Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

CHAPITRE XLIV

Idée de la jurisprudence romaine. Lois que publièrent les rois. Les Douze-Tables des décemvirs. Les lois du peuple. Les décrets du sénat. Les édits des magistrats et des empereurs. Autorité des jurisconsultes. Code, Pandectes, Novelles et Institutes de Justinien. 1° Droits des personnes. 2° Droits des choses. 3° Injures et actions privées. 4° Crimes et peines.

 

 

LE temps a réduit en poussière les vains trophées des victoires de Justinien ; mais le nom de ce législateur est gravé sur un monument plus noble et plus durable. C’est sous son règne et par ses soins que la jurisprudence civile fut réunie en un Corps dans trois ouvrages immortels, le CODE, les PANDECTES et les INSTITUTES[1]. La marche silencieuse du temps ou les travaux des législateurs ont introduit la raison publique des Romains dans les institutions domestiques de l’Europe[2]. Les lois de Justinien obtiennent encore le respect et l’obéissance de plusieurs nations qui n’ont jamais dépendu de son empire. Heureux ou sage est le prince qui peut lier sa réputation à l’honneur et à l’intérêt d’un ordre de gens destinés à se perpétuer à jamais dans la société ! Le zèle et l’adresse des gens de loi se sont de tout temps exercés à la défense de leur fondateur ; ils célèbrent pieusement ses vertus, ils dissimulent ou nient ses défauts, et leurs vigoureuses réprimandes n’épargnent pas les coupables ou insensés rebelles qui osent s’attaquer à la majesté de la pourpre. L’idolâtrie des partisans de Justinien a provoqué, comme on le voit d’ordinaire, l’acharnement de ses ennemis. Son caractère à tour à tour été attaqué et défendu avec l’aveuglé véhémence de la haine et de la flatterie ; et la secte des antitriboniens en est venue à ce point d’injustice de refuser toute espèce d’éloges et de mérite à ce prince, à ses ministres et à ses lois[3]. Étranger à toute espèce de parti, attaché seulement à la vérité et à la bonne foi de l’histoire, dirigé par les guides les plus modérés et les plus habiles[4], je ne me hasarde cependant qu’avec une juste défiance à traiter un sujet qui a consumé les jours de tant d’habiles jurisconsultes, et fourni de quoi garnir les murs d’un si grand hombre de vastes bibliothèques. Je suivrai dans un seul chapitre, et, s’il est possible, dans un chapitre qui ne sera pas d’une très longue étendue, la jurisprudence romaine depuis Romulus jusqu’à Justinien[5] ; j’apprécierai les travaux de cet empereur, et je m’arrêterai à examiner les principes d’une science qui, importe si fort à la paix et au bonheur de la société. Les lois d’un peuple forment la portion la plus instructive de son histoire ; et quoique je me sois dévoué à la composition des annales de l’empire dans sa décadence, je saisirai cette occasion de respirer encore l’air pur et fortifiant de la république.

On découvre quelque adresse politique dans la formation du gouvernement primitif de Rome[6], composé d’un roi électif, d’un conseil de nobles et d’une assemblée générale du peuple. Le magistrat suprême était chargé de tout ce qui avait rapport à la guerre et la religion : seul il proposait les lois qu’on discutait au sénat, et qui étaient enfin ratifiées ou rejetées à la pluralité des voix par les trente curies ou paroisses de la ville. Romulus, Numa et Servius Tullius, sont renommés comme les premiers législateurs de Rome ; et chacun d’eux a des droits particuliers à l’une des trois divisions générales de sa jurisprudence[7]. On attribue à la sagesse naturelle de Romulus les lois sur le mariage, sur l’éducation des enfants et l’autorité paternelle, qui paraissent tirer leur origine de la nature elle-même. Numa disait avoir reçu de la nymphe Égérie, dans des entretiens nocturnes, les lois sur le droit des gens, et le culte religieux qu’il introduisit. Servius établit les lois civiles d’après son expérience, il balança les droits et les fortunes des sept classes de citoyens, et il assura, par cinquante nouveaux règlements, l’exécution des contrats et le châtiment des crimes. L’État, qu’il avait incliné vers la démocratie, se changea en despotisme arbitraire sous le dernier des Tarquins ; et lorsque la fonction de roi fut abolie, les patriciens maintinrent pour eux seuls tous les avantages de la liberté. Les lois royales devinrent odieuses ou tombèrent en désuétude : les prêtres et les nobles conservèrent en silence ce dépôt mystérieux ; et, soixante années après, les citoyens de Rome se plaignaient toujours d’être gouvernés par la sentence arbitraire des magistrats. Cependant les institutions positives des rois s’étaient comme incorporées avec les mœurs publiques et particulières. Les antiquaires ont rassemblé[8] quelques fragments de cette respectable jurisprudence[9], et plus de vingt textes nous ont conservé la grossièreté de l’idiome pélagique des Latins[10].

Je ne répèterai pas l’histoire si connue des décemvirs[11], qui souillèrent par leurs actions l’honneur de graver sur l’airain, ou le bois ou l’ivoire, les DOUZE TABLES des lois romaines[12]. Ces lois avaient été dictées par l’esprit sévère et jaloux d’une aristocratie qui avait cédé avec répugnance aux justes réclamations du peuple : mais le fond des Douze-Tables fut calculé d’après la situation où se trouvait alors la ville ; et les Romains étaient sortis de la barbarie, puisqu’ils pouvaient étudier et adopter les institutions de leurs voisins plus éclairés. L’envie avait chassé de sa patrie Hermodore, sage citoyen d’Éphèse. Avant d’atteindre les rivages du Latium, il avait observé la nature humaine et la société civile sous leurs diverses formes ; il communiqua ses lumières aux législateurs de Rome, et une statue fut élevée dans la place publique pour immortaliser sa mémoire[13]. Les noms et les divisions des pièces de cuivre, seule monnaie des premiers temps de Rome, étaient d’origine dorienne[14] les récoltes de la Campanie et de la Sicile fournissaient à la subsistance d’un peuple chez qui la guerre et les factions interrompaient souvent la culture ; et du moment que le commerce fut établi[15], les députés romains purent, de ces parages où ils allaient approvisionner la ville, rapporter une richesse encore plus précieuse, les lumières des autres nations sur l’administration des États. Les colonies de la Grande-Grèce avaient transplanté et perfectionné en Italie les arts de leur métropole. Cumes et Reggio, Crotone et Tarente, Agrigente et Syracuse, étaient au nombre des villes les plus florissantes. Les disciples de Pythagore appliquaient la philosophie à la pratique des gouvernements ; les lois orales de Charondas empruntaient le secours de la poésie et de la musique[16] ; et Zaleucus établissait la république des Locriens, qui subsista plus de deux siècles sans altération[17]. Tite-Live et Denys d’Halicarnasse, également séduits par l’orgueil national, veulent croire que les députés de Rome avaient paru à Athènes, sous la sage et brillante administration de Périclès, et que les lois des Douze-Tables étaient une imitation de celles de Solon. Si Athènes exit effectivement reçu à cette époque une ambassade des Barbares de l’Hespérie, le nom romain eût été familier aux Grecs avant le règne d’Alexandre[18], et la curiosité des temps postérieurs aurait recherché et proclamé le plus léger témoignage qui fût demeuré d’un semblable fait ; mais les monuments d’Athènes gardent le silence à cet égard, et il est difficile de croire que des patriciens eussent entrepris une longue et périlleuse navigation pour copier le modèle le plus parfait de la démocratie. Si on rapproche les Tables de Solon de celles des décemvirs, on peut y trouver quelque ressemblance produite par le hasard, quelques-unes de ces règles que la nature et la raison inspirent à chaque société, quelques preuves de l’origine commune des deux nations, qui descendaient peut-être de l’Égypte ou de la Phénicie[19] ; mais dans les grands traits de la jurisprudence publique et privée, les législateurs de Rome et d’Athènes paraissent étrangers ou opposés les uns aux autres.

Quoi qu’il en soit de l’origine ou du mérite des Douze-Tables[20], les Romains leur accordèrent ce respect aveugle et partial, dont les jurisconsultes de tous les pays se plaisent à entourer les institutions de leur patrie. Cicéron[21] recommande de les étudier comme également agréables et instructives. Elles amusent, dit-il, par les souvenirs de l’ancien langage et le tableau des anciennes mœurs ; on y trouve les principes les plus sains de morale et de gouvernement ; et je ne crains pas d’affirmer, que dans cet ouvrage abrégé des décemvirs se trouve plus de valeur réelle que dans tous les livres de la philosophie grecque. Que la sagesse de nos ancêtres est admirable ! ajoute-t-il avec un enthousiasme ou véritable ou feint ; nous excellons seuls dans la législation, et notre supériorité paraîtra bien plus frappante, si nous daignons jeter les yeux sur la jurisprudence grossière et presque ridicule de Dracon, de Solon et de Lycurgue. Les Douze-Tables furent confiées à la mémoire des jeunes gens et à la méditation des vieillards ; elles furent copiées et développées avec soin par des hommes instruits : elles avaient échappé l’incendie allumé par les Gaulois ; elles subsistaient au temps de Justinien ; elles se sont perdues depuis ; mais, à force de travaux, les critiques modernes les ont rétablies d’une manière imparfaite[22]. Quoique ce monument respectable fût regardé comme la règle du droit et la source de la justice[23], il disparut enfin sous le nombre et la variété des nouvelles lois, qui, au bout de cinq siècles, se trouvaient être devenues un mal plus insupportable que les vices des citoyens[24]. Le Capitole renfermait trois mille tables d’airain, qui contenaient les actes du sénat et du peuple[25] ; et quelques-uns de ces actes, tels, que la loi Julia contre les extorsions, contenaient plus de cent chapitres[26]. Les décemvirs avaient négligé d’adapter à la constitution de Rome cette loi de Zaleucus, qui conserva si longtemps la république dans toute son intégrité. Lorsqu’un Locrien proposait une nouvelle loi, il se présentait à l’assemblée du peuple la corde au cou ; si la loi était rejetée, on étranglait sur-le-champ le novateur.

Les décemvirs avaient été nommés dans une assemblée des centuries, ou la fortune avait prévalu sur le nombre : la même chose eut lieu pour l’approbation de leurs Tables. La première classe ces Romains composée de ceux qui possédaient deux cent mille marcs de cuivre[27] ; se trouva avoir quatre-vingt-dix-huit voix, et il n’en restait que quatre-vingt-quinze aux six classes inférieures, que l’artificieuse politique de Servius avait rangées d’après leur fortune. Mais les tribuns établirent bientôt une maxime plus spécieuse et plus populaire ; ils soutinrent que le droit des citoyens de faire les lois qu’ils devaient suivre, était le même, pour tous. Au lieu des comices par centuries, ils assemblèrent les comices par tribus, et les patriciens, après de vains efforts, se soumirent aux décrets d’une assemblée où leurs suffrages se trouvaient confondus avec ceux des plus vils plébéiens. Cependant, aussi longtemps que les tribus passèrent l’une après l’autre sur les petits ponts[28], et qu’elles donnèrent leur suffrage à haute voix, aucun des citoyens ne put dérober sa conduite aux yeux de ses amis et de ses compatriotes. Le débiteur insolvable se conforma aux vœux de son créancier ; le client aurait rougi de s’opposer aux vues de son patron : le général était suivi de ses vieux soldats, et l’aspect d’un grave magistrat entraînait la multitude. L’établissement dei scrutin secret abolit l’influence de la crainte et de la honte, de l’honneur et de l’intérêt ; et l’abus de la liberté accéléra les progrès de l’anarchie et du despotisme[29]. Les Romains avaient demandé l’égalité la servitude les mit tous de niveau ; et le consentement formel des tribus ou des centuries ratifia sans murmure les volontés d’Auguste. Une fois, une seule fois, il rencontra une sincère et vigoureuse opposition. Ses sujets avaient renoncé à toute espèce de liberté politique ; mais ils défendirent leur liberté domestique. De bruyantes clameurs rejetèrent une loi qui imposait aux citoyens l’obligation du mariage et en resserrait les liens. Properce, dans les bras de Délie, s’applaudit du triomphe du libertinage ; et pour s’occuper de cette réforme, on attendit une génération plus traitable[30]. L’habile usurpateur n’avait pas besoin de cet exemple pour sentir les inconvénients des assemblées populaires ; et leur abolition, qu’il avait préparée en silence eut lieu sans opposition et presque sans être remarquée, à l’avènement de son successeur[31]. Soixante mille législateurs plébéiens, redoutables, par leur nombre et hors d’atteinte par leur pauvreté, furent supplantés par six cents sénateurs qui tenaient leurs dignités, leur fortune et leur vie, de la clémence de l’empereur. Dans l’exercice du pouvoir législatif, le sénat se consola de la perte de son autorité exécutive ; et Ulpien a pu dire, après deux siècles d’expérience, que les décrets de ce corps avaient la force et la validité des lois. Dans les temps de liberté, la passion ou l’erreur d’un moment ont souvent dicté les résolutions du peuple : les lois Cornelia, Pompeia et Julia, ne furent que des remèdes appliqués par un seul homme aux maux dont souffrait alors la république ; mais le sénat sous le règne des Césars, était composé de magistrats et de jurisconsultes ; et rarement, dans les questions de droit privé, la crainte ou l’intérêt corrompirent la droiture de leurs jugements[32].

Les édits des magistrats revêtus des honneurs de l’État suppléaient dans l’occasion au silence et à l’ambiguïté des lois[33]. Les consuls et les dictateurs, les censeurs et les préteurs, chacun selon son emploi, exercèrent cette ancienne prérogative des rois de Rome ; et les tribuns du peuple, les édiles et les proconsuls, s’arrogèrent un droit pareil. A Rome et dans les provinces, les édits du magistrat suprême, le préteur de la ville, faisaient chaque année connaître ses intentions et les devoirs des sujets, et réformaient la jurisprudence civile. Dès qu’il montait sur son tribunal, il annonçait par la voix du crieur, et faisait inscrire sur une muraille blanche les règles qu’il se proposait de suivre dans la décision des cas douteux, et les adoucissements que son équité pourrait lui permettre d’apporter à la rigueur précise des anciens statuts. Ainsi s’introduisit dans la république le principe d’une grande latitude, dans les pouvoirs, principe qui eût été beaucoup plus analogue à l’esprit de la monarchie. Les préteurs perfectionnèrent peu à peu l’art, en respectant le nom des lois, de se soustraire à leur efficacité : on trouva moyen, par des subtilités et des fictions, d’éluder les expressions les plus claires des décemvirs ; et lors même que le but de ces interprétations se trouvait salutaire, les moyens étaient souvent absurdes. On souffrait que les vœux secrets ou présumés des morts l’emportassent sur l’ordre des successions et la forme des testaments ; et le prétendant qui ne pouvait se présenter comme héritier, n’en recevait pas avec moins de satisfaction les biens de son parent ou de son bienfaiteur, qu’il devait alors à la facilité d’un préteur indulgent. Dans les jugements en réparation d’injures particulières, les dis- positions rigoureuses de la loi des Douze-Tables, désormais hors d’usage, étaient remplacées par des amendes, et des suppositions imaginaires anéantissaient le temps et l’espace ; le prétexte de la jeunesse, de la fraude ou de la violence, suffisait pour annuler un contrat onéreux ou dispenser de son exécution. Une juridiction si vague et si arbitraire était sujette aux abus les plus dangereux. On sacrifiait souvent la substance autant que les formes de la justice aux préventions de la vertu, aux dispositions favorables qu’inspirait un attachement digne d’estime, et aux séductions plus grossières de l’intérêt et du ressentiment. Mais les erreurs ou les vices de chaque préteur expiraient avec son office au bout d’une année ; ses successeurs n’adoptaient de ses maximes que celles qui étaient approuvées par la raison et par l’usage : la solution des cas nouveaux perfectionnait et fixait les règles de la procédure ; et la loi Cornelia, qui forçait le préteur en exercice à adhérer à la lettre et à l’esprit de sa première proclamation, le sauvait de la tentation de devenir injuste[34]. Il était réservé aux soins et aux lumières d’Adrien, d’exécuter le plan qu’avait conçu le génie de César ; et la composition de l’ÉDIT PERPÉTUEL a immortalisé la préture de Salvius Julien, jurisconsulte du premier ordre. L’empereur et le sénat ratifièrent ce code médité avec sagesse ; il réconcilia la loi et l’équité si longtemps séparées ; et l’Édit perpétuel, remplaçant les Douze-Tables, devint la règle invariable de la jurisprudence civile[35].

Depuis Auguste jusqu’à Trajan, les modestes Césars se contentèrent de revêtir leurs édits des différents titres auxquels ils pouvaient devoir la qualité de magistrats romains ; et le sénat, plein d’égards, insérait dans ses décrets les lettres et les discours du prince. Il paraît qu’Adrien fut le premier[36] qui s’arrogea ouvertement la plénitude du pouvoir législatif ; la patience de son siècle et sa longue absence de Rome facilitèrent cette innovation, si analogue à l’activité de son esprit. Ses successeurs adoptèrent la même politique et, selon la métaphore un peu sauvage de Tertullien, la hache des édits et des rescrits de l’empereur éclaircit la forêt sombre et épineuse des anciennes lois[37]. Depuis Adrien jusqu’à Justinien, c’est-à-dire dans un intervalle de quatre siècles, la volonté du souverain fut la règle de la jurisprudence publique et privée ; on ne laissa subsister sur leurs anciennes bases qu’un très petit nombre des institutions civiles et religieuses. L’obscurité des temps, et la terreur qu’inspirait un despotisme armé, ont caché le commencement du pouvoir législatif des empereurs, et ont donné lieu à deux fictions propagées par la bassesse ou peut-être par l’ignorance des jurisconsultes dont le génie s’échauffait aux rayons de l’astre adoré dans les cours de Rome et de Byzance. 1° Les anciens Césars avaient demandé quelquefois qu’on les affranchit des devoirs et des peines ordonnés par quelques statuts : le sénat et le peuple y avaient consenti, et chacune de ces faveurs était un acte de juridiction que la république exerçait sur le premier de ses citoyens. De l’humble privilège obtenu par les empereurs, on fit par la suite la prérogative d’un tyran, et on supposa que l’expression latine, lebigus solutus (exempté des lois)[38], mettait le prince au-dessus de toutes les lois, sans lui en laisser d’autres que celles de sa conscience et sa raison, règles sacrées de sa conduite. 2° Les décrets du sénat, qui, à chaque règne, fixaient les titres et les pouvoirs d’un prince électif, annonçaient aussi la dépendance des Césars ; ce ne fût qu’après la corruption des idées, et même de la langue des Romains, qu’Ulpien, ou plus vraisemblablement Tribonien lui-même[39], imagina et la loi ROYALE[40], et une cession irrévocable de la part du peuple. Alors les principes de la liberté et de la justice servirent à défendre la puissance législative des empereurs, aussi peu réelle dans le fait qu’elle était dans ses conséquences contraire à la liberté. Le bon plaisir des empereurs, disait-on, a la force et l’effet de la loi, puisque le peuple romain, par la loi royale, a transféré à ses princes toute la plénitude de son pouvoir et de sa souveraineté[41]. On souffrit que la volonté d’un seul homme, d’un enfant peut-être, prévalût sur la sagesse des siècles et les vœux de plusieurs millions de citoyens ; et les Grecs dégénérés se firent gloire de déclarer qu’on ne pouvait, avec sûreté, confier qu’à l’empereur seul l’exercice arbitraire de la législation. Quel intérêt ou quelle passion, s’écriait Théophile à la cour de Justinien, peut atteindre l’empereur à la hauteur calme et sublime où il est élevés Il est déjà le maître de la vie et de la fortune de ses sujets ; et ceux qui ont encouru son déplaisir sont déjà au nombre des morts[42]. Un historien étranger au langage de la flatterie peut avouer que dans les questions particulières de la jurisprudence, des considérations personnelles influent rarement sur le souverain d’un grand empire. La vertu, ou même la raison, l’avertissent qu’il est le conservateur naturel de la paix et de l’équité, et que son intérêt est lié d’une manière inséparable à celui de la société. Sous le règne le plus faible et le plus vicieux, Papinien et Ulpien occupèrent avec sagesse et intégrité le siège de la justice[43] ; et les dispositions les plus sages du Code et des Pandectes portent les noms de Caracalla et de ses ministres[44]. Le tyran de Rome se montra quelquefois le bienfaiteur des provinces. Un poignard termina les crimes de Domitien ; mais ses lois, dont un sénat indigné avait, dans les premiers transports de joie que lui causait sa délivrance, ordonné l’annulation, furent rétablies par son successeur le prudent Nerva[45]. Cependant dans les rescrits[46] ou réponses aux consultations des magistrats, le plus éclairé des princes pouvait avoir été trompé par un exposé partial de la question ; et la raison ainsi que l’exemple de Trajan condamnèrent en vain cet abris qui mettait les décisions .du souverain au niveau des actes de la législation les plus réfléchis. Les rescrits de l’empereur, ses concessions et ses décrets, ses édits et ses pragmatiques sanctions, signés en encre pourprée[47], étaient transmis aux provinces comme des lois générales ou particulières que les magistrats devaient exécuter, et que le peuple devait suivre : mais comme leur nombre augmentait sans cesse, la règle de l’obéissance fut chaque jour plus incertaine et plus douteuse ; jusqu’à l’époque où le code Grégorien, ceux, d’Hermogène et de Théodose ; déterminèrent et fixèrent la volonté du souverain. Les deux premiers, qui ne nous sont connus que par quelques fragments, furent rédigés par deux jurisconsultes dont le travail eut pour objet de conserver les lois des empereurs païens depuis Adrien jusqu’au fondateur de Constantinople. Le troisième, que nous avons en entier, fut compilé en seize livres par ordre de Théodose le Jeune, dans la vue de consacrer les lois des princes chrétiens depuis Constantin jusqu’à son propre règne. Ces trois codes obtinrent une autorité égale dans les tribunaux, et le juge pouvait rejeter comme supposé[48] ou comme tombé en désuétude tout acte qui n’était pas contenu dans le recueil sacré.

Des peuples sauvages suppléent quoique imparfaitement au défaut d’alphabet, par des signes sensibles qui éveillent l’attention et qui perpétuent le souvenir de tous les événements publics ou particuliers. La jurisprudence des premiers Romains présentait le jeu d’une espèce de pantomime ; les paroles se rapportaient aux gestes ; et la moindre erreur ou la moindre négligence dans les formes suffisait, quelque fût le droit, pour entraîner la perte du fond. On désignait la communion du mariage par le feu et l’eau, éléments nécessaires à la vie[49]. La femme qu’on répudiait rendait le trousseau de clefs, emblème du gouvernement de la famille dont on l’avait chargée. Pour affranchir son fils ou son esclave, on le renvoyait en lui donnant un petit coup sur la joue ; une pierre jetée sur les travaux interdisait la continuation d’un ouvrage ; on cassait une branche d’arbre pour interrompre une prescription ; le poing fermé citait le symbole d’un gage ou d’un dépôt ; on présentait la main droite pour annoncer qu’on engageait sa parole ou qu’on accordait sa confiance ; une affaire se concluait en rompant un brin de paille ; tous les paiements étaient accompagnés de poids et de balances ; et l’héritier qui acceptait un testament était quelquefois obligé de faire claquer ses doigts, de jeter ses habits, de sauter et de danser, soit qu’il en eût envie ou non[50]. Si un citoyen allait réclamer chez son voisin des effets volés, il avait les reins couverts d’un morceau de toile de lin, et se cachait le visage avec un masque ou avec un bassin, de peur de rencontrer les yeux d’une vierge ou d’une matrone[51]. Dans une action civile, le demandeur touchait l’oreille de son témoin ; il saisissait son adversaire à la gorge, et par ses lamentations implorait le secours de ses concitoyens. Les deux compétiteurs s’empoignaient l’un l’autre comme s’ils eussent dû se battre devant le tribunal du préteur : ce magistrat leur ordonnait de produire l’objet en litige ; ils s’éloignaient, et, revenant à pas mesurés, jetaient à ses pieds une motte de terre, symbole du champ qu’ils se disputaient. Cette science obscure des paroles et des formes de la loi devint l’héritage des pontifes et des patriciens. Comme les astrologues de la Chaldée, ils annonçaient à leurs clients les jours de vacation et les jours de repos : ces importantes minuties étaient liées à la religion établie par Numa ; et après la publication des Douze-Tables, l’ignorance des formes judiciaires maintint encore les citoyens dans une sorte d’esclavage. Quelques officiers de la classe du peuple trahirent enfin ces utiles mystères un siècle : plus éclairé suivit, en les tournant en ridicule, les formes qu’on donnait à la loi, et l’usage ainsi que l’intelligence de cette langue primitive se perdirent enfin dans cette antiquité qui l’avait d’abord consacrée[52].

Au reste, les sages de Rome, qu’on peut regarder avec plus d’exactitude comme les auteurs de la loi civile, cultivèrent un art plus libéral. L’altération survenue dans l’idiome et les mœurs des Romains rendait le style des Douze-Tables moins familier à chaque nouvelle génération, et les commentaires des jurisconsultes, appliqués à l’étude des anciens règlements, n’expliquaient que d’une manière imparfaite les passages douteux. Il était plus noble et plus important d’éclaircir l’ambiguïté des lois, d’en circonscrire l’effet, de faire l’application des principes et d’en tirer toutes les conséquences, d’indiquer les contradictions réelles ou apparentes : ainsi, le domaine de la législation passa insensiblement entre les mains de ceux qui expliquaient les anciens statuts. Leurs subtiles interprétations concoururent avec l’équité du préteur à réformer ce pouvoir tyrannique exercé par les âges d’ignorance. Une jurisprudence artificielle, aidée de moyens bizarres et compliqués, tendit à rétablir les droits de la nature et de la raison, et de simples individus se sertirent utilement de leurs lumières pour détruire la base des institutions publiques de leur pays. L’intervalle de presque dix siècles, qui se trouve entre la publication des Douze-Tables et le règne de Justinien, peut se diviser en trois périodes d’une durée presque égale, distinguées l’une de l’autre par la méthode d’instruction qu’on adopta, et par le caractère des gens de loi[53]. Durant la première époque, l’orgueil et l’ignorance contribuèrent à resserrer dans des bordes étroites la science des lois romaines. Les jours de marché ou d’assemblée les jurisconsultes qui avaient le plus de réputation se promenaient au Forum ; ils donnaient leurs avis aux dernières classes des citoyens, dans l’espoir d’obtenir un jour leurs suffrages. Lorsqu’ils avançaient en âge ou qu’ils obtenaient des dignités, ils se tenaient chez eux assis sur une chaise ou sur un trône ; ils y attendaient avec une gravité tranquille les visites de leurs clients, qui dès la pointe du jour venaient en foule, de la ville ou de la campagne, assiéger leur porte. Les devoirs de la vie sociale et les incidents d’une procédure étaient le sujet ordinaire de ces consultations, et les jurisconsultes donnaient leur opinion de vive voix ou par écrit, d’après les règles de la sagesse naturelle et de la loi. Ils permettaient aux jeunes gens de leur profession ou de leur famille d’y assister ; ils instruisaient en particulier leurs enfants, et la famille Mucia fut longtemps renommée pour ces sortes de connaissances, qui se transmettaient de père en fils. La seconde période, le bel âge de la jurisprudence, comprend l’espace de temps qui s’écoula depuis la naissance de Cicéron jusqu’au règne d’Alexandre-Sévère. On forma un système général ; on établit des écoles, on composa des livres ; les vivants et les morts furent mis à contribution pour servir à l’instruction des élèves. Le Tripartite d’Ælius Petus, surnommé Catus ou le Rusé, fut conservé comme le plus ancien des ouvrages de jurisprudence. L’étude des lois à laquelle se livra Caton, ainsi que son fils, ajouta quelque chose à sa réputation : trois hommes habiles sur ces matières illustrèrent le nom de Mutius Scævola ; mais la gloire d’avoir perfectionné la science des lois fut attribuée à Servius Sulpicius, leur disciple et l’ami de Cicéron ; et les noms respectables de Papinien, de Paul et d’Ulpien, terminent la longue liste des jurisconsultes qu’on vit briller du même éclat sous la république et sous les Césars. On a soigneusement conservé avec leurs noms les titres de leurs différents ouvrages : et l’exemple de Labéon peut donner une idée de leur zèle et de leur fécondité. Ce jurisconsulte distingué, qui vivait dans le siècle d’Auguste, divisait son année entre la ville et la campagne, entre le travail des affaires et celui de la composition : les auteurs indiquent quatre cents ouvrages, fruits de ses retraites. On cite le deux cent cinquante-neuvième écrit du recueil de Capiton, son rival ; et il y avait peu de professeurs qui pussent réduire leurs leçons en moins de cent volumes. Durant la troisième période, c’est-à-dire entre les règnes d’Alexandre et de Justinien, les oracles de la jurisprudence demeurèrent presque entièrement muets. La curiosité avait été satisfaite ; des tyrans ou des Barbares occupaient le trône ; les esprits ardents se trouvaient distraits par des disputes religieuses ; et les professeurs de Rome, de Constantinople et de Béryte, se contentaient humblement de répéter les leçons de leurs prédécesseurs, plus éclairés qu’eux. De la lenteur des progrès de ces études, et de la rapidité avec laquelle elles tombèrent, on peut conclure qu’elles ont besoin d’un état de paix, et de ce développement intellectuel qui en est la suite. D’après la multitude des auteurs en droit, dont les volumineux ouvrages peuvent être rangés dans la classe moyenne, il est évident que de pareilles études et de semblables ouvrages n’exigent qu’une dose commune de jugement, de talent et d’expérience. On sentit mieux le génie de Cicéron et de Virgile, à mesure qu’on vit les siècles s’écouler sans produire leur égal ; mais les maîtres de jurisprudence les plus célèbres étaient sûrs de laisser des disciples qui égaleraient ou qui surpasseraient leur mérite et leur réputation.

Au septième siècle de Rome, la philosophie grecque vint polir et perfectionner par son alliance cette jurisprudence, d’abord si grossièrement adaptée à la situation des premiers Romains. Les Scævola s’étaient formés par l’usage et l’expérience ; mais Servius Sulpicius fut le premier juriste qui établit son art sur une théorie certaine et universelle[54]. Pour discerner le vrai et le faux, il employa comme une règle infaillible la logique d’Aristote et des stoïciens. Il ramena les cas particuliers à des principes généraux, et répandit sur cette masse informe la lumière de l’ordre et de l’éloquence. Cicéron, son contemporain et son ami, ne chercha point la célébrité d’un juriste de profession ; mais il répandit sur la  jurisprudence de son pays l’éclat si flatteur de cet incomparable génie, qui change en or tout ce qu’il touche. A l’exemple de Platon il composa une république, et rédigea pour cette république, un traité des lois où il s’efforce d’attribuer à une origine céleste la sagesse et la justice de la constitution des Romains. L’univers entier, selon sa sublime hypothèse, ne forme qu’une immense république : les dieux et les hommes, qu’il suppose de la même essence, sont les membres de la même communauté ; les lois naturelles et le droit des gens sont fondés sur la raison ; et toutes les institutions positives, bien que modifiées par le hasard ou par la coutume, dérivent de la règle de justice gravée par la Divinité dans tous les cœurs vertueux. Il exclut doucement de ces mystères philosophiques les sceptiques qui refusent de croire, et les épicuriens qui ne veulent pas agir. Ces derniers dédaignant le soin de la république, il leur conseille de se livrer dans leurs bocages à un paisible sommeil ; mais il supplie humblement la nouvelle académie de demeurer muette, parce que, dit-il, ses audacieuses, objections détruiraient la structure si bien ordonnée de son grand système[55]. Il représente Platon, Aristote et Zénon, comme les seuls maîtres capables d’armer et de former un citoyen pour les devoirs de la vie sociale. On reconnut que la trempe la meilleure de ces diverses armures était celle des stoïciens[56], et les écoles de jurisprudence affectèrent de s’en servir ou de s’en parer. Les leçons Au portique apprenaient aux jurisconsultes romains à remplir les devoirs de la vie, à raisonner et à mourir ; mais elles leur inspiraient à quelques égards les préjugés de secte, l’amour du paradoxe, l’habitude de l’opiniâtreté dans la dispute, et un attachement minutieux aux mots et aux distinctions verbales. On voulut fonder le droit de propriété sur le principe de la supériorité de la forme sur la matière, et celui de l’égalité des crimes fut reconnu dans cette opinion de Trebatius[57], que celui qui touche l’oreille touche le corps entier ; que celui qui vole une partie d’un amas de blé ou d’un tonneau de vin, est aussi coupable que s’il avait volé le tout[58].

Chez les Romains, le métier des armes, l’éloquence et l’étude des lois civiles étaient également pour un citoyen le chemin des dignités de l’État ; et ces trois professions recevaient quelquefois un nouvel éclat de leur réunion dans la même personne. La science du préteur qui composait un édit, assurait à son opinion particulière une sorte de préférence et d’autorité : le respect disposait à pencher pour celle d’un censeur ou d’un consul ; et les vertus ou les triomphes d’un jurisconsulte donnaient du poids à une interprétation peut-être douteuse. Le voile du mystère servit longtemps l’adresse des patriciens ; et dans des temps plus éclairés, la liberté des discussions établit les principes généraux de la jurisprudence. Les disputes du Forum éclaircirent les cas subtils et embrouillés ; on admit des règles, des axiomes et des définitions[59] émanés de la raison naturelle, et l’opinion des professeurs de la loi influa sur la pratique des tribunaux ; mais ces interprètes ne pouvaient ni faire ni exécuter les lois de la république, et les juges pouvaient dédaigner l’autorité des Scævola eux-mêmes, souvent renversée par l’éloquence et les sophismes d’un habile avocat[60]. Auguste et Tibère furent les premiers à adopter la science des hommes de loi comme un instrument utile à leur pouvoir, et les serviles travaux de ceux-ci adaptèrent l’ancien système à l’esprit et aux vues du despotisme. Sous le prétexte spécieux de maintenir la dignité de l’art, on statua que les seules opinions valides et reçues en justice seraient celles qui auraient été signées par des sages du rang de sénateur ou de l’ordre équestre, et approuvées par le jugement du prince ;  ce monopole subsista jusqu’à l’époque où l’empereur Adrien rendit cette profession libre à tous les citoyens qui se croyaient des lumières et du talent. Le préteur, malgré son autorité, fut alors gouverné par ses maîtres ; on enjoignait aux juges de suivre le commentaire ainsi que l’esprit de la loi ; et l’usage des codicilles fut une innovation mémorable qu’Auguste ratifia d’après l’avis des jurisconsultes[61].

Le prince le plus absolu ne pouvait exiger autre chose, sinon que les juges fussent d’accord avec les gens de loi, si les gens de loi étaient d’accord entre eux ; mais les institutions positives sont souvent le résultat de la coutume et du préjugé ; les lois et les langues sont équivoques et arbitraires ; et là où la raison ne peut prononcer, la jalousie des rivaux, la vanité des maîtres, l’aveugle attachement de leurs disciples, augmentent l’amour de la dispute. Les sectes autrefois fameuses des Proculiens et des Sabiniens divisèrent la jurisprudence romaine[62]. Deux jurisconsultes très habiles, Meius Capiton et Antistius Labéon[63], firent honneur au paisible règne d’Auguste : la faveur du souverain distingua le premier ; le second fut encore plus illustre par le mépris de cette faveur, et son opiniâtre bien qu’inactive résistance au tyran de Rome. La différence de leur caractère et de leurs principes influa sur leurs études. Labéon tenait aux formes de l’ancienne république : son rival, plus adroit, adoptait l’esprit de la monarchie naissante. Mais le courtisan est naturellement soumis et servile ; Capiton osa rarement s’écarter de l’opinion ou du moins des paroles de ses prédécesseurs, tandis que, sans s’effrayer du paradoxe et de l’innovation, le hardi républicain se livrait à ses idées indépendantes. Toutefois la liberté de Labéon était asservie à la rigueur de ses principes ; et il décidait, selon la lettre de la loi les questions que son indulgent compétiteur résolvait avec une latitude d’équité plus analogue à la raison commune et aux sentiments ordinaires des hommes. Dans un échange raisonnable substitué au paiement d’une somme d’argent, Capiton voyait toujours un marché légal[64] ; et il prononçait sur l’âge de puberté d’après la nature, sans borner sa définition à l’époque précise de douze ou quatorze ans[65]. Cette opposition de sentiments se répandit dans les écrits et les leçons des deux fondateurs : la querelle des écoles de Capiton et de Labéon subsista depuis le règne d’Auguste jusqu’à celui d’Adrien[66], et les deux sectes tirèrent leur nom de Sabinius et de Proculeius, leurs maîtres les plus célèbres. On leur donna de plus celui de Cassiens et de Pégasiens ; mais, par un renversement bizarre, Pégase[67], timide esclave de Domitien, défendait la cause populaire ; et le favori des Césars était représenté par Cassius[68], qui se faisait gloire de descendre de Cassius, le meurtrier du tyran de sa patrie. L’Édit perpétuel termina en grande partie les disputes des deux sectes. L’empereur Adrien, pour cet important ouvrage, préféra les chefs des Sabiniens ; les partisans de la monarchie l’emportèrent, mais la modération de Salvius Julien réconcilia peu à peu les vainqueurs et les vaincus. Les jurisconsultes du siècle des Antonins imitèrent les philosophes de leur temps ; ils dédaignèrent l’autorité d’un maître, et prirent dans chaque système les opinions qui leur parurent les plus vraisemblables[69] ; mais leurs écrits auraient été moins volumineux s’il y eût eu plus d’accord dans leur choix. Le nombre et le poids des témoignages discordants embarrassaient la conscience des juges ; et un nom respectable venait à l’appui de tous les décrets que leur suggéraient la passion et l’intérêt. Un édit commode de Théodose le Jeune les dispensa du soin de comparer et de peser les arguments des jurisconsultes. Cinq d’entre eux, Caïus, Papinien, Paul, Ulpien et Modestinus, furent proclamés les oracles de la jurisprudence. L’opinion de trois d’entre eux était décisive ; mais, dans le cas où chacun aurait un avis particulier, on accorda une voix prépondérante à la sagesse supérieure de Papinien[70].

Lorsque Justinien monta sur le trône la réforme des lois romaines était devenue un travail indispensable, mais difficile. Dans l’espace de dix siècles, le nombre infini des lois et des opinions des jurisconsultes avait rempli des milliers de volumes que l’homme le plus riche ne pouvait acheter, et que la tête la plus vaste ne pouvait contenir. On ne se procurait pas aisément des livres ; et les juges, pauvres au milieu de tant de richesses, étaient réduits à prononcer d’après leur prudence mal instruite. Les sujets des provinces grecques ignoraient la langue de ces lois qui disposaient de leurs propriétés et de leur vie ; et le dialecte barbare des Latins était assez mal enseigné dans les académies de Béryte et de Constantinople. Justinien, né au milieu des camps de l’Illyrie, était familiarisé avec ce langage dès son enfance : il avait dans sa jeunesse étudié la jurisprudence, et il choisit pour travailler avec lui à la réforme les plus savants jurisconsultes de l’Orient[71]. La théorie des professeurs fut aidée par la pratique des avocats et l’expérience des magistrats, et l’esprit de Tribonien anima toute l’entreprise[72]. Cet homme extraordinaire, objet de tant d’éloges et de critiques, était né a Side dans la Pamphylie ; et son génie, semblable à celui de Bacon, embrassa comme son domaine toutes les affaires et toutes les connaissances de son siècle, Il écrivit en prose et en vers sur une multitude de faits curieux et abstraits[73] : il composa deux panégyriques de Justinien et la vie du philosophe Théodote ; il publia un livre sur la nature du bonheur et les devoirs du gouvernement ; le Catalogue d’Homère et les vingt-quatre sortes de mètres ; le Canon astronomique de Ptolémée ; les Phases de la Lune les Demeures des Planètes, et, le Système harmonique du monde. A la littérature de la Grèce, il joignait l’usage de la langue latine. Les jurisconsultes romains étaient dans sa bibliothèque et dans sa tête, et il cultivait assidûment les arts qui menaient à la fortune et aux emplois. De la barre des préfets du prétoire il parvint aux dignités de questeur, de consul et de maître des Offices : il fit entendre dans les conseils de Justinien la voix de la sagesse et de l’éloquence, et l’envie se laissa apaiser par la douce affabilité de ses manières. Les reproches d’impiété et d’avarice ont souillé ses vertus ou du moins sa réputation. Au milieu d’une cour superstitieuse et intolérante, on accusa le principal ministre d’une aversion secrète pour la foi chrétienne ; et on lui supposa les opinions d’athéisme et de paganisme imputées avec assez d’inconséquence aux derniers philosophes de la Grèce. Son avarice fut prouvée plus clairement et eut des suites plus funestes. S’il se laissa corrompre par des présents dans l’administration de la justice, on se souviendra encore de Bacon. Si Tribonien dégrada la pureté de son état, et s’il publia, modifia ou révoqua des lois par des vues d’intérêt particulier, son mérite ne peut expier sa bassesse. Lors de la sédition de Constantinople, on accorda son éloignement aux clameurs et peut-être à la juste indignation du peuple, mais on le rappela bientôt après ; et depuis cette époque jusqu’à sa mort, c’est-à-dire durant plus de vingt ans ; il jouit de la faveur et de la confiance de l’empereur. Sa soumission passive et respectueuse a été honorée des éloges de Justinien lui-même, trop vain pour apercevoir à quelles grossières flatteries descendait quelquefois cette soumission. Tribonien adorait les vertus de son gracieux maître, et, regardant la terre comme indigne d’un tel prince, témoignait une pieuse frayeur de voir un jour Justinien, comme Élie ou Romulus, enlevé au milieu des airs et transporté vivant dans les régions de la gloire éternelle[74].

Si Jules César eût exécuté la réforme des lois romaines, son génie créateur, éclairé par la réflexion et l’étude, aurait donné au genre humain un véritable et nouveau système de jurisprudence ; mais quels que fussent les éloges de la flatterie, l’empereur d’Orient craignait de présenter son opinion particulière pour le modèle de l’équité. Dans l’exercice de la puissance législative ; il empruntait les secours que lui offraient le temps et l’opinion publique ; et ses compilations laborieuses ont pour appui les lumières et les législateurs des temps antérieurs. Au lieu d’une statue jetée dans un seul moule par la main d’un grand maître, les ouvrages de Justinien représentent une marqueterie composée de fragments antiques et d’un grand prix, mais trop souvent sans aucun rapport entre eux. La première année de son règne, il ordonna à Tribonien et à neuf autres citoyens versés dans les lois de revoir les ordonnances de ses prédécesseurs contenues dans le code Grégorien et ceux d’Hermogène et de Théodose, d’en faire disparaître les erreurs et les contradictions, de retrancher tout ce qui était tombé en désuétude ou superflu, et d’en tirer tout ce qu’il y avait de lois sages et salutaires, capables de s’adapter à la pratique de ses tribunaux et aux besoins de ses sujets. Ce travail fut achevé en quatorze mois, et il est probable qu’en faisant douze livres ou tables de ce recueil, les nouveaux décemvirs eurent pour objet d’imiter les premiers. Le nouveau CODE fût honoré du nom de Justinien et signé par lui : les notaires et les scribes en multiplièrent les copies, qui furent revêtues d’un caractère d’authenticité ; on les transmit aux magistrats des provinces de l’Europe, de l’Asie, et ensuite à ceux de l’Afrique ; et ces lois de l’empire furent publiées à la porte de l’église les jours de fêtes solennelles. Il restait un travail plus difficile : il fallait des décisions et des conjectures, des questions et des disputes des gens de loi, tirer l’esprit de la jurisprudence. Dix-sept jurisconsultes, présidés par Tribonien, furent revêtus d’une juridiction absolue sur les ouvrages, de leurs prédécesseurs. Dix ans n’eussent point semblé à Justinien un temps trop long pour un pareil travail ; le DIGESTE ou les PANDECTES[75] se trouvèrent composés en trois ans, et c’est au plus ou moins de mérite de l’exécution à décider de ce qu’une pareille rapidité peut mériter d’éloges ou de censures. On choisir, dans la bibliothèque de Tribonien, quarante des plus habiles jurisconsultes des premiers temps[76] ; on renferma dans cinquante livres l’abrégé de deux mille traités, et on a eu soin d’instruire la postérité que trois millions de lignes ou de sentences[77] se trouvèrent réduites dans ces extraits au modeste nombre de, cent cinquante mille. Ce grand ouvrage ne parut qu’un mois après les INSTITUTES, et il était en effet raisonnable de donner les éléments avant le Digeste des lois romaines. Lorsque Justinien eut approuvé les travaux des membres de cette commission, il donna à leurs opinions, en vertu de son pouvoir législatif, la sanction qui les consacrait : leurs commentaires, sur les Douze-Tables, sur l’Édit perpétuel, sur les lois du peuple et sur les décrets du sénat, remplacèrent l’autorité du texte ; et ce texte fut abandonné comme un respectable mais inutile monument de l’antiquité. Le Code, les Pandectes et les Institutes, devinrent le seul système légal de jurisprudence : on les admit seuls dans les tribunaux ; on les enseigna seuls dans les académies de Rome, de Béryte et de Constantinople. Justinien adressa au sénat et aux provinces ses éternels oracles, et, couvrant son orgueil du masque de la piété, attribua aux secours et à l’inspiration de Dieu l’exécution de ce grand dessein.

Justinien n’ayant point recherché le mérite ni les dangers d’une composition originale, nous ne pouvons exiger de lui que de la méthode, un bon choix  et de la fidélité, modestes mais indispensables qualités d’un compilateur. Entre les différentes combinaisons d’idées que présentent ses trois ouvrages, il est difficile de trouver de quoi asseoir un motif raisonnable de préférence ; mais comme il emploie dans chacun des trois une méthode différente, il est possible qu’elles soient toutes mauvaises ; et il est sûr qu’il ne peut y en avoir deux de bonnes. Dans le choix des anciennes lois, il semble, avoir vu ses prédécesseurs sans jalousie, et montre pour tous les mêmes égards : la suite n’en pouvait remonter plus haut qu’Adrien, et le consentement général du genre humain avait aboli les distinctions entre le christianisme et le paganisme qu’avait établies la superstition de Théodose ; mais la jurisprudence des Pandectes est circonscrite dans une période de cent ans, depuis l’Édit perpétuel jusqu’à la mort d’Alexandre-Sévère. On y cite rarement les paroles des légistes qui vécurent sous les premiers Césars ; on n’y trouve que trois noms du temps de la république. Le favori de Justinien (on le lui a violemment reproché) craignit de rencontrer la lumière de la liberté et la gravité des sages Romains. Tribonien condamna à l’oubli la sagesse naturelle de Caton, de Scævola et de Sulpicius, tandis qu’il invoquait des esprits plus analogues au sien, les Syriens, les Grecs et les Africains, qui se rendaient en foule à la cour impériale pour étudier le latin comme une langue étrangère, et la jurisprudence comme une profession lucrative. Au reste, le prince avait recommandé à ses ministres de travailler[78], non pour la curiosité des amateurs de l’antiquité, mais pour l’avantage de ses sujets : ils devaient choisir celles des lois romaines qui étaient utiles et praticables ; et les écrits des vieux républicains, malgré leur mérite et leur intérêt, ne convenaient plus à un nouveau système de mœurs, de religion et de gouvernement. Si les maîtres et les amis de Cicéron vivaient encore, la bonne foi nous obligerait peut-être d’avouer qu’excepté sous le rapport de la pureté du langage[79], ils ont été surpassés en mérite par l’école de Papinien et d’Ulpien. La science des lois est le fruit tardif du temps et de l’expérience, et il se trouve naturellement que les auteurs les plus récents ont l’avantage de la méthode et des matériaux. Les jurisconsultes du règne des Antonins avaient étudié les ouvrages de leurs prédécesseurs ; leur esprit philosophique, en même temps qu’il les avait élevés au-dessus des jalousies et des préjugés de secte, avait adouci la rigueur des anciens temps et simplifié la forme des procédures. Le choix des autorités qui devaient composer, les Pandectes dépendait de Tribonien ; mais son souverain, avec toit son pouvoir, ne pouvait l’affranchir des devoirs que lui imposaient la vérité et la fidélité. En qualité de législateur de l’empire, Justinien pouvait révoquer les lois des Antonins, ou condamner comme séditieux les principes de liberté des premiers légistes de Rome[80] ; mais l’autorité d’un despote ne peut rien sur les faits passés ; et l’empereur fut coupable de fraude et de faux, lorsqu’il corrompit l’intégrité de leur texte, lorsqu’il attacha ces noms vénérables aux paroles et aux idées d’un règne servile[81], et lorsqu’il usa de son pouvoir pour supprimer les textes authentiques où se trouvaient exprimés leurs véritables sentiments. La nécessité de l’uniformité a servi de prétexte pour excuser les changements et les interpolations de Tribonien et de ses collègues ; mais ces soins ont été insuffisants, et les antinomies ou contradictions du Code et des Pandectes exercent toujours la patience et la subtilité des jurisconsultes modernes[82].

Les ennemis de Justinien ont répandu un bruit qui n’est appuyé d’aucun témoignage : on prétendit que l’auteur des Pandectes avait brûlé, les lois de l’ancienne Rome ; dans cette orgueilleuse idée qu’elles étaient devenues inapplicables ou superflues ; sans se charger d’un rôle si odieux, il put confier à l’ignorance et au temps l’accomplissement de ce vœu destructeur. Avant l’invention de l’imprimerie et du papier, les riches seuls pouvaient payer le travail et la matière des manuscrits ; et l’on petit raisonnablement calculer le prix des livres à cette époque à cent fois leur valeur actuelle[83]. Les copies se multipliaient lentement, et on l’es renouvelait avec précaution ; l’appât du gain excitait des copistes sacrilèges à effacer les caractères de l’antiquité ; et Sophocle ou Tacite étaient contraints d’abandonner à des missels, à des homélies et à la légende dorée, le parchemin qui renfermait leurs chefs-d’œuvre[84]. Si ce fut le sort des plus belles compositions &i- génie, il est aisé de voir ce qu’on dut se permettre sur les lourds et stériles ouvragés d’un art qu’on ne cultivait plus. Les livres de jurisprudence intéressaient peu de monade, et n’amusaient personne ; l’usage du moment faisait leur valeur, et ils tombaient polir jamais des l’instant où les innovations de la mode, un mérite supérieur et l’autorité publique, les rendaient inutiles. A l’époque de savoir et de paix qui s’écoula entre Cicéron et le dernier des Antonins, on comptait déjà un très grand nombre de pertes en ce genre ; des écrivains qui avaient été les lumières de l’école et du Forum, n’étaient plus connus que des curieux, et ceux-ci même ne les connaissaient que par tradition. Trois cent soixante années de désordre et de décadence accélérèrent les progrès de l’oubli, et il y a lieu de croire que de ces écrits qu’on reproche à Justinien d’avoir négligés, la plupart ne se trouvaient plus dans les bibliothèques de l’Orient[85]. Les copies de Papinien et d’Ulpien, que le réformateur avait proscrites, ne furent plus jugées dignes d’attention ; les Douze-Tables et l’Édit prétorien disparurent peu à lieu, et l’envie et l’ignorance des Grecs dédaignèrent ou détruisirent les monuments de l’ancienne Rome. Les Pandectes elles-mêmes n’ont échappé au naufrage qu’avec beaucoup de peines et de dangers, et la critique a prononcé que toutes les éditions et tous les manuscrits de l’Occident étaient tirés d’un seul original[86]. On le transcrivit à Constantinople au commencement du septième siècle[87] ; les mouvements de la guerre et du commerce le portèrent successivement à Amalfi[88], à Pise[89], à Florence[90] ; et il est aujourd’hui déposé, comme un monument précieux[91], dans l’ancien palais de la république[92].

Le premier soin d’un réformateur est d’empêcher les réformes après lui. Afin de maintenir le texte des Pandectes, du Code et des Institutes, Justinien défendit rigoureusement l’usage des chiffres et des abréviations ; et, se souvenant que le nombre des commentateurs avait accablé l’Édit perpétuel, il déclara qu’on punirait comme des faussaires les jurisconsultes qui oseraient, interpréter ou pervertir le texte de la volonté du souverain. Si on observait cette loi, il faudrait punir d’un grand nombre de crimes les élèves d’Accurse, de Barthole et de Cujas, à moins qu’ils n’osassent contester au prince qui l’a publié le droit de borner l’autorité de ses successeurs et la liberté naturelle de l’esprit. Au reste, Justinien ne pouvait fixer sa propre inconstance ; et tandis qu’il se vantait de changer, comme Diomède, l’airain en or[93], il aperçut la nécessité de purifier son or de beaucoup de matières d’un moindre aloi. Six ans ne s’étaient pas écoulés depuis la publication du Code, lorsqu’il déclara la première édition imparfaite, en en faisant faire une nouvelle plus soignée. Il ajouta à celle-ci deux cents de ses propres lois, et cinquante décisions sur les points les plus obscurs et les plus épineux de la jurisprudence. Chaque année, ou selon Procope, chaque jour de ce long règne fut marqué par une innovation dans quelque point de la législation. Il révoqua lui-même plusieurs de ses lois ; ses successeurs en rejetèrent beaucoup d’autres ; le temps en fit disparaître un grand nombre ; mais seize ÉDITS et cent soixante-huit NOVELLES[94] ont été admis dans le recueil authentique de la jurisprudence civile. Un philosophe supérieur aux préjugés de son état a pensé qu’on ne pouvait expliquer ces variations perpétuelles, et la plupart du temps sur des choses de si petite importance, que parla vénalité d’un prince qui vendait sans rougir ses jugements et ses lois[95]. L’accusation de l’historien secret est formelle et véhémente, il est vrai ; mais on peut attribuer à la dévotion de ce prince, aussi bien qu’à son avariée, le seul trait que cite Procope. Un riche dévot avait légué son héritage à l’église d’Émèse ; et la valeur de cette succession avait été augmentée par un habile faussaire, qui avait contrefait la signature des habitants de la Syrie les plus aisés, sur des reconnaissances de dettes et des promesses de paiement. Les Syriens faisaient valoir une prescription de trente ou quarante années ; mais ce moyen de défense fut détruit par une loi rétroactive qui donnait aux droits de l’Église l’étendue d’un siècle, loi si favorable à l’injustice et aux désordres, qu’on la révoqua prudemment dans le même règne[96], lorsqu’elle eut rempli l’objet qu’on avait en vue en la publiant. Si l’on pouvait, pour disculper l’empereur, rejeter la corruption sur sa femme et sur ses favoris, le soupçon d’un vice si bas dégraderait encore la majesté de ses lois ; et les défenseurs de Justinien doivent reconnaître qu’une pareille légèreté, quel qu’en ait été le motif, fut indigne d’un législateur et même d’un homme.

Les monarques daignent rarement se prêter à instruire leurs sujets, et l’on doit quelques éloges à Justinien d’avoir fait réduire un grand système en un traité élémentaire de peu d’étendue. Parmi les diverses Institutes des lois romaines[97], celles de Caïus[98] étaient les plus usitées, en Orient et en Occident, et leur crédit peut être considéré comme une preuve de leur mérité. Le choix en fut fait par Tribonien, Théophile et Dorothée, délégués de l’empereur : on mêla à la liberté et à la pureté du siècle des Antonins les idées plus grossières d’un siècle dégénéré. Ce volume, qui disposait la jeunesse de Rome, de Constantinople et de Béryte, à l’étude graduelle du Code et des Pandectes, est encore précieux pour l’historien, le philosophe et le magistrat. Les INSTITUTES de Justinien sont divisées en quatre livres : la méthode en est assez bonne ; après avoir traité, 1° des personnes ; elles parlent, 2° des choses ; elles passent des choses, 3° aux actions, et les principes des lois criminelles terminent l’article IV sur les injures privées.

I. La distinction des rangs et des personnes est la base la plus solide d’un gouvernement mixte et limité. En France, le courage, les honneurs et même les préjugés de cinquante mille nobles, entretiennent les restes de la liberté[99]. Deux cents familles, qui de père en fils forment la seconde branche de la législature de la Grande-Bretagne, maintiennent la balance de la constitution entre le roi et les communes de l’Angleterre. Une gradation de patriciens et de plébéiens, d’étrangers et de sujets, a soutenu l’aristocratie de Gênes, de Venise et de l’ancienne Rome. La parfaite égalité des hommes est le point sur lequel se confond le dernier degré de la démocratie et du despotisme, puisque la majesté du prince ou celle du peuple serait blessée si quelques têtes s’élevaient au-dessus du niveau de leurs compagnons d’esclavage ou de concitoyens. Au déclin de l’empire de Rome, les orgueilleuses distinctions de la république s’anéantirent peu à peu, et la raison ou l’instinct de Justinien acheva de donner au gouvernement les formes simples d’une monarchie absolue. Il ne pouvait déraciner ce respect populaire toujours attaché à la richesse transmise de père en fils, ou à la mémoire d’aïeux célèbres. Il se plut à relever, par des titres et des traitements considérables, les généraux, les magistrats et les sénateurs, et ses faveurs passagères faisaient passer sur leurs femmes et leurs enfants quelques rayons de leur gloire. Mais aux yeux de la loi tous les citoyens de Rome étaient égaux, et tous les sujets de l’empire étaient citoyens de Rome. Cette qualité, qui avait été jadis d’un prix inestimable, n’était plus qu’un titre vain et hors d’usage. Un Romain n’avait plus de part à la législation et ne pouvait plus nommer les ministres annuels de son pouvoir. Les droits dont il était revêtu par la constitution auraient gêné la volonté absolue d’un maître, et on accordait à des aventuriers de l’Allemagne ou de l’Arabie l’autorité civile et militaire, réservée jadis au seul citoyen sur les conquêtes de ses aïeux. Les premiers Césars avaient maintenu avec scrupule la distinction entre les extractions libres et les extractions serviles, qu’on déterminait d’après l’état de la mère ; et les lois étaient satisfaites si elle avait eu un seul moment sa liberté entre la conception et l’accouchement. Les esclaves, à qui un maître généreux rendait la liberté, entraient tout de suite dans la classe des libertini, ou affranchis ; mais rien ne pouvait jamais les dispenser des devoirs de l’obéissance et de la gratitude, quelle que fût la fortune qu’ils avaient acquise par leur industrie. A leur mort, leur patron et sa famille avaient droit au tiers et même à la totalité de l’héritage lorsqu’ils mouraient sans enfants, et sans avoir fait de testament. Justinien respecta les droits des patrons, mais il fit disparaître la flétrissure des deux espèces inférieures d’affranchis ; quiconque cessait d’être esclave, obtenait sans réservé ou sans délai la qualité de citoyen ; et enfin la toute-puissance de l’empereur leur donna ou leur supposa la dignité d’une naissance libre. Pour réprimer l’abus des affranchissements et prévenir l’accroissement trop rapide des Romains de la dernière classe, et dévoués à la misère, il s’était introduit plusieurs réglés sur l’âge et le nombre de ceux qu’on pouvait affranchir, sur les formes qu’on suivait dans leur émancipation ; il abolit enfin toutes ces règles, et l’esprit de ces lois favorisa l’extinction de la servitude domestique. Cependant les provinces de l’Orient étaient encore remplies, sous son règne, d’une multitude d’esclaves nés ou achetés pour l’usage de leurs maîtres, et dont l’âge, la force et l’éducation, déterminaient le prix, qui variait de dix à soixante-dix pièces d’or[100] ; mais l’influence du gouvernement et celle de la religion diminuaient sans cesse les maux de cet état de servitude, et un sujet de l’empire ne pouvait plus s’enorgueillir d’exercer une autorité absolue sur la vie et, le bonheur de son esclave[101].

La loi de la nature instruit la plupart des animaux à nourrir et à élever leurs enfants ; la loi de la raison enseigne aux hommes en retour, les devoirs de la piété filiale ; mais l’autorité exclusive, absolue et perpétuelle du père sur ses enfants, est particulière à la jurisprudence des Romains[102], et elle paraît aussi ancienne que la fondation, de la ville[103]. Romulus lui-même établit ou confirma la puissance paternelle ; et après une expérience de trois siècles, elle fut inscrite sur la quatrième table des décemvirs. Au Forum, au sénat ou dans les camps, le fils adulte d’un citoyen de Rome jouissait des droits publics et privés d’une personne, mais dans la maison de son père il n’était qu’une chose. Les lois le mettaient dans la classe des meubles, du bétail et des esclaves, qu’un maître capricieux pouvait aliéner ou détruire sans répondre de sa conduite à aucun tribunal humain. La main qui lui fournissait la subsistance journalière pouvait l’en priver ; et tout ce que le fils acquérait par le travail ou la fortune se confondait à l’instant même dans la propriété du père. L’action par laquelle celui-ci réclamait contre un vol, soit qu’il s’agit de ses bœufs, soit qu’il s’agit de ses enfants, était la même[104] ; et si le bœuf ou l’enfant avait commis un délit, il dépendait de lui de réparer le dommage ou de livrer à la partie injuriée l’animal coupable. Le chef de famille indigent ou avare pouvait également disposer de ses enfants et de ses esclaves ; mais la condition de l’esclave était la moins désavantageuse, puisque le premier affranchissement lui rendait sa liberté. Le fils, au contraire, rentrait alors sous l’empire d’un père dénaturé, qui pouvait le condamner à la servitude, une seconde et une troisième fois ; et ce n’est qu’après avoir été trois fois vendu et affranchi[105], qu’il était délivré de ce pouvoir paternel, dont on avait si souvent abusé contre lui. Un père punissait à volonté les fautes réelles ou imaginaires de ses enfants par la peine du fouet, de la prison, de l’exil ; il les reléguait à la campagne, et les y faisait travailler enchaînés comme les derniers des esclaves. La dignité paternelle était même armée du droit de vie et de mort[106] ; et on rencontre dans les annales de Rome, jusque par-delà les temps de Pompée et d’Auguste, des exemples de ces exécutions, qu’on y voit quelquefois vantées et jamais punies. Ni l’âge, ni le rang, ni la dignité de consul, ni les honneurs du triomphe, ne pouvaient soustraire le citoyen le plus illustre aux liens de la servitude filiale[107] ; ses descendants se trouvaient compris dans la famille de leur commun ancêtre, et les droits que donnait l’adoption n’étaient ni moins sacrés ni moins rigoureux que ceux de la nature. C’était sans crainte, mais non pas sans danger, que les législateurs de Rome s’étaient entièrement reposés sur les sentiments de l’amour paternel, et la certitude qu’avait chaque génération d’arriver à son tour à l’importante dignité de père et de maître, servait à adoucir les maux d’une semblable oppression.

On attribue à la justice et à l’humanité de Numa la première restriction mise à l’autorité paternelle ; la jeune fille qu’avait épousé un citoyen de l’aveu du père de celui-ci, n’avait plus à craindre de devenir la femme d’un esclave. La vente des enfants dut être commune dans les premiers siècles, lorsque les peuples du Latium et de la Toscane resserraient et souvent affamaient la ville ; mais la loi ne permettant pas à un citoyen de Rome d’acheter la liberté de son concitoyen, ces ventes diminuèrent peu à peu, et les conquêtes de la république durent anéantir cet odieux commerce. Enfin on communiqua aux enfants un droit imparfait de propriété, et la jurisprudence du Code et des Pandectes détermine trois espèces de pécule, sous le nom de profectitius, adventitius et professionalis[108]. Lorsque le père semblait accorder à ses enfants une partie de sa propriété, il n’en donnait que l’usufruit et s’en réservait le domaine absolu : toutefois lorsqu’on vendait ses biens, d’après une interprétation favorable qui était devenue une coutume, la portion de ses enfants était exceptée des droits des créanciers. Le fils avait la propriété de tout ce qu’il acquérait par mariage, par des dons, par des successions collatérales ; mais le père en avait l’usufruit durant sa vie, à moins qu’il n’eût été exclu de cette jouissance d’une manière formelle. On crut devoir à la prudence autant qu’à la justice de récompenser la valeur militaire par la propriété libre et absolue des dépouilles de l’ennemi : le soldat seul pouvait en disposer. Le même principe s’étendait à toute espèce de gain obtenu dans une profession libérale, à tout salaire pour un service public, aux libéralités sacrées de l’empereur ou de l’impératrice. La vie d’un citoyen était moins exposée que sa fortune à l’abus de l’autorité paternelle. Cependant sa vie pouvait contrarier les intérêts ou les passions d. un père vicieux : les crimes que dut produire la corruption du siècle d’Auguste furent alors aussi ressentis plus vivement par l’humanité ; et il fallut que l’empereur enlevât à la juste fureur de la multitude le cruel Érixon, qui avait fait battre son fils de verges jusqu’à la mort[109]. Les pères qui avaient jusqu’alors exercé un empire absolu et capricieux sur leurs enfants, furent réduits à la gravité et à la modération d’un juge. La présence et l’opinion d’Auguste confirmèrent le décret d’exil prononcé contré un parricide d’intention commis par Arius dans l’exercice de son pouvoir domestique. Adrien relégua dans une île un père jaloux, qui, semblable à un voleur, avait profité d’un temps de chasse pour assassiner un jeune homme, amant incestueux de sa belle-mère[110]. Une juridiction domestique répugne à l’esprit de la monarchie ; le père perdit encore l’autorité de juge ; et ne conserva plus que celle d’accusateur, et Alexandre-Sévère enjoignit aux magistrats d’écouter ses plaintes et d’exécuter sa sentence. Il ne pouvait plus tuer son fils sans encourir la peine décernée contre les meurtriers ; et Constantin le soumit enfin au châtiment des parricides, dont l’avait affranchi la loi Pompeia[111]. On doit la même protection à toutes les époques de la vie d’un enfant, et il faut donner des éloges à Paulus, qui déclare meurtrier le père qui étrangle, laisse mourir de faim, abandonne ou expose sur une place publique les enfants nouveau-nés. Au reste, l’exposition des enfants était un abus enraciné dans toute l’antiquité. Elle fut quelquefois ordonnée, souvent permise, et presque toujours pratiquée impunément, même dans les pays où l’on n’eut jamais sur la puissance paternelle les idées qu’on avait à Rome ; et les auteurs dramatiques, ceux de tous qui cherchent le plus à émouvoir le cœur humain, parlent avec indifférence d’une coutume populaire que palliaient les motifs de l’économie et de la compassion[112]. Si le père venait à bout de triompher de ses émotions, il échappait sinon à la censure, du moins à la peine décernée par les lois ; et l’empire romain fût souillé du sang de ces malheureuses victimes, jusqu’à l’époque où Valentinien et ses collègues comprirent ces sortes de meurtres dans la lettre et l’esprit de la loi Cornelia. Les leçons de la jurisprudence[113] et du christianisme n’avaient pu détruire cet usage inhumain, et il ne disparut que lorsque la crainte de la peine capitale vint à l’appui d’une influence moins impérieuse[114].

L’expérience a prouvé que ce sont les sauvages qui tyrannisent les femmes, et que les progrès de la civilisation adoucissent d’ordinaire la condition de celles-ci. Dans l’espoir d’obtenir des enfants robustes, Lycurgue avait différé l’époque du mariage : Numa la fixa à douze ans : afin que l’époux pût élever à sa fantaisie une jeune vierge encore innocenté et docile[115]. L’époux, selon la coutume de l’antiquité, achetait sa femme, et celle-ci remplissait la coemption en achetant, avec trois pièces de cuivre, le droit d’entrer dans la maison et la protection des pénates du mari : les pontifes présentaient des fruits aux dieux, en présence, de dix témoins ; les deux époux s’asseyaient sur la même peau de mouton ; ils mangeaient un gâteau salé de far (de froment) ou de riz ; et cette confarréation[116], qui rappelait l’ancienne nourriture de l’Italie, était l’emblème de l’union mystique de leur esprit et de leur corps : mais la femme s’assujettissait à une union sévère et inégale ; elle renonçait au nom et aux pénates de son père, pour embrasser une nouvelle servitude, décorée seulement du titre d’adoption. Une fiction de la loi, contraire à la raison et aux idées des peuples polis, donnait à la mère de famille (bien qu’on la nommât ainsi)[117] le caractère de sœur de ses propres enfants, et de fille de son mari ou de son maître qui, en cette qualité, acquérait toute la plénitude du pouvoir paternel : il approuvait, il censurait, il punissait la conduite de sa femme, d’après sa volonté, ou plutôt d’après son caprice ; il exerçait un droit de vie et de mort applicable aux cas d’adultère ou d’ivrognerie[118]. Les biens qu’elle acquérait ou dont elle héritait, appartenaient à son maître ; et la femme se trouvait bien clairement comprise dans la classe des choses, et non dans celle des personnes, puisqu’à défaut de titre originaire, on pouvait la réclamer ainsi que les autres meubles, d’après l’usage et la possession d’une année entière. A Rome, le devoir conjugal, que les lois d’Athènes et les lois juives avaient fixé avec tant de soin[119], dépendait du mari ; mais la polygamie était inconnue ; il ne pouvait jamais admettre à sa couche une autre femme plus belle et plus favorisée.

Lorsque Rome eut triomphé des Carthaginois, les matrones réclamèrent les avantages d’une république libre et opulente : leurs vœux furent remplis par l’indulgence des pères et des amants, et la gravité de Caton le Censeur s’opposa, vainement à leur ambition[120]. Elles se débarrassèrent des anciennes formalités de la noce ; elles éludèrent la prescription annuelle, en s’absentant trois jours, et les termes de leur contrat de mariage, moins tyranniques et mieux déterminés, ne leur ôtèrent plus leur nom ni leur indépendance : elles donnaient à l’époux l’usufruit de leur fortune particulière, mais elles en gardaient la propriété : un mari prodigue ne pouvait ni aliéner ni engager leurs biens. L’inquiétude des lois interdisait aux époux les dons mutuels, et l’inconduite de l’une des parties donnait lieu, sous un autre nom, à une action de vol. Les cérémonies religieuses et civiles n’étaient plus de l’essence de ce contrat devenu si relâché et si volontaire ; et entre les personnes de même rang, la communauté apparente d’habitation passait pour une preuve suffisante de mariage. Les chrétiens, qui ne croyaient pouvoir attendre les biens spirituels que des prières des fidèles et de la bénédiction du prêtre ou de l’évêque, rétablirent la dignité du mariage. La tradition de la synagogue, les préceptes de l’Évangile, les canons des synodes généraux ou provinciaux[121], réglèrent l’origine, la validité, et les devoirs de cette sainte institution ; et la conscience des chrétiens fut tenue en respect par les décrets et les censures ecclésiastiques. Cependant les magistrats de Justinien ne furent pas assujettis à l’autorité de l’Église : l’empereur consulta les légistes de l’antiquité païenne ; et ce fut d’après les motifs humains de la justice, de la politique et de la liberté naturelle des deux sexes, que l’on se détermina pour le choix des lois matrimoniales insérées dans le Code et dans les Pandectes[122].

Outre l’accord des parties, essence de tout contrat raisonnable, le mariage, chez les Romains, exigeait l’aveu des parents. On pouvait, d’après les lois récentes, forcer le père à subvenir aux besoins d’une fille arrivée à un âge mûr ; mais un état de démence reconnu ne dispensait pas toujours de l’obligation d’obtenir son consentement. Les causes de la dissolution du mariage ont varié[123] ; mais des cérémonies d’une nature contraire pouvaient toujours annuler le mariage le plus solennel, la confarréation elle-même. Dans les premiers siècles, un père de famille était le maître de vendre ses enfants, et sa femme se trouvait comprise dans le nombre des enfants. Armé d’un pouvoir domestique, il pouvait la condamner à mort, ou par clémence se borner à la chasser de son lit et de sa maison ; mais à moins que le mari, déterminé par sa propre convenance, ne voulût user du privilège du divorce, l’esclavage de la femme malheureuse était perpétuel et sans espérance. On a donné de grands éloges à la vertu des Romains qui, durant plus de cinq siècles, ne firent aucun usage de ce privilège si séduisant[124] ; mais ce fait même montre l’inégalité d’une liaison dans laquelle l’esclave ne pouvait renoncer à son tyran, et où le tyran ne voulait point abandonner son esclave. Lorsque les matrones romaines furent devenues les compagnes volontaires et les égales de leurs maris, une nouvelle jurisprudence s’établit, et le mariage se rompit, comme toutes les autres associations, par le désistement d’un des associés. Au bout de trois siècles de prospérité et de corruption, l’application de ce principe, devenu fréquente, entraînait les plus funestes abus. Les passions, l’intérêt ou le caprice, brisaient chaque jour les liens du mariage : un mot, un signe, un message, une lettre, la bouche d’un affranchi, déclaraient la séparation ; et la plus tendre des liaisons humaines n’était plus qu’une association passagère d’intérêt ou de plaisir. Selon les diverses conditions de la vie, cet arrangement nuisait tour à tour aux deux sexes : une femme inconstante portait ses richesses dans une nouvelle famille, laissant au pouvoir de son premier époux et abandonnant à ses soins un grand nombre d’enfants, qui peut-être n’étaient pas de lui : une femme reçue vierge et belle se trouvait, à l’époque de sa vieillesse, rejetée dans le monde, sans ressources, et sans amis. Mais lorsque Auguste pressa les Romains de se marier, leur répugnance prouva assez que les lois établies alors sur les mariages étaient moins favorables aux hommes : cette expérience si libre et si complète des Romains démontre, malgré de spécieuses théories, que la liberté du divorce ne contribue pas au bonheur et à la vertu. La facilité des séparations détruit la confiance mutuelle, aigrit les disputes les plus minutieuses. Il y a si peu de différence alors entre un mari et un étranger, cette différence peut être si facilement détruite, qu’elle sera encore plus facilement oubliée ; et la matrone qui en cinq années peut se soumettre aux embrassements de huit maris, doit avoir perdu tout respect pour elle-même et pour la chasteté[125].

Des remèdes insuffisants suivirent à pas tardifs et éloignés les rapides progrès du mal. Il y avait dans l’ancienne religion des Romains une déesse particulière qui écoutait les plaintes des époux et qui les réconciliait : mais son nom de Viriplaca[126], qui apaise les maris, indiquait assez nettement le côté où l’on voulait toujours trouver la soumission et le repentir. Toutes les actions d’un citoyen étaient soumises au jugement des censeurs : ils mandèrent le premier qui usa du privilégie du divorce, et il exposa devant eux les motifs de sa conduite[127] : ils déposèrent un sénateur qui avait renvoyé sa fiancée encore vierge sans en instruire ses amis, sans prendre leur conseil. Dans toute action intentée en restitution de dot, le préteur, en qualité de gardien de l’équité, examinait la cause et le caractère des parties, et il inclinait la balance en faveur de celle qui n’était point coupable et à laquelle on voulait faire tort. Auguste, réunissant le pouvoir des censeurs et des préteurs, adopta leurs diverses méthodes de réprimer ou de châtier la licence du divorce[128]. Il fallait sept témoins pour valider cet acte solennel et réfléchi : si le mari s’était mal conduit à l’égard de sa femme, au lieu d’obtenir un délai de deux ans, il devait rembourser la dot sur-le-champ ou dans l’espace de six mois ; mais s’il pouvait accuser les mœurs de sa femme, le crime ou la légèreté de celle-ci était puni par la perte du sixième ou du huitième de sa dot. Les princes chrétiens furent les premiers qui désignèrent avec précision les justes causes du divorce entre particuliers : leurs lois, depuis Constantin jusqu’à Justinien, semblent flotter entre la coutume de l’empire et les vœux de l’Église[129] ; et l’auteur des Novelles réforme trop souvent la jurisprudence du Code et des Pandectes. Les lois les plus rigoureuses condamnaient une femme à supporter un joueur, un ivrogne ou un libertin, à moins qu’il ne fût coupable d’homicide, d’empoisonnement ou de sacrilège, crimes pour lesquels, à ce qu’il semble, le mariage aurait dû être dissous par la main du bourreau ; mais elles maintenaient invariablement le droit sacré du mari, afin de sauver son nom et sa famille de la honte d’un adultère. Des règlements successifs abrégèrent et étendirent la liste des péchés mortels qui, de la part de l’homme ou de celle de la femme, pouvaient donner lieu au divorce, et il fut convenu qu’une impuissance sans remède, une longue absence et la profession monastique, annulaient les obligations du mariage. On condamnait à des peines graves et variées quiconque transgressait la loi. On dépouillait la femme de ses richesses et de ses ornements ; on n’en exceptait pas l’aiguille de ses cheveux. Si le mari introduisait une autre femme dans son lit, la femme répudiée avait droit de saisir la fortune de la nouvelle épouse. La peine de confiscation se commuait quelquefois en celle d’une amendé : outre l’amende, quelquefois on transportait le coupable dans une île, ou on l’emprisonnait dans un monastère ; la partie injuriée était affranchie des liens du mariage, et le coupable, durant sa vie ou durant un certain nombre d’années, ne pouvait plus convoler en secondes noces. Le successeur de Justinien écouta les prières de ses malheureux sujets ; et rétablit la liberté du divorce par consentement mutuel : les jurisconsultes furent d’un avis unanime sur ce point[130] ; l’opinion des théologiens fut partagée[131] ; car le mot équivoque qui renferme le précepte de l’Évangile se prête à toutes les interprétations d’on peut avoir besoin la sagesse du législateur.

Des obstacles naturels et civils restreignaient chez les Romains la liberté de l’amour et du mariage. Un instinct presque inné, et presque universel semble interdire le commercé incestueux[132] des pères et des enfants, à tous les degrés de la ligne ascendante et de la ligne descendante. Quant aux branches obliques et collatérales, la nature ne dit rien, la raison se tait, et la coutume est variée et arbitraire. L’Égypte permettait sans scrupule on sans exception les mariages des fières et des sœurs ; un Spartiate pouvait épouser la fille de son père, un Athénien la fille de sa mère, et Athènes applaudissait au mariage d’un oncle avec sa nièce, comme à une union fortunée entre des parents qui se chérissaient. L’intérêt ou la superstition n’excita jamais les législateurs de Rome profane à multiplier les degrés défendus ; mais ils prononcèrent un arrêt inflexible contre les mariages des sœurs et des frères ; ils songèrent même à frapper du même interdit les cousins au premier degré ; ils respectèrent le caractère paternel des tantes et des oncles, et traitèrent l’affinité et l’adoption comme une juste analogie des liens du sang. Selon les orgueilleux principes de la république, les citoyens pouvaient seuls contracter un mariage légitime : un sénateur devait épouser une femme d’une extraction honorable, ou du moins libre ; mais le sang des rois ne pouvait jamais se mêler en légitime mariage avec le sang d’un Romain ; la qualité d’étrangères abaissa Cléopâtre et Bérénice[133] au rang de concubines[134] de Marc-Antoine et de Titus. Toutefois cette dénomination de concubines, si injurieuse à la majesté de ces reines de l’Orient, ne pouvait sans indulgence s’appliquer à leurs mœurs. Une concubine, dans la stricte acception que lui donnent les jurisconsultes, était une femme d’une naissance servile et plébéienne, la compagne unique et fidèle d’un citoyen de Rome qui demeurait célibataire. Les lois, qui reconnaissaient et approuvaient cette union, la plaçaient au-dessous des honneurs de la femme et au-dessus de l’infamie de la prostituée. Depuis le siècle d’Auguste jusqu’au au dixième siècle, ces demi-mariages furent communs dans l’Occident ainsi qu’en Orient, et on préféra souvent les humbles vertus d’une concubine à la pompe et à l’arrogance d’une noble matrone. Les deux Antonins, les meilleurs des princes et les meilleurs des hommes, trouvèrent les douceurs de l’amour domestique dans cette espèce de liaison ; ils furent imités par une multitude de citoyens incapables de supporter le célibat, et qui ne voulaient pas se mésallier par des mariages. S’ils désiraient ensuite légitimer leurs enfants naturels, cette légitimation se faisait en célébrant leurs noces avec une femme dont ils avaient éprouvé la fécondité et la fidélité[135]. Cette épithète de naturels distinguait les enfants de la concubine des enfants qui venaient de l’adultère, de la prostitution et de l’inceste ; auxquels Justinien n’accorde des aliments qu’avec répugnance, et ces enfants naturels avaient seuls le droit d’hériter de la sixième partie des biens de leur père putatif. La loi interprétée à la rigueur ne donnait aux bâtards que le nom et la condition de leur mère, de laquelle ils recevaient le caractère d’esclaves, d’étrangers ou de citoyens. L’État adoptait sans reproches ces infortunés que rebutaient les familles[136].

Les rapports du tuteur et du pupille, qui occupent tant de place dans les Institutes et les Pandectes[137], sont d’une nature simple et uniforme. La personne et la propriété d’un orphelin devaient toujours, être remises à la garde d’un ami prudent. Lorsque le père n’avait pas déclaré son choix en mourant, les agnats ou les parents les plus proches du côté du père étaient regardés comme ses tuteurs naturels : les Athéniens craignaient d’exposer l’enfant au pouvoir de ceux qui étaient les plus intéressés à sa mort, mais un axiome de la jurisprudence romaine a prononcé que le fardeau de la tutelle doit toujours accompagner les avantages de la succession. Quand le choix du père et la ligne de parenté ne fournissaient point de tuteur, le préteur ou le président de la province en nommait un ; mais on pouvait refuser ce ministère public comme fou ou aveugle, ignorant ou incapable, comme ennemi de l’orphelin ou ayant à soutenir des intérêts opposés ; comme chargé d’un grand nombre d’enfants et d’autres tutelles ; ou enfin en vertu des immunités accordées aux magistrats, gens de loi, médecins et professeurs, à raison de leurs utiles travaux. Le tuteur représentait l’enfant jusqu’à l’époque où celui-ci pouvait parler et penser ; et l’âge de puberté terminait son pouvoir. Le pupille ne pouvait se lier à son désavantage sans le consentement du tuteur ; mais il n’en avait pas besoin pour obliger les autres en sa faveur. Il est inutile d’observer que le tuteur donnait souvent une caution, qu’il rendait toujours ses comptes, et que le défaut d’intégrité ou de soin l’exposait à des procès qui pouvaient presque tourner au criminel, s’il avait lieu de le soupçonner d’infidélité dans la garde du dépôt sacré qui lui avait été confié. Les jurisconsultes avaient imprudemment fixé à quatorze ans l’âge de puberté ; mais, comme les facultés de l’esprit mûrissent plus tard que celles du corps, on instituait un curateur chargé de défendre la fortune du jeune Romain des dangers auxquels l’exposaient son inexpérience et la violence de ses passions. Le curateur avait d’abord été un gardien nommé par le préteur pour soustraire une famille aux prodigalités d’un dissipateur ou d’un fou ; les lois obligèrent ensuite le mineur à réclamer une semblable protection, sans laquelle, jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, ses actes ne pouvaient avoir aucune validité. Les femmes dépendaient toute leur vie de leurs parents, de leurs maris ou de leurs tuteurs ; on supposait qu’un sexe créé pour plaire et pour obéir n’arrivait jamais à l’âge de la raison et de l’expérience : tel était du moins l’esprit impérieux et sévère d’une ancienne loi, que les mœurs publiques avaient insensiblement adoucie lorsque Justinien monta sur le trône.

II. On ne peut justifier le droit de propriété que par une première occupation, la suite du hasard ou du travail ; et la philosophie des jurisconsultes l’établit, avec raison, sur cette base[138]. Le sauvage qui creuse un arbre, qui adapte un manche de bois à une pierre aiguë, qui façonne une branche élastique et y ajoute une corde, devient, dans l’état de nature, le juste propriétaire de la pirogue, de l’arc ou de la hache. La matière appartenait à tout le monde ; mais sa nouvelle forme, résultat de son temps et de son travail, n’appartient qu’à lui. Ses compagnons affamés ne pourront, sans s’avouer à eux-mêmes leur injustice, arracher au chasseur les bêtes de la forêt qu’il a saisies à la course ou vaincues par sa force et son adresse. Si sa vigilante prévoyance conserve et multiplie ces animaux qu’un naturel plus traitable rend capables de se soumettre à une sorte d’éducation, il acquiert à jamais le droit à employer à son service leur progéniture, qui tire son existence de lui seul. Si pour se nourrir et nourrir ses troupeaux il enferme et cultive un champ, change un terrain stérile en un sol fécond, la semence, l’engrais, le travail créant une nouvelle valeur, les fatigues de toute l’année forment son droit à la moisson. Dans tous leurs états de la société, le chasseur, le berger et le cultivateur, peuvent défendre leur propriété par deux raisons à la force desquelles ne saurait échapper l’esprit de l’homme. Tout ce qu’ils possèdent est le prix de leur industrie, et quiconque envie leur bonheur est le maître de se procurer les mêmes jouissances par les mêmes soins. Ce qu’on vient de dire convient parfaitement à une petite colonie placée sur une île fertile ; mais lorsque, la colonie s’accroît, le terrain n’augmente pas d’étendue : les hommes audacieux et habiles envahissent les droits et l’héritage communs de l’espace humaine ; des maîtres jaloux posent des bornes sur tous les champs et dans toutes les forêts, et l’on doit louer la jurisprudence romaine d’avoir accordé au premier occupant tout droit sur les bêtes de la terre et des eaux. Dans la marche qui conduit les sociétés humaines de l’équité primitive aux derniers excès de l’injustice, les pas se font en silence, les nuances sont presque imperceptibles, et des lois positives, une raison artificielle, viennent enfin consacrer le monopole universel. Le principe de l’amour de soi, toujours en activité et toujours insatiable, peut seul fournir aux arts de la vie sociale et aux émoluments de l’industrie ; et dès que le gouvernement civil et la propriété exclusive se sont établis, ils deviennent nécessaires à l’existence de la race humaine. Excepté dans les singulières institutions de Sparte, les législateurs les plus sages n’ont vu la loi agraire que comme une innovation injuste et dangereuse. Chez les Romains, la disproportion des richesses passa de bien loin les limites idéales que lui imposaient fine tradition incertaine et une loi tombée en désuétude. Selon la tradition, deux jugera (arpents) devaient être à jamais l’héritage des enfants les plus pauvres de Romulus[139] ; la loi bornait à cinq cents arpents, ou trois cent douze acres d’Angleterre, les domaines du plus riche citoyen. Le territoire de Rome ne fut d’abord composé que de quelques milles de bois, et de prairies situés sur les bords du Tibre, et les échanges domestiques ne pouvaient rien ajouter à l’étendue de ce sol national ; mais la guerre permettait de s’emparer des biens d’un étranger ou d’un ennemi : cet utile commerce enrichit Rome, et elle ne paya qu’avec le sang de ses citoyens les mou tons des Volsques, les esclaves de la Bretagne, les pierres précieuses et l’or des royaumes de l’Asie. Dans la langue de l’ancienne jurisprudence, qui s’était corrompue et qu’on avait oubliée avant le règne de Justinien, pour distinguer ces dépouilles, on leur donnait le nom de manceps ou mancipium, prises avec la main ; et lorsqu’on les vendait ou émancipait, l’acheteur exigeait une assurance, qu’elles avaient été la propriété d’un ennemi, et non pas celle d’un concitoyen[140]. Un citoyenne pouvait perde ses droits sur une terre qu’en l’abandonnant ; et dès que la terre avait une certaine valeur, on présumait difficilement cet abandon. Au reste, selon la loi des Douze-Tables, une prescription d’une année pour les meubles, et de deux ans pour les immeubles, abolissait les droits de l’ancien maître, si le possesseur les avait acquis, par une transaction honnête, de celui qu’il en croyait le légitime propriétaire[141]. Les membres d’une petite république pouvaient rarement se trouver victimes de cette sorte d’injustice, involontaire, sans aucun mélange de fraude ni de violence ; mais les différentes prescriptions de trois, dix ou vingt années, établies par Justinien, conviennent davantage à un vaste empire. Ce n’est que par rapport au temps fixé pour les prescriptions que les jurisconsultes distinguent les biens réels et les biens personnels ; car leur idée générale sur la propriété renferme celle d’une possession simple, uniforme et absolue : ils expliquent fort en détail les exceptions subordonnées relatives à l’usage, l’usufruit[142] et aux servitudes[143] accordés à un voisin sur les terres et sur les maisons. Ils discutent aussi avec une subtilité métaphysique les changements qu’établissent sur les droits de propriété le mélange, la division ou la transformation des substances.

Le droit personnel du premier propriétaire doit finir avec sa vie ; mais ce droit se continue, sans aucune apparence de changement dans la personne de ses enfants, qui ont partagé ses travaux et sa fortune. Les législateurs de tous les pays et de tous les siècles ont protégé cette succession : ainsi le père poursuit ses travaux ; encouragé par la douce espérance qu’une longue postérité en recueillera les fruits les plus éloignés. Le principe de la succession héréditaire est donc universel ; mais l’ordre de ces successions varie d’après les convenances ou le caprice, d’après l’esprit des institutions nationales ou des exemples donnés originairement par la fraude ou la violence. Les lois des Romains semblent s’être moins écartées de l’égalité, de la nature que celles des Juifs[144], celles des Athéniens[145] et celles de l’Angleterre[146]. A la mort d’un citoyen, tous ses descendants, lorsqu’ils n’avaient pis été affranchis de la puissance paternelle, étaient appelés au Partage de ses biens. On ne connaissait pas l’insolente prérogative de la primogéniture ; les deux sexes se trouvaient placés sur le même niveau : chacun des fils et chacune des filles recevaient une égale portion des biens du père ; et si la mort avait enlevé un des fils, ses enfants le représentaient et obtenaient sa part. A l’extinction de la ligne directe, le droit de succession passait aux branches collatérales. Les jurisconsultes marquent les degrés de parenté[147], en remontant du dernier possesseur à un chef commun, ou en descendant de ce chef commun au parent qui est le plus prés de l’héritage : mon père est au premier degré, mon frère au second, ses enfants au troisième : l’imagination conçoit aisément la suite du tableau, et on l’a détaillé dans les tables généalogiques. On fit dans ce calcul une distinction essentielle aux lois et même à la constitution de Rome ; les agnats ou les individus de la ligne des mâles furent appelés, selon leur proximité, à un partage égal, mais une femme ne pouvait transmettre aucune prétention légale, et la loi des Douze-Tables déshéritait comme étrangers et comme aubains les cognats de toutes les classes, sans faire même une exception en faveur des liens si doux de mère et de fils. Chez les Romains, un nom commun et des rites domestiques unissaient une gens ou un lignage. Les cognomen, ou surnoms de Scipion ou de Marcellus, distinguaient les branches ou familles subordonnées de la race Cornelia ou Claudia : au début des agnats du même surnom, des parents auxquels on donnait la dénomination plus générale de gentiles les remplaçaient ; et la vigilance des lois conservait dans les individus du même nom la ligné perpétuelle des cérémonies religieuses et des propriétés. Un principe de même nature dicta la loi Voconia[148], qui ôta aux femmes le droit d’hériter. Tant que les vierges furent données ou vendues à leurs époux, l’adoption de la femme étendait les espérances de la fille : mais les matrones indépendantes ayant recouvré ce droit, qui alimentait leur orgueil et leur luxe, elles purent transporter les richesses de leurs pères dans une maison étrangère. Les maximes de Caton[149], aussi longtemps qu’elles furent respectées, tendaient à perpétuer dans chaque famille une médiocrité honnête et vertueuse ; mais le manége et les caresses des femmes l’emportèrent peu à peu, et toutes les entraves salutaires se perdirent dans la vaste corruption de la république. L’équité des préteurs tempérait la rigueur des décemvirs ; leurs édits remettaient les enfants émancipés et posthumes en possession des droits de la nature ; et lorsqu’il n’y avait point d’agnats, ils préféraient le sang des cognas au nom des gentiles, dont le titre et la qualité tombèrent insensiblement dans l’oubli. L’humanité du sénat établit, par les décrets de Tertullien et d’Orphisius, la succession réciproque des mères et des fils. Les Novelles de Justinien tout en affectant de remettre en vigueur la jurisprudence des Douze-Tables, introduisirent un nouvel ordre de choses plus impartial. Les lignes mâles et femelles furent confondues : les lignes ascendantes, descendantes et collatérales, furent désignées avec soin ; et chaque degré succéda, selon la proximité du sang et de l’affection, aux propriétés d’un citoyen de Rome[150].

L’ordre de succession est réglé par la nature, ou du moins par la raison générale et permanente du législateur ; mais cet ordre est souvent interverti d’une manière arbitraire et partiale par les actes de dernière volonté qui prolongent au-delà du tombeau les droits du testateur[151]. Ce dernier usage, ou plutôt cet abus du droit de propriété, fut rarement toléré élans les premiers temps de la société ; les lois de Solon l’introduisirent à Athènes, et les Douze-Tables autorisèrent le testament d’un père de famille. Avant les décemvirs[152], un citoyen de Rome exposait ses vœux ou ses motifs à l’assemblée des trente curies ou paroisses ; et un acte spécial du corps législatif suspendait la loi générale des successions. Les décemvirs autorisèrent chaque citoyen à rendre lui-même la loi qui concernait sa propre succession, en déclarant son testament verbal ou par écrit, devant cinq citoyens qui représentaient les cinq classés du peuple : un sixième témoin était chargé d’attester leur présence ; un septième pesait la monnaie de cuivre que payait un acheteur imaginaire, et les biens se trouvaient émancipés par une vente fictive et une décharge immédiate. Cette singulière cérémonie[153], qui excitait l’étonnement des Grecs, avait encore, lieu sous le règne de Sévère ; mais les préteurs avaient déjà approuvé une forme de testament plus simple, dans laquelle ils exigeaient le sceau et la signature de sept témoins irréprochables, et appelés d’une manière expresse pour l’exécution de cet acte important. Un monarque domestique, qui régnait sur la vie et la fortune de ses enfants, pouvait régler leur part selon le degré de leur mérite ou de son affection : il pouvait punir un indigne fils par la perte de sa succession et la honte de se voir préférer un étranger ; mais l’exemple de plusieurs pères dénaturés fit connaître la nécessité d’apporter des restrictions à ce droit. Un fils, et même, selon les lois de Justinien, une fille, ne se trouvaient plus déshérités par le silence de leur père ; celui ci devait nommer le criminel et désigner l’offense, et l’empereur détermina les seuls cas qui pouvaient justifier une telle infraction aux premiers principes de la nature et de la société[154]. Lorsqu’on ne laissait pas aux enfants leur légitime ou la quatrième partie des biens, ils étaient autorisés à former une action ou une plainte contre ce testament inofficieux, à supposer que la maladie ou la vieillesse avait affaibli l’entendement de leur père, et à appeler respectueusement de sa sentence rigoureuse à la sagesse réfléchie du magistrat. La jurisprudence romaine admettait une distinction essentielle entre l’héritage et les legs. Les héritiers qui succédaient à tous les biens du testateur, ou seulement à un douzième de ces biens, le représentaient absolument sous le point de vue civil et religieux ; ils faisaient valoir ses droits, ils remplissaient ses obligations, et acquittaient les dons de l’amitié et de la libéralité distribués dans son testament sous le nom de legs. Mais comme l’imprudence et la prodigalité d’un mourant pouvaient épuiser la succession et ne laisser à l’héritier que de la peine ou des risques à courir, on accorda à celui-ci la portion falcidienne, qui l’autorisait à prélever le quart net des biens avant de payer les legs. On lui laissait un temps raisonnable pour examiner le rapport des dettes et de la succession, pour décider s’il voulait accepter ou refuser le testament ; et lorsqu’il acceptait sous bénéfice d’inventaire, les créanciers n’étaient point autorisés à réclamer au-delà de la valeur des biens. Un testament pouvait être changé durant la vie du testateur et cassé après sa mort ; les personnes qu’il y nommait pouvaient mourir avant lui ou refuser la succession, ou bien être exclues par quelque empêchement légal. D’après ces considérations, on permit de désigner des seconds et troisièmes héritiers, qui se remplaçaient les uns les autres, selon l’ordre du testament, et on suppléa de la même manière à l’incapacité par raison de démence ou par défaut d’âge[155]. Le pouvoir du testateur s’éteignait dès qu’on avait accepté son testament ; tout Romain d’un âge mûr et d’une capacité suffisante était absolument maître de sa succession ; et ces substitutions si longues et si embrouillées, qui restreignent aujourd’hui le bonheur et la liberté des générations futures, n’obscurcirent jamais la simplicité de leurs lois civiles.

Les conquêtes de la république et les formalités de la loi, établirent l’usage des codicilles. Si la mort surprenait un Romain dans une province éloignée, il adressait une lettre à l’héritier que lui désignait la loi, ou qu’il avait nommé par son testament ; et celui-ci remplissait avec bonheur ou négligeait impunément cette prière, dont les juges n’eurent pas, avant le siècle d’Auguste, le droit d’ordonner l’exécution. Un codicille n’était assujetti à aucune forme ou aucune langue particulière ; mais son authenticité devait être prouvée par la signature de cinq témoins. Les intentions du testateur, louables en elles-mêmes, étaient quelquefois illégales ; et l’opposition de la loi naturelle et de la jurisprudence positive donna lieu à l’invention de fideicommissa. Le Romain qui n’avait point d’enfants, chargeait de l’exécution de ses dernières volontés un Grec ou un naturel de l’Afrique ; mais il fallait être son concitoyen pour agir en qualité de son héritier. La loi Voconia, qui ôta aux femmes le droit de succéder, leur permit seulement de recevoir, à titre de legs ou d’héritage, la somme de cent mille sesterces[156], et une fille unique était presque regardée comme une étrangère dans la maison de son père. Le zèle de l’amitié et l’affection paternelle osèrent hasarder un artifice : le testateur nommait un citoyen avec la prière ou l’injonction de rendre l’héritage à la personne à laquelle-il était véritablement destiné. La conduite des fidéicommissaires, dans cette position critique, n’était pas toujours la même ; ils avaient juré d’observer les lois de leur pays, mais l’honneur leur ordonnait de violer ce serment ; et lorsque, sous le masque du patriotisme, ils préféraient leur intérêt ’ils perdaient l’estime de tous les gens vertueux. La déclaration d’Auguste mit fin à leur embarras ; il autorisa les testaments et les codicilles de confiance, et détruisit doucement les formes et les entraves des lois de la république[157] : mais le nouvel usage des fidéicommis ayant donné lieu à quelques abus, les décrets de Trébellien et de Pégase permirent au fidéicommissaire de garder une quatrième partie des biens, ou de transférer sur la tête d’un véritable héritier toutes les dettes et tous les procès de la succession. L’interprétation des testaments était stricte et littérale ; mais la langue des fidéicommis et des codicilles fut affranchie de l’exactitude minutieuse et technique des gens de loi[158].

III. Nos devoirs généraux dérivent de nôs rapports publics et privés ; mais les obligations spécifiques des individus l’es uns envers les autres ne peuvent être que la suite, 1° d’une promesse ; 2° d’un bienfait ; 3° d’une injure ou d’un tort ; et lorsque la loi ratifie ces obligations, la partie intéressée peut intenter une action judiciaire et en exiger l’accomplissement. Sur ce principe, les légistes de chaque pays ont établi une jurisprudence qui étant à peu près la même, peut être regardée comme la raison et la justice universelles[159].

I. Les Romains adoraient la déesse de la Bonne-Foi, non seulement dans ses temples, mais dans tout le cours de leur vie ; et si cette nation manqua des qualités plus aimables, de la bienveillance et de la générosité, elle étonna les Grecs par la manière honnête et simple dont elle remplit les engagements les plus onéreux[160]. Chez ce peuple cependant, d’après les maximes sévères des patriciens et des décemvirs, un simple pacte, une promesse ou même un serment n’imposait aucune obligation civile, à moins qu’il n’eût la forme légale d’une stipulation. Quelle que fût l’étymologie du mot latin stipulatio, il donnait l’idée d’un contrat solide et irrévocable, qui s’exprimait toujours en forme de question et de réponse : Promettez vous de me payer cent pièces d’or ? Telle était par exemple, l’interrogation solennelle de Seius. Je le promets, répondait Sempronius. Seius pouvait poursuivre séparément les amis de Sempronius, qui garantissaient ses moyens et l’intention qu’il avait de tenir sa promesse ; et les effets de cette séparation, c’est-à-dire l’ordre des recours, s’écartèrent peu à peu de la théorie rigoureuse de la stipulation. Pour qu’une promesse gratuite fut valide, on exigeait avec raison le consentement le plus réfléchi ; le citoyen qui, pouvant obtenir une sûreté légale, négligeait cette précaution, était soupçonné de fraude et par la perte de son droit payait la peine de sa négligence ; mais les gens de loi employèrent avec succès leur habileté à donner aux simples engagements la forme des stipulations solennelles. Les préteurs, en qualité de gardiens de la bonne foi admettaient toutes les preuves raisonnables d’un acte volontaire et réfléchi, qui à leur tribunal produisait une obligation consacrée par la loi, et pour laquelle ils donnaient un droit de poursuite et de défense[161].

II. Les jurisconsultes désignent sous le nom de réelles[162] les obligations de la seconde classe, contractées à raison d’une chose reçue. On doit de la reconnaissance à un bienfaiteur, et celui à qui on a confié une propriété est obligé de la rendre. S’il s’agit d’un prêt amical, le mérite de la générosité appartient au préteur ; si c’est un dépôt, ce mérite est du côté de celui qui l’a reçu ; mais lorsqu’il est question d’un prêt sur gage, ou de ces autres dispositions fondées sur un intérêt réciproque, un équivalent compense le bienfait, et la nature de la transaction modifie le devoir de la restitution. La langue latine exprime d’une manière heureuse la différence essentielle qui se trouve entre le commodatum et le mutuum, que la pauvreté de notre idiome est réduite à confondre sous la dénomination vague et commune de prêt. Dans le premier cas, l’emprunteur devait rendre la chose même qu’il avait reçue pour sa commodité ; dans le second, la chose prêtée était destinée à sa consommation, et il remplissait l’engagement mutuel, en y substituant la valeur spécifique de cette chose, d’après l’évaluation de la quantité, du poids et de la mesure. Dans un contrat de vente, l’acheteur acquiert la possession absolue, et il paie cet avantage au moyen d’une somme équivalente d’or ou d’argent, métaux qui sont le prix et la mesure universelle de toutes les possessions de ce monde. L’obligation d’un autre contrat, celui de la location ou des baux, est plus compliquée. On peut louer pour un temps fixe des terres ou des maisons, le travail ou l’industrie d’un individu ; à l’expiration de ce temps, on doit rendre la chose au propriétaire, en y ajoutant de plus une compensation pour l’avantage qu’on en a retiré. Dans ces contrats lucratifs, auxquels il faut joindre ceux de société ou de commission, les gens de loi supposent quelquefois la livraison de l’objet, et quelquefois ils présument le consentement des parties. Au gage réel ont été substitués les droits invisibles d’hypothèque et le prix d’une vente, déterminé de part et d’autre, met, dès cet instant, les chances de gain ou de perte sur le compte de l’acheteur. Il est permis de supposer que chaque individu écoutera ses intérêts, et que s’il reçoit les avantages, il est obligé de supporter les frais de la transaction. Dans cet inépuisable sujet, l’historien doit avoir égard particulièrement à la location des terres et à celle de l’argent à la rente de l’une et à l’intérêt de l’autre, ces deux points ayant un rapport direct à la propriété de l’agriculture et du commerce. Le propriétaire était souvent obligé de faire les avances, de fournir les instruments de culture, et de se contenter d’une partie des fruits. Si des accidents, une maladie épidémique, ou les violences de l’ennemi, accablaient le fermier, il en appelait à l’équité des lois et demandait un dédommagement. Les baux étaient pour l’ordinaire de cinq ans, et on ne pouvait espérer aucune amélioration solide ou dispendieuse d’un fermier, qui craignait à chaque moment d’être chassé par la vente du domaine qu’il faisait valoir[163]. La loi des Douze-Tables avait découragé l’usure[164], ce mal invétéré de la république de Rome[165], et les réclamations du peuple l’avaient enfin aboli. Les besoins et l’oisiveté des dernières classes la rétablirent ; on l’abandonna à la discrétion des préteurs, et le Code de Justinien régla enfin le taux de l’intérêt de l’argent. Cet intérêt fut fixé à quatre pour cent pour les personnes d’un rang illustre ; on déclara que l’intérêt ordinaire et légal serait de six pour cent : on permit le huit pour l’avantage des manufacturiers et des négociants, et le douze sur les assurances maritimes, que les anciens, plus sages, n’avaient pas voulu déterminer : mais, excepté dans cette occasion périlleuse, on réprima avec sévérité les usures exorbitantes[166]. Le clergé de l’Orient et de l’Occident condamna le plus léger intérêt[167] ; mais le sentiment d’un avantage réciproque, qui avait triomphé des lois de la république ; triompha étalement des décrets de l’Église, et même des préjugés des hommes[168].

III. La nature et la société font un devoir rigoureux de réparer un tort : celui qui a souffert d’une injustice particulière acquiert un droit personnel, et peut intenter une action légitime. Si quelqu’un a mis sa propriété entre nos mains, le degré de soin que nous devons en prendre augmenté et diminue selon les avantages que nous retirons de cette possession momentanée : il est rare que nous répondions d’un accident inévitable ; mais les suites d’une faute volontaire s’imputent toujours à celui qui l’a commise[169]. Un Romain réclamait par une action civile de vol les choses qu’on lui avait dérobées : des mains pures et innocentes pouvaient en acquérir successivement la possession ; mais il fallait une prescription de trente ans pour éteindre son droit de propriété. Il les recouvrait d’après une sentence du préteur, et on lui adjugeait des dommages d’une valeur double, triple et même quadruple, selon qu’il y avait eu une fraude secrète ou une rapine ouverte, selon que le voleur avait été surpris en flagrant délit ou découvert après quelques recherches. La loi Aquilia[170] mettait les esclaves et le bétail d’un citoyen à l’abri de la méchanceté ou de la négligence : elle condamnait le coupable à payer le plus haut prix auquel on pût évaluer l’animal domestique dans un moment quelconque de l’année qui avait précédé sa mort. Pour tout autre objet, la latitude laissée à l’évaluation ne s’étendait qu’à trente jours. Une injure personnelle devient légère ou grave, selon les mœurs du temps et la sensibilité de celui qui l’a reçue, et il n’est pas facile d’évaluer en argent la douleur ou la honte d’un coup ou d’une parole. La jurisprudence grossière des décemvirs avait confondu toutes les insultes de la colère qui n’allaient pas à la fracture d’un membre, et elle soumettait l’agresseur à la même peine de vingt-cinq asses. Mais dans l’espace de trois siècles, l’as, qui pesait une livre, fut réduit à une demi-once ; et l’insolence du riche Veratius se procura à peu de frais le plaisir d’enfreindre et de satisfaire la loi des Douze-Tables : il courait les quartiers de Rome en frappant au visage tous ceux qu’il rencontrait, et suivi d’un esclave qui, chargé d’une bourse, imposait silence à leurs clameurs en leur offrant les vingt-cinq pièces de cuivre, c’est-à-dire à peu près un schelling[171], qu’exigeait la loi. Les préteurs examinaient et évaluaient, selon l’équité, la nature de chaque plainte particulière. Quand on adjugeait des dommages civils, le magistrat se permettait de faire entrer dans son calcul les diverses circonstances du temps et du lieu, de l’âge et de la dignité, qui aggravaient la honte et les douleurs de la personne injuriée : mais s’il imposait une amende, s’il infligeait un châtiment, s’il faisait un exemple, il empiétait sur le ressort de la loi criminelle, à l’imperfection de laquelle peut-être il suppléait.

IV. Tite-Live rapporte le supplice d’un dictateur d’Albe qui fit écartelé par huit chevaux, comme le premier et le dernier exemple de la cruauté des Romains dans le châtiment des crimes les plus atroces[172] ; mais cet acte de justice ou de vengeance s’exécuta contre un ennemi étranger, au milieu de l’ivresse de la victoire et par les ordres d’un seul homme. Les Douze-Tables offrent une preuve plus décisive de l’esprit national, puisqu’elles furent rédigées par les hommes les plus sages du sénat, et acceptées par le suffrage libre du peuple. Toutefois elles sont, ainsi que les statuts de Dracon[173], écrites en caractères de sang[174]. Elles approuvent la règle inhumaine et illégale du talion, et elles ordonnent rigoureusement la perte d’un œil pour un œil, d’une dent pour une dent, et d’un membre pour un membre, à moins que le coupable ne puisse obtenir son pardon en payant une amende de six cents marcs de cuivre. Les décemvirs décernèrent avec beaucoup de légèreté la peine du fouet et de la servitude, et assignèrent des peines capitales à neuf délits d’une nature bien différente. 1° Ils rangèrent dans cette classe tous les actes de trahison contre l’État ou de correspondance avec l’ennemi. Le supplice était cruel et ignominieux : on cachait sous un voile la tête du Romain dégénéré ; on lui liait les mains derrière le dos, et, après qu’il avait été battu de verges par le licteur, on l’attachait au milieu du Forum à une croix ou arbre de mauvais augure, et on l’y laissait expirer. 2° Les assemblées nocturnes dans la capitale, soit que le plaisir, la religion ou le bien public, en fussent le prétexte. 3° L’assassinat d’un citoyen qui, selon les sentiments naturels au cœur de l’homme, exige le sang du meurtrier. Le poison est encore plus odieux que l’épée ou le poignard, et, on est étonné de découvrir, dans deux exemples atroces, combien cette scélératesse raffinée souilla de bonne heure la simplicité de la république et les chastes vertus des matrones romaines[175]. On enfermait dans un sac et on jetait dans la rivière ou dans la mer le parricide qui violait les lois de la nature et de la reconnaissance : on ajouta successivement à cette peine, en renfermant dans le sac qui le contenait, un coq, une vipère, un chien et un singe comme les compagnons qui lui convenaient le mieux[176]. L’Italie ne produit pas de singes ; mais on ne prit s’apercevoir de ce défaut que vers le milieu du sixième siècle, époque où l’on vit pour la première fois un parricide[177]. 4° Le crime d’un incendiaire. On le battait d’abord de verges et on le livrait ensuite aux flammes ; on n’est tenté d’applaudir à la justice du talion que dans ce cas. 5° Le parjure judiciaire. Le témoin ou malveillant ou corrompu était précipité du haut de la roche Tarpéienne. Sa perfidie devait être regardée comme d’autant plus funeste, que les lois pénales étaient sévères et qu’on ne connaissait pas les preuves par écrit. 6° La corruption d’un juge qui recevait de l’argent pour prononcer des arrêts iniques. 7° Les libelles et les satires, dont les traits grossiers troublaient quelquefois la paix d’une cité ignorante. On punissait l’auteur de coups de bâton, digne châtiment d’un tel délit ; mais il n’est pas sûr qu’on le fît expirer sous le bâton du bourreau[178]. 8° Le dégât ou la destruction, nocturne des blés de son voisin. On suspendait le criminel, et on l’offrait à Cérès comme une victime qui devait lui être agréable. Mais les divinités des bois étaient moins implacables ; l’extirpation de l’arbre le plus précieux n’entraînait qu’une amende de vingt-cinq livres de cuivre. 9° Les enchantements magiques qui, dans l’opinion des bergers du Latium, pouvaient épuiser la force d’un ennemi, trancher le fil de ses jours et arracher de ses domaines les plantations les plus enracinées. Il me reste à parler de la cruauté des Douze-Tables envers les débiteurs insolvables, et j’oserai préférer le sens littéral de l’antiquité à l’interprétation spécieuse des critiques modernes[179]. Quand on avait obtenu la preuve judiciaire de la créance, ou l’aveu du débiteur, ce n’était qu’après trente jours de grâce qu’on livrait celui-ci à son concitoyen, qui le détenait en prison, ne lui donnait que douze onces de riz par jour pour sa nourriture, et pouvait le charger d’une chaîne du poids de quinze livres : on l’exposait trois fois dans la placé du marché, afin de solliciter la pitié de ses amis et de ses compatriotes. Lorsque soixante jours s’étaient écoulés, la perte de la liberté ou de la vie acquittait la dette : on faisait mourir le débiteur insolvable, ou on le vendait comme esclave au-delà du Tibre ; mais si plusieurs créanciers demeuraient inflexibles, la loi les autorisait à le mettre en pièces et à satisfaire leur vengeance par cet affreux partage. Les défenseurs d’une loi si atroce ont dit qu’elle devait intimider fortement les oisifs et les fripons ; et les empêcher de contracter des dettes qu’ils ne pouvaient payer ; mais l’expérience dissipait cette crainte salutaire, puisqu’il ne se trouvait aucun créancier qui profitât d’une cruelle disposition dont il ne retirait aucun profit. A mesure que les mœurs de Rome s’adoucirent, l’humanité des accusateurs, des témoins et des juges, s’écarta du Code criminel des décemvirs, dont l’excessive rigueur finit par produire l’impunité. La loi Porcia et la loi Valeria défendirent aux magistrats d’infliger à un citoyen une peine capitale, ou même un châtiment corporel ; et l’on imputa adroitement, et peut-être avec vérité, ces statuts sanguinaires tombés en désuétude, non pas à l’esprit des patriciens ; mais à la tyrannie des rois.

Au défaut des lois pénales ; et dans l’insuffisance des poursuites civiles, la juridiction privée des citoyens maintenait encore dans la ville une sorte de paix et de justice imparfaite. Les malfaiteurs qui remplissent nos prisons sont le rebut de la société, et on peut ordinairement attribuer à l’ignorance, à la pauvreté, à des passions grossières, les crimes dont on les punit. Un vil plébéien pouvait abuser, pour obtenir l’impunité de ses crimes, du caractère sacré de membre de la république ; mais, sur la preuve ou même sur le soupçon du délit, on attachait à une croix l’esclave ou l’étranger, et l’on pouvait exercer sans obstacle cette prompte et rigoureuse justice sur le plus grand nombre des individus qui formaient la populace de Rome. Chaque famille avait un tribunal domestique qui n’était pas borné, comme celui du préteur, à la connaissance des actions extérieures ; la discipline de l’éducation inculquait des principes et des habitudes de vertu ; et un père répondait des mœurs de ses enfants, puisqu’il disposait, sans appel, de leur vie, de leur liberté et de leur héritage. Dans des cas pressons, le citoyen avait droit de venger les torts faits à la société ou à lui-même. Les lois juives, les lois athéniennes et les lois de Rome, permettaient de tuer un voleur de nuit ; mais en plein jour cela était défendu ; à moins qu’on n’eût quelque preuve du danger qu’on avait couru. Un mari qui surprenait un amant dans le lit de sa femme était autorisé à satisfaire sa vengeance[180] ; la loi excusait alors les derniers excès de la fureur[181], et ce ne fût que sous le règne d’Auguste qu’on obligea le mari à peser le rang du coupable, ou que le père fut réduit à sacrifier sa fille avec son séducteur. Après l’expulsion des rois, on dévoua aux dieux infernaux le Romain ambitieux qui oserait prendre leur titre ou imiter leur tyrannie : chacun de ses concitoyens se trouvait armé du glaive de la justice ; et l’action de Brutus, contraire à la reconnaissance autant qu’à la sagesse, était du moins consacrée d’avance parle jugement de sa patrie[182]. La coutume barbare de paraître en public armé au milieu de la paix[183], et les sanguinaires maximes de l’honneur, étaient étrangères aux Romains : durant les deux siècles les plus vertueux de la république, depuis l’époque où la liberté fut égale pour tous les citoyens, jusqu’à la fin des guerres puniques, la sédition ne troubla jamais la ville, et des crimes atroces la souillèrent rarement. Lorsque les factions intérieures et l’ivresse de la puissance eurent enflammé tous les vices, on sentit davantage les suites funestes de la désuétude des lois criminelles. Du temps de Cicéron, chaque citoyen jouissait du privilège de l’anarchie : les vues de chacun des magistrats de la république pouvaient s’élever jusqu’au pouvoir des rois ; et leurs vertus méritent d’autant plus d’éloges, qu’il faut les attribuer uniquement à la nature et à la philosophie. Le tyran de la Sicile, Verrès, après s’être livré durant trois ans à la rapine, à la cruauté, à la débauche, fut traduit en justice ; mais on ne put lui demander que la restitution de trois cent mille livres sterling et telle fut la modération des lois, des jutes, et peut-être de l’accusateur lui-même[184], que de la treizième partie de son butin, Verrès acheta la liberté d’aller vivre dans un doux et voluptueux exil[185].

On rétablit le dictateur Sylla, qui, au milieu de ses triomphes sanguinaires, voulait réprimer la licence plutôt qu’opprimer la liberté des Romains, essaya le premier, mais d’une manière imparfaite, de rétablir la proportion des délits et des peines. Il se vantait d’avoir proscrit arbitrairement quatre mille sept cents citoyens[186] ; mais, en qualité de législateur, il respecta les préjugés de son temps ; et, au lieu de condamner à la mort le voleur ou l’assassin, le général qui livrait une armée ou le magistrat qui ruinait une province, il se contenta d’ajouter aux dommages pécuniaires la peine de l’exil, ou, pour parler le langage de la constitution, l’interdiction du feu et de l’eau. La loi Cornelia, et ensuite les lois Pompeia et Julia, introduisirent un nouveau système de jurisprudence criminelle[187] ; et les empereurs, depuis Auguste jusqu’à Justinien, en augmentèrent la sévérité, qu’ils eurent soin de cacher sous les noms des auteurs primitifs de ces lois. Mais l’invention et l’usage fréquent dis peines extraordinaires venaient du désir d’étendre et de déguiser le progrès du despotisme : lorsqu’il s’agissait de condamner d’illustres Romains, le sénat, esclave des volontés du maître était toujours prêt à confondre la puissance judiciaire et la puissance législative. Les gouverneurs devaient maintenir la tranquillité de leurs provinces par une administration arbitraire et sévère de la justice ; l’étendue de l’empire détruisit la liberté de la capitale, et un malfaiteur espagnol ayant réclamé le privilège d’un Romain, Galba le fit suspendre à une croix plus belle et plus élevée[188]. Des rescrits émanés du trône décidaient, de temps à autre, les questions qui, par leur nouveauté et leur importance, semblaient être au-dessus du pouvoir et du discernement d’un proconsul. On ne déportait et on ne décapitait que les personnes d’un rang honorable ; les criminels des autres classes étaient pendus ou brûlés, enterrés dans des mines ou exposés aux bêtes de l’amphithéâtre. On, poursuivait et on exterminait, comme des ennemis de la société, les voleurs armés détourner des chevaux ou du bétail était un crime capital[189] ; mais on, ne voyait jamais dans le vol simple qu’un délit civil et une offense particulière. Les caprices des hommes revêtus de l’autorité fixaient trop souvent le degré du délit et la forme du châtiment, et on laissait les sujets dans l’ignorance des dangers auxquels les exposait chaque action de leur vie.

Les péchés, les vices et les crimes, sont du ressort de la théologie, de la morale et de la jurisprudence : lorsque leurs jugements sont d’accord, ils se fortifient l’un l’autre ; mais dès qu’ils varient, un sage législateur évalue le délit, et déterminé la peine selon le mal qui en résulte pour la société. C’est sur ce principe que l’attentat le plus audacieux contre la vie et la propriété d’un citoyen parait moins atroce que le crime de trahison ou de rébellion qui attente à la majesté de la république : la servilité des jurisconsultes prononça que la république se trouvait tout entière dans là personne de son chef, et les soins continuels des empereurs aiguisèrent le tranchant de la loi Julia. On peut tolérer le commerce licencieux des deux sexes, parce que c’est un besoin de la nature ; ou, le défendre, parce qu’il produit des désordres et de la corruption ; mais l’infidélité d’une femme nuit à la réputation, à la fortune et à la famille du mari : le sage Auguste, après avoir réprimé la liberté de la vengeance, soumit cette offensé domestique à l’animadversion des lois : il assujettit les coupables à des confiscations et à des amendes considérables, et les relégua pour longtemps ou pour leur vie dans des îles séparées[190]. La religion condamne également l’infidélité de l’époux ; mais comme elle n’est pas accompagnée des mêmes effets civils, on ne permettait point à la femme, de venger ses injures personnelles[191] ; et la jurisprudence du Code et des Pandectes ne connaît point la distinction de l’adultère simple et de l’adultère double, si familière et si importante dans la loi canonique. Il est un vice plus odieux, dont la pudeur rejette le nom et dont la nature abhorre l’idée, je vais en parler en peu de mots et malgré moi. L’exemple des Étrusques[192] et des Grecs[193] corrompit les premiers Romains ; dans l’enivrement de la prospérité et de la, puissance, tout plaisir innocent leur parut insipide et la loi Scatinia[194], qu’on n’avait arrachée que par force, fut insensiblement abolie par le temps et la multitude des coupables. Cette loi regardait le rapt et peut-être la séduction d’un jeune homme d’extraction libre comme une injure personnelle et elle n’infligeait d’autre peine qu’une misérable amende de dix mille sesterces, ou de quatre-vingts livres sterling : il était permis à la chasteté qui résistait ou se vengeait, de tuer le ravisseur ; et j’aime à croire qu’à Rome ainsi qu’à Athènes, le déserteur volontaire et efféminé de son sexe perdait les honneurs et les droits de citoyen[195] : mais ce vice n’était pas flétri par la sévérité de l’opinion publique ; elle confondait cette tache ineffaçable avec les fautes moins graves de la fornication et de l’adultère, et le débauché n’était pas exposé au déshonneur qu’il imprimait sur l’homme ou la femme qu’il faisait participer à ses désordres. Depuis Catulle jusqu’à Juvénal[196], les poètes accusent et célèbrent la corruption de leur siècle : la raison et l’autorité des jurisconsultes n’essaya que de faibles tentatives pour la réforme des mœurs, jusqu’à ce qu’enfin le plus vertueux des Césars proscrivit le vice contre nature, comme, un crime contré la société[197].

Un nouvel esprit de législation, respectable même dans ses erreurs, s’éleva dans l’empire avec la religion de Constantin[198]. Les lois de Moïse furent regardées comme le divin modèle de la justice, et les peines qu’elles prononcent devinrent la .règle des princes chrétiens dans les châtiments qu’ils appliquèrent aux différents degrés de corruption. On déclara d’abord que l’adultère était un crime capital : on assimila les faiblesses des deux sexes à l’empoisonnement ou à l’assassinat à la sorcellerie ou au parricide. Ceux qui dans la pédérastie jouaient le rôle passif ou actif, furent assujettis aux mêmes peines ; et tous les coupables, de condition libre ou de condition servile, furent noyés, décapités ou jetés vivants au milieu des flammes vengeresses. L’indulgence presque générale, sur ce point, épargna les adultères ; mais la pieuse indignation du public poursuivit ceux qui se livraient à l’amour de leur propre sexe. Les mœurs impures de la Grèce dominaient toujours dans les villes de l’Asie, et le célibat des moines et du clergé fomentait tous les vices. Justinien diminua du moins la peine de l’infidélité des femmes ; on ne condamnait plus l’épouse criminelle qu’à la solitude et à la pénitence, et son mari était le maître de la rappeler deux ans après ; mais ce même empereur se déclara l’ennemi implacable du vice contre nature, et la pureté de ses motifs peut à peine excuser la cruauté de ses persécutions[199]. Contre tout principe de justice, il donna à ses édits un effet rétroactif, en accordant seulement un intervalle de peu de durée pour avouer le crime et en demander pardon. On faisait punir douloureusement les délinquants par l’amputation de la partie coupable, ou l’insertion de pointes aiguës dans les pores et les tubes les plus sensibles ; et Justinien défendait cette cruauté en disant que s’ils avaient été convaincus de sacrilège, on les aurait punis par la perte de la main. Dans cet affreux état de douleur et de honte, deux évêques, Isaïe de Rhodes et Alexandre de Diospolis, furent traînés au milieu des rues de Constantinople, tandis qu’un héraut avertissait les ecclésiastiques de profiter de cette terrible leçon, et de ne pas souiller la sainteté de leur ministère : ces prélats étaient peut-être innocents. On condamnait à la mort ou à l’infamie, sur la déposition d’un seul témoin, quelquefois d’un enfant, quelquefois d’un esclave. Les juges présumaient coupables les citoyens de la faction des Verts, les riches et les ennemis de Théodora, et la pédérastie devint le crime de ceux a qui on ne pouvait en imputer un autre. Un philosophe français[200] a osé remarquer qu’il reste de l’incertitude sur tout ce qui est secret, et que la tyrannie peut abuser de l’horreur même qu’inspire le vice : mais il ajoute qu’on doit avoir confiance dans le goût et la raison des hommes, que la nature saura défendre ses droits ou les reprendre et malheureusement son assertion est contredite par ce qu’on sait de l’antiquité et de l’étendue du mal[201].

Les citoyens de Rome et d’Athènes jouissaient de l’inappréciable droit de n’être, en matière criminelle, jugés que par le peuple même[202]. 1° L’administration de la justice fut la plus ancienne des fonctions remises au prince ; les rois de Rome l’exercèrent, et Tarquin en abusa : sans loi ou sans conseil, il prononçait lui seul ses jugements arbitraires. Les premiers consuls succédèrent à cette prérogative royale ; mais le droit d’appel abolit bientôt la juridiction des magistrats, et le tribunal suprême du peuple décida toutes les causes publiques ; cependant la licence de la démocratie, en se mettait au-dessus des formes, dédaigne trop souvent les principes inviolables de la justice. L’orgueil du despotisme fut encore envenimé chez les plébéiens par un sentiment de jalousie ; et les héros d’Athènes purent vanter quelquefois le bonheur du Perse, dont le sort ne dépendait mi moins que des caprices d’un seul tyran. Le peuple romain sut lui-même imposer à ses passions quelques entraves salutaires, preuve de sa gravité et de sa modération, qu’elles ont peut-être contribué à entretenir. Le droit d’accusation était réservé aux magistrats. Le décret des trente-cinq tribus pouvait décerner une amende, mais une loi fondamentale attribuait la connaissance de tous les délits capitaux à une assemblée des centuries, où le crédit et la fortune dominaient toujours. On interposa des proclamations et des ajournements multipliés, afin que la prévention et le ressentiment eussent le loisir de se calmer. Un augure arrivant à-propos ou l’opposition d’un tribun annulaient toute la procédure, et ces instructions, devant le peuple étaient pour l’ordinaire moins formidables à l’innocence que favorables aux criminels ; mais dans cette réunion du pouvoir judiciaire et du pouvoir législatif, on demeurait en doute si l’accusé était absous ou s’il obtenait son pardon, et les arguments des orateurs de Rome et d’Athènes en faveur d’un client illustre étaient aussi souvent adressés à la politique et à la bienveillance qu’à la justice du souverain : 2° il devint bientôt d’autant plus difficile d’assembler les citoyens à chaque accusation, que le nombre des citoyens et celui des coupables augmentaient sans cesse, et on adopta l’expédient bien naturel de déléguer la juridiction du peuple aux magistrats en exercice ou à des inquisiteurs extraordinaires. Dans les premiers temps, ces jugements furent rares. Au commencement du septième siècle de Rome, il fallut rétablir un tribunal perpétuel : quatre préteurs furent revêtus, pour une année, du droit de juger les graves délits de trahison, d’extorsion, de péculat et de corruption. Sylla créa de nouveaux préteurs, et étendit leur juridiction sur ces crimes qui attentent d’une manière plus directe à la sûreté des individus. Les inquisiteurs préparaient et dirigeaient l’instruction ; mais ils ne pouvaient que prononcer la sentence rendue à la majorité par des juges que la prévention, aidée d’une sorte de ressemblance, a voulu comparer aux jurés de l’Angleterre[203]. Pour remplir cette importante mais pénible fonction, le préteur formait chaque année une liste de citoyens d’une ancienne famille, et respectables par leur conduite. Après une longue lutte entre les divers pouvoirs de l’État, on les tira en nombre égal du sénat, de l’ordre équestre et du peuple : on en nomma jusqu’à quatre cent cinquante pour chaque genre d’affaires, et les différents rôles ou décuries de juges devaient contenir les noms de plusieurs milliers de Romains, qui représentaient l’autorité judiciaire de l’État. Dans chaque cause particulière, on en faisait sortir de l’urne un nombre suffisant ; ils prêtaient serment de demeurer intègres. La manière d’opiner assurait leur indépendance : le droit de récusation accordé à l’accusé ou à l’accusateur écartait le soupçon de partialité ; et lors du jugement de Milon, la récusation de quinze juges par chacune des parties réduisit à cinquante et un le nombre des voix ou tablettes dont les unes absolvaient l’accusé, les autres le condamnaient, et d’autres enfin présumaient son innocence[204]. 3° Le préteur de Rome exerçait une juridiction civile, et, en cette qualité, il était vraiment juge et presque législateur ; mais dès qu’il avait déterminé la nature de l’action, il se donnait souvent un délégué qu’il chargeait de la décision du fait. Le nombre des actions juridiques augmenta, et le tribunal des centumvirs, qu’il présidait, acquit plus de crédit et plus de réputation ; mais soit qu’il agît seul ou de l’avis de ses conseils, il y avait peu de danger à revêtir des pouvoirs les plus absolus un magistrat que le peuple choisissait chaque année. Les règles et les précautions établies par la liberté ont demandé quelques détails : le système du despotisme, est simple et inanimé. Avant le siècle de Justinien ou peut-être de Dioclétien, les décuries des juges de Rome n’offraient plus qu’un vain titre : on pouvait recevoir ou dédaigner l’humble avis des assesseurs ; et un seul magistrat, élevé ou chassé d’après le caprice de l’empereur, exerçait dans chaque tribunal la juridiction civile et criminelle.

Un Romain accusé d’un crime capital était le maître de prévenir son arrêt en s’exilant ou en se donnant la mort. On présumait son innocence, et on le laissait en liberté jusqu’à ce que son crime fût prouvé d’une manière légale : tant qu’on n’avait pas compté et déclaré les votes de la dernière centurie, il pouvait se retirer en paix dans quelqu’une des villes alliées de l’Italie, de la Grèce eu de l’Asie[205]. Cette mort civile conservait du moins à ses enfants l’honneur et la fortune, et les plaisirs de l’esprit ou des sens lui offraient encore tout le bonheur qu’un esprit accoutumé au fracas et à l’ambition de Rome était capable de goûter dans l’uniformité ou le silence de Rhodes ou d’Athènes. On avait besoin de plus d’intrépidité pour se soustraire à la tyrannie des Césars ; mais les maximes des stoïciens, l’exemple des plus braves d’entre les Romains, et les encouragements que la loi donnait au suicide, rendaient cette intrépidité familière. On exposait après leur mort, d’une manière ignominieuse, les criminels condamnés par les juges ; et, ce qui était un mal plus réel, on confisquait leurs biens, et on réduisait ainsi leurs enfants à la misère. Lorsque les victimes de Tibère et de Néron anticipaient le décret du prince ou au sénat, le publié donnait des éloges à leur courage et à leur diligence ; on leur accordait les honneurs de la sépulture, et leurs testaments étaient valides[206]. Il paraît que l’avarice et la cruauté recherchée de Domitien les privèrent de cette dernière consolation ; et que la clémence des Antonins eux-mêmes la leur refusa. Une mort volontaire, qui dans Lille affaire capitale survenait entre l’accusation et l’arrêt, était regardée comme un aveu du crime, et le fisc inhumain saisissait les dépouilles du mort[207]. Cependant les jurisconsultes ont toujours respecté le droit que donne la nature à un citoyen, de disposer de sa vie ; et la peine flétrissante qu’imagina Tarquin[208] pour contenir le désespoir de ses sujets, ne fut ni rétablie ni imitée par les tyrans qui lui succédèrent. Toutes les autorités de ce monde ne peuvent rien sur celui qui a résolu de mourir, et la crainte d’une vie future peut seule arrêter son bras. Virgile met les suicides au nombre des infortunés plutôt que des coupables[209], et l’enfer des poètes ne pouvait influer sérieusement sur la foi ou la conduite des hommes ; mais les préceptes de l’Évangile et ceux de l’Église ont à la longue rangé sous une pieuse servitude l’esprit des chrétiens, qu’ils condamnent à attendre sans murmurer le dernier trait de la maladie et le dernier coup du bourreau.

Les lois pénales occupent peut d’espace dans les soixante-deux livres du Code et des Pandectes ; et les tribunaux décident de la vie et de la mort d’un citoyen avec moins de circonspection et de délai qu’ils ne prononcent sur les questions journalières relatives à un contrat ou à un héritage : Outre qu’on peut alléguer en faveur de cette singulière différence la nécessité de pourvoir promptement au repos de la société, on en trouve encore la cause dans la nature de là jurisprudence criminelle et de la jurisprudence civile. Nos devoirs envers l’État sont simples et uniformes ; la loi d’après laquelle on condamne un citoyen n’est pas gravée seulement sur le marbre et l’airain, mais dans le cœur du coupable, et la certitude d’un seul fait prouve ordinairement son crime. Mais nos devoirs réciproques sont très variés et même infinis : des injures, des bienfaits et des promesses, créent, annulent ou modifient nos obligations ; et l’interprétation des contrats ou des testaments, que dictent souvent la fraude ou l’ignorance, offre à la sagacité du juge un exercice bien long et bien laborieux. L’étendue du commerce et celle de l’État multiplient les affaires de la vie, et la résidence des plaideurs dans les provinces éloignées entraîne des incertitudes, des délais et des appels inévitables de la juridiction du lieu à celle du magistrat suprême. Justinien, empereur de Constantinople et de l’Orient, se trouvait, d’après la loi, le successeur du berger du Latium qui avait établi une colonie sur les bords du Tibre. Dans une période de treize siècles, les lois n’avaient suivi qu’à regret les changements survenus dans la constitution et les mœurs ; et le désir, estimable en lui-même, de concilier les anciens noms et les institutions récentes, détruisit l’harmonie et étendit les conséquences d’un système obscur et irrégulier. Les lois qui excusent dans tous les cas l’ignorance des sujets, avouent elles-mêmes leur imperfection : la jurisprudence civile, telle quelle fut abrégée par Justinien, demeura une science mystérieuse et l’objet d’un commerce utile, et la secrète industrie des praticiens épaissit les ténèbres de cette étude déjà trop embrouillée. Les fiais du procès excédaient quelquefois la valeur de la chose qu’on réclamait devant les tribunaux, et la pauvreté ou la sagesse des parties les chargeait quelquefois d’abandonner les droits les plus évidents. Une justice si coûteuse peut tendre à diminuer l’esprit de chicane ; mais cette inégalité d’avantages ne sert qu’à augmenter l’influence des riches et aggraver la misère du pauvre. Des procédures dilatoires et dispendieuses donnent au riche plaideur un avantage plus sur que celui qu’il pourrait espérer de la corruption de son juge. L’expérience d’un abus dont notre siècle et l’Angleterre elle-même ne sont pas entièrement exempts peut, dans le mouvement d’une généreuse indignation, nous arracher le vœu peu réfléchi de voir notre laborieuse jurisprudence remplacée par les décrets sommaires d’un cadi turc. Cependant, après quelque méditation, en s’aperçoit bientôt que ces formes et ces délais sont nécessaires pour défendre la personne et la propriété du citoyen ; que l’autorité arbitraire des juges est le premier instrument de la tyrannie, et que les lois d’un peuple libre doivent prévoir et décider toutes les questions qui semblent devoir s’élever dans l’exercice du pouvoir et les transactions de l’industrie. Mais le gouvernement de Justinien réunissait les maux de la liberté et ceux de la servitude, et les Romains furent accablés tout à la fois par la multiplicité des lois, et par la volonté despotique de leur maître.

 

 

 



[1] Les gens de loi des temps barbares ont établi une manière absurde et incompréhensible de citer les lois romaines, et l’habitude a perpétué cette méthode : lorsqu’ils renvoient au Code, aux Pandectes et aux Institutes, ils indiquent le numéro, non pas du livre, mais seulement de la loi ; ils se contentent de rapporter les premiers mots du titre dont elle fait partie, et il y a plus de mille de ces titres. Ludwig (Vit. Justin., p. 268) forme des vœux pour qu’on s’affranchisse de ce joug pédantesque, et j’ai osé adopter la méthode simple et raisonnable de citer le livre, le titre et la loi.

[2] L’Allemagne, la Bohême, la Hongrie, la Pologne et l’Écosse, les ont adoptées comme la loi ou la raison commune : en France, en Italie, etc., elles ont une influence directe ou indirecte ; on les a suivies en Angleterre depuis Étienne jusqu’à Edouard Ier, le Justinien de la Grande-Bretagne. Voyez Duck (de Usu et Auctoritate juris civ., l. I, c. 1, 8-15) ; Heineccius (Hist. juris german., c. 4, 3, n° 55-124), et les historiens des lois de chaque pays.

[3] François Hottoman, savant et habile jurisconsulte du seizième siècle, voulait mortifier Cujas et plaire au chancelier de Lhopital. Son Antitribodiarnus, que je n’ai jamais pu me procurer, fut publié en français, l’an 1609, et sa secte s’est répandue en Allemagne. Heineccius, Opp., t. III, sylloge 3, p. 171-183.

[4] A la tête de ces guides je place, avec les égards qui lui sont dus, le savant et habile Heineccius, professeur allemand, qui mourut à Halle en 1741. (Voyez son éloge dans la Nouvelle Bibliothèque germanique, tom. II, p. 51-64.) Ses nombreux ouvrages ont été recueillis en huit volumes in-4°, Genève, 1743-1748. Les traités séparés dont j’ai surtout fait usage sont : 1° Historia juris romani et germanici, Lugd. Batav. 1740, in-8° ; 2° Syntagma antiquitatum romanam jurisprudentiam illustrantium, 2 vol. in-8°, Traject. ad Rhenum ; 3° Elementa juris civilis secundum ordinem Institutionum, Lugd. Batav. 1751, in-4° ; 4° Elementa J. C. secundum ordinem Pandectarum, Traject. 1772, 2 vol. in-8°.

[5] Le précis de cette histoire se trouve dans un Fragment de Origine juris (Pandect., l. II, tit. 2) de Pomponius, jurisconsulte de Rome, qui vivait sous les Antonins. (Heineccius, t. III, syll. 3, p. 66-126.) Il a été abrégé et vraisemblablement altéré par Tribonien, et rétabli par Bynkershock. Opp., t. I, p. 279-304.

[6] On peut étudier l’histoire du gouvernement de Rome sous ses rois dans le premier livre de Tite-Live, et plus au long, dans Denys d’Halicarnasse (l. II, p. 80-96, 119-130 ; l. IV, p. 198-220), qui laisse cependant apercevoir quelquefois le rhéteur et le Grec.

[7] Juste Lipse (Opp., t. IV, p. 279) a appliqué aux trois rois de Rome ces trois divisions générales de la loi civile. Gravina (Orig. Jur. civ., p. 9-8, édit. de Leipz. 1737.) adopte cette idée, que Mascou, son éditeur allemand, n’admet qu’avec répugnance.

[8] Terrasson, dans son Histoire de la jurisprudence romaine (p. 22-72, Paris, 1750, in-folio), essaie avec une sorte d’apparat, mais avec peu de succès, de rétablir le texte original. Cet ouvrage promet plus qu’il ne tient.

[9] Le plus ancien Code ou Digeste fut appelé jus Papirianum, du nom de Papirius, qui le compila, et qui vivait un peu avant ou un peu après le Regifugium. (Pandect., l. I, tit. 2.) Les meilleurs critiques, même Bynkershock (t. I, p. 284, 285), et Heineccius (Hist. J. C. R., l. I, c. 16, 17 ; et Opp., t. III, syll. 4, p. 1-8) ajoutent foi à ce conte de Pomponius, sans faire assez d’attention à la valeur et à la rareté d’un pareil monument du troisième siècle, de la cité ignorante. Je soupçonne beaucoup que Caïus Papirius, pontifex maximus, qui, fit revivre les lois de Numa (Denys d’Halicarnasse, l. III, p. 171), ne laissa qu’une tradition orale ; et que le jus Papirianum de Granius-Flaccus (Pand., l. I, tit. 16, leg. 144) n’était pas un commentaire, mais un ouvrage original, compilé au temps de César. Censorinus, de Die Natali, l. III, p. 13 ; Duker, de Latinitate J. C., p. 157.

[10] En 1444 on tira du sein de la terre sept ou huit tables d’airain, entre Crotone et Gubio. Une partie de ces tables, car le reste est en caractères étrusques ; représente l’état primitif des caractères et de la langue des Pélasges, qu’Hérodote attribue à ce canton de l’Italie (l. I, c. 56, 57, 58). Au reste, on peut expliquer ce passage difficile d’Hérodote, en disant qu’il a rapport à Crestona, ville de la Thrace. (Notes de Larcher, t. I, p. 256-261.) Le dialecte sauvage des Tables Eugubines, a exercé les conjectures des critiques, et il est loin d’être éclairci ; mais ses racines sont indubitablement latines, de la même époque et du même caractère que le Saliare carmen, que personne ne comprenait au temps d’Horace. L’idiome romain, se perfectionnant par un mélange du dorique et du grec éolien, offrit par degrés le style des Douze-Tables, de la colonne Duilienne, d’Ennius, de Térence et de Cicéron. Gruter, Inscript., tom. I, p. 192 ; Scipion Maffei, Hist. diplomatica, p. 241-258 ; Bibl. italique, t. III, p. 30-41, 174-205 ; t. XIV, p. 1-52.

[11] Comparez Tite-Live (l. III, c. 31-59) avec Denys d’Halicarnasse (l. X, p. 644 ; XI, p. 691). Que l’auteur romain est concis et animé et comme l’auteur grec est prolixe et sans vie ! Denis d’Halicarnasse toutefois jugé d’une manière admirable les grands maîtres, et exposé habilement les règles de la composition historique.

[12] D’après les historiens, Heineccius (Hist. J. R., l. I, n° 26) dit que les Douze-Tables étaient d’airain, æreas. On lit eboreas dans le texte de Pomponius, et Scaliger a substitué à ce mot celui de roboreas. (Bynkershock, p. 286.) On a pu employer successivement le bois, l’airain et l’ivoire.

[13] Cicéron (Tuscul. Quæst., V, 36) parle de l’exil d’Hermodore ; Pline (Hist. nat., XXXIV, 11) parle de sa statue. La lettre, le songe et la prophétie d’Héraclite sont supposés. Épist. græc. divers., p. 337.

[14] Le docteur Bentley (Dissert. sur les Épit. de Phalaris, p. 427-479) discuté habilement tout ce qui a rapport aux monnaies de Sicile et de Rome, sujet très obscur. L’honneur et le ressentiment l’excitaient à déployer tous ses moyens dans cette controverse.

[15] Les navires des Romains ou de leurs alliés allèrent jusqu’au beau promontoire de l’Afrique. (Polybe, l. III, p. 177, édit. de Casaubon, in-fol.) Tite-Live et Denys d’Halicarnasse parlent de leurs voyages à Cumes, etc.

[16] Ce fait prouverait seul l’antiquité de Charondas, qui donna des lois à Reggio et à Catane : c’est par une étrange méprise que Diodore de Sicile (t. I, l. XI, p. 455-492) lui attribue l’institution politique de Thurium, laquelle est bien postérieure.

[17] Zaleucus, dont on a contesté l’existence avec si peu de raison, eut le mérite et la gloire de faire d’un ramas de proscrits (les Locriens) la république la plus vertueuse et la mieux ordonnée de la Grèce. Voyez deux Mémoires de M. le baron de Sainte-Croix sur la législation de la Grande-Grèce. (Mém. de l’Acad. des Inscript.., t. XLII, p. 276-333.) Mais les lois de Zaleucus et de Charondas, qui en ont imposé à Diodore et à Stobée, ont été fabriquées par un sophiste pythagoricien, dont la supercherie a été découverte par la sagacité de Bentley (p. 335-377).

[18] Je saisis cette occasion pour indiquer le progrès des communications entre Rome et la Grèce : 1° Hérodote et Thucydide (A. U. C. 300-350) paraissent ignorer le nom et l’existence de Rome (Josèphe, contra Apion., t. II, l. I, c. 12, p. 444, édit. de Havercamp) ; 2° Théopompe (A. U. C. 400, Pline, III, 9) parle de l’invasion des Gaulois, dont Héraclide de Pont fait mention d’une manière plus vague. (Plutarque, in Camille, p. 292, éd. H. Etienne.) 3° L’ambassade réelle ou fabuleuse des Romains auprès d’Alexandre. (A. U. C. 430) est attestée par Clitarque (Pline, III, 9) ; par Aristus et Asclépiade (Arrien, l. VII, p. 294-295), et par Memnon d’Héraclée (apud Photium, Cod. 224, p. 725) ; le silence de Tite-Live a cet égard est une dénégation ; 4° Théophraste (A. U. C. 440), primus externorum aliqua de Romanis diligentius scripsit (Pline, III, 9) ; 5° Lycophron (A. U. C. 480-500) a répandu la première idée d’une colonie de Troyens et de la fable de l’Énéide (Cassandra, 1226-1280).

Γης και δαλασσης σκηπρα μοναρχιαν

Δαβοντες.

Prédiction hardie avant la fin de la première guérie punique.

[19] La dixième table (de Modo sépulturæ) fut empruntée de Solon (Cicéron, de Legibus, II, 23-26) ; le Furtum per lancem et licium conceptum, vient, si l’on en croit Heineccius, des mœurs d’Athènes. (Antiq. rom., t. II, p. 167-175.) Moïse, Solon et les décemvirs permirent de tuer un voleur nocturne (Exode, 22, 3). Démosthène, contra Timocratem, t. I, p. 736, édit. de Reiske ; Macrobe, Saturnalia, l. I ; c. 4 ; Collatio legum Mosaïcarum et romanarum, tit. 7, n° 1, p. 218, édit. Cannegiter.

[20] Βραχεως και απεριττως ; tel est l’éloge qu’en fait Diodore (t. XII, p. 494) et qu’on peut traduire par l’eleganti atque absoluta brevitate verborum d’Aulu-Gelle, Noct. Att., XXI, 1.

[21] Écoutez Cicéron (de Legibus, II, 23) et celui qu’il fait parler, Crassus (de Oratore, I, 43, 44).

[22] Voyez Heineccius, Hist. J. R., n° 29-33. J’ai suivi les Douze-Tables, telles qu’elles ont été restaurées par Gravina (Origines J. C., p. 280-307) et par Terrasson, Hist. de la Jurisprudence romaine, p. 94-205.

[23] Finis œqui juris (Tacite, Annal., III, 27). Fons omnis publici et privati juris. Tite-Live, III, 34.

[24] De principiis juris et, quibus modis ad hanc multitudinem infinitam ac varietatem legum perventum sit, ALTIUS disseram. (Tacite, Annal., III, 25.) Cette discussion profonde n’occupe que deux pages, mais ce sont des pages de Tacite. Tite-Live disait avec le même sens, mais avec moins d’énergie (III, 34) : In hoc immenso aliarum super alias acervatarum legum cumulo, etc.

[25] Suétone, Vespasien, c. 8.

[26] Cicéron, ad Familiares, VIII, 8.

[27] Denis, Arbuthnot et la plupart des modernes (si on en excepte Eisenschmidt, de Ponderibus, etc., p. 137-140) évaluent les cent mille asses à dix mille drachmes attiques, ou un peu plus de trois cents livres sterling. Mais leur calcul ne peut s’appliquer qu’aux derniers temps, lorsque l’as n’était plus qu’un vingt-quatrième de son ancien poids ; et je ne puis croire que dans les premiers siècles de la république, malgré la rareté des métaux précieux, une once d’argent ait valu soixante-dix livres de cuivre ou d’airain. Il est plus simple et plus raisonnable d’évaluer le cuivre à son taux actuel ; et quand on aura comparé le prix de la monnaie et le prix du marché, la livre romaine et la livre avoir du poids ; on trouvera que l’as primitif ou une livre de cuivre, peut être évalué à un schelling d’Angleterre ; qu’ainsi les cent mille asses de la première classe valaient cinq mille livres sterling. Il résultera des mêmes calculs qu’un bœuf se vendait à Rome cinq livres sterling, un mouton dix schellings, et un quarter de blé trente schellings. (Festus, p. 330, édit. Dacier ; Pline, Hist. nat., XVIII, 4.) Je ne vois aucune raison de ne pas admettre les conséquences qui modèrent nos idées sur la pauvreté des premiers Romains.

[28] Consultez les auteurs qui ont écrit sur les comices romains, et en particulier Sigonius et Beaufort. Spanheim (de Præstantia et usu numismatum, t. II, Dissert. X, p. 192, 193) offre une médaille curieuse, où on voit les cista, les pontes, les septa, le diribitor, etc.

[29] Cicéron (de Legibus, III, 16, 17, 18) discute cette question constitutionnelle, et donne à son frère Quintus le côté le moins populaire.

[30] Prœ tumultu recusantium perferre non potuit. (Suétone, Auguste, c. 34. Voyez Properce, l. II, élég., 6.) Heineccius a épuisé dans une histoire particulière tout ce qui a rapport aux lois Julia et Papia Poppæa. Opp., tom. VII, part. I, p. 1-49.

[31] Tacite, Ann., I, 15 ; Lipse, Excursus E. in Tacitum.

[32] Non ambigitur senatum jus facere posse. Telle est la décision d’Ulpien (l. XVI, ad Edict. in Pandect., l. I, tit. 3, leg. 9). Pomponius dit que les comices du peuple étaient une turba hominum. Pandect., l. I, tit. 2, leg. 9.

[33] Le jus honorarium des préteurs et des autres magistrats est défini d’une manière précisé dans le texte latin des Institutes (liv. I, tit. 2, n° 7). La paraphrase grecque de Théophile (p. 33-38, édit de Reitz), qui laisse échapper le mot important honorarium, l’explique d’une manière plus vague.

[34] Dion Cassius (tom. I, liv. XXXVI, p. 100) fixe à l’an de Rome 686 l’époque des édits perpétuels. Cependant, selon les acta diurna, qu’on a publiés d’après les papiers de Louis Vivès, leur institution est de l’année 585. Pighius (Annal. rom., tom. II, p. 377, 378), Grævius (ad Suet., p. 778), Dodwell (Prœlection, Camden, p. 665) et Heineccius, soutiennent et admettent l’authenticité de ces actes Mais le mot de scutum CIMBRICUM qu’on y trouve, prouve qu’ils ont été fabriqués. Moyle’s Works, vol. I, p. 303.

[35] Heineccius (Opp., tom. VII, part. II, p. 1-564) a donné l’histoire des Édits et restauré le texte de l’Édit perpétuel : j’ai tiré ce que j’en ai dit des ouvrages de cet homme supérieur, dont les recherches doivent inspirer une extrême confiance (*). M. Bouchaud a inséré dans le recueil de l’Académie des Inscriptions, une suite de Mémoires sur ce point intéressant de littérature et de jurisprudence.

(*) Cette restauration n’est qu’un ouvrage commencé, trouvé dans les papiers d’Heineccius, et publié après sa mort. (Note de l’Éditeur.)

[36] Ses lois sont les premières du code. Voyez Dodwell, Prælect. Camden, p. 319-340, qui s’écarte de son sujet pour établir une littérature confuse et soutenir de faibles paradoxes.

[37] Totam illam veterem et squallentum sylvam legum novis principalium rescriptorum et edictorum securibus ruscatis et cœditis. (Apologétique, c. 4, p. 50, édit. de Havercamp.) Il loue ensuite la fermeté de Sévère, qui révoqua les lois inutiles ou pernicieuses, sans aucun égard pour leur ancienneté, ou pour le crédit qu’elles avaient obtenu.

[38] Dion Cassius, par mauvaise foi ou par ignorance, se méprend sur la signification de legibus solutus (t. I, l. LIII, p. 713). Reimar, son éditeur, se joint en cette occasion aux reproches dont l’esprit de liberté et de critique ont accablé ce servile historien.

[39] Voyez, Gravina, Opp., p. 501-512. Voyez aussi Beaufort, Républ. rom., t. I, p. 255-274. Celui-ci fait un judicieux usage de deux dissertations publiées par Jean-Frédéric Gronovius et Noodt, et traduites l’une et l’autre par Barbeyrac, qui a ajouté à cet ouvrage des notes précieuses (2 volumes in-12, 1731).

[40] Le mot lex regia était encore plus récent que la chose. Le nom de loi royale aurait fait tressaillir les esclaves de Commode et de Caracalla.

[41] Instit., l. I, tit. 2, n° 6 ; Pandect., l. I, tit. 4, leg. 1 ; Code de Justin., l. I, tit. 17, leg. I, n° 7. Heineccius (dans ses Antiquités et ses Eléments) a traité bien en détail de constitutionibus principum, développées d’ailleurs par Godefroy (Comm. ad Cod. Theod., liv. I, tom. 1, 2, 3) et par Gravina (87-90).

[42] Théophile, in Paraphras. grœc. Instit., p. 33, 34, édit. de Reitz. Voyez sur le caractère et les ouvrages de cet écrivain, ainsi que sur le temps où il vécut, le Théophile de J. H. Mylius, Excursus 3, p. 1034-1073.

[43] Il y a plus d’envie que de raison dans cette plainte de Macrin : Nefas esse leges videri Commodi et Caracallæ et hominum imperitorum voluntates. (Jul. Capitolin, c. 13.) Commode fut mis au rang des dieux par Sévère. (Dodwell, Prœlect. 8, p. 324, 325.) Cependant les Pandectes ne le citent que deux fois.

[44] Le Code offre deux cents constitutions qu’Antonin Caracalla publia seul, et cent soixante qu’il publia de concert avec son père. Ces deux princes sont cités cinquante fois dans les Pandectes, et huit dans les Institutes. Terrasson, p. 265.

[45] Pline le Jeune, Epist. X, 66 ; Suétone, Domitien, c. 23.

[46] Constantin avait pour maxime Contra jus rescripta non valeant. (Code Théodosien, l. I, tit. 2, leg. 1.) Les empereurs permettaient, quoiqu’à regret, quelque examen sur la loi et sur le fait, quelques délais, quelque droit de requête ; mais ces remèdes insuffisants étaient trop au pouvoir des juges, et il était trop dangereux pour eux de les employer.

[47] Cette encre était un composé de vermillon et de cinabre ; on la trouve sur les diplômes des empereurs, depuis Léon Ier (A. D. 470) jusqu’à la chute de l’empire grec. Bibl. raisonnée de la diplomatique, tom. I, p. 509-514 ; Lami, de Eruditione apostolorum, t. II, p. 120-726.

[48] Schulting, Jurisprudentia ante-Justinianea, p. 681-718. Cujas dit que Grégoire t’empila les lois publiées depuis le règne d’Adrien jusqu’à celui de Gallien, et que la suite l’ut l’ouvrage d’Hermogène, son collaborateur. Cette division générale peut être juste ; mais Grégoire et Hermogène passèrent souvent les bornes de leur terrain.

[49] Scævola, vraisemblablement Q. Cervidius Scævola, maître de Papinien, considère cette acceptation du feu et de l’eau comme l’essence du mariage. Pand., l. XXIV, t. I, leg. 66. Voyez Heineccius, Hist. J. R., n° 317.

[50] Cicéron (de Officiis, III, 19) peut ne parler que par supposition ; mais saint Ambroise (de Officiis, III, 2) en appelle à l’usage de son temps, qu’il connaissait comme jurisconsulte et comme magistrat. Schulting, ad Ulpian. Frag., tit. 22, n° 28, 643, 644.

[51] Au temps des Antonins, on ne connaissait plus la signification des formes ordonnées dans le cas d’un furtum lance licioque conceptum. (Aulu-Gelle, XVI, 10.) Heineccius (Antiq. rom., l. IV, tit. I, n° 13-21), qui les fait venir de l’Attique, cite à l’appui de son opinion Aristophane, le scholiaste de ce poète, et Pollux.

[52] Cicéron, dans son discours pour Murena (c. 9-13), tourne en ridicule les formes et les mystères des gens de loi, rapportés avec plus de bonne foi par Aulu-Gelle (Nuits Attiques, XX, 10), Gravina (Opp., p. 265, 266, 267) et Heineccius (Antiq., l. IV, tit. 6).

[53] Pomponius (de Origine juris Pandect., liv. I, tit. 2) indique la succession des jurisconsultes romains. Les modernes ont fait preuve de savoir et de critique dans la discussion de cette partie de l’histoire et de la littérature. J’ai surtout été guidé par Gravina (p. 41-79) et Heineccius (Hist. J. R., n° 113, p. 351). Cicéron (de Oratore, de claris Orator., de Legibus) et la Clavis Ciceroniana d’Ernesti (sous les noms de Mucius etc.) fournissent plusieurs détails originaux et fort intéressants. Horace fait souvent, allusion à la matinée laborieuse des gens de loi. Serm., l. I, 10, epist. 2, I, 103, etc.

[54] Crassus, ou plutôt Cicéron lui-même, propose (de Oratore, I, 41, 42) sur l’art ou la science de la jurisprudence une idée qu’Antoine, qui avait de l’éloquence naturelle, mais peut d’instruction, affecte (I, 58) de tourner en ridicule. Cette idée fut en partie réalisée par Servius Sulpicius (in Bruto, c. 41), que Gravina, dans son latin classique, loue avec une élégante variété (p. 60).

[55] Perturbatricem autem harum omnium rerum Academiam, hanc ab Arcesila et Carneade recentem, exoremus ut sileat. Nam si invaserit in haec, quae satis scite nobis instructa et composita videntur, nimias edet ruinas. Quam quidem ego placare cupio, submovere non audeo. (De legibus, I, 13.) Ce passage seul devait apprendre à Bentley (Remarks on Free-Thinking, p. 250) combien Cicéron était fermement attaché à la doctrine spécieuse qu’il a embellie.

[56] Panætius, l’ami du jeune Scipion, fut le premier qui enseigna dans Rome la philosophie stoïcienne. Voyez sa Vie dans les Mém. de l’Acad. des Inscriptions, tom. X, p. 75-89.

[57] Il est cité sur cet article par Ulpien (leg. 40, ad Sabinum in Pandect., l. XLVII, t. II, leg. 21). Trebatius, après avoir été un jurisconsulte du premier ordre, qui familiam duxit, devint un épicurien. (Cicéron, ad Familiares, VII, 5.) Il manqua peut-être de constance ou de bonne foi dans cette nouvelle secte.

[58] Voyez Gravina (p. 45-51) et les frivoles objections de Mascou. Heineccius (Hist. J. R., n° 125) cite et approuve une dissertation de Everard Otto, de Stoïca jurisconsultarum philosophia.

[59] On citait surtout la règle de Caton, la stipulation d’Aquilius et les formes Maniliennes, deux cent onze maximes, et deux cent quarante-sept définitions (Pandect., l. L, tit. 16, 17).

[60] Lisez Cicéron, l. I, de Oratore, Topica, pro Murena.

[61] Voyez Pomponius, de Origine juris Pandect., l. I, tit. 2, leg. 2, n° 47 ; Heineccius, ad Instit., liv. I, tit. 2, n° 8 ; l. II, tit. 25, in Element. et Antiquit. ; et Gravina, p. 41-45. Quoique ce monopole ait été bien fâcheux, les écrivains du temps ne s’en plaignent pas, et il est vraisemblable qu’il fut voilé par un décret du sénat.

[62] J’ai lu la diatribe de Gotfridus Mascovius (le savant Mascou), de Sectis Jurisconsultorum (Leipzig, 1728, in-12, p. 276) ; traité savant, sur un fond stérile et très borné.

[63] Voyez le caractère d’Antistius Labéon dans Tacite (Annal., III, 75) et dans une épître d’Ateius Capiton (Aulu-Gelle, XIII, 12), qui accuse son rival de libertas nimia et VECORS. Toutefois je ne puis penser qu’Horace eût osé couvrir de ridicule un sénateur vertueux et respectable, et j’adopterais la correction de Bentley, qui lit LABIENO insanior. Serm., l. III, 82. Voyez Mascou, de Sectis, chap. I, pages 1-24.

[64] Justinien (Instit., l. III, tit. 23, et Théophil., vers. græc., p. 677, 680) a rappelé cette grande question et les vers d’Homère qu’on allégua de part et d’autre comme des autorités. Elle fut décidée par Paul (leg. 33 ad edict. in Pandect., l. XVIII, tit. 1, leg. 1). Voici sa solution : Dans un simple échange on ne peut distinguer l’acheteur et le vendeur.

[65] Les Proculiens abandonnèrent aussi cette controverse ; ils sentirent qu’elle entraînait des recherches indécentes, et ils furent séduits par l’aphorisme d’Hippocrate, qui était attaché au nombre septenaire de deux semaines d’années, ou de sept cents semaines de jours. (Institut., l. I, tit. 22.) Plutarque et les stoïciens (de Placit. philosophor., liv. V, c. 24) donnent une raison plus naturelle. A quatorze ans, πέρι ην ο σπερματικος κρινεται ορρος. Voyez les Vestigia des sectes dans Mascou, c. 9, p. 145-276.

[66] Mascou rapporte l’histoire et la fin de ces différentes sectes (c. 2-7, p. 24-120), et il serait presque ridicule de le louer de son impartialité entre des sectes entièrement éteintes.

[67] Au premier mot il vola au conseil qu’on tint sur le turbot. Toutefois Juvénal (Sat. IV, 75-81) appelle ce préfet ou bailli de Rome, sanctissimus legum interpres. L’ancien scholiaste dit qu’on l’appelait, non pas un homme, mais un livre, d’après sa science. Il avait pris son nom singulier de Pégase d’une galère de ce nom qu’avait commandée son père.

[68] Tacite, Annal., XVII, 7 ; Suétone, Néron, c. 37.

[69] Mascou, de Sectis, c. 8, p. 120-144 ; de Heriscundis ; terme de loi qu’on appliquait à ces jurisconsultes éclectiques. Herciscere est synonyme de dividere.

[70] Voyez le Code Théodosien (l. I, tit. 4) avec le Commentaire de Godefroy (t. I, p. 30-35). Ce décret pouvait occasionner des discussions jésuitiques, pareilles à celles qu’on trouve dans les Lettres provinciales : on pouvait demander si un juge était obligé de suivre l’opinion de Papinien ou de la majorité contre son jugement et contre sa conscience, etc. Au reste, un législateur pouvait donner à cette opinion, fausse en elle-même, la valeur, non pas de a vérité, mais de la loi.

[71] Pour suivre les travaux de Justinien sur les lois, j’ai étudié la préface des Institutes ; la première, la seconde, et la troisième préface des Pandectes ; la première et la seconde préface du Code ; et le Code lui-même (l. I, tit. 17, de veteri Jure enucleando). Après ces témoignages originaux j’ai consulté parmi les modernes Heineccius (Hist. J. R., n° 383-404), Terrasson (Hist. de la Jurisp. rom., p. 295-356), Gravina (Opp., p. 93-100) et Ludwig dans sa Vie de Justinien (p. 19-123, 318-321), pour le Code et les Novelles (p. 209-261), pour le Digeste ou les Pandectes (p. 262-317).

[72] Voyez sur le caractère de Tribonien, les témoignages de Procope (Persic., l. I, c. 23, 24 ; Anecdotes, c. 13, 20), et Suidas (t. III, p. 501, édit. de Kuster). Ludwig (in Vit. Justinien, p. 175-209) se donne beaucoup de peine pour blanchir un Maure.

[73] J’applique au même homme les deux passages de Suidas ; car toutes les circonstances sont d’un accord parfait. Les jurisconsultes toutefois n’ont pas fait cette remarque, et Fabricius est disposé à attribuer ces ouvrages à deux écrivains. Bibliot. græc., t. I, p. 341 ; II, p. 518 ; III, p. 418 ; XII, p. 346, 353, 474.

[74] Cette histoire est racontée par Hesychius (de Viris illustribus), par Procope (Anecdotes, c. 13) et par Suidas (t. III, p. 501). Une telle flatterie est-elle incroyable ?

Nihil est quod credere de se

Non potest, cum laudatur diis œqua potestas.

Fontenelle (t. I, p. 32-39) a tourné en ridicule l’impudence du modeste Virgile. Le même Fontenelle cependant place son roi au-dessus du divin Auguste ; et le sage Boileau n’a pas rougi de dire :

Le destin à ses yeux n’oserait balancer.

Toutefois Auguste, et Louis XIV n’étaient point des sots.

[75] Πανδεκται (Recueils généraux) était le titre commun des mélanges grecs. (Pline, Prœf. ad Hist. nat.). Les Digesta de Scævola, de Marcellin et de Celsus, étaient déjà familiers aux gens de loi ; mais Justinien se trompait en regardant ces deux mots comme synonymes. Celui de Pandectes est-il grec ou latin, masculin ou féminin ? Le laborieux Brenckman n’ose décider ces importantes questions (Hist. Pandect. Florent., p. 300-304).

[76] Angelus Politianus (l. V, epist. ult.) compte trente-sept jurisconsultes (p. 192-200) cités dans les Pandectes. L’index grec qui est à la suite des Pandectes en compte trente-neuf ; et l’infatigable Fabricius en a trouvé quarante (Bibl. græc., t. III, p. 488-502). On dit qu’Antonius Augustus (de Nominibus propriis, Pandect. apud Ludwig, p. 283) en a ajouté cinquante-quatre ; mais il faut qu’il ait confondu les jurisconsultes cités vaguement, avec ceux dont on a donné des extraits.

[77] Les Στιχοι des anciens manuscrits étaient des sentences ou périodes d’un sens complet, qui, sur la largeur des rouleaux ou des volumes de parchemins, formaient autant de lignes d’une longueur inégale. Le nombre des Στιχοι de chaque livre faisait connaître les fautes des copistes : Ludwig, p. 211-215 ; et Suicer (où il a puisé), Thes. ecclés., p. 1021-1036.

[78] Un discours ingénieux et savant de Schulting (Jurisprudentia ante-Justinianea, p. 883-967), justifie le choix de Tribonien contre les accusations passionnées de François Hottoman et de ses sectaires.

[79] Si on ôte la croûte scientifique dont s’enveloppe Tribonien, et si on lui passe les mots techniques, on trouvera que le latin ces Pandectes n’est pas indigné du siècle d’argent. Il a été attaqué avec véhémence par Laurent Valla, fastidieux grammairien du quinzième siècle, et par Floridus Sabinus, son apologiste. Alciat et un auteur anonyme, qui est vraisemblablement Jacques Capellus, l’ont défendu. Duker a recueilli ces différents traités sous le titre d’Opuscula de latinitate veterum Jurisconsultorum, Lugd. Bat., 1721, in-12.

[80] Nomina quidem veteribus servavimus, legum autem veritatem nostram fecimus. Itaque si quid erat in illis SEDETIOSUM, inulta autem talia srant ibi reposita, hoc decisum est et definitum, et in perspicuum finem deducta est quæque lex. (Cod. Just., liv. I, tit 17, leg. 3, n° 10.) Aveu dépouillé d’artifice !

[81] Le nombre de ces emblemata, terme bien poli pour des faux de cette espèce, a été bien réduit par Bynkershock (dans les quatre derniers livres de ses Observations), qui soutient, par de bien misérables raisons, le droit qu’avait Justinien de les exiger, et l’obligation où était Tribonien de lui obéir.

[82] Les antinomies ou les lois opposées du Code et des Pandectes, sont quelquefois la cause et souvent l’excuse de la glorieuse incertitude des lois civiles, qui donne lieu fréquemment à ce que Montaigne appelle les questions pour l’ami. Voyez un beau passage de François Balduin sur Justinien, l. II, p. 259, etc., apud Ludwig, p. 305, 306.

[83] Lorsque Fust ou Faust vendit à Paris pour des manuscrits ses premières Bibles imprimées, le prix d’une copie en parchemin fut réduit de quatre ou cinq cents écus, à soixante, cinquante et quarante le public fut d’abord charmé de ce bas prix, puis indigné lorsqu’il eut découvert la fraude. Maittaire, Annal. typograph., t. I, p. 1.2, première édition.

[84] Cet exécrable usage prévalut depuis le huitième et surtout depuis le douzième siècle, époque où il était devenu presque universel. Montfaucon, dans les Mém. de l’Acad., t. VI, p, 606, etc. ; Bibl.. raisonn. de la diplom., t. I, p. 176.

[85] Pomponius (Pandect., l. I, tit. 2, leg. 2) dit que, de Mucius, Brutus et Manilius, les trois fondateurs de la science des lois civiles, extant volumina, scripta Manilii monumenta ; de quelques jurisconsultes de la république, hæc versantur eorum scripta inter manus hominum. Huit des sages légistes du siècle d’Auguste furent réduits à un compendium : de Cascellius, scripta non extant, sed unus liber, etc. ; de Trebatius, minus frequentatur ; de Tuberon, libri parum grati suni. Il y a dans les Pandectes plusieurs citations tirées de livres que Tribonien ne vit jamais : et du septième au treizième siècle de Rome, l’érudition apparente des modernes a toujours dépendu des connaissances et de la véracité de leurs prédécesseurs.

[86] On assure que toutes les éditions, et tous les manuscrits répètent en plusieurs endroits les erreurs des copistes et les transpositions de quelques feuilles qui se trouvent dans les Pandectes florentines. Ce fait est décisif s’il est vrai. Cependant les Pandectes sont citées par Yves de Chartres, qui mourut en 1117 ; par Théobald, archevêque de Cantorbéry ; et par Vacarius, le premier qui, en Angleterre, ait professé le droit civil. (Selden, ad Fletam, c. 7, t. II, p. 1080-1085.) A-t-on comparé les manuscrits des Pandectes qui se trouvent en Angleterre avec ceux des autres pays ?

[87] Voyez la description de cet original dans Brenckman (Hist. Pand. florent., l. I, c. 2, 3, p. 4-17, et l. II). L’enthousiaste Politien la révérait comme l’original même du Code de Justinien (p. 407, 408) ; mais ce paradoxe est réfuté par les abréviations du manuscrit de Florence (l. II, c. 3 ; p. 117-130). Il est composé de deux volumes in-4° à brandes marges ; le parchemin est mince, et les caractères latins annoncent la main d’un copiste grec.

[88] Brenckman a inséré à la fin de son histoire deux dissertations sur la république d’Amalfi et la guerre de Pise, en l’année 1135, etc.

[89] La découverte des Pandectes à Amalfi (A. D. 1137) a été indiquée pour la première fois (en 1501) par Ludovicus Bologninus (Brenckman, l. I, c. 11, p. 73, 74 ; l. IV, c. 2, p. 417-425), sur la foi d’une Chronique de la ville de Pise (p. 409, 410), sans nom et sans date. Tous les faits de cette Chronique, quoique inconnus au douzième siècle, embellis par les siècles d’ignorance et suspectés par les critiques, ne sont pas dénués en eux-mêmes de probabilité (liv. I, ch. 4-8, p. 17-50). Il est incontestable que le grand Barthole consulta dans le quatorzième siècle le Liber Pandectarum de Pise (p. 406, 407 ; voyez liv. I, ch. 9, p. 50-62).

[90] Pise fut prise par les Florentins l’an 1406 ; et en 1411, ils transportèrent les Pandectes dans leur capitale. Ces événements sont authentiques et célèbres.

[91] On les enrichit de nouveau d’une couverture de pourpre ; on les enferma dans une riche cassette ; et les moines et magistrats les montraient aux curieux, nu-tête et avec des torches allumées. Brenckman, liv. I, c. 10, 11, 12, p. 62-83.

[92] Henri Brenckman, Hollandais, après avoir comparé le texte de Politien, de Bologninus, d’Antoninus Augustinus, et la belle édition des Pandectes par Taurellus en 1551, entreprit un voyage à Florence. Il y passa plusieurs années à étudier ce seul manuscrit. Son Historia Pandectarum Florentinorum (Utrecht, 1722, in-4°), qui annonce un si grand travail, n’est cependant qu’une petite partie de son premier plan.

[93] Κρυσεα χαλκειων, εκτομβοι έννεκβοιων, apud Homerum patrem omnis virtutis, première préface des Pandectes. Un vers de Milton ou du Tasse nous surprendrait dans un acte du parlement d’Angleterre. Qua omnia obtinere sancimus in omne œvum. Il dit, seconde préface, en parlant du premier Code, in ceternum valiturum. C’est l’homme qui parle d’une éternelle durée.

[94] Le terme de Novellæ est adjectif dans la bonne latinité, et substantif dans celle des temps barbares. (Ludwig, p. 215.) Justinien ne les a jamais recueillies. Les neuf collations qui servent de règle aux tribunaux modernes, renferment quatre-vingt-dix-huit Novelles ; mais les recherches de Julien, de Haloander et de Contins (Ludwig, p. 249, 258 ; Aleman., note in Anecdot., p.98) en ont augmenté le nombre.

[95] Montesquieu, Consid. sur la grand. et la décad. des Romains, c. 20, t. III, p. 501, in-4°. Il se débarrasse ici de la robe et du bonnet de président à mortier.

[96] Procope, Anecdotes, c. 28. On accorda un semblable privilège à l’Eglise de Rome (Novelle IX). Voyez sur la révocation générale de ces funestes privilèges la Novelle III, et l’Édit 5.

[97] Lactance, dans ses Institutes du christianisme, ouvrage élégant et spécieux, se propose pour modèle le titre et la méthode des jurisconsultes. Quidam prudentes et arbitri œquitatis Institutiones Civilis, juris compositas ediderunt. (Instit. div., l. I, c. 1.) Il voulait parler d’Ulpien, de Paul, de Florentinus et de Marcien.

[98] L’empereur Justinien, se sert du mot de suum, en parlant de Caïus, quoique cet écrivain soit mort avant la fin du deuxième siècle. Servius, Boèce, Priscien, etc., citent ces Institutes, et nous avons l’Épitomé qu’en a fait Arrien. Voyez les Prolégomènes et les Notes de l’édition de Schulting, dans la Jurisprudentia ante-Justinianea, Lugd. Bat., 1717. Heineccius, Hist. J. R., n° 313 ; Ludwig, in Vit. Just., p. 99.

[99] Voyez les Annales politiques de l’abbé de Saint-Pierre, t. I, p. 25. Il les publia en 1735. Les plus anciennes familles se vantent d’une possession immémoriale de leurs armes et de leurs fiefs. Depuis les croisades, quelques-unes (et ce sont celles qui paraissent les plus dignes de respect) ont été anoblies par les rois en considération de leurs mérites et de leurs services. La tourbe récente et vulgaire vient de cette multitude de charges vénales sans exercice ou sans dignité, qui tirent perpétuellement de riches plébéiens de la classe des roturiers.

[100] Si un testament donnait à plusieurs légataires un esclave à choisir, ils le tiraient au sort, et ceux qui ne l’obtenaient pas avaient droit à une partie de sa valeur ; un esclave ordinaire, soit un jeune garçon ou une jeune fille, qui avait moins de dix ans, était évalué dix pièces d’or, et vingt au-dessus de dix ans : si l’esclave savait un métier, trente ; s’il était notaire ou scribe, cinquante ; s’il était accoucheur ou médecin, soixante. Les eunuques de moins de dix ans valaient dix pièces d’or, et de plus de dix ans, cinquante ; s’ils s’adonnaient au trafic, soixante-dix. (Cod., leg. 6, tit. 43, leg. 3.) Ces prix fixés par la loi, étaient en général au-dessous de ceux du marché.

[101] Voyez sur l’état des esclaves et des affranchis, les Institutes (l. I, tit. 3-8 ; l. II, tit. 9 ; l. III, t. VIII, IX), les Pandectes ou le Digeste (l. I, tit. 5, 6, l. XXX, tit. 1-4 ; et le livre L en entier), le Code (l. VI, tit. 4, 5 ; l. VII, tit. 23). Lorsque je citerai désormais le texte original des Institutes et des Pandectes, je renverrai en même temps aux articles qui leur correspondent dans les Antiquités et les Éléments de Heineccius ; et lorsqu’il s’agira des vingt-sept premiers livres des Pandectes, je citerai aussi le commentaire savant et raisonnable de Gérard Noodt (Opera, tome II, p. 1-590, à la fin. Lugd. Bat., 1724).

[102] Voyez paria potestas dans les Institutes (l. I, tit. 9), les Pandectes (l. I, tit. 6, 7), et le Code (l. VIII, tit. 47, 48, 49). Jus potestatis quod in liberos habemus, proprium est civium romanorum. Nulli enim alii sunt homines, qui talem in liberos habeant potestatem qualem nos habemus.

[103] Denys d’Halicarnasse (liv. II, p. 94, 95), Gravina (Opp., p. 286), rapportent les termes des Douze-Tables. Papinien (in Collatione legum roman et mosaicarum, tit. 4, p. 204) donne à la patria potestas le nom de lex regia. Ulpien (ad Sabin., liv. XXVI, in Pandect., liv. I, tit. 6, leg. 8) dit : Jus potestatis moribus receptum ; et furiosus filium in potestate labebit. Quelle puissance sacrée, ou plutôt absurde !

[104] Pandectes (l. XLVII, tit. 2, leg. 14, n° 13 ; leg. 38, n° 1). Telle était la décision d’Ulpien et de Paul.

[105] La trina mancipatio est définie clairement par Ulpien (fragment X, pages 591, 592, édit. Schulting), et encore mieux développée dans les Antiquités de Heineccius.

[106] Justinien (Instit., l. IV, tit. 9, n° 7) rapporte et réprouve l’ancienne loi qui accordait aux pères le jus necis. On en retrouve d’autres vestiges dans les Pandectes (l. XLIII, tit. 29, leg. 4, n° 4), et dans la Collatio legum romanarum et mosaïcarum (tit. 2, n° 3, p. 189).

[107] Il faut excepter toutefois les occasions publiques et l’exercice actuel des emplois. In publicis locis atque muneribus atgue actionibus, patrum jura cum filiorum qui in magistratu sunt, potestatibus collata, interquiescere paululum et connivere, etc. (Aulu-Gelle, Nuits Attiques, II, 2.) L’ancien et mémorable exemple de Fabius était employé à justifier les leçons du philosophe Taurus ; et l’on peut lire la même histoire dans la langue de Tite-Live (XXIV, 44) et dans le plat idiome de l’annaliste Claudius Quadriarius.

[108] Voyez la manière dont le pécule des enfants s’étendit et acquit peu à peu de la sûreté dans les Institutes (l. II, tit. 9), les Pandectes (l. XV, tit. 1 ; l. XLI, tit. 1), et le Code (l. IV, tit. 26, 27).

[109] Sénèque (de Clementia, I, 14, 15) cite les exemples d’Érixon et d’Arius : il parle du premier avec horreur, et du second avec éloge.

[110] Quod latronis magis quam patris jure eum interfecit, nam patria potestas in pietate debet non in atrocitate consistere. Marcien, Institutes, l. XIV, in Pandect., l. XLVIII, tit 9, leg. 5.

[111] Les lois Pompeia et Cornelia (de Sicariis et Parricidiis), sont renouvelées ou plutôt abrégées, avec les derniers suppléments d’Alexandre-Sévère, de Constantin et de Valentinien, dans les Pandectes (l. XLVIII, tit. 8, 9), et dans le Code (l. IX, tit. 16, 17). Voyez aussi le Code Théodosien (l. IX, tit. 14, 15) avec le Commentaire de Godefroy (t. III, 84-113), qui répand sur ces lois pénales un torrent d’érudition ancienne et moderne.

[112] Lorsque le Chremès de Térence reproche à sa femme de lui avoir désobéi en n’exposant pas leur enfant, il s’exprime comme un père et comme un maître, et fait taire les scrupules insensés de sa femme. Voyez Apulée, Métamorphoses, l. X, p. 337, édit. ad usum Delphini.

[113] L’opinion des jurisconsultes et la prudence des magistrats avaient, à l’époque où Tacite vécut, introduit quelques restrictions légales qui pouvaient justifier le contraste qu’il établit entre les boni mores des Germains et les bonæ leges alibi, c’est-à-dire à Rome (de Moribus Germanorum, c. 19). Tertullien (ad Nationes, l. I, c. 15) réfute ses propres accusations et celles de ses confrères contre la jurisprudence païenne.

[114] La décision sage et humaine du jurisconsulte Paul (l. II, Sententiarum, in Pandect., l. XXV, tit. 3, leg. 4) n’est représentée que comme un précepte moral par Gérard Noodt (Opp., t. I, in Julium Paulum, p. 567-588, et Amica responsio, p. 591-606), qui soutient l’opinion de Juste Lipse (Opp., t. II, p. 409 ; ad Belgas, cent. I, epist. 85). Bynkershock en parle comme d’une loi positive et obligatoire (de Jure occidendi liberos, Opp., t. I, p. 318-340 ; Curæ secundæ, p. 391-427). Dans cette controverse savante et pleine d’aigreur, les deux amis sont tombés dans les extrémités opposées.

[115] Denys d’Halicarnasse, l. II, p. 92, 93 ; Plutarque, in Numa, p. 140, 141.

[116] Parmi les frumenta d’hiver, on employait le triticum ou le froment barbu, le siligo ou le blé non barbu, le far, l’adorea, l’oryza, dont la description s’accorde parfaitement avec celles du riz d’Espagne et d’Italie. J’adopte cette identité d’après l’autorité de M. Paucton, dans son utile et laborieux ouvrage sur la Métrologie (p. 517-529).

[117] Aulu-Gelle (Noctes Atticæ, XVIII, 6) donne une définition ridicule d’Ælius Melissus, Matrona quœ semet, MATERFAMILIAS quœ sæpius peperit, comme s’il s’agissait d’une porceira et d’une scropha. Il donne ensuite le véritable sens Quœ in matrimonium vel in manum convenerat.

[118] C’était assez d’avoir goûté du vin ou dérobé la clef du cellier. Pline, Hist. nat., XIV, 14.

[119] Solon exige qu’on remplisse le devoir conjugal trois fois par semaine. La Mishna l’ordonne une fois par jour à un mari qui ne travaille point, qui est jeune et vigoureux, Elle le fixe à deux fois par semaine pour l’habitant de la ville, à une fois pour un paysan, à une fois tous les trente jours pour un conducteur de chameaux, et une fois tous les six mois pour un marin ; mais celui qui se livrait à l’étude et le docteur en étaient exempts. Une femme qui l’obtenait une fois par semaine ne pouvait demander le divorce : le vœu de continence pour une semaine était permis. La polygamie divisait les devoirs du mari sans les multiplier. Selden, Uxor hebraica, l. III, c. 6, dans ses ouvrages, vol. 2, p. 717-720.

[120] Tite-Live (l. XXXIV, 1-8) rapporte, sur la loi Oppia, le discours modéré de Valerius Flaccus, et la harangue sévère prononcée par Caton l’Ancien en sa dualité de censeur. Mais les orateurs du sixième siècle de la fondation de Rome n’avaient pas le style élégant que leur prête l’historien du huitième. Aulu-Gelle (X, 23) a mieux conservé les principes et même le style de Caton.

[121] Voyez sur le système du mariage des Juifs et des catholiques, Selden (Uxor hebraica, Opp., vol. 2, p. 529-860), Bingham (Christian antiquities, l. XXII) et Chardon (Hist. des Sacrem., t. VI).

[122] Les lois civiles du mariage sont exposées dans les Institutes (l. X, tit. 10), dans les Pandectes (l. XXIII, 24, 25) et dans le Code (l. V). Mais comme le titre de Ritu nuptiarum est imparfait, il faut recourir aux Fragments d’Ulpien (tit. 9, p. 590, 591) et à la Collatio legum mosaïcarum (tit. 16, p. 790, 791), avec les Notes de Pithaeus et de Schulting. Il y a deux passages curieux dans le Commentaire de Servius, sur le premier livre des Géorgiques et le quatrième de l’Énéide.

[123] Selon Plutarque (p. 57), Romulus a admit que trois causes de divorce, l’ivrognerie, l’adultère et les fausses clefs. Et, tout autre cas, lorsque l’époux abusait de son droit de suprématie, la moitié de ses biens était, dit-on, confisquée, au profit de la femme, l’autre moitié au profit de la déesse Cérès ; et il offrait un sacrifice, apparemment avec le reste, aux divinités de la terre. Cette étrange loi est imaginaire, ou elle n’a été que passagère.

[124] L’an de Rome 523, Spurius Carvilius Ruga répudia une femme bonne et belle mais qui était stérile. (Denys d’Halicarnasse, l. II, p. 93 ; Plutarque, in Numa, p. 141 ; Valère Maxime, l. II, c. 1 ; Aulu-Gelle, IV, 3.) Il fut repris par les censeurs et détesté du peuple, mais la loi ne s’opposa point à son divorce (*).

(*) Montesquieu raconte et explique autrement ce fait. Esprit des Lois, l. XVI, c. 16. (Note de l’Éditeur.)

[125] Sic, fiant octo mariti,

Quinque per autumnos. JUVÉNAL, Satir. VI, 20.

Quoique cette succession soit bien rapide, toutefois elle est croyable, ainsi que le non consulum numero, sed maritorum annos suos computant de Sénèque (de Beneficiis, III, 16). Saint Jérôme vit à Rome un mari qui enterrait sa vingt et unième femme, laquelle avait enterré vingt-deux de ses prédécesseurs, moins robustes que lui (Opp., tom. I, p. 90, ad Gerontiam). Mais les dix maris en un mois du poète Martial sont une hyperbole extravagante (l. VI, epigr. 7).

[126] Publius Victor, dans la Description de Rome, parle d’un Sacellum viriplacœ (Valère Maxime, l. II, c. 1), qui se trouvait dans le quartier Palatin au temps de Théodose.

[127] Valère Maxime (l. II, c. 9). Il juge avec quelque raison le divorce plus criminel que le célibat : illo namque conjugalia sacra spreta, tantum, hoc etiam injuriose tractata.

[128] Voyez les lois d’Auguste et de ses successeurs, dans Heineccius (ad legem Papiam-Poppeam, c. 19, in Opp., t. VI, part. I, p. 323-333).

[129] Aliæ sunt leges Cæsarum ; aliæ Christi : aliud Papinianus, aliud Paulus NOSTER prœcipit. Saint Jérôme, t. I, p. 198 ; Selden, Uxor hebraica, l. III, c. 31, p. 847-853.

[130] Les Institutes ne disent rien sur cet, objet ; mais on peut voir le Code de Théodose (l. III, tit. 16, avec le Commentaire de Godefroy, t. I, p. 310-315) ; et celui de Justinien (l. V, tit. 17), les Pandectes (l. XXIV, tit. 2), et les Novelles 22, 117, 127, 134, 140. Justinien flotte jusqu’à son dernier moment entre la loi civile et la loi ecclésiastique.

[131] Πορνεια n’est pas un mot commun dans les bons auteurs grecs, et la fornication, qu’il signifie proprement, ne peut, à la rigueur, convenir à l’infidélité du mariage. Jusqu’où peut-il s’étendre, et à quelles offenses est-il applicable dans un sens figuré ? Jésus-Christ parlait-il la langue des rabbins ou la langue syriaque ? Quel est le mot original qu’on a rendu par celui de πορνεια ? Dans les versions anciennes et modernes, on traduit ce mot grec de bien des manières différentes. Si on veut soutenir que Jésus-Christ n’excepta pas cette cause de divorce, on a deux autorités (saint Marc, X, 11 ; saint Luc, XVI, 18) contre une (saint Matthieu, XIX, 9). Quelques critiques, adoptant une réponse qui élude la difficulté, ont osé croire qu’il ne voulait offenser ni l’école de Sammai, ni celle de Hillel. Selden, Uxor hebraica., l. III, c. 18, 22, 28, 31.

[132] Justinien expose les principes de la jurisprudence romaine (Institut., l. I, tit. 10), et les lois et les mœurs des différentes nations de l’antiquité sur les degrés défendus, etc., sont développées en détail par le docteur Taylor dans ses Éléments de la loi civile (p. 108, 314-339), ouvrage d’une érudition amusante et variée, mais dont on ne peut louer la précision philosophique.

[133] Lorsque Agrippa, son père, mourut (A. D. 44), Bérénice avait seize ans (Josèphe, Antiquités judaïques, l. XIX, c. 9, p. 952, édit. Havercamp). Elle avait donc plus de cinquante ans lorsque Titus (A. D. 79) invitus invitam dimisit. Cette date n’aurait pas produit un heureux effet dans la tragédie ou la pastorale du tendre Racine.

[134] L’Ægyptia conjux de Virgile (Énéid., VIII, 688) semble être comptée parmi les monstres qui firent la guerre avec Marc-Antoine contre Auguste, le sénat et les dieux de l’Italie.

[135] L’ordonnance de Constantin donna la première ce droit ; car Auguste avait défendu de prendre pour concubine une femme que l’on pouvait épouser ; et si on l’épousait ensuite, ce mariage ne changeait rien aux droits des enfants nés auparavant : on avait alors la ressource de l’adoption, proprement dite arrogation. (Note de l’Éditeur.)

[136] Les droits modestes, mais autorisés par la loi, des concubines et des enfants naturels, se trouvent fixés dans les Institutes (l. V, tit. 10), les Pandectes (l. I, tit. 7) le Code (l. VI, tit. 25) et les Novelles (74 et 89). Les recherches d’Heineccius et de Giannone (ad legem Juliam et Papiam-Poppæam, l. IV, p. 164-175 ; Opere posthume, p. 108-158) éclaircissent ce point intéressant des mœurs domestiques.

[137] Voyez l’article des tuteurs et des pupilles dans les Institutes (l. II, tit. 13-26), les Pandectes (l. XXVI, XXVII), et le Code (l. V, tit. 28-70).

[138] Institutes, l. II, tit. 1, 2. Comparez les raisonnements nets et précis de Caïus et d’Heineccius (l. II, tit. 1, p. 69-91) avec la prolixité vague de Théophile (p. 207-265). Les opinions d’Ulpien se trouvent consignées dans les Pandectes (l. I, tit. 8, leg. 41, n° 1).

[139] Varron détermine l’heredium des premiers Romains (de Re rustica, l. I, c. 2, p. 141 ; c. 10, p. 160, 161, édit. Gesner). Les déclamations de Pline (Hist. nat., XVIII, 2) obscurcissent cette matière. On trouve sur ce point des remarques justes et savantes dans l’Administration des terres chez les Romains, p. 12-66.

[140] Ulpien (Fragm., tit. 18, p. 618, 619) et Bynkershock (Opp., t. I, p. 306-3 15) expliquent la res manceps d’après quelques fables lueurs tirées de très loin : leur définition est un peu arbitraire ; et les auteurs n’ayant point donné de raison positive, je me défie de celle que j’ai alléguée.

[141] De la brièveté de cette prescription Hume conclut (Essays, vol. I, p. 423) que les propriétés ne pouvaient pas alors être plus fixes en Italie qu’elles ne le sont aujourd’hui chez les Tartares. Wallace son adversaire, plus versé dans les lois de Rome, lui reproche avec raison de n’avoir pas songé aux conditions qui l’accompagnaient. Institutes, l. II, tit. 6.

[142] Voyez les Institutes (l. I, tit. 4, 5) et les Pandectes (l. VII). Noodt a composé un traité particulier et savant de Usufructu (Opp. 387-478).

[143] Les questions de Servitutibus se trouvent discutées dans les Institutes (l. II, tit. 3) et les Pandectes (l. 8). Cicéron (pro Murena, c. 9) et Lactance (Instit. div., c. 1) affectent de rire de la doctrine insignifiante de aqua pluvia arcenda, etc. Cependant ces sortes de procès devaient être communs soit à la ville, soit à la campagne.

[144] Chez les patriarches, le premier né avait un droit de primogéniture mystique et spirituelle. (Genèse, XXV, 31.) Dans la terre de Canaan il avait une double portion de l’héritage. Deutéronome, XXI, 17, avec le Commentaire judicieux de Leclerc.

[145] A Athènes, la portion des fils était égale ; mais les pauvres filles ne recevaient que ce que les frères voulaient bien leur donner. Voyez les raisons κληρικοι que faisait valoir Isée (dans le septième volume des Orateurs grecs), développées dans la version et le commentaire de sir William Jones, écrivain savant, très instruit sur les lois, et homme de génie.

[146] En Angleterre, le fils aîné hérite seul de tous les biens-fonds ; loi, dit l’orthodoxe Blackstone (Commentaries on the Laws of England, vol. 2, p. 215), qui n’est injuste que dans l’opinion des fils cadets. Elle peut avoir une bonté politique en excitant l’industrie.

[147] Les Tables qu’a données Blackstone (vol. 2, p. 202), désignent et rapprochent les degrés de la loi civile de ceux de la loi canonique et de la loi commune. Un traité particulier de Julius Paulus (de Gradibus et Affinibus) a été inséré en entier ou en abrégé dans les Pandectes (l. XXXVIII, tit. 10). Au septième degré on compte déjà (n° 18) mille vingt-quatre personnes.

[148] La loi Voconia fut publiée l’an de Rome 584. Le plus jeune des Scipions, qui avait alors dix-sept ans (Freinshemius, Supplément de Tite-Live, XLVI, 40), trouva l’occasion d’exercer sa générosité envers sa mère, ses sœurs, etc. Polybe, qui vivait dans sa maison, fût le témoin de cette belle action (t. II, l. XXXI, p. 1453-1464, édit. de Gronovius).

[149] Legem Voconiam (Ernesti, Clavis Ciceroniana) magna voce bonis lateribus (à soixante-cinq ans) suasissemi, dit Caton l’Ancien (de Senectate, c. 5). Aulu-Gelle (VII, 3 ; XVII, 6) en a conservé quelques passages.

[150] Voyez la loi des Successions dans les Institutes de Caïus (l. II, tit. 8, p. 130-144), et Justinien (l. III, tit. 1-6, avec la version grecque de Théophile, p. 515-575, 588-600), les Pandectes (l. XXXVIII, tit. 6-17), le Code (l. VI, tit. 55-60), et les Novelles (118).

[151] Taylor, écrivain savant et plein de feu, mais sujet aux écarts, a prouvé (Elements of Civil Law, p. 519, 527) que la succession était la règle, et le testament l’exception. La méthode des Institutes est incontestablement, dans les IIe et IIIe livres, contraire à l’ordre naturel. Le chancelier d’Aguesseau (Œuvres, t. I, p. 275) désirait que Domat, son compatriote, eût été à la place de Tribonien. Cependant les contrats avant les successions ne forment sûrement pas l’ordre naturel des lois civiles.

[152] Les testaments antérieurs à cette époque sont peut-être fabuleux. A Athènes, les pères qui mouraient sans enfants avaient seuls le droit de tester. Plutarque, in Solon, t. I, p. 164. Voyez Isæus et Jones.

[153] On trouve une mention du testament d’Auguste dans Suétone (in Auguste, c. 101 ; in Néron, c. 4), écrivain qu’on peut étudier comme un recueil d’antiquités romaines. Plutarque (Opusc., t. II, p. 976) est surpris. Les expressions d’Ulpien (Fragment, tit. 10, p. 621, édit. de. Schulting) paraissent trop exclusives. Solum in usu est.

[154] Justinien (Novelle 115, n° 3, 4) fait l’énumération des crimes publics et privés, qui pouvaient seuls donner aussi à un fils le droit de déshériter son père.

[155] Les substitutions fidéicommissaires de nos lois civiles offrent une idée féodale, entée sur la jurisprudence des Romains, et à peine ont-elles quelque ressemblance avec les anciens fideicommissa. (Institutions du Droit français, t. I, p. 347-383 ; Denisart, Décisions de jurisprudence, t. V, p. 577-604.) En abusant de la cent cinquante-neuvième Novelle, loi partiale, embarrassée et déclamatoire, on les étendit jusqu’au quatrième degré.

[156] Dion Cassius (t. II, l. LVI, p. 814, avec les Notes de Reimar) spécifie vingt-cinq mille drachmes, selon la manière de compter des Grecs.

[157] Montesquieu (Esprit des Lois, l. XXVII) a expliqué avec son talent ordinaire, mais quelquefois d’après son imagination plutôt que d’après les monuments, les révolutions des lois romaines sur les successions.

[158] Les principes de la jurisprudence civile sur les successions, les testaments, les codicilles, les legs et les fidéicommis, se trouvent dans les Institutes de Caïus (l. II, tit. 2-9 p. 91-144), Institutes de Justinien (l. II, tit. 10-25) et de Théophile (p. 328-514). Cet immense détail occupe douze livres (28-39) des Pandectes.

[159] Les Institutes de Caïus (l. II, tit. 9, 10, p. 144-214), de Justinien (l. III, tit. 14-30 ; l. IV, tit. 1, 6) et de Théophile (p. 616-83’7), distinguent quatre espèces d’obligations, aut re, aut verbis, aut litteris, aut consensu ; mais j’avoue que je préfère la division que j’ai adoptée.

[160] Combien le témoignage tranquille et raisonnable de Polybe (l. VI, p. 693 ; l. XXXI, p. 1459, 1460) est supérieur à des louanges vagues et indéterminées ! Omnium maxime et præcipue fidem coluit. Aulu-Gelle, XX, 1.

[161] Gérard Noodt a composé un traité particulier et satisfaisant sur le jus prœtorium de pactis et transactionibus (Opp., t. I, p. 463, 564) ; et j’observerai ici qu’au commencement de ce siècle, les universités de Hollande et de Brandebourg semblent avoir étudié les lois civiles sur les principes les plus justes et les plus nobles.

[162] Ce qui a rapport à la matière délicate et variée des contrats par consentement, est répandu dans les quatre livres des Pandectes (17, 20) ; et c’est une des parties qui méritent le plus d’être étudiées par un Anglais.

[163] La nature des baux est fixée dans les Pandectes (l. XIX), et dans le Code (l. IV, tit. 65). Le quinquennium ou le terme de cinq ans parait avoir été une coutume plutôt qu’une loi. En France, tous les baux des terres étaient fixés à neuf ans ; cette restriction n’a été abolie qu’en 1775 (Encyclopédie méthodique, tome I, de la Jurisprudence, p. 668, 669) ; et j’observe avec douleur qu’elle subsiste encore dans l’heureuse et belle contrée que j’habite (dans le pays de Vaud).

[164] Je pourrais ici m’en rapporter sans restriction à l’opinion et aux recherches des trois livres de Gérard Noodt, de Fœnore et Usuris (Opp., t. I, p. 175, 268). Les meilleurs critiques et les gens de loi les plus habiles évaluent les asses ou centesimæ usuræ à douze, et les unciariæ à un pour cent. Voyez Noodt, l. II, c. 2, p. 207 ; Gravina, Opp., p. 205, etc., 210 ; Heineccius, Antiquit. ad Institut., l. III, tit. 15 ; Montesquieu, Esprit des Lois, l. XXII, c. 22 ; t. 2, p. 36 ; t. 3, p. 478, etc. Défense de l’Esprit des Lois ; et particulièrement Gronovius, de Pecunia veteri, l. III, p. 213-227, et ses trois Antexegèses, p. 455, 655, le fondateur ou le champion de cette opinion probable, qui offre encore cependant quelques difficultés.

[165] Primo 12 Tabulis sancitum est, ne quis unciario fœnore amplius exerceret. (Tacite, Annal., VI, 16.) Pour peu, dit Montesquieu (Esprit des Lois, l. XXII, c. 22), qu’on soit versé dans l’histoire de Rome, on verra qu’une pareille loi ne devait pas être l’ouvrage des décemvirs. Tacite était-il donc ignorant ou stupide ? Les plus sages et les plus vertueux des patriciens pouvaient sacrifier leur avariée à leur ambition, et essayer d’anéantir un usage vicieux, en établissant un intérêt auquel aucun prêteur ne voudrait souscrire, et de telles peines, qu’aucun débiteur ne voudrait s’y exposer.

[166] Justinien n’a pas daigné parler de l’usure dans ses Institutes ; mais les règles et les restrictions sur cette matière se trouvent dans les Pandectes (l. XXII, tit. 1, 2), et le Code (l. IV, tit. 32, 33).

[167] L’opinion des pères de l’Église est unanime sur ce point. Barbeyrac, Morale des Pères, p. 144, etc. Voyez saint Cyprien, Lactance, saint Basile, saint Chrysostome (vous trouverez ses frivoles arguments dans Noodt, l. I, c. 7, p. 188), saint Grégoire de Nysse, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin, et une multitude de conciles et de casuistes.

[168] Caton, Sénèque et Plutarque, ont condamné hautement la pratique ou l’abus de l’usure. Selon l’étymologie de fœnus et de τοκος, on suppose que le principal engendre l’intérêt. Postérité d’un métal stérile ! s’écrit Shakespeare, et le théâtre est l’écho de la voix publique.

[169] Sir William Jones a donné un essai ingénieux et raisonnable sur la loi des cautions. (Londres, 1781, p. 127.) Il est peut-être le seul jurisconsulte qui connaisse également bien les registres de Westminster, les commentaires d’Ulpien, les plaidoyers attiques d’Isée, et les sentences des juges de l’Arabie et de la Perse.

[170] Noodt (Opp., tome I, p. 137, 172) a composé un traité particulier sur la loi Aquilia (Pandectes, liv. IX, tit. 2).

[171] Aulu-Gelle, Nuits attiques, XX, 1. Il a tiré cette histoire des Commentaires de Q. Labéon sur les Douze-Tables.

[172] La narration de Tite-Live (I, 28) est imposante et grave. At tu dictis, Albane, maneres, est une réflexion bien dure, indigne de l’humanité de Virgile (Enéide, VIII, 643). Heyne, avec son bon goût ordinaire, observe que ce sujet était trop horrible, et que l’auteur de l’Enéide n’aurait pas dû le placer sur le bouclier d’Enée (t. III, p. 229).

[173] Sir John Marsham (Canon chronicus, p. 593, 596), et Corsini (Fasti attici, t. III, p. 62), ont fixé l’époque où vécut Dracon (Olympiade XXXIX, 1). Quant à ses lois voyez les auteurs qui ont écrit sur le gouvernement d’Athènes, Sigonius, Meursius, Potter, etc.

[174] La septième des Delictis, dans les Douze-Tables, est développée par Gravina (Opp., p. 292, 293, avec un commentaire, p. 214, 230). Aulu-Gelle (XX, 1), et la Collatio legum mosaïcarum et romanarum, contiennent beaucoup de détails instructifs.

[175] Tite-Live fait mention de deux époques de crimes où trois mille personnes furent accusées, et cent quatre-vingt-dix nobles matrones convaincues du crime d’empoisonnement (XL, 43 ; VIII, 18). M. Hume distingue les temps de vertu publique et ceux de vertu privée. (Essays, vol. I, p. 22, 23.) Je croirais plutôt que ces effervescences de crime ; telles que l’année 1680 en France, sont des accidents et des monstruosités qui ne laissent point de traces dans les mœurs d’une nation.

[176] Les Douze-Tables et Cicéron (pro Roscio Amerino, c. 25, 26), ne parlent que du sac. Sénèque (Excerpt. controvers., V, 4) y ajoute les serpents. Juvénal a pitié du singe qui n’avait fait aucun mal (innoxia simia, satir. XIII, 156). Adrien (apud Dositheum magistrum, l. III, c. 167 p. 874, 876, avec la note de Schulting), Modestinus (Pandectes, XLVIII, tit. 9, leg. 9), Constantin (Code, l. IX, tit. 17), et Justinien (Institutes, l. IV, tit. 18), désignent tout ce qu’on mettait dans le sac du parricide. Mais on simplifiait dans la pratique ce supplice bizarre. Hodie tamen vivi exuruntur vel ad bestias dantur. Paul, Sentent. recep., l. V, tit. 94, p. 512, édit. de Schulting.

[177] Le premier parricide qu’on ait vu à Rome fut L. Ostius, après la seconde guerre punique. (Plutarque, in Romulo, t. I, p. 57.) Durant la guerre des Cimbres, P. Malleolus se rendit coupable du premier matricide. Tite-Live, Épitomé, l. LXVIII.

[178] Horace parle du formidine fustis (l. II, epist. 2, 154) ; mais Cicéron (de Republica, l. IV, apud saint Augustin, de Civit. Dei, IX, 6, in Fragment philosop., t. III, p. 393, édit. d’Olivet) assure que les décemvirs décernèrent des peines capitales contre les libellés : Cum perpaucas res capite sanxissent. — PERPAUCAS !

[179] Bynkershock (Observat. juris rom., l. I, c. I ; in Opp., t. I, p. 9-7, 10, 11) s’efforce de prouver que les créanciers ne partageaient pas le corps, mais la valeur du débiteur insolvable. Mais son interprétation n’est qu’une métaphore continuelle, et ne peut détruire l’autorité des Romains eux-mêmes, de Quintilien, de Cæcilius, de Favonius et de Tertullien. Voyez Aulu-Gelle, Nuits attiques, XXI.

[180] Le premier discours de Lysias (Reiske, Orator. græc., tom. V, p. 2-48) est la défense d’un mari qui avait tué un adultère. Le docteur Taylor (Lectiones Lysiacœ, c. 11, in Reiske, tom. VI, 301- 308) discute avec beaucoup de savoir les droits des maris et des pères à Rome et à Athènes.

[181] Voyez Casaubon (ad Athenæum, l. I, c. 5, p. 19). Percurrent raphanique mugilesque (Catulle, p. 41, 42, édit. de Vossius). Hunc mugilisque intrat (Juvénal, Satir. X, 317). Hunc perminxere calones (Horat., l. I, Satir. II, 44). Familiœ stuprandum dedit.... Fraudit non suit (Valère Maxime, l. VI, c. 1, n° 13).

[182] Tite-Live (II, 8) et Plutarque (in Publicola, tom. I, p. 187) remarquent cette loi : elle justifie complètement l’opinion publique sur la mort de César ; opinion que Suétone ne craignait pas de publier sous le gouvernement des empereurs. Jure cœsus existimatur, dit-il, in Julio, c. 76. Lisez de plus les lettres que s’écrivirent Cicéron et Mutius, peu de mois après les ides de Mars (ad Fam., XI, 27, 28).

[183] Thucydide, l. I, c. 6. L’historien qui tire de cette circonstance un moyen de juger l’état de la civilisation, dédaignerait la barbarie d’une cour de l’Europe.

[184] Cicéron évalua d’abord les dommages de la Sicile à millies (huit cent mille livres sterling, Divinatio in Cœcilium, c. 5) ; il les réduisit ensuite à quadraginties (trois cent vingt mille livres sterling, première harangue, in Verrem, c. 18) ; et enfin il se contenta de tricies (vingt-quatre mille livres sterling). Plutarque (in Cicéron., t. III, p. 1584) n’a pas dissimulé les soupçons et les bruits qui coururent alors.

[185] Verrès passa environ trente années dans son exil jusqu’au second triumvirat, époque où il fut proscrit par le bon goût de Marc-Antoine, qui s’était épris de sa belle vaisselle de Corinthe. Pline, Hist. nat., XXXIV, 3.

[186] Tel est le nombre indiqué par Valère Maxime (l. XX, c. 1, n° 1). Florus (IV, 21) dit que deux mille sénateurs et chevaliers furent proscrits par Sylla. Appien (de Bello civili, l. I, c. 95, t. II, p. 233, édit. Schweighæuser) compte avec plus d’exactitude quarante victimes du rang de sénateur, et seize cents de l’ordre équestre.

[187] Voyez sur les lois pénales, c’est-à-dire les lois Cornelia, Pompeia, Julia, de Sylla, de Pompée et des Césars, les Sentences de Paul (l. IV, tit. 18-30, p. 497-528, édit. de Schulting), le Code Grégorien (Fragment, l. XIX, p. 705, 706, édit. de Schulting), la Collatio legum mosaïcarum et romanarum (t. 1-15), le Code Théodosien (l. IX), le Code de Justinien (liv. IX), les Pandectes (XLVIII), les Institutes (liv. IV, tit. 18), et la version grecque de Théophile (p. 917-926).

[188] C’était un tuteur qui avait empoisonné son pupille. Le crime était atroce ; cependant Suétone (c. 9) met ce châtiment au nombre des actions où Galba se montra acer, vehemens, et indelictis cœrcendis immodicus.

[189] Les abactores ou abigeatores, qui détournaient un cheval, deux juments ou deux bœufs, cinq cochons ou dix chèvres, encouraient une peine capitale. (Paul, Sentent. recept., l. IV, tit. 18, p. 497, 498.) Adrien (ad Concil. Bœtic.) plus sévère, en raison de la fréquence du délit, condamne les criminels ad gladium, ludi damnationem. Ulpien, de Officio proconsulis, l. VIII, in Collatione legum mosaïcarum et romanarum, tit. II, p. 235.

[190] Jusqu’à la publication du Julius Paulus de Schulting (l. II, tit. 26, p. 317-323), on a affirmé et on a cru que les lois Julia décernaient la peine de mort contre l’adultère ; et cette méprise, est venue d’une fraude ou d’une erreur de Tribonien. Au reste, Lipse devinait la vérité, d’après le récit de Tacite (Annal., II, 50 ; III, 24 ; IV, 42), et même d’après l’usage d’Auguste, qui, distinguait les faiblesses des femmes de sa famille, qui entraînaient le crime de lèse-majesté.

[191] Dans les cas d’adultère, Sévère borna au mari le droit d’une accusation publique. (Cod. Justin., l. IX, tit. 9, leg. 1.) Cette faveur accordée au mari n’est peut-être pas injuste, puisque l’infidélité des femmes a des suites bien plus fâcheuses que celle des hommes.

[192] Timon (l. I) et Théopompe (l. XLIII, ap. Athenæurn, l. XII, p. 517.) décrivent le luxe et la débauche des Etrusques. Vers la même époque (A. U. C. 445) les jeunes Romains fréquentaient les écoles de l’Etrurie (Tite-Live, IX, 36).

[193] Les Perses s’étaient corrompus à la même école Hérodote, l. I, c. 135. On ferait une dissertation très curieuse sur l’introduction du vice contre nature, après le temps d’Homère, sur ses progrès chez les Grecs de l’Asie et de l’Europe, sur la véhémence de leurs passions, et le faible moyen de la vertu et de l’amitié qui amusait les philosophes d’Athènes. Mais scelera ostendi oportet dum puniuntur, abscondi flagitia.

[194] Le nom, l’époque et les dispositions de cette loi, ont la même incertitude. (Gravina, Opp., p. 432, 433 ; Heineccius, Hist. jur. rom., n° 108 ; Ernesti, Clav. Ciceron in Indice legum) Mais j’observerai que la nefanda Venus de l’honnête Allemand est appelée aversa par l’Italien plus poli.

[195] Voyez le discours d’Eschine contre le catamite Timarche (in Reiske, Orat. græc., t. III, p. 21-184.)

[196] Les honteux passages se présentent en foule à l’esprit du lecteur qui connaît les auteurs anciens ; je me contenterai d’indiquer ici la tranquille réflexion d’Ovide :

Odi concubitus qui non utrumque resolvunt.

Hoc est quod puerunt tangar amore MINUS.

[197] Julius Lampride (in Héliogabale, dans l’Histoire Auguste, p. 112), Aurelius Victor (in Philipp, Cod. Theod., l IX, tit. 7, leg. 7), et le Commentaire de Godefroy (t. III, p. 63). Théodose abolit les mauvais lieux établis dans les souterrains de Rome, où les deux sexes se prostituaient impunément.

[198] Voyez les lois de Constantin et de ses successeurs contre l’adultère, la sodomie, etc., dans le Code Théodosien (l. IX, tit. 7, leg. 7 ; l. XI, tit. 36, leg. 1, 4) et le Code Justinien (l. IX, tit. 9, leg. 30, 31). Ces princes parlent le langage de la passion, ainsi que celui de la justice ; et ils ont la mauvaise foi d’attribuer aux premiers Césars leur propre sévérité.

[199] Justinien, Novell. 77, 134, 141 ; Procope, in Anecdotes, c. 11-16, avec les Notes d’Alemannus ; Théophane, p. 151 ; Cedrenus, p. 368 ; Zonare, l. XIV, p. 64.

[200] Montesquieu, Esprit des Lois, l. XII, c. 6. Ce philosophe, si recommandable par son génie, concilie les droits de la liberté et de la nature, qui ne devraient jamais être opposés.

[201] Voyez sur la corruption de la Palestine, vingt siècles avant l’ère chrétienne, l’histoire et les lois de Moïse. Diodore de Sicile (t. I, l. V, p. 356) reproche ce vice aux anciens Gaulois : les voyageurs musulmans ou chrétiens l’imputent à la Chine. (Ancien. Relat. de l’Inde et de la Chine, p. 34, traduites par le père Renaudot et son amer critique, le père Prémare, Lettres édifiantes, t. XIX, p. 435.) Les historiens espagnols en accusent les naturels de l’Amérique. (Garcilaso de la Vega, l. III, c. 13 ; et Dictionnaire de Bayle, t. III, p. 88.) J’espère et je crois que cette peste ne s’est pas répandue parmi les nègres d’Afrique.

[202] Charles Sigonius (l. III, de Judiciis in Opp., t. III, p. 679-864) explique avec beaucoup d’érudition, et en style classique, l’importante matière des questions et des jugements publics à Rome, et on en trouve un précis bien fait dans la République romaine de Beaufort, t. II, l. V, p. 1-12.1. Ceux qui désirent plus de détails peuvent étudier Noodt (de Jurisdictione et imperio., libri duo, t. I, p. 93-134), Heineccius (ad Pandect., l. I et II ; ad Institut., l. IV, tit. I7 ; Element. ad Antiquit.) et Gravina (Opp., 230-251).

[203] Les fonctions des juges de Rome, comme celles des jurés de l’Angleterre, ne pouvaient être considérées que comme un devoir passager, et non pas comme une magistrature ou une profession ; mais l’unanimité des suffrages est particulière aux lois de la Grande-Bretagne, qui exposent les jurés à une espèce de torture, tandis qu’elles en ont affranchi les criminels.

[204] Nous devons, ce fait intéressant à un fragment d’Asconius Pedianus, qui vivait sous le règne de Tibère. La perte de ses Commentaires sur les Oraisons de Cicéron nous a privés d’un fonds précieux de connaissances historiques ou relatives aux lois.

[205] Polybe, l. VI, p. 643. L’étendue de l’empire et des lieux renfermés dans la cité de Rome obligeait l’exilé à chercher une retraite plus éloignée.

[206] Qui de se statuebant, humabantur corpora, manebant testamenta ; pretium festinandi. Tacite, Annales, VI, 25, avec les Notes de Juste Lipse.

[207] Julius Paulus (Sentent. recept., l. V, tit. 12, p. 4176), les Pandectes (l. XLVIII, tit. 21), le Code (l. IX, tit. 50), Bynkershock (t. I, p. 59, Observat. J. C. R., IV, 4), et Montesquieu (Esprit des Lois, l. 29, c. 9), marquent les restrictions civiles de la liberté, et les privilèges des suicides. Les peines qu’on leur infligea furent inventées dans un temps postérieur et moins éclairé.

[208] Pline, Hist. nat., XXXVI, 24. Lorsque Tarquin fatigua ses sujets à bâtir le Capitole, le désespoir porta plusieurs ouvriers à se donner la mort ; il fit clouer leurs cadavres sur une croix.

[209] Les rapports qui se trouvent entre une mort violente et une mort prématurée, ont déterminé Virgile (Énéide, VI, 434-439) à confondre les suicides et les enfants, ceux qui meurent d’amour, et les personnes injustement condamnées. Heyne, le meilleur de ses éditeurs, ne sait comment expliquer les idées ou le système de jurisprudence du poète romain sur cet objet.