avec les Symmaque et les Prétextat. Il n'est pas téméraire de croire qu'au milieu de ces troubles il fut rendu à la vie privée.

La date précise de la mort d'Ammien Marcellin est restée inconnue ; mais il ne convient pas de la placer après l'an 395, car, dans le récit, l'historien ne fait aucune allusion aux graves événements de cette époque, ni aux hommes qui jouèrent alors un rôle important. Or, c'est une des habitudes les plus constantes de notre auteur de dire d'un homme, quand son nom se présente, ce qu'il advint de lui dans la suite, fallût-il dépasser la date de 378, point auquel s'est arrêté le récit compris dans ses livres d'histoire[75].

 

 

 



[1] Teuffel, Histoire de la littéral. romaine, t. III, p. 308. Cassiodore (480-573), consul sous Théodoric et secrétaire du roi. Son Histoire des Goths a été réduite et mise en abrégé par Jornandès. A la fin de sa vie, Cassiodore se retira dans un couvent où il composa une série d'ouvrages encyclopédiques. — Priscien : Marcellinus, rerum gestarum quarto decimo : tanquam licentia crudelitati indulta, liv. IX, p. 870.

[2] Ammien Marcellin, XV, 9, 2, édit. V. Gardthausen ; Leipzig, 1874. Toutes nos citations seront empruntées à cette édition.

[3] Ammien Marc., XXXI, 16, 9.

[4] Strabon, XVI, 2 ; Ottfried Müller, Antiquitates Antiochenæ.

[5] Ammien. Marc., XIV, 8, 8.

[6] Ammien Marc., XXII, 9. 14.

[7] Ammien Marc., XIV, 1, 9.

[8] Ammien Marc., XXII, 13, 2.

[9] Ammien Marc., XIV, 7, 2 ; XXII, 14, 2.

[10] Ammien Marc., XXIX, 1 et 2.

[11] Ammien Marc., XIX, 8, 12 ; XXV, 10, 1.

[12] Libanius, Lettre 983, citée dans la préface de l'édition d'Ammien Marcellin, par V. Gardthausen, p. VIII.

[13] Ammien Marcellin ne pouvait appartenir à une famille aristocratique. Nous savons, en effet, qu'en 267, le Sénat romain s'étant porté en armes au-devant des Barbares, qui s'avançaient jusque dans la Toscane, Gallien en prit de l'ombrage et interdit le service militaire aux sénateurs et à leurs fils. Dioclétien étendit cette défense à l'aristocratie des cités, ferma les légions aux décurions, à leurs fils et à tous ceux.qui, par leur fortune, pouvaient être appelés aux charges municipales (Aurel. Victor, De Cæsaribus, 33 ; Zosime, 1, 37 ; V. Duruy, Histoire des Romains, VII, 41.)

[14] Ammien Marc., XXV, 9, 1.

[15] Ammien Marc., XVI, 10, 21.

[16] Cam. Jullian : De protectoribus domesticis. Thèse latine, 1883 ; Thorin, éditeur.

[17] V. Duruy, Histoire des Romains, VII, p. 238.

[18] Code Théod., XV, 1. De operib. publicis, et XII, 2, De præbendo salario.

[19] Scholia in novellam 17 Juliani antecessoris ad hæc verba : velut comes Orientis sedet in Antiochena.

[20] Nous savons par le Pseudo-Asconius que, dès le temps de Cicéron, Marcellus et Marcellinus étaient des noms gentilices.

[21] Code Théod., lex prima de protectoribus : Ceteris qui ultra numerum in præsenti esse voluerint, scias neque annonas, neque capita esse danda, sed omnes cogendos ad manipulos suos ac terminos redire.

[22] Procopius in Anecdotis. M. Jullian n'ajoute pas foi à la parole de Procope parce qu'il était ignorant des choses de la guerre. Cependant, Procope fut le compagnon et le secrétaire de Bélisaire dans presque toutes ses campagnes. M. V. Duruy ne craint pas de dire : Au fond, les protecteurs n'étaient que des soldats de parade, aussi inutiles à l'État que les prétoriens, leurs prédécesseurs, mais moins redoutables parce qu'ils étaient moins nombreux. (Hist. des Rom., VII, p. 254.)

[23] Sapor II, fils d'Hormizdas II, né en 310, mort en 380, ne cessa pendant sa longue vie de guerroyer contre les Romains. Il réclamait alors (359) les cinq provinces transtigritanes et voulait rétablir à son profit le grand empire de Darius. A la mort de Julien (363), il se fit céder par Jovien la Mésopotamie.

[24] Ammien Marc., XIV, 9, 3. C'est ainsi que, au milieu du quatrième siècle, malgré les réformes de Dioclétien et de Constantin sur la distinction des pouvoirs, on voit un général présider une commission judiciaire. Nous le verrons encore à l'avènement de Julien.

[25] Ammien Marc., XIV, 11, 3.

[26] Ammien Marc., XV, 2, 4.

[27] Ammien Marc., XV, 2, 3. Chaque magistrat suprême avait ses bureaux, officia, qui ne changeaient pas comme le chef, officiales perpetui sunt (Code Théod., XI, 30, 59) ; ils gardaient les dossiers.

[28] Végèce, liv. II, nous apprend que dix officiers, protecteurs domestiques, constituaient une compagnie (manipulus). Ammien Marcellin nous dit qu'il partit avec son collègue Verinianus. Ce mot de collègue, qui revient à d'autres endroits, ne ferait-il pas croire que les protecteurs domestiques marchaient toujours deux par deux. (Ammien Marc., XV, 3, 10 ; XV, 3, 22 ; XVIII, 8, 11.)

[29] Ammien Marc., XV, 5, 24-32.

[30] Ammien Marc., XVI, 2, 8.

[31] Ammien Marc., XVII, 8, 1.

[32] Ammien Marc., XVI, 10, 21.

[33] Le Sacré-Consistoire organisé par Hadrien et reconstitué par Dioclétien secondait le prince dans l'exercice de son pouvoir législatif et judiciaire. Il était composé des plus hauts dignitaires de l'empire : Quæstor sacri palatii, magister officiorum, magister sacri cubiculi, præfecti prætorio, etc.

[34] Ammien Marc., XVI, 10, 21.

[35] Ammien Marc., XVIII, 6, 1.

[36] Ammien Marc., XVIII, 5, 5.

[37] Ammien Marc., XVIII, 6, 7.

[38] Ammien Marc., XVIII, 7, 7.

[39] Ammien Marc., XIX, 3.

[40] Ammien Marc., XVIII, 6, 20.

[41] Ammien Marc., XVIII, 8, 11.

[42] Ammien Marc., XIX, 1-9. Il est à remarquer que sept légions étaient enfermées dans Amide pour défendre la ville. Il est évident que chaque légion ne devait pas avoir son contingent ; quarante mille hommes n'auraient pu tenir dans la place. La légion avait été réduite depuis Constantin à sept ou huit cents hommes.

[43] Ammien Marc., XX, 2, 2. Le maître de la milice était, après le prince, le chef de l'armée, et le maître des offices était le plus élevé des fonctionnaires de la cour, une espèce de premier ministre et de ministre des affaires étrangères.

[44] Ammien Marc., XX, 2, 5.

[45] Ammien Marc., XV, 5, 19.

[46] Ammien Marc., XVIII, 6, 2.

[47] Ammien Marc., XVIII, 4, 3.

[48] Ammien Marc., XXXI, 13, 18.

[49] Ammien Marc., XXI, 15, 1.

[50] Ammien Marc., XXII, 2, 4.

[51] Ammien Marc., XXII, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10. Julien resta à Constantinople de novembre 361 à juin 362, et à Antioche de juillet 362 à mars 363. Ammien Marc. dit qu'il arriva à Antioche pour les fêtes d'Adonis, lesquelles se célébraient au mois de juillet. (Ammien Marc., XXII, 9, 15.)

[52] Ammien Marcellin ne dit pas positivement qu'il ait pris part à cette expédition ; mais en plusieurs endroits il se comprend formellement avec les autres : XXIII, 5, 7 ; 6, 21 ; 30 ; XXV, 10, 1. Le texte est, d'ailleurs, mutilé et altéré, XXIII, 5 ; l'auteur pouvait avoir donné sur son compte des renseignements plus précis. On remarque que jusqu'à cet endroit il s'était exclu du récit ; à partir de là, il s'y comprend. (V. Suvhaus, De ratione quœ intercedal inter Zozimi et Ammiani relationes, p. 20, Bonn., 1870.)

[53] Ammien Marc., XXV, 5, 3.

[54] Ammien Marcellin parle de nos armées, soit au siège de Bézabde par Constance, XX, 11, 11, soit dans les campagnes de Valentinien et de Gratien, XXVII, 10, 16 ; mais il le dit aussi dans le récit de la bataille d'Argentoratum, XVI, 12, 15, 37, 42, et nous savons qu'il ne prit pas part à ce combat. (Ammien Marc., XXVII, 8 et 10.).

[55] Cl. Chifflet, Vita Ammiani Marcell., biographie insérée en tête de l'édition de notre historien par les frères H. et A. de Valois. Paris, 1681. Cl. Chifflet était un jurisconsulte et érudit français du seizième siècle. Il enseigna à l'Université de Dôle. — Consulter aussi : Müller, De Ammiano Marcell., p. 4 ; A. Mœller, De Ammiano, p. 13 ; Ad. Cart, Questiones Ammianœ, p. 20.

[56] Ammien Marc., XIV, 2, 20 ; XI, 9, 5. Ce Nebridius, comte d'Orient, était bien dans les rangs de l'armée, comme comte militaire, puisque Ammien Marcellin nous le montre réunissant des troupes au défaut du maître de cavalerie et accourant au secours de la ville de Séleucie assiégée par les Isaures.

[57] Ammien Marc., XIX, 12, 6 ; XXIX, 1, 10. Honoratus fut de même comte d'Orient en 353, devint préfet du prétoire des Gaules en 355 et préfet de la villa de Constantinople en 359. Il fut le premier préfet de cette ville. (S. Jérôme, Chronique.)

[58] Bouché-Leclercq, Manuel des Institutions romaines, p. 317. Le titre de comte, il est vrai, était donné à des fonctionnaires civils tels que le Comes Largitionum, Comes Rerum privatarum ; mais il était spécialement accordé à plusieurs hauts officiers de l'armée, tels que le comte d'Orient. Nous venons de le voir pour Nebridius dans Ammien Marcellin, et saint Ambroise, dans sa Lettre à Théodose, dit : Relatum est a Comice Orientis militarium partium incensam esse Synagogam.

[59] Ammien Marc., XIV, 9, 1.

[60] Cam. Jullian, De Protectoribus domesticis, pp. 24, 25. Ammien Marc., XV, 5, 22.

[61] Nous trouvons dans Ammien Marcellin un Herculanus, fils du maitre de cavalerie Hermogenes et protecteur domestique, chargé d'une mission confidentielle auprès de Constance pour lui faire part des désordres du gouvernement de Gallus en Orient. (Ammien Marc., XIV, 10, 2.)

[62] Ammien Marc., XXVIII, 1 ; XXIX, 1 et 2 et passim.

[63] Ammien Marc., XIV, 5, 3 ; 9, 6 ; XXII, 10, 2 et 5 ; XXVII, 6, 14 et passim.

[64] Ammien Marc., XXII, 3, 4.

[65] Ammien Marc., XIV, 11, 25 ; mi, 3, 7 ; 10, 6 ; XXV, 4, 19 ; XXVIII 6, 1 et 25 ; XXIX, 2, 20 ; XXX, 2, 9 ; 4, 9.

[66] Ammien Marc., XXVII, 6, 14.

[67] Ammien Marc., XIV, 7, 5 ; XXI, 16, 14 ; XXX, 8, 6 et 14 ; XXIX, 2, 18 ; XIX, 1 ; XXII, 9 ; 14, 7 ; XXI, I, 7.

[68] Ammien Marc., XXX, 4, 4.

[69] Libanius, Lettres 141, 1171. Ces Lettres ne sont pas des cinq cents dernières qui, d'après les derniers travaux sur Libanius, sont apocryphes. (V. Monnier, Hist. de Libanius, 1866 ; Forster, P. Zambeccari et les Lettres de Libanius, Stuttgard, 1878).

[70] Cod. Théod., 9, 27, 5, de l'année 383, à Milan. Il est, à cette date, une autre loi adressée à un Ammien, comte du trésor privé du prince. Chifflet a cru que net Ammien était encore le nôtre. Nous ne le croyons pas, car ces lois, comme les lettres, devaient porter en titre le nom de famille, et ce nom était : Marcellinus, — comme fait Libanius, — comme fera Priscien, au siècle suivant, quand il le citera.

[71] Ammien Marc., XXIX, 2, 4.

[72] Ammien Marc., XXIX, 2, 16.

[73] Libanius, Lettre 983. Le contexte prouve que cette lettre fut écrite de 390 à 391.

[74] Symmaque, Epist., II, 31.

[75] Ammien Marc., XXI, 10, 6 ; XXVI, 5, 14 ; XXVIII, 1, 27, etc.