Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

CHAPITRE XLVII

Histoire théologique de la doctrine de l’Incarnation. La nature humaine et divine de Jésus-Christ. Inimitié des patriarches d’Alexandrie et de Constantinople, saint Cyrille et Nestorius. Troisième concile général tenu à Éphèse. Hérésie d’Eutychès. Quatrième consul, général tenu à Chalcédoine. Discorde civile et ecclésiastique. Intolérance de Justinien. Les trois Chapitres. Controverse des monothélites. État des sectes de l’Orient : 1° les nestoriens ; 2° les jacobites ; 3° les maronites ; 4° les arméniens ; 5° les cophtes ; 6° les abyssins.

 

 

LES chrétiens, après avoir détruit le paganisme, pouvaient jouir pieusement et paisiblement d’un triomphe qui les laissait sans adversaires ; mais un principe de discorde respirait en eux, et ils mirent plus d’ardeur à découvrir la nature du fondateur de leur religion qu’à pratiquer ses lois. J’ai déjà observé que les disputes de la TRINITÉ furent suivies de celles de l’INCARNATION, également scandaleuses pour l’Église et également funestes à l’État, mais plus minutieuses encore dans leur origine et plus durables dans leurs effets. Ce chapitre contiendra le récit d’une guerre religieuse de deux cent cinquante ans ; mon projet est d’y exposer le schisme ecclésiastique et politique des sectes de l’Orient, et de préparer le récit de leurs querelles, si bruyantes et si sanguinaires, par de courtes recherches sur la doctrine de la primitive Église[1].

I. Les chrétiens, justement intéressés à l’honneur des premiers prosélytes de leur religion, ont été disposés à croire, selon leur désir et leur espérance, que les ébionites, ou du moins les nazaréens, ne s’étaient distingués que par leur persévérance obstinée dans la pratique du culte de Moïse. Leurs églises ont disparu ; on ne se souvient plus de leurs livres ; leur obscure liberté a pu laisser un vaste champ aux opinions sur cette matière, et fournir au zèle et à la prudence du troisième siècle un moyen d’exposer diversement leur symbole flexible et à peine fixé ; mais la critique la .plus charitable doit refuser à ces sectaires toute connaissance de la pure et vraie divinité de Jésus-Christ. Instruits dans l’école des Juifs, imbus de leurs prophéties et de leurs préjugés, ils n’avaient jamais appris à élever leurs espérances au-dessus d’un messie humain et temporel[2]. S’ils avaient le courage de saluer leur roi lorsqu’il se montrait sous un habit plébéien, ils ne pouvaient, dans leur grossièreté, discerner leur dieu soigneux de cacher sa céleste nature sous le nom et la personne d’un mortel[3]. Jésus de Nazareth s’entretenait familièrement avec ses compagnons ; il se montrait leur ami, et, dans toutes les actions de la vie raisonnable ou de la vie animale, il paraissait de la même espèce qu’eux. Ainsi que les autres hommes, il passa de l’enfance à la jeunesse et à la virilité par un accroissement graduel de stature et de sagesse, et il expira sur la croix après une pénible agonie de l’esprit et du corps. Il vécut et mourut pour servir les hommes ; mais Socrate avait aussi consacré sa vie et sa mort à la cause de la religion et de la justice ; et, bien que le stoïcien, ou le héros, puisse dédaigner les humbles vertus de Jésus, les larmes qu’il a versées sur son pays et sur le disciple qu’il aimait sont la preuve la plus pure comme la plus incontestable de son humanité. Les miracles de l’Évangile ne devaient pas étonner un peuple qui croyait avec intrépidité les prodiges encore plus éclatants de la loi de Moïse. Avant lui, des prophètes avaient guéri des malades, ressuscité des morts, arrêté le soleil, étaient montés au ciel sur des chars de feus et le style métaphorique des Hébreux pouvait donner à un saint et à un martyr le titre adoptif de fils de Dieu.

Toutefois dans le symbole des nazaréens et des ébionites, on n’aperçoit que de faibles traces d’une distinction entre les hérétiques qui disaient que le Christ avait été engendré selon l’ordre commun de la nature, et les schismatiques moins coupables qui admettaient la virginité de sa mère, et excluaient l’intervention d’un père terrestre. L’incrédulité des premiers semblait autorisée par les circonstances visibles de sa naissance, par le mariage de Joseph, son père putatif, qui avait rempli toutes les formalités de la loi, et par ses droits de descendance directe suc le royaume de David et l’héritage de Juda ; mais l’histoire secrète et authentique s’est conservée dans plusieurs copies de l’Évangile selon saint Matthieu[4], que ces sectaires gardèrent longtemps dans l’hébreu original[5], comme le seul témoignage de leur croyance. Joseph, sûr de sa chasteté, eut des soupçons bien naturels ; mais, instruit en songe que la grossesse de son épouse était l’ouvrage du Saint-Esprit, il perdit toute inquiétude ; et l’historien n’ayant pu observer lui-même ce miracle domestique, il faut qu’il ait écouté, en cette occasion, la voix qui dicta à Isaïe la prophétie de la future conception d’une vierge. Le fils d’une vierge engendré par l’ineffable opération du Saint-Esprit était un être tel qu’on n’en avait jamais vu, et qu’on ne pouvait comparer à rien ; dans tous les attributs de l’esprit et du corps il se trouvait supérieur aux enfants d’Adam. Depuis l’introduction de la philosophie grecque ou chaldéenne[6], les Juifs[7] croyaient à la préexistence, à la transmigration et à l’immortalité de l’âme ; et potin justifier la Providence ils supposaient que l’âme subissait une prison corporelle, afin d’expier les fautes commises dans une situation antérieure[8] ; mais les degrés de la pureté et de la corruption sont presque incommensurables. On put croire que le plus sublime et le plus vertueux des esprits avait été choisi pour animer l’être né de Marie et du Saint-Esprit[9], que son humiliation était le résultat de son choix, et que l’objet de sa mission était d’expier non pas ses péchés ; mais ceux du monde. A son retour au ciel, d’où il sortait, Jésus-Christ reçut le prix infini de son obéissance, ce royaume à jamais durable du Messie, que les prophètes avaient prédit obscurément sous les images charnelles d’une paix, d’une conquête et d’une domination terrestres. Dieu pouvait proportionner les facultés humaines du Christ à l’étendue de ses célestes fonctions. Dans la langue de l’antiquité, le titre de Dieu n’était pas réservé exclusivement à celui dont émanent toutes choses, et son incomparable ministre, son fils unique, pouvait sans présomption demander au monde, son empire, un culte religieux Bien que secondaire.

II. Les semences de la foi, qui n’avaient germé que lentement au milieu du sol dur et ingrat de la Judée, furent transplantées en pleine maturité dams les climats plus heureux des gentils ; et les étrangers de Rome et de l’Asie, qui n’avaient pas vu les formes humaines de Jésus-Christ, ne furent que plus disposés à n’y voir qu’un Dieu. Le polythéiste et le philosophe, le Grec et le Barbare, étaient également accoutumés à admettre une longue éternité, une chaîne infinie d’anges ou de démons, de divinités ou d’æons ou d’émanations qui sortaient du trône de lumière ; et ils ne voyaient rien d’étrange ou d’incroyable à ce que le premier de ces æons, le logos ou le verbe de Dieu, de la même substance que son père, descendit sur la terre pour délivrer le genre humain du vice et de l’erreur, et le guider dans le chemin de la vie et de l’immortalité ; mais le dogme de l’éternité, et les idées de corruption inhérentes à la matière, infectèrent les premières Églises de l’Orient. Un grand nombre des prosélytes païens refusaient de croire qu’un esprit céleste, une portion indivise de la première essence, se frît trouvée personnellement unie à une niasse, de chair impure et souillée ; et, pleins de zèle pour la divinité de Jésus-Christ, leur dévotion les porta à ne plus reconnaître son humanité. Son sang fumait encore sur le mont Calvaire[10], lorsque les docètes, secte d’Asie nombreuse et savante, inventèrent le système fantastique que propagèrent ensuite les marcionites, les manichéens et les gnostiques de toutes les dénominations[11]. Ils ne voulurent point admettre la vérité et l’authenticité des Évangiles, en ce qui a rapport à la conception de Marie, à la naissance de Jésus-Christ, et aux trente années qui précédèrent l’exercice de son ministère. C’était sur les bords du Jourdain qu’il avait paru d’abord dans toute la perfection de la forme humaine ; mais, disaient ces hérésiarques, ce n’était qu’une forme et non pas une substance ; c’était une simple figure, humaine créée par le Dieu tout-puissant, pour imiter les facultés et les actions d’un homme, et faire une illusion continuelle aux sens de ses amis et de ses ennemis. Des sons articulés frappaient les oreilles de ses disciples ; mais l’image qui se gravait sur leur nerf optique se refusait à la preuve plus positive du toucher ; et ils jouissaient de la présence spirituelle et non pas de la présence corporelle du fils de Dieu. Les Juifs exercèrent en vain leur rage sur un fantôme impassible, et les scènes mystiques de la passion et de la mort, de la résurrection et de l’ascension de Jésus-Christ, furent représentées sur le théâtre de Jérusalem pour l’avantage du genre humain. Si l’on représentait aux docètes qu’une pareille farce, qu’une supercherie si continuelle, étaient indignes du Dieu de vérité, ils se justifiaient par la doctrine des fraudes pieuses, reçue chez un si grand nombre de leurs frères orthodoxes. Dans le système des gnostiques, le Jéhovah d’Israël, le Créateur de ce monde sublunaire, fut un esprit rebelle ou du moins ignorant. Le fils de Dieu est venu sur la terre pour abolir le temple et la loi de Jéhovah ; et pour arriver à ce but salutaire, il s’est habilement emparé des espérances et des prédictions d’un messie temporel.

L’un des champions les plus subtils de l’école manichéenne à fait valoir le danger et l’indécence d’une supposition d’après laquelle le Dieu des chrétiens, d’abord sous la forme d’un fœtus, serait sorti du sein d’une femme après neuf mois de grossesse. La pieuse horreur qu’excita sa proposition parmi ses adversaires les porta à désavouer toutes les circonstances charnelles de la conception et de l’accouchement, à soutenir que la Divinité avait pénétré dans le sein de Marie comme un rayon du soleil à travers une glace, et que sa virginité demeura intacte, même au moment où elle devint mère de Jésus-Christ. Mais la témérité de ces assertions a fait naître un sentiment plus modéré : quelques docètes ont enseigné, non pas que Jésus-Christ fût un fantôme, mais qu’il était revêtu d’un corps impassible et incorruptible. Tel est, en effet, dans le système le plus orthodoxe, le corps qu’il possède depuis sa résurrection, et tel est celui qu’il doit avoir toujours possédé pour être capable de pénétrer sans résistance et sans blessure une matière intermédiaire. Doué des propriétés les plus essentielles de la chair, ce corps devait être exempt de ses attributs et de ses infirmités : un fœtus qui d’un point invisible arriverait à son entière maturité, un enfant qui parviendrait à la stature d’un homme fait, sans tirer aucune nourriture des sources ordinaires, pourrait continuer d’exister sans réparer, par des repas journaliers, ses pertes journalières ; Jésus pouvait donc partager les repas de ses disciples sans éprouver la soif ou la faim, et sa pureté virginale ne fut jamais souillée par les mouvements involontaires de la concupiscence. Si l’on demandait par quels moyens et de quelle matière un corps si singulièrement constitué avait pu être formé primitivement, les gnostiques et d’autres sectaires répondaient que la forme et la substance provenaient de l’essence divine : réponse qui étonne notre théologie plus raisonnable, et qui ne leur était pas particulière. L’idée d’un esprit pur et absolu est un raffinement de la philosophie moderne. L’essence spirituelle, que les anciens attribuaient aux âmes humaines, aux êtres célestes et à Dieu lui-même, n’exclut pas la notion d’un espace étendu, et leur imagination s’attachait à l’idée d’une nature telle que l’air, le feu ou l’éther, substances incomparablement plus parfaites que les matériaux grossiers de notre univers. Si nous déterminons le lieu qu’occupe la Divinité, Bous devons faire une sorte de description de sa figure. D’après notre expérience et peut-être notre vanité, la puissance de la raison et de la vertu se représente à nous sous une forme humaine. Les anthropomorphites, qui étaient en grand nombre parmi les moines de l’Égypte et les catholiques de l’Afrique, pourraient citer cette déclaration formelle de l’Écriture, que Dieu a fait l’homme à son image[12]. Le vénérable Sérapion, un des saints du désert de Nitrie, abandonna en pleurant une croyance qu’il chérissait, et gémit, comme un enfant d’une conversion qui lui enlevait son Dieu et laissait son esprit sans aucun objet visible de foi et de dévotion[13].

Tels furent les systèmes vagues et indécis dont se composa l’hérésie des docètes. Cérinthe d’Asie[14], qui osa combattre le dernier des apôtres, imagina une hypothèse plus substantielle et plus compliquée. Placé sur les confins du monde juif et du monde gentil, il s’efforça de réconcilier les gnostiques et les ébionites, en reconnaissant dans le Messie l’union surnaturelle de l’homme et de la Divinité ; Carpocrates, Basilide, Valentin[15] et les hérétiques de l’école égyptienne, adoptèrent cette doctrine mystique, à laquelle ils ajoutèrent plusieurs détails de leur invention. Dans leur opinion, Jésus de Nazareth n’était qu’un simple mortel, fils légitime de Joseph et de Marie ; mais c’était le meilleur et le plus sage des humains, choisi comme un digne instrument pour rétablir sur la terre le culte du vrai Dieu. Au moment de son baptême dans le Jourdain, le Christ, le premier des wons, fils de Dieu lui-même ; descendit sur, Jésus sous la forme d’une colombe, polir remplir son esprit et diriger ses actions durant la période de son ministère. Quand le Messie fut livré aux Juifs, le Christ, être immortel et impassible, abandonna sa demeure terrestre ; il retourna dans le Pleroma, ou monde des esprits, et laissa Jésus, seul et abandonné, souffrir, se plaindre et mourir. Mais on peut contester la justice et, la générosité de cette désertion ; le sort d’un innocent martyr, d’abord exalté et ensuite délaissé par l’esprit divin qui l’accompagnait, dut exciter la pitié et l’indignation des profanes. Les sectaires qui adoptèrent et modifièrent le double système de Cérinthe apaisèrent de différentes manières les murmures excités par ces opinions. On dit que lorsque Jésus avait été attaché à la croix, il s’était trouvé doué d’une miraculeuse apathie d’esprit et de corps, laquelle le rendit insensible aux douleurs qu’il paraissait souffrir : D’autres assurèrent que le règne temporel de mille ans, réservé au Messie dans son royaume de la nouvelle Jérusalem, le dédommagerait amplement de ses angoisses réelles, mais passagères. Enfin, on laissa entrevoir que s’il souffrit, il avait mérité de souffrir[16], que la nature humaine d’est jamais absolument parfaite, et que la croit et la passion purent servir à expier les transgressions vénielles du fils de Joseph avant son union mystérieuse avec le fils de Dieu.

III. Tous ceux qui embrassent là noble et séduisante idée de la spiritualité de l’âme, doivent avouer, d’après l’expérience, l’incompréhensible union de l’esprit et du corps. Il est aisé de concevoir que le corps peut être uni à un esprit qui a des facultés intellectuelles beaucoup plus grandes, ou même qui possède ces facultés au plus haut degré possible ; et l’incarnation d’un æon ou d’un archange, le plus parfait des esprits créés, n’est ni contradictoire ni absurde. Durant l’époque de la liberté religieuse, à laquelle mit des bornes le concile de Nicée, chaque individu mesurait la divinité de Jésus-Christ d’après la règle indéfinie de l’Écriture, de la raison où de la tradition ; mais lorsqu’on eut établi, sa divinité sur les ruines de l’arianisme, la foi des catholiques se trouva suspendue sur les bords d’un précipice d’où elle ne pouvait s’éloigner, où il était dangereux de se tenir, et près duquel un faux pas devait effrayer. Le sublime caractère de leur théologie aggravait encore les divers inconvénients de leur symbole. Ils hésitaient à prononcer que Dieu lui-même, la seconde personne d’une Trinité égale et consubstantielle, se fût manifesté dans la chair[17] ; qu’un être qui remplit l’univers eût été emprisonné dans le sein de Marie ; que les jours, les mois et les années de l’existence humaine, eussent marqué les époques de son éternelle durée ; que le Tout-Puissant eût été battu de verges et crucifié ; que son impassible essence eût éprouvé, la douleur et les angoisses ; que cet être qui sait tout ne fût pas exempt ignorance ; et que la source de la vie et de l’immortalité eût expiré sur le mont Calvaire. Ces inquiétantes conséquences n’effrayaient point l’inaltérable simplicité d’Apollinaire[18], évêque de Laodicée, et l’une des lumières de L’Église. Fils d’un savant grammairien, il était versé dans toutes les sciences de la Grèce ; il dévoua humblement au service de la religion l’éloquence, l’érudition et la philosophie qu’annoncent ses ouvrages. Digne ami de saint Athanase et digne adversaire de Julien, il lutta courageusement contre les ariens et les polythéistes ; et quoiqu’il affectât la rigueur des démonstrations géométriques, il exposa dans ses Commentaires le sens littérale et le sens allégorique des Écritures. Ses funestes soins réduisirent sous une forme technique un mystère qui avait flotté longtemps dans le vague de l’opinion populaire ; et il publia pour la première fois ces paroles mémorables : Une seule nature incarnée en Jésus-Christ ; paroles qui retentissent, encore comme un cri de guerre dans les Églises d’Asie, d’Égypte et d’Éthiopie. Il enseigna que la divinité s’était unie ou mêlée avec le corps d’un homme, et que le logos ou l’éternelle sagesse avait tenu en Jésus la place et rempli les fonctions de l’âme humaine ; mais, comme s’il eût été lui-même épouvanté de sa hardiesse, on l’entendit murmurer quelques mots d’excuse et d’explication. Il admit l’ancienne distinction qu’avaient établie les philosophes grecs entre l’âme raisonnable et l’âme sensitive de l’homme ; il réservait ainsi le logos pour les fonctions intellectuelles, et il employait le principe humain subordonné à celui-ci, aux fonctions moins relevées de la vie animale. Il révérait, avec les plus modérés d’entre les doutes, Marie comme la mère spirituelle plutôt que comme la mère charnelle de Jésus-Christ, dont le corps était venu du ciel impassible et incorruptible, ou bien avait été absorbé et transformé en l’essence de Dieu. On vit le système d’Apollinaire vivement combattu par les théologiens d’Asie et de Syrie, dont l’école s’honore des noms de saint Basile, de saint Grégoire et de saisit Chrysostome, et rougit de ceux de Diodore, de Théodore et de Nestorius : mais on n’attenta point à la personne, à la réputation, à la dignité du vieil évêque de Laodicée ; ses rivaux, qu’on ne peut soupçonner de s’être laissés aller à la faiblesse de la tolérance, furent peut-être étonnés de la nouveauté de ses arguments, et craignaient la décision que prononcerait enfin l’Église catholique. A la fin, elle se détermina en leur faveur ; l’hérésie d’Apollinaire fut condamnée, et les lois impériales proscrivirent les diverses congrégations de ses disciples ; mais les monastères de l’Égypte continuèrent à suivre en secret ses principes, et ses ennemis éprouvèrent la haine de Théophile et de saint Cyrille, qui se succédèrent sur le trône d’Alexandrie.

IV. La doctrine matérielle des ébionites et les dogmes fantastiques des docètes étaient proscrits et oubliés ; le zèle que venaient de montrer les catholiques contre les erreurs d’Apollinaire les força à se rapprocher en apparence de la double nature de Cérinthe. Mais au lieu d’une alliance passagère, ils établirent et nous adoptons encore l’union substantielle, indissoluble et à jamais durable, d’un Dieu parfait avec un homme parfait, de la seconde personne de la Trinité avec une âme raisonnable et un corps humain. L’unité des deux natures était la doctrine dominante de l’Église au commencement du cinquième siècle. Les deux partis convenaient que nos idées et nos langues ne pouvaient ni représenter ni exprimer le mode de leur coexistence ; toutefois il existait une animosité secrète, mais implacable, entre ceux qui craignaient le plus de confondre et ceux qui avaient le plus de frayeur de séparer la divinité de l’humanité de Jésus-Christ. Des deux côtés une religieuse frénésie repoussait avec le sentiment de l’aversion l’erreur vers laquelle penchait le parti contraire, et qui de toutes leur paraissait la plus funeste. à la vérité ainsi qu’au salut. Les deux partis montraient la même inquiétude, la même ardeur à maintenir et défendre l’union et la distinction des deux natures, et à inventer les formules et les symboles de doctrine les moins susceptibles de doute ou d’équivoque. Arrêtés par la pauvreté des idées et celle du langage, ils mettaient à contribution l’art et la nature pour leur fournir toutes les comparaisons possibles, et chacune de ces comparaisons employées à représenter un mystère incomparable, devenait pour leur esprit la source d’une nouvelle erreur. Sous le microscope polémique, un atome prend la taille d’un monstre, et les deux partis se montraient habiles à exagérer les conséquences absurdes ou impies qu’on pouvait tirer des principes de leurs adversaires. Afin d’échapper les uns aux autres, ils se jetaient en des routes obscures et détournées, jusqu’au moment où ils apercevaient avec effroi les horribles fantômes de Cérinthe et d’Apollinaire, qui gardaient les issues opposées du labyrinthe théologique. A peine entrevoyaient-ils la lumière encore douteuse d’une explication prête à les faire tomber dans l’hérésie qu’ils tressaillaient ; on les voyait revenir sur leurs pas et se précipiter de nouveau dans les ténèbres d’une orthodoxie impénétrable. Afin de se disculper du crime ou du reproche d’une coupable erreur, ils expliquaient leurs principes, ils en désavouaient les conséquences, ils s’excusaient de leurs indiscrétions, et prononçaient d’une voix unanime les mots de concorde et de foi. Mais une étincelle presque imperceptible demeurait cachée sous la cendre de la controverse ; les préjugés et la passion en firent bientôt sortir une flamme dévorante, et les disputes des sectes d’Orient, sur les expressions[19] dont elles se servaient dans l’exposition de leurs dogmes, ébranlèrent les fondements de l’Église et de l’État.

Le nom de Cyrille d’Alexandrie est fameux dans l’histoire de la controverse, et son titre de saint annonce que ses opinions et son parti finirent par triompher. Élevé dans la maison de l’archevêque Théophile son oncle ; il avait contracté dans cette éducation orthodoxe l’habitude du zèle, l’amour de la domination ; et avait employé d’une manière utile cinq années de sa jeunesse dans les monastères de la Nitrie, voisins de sa résidence. Sous la tutelle de l’abbé Sérapion, il s’était adonné aux études ecclésiastiques avec une ardeur si infatigable, que dans une nuit il lut les quatre évangiles, les épîtres catholiques, et l’épître aux Romains. Il détestait Origène, mais il parcourait sans cesse les écrits de saint Clément et de saint Denis, de saint Athanase et de saint Basile. La théorie et la pratique de la dispute affermissaient sa foi et aiguisaient son esprit : il commençait à tendre autour de sa cellule les fils déliés et fragiles de la théologie scolastique et préparait ces ouvrages d’allégorie et de métaphysique, dont les restes, recueillis en sept in-folio verbeux et diffus, dorment en paix à côté de leurs rivaux[20]. Saint Cyrille priait et jeûnait dans le désert ; mais ses pensées, selon le reproche que lui adresse un de ses amis[21], étaient toujours fixées sur le monde, et l’ermite ambitieux n’obéit que trop promptement à la voix de Théophile, qui l’appelait à la vie bruyante, des villes et des synodes. Du consentement de son oncle, il se livra aux travaux de la prédication, et obtint bientôt la faveur populaire. Sa figure agréable ornait la chaire ; sa voix harmonieuse, retentissait dans la cathédrale. Ses amis étaient placés de manière à pouvoir diriger et seconder les applaudissements de la congrégation[22], et des scribes recueillaient à la hâte ses discours, qui dans leurs effets, mais non pas dans leur composition, peuvent être comparés à ceux des orateurs d’Athènes. La mort de Théophile agrandit et réalisa les espérances de son neveu. Le clergé d’Alexandrie était divisé. Les soldats et leur général partaient l’archidiacre ; mais les clameurs et les violences de la multitude firent nommer le candidat qu’elle chérissait, et, saint Cyrille monta sur le siège qu’avait occupé saint Athanase trente-neuf années auparavant[23].

Le prix n’était pas indigne de son ambition. Loin de la cour et à la tête d’une immense capitale, le patriarche d’Alexandrie (car c’est ainsi qu’on le nommait) avait usurpé peu à peu l’existence et le pouvoir d’un magistrat civil. Il était le dispensateur des charités publiques et privées de la ville ; sa voix excitait ou calmait les passions de la multitude : un grand nombre de fanatiques parabolani[24], familiarisés dans leurs fonctions journalières avec des scènes de mort, obéissaient aveuglément, à ses ordres, et la puissance temporelle de ces pontifes chrétiens intimidait ou irritait les préfets d’Égypte. Saint Cyrille, plein d’ardeur contre les hérétiques, commença son pontificat par opprimer les novatiens, les plus innocent et les plus tranquilles de tous les sectaires. L’interdiction de leur culte religieux lui parut un acte juste et méritoire, et en confisquant leurs vases, sacrés, il ne crut pas encourir le reproche de sacrilège. Les lois des Césars et des Ptolémées, et une prescription de sept siècles écoulés depuis la fondation d’Alexandrie, assuraient la liberté du culte et même les privilèges des Juifs, qui s’étaient multipliés jusqu’au nombre de quarante mille. Sans aucune sentence légale, sans aucun ordre de l’empereur le patriarche, à la tête d’une multitude séditieuse, vint au point du jour attaquer les synagogues. Les Juifs, désarmés et attaqués à l’improviste, ne purent faire aucune résistance : on rasa les lieux où ils se réunissaient pour prier, et l’évêque guerrier, après avoir accordé à ses troupes le pillage de leurs biens, chassa de la ville le reste de cette nation de mécréants. Il allégua peut-être l’insolence de leur prospérité et leur haine mortelle pour les chrétiens, dont ils avaient versé depuis peu le sang au milieu d’une émeute excitée, soit par hasard, soit à dessein. De pareils crimes méritaient l’animadversion du magistrat ; mais dans cette agression les innocents se trouvèrent confondus avec les coupables, et Alexandrie perdit une colonie riche et industrieuse. Le zèle de saint Cyrille l’assujettissait aux peines de la loi Julia ; mais, dans un gouvernement faible et un siècle superstitieux, il était sûr de l’impunité et pouvait même compter sur des éloges. Oreste, préfet de l’Égypte, se plaignit ; les ministres de Théodose oublièrent trop promptement ses justes réclamations, et un prêtre qui, affectant de lui pardonner, continuait à le haïr, ne s’en souvint que trop. Un jour qu’il passait dans la rue, une bande de cinq cents moines de la Nitrie attaquèrent son char ; ses gardes prirent la fuite devant ces bêtes féroces du désert ; il protesta qu’il était chrétien et catholique ; on ne lui répondit que par une grêle de pierres qui couvrirent son visage de sang. De bons citoyens volèrent à son secours. Il sacrifia sur-le-champ la justice et à sa vengeance le moine qui l’avait blessé, et Ammonius expira, sous les verges du licteur. Saint Cyrille fit recueillir le corps d’Ammonius, une procession solennelle le transporta dans la cathédrale ; on changea son nom en celui de Thaumasius, le Merveilleux ; son tombeau fut orné des symboles du martyre, et le patriarche monta en chaire pour célébrer la grandeur d’âme d’un assassin et, d’un rebelle. De pareils honneurs durent exciter les fidèles à combattre et à mourir sous les bannières du saint ; et saint Cyrille encouragea bientôt ou accepta le sacrifice d’une vierge qui professait la religion des Grecs, et qui avait avec Creste des liaisons d’amitié. Hypatia, fille du mathématicien Théon[25], était versée dans les sciences cultivées par son père ; ses savants commentaires ont jeté du jour sur la géométrie d’Apollonius et de Diophante, et elle enseignait publiquement à Athènes et à Alexandrie la philosophie de Platon et d’Aristote. Cette fille modeste, joignant à tout l’éclat de la beauté toute la maturité de la sagesse, se refusait aux prières des amants et se bornait à instruire ses disciples. Les personnages les plus illustres par leur rang et par leur mérite la recherchaient avec empressement ; et saint Cyrille voyait d’un œil jaloux la troupe pompeuse de chevaux et d’esclaves qui environnaient la porte de son académie. On répandit parmi les chrétiens que la fille de Théon était le seul obstacle à la réconciliation du préfet et de l’archevêque ; et, on eut bientôt écarté cet obstacle. L’un des saints jours du carême, Hypatia, qui rentrait chez elle, fut arrachée de son char, dépouillée de ses vêtements, traînée à l’église, et massacrée par Pierre le Lecteur, et une troupe d’impitoyables fanatiques ; ils découpèrent son corps avec des écailles d’huîtres[26] et livrèrent aux flammes ses membres encore palpitants. De l’argent donné à propos arrêta l’enquête juridique qui suivit ce forfait ; mais le meurtre d’Hypatia a souillé d’une tache ineffaçable, le caractère et la religion de saint Cyrille d’Alexandrie[27].

La superstition pardonnera peut-être plus facilement le meurtre une jeune fille que le bannissement d’un saint. Saint Cyrille avait accompagné son oncle à l’odieux synode du Chêne. Lorsque la mémoire de saint Chrysostome eut été réhabilitée et consacrée, le neveu de Théophile, qui se trouvait à la tête d’une faction expirante, s’obstina à soutenir que ce prélat avait été condamné justement ; et ce ne fut qu’après de longs délais et une résistance opiniâtre qu’il se soumit au décret de l’Église catholique[28]. C’était par intérêt et non par passion qu’il se montrait l’ennemi des pontifes de Byzance[29]. Il leur enviait l’avantage de briller au grand jour de la cour impériale ; il redoutait leur ambition qui opprimait les métropolitains de l’Europe et de l’Asie ; envahissait les provinces d’Alexandrie et d’Antioche, et essayait de donner à leur diocèse les bornes de l’empire. La longue modération d’Atticus, qui lisait avec douceur de la dignité qu’il avait usurpée sur saint Chrysostome, suspendit l’animosité des patriarches de l’Orient ; mais saint Cyrille fut enfin réveillé, par l’élévation d’un rival plus digne de son estime et de sa haine. Après le court et orageux pontificat de Sisinnius, le choix de l’empereur qui, en cette occasion, consulta l’opinion publique, et lui donna un étranger pour successeur, apaisa les factions du clergé et du peuple. Le prince accorda l’archevêché de sa capitale à Nestorius[30], né à Germanicie, et moine d’Antioche recommandable par l’austérité de sa vie et l’éloquence de ses sermons ; mais la première fois qu’il prêcha en présence du dévot Théodose, il laissa paraître l’aigreur et l’impatience de son zèle. César, s’écria-t-il, donnez-moi la terre purgée d’hérétiques, et je vous donnerai en échange le royaume du ciel. Exterminez avec moi les hérétiques ; et avec vous j’exterminerai les persans. Le cinquième jour de son pontificat, le patriarche, comme si cet accord eût été signé avec l’empereur, découvrit, surprit et attaqua un conventicule secret d’ariens ; ils aimèrent mieux mourir que de se soumettre ; les flammes qu’ils allumèrent dans leur désespoir, se portèrent sur les maisons voisines, et le triomphe de Nestorius fut flétri par le surnom d’Incendiaire. Il imposa des deux côtés de l’Hellespont, un rigoureux formulaire de foi et de discipline ; il punit comme une offense contre l’Église et l’État une erreur chronologique sur la fête de Pâques. Il purifia la Lydie et la Carie, Sardes et Milet, par le sang des obstinés quarto-décimans ; et l’édit de l’empereur, ou, plutôt l’édit du patriarche, indique, sous vingt-trois dénominations différentes, vingt-trois degrés d’hérésie tous dignes de châtiment[31]. Le glaive de la persécution, dont Nestorius usait avec tant de violence, se tourna bientôt contre lui-même ; mais, si l’on en croit un saint qui vivait à cette époque, l’ambition fut le véritable motif des guerres épiscopales dont la religion ne fut que le prétexte[32].

Nestorius avait appris dans l’école de Syrie, à détester la confusion des deux natures ; il savait séparer habilement l’humanité du Christ, son maître, de la divinité de Jésus son seigneur[33]. Il révérait la sainte Vierge comme la mère du Christ ; mais son oreille était blessée du titre récent et irréfléchi de mère de Dieu[34], insensiblement adopté depuis l’origine de la controverse d’Arius. Un ami du patriarche, et ensuite le patriarche lui-même, prêchèrent à diverses reprises, du haut de la chaire de Constantinople, contre l’usage et l’abus d’un mot[35] méconnu des apôtres, non autorisé par l’Église, capable d’alarmer les fidèles timorés, d’égarer les simples, d’amuser les profanes, et de justifier par une apparente ressemblance la généalogie des dieux de l’Olympe[36]. Dans ses moments de calme, Nestorius avouait qu’on pouvait le tolérer et l’excuser par l’union des deux natures et la communication de leurs propriétés[37] ; mais, irrité par la contradiction, il en vint à rejeter le culte d’un Dieu nouveau-né ; d’une divinité dans l’enfance, à tirer des associations conjugales et civiles de la vie humaine les similitudes imparfaites dont il se servait pour expliquer ses opinions, et à représenter l’humanité du Christ comme le vêtement, l’instrument et le temple de sa divinité. Aux premiers sons de ces blasphèmes, les colonnes du sanctuaire furent ébranlées. Ceux dont l’élévation de Nestorius avait renversé les espérances, se livrèrent au ressentiment que leur inspirait la religion ou la jalousie ; le clergé de Byzance se voyait à regret gouverné par un étranger ; tout ce qui porte le caractère de la superstition ou de l’absurdité a droit à la protection des moines, et le peuple s’intéressait à la gloire de la sainte Vierge sa protectrice[38]. Des clameurs séditieuses troublèrent les sermons de l’archevêque et le service des autels ; des congrégations particulières abjurèrent son autorité et sa doctrine : bientôt le souffle de l’esprit de’ parti propagea de tous côtés, jusqu’aux extrémités de l’empire, la contagion de la controverse ; et du théâtre sonore sur lequel se trouvaient placés les combattants, leur voix retentit dans les cellules de la Palestine et de l’Égypte. Il était du devoir de saint Cyrille d’éclairer le zèle et l’ignorance des innombrables moines soumis à son autorité épiscopale : l’école d’Alexandrie lui avait enseigné l’incarnation d’une nature, et il l’avait adoptée ; mais en s’armant contre un second Arius, qui, plus effrayant et plus coupable que le premier, se trouvait placé sur le second trône de la hiérarchie ecclésiastique ; le successeur de saint Athanase ne consulta que son orgueil et son ambition. Après une correspondance de peu de durée, dans laquelle les prélats rivaux couvrirent leur haine du langage perfide du respect et de la charité, le patriarche d’Alexandrie dénonça au prince et au peuple, à l’Orient et à l’Occident, les coupables erreurs du pontife de Byzance. Les évêques d’Orient, et en particulier celui d’Antioche, qui favorisait la cause de Nestorius, conseillèrent aux deux partis la modération et le silence ; mais le Vatican reçût à bras ouverts les députés de l’Égypte. Célestin fut flatté qu’on le choisît pour juge ; et l’infidèle version d’un moine détermina l’opinion du pape qui, non plus que son clergé latin, ne connaissait ni la langue, ni les arts, ni la théologie des Grecs. Célestin, à la tête d’un concile d’évêques italiens, examina les arguments de saint Cyrille ; il approuva son symbole et condamna la personne et les opinions de Nestorius. Il dépouilla cet hérétique de sa dignité épiscopale, lui donna dix jours pour se rétracter et montrer son repentir, et chargea son ennemi de l’exécution de ce décret illégal et précipité. Mais tandis que le patriarche d’Alexandrie lançait les foudres célestes, il laissait voir les erreurs et les passions d’un mortel, et ses douze anathèmes[39] désespèrent encore aujourd’hui la scrupuleuse soumission des orthodoxes, qui veulent conserver leur vénération pour la mémoire d’un saint sans manquer à la fidélité due aux décrets du concile de Chalcédoine. Ces propositions hardies conservent une teinte ineffaçable de l’hérésie des apollinaristes, tandis que les déclarations sérieuses et peut-être sincères de Nestorius ont satisfait ceux des théologiens de notre temps qui se distinguent le plus par leur sagesse et leur impartialité[40].

L’empereur et le primat de l’Orient n’étaient pas disposés à se soumettre au décret d’un prêtre de l’Italie ; et l’on demandait de toutes parts un concile de l’Église catholique, ou plutôt de l’Église grecque, comme le seul moyen d’apaiser ou de terminer cette dispute ecclésiastique[41]. Éphèse, où l’on arrivait aisément par mer et par terre, fut choisie pour le lieu de cette assemblée ; on la fixa à la fête de la Pentecôte : on envoya à tous les métropolitains des lettres de convocation, et l’on plaça autour de la salle de réunion une garde destinée à protéger et à emprisonner les pères du synode, jusqu’à ce qu’ils eussent déterminé les mystères du ciel et la foi des humains. Nestorius y parut, non comme criminel, mais comme juge : il comptait sur la réputation plutôt que sur le nombre de ses prélats ; ses robustes esclaves des bains de Zeuxippe étaient armés et prêts à le défendre, ou à attaquer ses ennemis ; mais l’avantage des armes temporelles et spirituelles était du côté de saint Cyrille, son adversaire. Celui-ci, désobéissant à la lettre ou du moins à l’esprit de l’ordre de l’empereur, s’était fait accompagner de cinquante évêques égyptiens qui attendaient d’un signe de leur patriarche l’inspiration du Saint-Esprit. Il avait contracté une étroite alliance avec Memnon, évêque d’Éphèse, primat des Églises d’Asie qu’il gouvernait avec un pouvoir absolu, et qui mettaient à sa disposition les voix de trente ou quarante évêques une troupe de paysans, esclaves de l’Église, avaient été dispersés dans la ville pour y appuyer, par des cris et des violences, les arguments métaphysiques de leur suzerain, et le peuple soutenait avec zèle l’honneur de la vierge Marie, dont le corps reposait dans les murs d’Éphèse[42]. La flotte qui avait amené saint Cyrille était chargée des richesses de l’Égypte ; elle débarqua une bande nombreuse de gens de mer, d’esclaves et de fanatiques, enrôlés sous la bannière de saint Marc et celle de la mère de Dieu, et disposés à la plus aveugle obéissance. Cette troupe guerrière intimida les pères et même les gardes du concile. Les adversaires de saint Cyrille et de Marie furent insultés dans les rues ou menacés dans leurs maisons. L’éloquente et la libéralité du prélat égyptien augmentaient chaque jour le nombre de ses adhérents ; et il put bientôt compter sur deux cents évêques prêts à le suivre et à le soutenir[43] ; mais l’auteur des douze anathèmes prévoyait et redoutait l’opposition de Jean d’Antioche, qui, avec une suite peu nombreuse, mais respectable, de métropolitains et de théologiens, arrivait à petites journées de la capitale de l’Orient. Saint Cyrille, dont l’impatience s’irritait d’un délai qu’il traitait de volontaire et de coupable[44], fixa l’ouverture du concile au seizième jour après la Pentecôte. Nestorius, comptant sur la prochaine arrivée de ses amis de l’Orient, persista, ainsi que saint Chrysostome, son prédécesseur, à décliner la juridiction de ses ennemis et à refuser d’obéir à leurs sommations : ceux-ci hâtèrent le jugement, et son accusateur présida le tribunal. Soixante-huit évêques, vingt-deux desquels avaient le rang de métropolitains, le défendirent par une protestation décente et modérée ; on les exclut des délibérations. Candidien demanda, au nom de l’empereur, un délai de quatre jours ; ce magistrat profane fut insulté et chassé de l’assemblée des saints.

Cette grande affaire fait accomplie tout entière dans l’espace d’un jour d’été : les évêques donnèrent leur opinion séparément ; mais l’uniformité du style indique l’influence ou la main d’un chef qu’on accuse d’avoir falsifié les actes et les signatures[45]. Ils déclarèrent d’une voix unanime que les Épîtres de saint Cyrille contenaient les dogmes du concile de Nicée et la doctrine des pères ; des imprécations et des anathèmes interrompirent la lecture de l’extrait peu fidèle qu’on avait fait des Lettres et des Homélies de Nestorius. Celui-ci fut dégradé du rang d’évêque et de ses dignités ecclésiastiques. Le décret, où on le qualifiait malignement de nouveau Judas, fut proclamé et affiché dans les carrefours d’Éphèse : lorsque les prélats fatigués sortirent de l’église de la Mère de Dieu, on les salua comme ses défenseurs ; et, durant toute la nuit, des illuminations et des chants célébrèrent tumultueusement sa victoire.

Le cinquième jour, l’arrivée et l’indignation des évêques d’Orient troublèrent ce triomphe. Dans une chambre de l’hôtellerie où il venait de descendre, et avant, pour ainsi dire, d’avoir essuyé la poudre de ses souliers, Jean d’Antioche donna audience à Candidien, ministre de l’empereur ; celui-ci lui raconta ses vains efforts pour prévenir ou rendre nulles les violences précipitées de saint Cyrille. Avec la même précipitation et la même violence, un synode de cinquante évêques d’Orient dépouilla saint Cyrille et Memnon de leur qualité d’évêques, déclara que les douze anathèmes renfermaient le plus subtil venin de l’hérésie des apollinaristes ; et peignit le primat d’Alexandrie comme un monstre, né et nourri pour la destruction de l’Église[46]. Son siége était éloigné et inaccessible ; on résolut du moins de faire jouir sur-le-champ le peuple d’Éphèse du bonheur d’être gouverné par un pasteur fidèle. Mais par les ordres de Memnon les églises furent fermées, une garnison nombreuse fut jetée dans la cathédrale. Les troupes marchèrent à l’assaut sous les ordres de Candidien ; les gardes avancées furent mises en déroute et passées au fil de l’épée ; mais les postes étaient imprenables, les assiégeants se retirèrent ; et, poursuivis par ceux qui étaient dans la cathédrale, ils perdirent leurs chevaux, et plusieurs des soldats frirent grièvement blessés à coups de pierres et de massue. Des cris forcenés et des actions de fureur, la sédition et le sang, souillèrent la ville de la sainte Vierge. Les synodes rivaux s’accablèrent réciproquement d’anathèmes et d’excommunications, et les récits contradictoires des factions de Syrie et d’Égypte embarrassèrent le conseil de Théodose. L’empereur, qui voulait apaiser cette querelle théologique, employa durant trois- mois toutes sortes de moyens, excepté le plus efficace de tous, celui de l’indifférence et du mépris. Il voulut écarter ou intimider les chefs au moyen d’une sentence qui aurait également acquitté ou condamné les uns et les autres ; il revêtit de pleins pouvoirs ses représentants à Éphèse, et leur donna des forces militaires capables de les soutenir. Il manda huit députés des deux partis pour conférer librement et légalement aux environs de la capitale, loin de la frénésie populaire, toujours contagieuse ; mais les Orientaux refusèrent d’obéir à cet ordre ; et les catholiques, enorgueillis par leur nombre et par l’appui des Latins, rejetèrent toute espèce d’union ou de tolérance. Théodose poussé à bout, malgré sa douceur naturelle, prononça en colère la dissolution de ce synode tumultueux, qui, à la distance de treize siècles, se présente à nous maintenant sous le respectable nom de troisième concile œcuménique[47]. Dieu m’est témoin, dit ce prince religieux, que je n’ai aucune part à ce désordre. La Providence discernera et punira les coupables. Retournez dans vos provinces, et puissent vos vertus privées réparer les maux et les scandales qu’a produits votre réunion ! Les évêques retournèrent en effet chez eux ; mais les passions qui avaient troublé le concile d’Éphèse se répandirent dans tout l’Orient. Jean d’Antioche et saint Cyrille d’Alexandrie, après trois campagnes où ils se combattirent avec opiniâtreté et avec des succès pareils, voulurent bien s’expliquer et faire la paix ; mais on doit attribuer leur apparente réconciliation à la prudence plutôt qu’à la raison, à une lassitude mutuelle plutôt qu’à la charité chrétienne.

Le pontife de Byzance avait donné à l’empereur des préventions sur le caractère et la conduite du prélat égyptien son rival ; saint Cyrille reçut, avec l’ordre de se rendre de nouveau à Éphèse, une lettre de menaces et d’invectives[48], où il était traité de prêtre intrigant, insolent et envieux, dont les opinions troublaient la paix de l’Église et de l’État, et dont la conduite artificieuse à l’égard de la sœur et de la femme de l’empereur, auxquelles il s’était adressé séparément, manifestait l’espoir téméraire de faire naître ou de rencontrer dans la famille impériale des germes de désunion et de discorde. Cyrille, obéissant à cet ordre, impérieux, s’était rendu à Éphèse : les magistrats, favorables Nestorius et aux évêques d’Orient, résistèrent à ses anathèmes, le menacèrent et l’emprisonnèrent ; ils rassemblèrent ensuite les troupes de la Lydie et de l’Ionie, peur contenir la suite fanatique et désordonnée de ce patriarche. Cyrille, sans attendre la réponse de l’empereur à ses plaintes, se sauva des mains de ses gardes ; il s’embarqua précipitamment, abandonna le synode qui n’était pas encore fermé, et se retira à Alexandrie, asile tutélaire de son indépendance et de sa sûreté. Ses adroits émissaires, répandus à la cour et dans la capitale, vinrent à bout d’apaiser le ressentiment de l’empereur même, et de rétablir Cyrille dans ses bonnes grâces. Le débile fils d’Arcadius était gouverné alternativement par sa femme et par sa sœur, par les eunuques et par les femmes du palais ; la superstition et l’avarice étaient leurs passions dominantes, et les chefs orthodoxes avaient soin d’alarmer l’une et de satisfaire l’autre. Constantinople et les faubourgs étaient sanctifiés par de nombreux monastères ; et les pieux abbés Dalmatius et Eutychès[49] s’étaient dévoués avec un zélé inébranlable à la cause de saint Cyrille, au culte de la Vierge et à l’unité du Christ. Depuis qu’ils avaient embrassé la vie monastique, on ne les avait pas revus dans le monde et sur le terrain profane de la capitale. Mais, dans ce moment terrible du danger de l’Église, tan devoir plus sublime et plus indispensable leur fit oublier leur vœu. Ils sortirent de leur couvent, et se rendirent au palais à la tête d’une longue file de moines et d’ermites, qui tenaient à la main des flambeaux allumés, et qui chantaient les litanies de la mère de Dieu. Ce spectacle extraordinaire édifia et échauffa le peuple ; et le monarque effrayé écouta les prières et les supplications de ces saints personnages, qui déclarèrent hautement qu’il n’y avait point d’espoir de salut pour ceux qui ne s’attacheraient point la personne et au symbole du successeur orthodoxe de saint Athanase. En même temps on répandit l’or dans, toutes les avenues dit trône. Sous les noms décents d’eulogies et de bénédictions, on paya les courtisans des deux sexes, chacun selon la mesure de son pouvoir ou de sa capacité. Les nouvelles demandes qu’ils formaient chaque jour eurent bientôt dépouillé les sanctuaires des églises de Constantinople et d’Alexandrie ; et l’autorité du patriarche ne put imposer silence aux murmures de son clergé, indigné qu’on eût déjà contracté une dette de soixante mille livres sterling pour soutenir les frais d’une corruption scandaleuse[50]. Pulchérie, qui soulageait son frère du fardeau du gouvernement, était le plus ferme appui de la foi orthodoxe ; et les foudres du synode étaient si bien secondés par les secrets manages de la cour, que Cyrille eût la certitude de réussir, s’il parvenait à déplacer l’eunuque en faveur pour en substituer un autre à sa place. Cependant il ne put se vanter d’une victoire glorieuse et décisive. L’empereur montrait en cette occasion une fermeté qu’on ne lui avait jamais vues ; il avait promis de protéger l’innocence des évêques d’Orient, et tenait à sa parole Cyrille fut réduit à modifier ses anathèmes ; et, avant de jouir du plaisir de satisfaire sa vengeance contre l’infortuné Nestorius, il lui fallut forcer sa répugnance à confesser, d’une manière équivoque et malgré lui, la double nature de Jésus-Christ[51].

L’imprudent et opiniâtre Nestorius fut, avant la fin du synode, accablé par saint Cyrille, trahi par la cour, et faiblement soutenu par ses amis de l’Orient. Soit frayeur, soit indignation, il se détermina, tandis qu’il en était temps, à se donner l’honneur d’une abdication qui pouvait encore paraître volontaire[52]. On acquiesça promptement à ses désirs ou du moins à sa demande ; on le conduisit d’une manière honorable d’Éphèse au monastère d’Antioche, d’où l’empereur l’avait tiré, et, bientôt après, Maximien et Proclus, ses successeurs, furent reconnus légitimes évêques de Constantinople. Mais le patriarche déposé ne put retrouver dans sa paisible cellule l’innocence et la sécurité d’un simple moine. Il regrettait le passé, le présent le mécontentait, et il avait lien de craindre l’avenir. Les évêques d’Orient abandonnaient peu à peu la cause d’un homme condamné par l’opinion publique, et chaque jour diminuait le nombre des schismatiques qui avaient révéré Nestorius comme le confesseur de la foi. Il était à Antioche depuis quatre ans, lorsque l’empereur signa un édit[53] qui le mettait au même rang que Simon le magicien, qui proscrivait ses opinions et ses sectateurs, et qui condamnait ses écrits : quant à lui, il fut d’abord exilé à Para en Arabie, et ensuite à Oasis, une des îles du désert de la Libye[54]. Là, séparé de l’Église et du monde il fut encore poursuivi par les fureurs du fanatisme et celles de la guerre. Une tribu errante de Blemmyes ou de Nubiens envahit sa solitude : Nestorius fut au nombre des captifs inutiles qu’ils laissèrent aller en se retirant. Mais se voyant sur les bords du Nil, et près d’une ville romaine et orthodoxe ; il regretta sans doute sa servitude chez les sauvages. Sa fuite fut punie comme un nouveau crime, l’esprit de Cyrille respirait dans toutes les autorités civiles et ecclésiastiques de l’Égypte ; les magistrats, les soldats et les moines, tourmentérent dévotement l’ennemi du Christ et de saint Cyrille, et l’hérétique fut tour à tour traîné sur les confins de l’Éthiopie ou rappelé de ce nouvel exil ; jusqu’à ce qu’épuisé déjà par la vieillesse, il se trouvât hors d’état de résister aux fatigues et aux accidents de ces voyages multipliés. Cependant son esprit conservait encore sa fermeté et son indépendance : ses lettres pastorales intimidèrent le président de la Thébaïde ; il survécut au tyran catholique d’Alexandrie, et le concile de Chalcédoine, touché d’un exil de seize ans, allait peut-être lui rendre les honneurs ou du moins la communion de l’Église. Il était mandé, et se préparait avec joie à obéir, lorsque la mort le prévint[55]. La nature de sa maladie donna lieu à ce bruit odieux, que sa langue, organe de ses blasphèmes, avait été mangée par les vers. Il fut enterré dans une ville de la Haute-Égypte, connue sous le nom de Chemnis, ou Panopolis, ou Akinim[56] ; mais d’acharnement des jacobites, a continué, pendant plusieurs générations, à insulter son sépulcre, et à publier ridiculement que la pluie du ciel, qui tombe également sur les fidèles et sur les impies[57], n’arrosait jamais le lieu où il se trouvait placé. L’humanité peut verser une larme sur la destinée de Nestorius ; mais, pour être juste, on doit observer que s’il fut victime de la persécution, ce fut après l’avoir lui-même autorisée par son approbation et par son exemple[58].

La mort du primat d’Alexandrie, après un pontificat de trente-deux ans, abandonna les catholiques à l’intempérance d’un zèle qui abusa de la victoire[59]. La doctrine monophysite (une seule nature incarnée) fut rigoureusement prêchée dans les églises de l’Égypte et les monastères de l’Orient. La sainteté de Cyrille protégeait le symbole primitif d’Apollinaire ; et Eutychès, son respectable ami, a donné son nom à la secte la plus opposée à l’hérésie de Nestorius. Eutychès était abbé ou archimandrite, c’est-à-dire supérieur de trois cents moines. Mais les opinions d’un reclus, peu versé dans les lettres, n’auraient jamais franchi les bornes de la cellule où il avait sommeillé plus de soixante-dix ans, si le ressentiment ou l’indiscrétion de Flavien, pontife de Byzance, ne les eût exposées au monde chrétien. Flavien rassembla sur-le-champ son synode domestique ; les clameurs et l’artifice en déshonorèrent les opérations, et on y condamna l’hérétique affaibli par la vieillesse, à qui on surprit une déclaration où il semblait confesser que le Christ n’avait pas tiré son corps de la substance de la vierge Marie. Eutychès appela de ce décret à un concile général, et sa cause fut soutenue avec vigueur par Chrysaphius, l’eunuque régnant du palais, qu’il avait tenu sur les fonts de baptême, et Dioscore son complice, qui avait succédé au siège, au symbole, aux talents et aux vices du neveu de Théophile. Théodose voulut, avec raison et ordonna spécialement, que le second synode d’Éphèse fût composé de dix métropolitains et de dix évêques de chacun des six diocèses de l’Orient : quelques exceptions, accordées à la faveur ou au mérite, portèrent à cent trente-cinq le nombre des pères du concile ; et le Syrien Barsumas, en qualité de chef et de représentant des moines, fut invité à prendre séance et à voter avec les successeurs des apôtres. Mais le despotisme du patriarche d’Alexandrie viola encore la liberté des discussions ; les arsenaux de l’Égypte fournirent de nouveau des armes matérielles et des armes spirituelles : une troupe d’archers vétérans de l’Asie servait sous les ordres de Dioscore, et des moines plus redoutables encore, inaccessibles à la raison ou à la pitié, assiégeaient les portes de la cathédrale. Le général et les pères, qu’on aurait dû croire libres dans leurs opinions, souscrivirent le symbole et même les anathèmes de saint Cyrille, et l’hérésie des deux natures fut condamnée d’une manière formelle dans la personne et les écrits des hommes les plus éclairés de l’Orient. Puissent ceux qui divisent Jésus-Christ être divisés par le glaive ! puisse-t-on les mettre en pièces et les brûler vifs ! Tel fut le vœu charitable d’un concile chrétien[60]. On reconnut sans hésiter l’innocence et la sainteté d’Eutychès ; mais les prélats, et surtout ceux de la Thrace et de L’Asie, ne voulaient pas déposer leur patriarche sur ce motif, qu’il aurait usé ou même abusé de sa juridiction légitime. Ils embrassèrent les genoux de Dioscore au moment où il se tenait, avec l’air de la menace, sur les degrés de son trône, et ils le conjurèrent de pardonner à son frère et de respecter sa dignité. Voulez-vous exciter une sédition ? leur répondit l’impitoyable prêtre. Où sont les officiers ? A ces mots, une troupe furieuse de moines et de soldats armés de bâtons, d’épées et de chaînes, se précipita dans l’église : les évêques, remplis d’effroi, se cachèrent derrière l’autel ou sous les bancs ; et comme ils n’avaient pas le zèle du martyre, ils signèrent chacun à leur tour un papier blanc où l’on écrivit ensuite la condamnation du pontife de Byzance. Flavien fut au même instant livré aux bêtes féroces de cet amphithéâtre ecclésiastique. Les moines furent excités, par la voix et l’exemple de Barsumas, à venger les injures de Jésus-Christ. On dit que le patriarche d’Alexandrie outragea, souffleta et foula aux pieds son confrère l’évêque de Constantinople[61]. Il est sûr qu’avant d’atteindre le lieu de son exil, la victime expira le troisième jour des blessures et des coups qu’elle avait reçus à Éphèse. Ce second synode d’Éphèse a été, avec raison, détesté comme l’assemblée d’une troupe de voleurs et d’assassins ; cependant les accusateurs de Dioscore ont dû exagérer sa violence pour excuser la lâcheté ou l’inconstance de leurs procédés.

La foi de l’Égypte avait prévalu ; mais le parti vaincu était soutenu par ce même pape qui avait affronté sans terreur la colère et les armes d’Attila et de Genseric. Le synode d’Éphèse n’avait fait aucune attention à la doctrine enseignée par Léon dans son fameux tome ou épître sur le mystère de l’incarnation ; son autorité et celle de l’Église latine avaient été insultées dans la personne de ses légats, qui, échappés avec peine à l’esclavage et à la mort, vinrent raconter la tyrannie de Dioscore et le martyre de Flavien. Le pape, assemblant son synode provincial, annula les procédés irréguliers de celui d’Éphèse ; mais cette démarche étant irrégulière aussi, il demanda la convocation d’un concile général dans. les provinces libres et orthodoxes de l’Italie. Du haut de son trône, désormais indépendant de la cour de Constantinople, le pontife de Rome parlait et agissait sans danger, en qualité de chef des chrétiens ; Placidie et son fils Valentinien n’étaient que les organes soumis de ses volontés : ils demandèrent au prince qui gouvernait l’Orient, de rétablir la paix et l’unité de l’Église. Mais le fantôme qui donnait des lois à cette partie de l’empire était conduit avec la même dextérité par l’eunuque alors en possession du pouvoir : Théodose répandit, sans hésiter, que l’Église était déjà paisible et triomphante, et que les justes peines infligées aux nestoriens avaient éteint l’incendie dont on craignait les ravages. Les Grecs étaient peut-être pour jamais livrés à l’hérésie des monophysites, si le cheval de l’empereur n’eût heureusement fait un faux pas. Théodose mourut ; Pulchérie sa sœur, zélée pour la foi orthodoxe, succéda au trône avec un époux qui ne l’était que de nom : Chrysaphius fut brûlé vif ; Dioscore fut disgracié ; on rappela les exilés, et les évêques d’Orient signèrent le tome de Léon. Toutefois le pape vit avec regret échouer, son projet, favori d’assembler un concile d’évêques latins : il dédaigna de présider le synode grec, qu’on rassembla à la bâte à Nicée en Bithynie ; ses légats exigèrent d’un ton péremptoire la présence de l’empereur, et les pères, déjà fatigués, furent conduits à Chalcédoine, sous les yeux de Marcien et du sénat de Constantinople. Ils s’assemblèrent dans l’église de Sainte-Euphémie, située à un quart de mille du Bosphore de Thrace, au sommet d’une colline d’une pente clouté, mais élevée ; on vantait comme un prodige de l’art son, architecture à triple étage, et l’immensité de la vue dont elle jouissait, tant du côté de la terre que du côté de la mer, pouvait élever l’âme d’un sectaire à la contemplation du Dieu de l’univers. Six cent trente évêques se rangèrent dans la nef ; les patriarches d’Orient cédèrent le pas aux légats, dont le troisième n’était cependant qu’un simple prêtre ; et les places d’honneur furent réservées à vingt laïques, revêtus de la dignité de sénateurs ou de consuls. L’Évangile fut exposé avec appareil au milieu de l’assemblée ; mais les ministres du pape et ceux de l’empereur, qui dominèrent dans les treize séances du concile de Chalcédoine, déterminèrent la règle de la foi[62]. Leur détermination bien prise en faveur de l’un des partis, eut du moins l’avantage d’imposer silence à des vociférations et à des imprécations indignes de la gravité épiscopale ; mais, d’après une accusation formelle des légats, Dioscore fut obligé de descendre de la place qu’il occupait, et de jouer le rôle d’un criminel déjà condamné dans I’esprit de ses juges. Les Orientaux, moins contraires à Nestorius qu’à saint Cyrille, reçurent les Romains comme leurs libérateurs : la Thrace, le Pont et l’Asie, étaient irrités contre le meurtrier de Flavien, et les nouveaux patriarches de Constantinople et d’Antioche s’assurèrent de leurs places en sacrifiant leur bienfaiteur. Les évêques de Palestine, de Macédoine et de la Grèce, étaient attachés à la doctrine de saint Cyrille ; mais au milieu des assemblées du synode, dans la chaleur, du combat, les chefs, avec leur troupe obéissante, passèrent de l’aile droite à l’aile gauche, et décidèrent la victoire par leur désertion. Des dix-sept suffragants arrivés d’Alexandrie, quatre se laissèrent entraîner à manquer de fidélité à leur patriarche ; et les treize autres, se prosternant la face contre terre, implorèrent la clémence du concile par leurs sanglots et par leurs larmes, et déclarèrent d’une manière pathétique que s’ils cédaient, le peuple indigné les massacrerait à leur retour en Égypte. On consentit à accepter le tardif repentir des complices de Dioscore comme une réparation de leur crime ou de leurs erreurs, et leurs offensés furent toutes accumulées sur sa tête : il ne demanda point de pardon, il n’en espérait pas ; et la modération de ceux qui sollicitaient une amnistie générale, fut étouffée par des cris de victoire et de vengeance. Pour sauver la réputation de ceux qui avaient embrassé la cause de Dioscore, on dévoila habilement plusieurs offenses dont il était seul coupable, l’excommunication téméraire et illégale qu’il avait prononcée contre le pape, et son coupable refus de comparaître devant le synode, lorsqu’il se trouvait retenu prisonnier. Des témoins racontèrent plusieurs traits de son orgueil, de son avarice et de sa cruauté ; et les prélats apprirent avec horreur que les aumônes de l’Église avaient été prodiguées à des danseuses, que les prostituées d’Alexandrie entraient dans son palais et même dans ses bains, et que l’infâme Pansophie ou Irène était publiquement la concubine du patriarche[63].

D’après ces délits scandaleux, Dioscore fût déposé par le concile ; et banni par d’empereur ; mais la pureté de sa foi fut déclarée en présence des pères, et avec leur approbation tacite. Ils supposèrent plutôt qu’ils ne prononcèrent l’hérésie d’Eutychès, qui ne fut jamais mandé devant leur tribunal ; ils demeurèrent, confus et en silence, lorsqu’un hardi monophysite, jetant à leurs pieds un des volumes de saint Cyrille, osa les sommer de lancer contre lui un anathème qui envelopperait nécessairement la doctrine du saint. Si on lit de bonne foi les Actes du concile de Chalcédoine, tels que les rapporte le parti orthodoxe[64], on trouvera qu’une majorité considérable des évêques adopta la simple unité du Christ, et l’aveu équivoque qu’il avait été formé ou précédait de deux natures, pouvait supposer leur existence antérieure, ou leur confusion subséquente, ou un intervalle dangereux entre le’ moment où avait été conçu l’homme, et celui où lui avait été infuse la nature divine. Les théologiens de Rome, plus positifs et plus précis, adoptèrent la formule qui blessait le plus l’oreille des Égyptiens ; ils déclarèrent que le Christ existait en deux natures ; et cette importante particule[65], plus aisée à fixer dans la mémoire que dans l’intelligence, fut au moment de produire un schisme parmi les évêques latins. Ils avaient souscrit respectueusement, peut-être avec sincérité, le tome de Léon ; mais ils déclarèrent, dans deux délibérations successives, qu’il n’était ni expédient ni légitime de passer les bornes sacrées posées par les conciles de Nicée, de Constantinople et d’Éphèse, conformément à’ l’Écriture et à la tradition. Ils cédèrent enfin aux importunités de leurs maîtres ; mais leur décret infaillible, après avoir été ratifié d’une manière solennelle et reçu avec de grandes acclamations, fut détruit, dans la session suivante, par l’opposition des légats et leurs partisans, les Orientaux. Un grand nombre d’évêques s’écrièrent en vain : La décision des pères est orthodoxe et immuable ; les hérétiques sont maintenant démasqués ; anathème aux nestoriens ! qu’ils sortent des assemblées du concile ! qu’ils se rendent à Rome ![66] Les légats menacèrent ; l’empereur exprimait ses volontés d’un ton absolu, et un comité de dix-huit évêques prépara un nouveau décret, que les pères souscrivirent malgré eux. Au nom du quatrième concile général, on annonça au monde catholique le Christ en une personne, mais en deux natures. On tira une ligne imperceptible entre l’hérésie d’Apollinaire et la doctrine de saint Cyrille, et ce fut du tranchant d’une lame bien effilée que la subtilité des théologiens forma le pont, qui, suspendu sur un abîme, devenait l’unique route du paradis. Durant dix siècles d’ignorance et de servitude, l’Europe a reçu ses opinions religieuses de l’oracle du Vatican, et cette doctrine ; déjà couverte de la rouille de l’antiquité, a été admise sans contestation dans le symbole des réformateurs du seizième siècle, qui ont abjuré la suprématie du pontife de Rome. Le concile de Chalcédoine triomphe toujours dans les églises protestantes ; mais le levain de là controverse ne fermente plus, et les chrétiens de nos jours les plus religieux ire savent pas ce qu’ils croient touchant le mystère de l’Incarnation, et s’embarrassent peu de le savoir.

Les dispositions des Grecs et des Égyptiens se montrèrent d’une manière bien différente sous les règnes orthodoxes de Léon et de Marcien. Ces empereurs dévots appuyèrent le symbole de leur foi[67] de la force des armes et de celle des édits, et cinq cents évêques déclarèrent en conscience et en honneur qu’il était permis de soutenir, même par des homicides, les décrets du concile de Chalcédoine. Les catholiques observèrent avec satisfaction que le même concile était odieux aux nestoriens et aux monophysites[68] ; mais les nestoriens étaient moins irrités ou moins puissants, et l’Orient fût déchiré par le fanatisme obstiné et sanguinaire des monophysites. Jérusalem fut envahie par une armée de moines : au nom d’une nature incarnée, ils pillèrent, brûlèrent, massacrèrent ; le sépulcre de Jésus-Christ fut souillé de sang ; et des rebelles tumultuairement assemblés fermèrent les portes de la ville aux troupes de l’empereur. Après la condamnation et l’exil de Dioscore, les Égyptiens, regrettant leur père spirituel, ne virent qu’avec horreur, l’usurpation de son successeur, établi par les pères du concile de Chalcédoine. Ce successeur, nommé Protérius, ne put se soutenir que par les secours d’une garde de deux mille soldats ; il fit cinq ans la guerre au peuple d’Alexandrie, et le premier bruit de la mort de Marcien devint pour les fanatiques Égyptiens le signal de la vengeance. Trois jours avant la fête de Pâques, le patriarche fut assiégé dans sa cathédrale, et tué dans le baptistaire. On livra aux flammes le reste de son corps mutilé, et ses cendres furent jetées au vent : ce meurtre fut inspiré par l’apparition d’un prétendu ange, fourberie inventée par un moine ambitieux, qui, sous le nom de Timothée le Chat[69], succéda à la dignité et aux opinions de Dioscore. L’usage des représailles envenima des deux côtés cette cruelle superstition ; une dispute métaphysique coûta la vie à des milliers d’hommes[70], et les chrétiens de toutes les classes furent privés des jouissances de la vie sociale et des dons invisibles du baptême et de la sainte communion. Il nous resté de ce temps-là un conte extravagant, qui renferme peut-être une peinture allégorique des fanatiques qui se tourmentaient les uns les autres et se déchiraient eux-mêmes. Sous le consulat de Venantius et de Celer, dit un grave évêque, les habitants d’Alexandrie et de toute l’Égypte furent attaqués d’une étrange et diabolique frénésie : les grands et les petits, les esclaves et les hommes libres, les moines et le clergé, tous ceux enfin qui s’opposaient au concile de Chalcédoine, perdirent l’usage de la parole et de la raison ; ils aboyaient comme des chiens, et de leurs propres dents se déchiraient les mains et les bras[71].

Trente années de désordres produisirent à la fin le célèbre HÉNOTICON[72] de l’empereur Zénon ; formulaire qui, sous le règne de Zénon et celui d’Anastase, fut signé par tous les évêques de l’Orient, menacés de la dégradation et de l’exil s’ils rejetaient ou s’ils violaient cette loi fondamentale. Le clergé peut sourire ou gémir de la présomption d’un laïque qui ose déterminer des articles de foi ; mais si le magistrat séculier daigne s’abaisser à ce soin humiliant pour un souverain, dry moins soie esprit est-il moins égaré par le préjugé ou par des vues d’intérêt ; et l’autorité qu’il exerce à cet égard n’a de soutien que dans le consentement du peuple. C’est dans l’Histoire ecclésiastique que Zénon parait le moins méprisable ; et je ne puis apercevoir aucun venin de l’hérésie manichéenne ou eutychienne dans les généreuses paroles d’Anastase, qui regardait comme une chose indigne d’un empereur de persécuter les adorateurs du Christ et les citoyens de Rome. L’Hénoticon obtint surtout l’approbation des Égyptiens ; cependant l’œil inquiet et même prévenu de nos théologiens orthodoxes n’y a pas aperçu la plus petite tache : on y expose d’une manière très exacte la doctrine catholique sur l’Incarnation, sans adopter ou sans rejeter les termes particuliers ou les opinions des sectes ennemies. On y prononce un anathème solennel contre Nestorius et Eutychès, contre tous les hérétiques qui divisent ou confondent le Christ, ou, qui le réduisent à un vain fantôme. Sans déterminer si le mot nature doit être employé au singulier ou au pluriel, on y confirme respectueusement le système de saint Cyrille, la doctrine des conciles de Nicée, de Constantinople et d’Éphèse ; mais au lieu de se prosterner devant les décrets du quatrième concile général, on élude ce point en réprouvant toutes les doctrines contraires, s’il en est qui aient été enseignées, soit à Chalcédoine, soit ailleurs. Cette expression équivoque pouvait réunir, par un accord tacite, les amis et les ennemis du concile de Chalcédoine. Les plus raisonnables d’entré les chrétiens approuvèrent cette mesure de tolérance, mais leur raison était faible et inconstante ; et le zèle véhément des différents partis ne vit dans cette soumission qu’une timidité servile. Il était difficile de garder une neutralité exacte sur un sujet qui absorbait les pensées et les discours des hommes ; un livre, un sermon, une prière, rallumaient le feu de la controverse, et les animosités particulières des évêques brisaient et renouaient tour à tour les liens de la communion. Mille nuances d’expressions et d’opinions remplissaient l’intervalle qui se trouvait entre Nestorius et Eutychès ; les acéphales[73] d’Égypte et les pontifes de Rome, doués de la même valeur, mais d’une force inégale, se trouvaient aux deux extrémités de l’échelle théologique. Les acéphales, sans roi et sans évêque, furent durant plus de trois cents ans séparés des patriarches d’Alexandrie, qui avaient accepté la communion de Constantinople, sans exiger une condamnation formelle du concile de Chalcédoine. Les papes anathématisèrent les patriarches de Constantinople pour avoir accepté la communion d’Alexandrie sans approuver le même concile d’une manière formelle : leur despotisme inflexible enveloppa dans cette contagion spirituelle les plus orthodoxes des Églises grecques ; il nia ou contesta la validité de leurs sacrements[74] ; on le vit fomenter trente-cinq ans le schisme de l’Orient et de l’Occident, jusqu’à l’époque où ils condamnèrent la mémoire de quatre pontifes de Byzance qui avaient osé s’opposer à la suprématie de saint Pierre[75]. Avant ce temps, le zèle des prélats rivaux avait violé la trêve mal affermie de Constantinople et de l’Égypte. Macedonius, soupçonné d’un secret attachement à l’hérésie de Nestorius, défendit dans la disgrâce et l’exil le concile de Chalcédoine, dont le successeur de saint Cyrille eût désiré pouvoir acheter la condamnation au prix de deux mille livres d’or.

Au milieu de l’effervescence de ce siècle, le sens ou plutôt le son d’une syllabe suffisait pour troubler la paix de l’empire. Les Grecs ont supposé que le Trisagion[76] (trois fois saint), saint, saint, saint, Dieu Seigneur des armées, était identiquement l’hymne que les anges et les chérubins répètent de toute éternité devant le trône de Dieu, et qui fut révélé d’une manière miraculeuse à l’église de Constantinople vers le milieu du cinquième siècle. La dévotion des habitants d’Antioche y ajoute bientôt : qui a été crucifié pour nous. Cette adresse au Christ seul ou aux trois personnes de la Trinité, peut se justifier d’après les règles de la théologie ; et les catholiques de l’Orient et de l’Occident l’ont insensiblement adoptée. Mais elle avait été imaginée par un évêque monophysite[77]. Ce don d’un ennemi fuit d’abord rejeté comme un horrible et dangereux blasphème, et pensa coûter à l’empereur Anastase la couronne et la vie[78]. Le peuple de Constantinople était dépourvu de tout principe raisonnable de liberté ; mais la couleur d’une livrée dans les courses et la nuance d’un mystère dans les écoles lui paraissaient une cause légitime de rébellion. Le Trisagion, avec l’addition ou dans l’addition dont nous venons de parler, fut chanté dans la cathédrale par deux chœurs ennemis, et, après avoir épuisé la force de leurs poumons, ils recoururent aux pierres et aux bâtons, arguments plus solides ; l’empereur punit les agresseurs ; le patriarche les défendit, et cette importante querelle ébranla la couronne et la mitre. Les rues furent en un instant remplies d’une troupe innombrable d’hommes, de femmes et d’enfants. Des légions de moines rangés en ordre de bataille les dirigeaient au combat en criant : Chrétiens, c’est le jour du martyre ; n’abandonnons pas notre pète spirituel : anathème au tyran manichéen ! il est indigne de régner. Tels étaient les cris des catholiques. Les galères d’Anastase reposaient sur leurs rames devant le palais et prêtes à marcher : le patriarche pardonna enfin à son pénitent et calma les flots d’une multitude irritée. Macedonius ne jouit pas longtemps de son triomphe, car il fut exilé peu de jours après ; mais le zèle de son troupeau se renflamma bientôt sur cette même question : si une personne de la Trinité avait expiré sur la croix. Cette importante affaire suspendit la discorde à Constantinople entre la faction des Bleus et celle des Verts et leurs forces réunies paralysèrent l’action de la puissance civile et de la puissance militaire. Les chefs de la ville et les drapeaux des gardes furent déposés dans le forum de Constantin, qui se trouvait être le poste et le camp principal des fidèles. Ceux-ci passaient les jours et les nuits à chanter des hymnes en l’honneur de leur Dieu, ou à piller et à tuer les serviteurs de leur prince. La tête d’un moine qu’aimait Anastase, et, selon le langage des fanatiques, l’ami de l’ennemi de la sainte Trinité, fut portée dans les rues au haut d’une pique ; et les torches enflammées jetées contre les bâtiments des hérétiques, répandirent indistinctement l’incendie sur les édifices des plus orthodoxes. On brisa les statues de l’empereur ; Anastase alla se cacher dans un faubourg, jusqu’à ce qu’enfin, au bout de trois jours, il osa implorer la clémence de ses sujets. Il parut sur le trône du cirque sans diadème et dans la posture d’un suppliant. Les catholiques récitèrent devant lui leur Trisagion primitif et original ; ils reçurent avec des cris de triomphe l’offre qu’il leur fit, par la voix d’un héraut, d’abdiquer la pourpre : cependant ils se rendirent à l’observation qui leur fut faite que tous ne pouvant régner, ils devaient, avant cette abdication, s’accorder sur le choix d’un souverain ; et ils acceptèrent le sang de deux ministres haïs du peuple, que leur maître, sans balancer, condamna aux lions. Ces séditions furieuses, mais passagères, étaient encouragées par les succès de Vitalien, qui avec une armée de Huns et de Bulgares, idolâtres pour la plupart, se déclara le champion de la foi catholique : les suites de cette pieuse rébellion furent la dépopulation de la Thrace, le siège de Constantinople, et le massacre de soixante-cinq mille chrétiens. Vitalien continua ses ravages jusqu’à l’époque où il obtint le rappel des évêques, la ratification du concile de Chalcédoine et la satisfaction que demandait le pape. Anastase mourant signa, contre son gré, ce traité orthodoxe et l’oncle de Justinien en remplit fidèlement les conditions. Telle fut l’issue de la première des guerres religieuses entreprises sous le nom et par les disciples du Dieu de paix[79].

Nous avons déjà montré Justinien en qualité de prince, de conquérant et de législateur ; il nous reste à tracer le caractère de ce prince comme théologien[80] ; et, ce qui donne une prévention défavorable, son ardeur sur les matières théologiques forme un des traits les plus saillants de son caractère. Il avait, ainsi que ses sujets, un grand respect pour les saints durant leur séjour sur la terre et après leur mort. Son Code, et surtout ses Novelles, confirment et étendent les privilèges du clergé ; et lorsqu’il s’élevait une discussion entre un moine et un laïque, il était disposé a prononcer que la vérité, l’innocence et la justice, étaient toujours du côté de l’Église. Il était assidu et exemplaire dans ses dévotions publiques et particulières ; ses prières, ses veilles et ses jeûnes, égalaient les austères mortifications d’un moine. Dans les rêves de son imagination, il se croyait inspiré ou espérait l’être ; il s’était assuré de la protection de la sainte Vierge et de saint Michel archange, et il attribua au secours des saints martyrs Côme et Damien sa guérison d’une maladie dangereuse. Il remplit la capitale et les provinces des monuments de sa religion[81] ; et quoiqu’on puisse imputer à son goût pour les arts et à son ostentation la plus grande partie de ces édifices dispendieux, son zèle était probablement animé par un sentiment naturel d’amour et de reconnaissance envers ses bienfaiteurs invisibles. Parmi les titres de ses dignités, le surnom de Pieux était celui qui lui plaisait le plus. L’attention aux intérêts temporels et spirituels de l’Église fut l’occupation sérieuse, de sa vie, et il sacrifia souvent les devoirs de père de son pays à ceux de défenseur de la foi. Les controverses de son temps se trouvaient analogues à son caractère et à son esprit, et les professeurs de théologie devaient se rire en secret d’un prince qui faisait leur métier et négligeait le sien. Qu’avez-vous à craindre d’un tyran asservi aux soins de la dévotion ? disait à ses associés un hardi conspirateur ; il passe les nuits entières désarmé dans son cabinet, à y discuter avec de vénérables barbes grises, et à compulser les pages des volumes ecclésiastiques[82]. Il exposa les fruits de ses veilles dans plusieurs conférences, où il brilla également par la force de ses poumons et la subtilité de ses arguments, et dans plusieurs sermons qui, sous le nom d’édits et d’épîtres, annonçaient à l’empire la théologie du maître. Tandis que les Barbares envahissaient les provinces, ou tandis que les légions victorieuses marchaient sons les drapeaux de Bélisaire et de Narsès, le successeur de Trajan, inconnu à ses troupes se contentait de vaincre à la tête d’un synode. S’il eût invité à ces synodes un homme raisonnable et désintéressé, il aurait pu apprendre que les controverses religieuses sont le fruit de l’arrogance et de la sottise ; que la véritable piété se montre par le silence et la soumission d’une manière plus digne d’éloges ; que l’homme, qui ignore sa propre nature, ne doit point avoir l’audace de scruter la nature de son Dieu, et qu’il nous suffit de savoir que la bonté ainsi que la puissance sont les attributs de la Divinité[83].

La tolérance n’était pas la vertu de ce siècle, et l’indulgence envers des rebelles n’a guère été la vertu des princes ; mais lorsque ici souverain s’abaisse jusqu’à adopter les vues étroites et les passions irascibles d’un théologien polémique, il est aisément conduit à suppléer par son autorité au défaut de ses arguments, et à châtier sans pitié l’aveuglement pervers de ceux qui ferment les yeux à la lumière de ses démonstrations. Le règne de Justinien présente une scène uniforme, quoique variée, de persécution, et sur cet objet il semble avoir surpassé ses indolents prédécesseurs, soit dans l’invention des lois pénales, soit dans la sévérité de leur exécution. Il n’accorda que trois mois pour la conversion ou le bannissement de tous les hérétiques[84] ; et s’il ferma constamment contre les yeux sur l’infraction de cette loi, du moins sous son joug de fer, étaient-ils privés, non seulement des avantages de la société, mais de tous les droits de naissance qu’ils pouvaient réclamer en qualité d’hommes et de chrétiens. Après quatre cents ans, les montanistes de Phrygie[85] respiraient toujours ce sauvage enthousiasme de perfection et cette ardeur prophétique que leur avaient inspirés leurs apôtres, soit mâles, soit femelles, organes particuliers du Saint-Esprit. A l’approche des prêtres et des soldats catholiques, ils saisissaient avec ardeur la couronne du martyre ; le conciliabule et la congrégation périssaient dans les flammes ; mais l’esprit des premiers fanatiques subsistait encore en son entier trois cents ans après la mort de leur tyran. L’Église des ariens à Constantinople, protégée par les Goths, avait bravé la rigueur des lois. Leurs prêtres égalaient le sénat en richesses et en magnificence, et l’or et l’argent que leur ravit Justinien auraient pu être revendiqués comme les trophées des provinces et les dépouilles des Barbares. Un petit nombre de païens, cachés encore dans les classes les plus polies, comme dans les classes les plus grossières de la société, excitaient l’indignation des chrétiens, qui ne voulaient peut-être pas qu’aucun étranger fût témoin de leurs querelles intestines. L’un des évêques fut nommé inquisiteur de la foi ; et son activité découvrit bientôt à la cour et à la ville des magistrats, des jurisconsultes, des médecins et des sophistes, toujours attachés à la superstition des Grecs. On leur déclara positivement qu’ils devaient choisir, sans délai, entre le déplaisir de Jupiter et celui de Justinien, et qu’on ne leur permettrait plus de déguiser leur aversion pour l’Évangile sous le masque scandaleux de l’indifférence ou de la piété. Le patricien Photius se montra seul, peut-être, déterminé à vivre et à mourir comme ses ancêtres ; d’un coup de poignard il s’affranchit de la servitude, et laissa au tyran le triste plaisir d’exposer ignominieusement aux regardes du public le cadavre de celui qui avait su lui échapper. Ses autres frères, moins courageux, se soumirent à leur monarque temporel ; ils reçurent le baptême et s’efforcèrent, par un zèle extraordinaire, d’effacer le soupçon ou d’expier le crime de leur idolâtrie. La patrie d’Homère et le théâtre de la guerre de Troie conservaient les dernières étincelles de la mythologie des Grecs : par les soins du même évêque ou inquisiteur dont nous parlions tout à l’heure, on découvrit et on convertit soixante-dix mille païens en Asie, dans la Phrygie, la Lydie et la Carie. On bâtit quatre-vingt-seize églises pour les néophytes ; et la pieuse munificence de Justinien fournit le linge, les bibles, les liturgies et les vases d’or et d’argent[86]. Les Juifs, qu’on avait dépouillés peu à peu de leurs immunités, furent assujettis à une loi tyrannique qui les forçait à célébrer la Pâque le même jour que les chrétiens[87]. Ils durent se plaindre avec d’autant plus de raison, que les catholiques eux-mêmes n’étaient pas d’accord sur les calculs astronomiques du souverain. Les habitants de Constantinople ne commençaient le carême qu’une semaine entière après l’époque fixée par l’empereur, et ils avaient ensuite le plaisir de jeûner sept jours, durant lesquels, par l’ordre de l’empereur, les marchés étaient remplis de viande. Les samaritains de la Palestine[88] formaient une race bâtarde, une secte équivoque ; les païens les traitaient de Juifs, les Juifs de schismatiques, et les chrétiens d’idolâtres. Ce qu’ils regardaient comme une abomination, la croix était déjà établie sur la sainte montagne de Garizim[89] ; mais la persécution de Justinien ne leur laissa que l’alternative du baptême ou de la rébellion ; ils choisirent le dernier parti : ils se montrèrent en armes sous les drapeaux d’un chef désespéré ; et le sang d’un peuple sans défense, ses biens, ses temples, payèrent les maux qu’on leur avait fait souffrir. Les troupes de l’Orient les subjuguèrent à la fin ; il y en eut vingt mille de massacrés ; vingt mille autres furent vendus par les Arabes aux infidèles de la Perse et de l’Inde, et les restes de cette malheureuse nation expièrent le crime de rébellion par le péché d’hypocrisie. On a calculé que la guerre des samaritains coûta la vie à cent mille sujets de l’empire[90], et couvrit de cendres une province fertile qu’elle convertit en un affreux désert. Mais, dans le symbole de Justinien, on pouvait sans crime égorger les mécréants, et il employa pieusement le fer et la flamme pour établir l’unité de la foi chrétienne[91].

Avec de pareils sentiments, il fallait du moins avoir toujours raison. Durant les premières années de son administration, il signala son zèle en qualité de disciple et de protecteur de la foi orthodoxe. La réconciliation des Grecs et des Latins fit du tome de saint Léon le symbole de l’empereur et de l’empire ; les nestoriens et les eutychiens étaient, des deux côtés, en proie au glaive à double tranchant de la persécution ; et les quatre conciles de Nicée, de Constantinople, d’Éphèse et de Chalcédoine, furent ratifiés par le code d’un législateur catholique[92]. Mais tandis que Justinien ne négligeait rien pour maintenir l’uniformité de la foi, et du culte, sa femme Théodora, dont les vices ne se trouvaient point incompatibles avec la dévotion, avait écouté les prédications monophysites, et les ennemis publics ou secrets de l’Église se ranimèrent et se multiplièrent sous la protection de l’impératrice. Une discorde spirituelle troublait la capitale, le palais et le lit nuptial ; mais la sincérité de Justinien et de Théodora était si douteuse, que plusieurs personnes imputaient leur querelle apparente, à une ligue secrète et malfaisante contre la religion et le bonheur du peuple[93]. La fameuse dispute des trois chapitres[94], qui a rempli plus de volumes qu’elle ne méritait de lignes, annonce bien cet esprit d’astuce et de mauvaise foi. Trois siècles s’étaient écoulés depuis que le corps d’Origène[95] était devenu la pâture des vers : son âme, dont il avait enseigné la préexistence, était entre les mains de son Créateur ; mais les moines de la Palestine lisaient avidement ses écrits. L’œil perçant de Justinien y aperçut plus de dix erreurs de métaphysique, et, de compagnie avec Pythagore et Platon, le docteur de la primitive Église fut dévoué, par le clergé à l’éternité du feu de l’enfer, dont il avait osé nier l’existence. Sous le masque de cette condamnation, on portait un coup perfide au concile de Chalcédoine. Les pères avaient entendu sans impatience l’éloge de Théodore de Mopsueste[96], et leur justice ou leur indulgence avait rendu la communion des fidèles à Théodoret de Cyrrhe et à Ibas d’Édesse ; mais le nom de ces évêques de l’Orient était entaché du reproche d’hérésie. Le premier avait été le maître de Nestorius, et les deux autres étaient les amis de cet hérétique, les passages les plus suspects de leurs écrits furent dénoncés sous le titre des trois chapitres, et la flétrissure imprimée à leur mémoire compromettait nécessairement l’honneur d’un concile dont le monde catholique prononçait le nom avec respect ou du moins avec les apparences du respect. Cependant si ces évêques, innocents ou coupables, se trouvaient anéantis dans la nuit éternelle, les clameurs poussées sur leur tombeau, un siècle après l’époque de leur mort, ne pouvaient guère les éveiller ; si, dans une autre hypothèse, ils étaient déjà dans les mains du démon, l’homme ne pouvait plus ni aggraver ni adoucir leurs tourments ; et enfin s’ils jouissaient, dans la société des saints et des anges, de la récompense due à leur piété, ils devaient sourire de la vaine fureur des insectes théologiques qui rampaient encore sur la surface de la terre. L’empereur des Romains, le plus acharné de ces insectes, dardait son aiguillon et lançait son venin, peut-être sans apercevoir les motifs de Théodora et des ecclésiastiques de sa faction. Les victimes n’étaient plus soumises à son pouvoir, et ses édits, avec toute la véhémence de leur style, ne pouvaient que proclamer leur damnation, et inviter le clergé de l’Orient à se réunir à lui pour les accabler d’imprécations et d’anathèmes. Les prélats de l’Orient hésitèrent à se réunir à leur souverain sur cet objet ; on tint a Constantinople le cinquième concile général, auquel assistèrent trois patriarches et cent soixante-cinq évêques ; et les auteurs ainsi que les défenseurs des trois chapitres furent séparés de la communion des saints, et livrés solennellement au prince des ténèbres. Les Églises latines étaient plus jalouses de l’honneur de Léon et de celui du concile de Chalcédoine ; et si, comme de coutume, elles eussent combattu sous l’étendard de Rome, elles auraient peut-être fait triompher la cause de la raison et de l’humanité ; mais leur chef était captif et au pouvoir de l’ennemi ; le trône de saint Pierre, déshonoré par la simonie, fut trahi par la lâcheté de Vigile, qui après une lutte longue et inconséquente, se soumit au despotisme de Justinien et aux sophismes des Grecs. Son apostasie excita l’indignation des Latins ; et on ne trouva que deux évêques qui voulussent ordonner Pélage, son diacre et son successeur. Cependant la persévérance des papes transféra peu à peu à leurs adversaires la dénomination de schismatiques : les puissances civile et ecclésiastique, aidées de la force militaire, opprimaient, non sans effort, les Églises d’Illyrie, d’Afrique et d’Italie[97] : éloignés du siège de l’empire, les Barbares suivaient la doctrine du Vatican, et, en moins d’un siècle, le schisme des trois chapitres expira dans un canton obscur de la province Vénétienne[98]. Mais le mécontentement des Italiens, causé par cette querelle de religion, avait déjà facilité les conquêtes des Lombards, et les Romains eux-mêmes étaient habitués à suspecter la foi et à détester l’administration du tyran qui régnait à Byzance.

Justinien ne sut être ni ferme ni conséquent dans les procédés difficiles qu’il voulut employer pour figer l’incertitude de ses opinions et de celles de ses sujets : durant sa jeunesse on l’offensait en s’écartant le moins du monde de la ligne orthodoxe ; dans sa vieillesse il s’égara lui-même par-delà la ligne d’une hérésie modérée, et les jacobites, ainsi que les catholiques, furent scandalisés de lui entendre déclarer que le corps du Christ était incorruptible, et que son humanité n’avait jamais éprouvé aucun des besoins et des infirmités attachés à notre existence mortelle. Cette opinion fantastique se trouve consignée dans ses derniers édits : à l’époque de sa mort, qui arriva bien à propos, le clergé avait refusé d’y souscrire ; le prince se disposait à commencer une persécution, et le peuple était disposé à la souffrir, ou à opposer de la résistance. Un évêque de Trèves, qui se voyait placé hors des atteintes du monarque de l’Orient, lui adressa des remontrances sur le ton de l’affection et de l’autorité : Très gracieux Justinien, lui dit-il, souvenez-vous de votre baptême et du symbole de votre foi, et ne déshonorez pas vos cheveux blancs par une hérésie. Rappelez vos pères de l’exil, et retirez vos adhérents du chemin de la perdition. Vous ne pouvez ignorer que l’Italie et la Gaule, l’Espagne et l’Afrique, déplorent déjà votre chute et anathématisent votre nom. Si vous ne rétractez pas, sans délai ce que vous avez enseigné si vous ne déclarez pas hautement : Je suis tombé dans l’erreur, j’ai péché ; anathème à Nestorius ! anathème à Eutychès vous vous dévouez à ces flammes qui les consumeront éternellement[99]. On le vit mourir sans donner un signe de rétractation. Sa mort rétablit à quelques égards la paix de l’Église, et, circonstance heureuse et rare, ses quatre successeurs, Justin, Tibère, Maurice et Phocas, ne jouent aucun rôle dans l’histoire ecclésiastique de l’Orient[100].

C’est sur elles-mêmes qu’ont le moins de prise les facultés de sentir et de raisonner ; notre œil est de tous les objets le plus inaccessible à notre vue, et rien n’échappe à notre pensée autant que les opérations de notre âme ; toutefois nous pensons et même, nous sentons qu’une volonté, c’est-à-dire un seul principe d’action, est essentielle à un être raisonnable et ayant le sentiment de son existence. Lorsque Héraclius revint de la guerre de Perse, ce héros orthodoxe demanda aux évêques si le Christ qu’il adorait en une seule personne, mais en deux natures, était mu par une seule volonté ou par une volonté double. Ils répondirent qu’une seule volonté animait le Christ, et l’empereur espéra que cette doctrine, certainement sans inconvénients, et qui paraissait être la vraie, puisqu’elle était enseignée par les nestoriens eux-mêmes[101], ramènerait les jacobites de l’Égypte et de la Syrie. On l’essaya, mais en vain ; et, soit zèle soit crainte, les catholiques ne crurent pas pouvoir se permettre, même en apparence, de reculer devant un ennemi subtil et audacieux. Les orthodoxes, alors dominants, inventèrent de nouvelles formules, de nouveaux arguments et de nouvelles interprétations : ils supposèrent à chacune des deux natures du Christ une énergie propre et distincte : la différence devint imperceptible lorsqu’ils avouèrent que la volonté humaine et la volonté divine étaient invariablement la même[102]. La maladie s’annonça par les symptômes ordinaires ; mais les prêtres grecs, comme s’ils eussent été rassasiés par l’interminable controverse sur l’Incarnation, donnèrent de bons conseils au prince et au peuple. Ils se déclarèrent monothélites (défenseurs d’une seule volonté) ; mais ils traitèrent le mot de nouveau et la question de superflue, et recommandèrent un silence religieux, comme ce qu’il y avait de plus conforme à la prudence et à la charité de l’Évangile. Cette loi de silence fut établie successivement par l’Ecthèse ou l’exposition d’Héraclius, et le Type ou le formulaire de la foi de Constans son petit-fils[103] ; et les quatre patriarches de Rome, de Constantinople, d’Alexandrie et d’Antioche, souscrivirent ces édits du prince, les uns avec joie, les autres avec répugnance. Mais l’évêque et les moines de Jérusalem sonnèrent l’alarme : les Églises latines aperçurent une erreur cachée dans les paroles ou même dans le silence des Grecs, et l’obéissance du pape Honorius aux ordres de son souverain fut rétractée ou censurée par l’ignorance plus audacieuse de ses successeurs. Ils condamnèrent l’exécrable et abominable hérésie des monothélites, qui ranimaient les erreurs de Manès, d’Apollinaire, d’Eutychès, etc. Ils signèrent sur le tombeau de saint Pierre le décret d’excommunication ; l’encre qu’ils employèrent fut mêlée du vin du sacrement, c’est-à-dire du sang de Jésus-Christ, et ils n’oublièrent aucune des cérémonies qui pouvaient remplir d’horreur ou d’effroi les esprits superstitieux. En qualité de représentants de l’Église d’Occident, le pape Martin et le concile de Latran anathématisèrent le coupable et perfide silence des Grecs : cent cinq évêques d’Italie, la plupart sujets de Constans, ne craignirent pas de rejeter son Type odieux, l’Ecthèse impie de son grand-père, et de confondre les auteurs et leurs adhérons avec vingt et un hérétiques reconnus, déserteurs de l’Église et organes du démon. Le prince le plus soumis à l’Église n’aurait pas laissé une telle offense impunie. Le pape Martin termina sa carrière sur la côte déserte de la Chersonèse Taurique et l’abbé Maxime, son oracle, fut cruellement puni par l’amputation de la langue et de la main droite[104] ; mais ils transmirent leur obstination à leurs successeurs le triomphe des Latins les vengea de la défaite qu’ils venaient d’éprouver, et fit oublier l’opprobre des trois chapitres. Les synodes de Rome furent confirmés par le sixième concile général, tenu à Constantinople dans le palais et sous les yeux d’un nouveau Constantin, descendant d’Héraclius. La conversion du prince entraîna celle du pontife de Byzance et de la pluralité des évêques[105] : les dissidents, à la tête desquels se trouvait Macaire d’Antioche, furent condamnés aux peines spirituelles et temporelles décernées contre l’hérésie ; l’Orient voulut bien recevoir les leçons de l’Occident, et on régla définitivement le symbole de la foi, qui apprend aux catholiques de tous les temps que la personne de Jésus-Christ réunissait deux volontés ou deux énergies agissant d’accord entre elles. -Deux prêtres, un diacre et trois évêques, représentèrent la majesté du pape et celle du synode romain ; mais ces obscurs théologiens de l’Italie n’avaient ni troupes pour soutenir leurs opinions, ni trésors pour acheter des partisans, ni éloquence pour faire des prosélytes ; et j’ignore par quelle adresse ils purent déterminer le superbe empereur des Grecs à abjurer le catéchisme de son enfance, et à persécuter la religion de ses aïeux. Peut-être les mines et le peuple de Constantinople[106] favorisaient-ils la doctrine du concile de Latran, qui est en effet la moins raisonnable des deux ; ce soupçon est autorisé par la modération peu naturelle du clergé grec, qui, dans cette querelle, parut sentir sa faiblesse. Tandis que le synode discutait la question, un fanatique proposa un expédient plus court, celui de ressusciter un mort ; les prélats assistèrent à l’expérience : mais l’unanimité avec laquelle on reconnut que le miracle avait manqué, put servir à prouver que les passions et les préjugés de la multitude n’étaient pas du parti des monothélites. Sous la génération suivante, lorsque le fils de Constantin fut déposé et mis à mort par le disciple de Macaire, ils goûtèrent le plaisir de la vengeance et de la domination : le simulacre ou le monument du sixième concile œcuménique fut effacé, et les actes originaux de ce tribunal ecclésiastique livrés aux flammes. Mais dès la seconde année de son règne, leur protecteur fut précipité du trône ; les évêques de l’Orient furent affranchis de la loi de conformité à laquelle ils avaient été momentanément soumis ; la foi de l’Église romaine fut rétablie sur des bases plus solides par les successeurs orthodoxes de Bardanes, et la dispute plus populaire et plus sensible sur le culte des images fit oublier les beaux problèmes proposés sur l’Incarnation[107].

Avant la fin du septième siècle, le dogme de l’Incarnation, tel qu’il avait été déterminé à Rome et à Constantinople, fut prêché jusque dans les îles de la Bretagne et de l’Irlande[108] : tous les chrétiens qui avaient adopté pour la liturgie la langue grecque ou la langue latine, adoptèrent les mêmes idées, ou plutôt répétèrent les mêmes paroles. Leur nombre et l’éclat qu’ils jetaient alors, leur donnaient une sorte de titre au surnom de catholiques ; mais en Orient, on les désignait par le nom moins honorable de melchistes ou de royalistes[109], c’est-à-dire d’hommes dont la foi, au lieu de reposer sur la base de l’Écriture, de la raison ou de la tradition, avait été établie et se trouvait encore maintenue par la puissance arbitraire d’un monarque temporel. Leurs adversaires pouvaient cités les mots des pères du concile de Constantinople qui se déclarèrent les esclaves du prince et ils pouvaient raconter avec une joie maligne combien l’empereur Marcien et sa chaste épouse avaient influé sur les décrets du concile de Chalcédoine. Une faction dominante rappelle sans cesse le devoir de la soumission, et il n’est pas moins naturel que les dissidents sentent et réclament les principes de la liberté. Sous la verge de la persécution, les nestoriens et les monophysites devinrent des rebelles, des fugitifs, et les alliés de Rome, les plus anciens et les plus utiles, apprirent à regarder l’empereur, non pas comme le chef, mais comme l’ennemi des chrétiens. Le langage, ce grand principe d’union et de séparation entre les diverses tribus du genre humain, distingua bientôt définitivement les sectaires de l’Orient par un signe particulier, qui anéantit tout commerce et tout espoir de réconciliation. La longue domination des Grecs, leurs colonies et surtout leur éloquence, avaient répandu un idiome, sans doute le plus parfait de tous ceux qu’ont inventés les hommes ; mais le corps du peuple dans la Syrie et en Égypte se servait encore de la langue nationale, avec cette différence toutefois que le cophte n’était employé que par les ignorants et grossiers paysans des bords du Nil, tandis que depuis les montagnes de l’Assyrie jusqu’à la mer Rouge, le syriaque[110] était la langue de la poésie et de la dialectique. La langue corrompue et le faux savoir des Grecs infectaient l’Arménie et l’Abyssinie, et les idiomes barbares de ces contrées, qui ont revécu dans les études de l’Europe moderne, étaient inintelligibles pour les habitants de l’empire romain. Le syriaque et le cophte, l’arménien et l’éthiopien, sont consacrés dans les liturgies de leurs églises respectives, et leur théologie possède des versions particulières[111] des Écritures et des ouvrages de ceux des pères dont la doctrine y a fait le plus de fortune. Après un intervalle de treize cent soixante années le feu de la controverse, allumé d’abord par un sermon de Nestorius, brûle encore au fond de l’Orient, et les communions ennemies gardent toujours la foi et la discipline de leurs fondateurs. Dans l’état le plus abject d’ignorance, de pauvreté et de servitude, les nestoriens et les monophysites rejettent la suprématie spirituelle de Rome, et rendent grâce à la tolérance des Turcs, qui leur permettent d’anathématiser, d’un côté saint Cyrille et le concile d’Éphèse, de l’autre, le pape Léon et le concile de Chalcédoine. Leur influence sur la chute de l’empire d’Orient exige quelques détails, et le lecteur pourra jeter avec quelque plaisir un coup d’œil : 1° sur les nestoriens, 2° sur les jacobites[112], 3° sur les maronites, 4° sur les Arméniens, 5° sur les cophtes, et 6° sur les Abyssins. Les trois premières sectes parlent la langue syriaque ; mais chacune des trois dernières emploie l’idiome de sa nation. Au reste, les habitants modernes de l’Arménie et de l’Abyssinie ne pourraient converser avec leurs ancêtres ; et les chrétiens de l’Égypte et de la Syrie ; qui rejettent la religion des Arabes, en ont adopté la langue. Le temps a secondé les artifices des prêtres, et en Orient, ainsi qu’en Occident, c’est dans une langue morte, ignorée du plus grand nombre des fidèles, qu’on s’adresse à la Divinité.

I – Les nestoriens. L’hérésie de l’infortuné Nestorius fut promptement oubliée dans la province qui lui avait donné le jour, et même dans son diocèse. Les évêques d’Orient qu’on avait vus au concile d’Éphèse, attaquer à découvert l’arrogance de saint Cyrille s’adoucirent lorsque le prélat abandonna par la suite quelques-unes de ses propositions. Ces évêques ou leurs successeurs signèrent, non sans murmures, les décrets du concile de Chalcédoine. La puissance des monophysites réconcilia les nestoriens avec les catholiques, et réunit les deux partis dans les mêmes haines, les mêmes intérêts et insensiblement dans les mêmes dogmes. Ce fut dans la dispute des trois chapitres qu’ils poussèrent à regret leur dernier soupir. Des lois pénales écrasèrent ceux de leurs frères qui, moins modérés ou plus sincères, ne voulurent point faire causé commune avec les catholiques ; et des le temps de Justinien, il était difficile de trouver une église de nestoriens dans les limites de l’empire. Ils avaient découvert au-delà de ces limites un nouveau monde, où ils pouvaient espérer la liberté et aspirer à des conquêtes. Malgré la résistance des mages, le christianisme avait jeté en Perse de profondes racines, et les nations de l’Orient reposaient sous son ombre salutaire. Le catholique ou primat habitait la capitale ; ses métropolitains, ses évêques et son clergé, déployaient, dans les synodes et dans leurs diocèses, la pompe, et le bon ordre d’une hiérarchie régulière ; un grand nombre de prosélytes abandonnèrent le Zend-Avesta pour l’évangile, et la vie séculière pour la vie monastique ; leur zèle était excité par la présence d’un ennemi artificieux et redoutable. L’Église de Perse avait été fondée par des missionnaires de Syrie ; ainsi la langue, la discipline, et la doctrine de leur pays, se trouvaient faire partie inhérente de sa constitution. Les primats étaient hommes et ordonnés par leurs suffragants ; mais les canons de l’Église d’Orient attestent leur dépendance filiale envers les patriarches d’Antioche[113]. De nouvelles générations de fidèles se formaient dans l’école persane d’Édesse à leur idiome théologique[114] ; elles étudiaient dans la version syriaque les dix mille volumes de Théodore de Mopsueste, et elles révéraient la foi apostolique et le saint martyre de son disciple Nestorius, dont la personne et la langue étaient inconnues chez les nations placées au-delà du Tigre. La première leçon d’Ibas, évêque d’Édesse, imprima dans leur esprit une horreur ineffaçable pour les Égyptiens impies, qui, dans leur concile d’Éphèse, avaient confondu les deux natures de Jésus-Christ. La fuite des maîtres et des élèves, chassés deux fois de l’Athènes de Syrie, dispersa une troupe de missionnaires, excités tout à la fois par le zèle de religion et par la vengeance. L’unité rigoureuse soutenue par les monophysites, qui, sous les règnes de Zénon et d’Anastase, avaient envahi les trônes d’Orient, provoqua leurs antagonistes à reconnaître, dans une terre de liberté, une union morale plutôt qu’une union physique entre les deux personnes du Christ. Depuis l’époque où l’on avait prêché l’Évangile aux nations, les rois sassaniens voyaient avec inquiétude et avec méfiance une race d’étrangers et d’apostats qu’ils pouvaient soupçonner de favoriser la cause des ennemis naturels de leur pays, comme ils en avaient embrassé la religion. Des édits avaient souvent défendu leur commerce avec le clergé de la Syrie ; les progrès du schisme furent agréables à l’orgueil jaloux de Perozes, et il prêta l’oreille aux discours d’un prélat adroit qui lui peignant Nestorius comme l’ami de la Perse, l’engagea à s’assurer de la fidélité de ses sujets chrétiens, en se prononçant en faveur des victimes et des ennemis du despote romain. Les nestoriens formaient la plus grande partie du clergé et du peuple ; ils furent encouragés par le sourire du prince, et le despotisme les arma de son glaive mais la faiblesse de quelques-uns fût effrayée de l’idée de se séparer de la communion du monde chrétien, et le sang de sept mille sept cents monophysites ou catholiques établit l’uniformité de la foi et de la discipline dans les Églises de la Perse[115]. Leurs institutions religieuses se distinguaient par un principe de raison ou du moins de politique : l’austérité du cloître s’était relâchée et tomba peu à peu ; on dota des maisons de charité, qui prirent soin de d’éducation des orphelins et des enfants trouvés ; le clergé de la Perse dédaigna la loi du célibat, si fortement recommandé aux Grecs et aux Latins, et les mariages avoués et réitérés des prêtres, des évêques et du patriarche lui-même, augmentèrent sensiblement le nombre des élus. Des myriades de fugitifs arrivèrent de toutes les provinces de l’empire d’Orient dans ce pays, l’asile de la liberté naturelle et religieuse. L’étroite dévotion de Justinien fut punie par l’émigration de ses sujets les plus industrieux ; ils portèrent en Perse les arts de la guerre et de la paix, et un monarque habile éleva aux emplois ceux que leur mérité recommandait à sa faveur. Ceux de ces malheureux sectaires qui, inconnus, avaient continué de vivre dans leurs villes natales, aidèrent de leurs conseils, de leurs bras et de leur argent les armes de Nushirwan et les armes plus redoutables encore de son petit-fils ; ils obtinrent pour récompense de leur zèle, les églises des catholiques ; mais lorsque. Héraclius eut reconquis ces villes et ces églises, désormais connus comme rebelles et hérétiques, ils n’eurent plus de refuge que dans les États de leur allié. Cependant la tranquillité apparente des nestoriens courut bien des dangers et fut troublée quelquefois. Ils partagèrent les maux, suite nécessaire du despotisme oriental. Leur inimitié pour Rome ne suffit pas toujours pour expier leur attachement à l’Évangile ; et une colonie de trois cent mille jacobites, faits prisonniers à Apamée et à Antioche eût la permission d’élever ses autels ennemis à la vue du catholique et sous l’influence protectrice de la cour. Justinien inséra dans son dernier traité des articles qui tendaient à augmenter et à fortifier la tolérance dont le christianisme jouissait en Perse. L’empereur, peu instruit des droits de la conscience, était incapable de pitié ou d’estime pour les hérétiques qui rejetaient l’autorité des saints conciles ; mais il se flattait qu’ils pourraient remarquer peu à peu les avantages temporels d’une union avec l’empire et l’Église de Rome ; et s’il ne venait pas à bout d’obtenir leur reconnaissance, il espérait du moins les rendre suspects à leur souverain. A une époque plus récente, on a vu la superstition et la politique du roi très chrétien brûler à la fois les luthériens à Paris, et les protéger en Allemagne.

Le désir de gagner des âmes à Dieu et des sujets à l’Église a excité dans tous les temps l’activité des prêtres chrétiens. Après la conquête de la Perse, ils portèrent leurs armes spirituelles à l’orient, au nord et au midi, et la simplicité de l’Évangile fut enluminée des couleurs de la théologie syriaque. Si l’on en croit un voyageur nestorien[116], le christianisme fut prêché avec succès, dans le sixième siècle, aux Bactriens, aux Huns, aux Persans, aux Indiens, aux Persarméniens, aux Mèdes et aux Élamites ; le nombre des églises qu’on trouvait chez les Barbares, depuis le golfe de la Perse, jusqu’à la mère Caspienne, était presque infini ; et leur foi nouvelle se faisait remarquer par le nombre et la sainteté de leur moines et de leurs martyrs. Les chrétiens se multipliaient de jour en jour sûr la côte de Malabar, si fertile en poivre, et dans les îles de Socotora et de Ceylan ; les évêques et le clergé de ces contrées lointaines tiraient leur ordination du catholique de Babylone. Dans un siècle postérieur, le zèle des nestoriens dépassa les bornes où s’étaient arrêtées l’ambition et la curiosité des Grecs et des Persans. Les missionnaires de Balch et de Samarcande suivirent sans crainte les pas du Tartare errant et se glissèrent dans les vallées de l’Imaüs et des rives du Selinga. Ils exposèrent des dogmes métaphysiques à ces pasteurs ignorants ; ils recommandèrent l’humanité et le repos à ces guerriers sanguinaires. On dit cependant qu’un khan, dont ils ont ridiculement exagéré la puissance, reçut de leurs mains le baptême et même l’ordination ; et la réputation du Prêtre Jean a longtemps amusé la crédulité de l’Europe[117]. On permit à cet auguste néophyte de se servir d’un autel portatif ; mais il fit demander au patriarche, par des ambassadeurs, comment il pourrait faire pendant le carême pour s’abstenir des nourritures animales, et comment il pourrait célébrer l’eucharistie dans un désert qui ne produisait ni blé ni vin. Les nestoriens, dans leurs voyages par mer et par terre, entrèrent dans la Chine par le port de Cariton et par la ville de Sigan, située plus au nord, et résidence du souverain. Bien différents des sénateurs de Rome, qui jouaient en souriant les rôles de prêtres et d’augures, les mandarins, qui affectent en public la raison des philosophes, se livrent en secret à tous les genres de superstition populaire. Ils confondaient dans leur culte les dieux de la Palestine et ceux de l’Inde ; mais la propagation du christianisme réveilla les inquiétudes du gouvernement ; et, après une courte vicissitude de faveur et de persécution, la secte étrangère se perdit dans l’obscurité et dans l’oubli[118]. Sous le règne des califes, l’Église des nestoriens s’étendit de la Chine à Jérusalem et en Chypre, et on calcula que le nombre des églises nestoriennes et jacobites surpassait celui des églises grecques et latines[119]. Vingt-cinq métropolitains ou archevêques composaient leur hiérarchie ; mais plusieurs d’entre eux, à raison de la distance et des dangers du voyage, furent dispensés de l’obligation de se présenter en personne, sous la condition, facile à remplir, que tous les six ans ils fourniraient un témoignage de leur obéissance au catholique ou patriarche de Babylone, dénomination vague qu’on a donnée successivement aux résidences royales de Séleucie, de Ctésiphon et de Bagdad. Ces rameaux, éloignés sont flétris dès longtemps, et le vieux trône patriarcal[120] se trouve aujourd’hui partagé entre les Élijahs de Mosul, qui représentent presqu’en ligne directe la descendance des patriarches de la primitive Église, entre les Josephs d’Amida qui se sont réconciliés avec l’Église de Rome[121], et les Siméons de Van ou d’Ormia, qui se révoltèrent dans le seizième siècle, au nombre de quarante mille familles, et furent favorisés par les sophis de la Perse. On compte en tout aujourd’hui trois cent mille nestoriens qu’on a confondus, dans la dénomination de Chaldéens et d’Assyriens, avec la nation la plus éclairée et la nation la plus puissante de l’antiquité orientale.

Selon la légende de l’antiquité, saint Thomas prêcha l’Évangile dans l’Inde[122]. Sur la fin du neuvième siècle, les ambassadeurs d’Alfred rendirent une pieuse visite à son tombeau, situé peut-être aux environs de Madras, et la cargaison de perles et d’épiceries qu’ils rapportèrent paya le zèle du monarque anglais, qui avait conçu les plus vastes projets tant de commerce, que de découvertes[123]. Lorsque les Portugais ouvrirent la route de l’Inde, les chrétiens de saisit Thomas étaient établis depuis des siècles sur la côte de Malabar ; et la différence de caractère ainsi que de couleur qui les distinguait des habitants du pays, attestait le mélange d’une race étrangère. Ils surpassaient les naturels de l’Indostan dans l’art militaire, dans les arts de la paix, et peut-être aussi les surpassaient-ils en vertus. Ceux qui tiraient leurs richesses de l’agriculture, cultivaient le palmier ; le commerce du poivre enrichissait les marchands ; les soldats précédaient les naïrs ou les nobles de Malabar, et le roi de Cochin, le Zamorin lui-même, par reconnaissance ou par crainte, respectaient leurs privilèges héréditaires. Ils obéissaient à un souverain Gentou, mais l’évêque d’Angamala les gouvernait même dans les affaires temporelles. Il continuait à faire valoir son ancien titre de métropolitain de l’Inde ; mais sa juridiction ne s’étendait réellement que sur quatorze cents églises et deux cent mille âmes étaient confiées à ses soins. Ils seraient devenus, par leur religion, les alliés les plus sûrs et les plus affectionnés des Portugais ; mais les inquisiteurs aperçurent bientôt parmi les chrétiens de saint Thomas le schisme et l’hérésie, crimes impardonnables à leurs yeux. Les chrétiens de l’Inde, au lieu de se soumettre au pontife de Rome, souverain spirituel et temporel de tout le globe, adhéraient, ainsi que leurs ancêtres, à la communion du patriarche nestorien ; et les évêques qu’il ordonnait à Mosul, affrontaient, par mer et par terre, un grand nombre de dangers pour arriver dans leurs diocèses situés sur la côte du Malabar. Dans leur liturgie en langue syriaque, on rappelait dévotement les noms de Théodore et de Nestorius ; ils réunissaient dans leur adoration les deux personnes de Jésus-Christ : le titre de mère de Dieu offensait leurs oreilles, et ils mesuraient avec une avarice scrupuleuse les honneurs de la vierge Mare que la superstition des Latins avait presque portée au rang d’une déesse. Lorsqu’on présenta son image pour la première fois aux disciples de saint Thomas ; ils s’écrièrent avec indignation : Nous sommes des chrétiens, et non pas des idolâtres, et leur dévotion plus simple se contenta de la vénération de la croix. Séparés de l’Occident, il’s étaient étrangers, soit aux améliorations, soit à la corruption, qu’avait pu y produire un intervalle de mille années, et leur conformité avec la foi et les pratiques du cinquième siècle doit également embarrasser, les papistes et les protestants. Le premier soin des ministres de Rome fut de leur interdire toute correspondance avec le patriarche nestorien, et plusieurs de ses évêques expirèrent dans les prisons du saint-office. La puissance des Portugais, les artifices des jésuites et le zèle d’Alexis de Menezès, archevêque de Goa, qui vint en personne visiter la côte de Malabar, attaquèrent ce troupeau privé de ses pasteurs. Le synode de Diàmper, que présida Menezès, acheva le saint ouvrage de la réunion : il imposa aux chrétiens de saint Thomas la doctrine et la discipline de l’Église romaine, sans oublier la confession auriculaire, le plus puissant instrument de la tyrannie ecclésiastique. On y condamna la doctrine de Théodore et de Nestorius, et le Malabar se trouva réduit sous la domination du pape, sous celle du primat et des jésuites qui envahirent le siége d’Angamala ou Cranganor. Les nestoriens endurèrent avec patience soixante années de servitude et d’hypocrisie ; mais du moment où l’industrie et le courage des Provinces-Unies ébranlèrent l’empire des Portugais., ils déféra dirent avec énergie et avec succès la religion de leurs pères. Les jésuites se trouvèrent hors d’état de maintenir le pouvoir dont ils avaient abusé ; quarante mille chrétiens tournèrent leurs armes contre des oppresseurs arrivés au moment de leur chute et l’archidiacre de l’Inde remplit les fonctions épiscopales jusqu’au temps où l’on put obtenir du patriarche de Babylone une nouvelle provision d’évêques et de missionnaires syriaques. Depuis l’expulsion des Portugais, le symbole nestorien se professe librement sur la côte de Malabar. Les compagnies commerçantes de la Hollande et de l’Angleterre aliment la tolérance ; mais si l’oppression blesse moins que le mépris, les chrétiens de saint Thomas ont lien de se plaindre de la froide indifférence des Européens[124].

II – Les jacobites. L’histoire des monophysites est moins, étendue et moins intéressante que celle des nestoriens. Sous les régnés de Zénon et d’Anastase, leurs chefs surprirent l’oreille du prince, usurpèrent le trône ecclésiastique de l’Orient, et écrasèrent l’école de Syrie sur sa terre natale. Sévère, patriarche d’Antioche, fixa avec la subtilité la plus raffinée les dogmes des monophysites ; il condamna dans le style de l’Hénoticon les hérésies opposées de Nestorius et d’Eutychès ; il soutint contre le dernier la réalité du corps du Christ, et força les Grecs de le regarder comme un menteur qui disait la vérité[125]. Mais le rapprochement des idées ne pouvait diminuer la violence de la passion ; chaque parti montrait à plus grande surprise de l’aveuglement qui portait le parti contraire à disputer sur des différences si peu importantes. Le tyran de la Syrie employa la force au soutien de sa croyance, et son règne fut souillé par le sang de trois cent cinquante moines, qu’on égorgea sous les murs d’Apamée, et qui vraisemblablement avaient provoqué leurs ennemis, ou du moins qui voulurent leur opposer de la résistance[126]. Le successeur d’Anastase replanta en Orient l’étendard de l’orthodoxie ; Sévère se sauva en Égypte, et l’éloquent Xenaias[127], son ami, échappé aux nestoriens de la Perse, fut étouffé dans son exil par les melchites de la Paphlagonie. Cinquante-quatre évêques furent arrachés de leurs sièges ; on emprisonna huit cents ecclésiastiques[128] ; et, malgré la faveur équivoque de Théodora, les Églises de l’Orient, privées de leurs pasteurs, durent insensiblement périr par la disette d’instruction ou l’altération de leurs dogmes. Au milieu de cette détresse, la faction expirante réveillée se réunit et se perpétua par les soins d’un moine ; et le nom de Jacques Baradée[129] s’est conservé dans la dénomination communie de jacobite, qui peut effaroucher l’oreille d’un Anglais. Il reçut des saints évêques emprisonnés à Constantinople les pouvoirs d’évêque d’Édesse et d’apôtre de l’Orient, et de cette source inépuisable est sortie l’ordination de plus de quatre-vingt mille évêques, prêtres ou diacres. Les plus agiles dromadaires d’un dévot chef des Arabes secondaient, par leurs courses rapides, l’ardeur du zélé missionnaire. La doctrine et la discipline des jacobites s’établirent secrètement dans les domaines de Justinien, et il était du devoir de tout jacobite de violer ses lois et de détester le législateur. Cachés dans les couvents et les villages, obligés, pour sauver leurs têtes proscrites, de chercher un asile dans les cavernes des ermites ou les tentes des Sarrasins ; les successeurs de Sévère soutenaient toujours, ainsi qu’ils le soutiennent encore aujourd’hui, leur droit au titre, au rang et aux prérogatives de patriarche d’Antioche. Sous le joug plus doux des infidèles, ils résident à une lieue environ de Merdin, dans l’agréable monastère de Zapharan, qu’ils ont orné de cellules d’aqueducs et de plantations. Le maphrian qui réside à Mosul, où il brave le catholique ou primat nestorien, auquel il dispute la primatie de l’Orient, occupe la seconde place, regardée encore comme très honorable. On a compté, aux diverses époques de l’Église jacobite, cent cinquante archevêques ou évêques sous le patriarche et le maphrian ; mais l’ordre de la hiérarchie s’est affaibli ou rompu ; et les environs de l’Euphrate et du Tigre composent la plus grande partie de leurs diocèses. On trouve de riches marchands et d’habiles ouvriers dans les villes d’Alep et d’Amida, dont le patriarche fait souvent la visite ; mais le peuple y tire une misérable subsistance de ses travaux journaliers ; et la pauvreté a pu, aussi bien que la superstition, contribuer à l’établissement des jeûnes excessifs qu’ils s’imposent ; ils ont chaque année cinq carêmes, durant lesquels le clergé et les laïques s’abstiennent non seulement de viande et d’œufs, mais même de vin, d’huile et de poisson. Leur population actuelle est évaluée de cinquante à quatre-vingt mille âmes, reste d’une Église très nombreuse, qui a diminué graduellement sous une, tyrannie de douze siècles. Mais dans cette longue période, quelques étrangers, hommes de mérite, ont embrassé la secte des monophysites et Abulpharage[130], primat de l’Orient, si remarquable par sa vie et par sa mort, était fils d’un Juif. Il écrivait avec élégance le syriaque et l’arabe ; il fut poète, médecin, historien, philosophe plein de sagacité, et théologien rempli de modération. On vit à ses funérailles le patriarche nestorien son rival, avec une suite nombreuse de Grecs et d’Arméniens, qui oublièrent leurs disputes et confondirent leurs larmes sur le tombeau d’un ennemi. Cependant la secte qui fût honorée des vertus d’Abulpharage paraît placée un degré au-dessous de celle des nestoriens. La superstition des jacobites est plus abjecte, leurs jeûnes sont plus rigides[131], leurs divisions intestines plus multipliées, et (autant qu’on peut mesurer les degrés de l’absurdité) leurs docteurs plus éloignés de la raison. Sans doute la sévérité de la théologie des monophysites contribué à cette différence ; mais il en faut attribuer beaucoup plus à l’influence des moines. Dans la Syrie, en Égypte, en Ethiopie, les moines jacobites se sont toujours distingués par l’austérité de leurs mortifications et l’absurdité de leurs légendes ; durant leur vie et après leur mort on les révère comme les favoris de la Divinité : la crosse d’évêque et de patriarche est réservée à leurs respectables mains ; et, encore infectés des habitudes et des préjugés du cloître, ils se chargent de gouverner les hommes[132].

III – Les maronites. Dans le style des chrétiens de l’Orient, les monothélites ont été dans tous les siècles désignes par le nom de maronites[133] ; nom qui a passé insensiblement d’un ermite à un monastère ; et d’un monastère à une nation. Ce fut en Syrie que Maron, saint ou sauvage du cinquième siècle, déploya sa religieuse extravagance ; les villes d’Apamée et d’Émèse se disputèrent ses reliques ; une magnifique église s’éleva sur son tombeau, et six cents de ses disciples réunirent leurs cellules sur les bords de l’Oronte. Dans les controverses de l’Incarnation, ils suivirent scrupuleusement la ligne orthodoxe entre les sectes de Nestorius et d’Eutychès ; mais leur loisir donna lieu à la malheureuse question d’une volonté ou d’une opération dans les deux natures de Jésus-Christ. L’empereur Héraclius, leur prosélyte, repoussé en qualité de maronite des murs de la ville d’Émèse, trouva un asile dans le monastère de ses frères, et récompensa leurs leçons de théologie par le don d’un vaste et riche domaine. Le nom et la doctrine de cette respectable école se répandirent parmi les Grecs et les Syriens ; et on peut juger de leur zèle par la résolution de Macaire, patriarche d’Antioche, qui déclara, devant le concile de Constantinople, qu’il se laisserait couper en morceaux et jeter dans la mer, plutôt que de reconnaître deux volontés en Jésus-Christ[134]. Une persécution de cette espèce, ou une autre plus modérée, ne tarda pas à convertir les sujets de la plaine, tandis que la robuste peuplade du mont Liban se glorifiait du titre de mardaïtes ou de rebelles[135]. Jean Maron, l’un des moines les plus savants et les plus chéris du peuple, s’arrogea les fonctions de patriarche d’Antioche : son neveu, Abraham, à la tête des maronites, défendit leur liberté civile et religieuse contre les tyrans de l’Orient. Le fils de l’orthodoxe Constantin persécuta avec une sainte haine un peuple de soldats qui auraient pu servir de boulevard à son empire contre les ennemis de Jésus-Christ et de Rome. Une armée des Grecs envahit la Syrie ; le feu consuma le monastère de Saint-Maron ; les plus braves chefs de la secte furent trahis et assassinés, et douze mille de leurs partisans conduits sur les frontières de l’Arménie et de la Thrace. Cependant l’humble secte des maronites a survécu à l’empire de Constantinople ; et, sous les Turcs, leur conscience est libre et leur servitude modérée. Leurs gouverneurs particuliers sont choisis dans leur ancienne noblesse ; du fond de son monastère de Canobin, le patriarche se croit encore assis sur le siège d’Antioche ; neuf évêques forment son synode, et cent cinquante prêtres, libres de se marier, sont chargés de la conduite de cent mille âmes. Leur pays se prolonge de la chaîne du mont Liban aux côtes de Tripoli ; et, dans cette étroite lisière, une dégradation insensible offre toutes les variétés du sol et du climat, depuis les grands cèdres dont la tête ne se courbe point sous le poids des neiges[136], jusqu’aux vignobles, aux mûriers et aux oliviers de la fertile vallée. Les maronites, après avoir abjuré au douzième siècle l’erreur des monothélites, se réconcilièrent ; avec les Églises latines d’Antioche et de Rome[137] ; et l’ambition des papes, ainsi que la détresse des chrétiens de la Syrie, ont souvent renouvelé la même alliance ; mais il est permis de douter que cette réunion ait jamais été complète ou sincère, et les savants maronites du collège de Rome se sont vainement efforcés d’absoudre leurs ancêtres du crime de schisme et d’hérésie[138].

IV – Les arméniens. Depuis le siècle de Constantin, les Arméniens[139] ont signalé leur attachement pour la religion et l’empire des chrétiens. Les désordres de leur pays et leur ignorance de la langue grecque empêchèrent leur clergé d’assister au concile de Chalcédoine, et ils flottèrent quatre-vingt-quatre ans[140] dans un état d’indifférence ou d’incertitude, jusqu’à l’époque où leur foi sans guide les livra à l’autorité des missionnaires de Julien d’Halicarnasse[141], qui, en Égypte, où il se trouvait exilé ainsi que les monophysites, avait été vaincu par les arguments ou par le crédit de Sévère, son rival, patriarche monophysite d’Antioche. Les Arméniens seuls sont les purs disciples d’Eutychès, père malheureux qu’ont renié la plupart de ses enfants. Ils persévèrent seuls dans l’opinion que l’humanité de Jésus Christ avait été créée ou qu’elle était formée, sans création, d’une substance divine et incorruptible. Leurs adversaires leur reprochent d’adorer un fantôme, et ils rétorquent l’accusation, en couvrant de ridicule ou chargeait de malédictions le blasphème des jacobites, qui imputent à Dieu les viles infirmités de la chair, et jusqu’aux effets naturels de la nutrition et de la digestion. La religion de l’Arménie ne pouvait tirer beaucoup de gloire clin savoir ou de la puissance de ses habitants. La royauté expira parmi eux au commencement de leur schisme, et ceux de leurs rois chrétiens qui, au treizième siècle, élevèrent sur les frontières de la Cilicie une monarchie passagère, étaient les protégés des Latins et les vassaux du sultan turc qui donnait des lois à Iconium. On n’a guère permis à cette nation sans appui de jouir de la tranquillité de la servitude. Des les premiers temps de son histoire Jusqu’au moment actuel, l’Arménie a été le théâtre d’une guerre perpétuelle. La cruelle politique des sophis a dépeuplé les terrés situées, entre Tauris et Érivan, et des myriades de familles chrétiennes ont été transplantées dans les provinces de la Perse les plus lointaines pour s’y anéantir ou s’y multiplier. Sous la verge de l’oppression, le zèle des Arméniens est fervent et intrépide : ils ont souvent préféré la couronne du martyre au turban de Mahomet ; ils détestent pieusement l’erreur et l’idolâtrie des Grecs, et il n’y a pas plus de vérité dans leur union passagère avec les Latins, que dans ce compte de mille évêques amenés par leur patriarche aux pieds du pontife de Rome[142]. Le catholique ou patriarche des Arméniens réside au monastère d’Ekmiasin, à trois lieues d’Erivan. Il ordonne quarante-sept archevêques, chacun desquels à quatre ou cinq suffragants ; mais ce ne sont pour la plupart que des prélats titulaires qui relèvent la simplicité de sa cour par leur présence et leur service. Aussitôt qu’ils ont rempli leurs fonctions ecclésiastiques, ils s’occupent de la culture de leur jardin ; et nos évêques apprendront avec surprise que l’austérité de leur vie augmente en proportion de l’élévation de leur rang. Dans les quatre-vingt mille villes ou villages de cet empire spirituel, le patriarche reçoit, de chaque personne âgée de plus de quinze ans, une taxe dieu considérable et volontaire ; mais les six cent mille écus qu’il en retire chaque année, ne suffisent pas aux besoins continuels des pauvres et aux tributs qu’exigent les pachas. Depuis le commencement du dernier siècle, les Arméniens ont obtenu une portion considérable et lucrative du commerce de l’Orient. A leur retour d’Europe, leurs caravanes s’arrêtent pour l’ordinaire aux environs d’Érivan ; ils enrichissent les« autels des fruits de leur patiente industrie, et la doctrine d’Eutychès se prêche aux congrégations qu’ils ont formées depuis peu dans la Barbarie et dans la Pologne[143].

V – Les cophtes. Dans le reste de l’empire, le prince pouvait anéantir ou déduire au silence les sectaires d’une doctrine regardée comme dangereuse ; mais les opiniâtres Égyptiens s’opposèrent toujours au concile de Chalcédoine, et la politique de Justinien daigna se plier à attendre le moment où il pourrait profiter de leur discorde. La dispute des corruptibles et des incorruptibles déchirait l’Église monophysite d’Alexandrie[144] et, à la mort du patriarche, chacune des deux factions présenta un candidat[145]. Gaian était disciple de Julien ; et Théodose avait reçu les leçons de Sévère : les moines et les sénateurs, la capitale et la province, portaient le premier ; le second, comptait sur l’antériorité de son ordination, sur la faveur de l’impératrice Théodora et sur les armes de l’eunuque Narsès, qui aurait pu les employer dans une guerre plus glorieuse. Le candidat du peuple fut exilé à Carthage et en Sardaigne ; cet exil augmenta la fermentation des esprits, et cent soixante-dix ans après le commencement du schisme, les gaianites révéraient encore la mémoire et la doctrine de leur fondateur. On vit dans un furieux et sanglant combat l’avantage du nombre opposé à celui de la discipline : les cadavres des citoyens et des soldats remplirent les rues de la métropole ; les dévotes montaient sur le toit des maisons, et lançaient sur la tête de l’ennemi tout ce qu’elles rencontraient de lourd ou de tranchant ; et Narsès ne triompha enfin qu’en mettant le feu à la troisième capitale du monde romain. Mais le lieutenant de Justinien ne voulut pas qu’un hérétique recueillit les fruits de la victoire ; Théodose ne tarda pas à être déposé quoique avec douceur, et Paul de Tanis, moine orthodoxe, fut élevé sur le siège de saint Athanase. On l’arma, pour se soutenir, de toutes les forces du gouvernement : il pouvait nommer ou déplacer les ducs et les tribuns d’Égypte ; il supprima les distributions de pain ordonnées par Dioclétien ; il ferma les églises de ses rivaux et une peuplade schismatique fut privée tout â coup de la nourriture spirituelle et corporelle. De son côté, le peuple, entraîné par la vengeance et le fanatisme, excommunia ce tyran ; excepté sis serviles melchites, personne ne voulut le saluer en qualité d’homme, de chrétien ou d’évêque ; mais tel est l’aveuglement de l’ambition, qu’ayant été chassé sur une accusation de meurtre, il offrit quatorze cents marcs d’or pour remonter à cette place, où il ne recueillait gale de la haine et des affronts. Apollinaire, son successeur, entra dans Alexandrie avec un cortége militaire et préparé également à la prière et au combat. Il distribua ses troupes en armes dans toutes les rues ; des gardes furent placées aux portes de la cathédrale, et une bande d’élite fut postée au milieu du chœur pour défendre la perse de son chef. Apollinaire se tenait debout sur son siège ; et, ôtant son habit de guerrier, il se montra tout à coup aux yeux de la multitude, avec la robe de patriarche d’Alexandrie. L’étonnement produisit un moment de silence ; mais dès qu’Apollinaire eut commencé la lecture du tome de saint Léon, des imprécations, des invectives et des pierres, assaillirent cet odieux ministre de l’empereur et du synode. Le successeur des apôtres ordonna l’attaque sur-le-champ ; on dit que les soldats, marchaient dans le sang, jusqu’aux genoux, et qu’il y eut deux cent mille chrétiens d’égorgés : calcul incroyable quand on l’appliquerait non pas à une journée ; mais aux dix-huit années du pontificat d’Apollinaire. Les deux patriarches qui lui succédèrent, Eulogius[146] et Jean[147], travaillèrent à la conversion des hérétiques avec des armes et des arguments plus dignes de leur ministère évangélique. Eulogius étala ses connaissances en théologie dans plusieurs volumes qui exagéraient les erreurs d’Eutychès et de Sévère, et qui essayaient de concilier les assertions équivoques de saint Cyrille, et le symbole orthodoxe du pape Léon et des pères du concile de Chalcédoine. Inspiré par la superstition, la bienfaisance ou la politique, Jean l’Aumônier se distingua par sa charitable munificence. Il nourrissait à ses frais sept mille cinq cents pauvres : il trouva à son installation seize mille marcs d’or dans le trésor de l’église ; il en tira vingt mille de la générosité des fidèles ; et cependant il put se vanter, dans son testament, qu’il ne laissait pas plus de la troisième partie de la plus petite pièce d’argent. Les églises d’Alexandrie furent livrées aux catholiques, la religion des monophysites fut proscrite en Égypte, et on publia une loi qui excluait les naturels du pays des honneurs, et des emplois lucratifs de l’État.

Il restait à faire une conquête plus importante, celle du patriarche, l’oracle et le chef de l’Église d’Égypte. Théodose avait résisté aux menaces et aux promesses de Justinien avec le courage d’un apôtre ou celui d’un enthousiaste. Telles furent, répondit le patriarche, les offres du tentateur, lorsqu’il montrait les royaumes de la terre ; mon âme m’est beaucoup, plus chère que la vie ou l’autorité. Les Églises sont entre les mains d’un prince qui peut tuer le corps, mais ma conscience est à moi ; et dans l’exil, dans la pauvreté ou dans les fers, je demeurerai constamment attaché à la foi de mes saints prédécesseurs Athanase, Cyrille et Dioscore. Anathème au tome de Léon et, au concile, de Chalcédoine ! anathème à tous ceux qui admettent leur doctrine ! que maintenant et à jamais ils soient chargés d’anathèmes ! Je suis sorti nu, du sein de ma mère, je descendrai nu dans le tombeau : que ceux qui aiment Dieu me suivent et cherchent leur salut. Après avoir consolé et encouragé ses frères, il s’embarqua pour Constantinople, et, dans six entrevues successives, soutint, sans s’ébranler, le choc presque irrésistible de la présence du souverain. Ses opinions étaient favorisées dans le palais et dans la capitale ; le crédit de Théodora le mettait en sûreté et lui promettait un renvoi honorable il termina sa carrière, non sur le siège épiscopal, mais au sein de son pays natal. Apollinaire, instruit de sa mort, eut l’indécence de la célébrer dans une fête donnée, à la noblesse et au clergé ; mais sa joie fut troublée par les nouvelles qu’il reçut bientôt de la domination du successeur de Théodose ; et tandis qu’il jouissait des richesses d’Alexandrie, ses rivaux donnaient des lois dans les monastères de la Thébaïde ; où ils vivaient des oblations volontaires du peuple. Après la mort de Théodose, on vit sortir de ses cendres, une succession non interrompue de patriarches, et les Églises, monophysites de Syrie et d’Égypte furent unies par une même, communion et par le nom de jacobites ; mais la doctrine, qui avait été concentrée dans une secte peu étendue de Syriens, se répandit dans la nation égyptienne ou cophte ; qui rejeta d’une voix presque, unanime les décrets du concile de Chalcédoine. Dix siècles s’étaient écoulés depuis que l’Égypte avait cessé d’être un royaume, et que les vainqueurs de l’Asie et de l’Europe avaient mis sous le joug un peuple dont la sagesse et la puissance remontent au delà des monuments de l’histoire. La lutte du fanatisme et de la persécution y ralluma quelques étincelles de l’intrépidité nationale. En abjurant une hérésie étrangère, les Égyptiens abjurèrent les mœurs et la langue des Grecs ; ils regardaient, tout melchite comme un étranger, et tout jacobite comme un citoyen. Ils déclaraient péchés mortels les alliances du mariage avec leurs ennemis, et l’accomplissement envers eux des devoirs de l’humanité ; ils rompirent les liens de la fidélité jurée à l’empereur, et le prince, éloigné d’Alexandrie, ne pouvait y faire exécuter ses ordres qu’an moyen de la force militaire. Un généreux effort aurait rétabli la religion et la liberté de l’Égypte et ses six cents monastères auraient versé des myriades de saints guerriers, qui, craignaient d’autant moisis la mort ; que la vie n’avait pour eux ni consolations ni délices ; mais l’expérience a prouvé la distinction du courage actif et du courage passif ; le fanatique, qui, sans pousser un gémissement, souffre les plus cruelles tortures, tremblerait et prendrait la fuite devant un ennemi armé. La pusillanimité des Égyptiens bornait leur espoir à un changement de maître ; les armes de Chosroès dépeuplèrent leur pays ; mais sous son règne, les jacobites jouirent d’un répit précaire et de peu de durée. La victoire d’Héraclius renouvela et augmenta la persécution, et le patriarche abandonna de nouveau Alexandrie, pour se réfugier dans le désert. Benjamin, Benjamin, tandis qu’il fuyait, crut entendre une voix qui lui ordonnait d’attendre après dix ans le secours d’une nation étrangère, soumise, ainsi que les Égyptiens, à l’ancienne loi de la circoncision. On verra plus bas qu’elle était l’espèce de ces libérateurs et la nature de la délivrance ; et je franchirai ici un intervalle de onze siècles, pour observer la misère actuelle des jacobites de l’Égypte. La populeuse ville du Caire est la résidence ou, plutôt l’asile de leur indigent patriarche et des dix évêques qu’ils ont conservés : quarante monastères ont survécu aux incursions des Arabes, et le progrès de la servitude et de l’apostasie à réduit les cophtes au misérable nombre de vingt-cinq ou trente mille familles[148], race de mendiants sans lumières, qui n’ont d’autres consolations que la misère encore plus grande du patriarche grec et de son petit troupeau[149].

VI - Les abyssins. Le patriarche cophte, rebelle envers les Césars, ou esclave des califes, pouvait toujours s’enorgueillir de l’obéissance filiale des rois de la Nubie et de l’Éthiopie. Il exagérait leur grandeur pour les payer de leur hommage : ses partisans osaient assurer que ces princes pouvaient mettre en campagne cent mille cavaliers et un nombre égal de chameaux[150], qu’ils étaient les maîtres de répandre ou d’arrêter les eaux du Nil[151], et que la paix et l’abondance de l’Égypte dépendaient, même auprès d’un souverain de ce monde, de l’intervention du patriarche. Théodose, durant son exil à Constantinople, recommanda à sa protectrice la conversion des peuplades noires de la Nubie[152], depuis le tropique du Cancer jusqu’aux frontières de l’Abyssinie. L’empereur soupçonna le dessein de sa femme et, plus attaché qu’elle à la foi orthodoxe, voulut en partager la gloire. Deux missionnaires rivaux, un melchite et un jacobite partirent en même temps ; mais, soit crainte, soit amour, Théodora fut la mieux obéie, et le président de la Thébaïde retint le prêtre catholique, tandis cette le roi de la Nubie et sa cour furent baptisés à la hâte dans la communion de Dioscore. L’envoyé de Justinien, arrivé trop tard, fut reçu et renvoyé avec honneur ; mais lorsqu’il dénonça l’hérésie et la trahison des Égyptiens, le néophyte nègre était déjà instruit à répondre qu’il n’abandonnerait jamais ses, frères les vrais croyants, aux ministres persécuteurs du concile de Chalcédoine[153]. Durant plusieurs générations le patriarche d’Alexandrie nomma et ordonna les évêques de la Nubie : le christianisme y domina jusqu’au douzième siècle ; on aperçoit encore des cérémonies et des restes de cette religion dans les bourgades de Sennaar et de Dongola[154] ; mais les Nubiens effectuèrent à la longue leurs menaces de retourner au culte des idoles ; le climat exigeait une religion qui leur permît la polygamie, et ils ont enfin préféré, le triomphe du Koran à l’humiliation de la croix. Une religion métaphysique est peut-être au dessus de l’intelligence d’une peuplade nègre ; cependant on peut instruire un noir tout aussi bien qu’un perroquet à répéter les paroles du symbole de Chalcédoine ou de celui des monophysites.

Le christianisme avait jeté des racines plus profondes dans l’empire d’Abyssinie ; et quoique la correspondance ait souffert des interruptions de plus de soixante-dix ou cent ans, la métropole d’Alexandrie retient toujours cette Église sous sa tutelle. Sept évêques formaient jadis le synode d’Éthiopie ; s’ils s’étaient trouvés au nombre de dix, ils auraient put nommer un primat indépendant, et un de leurs rois eut le désir de donner cette primatie à son frère ; mais on prévit la chose, et l’on se refusa à l’établissement de trois nouveaux évêchés : les fonctions épiscopales se sont insensiblement concentrées dans l’abuna[155] ou chef des prêtres de l’Abyssinie, qui reçoivent de lui les ordres sacrés : quand cette place vient à vaquer, le patriarche d’Alexandrie y nomme un moine égyptien ; un étranger revêtu de cette dignité parait plus respectable aux yeux du peuple et moins dangereux à ceux du monarque. Lorsqu’au sixième siècle le schisme de l’Égypte fut tout à fait déclaré, les chefs rivaux ; aidés de leurs protecteurs respectifs, Justinien et Théodora, s’efforcèrent de s’enlever l’un à l’autre la conquête de cette province, éloignée et indépendante. Ce fut encore l’habileté de l’impératrice qui l’emporta, et la pieuse Théodora établit dans cette Église reculée la foi et la discipline des jacobites[156]. Les Éthiopiens, environnés de tous côtés des ennemis de leur religion, sommeillèrent près de dix siècles sans songer au reste du monde qui ne songeait point à eux. Ils furent réveillés par les Portugais, qui, après avoir doublé le promontoire méridional de l’Afrique, apparurent dans l’Inde et la mer Rouge, comme s’ils étaient descendus d’une planète éloignée. Au premier abord, les sujets de Rome et ceux d’Alexandrie furent frappés mutuellement de la conformité plutôt que des différences de leur foi ; et chacune des deux nations espéra tirer les plus grands avantages d’une alliance avec des chrétiens. Les Éthiopiens, séparés des autres peuples de la terre, étaient presque retombés dans la vie sauvage. Leurs navires, qu’on avait vus jadis à Ceylan, osaient à peine se hasarder sur les rivières de l’Afrique ; les ruines d’Axum n’offraient plus d’habitants, la nation était dispersée dans les villages, et le grand personnage, pompeusement décoré du titre d’empereur, se contentait, soit en paix, soit en guerre, d’un camp rendu immobile. Les Abyssins, qui sentaient leur misère, avaient formé le raisonnable projet d’importer chez eux les arts et l’industrie de l’Europe[157] ; et les ambassadeurs qu’ils avaient à Rome et à Lisbonne, eurent ordre de solliciter une colonie de forgerons, de charpentiers, de tuiliers, de maçons, d’imprimeurs, de chirurgiens et de médecins : mais le danger public les détermina bientôt à solliciter un secours immédiat d’armes et de soldats pour la défense d’un peuple paisible contre les Barbares qui ravageaient l’intérieurs du pays, et contre les Turcs et les Arabes, qui, avec un appareil effrayant, s’avançaient des rives de la mer. L’Éthiopie fut sauvée par quatre cent cinquante Portugais, qui montrèrent dans les combats la valeur naturelle aux Européens, et la puissance artificielle du fusil et du canon. Dans un moment de terreur, l’empereur avait promis de se réunir, ainsi que ses sujets, à la foi catholique ; un patriarche latin représenta la suprématie du pape[158] ; on supposait que cet empire, auquel on donnait dix fois plus d’étendue qu’il n’en avait, renfermait plus d’or que les mines d’Amérique ; et la cupidité ainsi que le zèle religieux se formèrent les espérances les plus extravagantes sur la, soumission volontaire des chrétiens de l’Afrique.

Mais au retour de la santé, on ne se souvint plus des serments qu’avait arrachés la douleur. Les Abyssins défendirent la doctrine des monophysites avec une fidélité inébranlable ; l’exercice de la dispute réchauffa leur foi un peu refroidie ; ils flétrirent les Latins des noms d’ariens et de nestoriens, et reprochèrent à ceux qui séparaient les deux natures de Jésus-Christ d’adorer quatre dieux. On assigna aux missionnaires jésuites la bourgade de Frémona pour y exercer leur culte, ou plutôt y vivre en exil : leur savoir dans les arts libéraux et mécaniques, leurs lumières sur la théologie, et la décence de leurs mœurs, inspiraient une vaine estime ; ils n’avaient pas le don des miracles[159], et ce fut inutilement qu’ils sollicitèrent un renfort de troupes européennes. Après quarante années de patience et de dextérité, on leur prêta une oreille plus favorable, et deux empereurs d’Abyssinie se laissèrent persuader que Rome pouvait faire en ce monde et en l’autre le bonheur de ses adhérents. Le premier de ces néophytes rois perdit la couronne et la vie, et l’armée rebelle fut sanctifiée par l’Abuna, qui chargea l’apostat d’anathèmes, et délia ses sujets de leur serment de fidélité. Zadengher fut vengé par le courage et la fortune de Susnée, qui monta sur le trône avec le nom de Segued, et qui suivit avec plus de vigueur la dévote entreprise de son parent. L’empereur, après s’être donné le plaisir d’une lutte d’argumentation entre les jésuites et ses prêtres malhabiles, se déclara prosélyte du concile de Chalcédoine croyant que son clergé et son peuple embrasseraient sans délai la religion de leur prince. Bientôt après il ordonna, sous peine de mort, de croire aux deux natures de Jésus-Christ ; il en joignit aux Abyssins de se livrer le jour du sabbat au travail ou aux plaisirs ; et Segued, à la face de l’Europe et de l’Afrique, renonça à ses rapports avec l’Église d’Alexandrie. Un jésuite, Alphonse Mendez, patriarche catholique de l’Éthiopie, reçut au nom d’Urbain VIII l’hommage et l’abjuration de son pénitent. Je confesse, dit l’empereur à genoux, je confesse que le pape est le vicaire de Jésus-Christ, le successeur de saint Pierre et le souverain du monde ; je lui jure une véritable obéissance, et je dépose à ses pieds ma personne et mon royaume. Son fils, son frère, le clergé, les nobles et même les femmes de la cour, répétèrent le même serment ; le patriarche latin fit comblé d’honneurs et de richesses, et ses missionnaires élevèrent leurs églises ou citadelles dans les situations les plus favorables de l’empire. Les jésuites eux-mêmes déplorent la fatale indiscrétion de leur chef, qui, oubliant la douceur de l’Évangile et la politique de son ordre, établit avec une violence précipitée la liturgie de Rome et l’inquisition du Portugal. Il condamna l’ancienne pratique de la circoncision, que des motifs de santé plutôt que de superstition avaient introduite dans le climat de l’Éthiopie[160]. Il assujettit les naturels à un nouveau baptême et à une nouvelle ordination ; ils frémirent d’horreur en voyant un prêtre étranger arracher de leurs tombeaux les plus saints d’entre les morts, et excommunier les plus illustres d’entre les vivants. Les Abyssins s’armèrent pour défendre leur religion et leur liberté ; ils montrèrent une valeur désespérée, mais infructueuse. Cinq rebellions furent étouffées dans le sang des rebelles ; deux abunas furent tués dans les combats ; des légions entières furent massacrées sur le champ de bataille ou étouffées dans leurs cavernes ; et le mérite, le rang et le sexe, ne purent soustraire les ennemis de Rome à une mort ignominieuse. Mais le monarque vainqueur se laissa vaincre à la fin par la constance de sa nation, par celle de sa mûre, de son fils et de ses plus fidèles amis. Segued écouta la voix de la pitié, de la raison, peut-être de la crainte, et l’édit par lequel il accordait la liberté de conscience, révéla à la fois la tyrannie et la faiblesse des jésuites. Basilides, après la mort de son père, chassa le patriarche latin, et rendit aux vœux de la nation la foi et la discipline de l’Égypte. Les Églises monophysites répétèrent en triomphe, que le troupeau de l’Éthiopie était enfin délivré des hyènes de l’Occident ; et les portes de ce royaume solitaire furent à jamais fermées aux arts, aux sciences et au fanatisme de l’Europe[161].

 

 

 



[1] Comment dois-je m’y prendre pour montrer la justesse et l’exactitude de ces recherches préliminaires que je me suis efforcé de circonscrire et d’abréger ? Si je continue à citer à la suite de chacun des faits et de chacune des réflexions le monument qui me prouve la vérité, il faudra qu’à chaque ligne je rapporte unie liste de témoignages, et chaque note deviendra une dissertation ; mais Petau, Leclerc, Beausobre et Mosheim, ont compilé, rédigé et éclairci les passages sans nombre des anciens auteurs que j’ai lus dans les originaux. Je me bornerai à m’appuyer dans ma narration du nom et de la réputation de ces respectables guides ; et lorsqu’il s’agira d’un objet difficile à démêler ou très éloigné, je ne rougirai pas d’appeler à mon secours des yeux plus forts que les miens : 1° les Dogmata theologica de Petau étonnent l’imagination par l’immensité du plan de l’ouvrage et celle du travail qu’il a exigé. Les volumes relatifs seulement à l’Incarnation (deux in-folio, le cinquième et le sixième, de huit cent trente-sept pages) sont divisés en seize livres ; le premier est historique, et les autres exposent la controverse et la doctrine. L’érudition de l’auteur est très étendue et très exacte ; son latin est pur ; il suit une méthode claire ; il y a de la profondeur et de la liaison dans ses arguments ; mais il est l’esclave des pères de l’Église, le fléau des hérétiques, l’ennemi de la vérité et de la bonne foi, toutes les fois qu’elles se trouvent en opposition avec les intérêts du parti catholique. 2° L’arminien Leclerc, qui a publié un volume in-4° (Amsterdam, 1716) sur l’histoire ecclésiastique des deux premiers siècles, est par son caractère et sa position exempt de tout asservissement ; son esprit est net, mais ses vues ont peu d’étendue ; il réduit la raison ou la sottise des siècles aux bornes de son propre jugement ; son opposition aux sentiments des pères a pu quelquefois soutenir, mais quelquefois aussi égarer son impartialité. Voyez ce qu’il dit des corinthiens (LXXX), des ébionites (CIII), des carpocratiens (CXX), des valentiniens (CXXI), des basilidiens (CXXIII), des marcionites (CXLI), etc. 3° L’Histoire critique du Manichéisme (Amsterdam, 1734-1739, en deux volumes in-4°, avec une Dissertation posthume sur les nazaréens, Lausanne, 1745) contient des choses très précieuses sur la philosophie et la théologie des anciens. Le savant historien débrouille avec un art admirable le fil systématique de l’opinion, et tour à tour il joue le rôle d’un saint, d’un sage ou d’un hérétique ; mais ses raffinements sont quelquefois excessifs : on le voit entraîné par un sentiment généreux en faveur du parti le plus faible ; tandis qu’il se prémunit avec tant de soin contre la calomnie, il ne calcule pas assez les effets de la superstition et du fanatisme. L’Index très curieux de ce livre indiquera aux lecteurs tous les points qu’ils voudront examiner. 4° L’historien Mosheim, moins profond que Petau, moins indépendant que Leclerc, et moins ingénieux que Beausobre, est complet, raisonnable, exact et modéré. Voyez, dans son savant ouvrage (de Rebus christianis ante Constantinum, Helmstadt, 1753, in-4°) ce qu’il dit des nazaréens et des ébionites (p. 172-179, 328-332), des gnostiques en général (p. 179, etc.), de Cérinthe (p. 196-202), de Basilide (p. 352-361), de Carpocrates (p. 363-367), de Valentin (p. 371-389), de Marcion (p. 404-410), des manichéens (p. 829-837, etc.).

[2] Και γαρ παυτες ημεις τον Χριστον ανθρωπον εξ ανθρωπων προσδοκωμεν γευησεσθαι, dit le Juif Tryphon (Justin, Dialog., p. 207), au nom de ses compatriotes ; et ceux des Juifs modernes qui abandonnent les idées de richesse pour s’occuper de la religion, tiennent encore le même langage, et allèguent le sens littéral des prophètes.

[3] Saint Chrysostome (Basnage, Hist. des Juifs, t. VI chap. 9, p. 183) et saint Athanase (Petau, Dogm. theolog., tom. VI, l. I, c. 2, p. 3) sont obligés d’avouer que Jésus-Christ lui-même ou ses apôtres parlent rarement de sa divinité.

[4] Les deux premiers chapitres de saint Matthieu n’existaient pas dans les copies des ébionites (saint Epiphane, Hæres., XXX, 13) ; et la conception miraculeuse est un des derniers articles que le docteur Priestley a retranchés de sa profession de foi, déjà si peu étendue.

[5] Il est assez vraisemblable que le premier des Évangiles, destiné aux Juifs qui embrassaient le christianisme, fut composé en hébreu et en syriaque. Papis, Irénée, Origène, saint Jérôme et d’autres pères, attestent ce fait. Les catholiques ne se permettent pas d’en douter ; et parmi les protestants, Casaubon, Grotius et Isaac Vossius, l’admettent. Mais il est sûr que cet Évangile hébreu de saint Matthieu n’existe plus ; et on peut accuser ici le zèle et la fidélité des premières Églises, qui ont préféré la version dénuée d’autorité d’un Grec anonyme. Erasme et ses disciples, qui respectent le texte grec que nous avons comme l’Évangile original, se privent eux-mêmes du témoignage qui le déclare l’ouvrage d’un apôtre. Voyez Simon, Hist. crit., etc., t. III, c. 5-9, p. 47-101 ; et les Prolégomènes de Mill et de Wertstein sur le Nouveau Testament.

[6] Cicéron (Tuscul., liv. I) et Maxime de Tyr (Dissert. 16) ont dégagé la métaphysique de l’âme du dialogue embrouillé qui amuse quelquefois, et embarrasse souvent les lecteurs du Phèdre, du Phœdon et des Lois de Platon.

[7] Les disciples de Jésus croyaient qu’un homme avait péché avant d’être venu au monde (saint Jean, IX, 2). Les pharisiens admettaient la transmigration des âmes vertueuses (Josèphe, de Bell. judaïc., l. II, c. 7) ; et un rabbin moderne assure modestement qu’Hermès, Pythagore, Platon, etc., avaient tiré leur métaphysique des écrits ou des systèmes de ses illustres compatriotes.

[8] On a soutenu quatre opinions différentes sur l’origine des âmes : 1° on les a regardées comme éternelles et divines, 2° comme créées séparément avant leur union avec le corps ; 3° on a pensé qu’elles tiraient leur origine de la souche primitive d’Adam, qui renfermait le germe spirituel et corporel de sa postérité ; 4° qu’au moment de la conception Dieu créé l’âme de chaque individu, et la destine au corps qui vient de s’ébaucher. Cette dernière opinion semble avoir prévalu parmi les modernes, et notre histoire spirituelle est devenue moins sublime, sans être plus intelligible.

[9] Οτι η του Σωτηρος ψυχη, η του Αδαμ ην, est une des quinze hérésies imputées à Origène, et contestées par son apologiste (Photius, Bibliot., Cod. 117, p. 296). Quelques rabbins donnent une seule et même âme aux personnes d’Adam, de David et du Messie.

[10] Apostolis adhuc in seculo superstitibus, apud Judœam Christi sanguine recente, phantasma domini corpus asserebatur, etc. (Saint Jérôme, Advers. Lucifer., c. 8.) L’épître de saint Ignace aux habitants de Smyrne, et même l’Évangile selon saint Jean, ont pour but de détruire l’erreur des docètes, qui faisait des progrès, et qui avait obtenu trop de crédit dans le monde. (Jean, IV, 1, 5.)

[11] Vers l’an 200 de l’ère chrétienne, saint Irénée et Hippolyte réfutèrent les trente-deux sectes της ψευδωυυμος γνωσεως, qui s’étaient multipliées, du temps de saint Epiphane, jusqu’au nombre de quatre-vingts. (Phot., Bibl., Cod. 120, 121, 122.) Les cinq livres d’Irénée n’existent plus qu’en latin barbare ; mais on retrouverait peut-être l’original dans quelque monastère de la Grèce.

[12] Le pèlerin Cassien, qui parcourut l’Égypte au commencement du cinquième siècle, observe et déplore le règne de l’anthropomorphisme parmi les moines, quine savaient pas qu’ils suivaient le système d’Épicure (Cicéron, de Nat. deorum, l. I, c. 18-34). Ab universo prope modum genere monachorum, qui per totam provinciam Ægyptum morabantur pro simplicitatis errore susceptum est, ut a contrario memoratum pontificem (Theophilum) velut hœresi gravissima depravatum, pars maxima seniorum ab universo fraternitatis corpore decerneret detestandurn. (Cassien, Collation., X, 2.) Tant que saint Augustin fut attaché au manichéisme, il se montra très scandalisé de l’anthropomorphisme des catholiques vulgaires.

[13] Cassien, Collation., X, 2.

[14] Saint Jean et Cérinthe (A. D. 80 ; Leclerc, Hist. ecclés., p. 493) se rencontrèrent par hasard dans les bains publics d’Ephèse ; mais l’apôtre s’éloigna de l’hérétique, de peur que l’édifice ne tombât sur sa tête. Cette sotte histoire, que rejette le docteur Middleton (Miccellaneous Works, vol. 2), est racontée toutefois par saint Irénée (III, 3), sur le témoignage de Polycarpe, et elle se trouvait probablement d’accord avec la connaissance qu’on avait de l’époque où vécut Cérinthe et du lieu qu’il habitait. Cette version de saint Jean (IV, 3) ο λυει τον Ιησουν, tombée en désuétude, quoiqu’elle paraisse être la vraie, fait allusion à la double nature qu’enseignait l’hérétique Cérinthe.

[15] Le système des valentiniens était compliqué et presque incohérent. 1° Le Christ, et Jésus étaient des æons, mais dont la vertu n’était pas au même degré ; l’un agissait comme l’âme raisonnable, et l’autre comme l’esprit divin du Sauveur. 2° Au moment de la passion, ils se retirèrent l’un et l’autre, et ils ne laissèrent qu’une âme sensitive et un corps humain. 3° Ce corps même était éthéré et peut-être seulement apparent. Tels sont les résultats qu’indique Mosheim après beaucoup de peine ; mais je doute beaucoup que le traducteur latin ait entendu saint Irénée, ou que saint Irénée et les valentiniens se soient entendus.

[16] Les hérétiques abusèrent de cette exclamation douloureuse de Jésus-Christ : Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné ? Rousseau, qui a fait un parallèle éloquent, mais, peu convenable, de Jésus-Christ et de Socrate, oublie que le philosophe mourant ne laisse pas échapper un mot d’impatience et de désespoir. Ce sentiment peut n’être qu’apparent dans le Messie, et on a dit avec raison que ces paroles si mal sonnantes n’étaient que l’application d’un psaume ou d’une prophétie.

[17] Cette expression énergique peut être justifiée par un passage de saint Paul (Tim., III, 16,) ; mais les Bibles modernes nous trompent. Le mot ο (lequel) fut changé à Constantinople, au commencement du sixième siècle, en θεος (Dieu). La véritable version évidente, d’après les textes latin et syriaque, existe encore dans les raisonnements des pères grecs et des pères latins ; et sir Isaac Newton a très bien relevé cette fraude ; ainsi que celle des trois témoins de saint Jean. (Voyez ses deux Lettres, traduites par M. de Missy, dans le Journal Britannique, tom. XV, p. 148-190, 351-390.) J’ai examiné les raisons alléguées de part et d’autre, et je souscris à l’autorité du premier des philosophes, qui était très versé dans les discussions critiques et théologiques.

[18] Voyez sur Apollinaire et sa secte, Socrate (l. II, c. 46 ; l. III, c. 16), Sozomène (l. V, c. 18 ; l. VI, c. 25-27), Théodoret (l. V, 3, 10, 11), Tillemont (Mém. ecclés., tom. VII, p. 602-638 ; not. p. 789-794, in-4°, Venise, 1732). Les saints qui vécurent de son temps parlaient toujours de l’évêque de Laodicée, comme d’un ami et d’un frère ; le style des historiens plus récents porte le caractère de l’aigreur et de l’inimitié. Cependant Philostorge le compare (l. VIII, c. 11-15) à saint Basile et à saint Grégoire.

[19] Deux prélats de l’Orient, Grégoire Abulpharage, primat jacobite de cette partie du monde, et Elie, métropolitain de Damas, attaché à la secte de Nestorius (voyez Assemani, Bib. orient., t. II, p. 291 ; t. III, p. 514, etc.) avouent que les melchites, les jacobites, les nestoriens, etc., étaient d’accord sur la doctrine, et ne différaient que sur l’expression. Basnage, Leclerc, Beausobre, La Croze, Mosheim et Jablonski, inclinent vers cette opinion charitable ; mais le zèle de Petau est véhément et plein de colère, et Dupin ose à peine laisser entrevoir sa modération.

[20] La Croze (Hist. du Christianisme des Indes, tome I, p. 24) avoue son mépris pour le génie et les écrits de saint Cyrille. De tous les ouvrages des anciens, dit-il, il y en a peu qu’on lise avec moins d’utilité. Et Dupin (Bibl. ecclés., t. IV, p. 12-52) nous apprend à les mépriser, quoiqu’il en parle avec respect.

[21] C’est Isidore de Péluse qui lui fait ce reproche (l. I, epist. 25, p. 8). Comme la lettre n’est pas très authentique, Tillemont, moins sincère que les bollandistes, affecté de douter si ce Cyrille était le neveu de Théophile (Mémoires ecclés., t. XIV, p. 268).

[22] Socrate, liv. VII, 13.

[23] Socrate (l. VII, c. 7) et Renaudot (Hist. patriarch. Alexand., p. 106-108) racontent la jeunesse de saint Cyrille et sa nomination au siège d’Alexandrie. L’abbé Renaudot a tiré ses matériaux de l’histoire arabe de Sévère, évêque d’Hermopolis Magna ou Ashmunein, au dixième siècle, auquel on ne peut jamais ajouter foi, à moins que les faits ne portent en eux-mêmes les caractères de l’évidence.

[24] Les parabolani d’Alexandrie étaient une corporation de charité, établie durant la peste de Gallien, pour visiter les malades et enterrer les morts. Ils se multiplièrent peu à peu ; ils abusèrent et trafiquèrent de leurs privilèges. L’insolence qu’ils montrèrent sous le pontificat de saint Cyrille détermina l’empereur à priver le patriarche du droit de les choisir, et à réduire leur nombre à cinq ou six cents ; mais ces restrictions furent passagères et inefficaces. Voyez le Cod. Théodos., l. XVI, t. II ; et Tillemont, Mém. ecclés., t. XIV, p. 276-278.

[25] Voyez sur Théon et sa fille Hypatia, Fabricius (Bibl., t. VIII, p. 210-211). Son article dans le Lexcicon de Suidas est fort curieux et très original. Hesychius (Meursii opera, t. VII, p. 295, 296) observe que cette fille fut persécutée δις της υπερβαλλουσαν σοφιαν ; et une épigramme de l’anthologie grecque (l. I, c. 76, p. 159, édit. Brodæi) vante ses lumières et son éloquence. L’évêque philosophe Synèse, son ami et son disciple, en parle d’une manière honorable (Epist. 10, 15, 16, 33, 80, 124, 135, 153).

[26] Les coquilles d’huîtres étaient répandues en grand nombre sur le rivage de la mer en face de Césarée. Je préfère donc de m’en tenir ici au sens littéral ; sans rejeter la version métaphorique de tugulæ, tuiles, qu’adopte M. de Valois ; j’ignore si Hypatia vivait encore, et il est probable que les assassins ne s’embarrassèrent pas de ce point.

[27] Socrate (l. VII, c. 13, 14, 15) raconte ces exploits de saint Cyrille ; et le fanatisme est forcé, malgré si répugnance, à copier les expressions d’un historien qui appelle froidement les meurtriers d’Hypatia ανδρες το φρονημα ενθερμοι. Je remarque avec plaisir que ce non si outragé fait rougir Baronius lui-même (A. D. 415, n° 48).

[28] Il ne voulut point écouter les prières d’Atticus de Constantinople et d’Isidore de Péluse ; et si l’on en croit Nicéphore (l. XIV, c. 18), il ne céda qu’a l’intercession de la Vierge. Au reste, dans ses dernières années, il murmurait encore que Jean Chrysostome avait été condamné justement. Tillemont, Mém. ecclés., t. XIV, p. 278-282 ; Baronius, Annal. ecclés., A. D. 412, n° 46-64.

[29] Voyez des détails sur leurs caractères dans l’Histoire de Socrate (l. VII, c. 8), et sur leur autorité et leurs prétentions, dans la volumineuse compilation de Thomassin (Discipl. de l’Église, t. I, p. 80-91).

[30] Socrate raconte l’histoire de son avènement au siège épiscopal de Constantinople, et décrit sa conduite (l. VII, c. 29-31), et Marcellinus semble lui appliquer les mots de Salluste, loquentiæ catis, sapientiæ parum.

[31] Cod. Theod., l. XVI, tit. 5, leg. 65, avec les éclaircissements de Baronius (A. D. 428, n° 25, etc.) ; Godefroy (ad locum) et Pagi (Critica, t. II, p. 208).

[32] Saint Isidore de Péluse (l. IV, epist. 57). Ses expressions sont énergiques et scandaleuses. Isidore est un saint, mais il ne fut jamais évêque ; et je suis tenté de croire que l’orgueil de Diogène foulait aux pieds l’orgueil de Platon.

[33] La Croze (Christianisme des Indes, t. I, p. 44-53, Thesaur. epist., de La Croze, t. III, p. 276-290) a découvert l’emploi de ο δεσποτης et ο κυριος Ιησους, qui, aux quatrième, cinquième et sixième siècles, distinguèrent l’école de Diodore de Tarse de celle de ses disciples nestoriens.

[34] Θεοτοκος, Deipara, ainsi que, dans la zoologie, on dit des animaux ovipares ou vivipares. Il n’est pas aisé de fixer l’époque où on inventa ce mot, que La Croze (Christian. des Indes, t. I, p. 16), attribue à Eusèbe de Césarée et aux ariens. Saint Cyrille et Petau produisent des témoignages orthodoxes (Dogmat. théolog., t. V, l. V, c. 15, p. 254, etc.) ; mais on peut contester la véracité de saint Cyrille ; et l’épithète θεοτοκος a pu se glisser de la marge dans le texte d’un manuscrit catholique.

[35] Basnage, dans son Histoire de l’Église, ouvrage de controverse (t. I, p. 505), justifie la mère de Dieu par le sang (Actes, XX, 28, avec les différentes leçons de Mill) ; mais les manuscrits grecs sont loin d’être d’accord ; et le style primitif du sang du Christ s’est conservé dans la version syriaque, même dans les copies dont se servent les chrétiens de Saint-Thomas sur la côté de Malabar (La Croze, Christian. des Indes, t. I, p. 347). La jalousie des nestoriens et des monophysites a conservé la pureté de leur texte.

[36] Les païens de l’Égypte se moquaient déjà de la nouvelle Cybèle des chrétiens (Isidore, epist. 5). On fabriqua au nom d’Hypatia une lettre qui tournait en ridicule la théologie de son assassin. (Syndicon, c. 216, dans le quatrième t. concil., p. 484.) A l’article Nestorius, Bayle exprime sur le culte de la vierge Marie quelques principes d’une philosophie un peu relâchée.

[37] L’αυτιδοσις des Grecs, c’est-à-dire un prêt ou une translation mutuelle des idiomes ou des propriétés d’une nature à l’autre, de l’infinité à l’homme, de la passibilité à Dieu, etc. Petau établit douze règles sur cette matière extrêmement délicate (Dogmat. theolog., t. V, l. IV, c. 14, 15, p. 209, etc.).

[38] Voyez Ducange, C. P. Christiana, l. I, p. 30, etc.

[39] Concil., t. III, p. 943. Ils n’ont jamais été approuvés directement par l’Église. (Tillemont, Mém. ecclésiastiques, XIV, p. 368-372.) J’ai presque pitié des convulsions de rage et de sophisme dont Petau paraît agité dans le sixième livre de ses Dogmata theologica.

[40] Je puis citer le judicieux Basnage (ad. t. I, Variar. Lection. Canisii in prœfat., c. 2, p. 11-23) et La Croze, savant universel. (Christianisme des Indes, t. I, p. 16-20, de l’Éthiopie, p. 26, 27 ; Thesaur., epist., p. 176, etc., 283-285). Son libre avis sur ce point est confirmé par celui de ses amis Jablonski (Thesaur. epist., t. I, p. 193-201), Mosheim (id., p. 304, Nestorium crimine caruisse est et mea sententia) ; et il ne serait pas facile de trouver trois juges plus respectables. Assemani, rempli de connaissances, mais modestement asservi aux autorités, peut à peine découvrir (Bibl. orient., t. IV, p. 190-224) le crime et l’erreur des nestoriens.

[41] On trouve des détails sur l’origine et les progrès de la controverse de Nestorius, jusqu’au concile d’Ephèse, dans Socrate (l. VII, c. 32), dans Evagrius (l. I, c. 1, 2), dans Liberatus (Brev., c. 1-4), dans les Actes originaux (Concil., t. III, p. 551-594, édit. de Venise, 1728), dans les Annales de Baronius et de Pagi, et dans les fidèles Recueils de Tillemont (Mém. ecclés., t. XIV, p. 283-377).

[42] Les chrétiens des quatre premiers siècles ne connaissaient ni le lieu de la mort ni celui de la sépulture de Marie. Le concile dont nous parlons ici confirme la tradition d’Éphèse, qui croyait posséder son corps. (Concil., t. III, p. 1102.) Au reste Jérusalem, qui a formé les mêmes prétentions, a fait oublier celles d’Éphèse : on y montrait aux pèlerins le sépulcre vide de la Vierge ; c’est de là qu’est venue l’histoire de sa résurrection et de son assomption, pieusement adoptée par les Églises grecques et latines : voyez Baronius (Ann. ecclés., A. D. 48, n° 6, etc.), et Tillemont (Mém. ecclés., t. I, p. 467-477).

[43] Les Actes du concile de Chalcédoine (Concil., t. IV, p. 1405-1408) montrent bien l’aveugle et opiniâtre soumission des évêques d’Égypte à leur patriarche.

[44] Les affaires civiles ou ecclésiastiques retinrent les évêques à Antioche jusqu’au 18 mai. D’Antioche à Éphèse on comptait trente journées ; et ce n’est pas trop de supposer que des accidents ou le besoin de repos leur firent perdre dix jours. Xénophon, qui fit la même route, compte plus de deux cent soixante parasanges ou lieues ; et j’éclaircirais cette mesure d’après les Itinéraires anciens et modernes, si je connaissais bien la proportion de vitesse d’une armée, d’un concile et d’une caravane. Au reste, Tillemont lui-même justifie Jean d’Antioche, quoique avec un peu de répugnance. Mém. ecclés., t. XIV, p. 386-389.

[45] Evagrius, l. I, c. 7. Le comte Irénée (t. III, p. 1243) lui faisait le même reproche ; et les critiques orthodoxes ont un peu de peine à défendre la pureté des copies grecques et latines des actes de ce concile.

[46] Après la coalition de saint Jean et de saint Cyrille, les invectives furent réciproquement oubliées. De vaines déclamations ne doivent pas tromper sur l’opinion que des ennemis respectables entretiennent de leur mérite réciproque (Conc., t. III, p. 1244).

[47] Voyez les Actes du synode d’Éphèse dans l’original grec et dans une version latine, qu’on publia presque en même temps (Concil., t. III, p. 991-1339) avec le Synodicon adversus tragœdiam Irenæi, t. IV, p. 235-497. Voyez aussi l’Hist. ecclés. de Socrate (l. VII, c. 34), Evagrius (l. I, chap. 3, 4, 5), le Bréviaire de Liberatus (in. Concil., t. VI, p. 419-459, c. 5, 6), et les Mém. ecclés. de Tillemont (tom. XIV, p. 377-487).

[48] Je serais curieux de savoir combien Nestorius paya des expressions si mortifiantes pour son rival.

[49] Saint Cyrille donne, à Eutychès, à l’hérésiarque Eutychès, les noms honorables de son ami, de saint, de zélé défenseur de la foi. Son frère Dalmatius est également employé à circonvenir l’empereur et tous ceux qui servaient près de sa personne, terribili conjuratione. Synodic., c. 203 ; in Concil., t. IV, p. 467.

[50] Clerici qui hic sunt contristantur, quod Ecclesia Alexandrina nudata sit hujus causa turbelœ : et debet prœter illa quœ hinc transmisse sint auri libras mille quingentas. Et nunc ei scriptum est ut prœstet ; sed de tua Ecclesia prœsta avaritiœ quorum nosti ; etc. Cette lettre originale et curieuse de l’archidiacre de saint Cyrille à sa créature, le nouvel évêque de Constantinople, s’est conservée, sans qu’on puisse dire par quel hasard, dans une ancienne version latine. (Synodicon, c. 203, Concil., t. IV, p. 465-468.) Le masque est presque tombé, et les saints parlent ici le langage de l’intérêt et de l’intrigue.

[51] Les ennuyeuses négociations qui suivirent le synode d’Ephèse sont racontées longuement dans les Actes originaux (Concil., t. III, p. 1379- 1771, ad fin., vol., et dans le Synodicon, in t. IV), dans Socrate (l. VII, c. 28-35, 40-41), dans Evagrius (l. I, c. 6, 7, 8-12), dans Liberatus (c. 7-10), dans Tillemont (Mém. ecclés., t. XIV, p. 487-676). Le lecteur le plus patient, me saura gré d’avoir resserré en un petit nombre de lignes tant de choses fausses ou peu raisonnables.

[52] Evagrius, l. I, c. 7. On voit, d’après les Lettres originales qui se trouvent dans la Synodicon (c. 15-24, 25, 26), que son abdication fut du moins en apparence volontaire, comme Ebed Jésus, écrivain nestorien, affirme qu’elle le fut en effet. Ap. Assemani, Bibl. orient., tom. III, pages 299-302.

[53] Voyez les Lettres de l’empereur dans les Actes du synode d’Éphèse. (Concil., t. III, p. 1730-1735.) L’odieux nom de simoniens qu’on donna aux disciples de ce τερατωδους διδασκαλιας, était désigné ως αν ονειδεσι προβληθεντες αιωνιον υπομενοιεν τιμωριαν των αμαρτηματων, και μητεζωντες αιωνιον μητεθανοντας ατιμιας εκτοι υπαρχειν. Ce sont des chrétiens qui se traitaient ainsi, et des chrétiens qui ne différaient guère les uns des autres que par des mots et de légères nuances.

[54] Les graves jurisconsultes (Pandect., l. XLVIII, tit. 22, leg. 1) ont donné ce nom métaphorique d’îles à ces petites portions des déserts de la Libye où l’on aperçoit de l’eau et de la verdure ; on en distingue trois sous le nom commun d’Oasis ou d’Alvahat : 1° le temple de Jupiter Ammon ; 2° l’Oasis du milieu, trois journées à l’occident de Lycopolis ; 3° l’Oasis méridionale où Nestorius fut exilé, et qui se trouvait à trois journées seulement des confins de la Libye. Voyez une savante Note de Michaelis (ad Descript. Ægypt., Abulfedæ, p. 21-34).

[55] L’invitation qui appelait Nestorius au concile de Chalcédoine est rapportée par Zacharie, évêque de Malte (Evagrius, l. II, c. 2 ; Assemani, Bibl. orient., t. II, p. 55), et par le fameux Xenaias ou Philoxène, évêque de Hiéropolis (Assemani, Bibl. orient., t. II, p. 40, etc.), niée par Evagrius et Assemani, et fortement soutenue par La Croze (Thesaur. epistol., tom. III, p. 181, etc.). Ce fait n’est pas invraisemblable ; mais il était de l’intérêt des monophysites de répandre ce bruit odieux. Eutychius (tom. II, p. 12) assure que Nestorius mourut après un exil de sept ans, et par conséquent dix années avant le concile de Chalcédoine.

[56] Consultez d’Anville (Mém. sur l’Égypte, p. 191), Pococke (Description de l’Orient, vol. I, p. 76), Aboulféda (Descriptio Ægypti, p. 14). Voyez aussi Michaelis, son commentateur (Not., p. 78-83), et le géographe de Nubie (p. 42), qui cite au douzième siècle les ruines et les cannes à sucre d’Akmim.

[57] Eutychius (Annal., t. II, p. I2) et Grégoire Bar-Hebraeus ou Abulpharage (Assemani, t. II, p. 316) nous donnent une idée de la crédulité du dixième et du treizième siècle.

[58] Nous devons à Evagrius quelques extraits des Lettres de Nestorius ; mais ce fanatique dur et stupide ne sait qu’insulter aux souffrances dont elles présentent une si vive peinture.

[59] Dixi Cyrillum, dum viveret, auctoritate sua effecisse, ne eutychianismus et monophysitarum error in nervum erumperet : idque verum puto... aliquo... honesto modo παλινωδιαν cecinerat. Le savant mais circonspect Jablonski n’a pas toujours dit la vérité tout entière. Cum Cyrillo lenius omnino egi, quam si tecum aut cum aliis rei hujus probe gnaris et œquis rerum æstimatoribus sermones privatos conferrem. (Thesaurus epist., La Croze, tom. I, p. 197, 198.) Ce passage éclaircit beaucoup ses dissertations sur la controverse excitée par Nestorius.

[60] Sur la demande de Dioscore, ceux qui ne purent pousser des cris (βοησαι) étendirent les mains. Au concile de Chalcédoine, les Orientaux s’élevèrent contre ces exclamations ; mais les Égyptiens déclarèrent, d’une manière plus conséquente, ταυτα και τοτε ειπομεν και νυν λεγομεν (Concil., t. IV, p. 1012).

[61] Ελεγε δε (Eusèbe, évêque de Dorylée) τον Φλαβιανον δειλαιως αναιρεθηναι προς Διοσκορου ωθουμενον τε και λακτιζομενον ; et ce témoignage d’Evagrius (l. II, c. 2) se trouve encore fortifié par l’historien Zonare (tom. II, l. XIII, p. 44), qui affirme que Dioscore donnait des coups de pieds comme un onagre ; mais le langage de Liberatus (Brev., c. 12, in Concil., t. VI, p. 438) est plus circonspect, et les Actes du concile de Chalcédoine, qui prodiguent les noms d’homicide, de Caïn, etc., ne justifient pas une accusation si spéciale. Le moine Barsumas est accuse en particulier, εσφαξε του μακαριον Φλαυιανον αυτος εσηκε και ελεγε σφαξον. Concil., tom. IV, page 1413.

[62] Les Actes du concile de Chalcédoine (Concil., t. IV, p. 761-2071) comprennent ceux d’Éphèse (p. 890-1189), qui comprennent aussi le synode de Constantinople sous Flavien (p. 930-1072) ; et il faut un peu d’attention pour discerner ce double enlacement. Tout ce qui a rapport à Eutychès, à Flavien et à Dioscore, est raconté par Evagrius (l. I, c. 9-12 ; et l. II, c. 1, 2, 3, 4) et par Liberatus (Brev., c. 11, 12, 13, 14). Je renvoie encore ici, et presque pour la dernière fois, aux recherches exactes de Tillemont (Mém. ecclés., t. XV, p. 479-719). Les Annales de Baronius et de Pagi m’accompagneront beaucoup plus loin dans le long et pénible voyage que j’ai entrepris.

[63] Concil., t. IV, p. 1276. On trouve un échantillon de l’esprit et de la malice du peuple dans l’Anthologie grecque (l. II, c. 5, p. 188, édit. Wechel) ; l’éditeur Brodée n’en a pas connu l’application. Le trait de l’auteur anonyme de l’épigramme tire un jeu de mots assez piquant du rapport de cette salutation épiscopale (la paix soit avec vous torts !) avec ce nom véritable ou corrompu de la concubine de l’évêque.

J’ignore si le patriarche, qui parait avoir été un amant jaloux, est le Cimon de l’épigramme précédente, dont Priape lui-même voyait avec étonnement et avec envie.

[64] Le microscope de Petau ne présente qu’obscurément cette particule (t. VI, l. III, c. 5) et cependant ce subtil théologien en est lui-même effrayé, ne quis fortasse supervacaneam et nimis anxiam putet hujus modi vocularum inquisitionem, et ab instituti theologici gravitate alienam (p. 124).

[65] Ceux qui respectent l’infaillibilité des conciles devraient essayer de fixer le sens de leurs décisions. Les évêques, dont l’opinion fit loi dans l’assemblée, étaient entourés de scribes infidèles ou négligents, qui dispersèrent leurs copies dans le monde. On trouve dans nos manuscrits grecs cette version, fausse et proscrite de εκ των φυσεων (Concil., t. III, p. 1460). Il ne paraît pas qu’on ait jamais eu de traduction authentique de l’écrit du pape Léon ; et les anciennes versions latines diffèrent essentiellement de la. Vulgate actuelle, qui fut révisée (A. D. 550) par Rusticus, prêtre romain, d’après les meilleurs manuscrits de l’Ακοιμητοι à Constantinople (Ducange, C. P. christiana, l. IV, p. 151), célèbre monastère de Latins, de Grecs et de Syriens. Voyez Concil., tom IV, p. 1959-2049 ; et Pagi, Critica, t. II, p. 326, etc.

[66] Concil., t. IV, p. 1449. Evagrius et Liberatus ne montrent ce concile que sous un aspect pacifique, et ils glissent discrètement sur ces feux suppositos cineri doloso.

[67] Voyez dans l’Appendice des Actes du concile de Chalcédoine, la confirmation de ce synode par Marcien (Conc., t. IV, p. 1781-1783), les Lettres de ce prince aux moines d’Alexandrie (p. 1791), à ceux du mont Sinaï (p. 1793), à ceux de Jérusalem et de la Palestine (p. 1798), ses lois contre les eutychiens (p . 1809, 1811, 1831), la correspondance de Léon avec les synodes provinciaux sur la révolution d’Alexandrie (p. 1835-1930).

[68] Photius (ou plutôt Eulogius d’Alexandrie) avoue, dans un beau passage de son ouvrage, que cette double accusation contre le pape Léon et son concile de Chalcédoine, parait bien fondée (Biblioth., Cod. 225 p. 768) ; il faisait une double guerre aux ennemis de l’Église, et blessait l’un ou l’autre de ses ennemis avec les traits de son adversaire. Contre Nestorius, il semblait établir la συγχυσις des monophysites ; contre Eutychès, il semblait autoriser l’υποστασεων διαφορα des nestoriens. L’apologiste dit qu’il faut interpréter d’une manière charitable les actions des saints : si l’on s’était conduit de la mène façon à l’égard des hérétiques, les controverses se seraient bornées à de vains bruits exhalés dans les airs.

[69] On le surnommait Αιλουρος, d’après ses expéditions nocturnes. Au milieu des ténèbres, et revêtu d’un déguisement, il se glissait autour des cellules du monastère, et adressait à ses confrères endormis des paroles qu’on prenait pour des révélations. Theodor. Lector, l. I.

[70] Φονους τε τολμηθηναι μυριους, αιματων πληθει μολυνθηναι μη μονον την γην αλλα και αυτον τον σερα. Tel est le langage hyperbolique de l’Hénoticon.

[71] Voyez la Chronique de Victor Tunnunensis dans les Lectiones antiquæ de Canisius, réimprimées par Basnage, p. 326.

[72] L’Hénoticon a été transcrit par Evagrius (l. III, c. 13) et traduit par Liberatus (Brev., c. 18). Pagi (Critica, t. II, p. 411) et Assemani (Bibl. orient., t. I, p. 343) n’y voyaient aucune hérésie ; mais Petau (Dogm. theolog., t. V, l. I, c. 13, p. 40) s’est permis une assertion bien étrange, en disant, Chalcedonensem ascivit ; un de ses ennemis pourrait l’accuser de n’avoir jamais lu l’Hénoticon.

[73] Voyez Renaudot, Hist. patriarch. Alexand., p. 123, 131, 145, 195, 247. Ils se réconcilièrent par les soins de Marc Ier (A. D. 799-819) ; il éleva leurs chefs aux évêchés d’Athribis et de Talba, peut-être Tava (voyez d’Anville, p. 82) ; et il suppléa au défaut des sacrements qui n’avaient pas été conférés faute d’une ordination épiscopale.

[74] De his quos baptisavit, quos ordinavit Acacius, majorum traditione confectam et veram, prœsipue religiosæ sollicitudini congruam prœbemus sine difficultate medicinam. (Gélase, in epist. I, ad Euphemium. Concil., t. V, p. 286.) L’offre d’une médecine prouve la maladie, et beaucoup doivent avoir péri avant l’arrivée du médecin romain. Tillemont lui-même (Mém. ecclés., t. XVI, p. 32-642, etc.) est révolté du caractère orgueilleux et peu charitable des papes ils sont bien aises maintenant, dit-il, d’invoquer saint Flavien d’Antioche et saint Elie de Jérusalem, etc., auxquels ils refusaient la communion durant leur séjour sur la terre. Mais le cardinal Baronius est ferme et dur comme le rocher de saint Pierre.

[75] On effaça leurs noms du diptyque de l’Église : Ex venerabili diptycho, in quo piœ memoriœ transitum, ad cœlum habentium episcoporum vocabula continentur. (Concil., t. IV, p. 1846.) Ce registre ecclésiastique équivalait donc au Livre de vie.

[76] Petau (Dogm. theol., t. V, l. V, c. 2, 3,4, p. 217-225) et Tillemont (Mém. ecclés., t. XIV, p. 713, etc., 799), exposent l’histoire et la doctrine du Trisagion : durant les douze siècles qui se sont écoulés entre Isaïe et le jeune homme de saint Proclus, qui fut enlevé au ciel en présence de l’évêque et du peuple de Constantinople, cet hymne avait été bien perfectionné ; le jeune homme entendit ces paroles qui sortaient de la bouche des anges : Dieu saint, Dieu saint et fort, saint et immortel.

[77] Pierre Gnaphée le Foulon (profession qu’il exerçait dans son monastère), patriarche d’Antioche. On trouve des discussions sur son ennuyeuse histoire dans les Annales de Pagi (A. D. 477-490), et dans une Dissertation que M. de Valois a publiée à la fin de son Evagrius.

[78] Les traits qui ont rapport aux troubles qu’on vit sous le règne d’Anastase, se trouvent dispersés dans les Chroniques de Victor, de Marcellin et de Théophane. La dernière n’était pas publique au temps de Baronius ; et Pagi, son critique, est plus détaillé et plus exact.

[79] Les faits généraux de l’histoire, depuis le concile de Chalcédoine jusqu’à la mort d’Anastase, sont consignés dans le Bréviaire de Liberatus (c. 14-19), dans le second et le troisième livre d’Evagrius, dans l’extrait des deux Livres de Théodore le Lecteur, dans les Actes des synodes et les Epîtres des papes. (Concil., t. V.) Les détails de la suite se trouvent avec quelque désordre dans les tomes XV et XVI des Mém. ecclés. de Tillemont. Je dois ici prendre congé de ce guide incomparable, dont la bigoterie, est contrebalancée par le mérite de son érudition, par le soin qu’il apporte dans ses recherches, par sa véracité et sa scrupuleuse exactitude. La mort l’empêcha de terminer, comme il en avait le projet, le sixième siècle de l’Église et de l’empire.

[80] Les accusations des Anecdotes de Procope (c. 11, 13, 18, 27, 28), avec les savantes Remarques d’Aleman sont confirmées plutôt que contredites par les Actes des conciles, par le quatrième livre d’Evagrius et les plaintes de l’Africain Facundus dans son douzième livre, de Tribus Capitulis ; cum videri doctus appetit importune..... spontaneis quæstionibus Ecclesiam turbat. Voyez Procope, de Bell. goth., l. III, c. 35.

[81] Procope, de Ædific., l. I, c. 6, 7, etc., passim.

[82] Procope, de Bell. gothic., l. III, c. 32. L’auteur de la Vie de saint Eutychius (apud Alleman., ad Procop., Arcan., c. 18) donne le même caractère à Justinien, mais avec l’intention de le louer.

[83] Procope, qui expose ces sentiments sages et modérés (de Bell. Goth., l. I, c. 3), est traité pour cela avec bien de la dureté dans la Préface d’Alemannus, qui le met au rang des chrétiens politiques ; sed longe verius hœresium omnium sentinas, prorsusque atheos : athées abominables, qui recommandaient d’imiter la bonté de Dieu envers les hommes (ad Hist. Arcan., c. 13).

[84] Cette alternative, intéressante à connaître, a été conservée par Jean Malalas (t. II, p. 63, édit. de Ven., 1733), qui mérite plus de croyance à mesure qu’il approche de la fin de son ouvrage : après avoir fait l’énumération des nestoriens et eutychiens, etc., ne expectent, dit Justinien, ut digni venia judicentur : jubemus enim ut..... convicti et aperti hæretici justœ et idoneœ animadversioni subjiciantur. Cet édit du Code est rapporté avec éloge par Baronius (A. D. 527, n° 39, 40).

[85] Voyez le caractère et les principes des montanistes dans Mosheim (de Reb. christ. ante Constantinum, p. 410-424).

[86] Théophane, Chroniq., p. 153. Jean le monophysite, évêque d’Asie, fournit un des témoignages les plus authentiques qu’on puisse avoir sur cette opération, où il fut employé par l’empereur. Assemani, Bibl. orient., t. II, page 85.

[87] Comparez Procope (Hist. Arcan., c. 28, et les Notes d’Aleman) avec Théophane (Chron., p. 190). Le concile de Nicée avait chargé le patriarche, ou plutôt les astronomes d’Alexandrie, de la proclamation annuelle de la Pâque ; et nous lisons encore aujourd’hui, ou plutôt nous ne lisons pas, les Épîtres paschales de saint Cyrille, dont il nous est demeuré un assez grand nombre. Depuis le règne du monophysisme en Égypte, les catholiques se trouvèrent embarrassés par un préjugé aussi peu raisonnable que celui qui, parmi les protestants, s’est si longtemps opposé à la réception du style grégorien.

[88] Voyez sur la religion et l’histoire des samaritains, l’Histoire des Juifs par Basnage, ouvrage savant et impartial.

[89] Sichem, Neapolis, Naplous, qui est la résidence ancienne et moderne des samaritains, se trouve dans une vallée, entre le stérile Ebal, le mont des Malédictions au nord, et le fertile Garizim, ou le mont des Malédictions au sud, à dix ou onze heures de chemin de Jérusalem. Voyez Maundrell (Journey from Aleppo., etc., p. 59-63).

[90] Procope, Anecdotes, c. 11 ; Théophane, Chron., p. 152 ; Jean Malalas, t. II, p. 62. Je me souviens d’avoir lu cette observation, moitié philosophique, moitié superstitieuse, que la province dévastée par le fanatisme de Justinien, fut celle par où les musulmans pénétrèrent dans l’empire.

[91] Les expressions de Procope sont remarquables. Anecdotes, c. 13.

[92] Voyez la Chronique de Victor, p. 328, et le témoignage original des Lois de Justinien. Durant les premières années du règne de Justinien, Baronius est de très bonne humeur avec l’empereur, qui caressa les papes jusqu’au moment où il les tint sous son pouvoir.

[93] Procope, Anecdotes, c. 13, Evagrius, l. IV, c. 10. Si l’historien ecclésiastique n’a pas lu l’historien secret, leur soupçon commun prouve du moins la haine générale.

[94] Voyez sur les trois chapitres les Actes originaux du cinquième concile général tenu à Constantinople ; on y trouve beaucoup de faits authentiques, mais sans utilité. (Concil., t. VI, p. 1-419.) Evagrius, auteur grec, est moins détaillé et moins exact (l. IV, c. 38) que les trois Africains zélés, Facundus (dans ses douze livres de Tribus Capitulas, que Sirmond a publiés d’une manière très correcte), Liberatus (dans son Breviarium, c. 22, 23, 24), et Victor Tunnunensis (dans sa Chron., in t. I, antiq. Lect. Canisii, p. 330-334). Le Liber Pontificalis ou Anastase (in Vigilio, Pelagio, etc.), est un témoignage original, mais tout en faveur des Italiens. Le lecteur moderne tirera quelques lumières de Dupin. (Bibl. ecclésiastique, t. V, p. 189-207) et de Basnage (Hist. de l’Église, t. I, p. 519-541) ; mais le dernier déprécie trop l’autorité et le caractère des papes.

[95] Origène avait en effet trop de propension à imiter la πλανη et la δυσσεβεια des anciens philosophes (Justinien, ad Mennam, in Concil., t. VI, p. 356) ; ses opinions modérées s’accordaient mal avec le zèle de l’Église, et on le trouva coupable de l’hérésie de la raison.

[96] Basnage (Prœf., p. 11-14, ad t. I, Antiq. Lect. Canis.) a très bien balancé le crime ou l’innocence de Théodore de Mopsueste : s’il composa dix mille volumes, la charité exige qu’on lui passe dix mille erreurs. Il se trouve, sans ses deux confrères, dans les Catalogues d’hérésiarques qu’on a formés après lui ; et Assemani (Bibl. orient., t. IV, p. 203-207) ne manque pas à l’obligation où il est de justifier ce décret.

[97] Voyez les plaintes de Liberatus et de Victor, et les exhortations du pape Pélage au vainqueur et à l’exarque de l’Italie. Schisma per potestates publicas opprimatur, etc. (Concil., tom. VI, p. 467 etc.) On gardait une armée pour étouffer la sédition d’une ville d’Illyrie. Voyez Procope, de Bell. goth., l. IV, c. 25. Il semble promettre une histoire de l’Église ; elle eût été curieuse et impartiale.

[98] Le pape Honorius réconcilia avec l’Église (A. D. 638) les évêques du patriarcat d’Aquilée (Muratori, Ann. d’Ital., t. V, p. 36) ; mais ils retombèrent, et ce schisme ne s’éteignit définitivement qu’en 698. Quatorze années auparavant, l’Église d’Espagne avait dédaigné en silence de se soumettre au cinquième concile général (XIII Concil. Toletan. in Concil., t. VI, p. 487-494).

[99] Nicetius, évêque de Trèves (Concil., t. VI, p. 511-513). Son refus de condamner les trois chapitres, le sépara de la communion des quatre patriarches, ainsi que la plupart des prélats de l’Église gallicane (saint Grég., epist., liv. VII, epist. 5, in Concil., tom. VI, p. 1007). Baronius prononce presque la damnation de Justinien (A. D. 565, n° 6).

[100] Lorsque Evagrius a raconté la dernière hérésie de Justinien (l. IV, c. 39, 40, 41) et l’édit de son successeur (l. V, c. 3), son histoire est ensuite remplie d’événements civils et non pas ecclésiastiques.

[101] La Croze (Christian. des Indes, t. I, p. 19, 20) a remarqué cette doctrine extraordinaire et peut-être inconséquente des nestoriens ; elle est exposée plus en détail par Abulpharage (Bibliot. orient., t. II, p. 292 ; Hist. dynast., page 91, vers. lat., Pococke), et par Assemani lui-même (t. IV, p. 218) ; ils semblent ignorer qu’ils pouvaient alléguer l’autorité positive de l’Ecthèse. Concil., t. VII, p. 205.

[102] Voyez la doctrine orthodoxe dans Petau (Dogmata theolog., t. V, l. IX, c. 6-10, p. 433-447). Toutes les profondeurs de cette controverse se trouvent dans le dialogue grec, entre Maxime et Pyrrhus (ad calcem, t. VIII, Annal. Baron., p. 755-794). Ce dialogue avait réellement eu lieu dans une conférence d’où résulta une conversion de peu de durée.

[103] Impussimam Ecthesim... scelerosum Typum (Concil., t. VII, p. 366), diabolicœ operationis genimina (peut-être germina, ou autrement le mot grec γενηματα de l’original). (Concil., p. 363, 364.) Telles sont les expressions du dix-huitième anathème. L’épître de Martin à Amandes, l’un des évêques de la Gaule, traite avec la même virulence les monothélites et leur hérésie (p. 392).

[104] Les maux qu’eurent à souffrir Martin et Maxime, sont décrits avec une simplicité pathétique dans leurs Lettres et dans leurs Actes originaux. (Concil., t. VII, p. 63-78 ; Baronius, Annal. ecclés., A. D. 656, n° 2, et annos subseq.) Au reste, le châtiment de leur désobéissance avait été annoncé dans le Type de Constans (Concil., t. VII, p. 240).

[105] Eutychius (Annal., t. II, p. 368) suppose très fautivement que les cent vingt-quatre évêques du synode romain, se transportèrent à Constantinople, et en les ajoutant aux cent soixante-huit grecs, il compose ainsi le sixième concile général de deux cuit quatre-vingt-douze pères.

[106] Constans, attaché à la doctrine des monothélites, édit haï de tous, dit Théophane, Chron., p. 292. Lorsque le moine monothélite échoua dans le miracle qu’il avait entrepris, le peuple s’écria : ο λαος ανεβοησε (Concil., tom. VII, p. 1032) mais ce fut une émotion naturelle et passagère, et je crains beaucoup que la dernière n’ait été une anticipation d’orthodoxie dans le bon peuple de Constantinople.

[107] L’histoire du monothélisme se trouvé dans les Actes des conciles de Rome (t. VII, p. 7-395, 601-608) et de Constantinople (p. 609-1424). Baronius a tiré quelques documents originaux de la Bibliothèque du Vatican ; et les soigneuses recherches de Pagi ont rectifié sa chronologie. Dupin lui-même (Bibl. ecclés., t. VI, p. 57-71) et Basnage (Hist. de l’Église, tom. I, p. 541-555) en donnent un assez bon abrégé.

[108] Dans le concile de Latran de 679, Wilfrid, évêque anglo-saxon, signa pro omni Aquilonati parte Britanniæ et Hiberniæ, quœ ab Anglorum et Brittonum, necnon Scotorum et Pictorum gentibus colebantur. (Eddius, in Vita S. Wilfrid, c. 31, apud Pagi, Critica, t. III, p. 88.) Théodore (magnœ insiulæ Britanniæ archiepiscopus et philosophus) fut attendu longtemps à Rome (Concil., t. VII, p. 714) ; mais il se contenta de tenir (A. D. 680) son synode provincial à Hatfield, où il reçut les décrets du pape Martin et du premier concile de Latran contre les monothélites (Concil., t. VII, p. 597, etc.). Théodore, moine de Tarse, en Cilicie, avait été nommé à la primatie de la Bretagne par le pape Vitalien (A. D. 668). Voyez Baronius et Pagi, qui estimaient son savoir et sa piété, mais se défiaient de son caractère national ; ne quid contrarium veritati fidei, grœcorum more, in Ecclesiam cui præesset, introduceret. Le Cicilien fut envoyé de Rome à Cantorbéry, sous la tutelle d’un guide africain. (Bède, Hist. ecclés. Anglorum, l. IV, c. 1.) Il adhéra à la doctrine romaine ; et le même dogme de l’Incarnation s’est transmis sans altération de Théodore aux primats des temps modernes, dont le jugement plus solide s’engage ; je crois, rarement dans les détours de ce mystère abstrait.

[109] Ce nom, inconnu jusqu’au dixième siècle, paraît être d’origine syriaque. Il fut inventé par les jacobites, et adopté avec ardeur par les nestoriens et les musulmans ; mais les catholiques le prirent sans rougir, et on le trouve souvent dans les Annales d’Eutychius (Assemani, Bibl. orient., t. II, p. 507, etc. ; t. III, p. 355 ; Renaudot, Hist. patriar. Alex., p. 119). Ημεις δουλοι του βασιλεως, fut l’acclamation des pères du concile de Constantinople (Concil., t. VII, 765).

[110] Le syriaque, que les naturels de la Syrie regardent comme la langue primitive, avait trois dialectes : 1° l’araméen, qu’on parlait à Édesse et dans les villes de la Mésopotamie ; 2° le palestin, qu’on employait à Jérusalem, à Damas et dans le reste de la Syrie ; 3° le nabatéen, idiome rustique des montagnes de l’Assyrie et des villages de l’Irak. (Grégor. Abulpbarage, Hist. dynast., p. 11.) Voyez sur le syriaque, Ebed-Jésus (Assemani, t. III, p. 326, etc.), qui n’a pu que par une véritable prévention le préférer à l’arabe.

[111] Je ne cacherai pas mon ignorance sous les dépouilles de Simon, de Walton, de Mill, de Wetstein, d’Assemani, de Ludolphe ou de La Croze, que j’ai consultés avec soin. Il paraît 1° qu’il n’est pas sûr que nous ayons aujourd’hui, dans leur première intégrité, aucune des versions vantées par les pères de l’Église ; 2° que la version syriaque est celle qui semble avoir le plus de titres, et que l’aveu des sectes de l’Orient prouve qu’elle est plus ancienne que leur schisme.

[112] Sur ce qui regarde les monophysites et les nestoriens, j’ai de grandes obligations à la Bibliotheca orientalis Clementino-Vaticana de Joseph-Simon Assemani. Ce savant maronite alla en 1715 examiner, par ordre du pape Clément XI ; les monastères de l’Égypte et de la Syrie, pour y chercher des manuscrits. Les quatre volumes in-folio qu’il a publiés à Rome, 1719-1728, ne contiennent qu’une partie de l’exécution de son vaste projet ; mais c’est peut-être la plus précieuse. Né en Syrie, il connaissait très bien la littérature syriaque ; et, quoiqu’il dépendît de la cour de Rome on voit, qu’il s’efforce d’être modéré et de bonne foi.

[113] Voyez les canons arabes du concile de Nicée dans la traduction d’Abraham Ecchelensis, n° 37, 38, 39, 40 (Concil., tom. II, p. 335, 336, édit. de Venise). Ces titres connus de Canons du concile de Nicée et de Canons arabes, sont apocryphes l’un et l’autre. Le concile de Nicée ne fit pas plus de vingt canons (Théodoret, Hist. ecclés., l. I, c. 8) ; les soixante-dix ou quatre-vingts qu’en y a ajoutés ont été tirés ses synodes de l’Église grecque. L’édition syriaque de Maruthas ne subsiste plus (Assemani, Biblioth. orient., p. 195 ; t. III, p. 74) et il y a plusieurs interpolations récentes dans la version arabe. Au reste, ce code renferme des débris précieux de la discipline ecclésiastique ; et puisque toutes les communions de l’Orient le révèrent, il est probable qu’il fût achevé avant le schisme des nestoriens et des jacobites. Fabricius, Biblioth. græc., t. XI, p. 363-367.

[114] Théodore le Lecteur (l. II, c. 5-49, ad calcem Hist. ecclesiast.) a fait mention de cette école persane d’Édesse. Assemani (Bibliot. orient., t. II, p. 402, t. III, p. 376-378, t. IV, 70-924) discute avec beaucoup de clarté ce qui a rapport à son ancienne splendeur et aux deux époques de sa chute, en 431 et 489.

[115] Une dissertation sur l’état des nestoriens est devenue entre les mains d’Assemani un volume in-folio de neuf cent cinquante pages, et il a disposé dans l’ordre le plus clair ses savantes recherches. Outre ce quatrième volume de la Bibliotheca orientalis, on peut consulter avec fruit les extraits qui se trouvent dans les trois premiers tomes. (t. I, p. 203 ; t. II, p. 321, 463 ; t. III, p. 64, 70, 378, 395, etc., 403, 408, 580, 589).

[116] Voyez la Topographia christiana de Cosmas, surnommé Indicopleustes, ou le Navigateur indien, l. III, p. 178, 179 ; l. XI, p. 337. L’ouvrage entier, dont on trouve des extraits curieux dans Photius (Code XXXVI, p. 9, 10, édit. Hœschel), dans Thévenot (première partie de ses Relations des Voyages, etc.), et dans Fabricius (Biblioth. grœc,, l. III, c. 25 ; t. II, p. 603-617), a été publié par le père Montfaucon, Paris, 1707, dans la Nova collectio Patrum, t. II, p. 113-346. L’auteur avait le projet de réfuter l’hérésie de ceux qui soutiennent que la terre est un globe et non pas une surface aplatie et oblongue, telle que la représente l’Écriture (l. II, p. 138) ; mais l’absurdité du moine se trouve mêlée avec les connaissances pratiques du voyageur, qui partit A. D. 522, et qui publia son livre à Alexandrie, A. D. 547 (l. II, p. 140, 141 ; Montfaucon, Præfat., c. 2). Le nestorianisme de Cosmas, dont son savant éditeur ne s’aperçut pas, a été découvert par La Croze (Christianisme des Indes, t. I p : 40-55) ; et ce point est confirmé par Assemani (Biblioth. orient., tom. IV, p. 605, 606).

[117] L’histoire du Prêtre Jean dans sa longue route à travers Mosul, Jérusalem, Rome, etc., devint une fable monstrueuse, dont quelques traits ont été empruntés du Lama du Thibet (Hist. généalogique des Tartares, part. II, p. 42 ; Hist. de Gengis-khan, p. 31, etc.), et que, par une erreur grossière, les Portugais ont appliquée à l’empereur d’Abyssinie. (Ludolphe, Hist. Æthiop. Comment., l. II, c. 1.) Cependant, il est probable qu’aux onzième et douzième siècles, la horde des Keraïtes professait le christianisme selon les dogmes des nestoriens. D’Herbelot, p. 256, 915, 959 ; Assemani, t. IV, p. 468-504.

[118] Le christianisme de la Chine, entre les septième et treizième siècles, est prouvé d’une manière incontestable par une réunion de témoignages chinois, arabes, syriaques et latins (Assemani, Bibl. orient., l. IV, p. 502-552 ; Mém. de l’Acad. des Inscript., t. XXX, p. 802-819) La Croze, Voltaire, etc., ont été dupes de leur propre finesse, lorsque, pour se tenir en garde contre une fraude des jésuites, ils ont voulu regarder comme supposée l’Inscription de Sigan-Fu, qui fait connaître l’éclat de l’Église nestorienne, depuis la première mission (A. D. 636) jusqu’à l’année 781, date de cette inscription.

[119] Jacobitæ et nestorianæ plures quam græci et latini. (Jacques de Vitry, Hist. Hierosol., l. II, p. 1093 ; dans les Gesta Dei per Francos.) Le nombre en est donné par Thomassin, Discipline de l’Église, t. I, p. 172.

[120] On peut suivre la division du patriarcat dans la Bibl. orient. d’Assemani, tom. I, p. 523-549 ; tom. II, p. 457, etc. ; t. III, p. 603, 621-623 ; t. IV, p. 164-169, 423, 622-629, etc.

[121] Fra Paolo, dans son septième livre, relève avec élégance le langage pompeux qu’emploie la cour de Rome lors de la soumission d’un patriarche nestorien. Le pape eut soin d’employer les grands mots de Babylone, de Ninive, d’Arbèle, les trophées d’Alexandre, Tauris et Ecbatane, le Tigre et l’Indus. Voyez Fra Paolo, l. VII.

[122] Saint Thomas, qui prêcha dans l’Inde, dont les uns parlent comme d’un simple missionnaire, les autres comme d’un manichéen, et les autres enfin comme d’un marchand arménien (La Croze, Christian. des Indes, t. I, p.57-70), était cependant célèbre même dès le temps de saint Jérôme (ad Marcellam, epist. 148). Marc-Paul apprit sur les lieux que saint Thomas avait souffert le martyre dans la ville de Maabar ou de Meliapour, qui n’était éloignée que d’une lieue de Madras (d’Anville, Eclaircissements sur l’Inde, p. 125), où les Portugais établirent un évêché sous le nom de Saint-Thomé, et où le saint a fait chaque année un miracle, jusqu’à l’époque où il a été interrompu par le profane voisinage des Anglais. La Croze, t. II, p. 7-16.

[123] Ni l’auteur de la Chronique saxonne (A. D. 883), ni Guillaume de Malmsbury (de Gestis regum Angliœ, l. II, c. 4, P. 44), n’étaient en état d’inventer au douzième siècle ce fait extraordinaire. Ils ne surent pas même expliquer les motifs et la conduite d’Alfred ; et ce qu’ils en disent en passant ne sert qu’à exciter notre curiosité. Guillaume de Malmsbury sent la difficulté de l’entreprise, quod quivis in hoc saœculo miretur ; et je suis tenté de croire que les ambassadeurs anglais prirent en Égypte leur cargaison et leur légende. Alfred, qui, dans son Orose (voyez Barrington’s Miscellanies), parle d’un voyage dans la Scandinavie, ne fait pas mention d’un voyage dans l’Inde.

[124] Voyez sur les chrétiens de saint Thomas, Assemani, Bibl. orient., t. IV, p. 391-407, 435-451 ; Geddes’s Church-History of Malabar, et surtout La Croze, Hist. du Christian. des Indes, 2 vol. in-12, la Haye, 1758 ; ouvrage savant et agréable. Ils ont tiré leurs matériaux de la même source, c’est-à-dire des relations des Portugais et des Italiens, et les préjugés des jésuites sont suffisamment contrebalancés par ceux des protestants.

[125] C’est l’expression de Théodore dans son Traité de l’Incarnation (p. 245, 247), telle qu’elle est citée par La Croze (Hist. du Christianisme d’Éthiopie et d’Arménie, p. 35), qui s’écrie, peut-être avec trop peu de réflexion : Quel pitoyable raisonnement ! Renaudot (Hist. patriarch. Alexand., p. 38) dit un mot des opinions qu’exprime Sévère dans les controverses de l’Orient ; et on peut voir sa véritable profession de foi dans l’Épître que Jean, le jacobite, patriarche d’Antioche, écrivit, au dixième siècle, à Mennas d’Alexandrie, son frère. Assemani, Bibl. orient., t. II, p. 132-141.

[126] Epist. archimandritarum et monachorum Syriæ secundæ ad papam Hormisdam (Concil., tom. V, p. 598-602). Le courage de saint Sabas, ut leo animosus, ferait penser que les armes de ces moines n’étaient pas toujours spirituelles ou défensives. Baronius, A. D. 513, n° 7, etc.

[127] Assemani (Bibliot. orient., t. II, p. 10-46) et La Croze (Christian. d’Ethiop., p. 36-40) nous fournissent l’histoire de Xenaias ou Philoxène, évêque de Mabug ou Hiérapolis en Syrie ; il possédait parfaitement la langue syriaque, et tut l’auteur ou l’éditeur d’une version du Nouveau-Testament.

[128] On trouve dans la Chronique de Denis (ap. Assem., t. II, p. 54) les noms et les titres de cinquante-quatre évêques exilés par Justin. Sévère fut mandé à Constantinople pour y subir son jugement, dit Liberatus (Brev., c. 19), pour y avoir la langue coupée, dit Evagrius (l. IV, c. 4) ; le prudent patriarche ne s’amusa pas à examiner la différente de ces deux choses. Cette révolution ecclésiastique est fixée par Pagi au mois de septembre 518. Critica, t. II, p. 506.

[129] Les traits de l’obscure histoire de Jacques Baradée ou Zanzalus, se trouvent épars dans Eutychius (Ann., t. II, p. 44-147), dans Renaudot (Hist. patriarch. Alex., p. 133) et dans Assemani (Bibl. orient., t. I, p. 424 ; t. II, p. 60-69 ; 324-332, 414 ; t. III, p. 385-388). Il parait n’avoir pas été connu des Grecs : les jacobites eux-mêmes aimaient mieux tirer leur nom et leur généalogie de l’apôtre saint Jacques.

[130] Les détails sur sa personne et ses écrits forment peut-être l’article le plus curieux de la Bibliothèque d’Assemani (t. II, p. 244-321) ; il y porte le nom de Grégorius Bar-Hebrœus. La Croze (Christian. d’Éthiopie, p. 53-63) se moque du préjugé des Espagnols contre le sang des Juifs, qui souille en secret leur Église et leur nation.

[131] La Croze (p. 352), et même le Syrien Assemani (t. I, p. 226 ; t. II, p. 304, 305), critiquent cette excessive abstinence.

[132] Une dissertation de cent quarante-deux pages, qui se trouve au commencement du second volume d’Assemani, expliqué parfaitement l’état des monophysites. La Chronique syriaque de Grégoire Bar-Hebrée ou Abulpharage (Bibliot. orient., t. II, p. 321-463) donne la double liste des catholiques ou patriarches nestoriens et des maphriens des jacobites.

[133] Eutychius (Annal., t. II, p. 191-267-332), et d’autres passages qu’on trouve dans la table méthodique de Pococke, prouvent qu’on a employé indifféremment le nom de monothélites et celui de maronites. Eutychius n’avait aucune prévention contre les maronites du dixième siècle, et nous pouvons en croire un melchite, dont les jacobites et les Latins ont confirmé le témoignage.

[134] Concil., t. VII, p. 780. Constantin, prêtre syrien d’Apamée, défendit la cause des monothélites avec intrépidité et avec esprit (p. 1040, etc.)

[135] Théophane (Chron., p. 295, 296, 300, 302, 306) et Cedrenus (437-440) racontent les exploits des mardaïtes ; le nom mard, qui en syriaque signifie rebellavit, est explique par La Roque (Voyage de la Syrie, t. II, p. 53) ; les dates sont fixées par Pagi (A. D. 676, n° 4-14 ; A. D. 685, n° 3, 4), et même l’obscure histoire du patriarche Jean Maron (Assemani, Bibl. orient., t. I, p. 496-520) éclaircit les troubles du mont Liban, depuis l’année 686 jusqu’à l’année 707.

[136] Dans le dernier siècle on voyait encore sur le mont Liban vingt de ces cèdres si vantés par l’Histoire Sainte. (Voyage de La Roque, t. I, p. 68-76) ; il n’y en a plus aujourd’hui que quatre ou cinq. (Voyage de Volney, t. I, p. 264.) L’excommunication défendait ces arbres si célèbres dans l’Écriture ; on en prenait, mais avec réserve, une légère portion, dont on faisait de petites croix, etc. : on chantait toutes les années une messe sous leurs rameaux ; et les Syriens leur supposaient la faculté de relever leurs branches contre la neige, à laquelle à Liban paraît être moins fidèle que ne le dit Tacite : inter ardores opacum fidumque nivibus. (Hist., V, 6.) Métaphore, pleine de hardiesse.

[137] Le témoignage de Guillaume de Tyr (Hist. in gestis Dei per Francos, l. XXII, c. 8, p. 1022) est copié ou confirmé par Jacques de Vitry (Hist. Hierosol., l. II, c. 77, p. 1093, 1094) ; mais cette ligue peu naturelle expira avec le pouvoir des Francs, et Abulpharage (qui mourut en 1286) regarde les maronites comme une secte de monothélites (Bibl. orient., t. II, p. 292.).

[138] Je trouve un portrait et une histoire des maronites dans le Voyage de la Syrie et du mont Liban, par La Roque, 2 vol. in-12, Amsterd., 1723, surtout au tom. I, p. 42-47, 174-184 ; t. II, p. 10-120. En ce qui a rapport aux temps anciens, il adopte les préventions de Nairon et des autres maronites de Rome, auxquels Assemani craint de renoncer, et qu’il a bonté de soutenir. On peut consulter Jablonski (Instit. Hist. Christ., t. III, p. 186), Niebuhr (Voyage de l’Arabie, etc., t. II, p : 346, 370, 381), et surtout le judicieux Volney (Voyage en Égypte et en Syrie, tom. II, p. 8-31, Paris, 1787).

[139] La Croze (Hist. du Christianisme de l’Éthiopie et de l’Arménie, p. 269-402) fait connaître en peu de mots la religion des Arméniens. Il renvoie à la grande histoire d’Arménie par Galanus (3 vol. in-fol., Rome, 1650-1661), et il recommande le tableau de l’état de l’Arménie, qui se trouve dans le troisième volume des nouveaux Mémoires des Missions du Levant. L’ouvrage d’un jésuite doit avoir un bien grand mérite, quand La Croze lui donne des éloges.

[140] On place l’époque du schisme des Arméniens quatre-vingt-quatre ans après le concile de Chalcédoine (Papi, Critica, A. D. 535) ; il se consomma dans un espace de dix-sept ans, et c’est de l’année 552 que nous datons l’ère des Arméniens. Art de vérifier les dates, p. 35.

[141] On peut voir les sentiments et les succès de Julien d’Halicarnasse dans Liberatus. (Brev., c. 19), Renaudot (Hist. patriar. Alex., p. i32-3o3) et Assemani (Bibl. orient., t. II ; de Monophysitis, part. VIII, p, 286).

[142] Voyez un fait remarquable du douzième siècle dans l’histoire de Nicétas Choniates, p. 58. Cependant trois siècles auparavant, Photius (epist. 2, édit. Montacul) s’était glorifié de la conversion des Arméniens.

[143] Tous les voyageurs rencontrent des Arméniens, dont la métropole se trouve placée sur le grand chemin entre Constantinople et Ispahan. Voyez sur leur état actuel Fabricius (Lux Évangelii, etc., c. 38, p. 46-51), Olearius (l. IV, c. 40), Chardin (vol. II, p. 232), Tournefort (Lettre XX, etc.), et surtout Tavernier (t. I, p. 28-37, 510-518), ce joaillier errant qui n’avait rien lu, mais qui avait vu tant de choses, et qui les avait si bien vues.

[144] L’histoire des patriarches d’Alexandrie, depuis Dioscore jusqu’à Benjamin, est tirée de Renaudot (p. 114-164) et du deuxième volume des Annales d’Eutychius.

[145] Liberatus, Brev., c. 20, 23 ; Victor, Chron. ; p. 329, 330 ; Procope, Anecdotes, c. 26, 27.

[146] Eulogius, qui avait été moine à Antioche., était plus remarquable par ses subtilités que par son éloquence. Il prouve qu’on ne doit pas chercher à réconcilier les ennemis de la foi, les gaianites et les théodosiens ; que la même proposition peut être orthodoxe dans la bouche de saint Cyrille, et hérétique dans celle de Sévère ; que les assertions opposées de Léon sont également vraies : Ses écrits n’existent plus que dans les extraits de Photius, qui les avait lus avec soin et avec plaisir. Cod. 208, 225, 226, 227, 230, 280.

[147] Voyez la Vie de Jean l’Aumônier, par Léontius, évêque de Naples en Chypre, son contemporain, dont le texte grec, ou perdu ou tâché, se trouve en partie dans la version latine de Baronius (A. D. 610, n° 9 ; A. D. 620, n° 8). Pagi (Critica, t. II, p. 763) et Fabricius (l. V, c. 11, t. VII, p. 454) ont fait quelques observations critiques.

[148] Je tiré ce nombre des Recherches sur les Égyptiens et les Chinois (t. II, p. 192, 193), et il est plus vraisemblable que les six cent mille Cophtes anciens et les quinze mille Cophtes modernes de Gemelli Carreri. Cyrille Lucar, patriarche protestant de Constantinople, se plaignit de ce que ces hérétiques étaient dix fois plus nombreux que les grecs orthodoxes, leur appliquant ingénieusement le πολλαι κεν δεκαδες δευοιατο οινοχοιο d’Homère (Iliade, II, 128), expression parfaitement méprisante. Fabric., Lux Évangelii, 740.

[149] Ce qui a rapport à l’histoire, à la religion, aux mœurs, etc., des Cophtes, se trouve dans l’ouvrage bigarré de l’abbé Renaudot, qui n’est ni une traduction ni un original ; dans le Chronicon orientale de Pierre le Jacobite, dans les deux versions d’Abraham Echellensis, Paris, 1651 ; et dans Jean-Simon Assemani, Venise, 1729 : ces annales ne descendent que jusqu’au treizième siècle. Il faut chercher des détails plus récents dans les auteurs qui ont écrit leurs voyages en Égypte, et dans les nouveaux Mémoires des Missions du Levant, dans le dernier siècle, Joseph Abudacnus, né au Caire, publia à Oxford une courte Historia Jacobitarum, en trente pages, 147 post 150.

[150] Vers l’an 737. Voyez Renaudot, Hist. patriarch. Alex., p. 211, 222 ; Elmacin, Hist. Saracen., p. 99.

[151] Ludolphe, Hist. Æthiop. et Comment., l. I, c. 8 ; Renaudot, Hist. patriach. Alex., p. 480, etc. Cette opinion, introduite en Europe par l’artifice des Cophtes par l’orgueil des Abyssins la crainte et l’ignorance des Turcs et des Arabes ; pas même l’apparence de la vérité. Les pluies de l’Éthiopie ne consultent pas la volonté du monarque pour augmenter les eaux du Nil. Si le fleuve s’approche de Napata, à trois journées de la mer Rouge (voyez les Cartes de d’Anville), l’ouverture d’un canal fiable de détourner son cours exigerait toute la puissance des Césars, et vraisemblablement la surpasserait.

[152] Les Abyssins, qui ont encore les traits et le teint olive des Arabes, prouvent assez que vingt siècles ne suffisent pas pour changer la couleur de la race humaine. Les Nubiens, dont l’extraction est africaine, sont de véritables nègres, aussi noirs que ceux du Sénégal ou du Congo ; ils ont également le nez aplati, les lèvres épaisses, et leur tête est revêtue de laine. (Buffon, Hist. nat., t. V, p. 117, 143, 144, 166, 219, édit. in-12, Paris, 1769). Les anciens voyaient sans beaucoup d’attention ce phénomène extraordinaire, qui a exercé les philosophes et les théologiens des temps modernes.

[153] Assemani, Bibl. orient., t. I, p.829.

[154] Le christianisme des peuples de la Nubie (A. D. 1153) est attesté par le schrif Ali Edrisi, et à été exposé d’une manière fausse sous le nom du géographe de Nubie (p. 18), qui les représente comme une peuplade de jacobites. Les rayons de lumière historique qu’on aperçoit dans l’histoire de Renaudot (p. 178, 220-224, 281-286, 495-434, 451-564), sont tous antérieurs à cette époque. Voyez l’état moderne de ce pays, dans les Lettres édifiantes (Recueil 4), et dans Busching (t. IX, p.152-159, par Berenger).

[155] Les Latins donnent improprement à l’abuna le titre de patriarche ; les Abyssins ne reconnaissent que les quatre patriarches, et leur chef m’est qu’un métropolitain ou un primat national. (Ludolphe, Hist. Æthiop. et Comment., l. III, c. 7.) Cet historien ne connaissait pas les sept évêques de Renaudot (p. 511), qui existaient A. D. 1131.

[156] Je ne sais pourquoi Assemani révoque en doute (Bibl. orient., t. Il, p. 384) ces missions assez vraisemblables de Théodora dans la Nubie et l’Éthiopie. Renaudot (p. 336-341, 381, 382, 405-443, etc., 452-456, 463, 475-480, 511-5251 559-564) nous a fourni, d’après les écrivains cophtes, le peu que nous savons sur l’Abyssinie jusqu’à l’année 1500. Ludolphe est absolument dépourvu d’idées sur ce pays.

[157] Ludolphe, Hist. Ethiop., liv. IV, chap. 5. Les Juifs y exercent maintenant les arts de première nécessité, et les Arméniens font le commerce étranger. L’industrie de l’Europe (artes et opificia) était ce que Grégoire admirait et enviait le plus.

[158] Jean Bermudez, dont la relation, imprimée à Lisbonne en 1469, a été traduite en anglais par Purchas (Pilgrims, l. VII, c. 7, p. 1149, etc.), et de l’anglais en français par La Croze (Christian. d’Éthiop., p. 92-265) ; ce morceau est curieux, mais on peut soupçonner l’auteur d’avoir voulu tromper l’Abyssinie, Rome et le Portugal. Son titre au rang de patriarche est obscur et incertain. Ludolphe, Comment., n° 101, p. 473.

[159] Religio romana... nec precibus patrum, nec miraculis ab ipsis editis suffulciebatur, est l’assertion non contredite du dévot empereur Susnée, à Mendez son patriarche (Ludolphe, Comment., n° 126, p. 529), et on doit conserver précieusement de pareilles assertions comme un antidote contre toutes les légendes merveilleuses.

[160] Je sais avec quelle réserve il faut traiter cet article de la circoncision ; toutefois j’affirmerai, 1° que les Éthiopiens avaient une raison physique de circoncire les mâles, et même les femmes (Recherches philosophiques sur les Américains, t. II) ; 2° que la circoncision était usitée en Éthiopie, longtemps avant l’introduction du judaïsme oit du christianisme (Hérodote, l. II, c. 104 ; Marsham, Canon chron., p. 72, 73). Infantes circumcidunt ob consuetudinem, non ob judaïsmum, dit Grégoire, prêtre abyssin (apud Fabric., Lux christianii, p. 720). Cependant, dans la chaleur de la dispute, on donne quelquefois aux Portugais le nom injurieux d’incirconcis. La Croze, p. 80 ; Ludolphe, Hist. ad Comment., l. III, c. 1.

[161] Les trois historiens protestants, Ludolphe (Hist. Ath., Francfort, 1681 ; Commentarius, 1691 ; Relatio nova, etc., 1691, in-fol.), Geddes (Church-History of Æthiopia, Lond., 1696, in-8°) et La Croze (Hist. du Christian. d’Ethiopie et d’Arménie, la Haye, 1739, in 12), ont tiré leurs matériaux les plus importuns des jésuites, et en particulier de l’histoire générale de Tellez, publiée en portugais, à Coimbre, 1660. Leur franchise peut étonner ; mais le plus odieux de leurs vices, l’esprit de persécution, était à leurs yeux une vertu très méritoire. Ludolphe a tiré quelques avantages, mais assez minces, de la langue éthiopienne qu’il savait, ou de ses conversations avec Grégoire, prêtre abyssin, d’un esprit courageux, et qu’il appela de Rome, où il était à la cour de Saxe-Gotha. Voyez la Theologia Æthiopica de Grégoire, dans Fabricius, Lux Évangelii, p. 716-734.