Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

CHAPITRE XXXV

Invasion de la Gaule par Attila. Il est repoussé par Ætius et les Visigoths. Attila envahit et évacue l’Italie. Mort d’Attila, d’Ætius et de Valentinien III.

 

 

L’EMPEREUR Marcien pensait qu’il fallait éviter la guerre, lorsqu’on pouvait conserver honorablement une paix solide ; mais il pensait aussi que la paix ne pouvait être ni solide ni honorable quand un souverain montrait pour la guerre une aversion pusillanime. Telles étaient les maximes qui dictèrent sa réponse au roi des Huns, lorsqu’il demanda insolemment le paiement du tribut annuel. L’empereur signifia aux Barbares qu’ils eussent à cesser d’insulter la majesté de l’empire par le nom de tribut ; qu’il était disposé à récompenser avec libéralité la fidélité de ses alliés ; mais que s’ils osaient troubler la paix de ses États, ils apprendraient que ses soldats ne manquaient ni de fer ni de courage pour les repousser. Apollonios, son ambassadeur, osa même dans le camp des Huns, tenir le même langage ; et en refusant de remettre les présents avant d’avoir été admis à l’audience du monarque, il montra un sentiment de dignité, et un mépris du danger qu’Attila ne croyait plus devoir attendre des Romains dégénérés[1]. Le fougueux Barbare menaça de châtier le successeur de Théodose ; mais il balançait en lui-même lequel des deux empires il attaquerait le premier. Tandis que les peuples de l’Orient et de l’Occident attendaient avec inquiétude que le formidable Attila eût fixé son choix, il fit partir ses envoyés pour les cours de Ravenne et de Constantinople ; et ses ministres adressèrent aux deux empereurs la même harangue insultante : Attila, mon maître et le tien t’ordonne de faire préparer sans délai un palais pour le recevoir[2]. Mais comme le monarque des Huns méprisait ou affectait de mépriser les Romains de l’Orient qui avait vaincus tant de fois, il déclara sa résolution de différer cette conquête facile jusqu’au moment où il aurait achevé une entreprise plus importante et plus glorieuse. La richesse et la fertilité de la Gaule et de l’Italie devaient naturellement exciter l’avidité des Huns ; mais on ne peut expliquer les motifs personnels d’Attila que par l’état de l’empire d’Occident sous le règne de Valentinien, ou, pour parler plus correctement, sous l’administration d’Ætius[3].

Après la mort de Boniface son rival, Ætius s’était prudemment retiré dans le camp des Huns, et fut redevable à leur amitié de sa sûreté et de son rétablissement. Au lieu d’employer le langage suppliant d’un exilé coupable, Ætius sollicita son pardon à la tête de soixante mille Barbares ; et la facile résistance de Placidie prouva qu’elle accordait à la crainte un pardon qu’on aurait pu attribuée à sa clémence. L’impératrice se mit elle, son fils et l’empire, sous la tutelle d’un sujet arrogant, et ne conserva pas même assez d’autorité pour protéger le gendre de Boniface, le fidèle et vertueux Sébastien, contre un ennemi implacable, dont la vengeance le poursuivit de royaume en royaume[4], jusqu’au moment où il perdit misérablement la vie au service des Vandales. L’heureux Ætius élevé aussitôt au rang de patrice et revêtu trois fois des honneurs du consulat, prit le titre de maître général de la cavalerie et de l’infanterie, et s’empara de toute l’autorité militaire. Les écrivains de son temps le nomment quelquefois duc ou général des Romains de l’Occident. Ce ne fut point à la vertu d’Ætius, mais à sa prudence, que le petit-fils de Théodose dut la conservation de la pourpre et du vain nom d’empereur. Il laissa Valentinien jouir en paix des délices de l’Italie, tandis que le patrice se montrait avec tout l’éclat d’un héros patriote, et soutint, durant vingt années, les ruines d’un empire prêt à s’écrouler. L’historien des Goths avoue qu’Ætius était fait pour sauver la république[5] ; et le portrait suivant, quoique flatté, contient cependant plus de vérité que d’adulation. Sa mère était Italienne, d’une famille noble et opulente, et son père, Gaudentius, qui tenait un rang distingué dans la province de Scythie, s’éleva graduellement d’un poste de domesticité militaire au rang de maître général de la cavalerie. Ætius, placé dans les gardes, presque dès son enfance, fût donné comme otage, d’abord à Alaric et ensuite aux Huns. Il obtint successivement les honneurs civils et militaires du palais, et partout il fit briller un mérite supérieur. Il avait la figure noble et agréable ; sa taille était moyenne, mais admirablement proportionnée pour la beauté, la force et l’agilité. Il excellait dans, les exercices militaires, tels que de manier un cheval, tirer de l’arc et lancer le javelot. Il savait supporter patiemment le défaut de sommeil et de nourriture ; son corps et son âme étaient également capables des plus pénibles efforts. Ætius méprisait les dangers et dédaignait les injures, et il était impossible de tromper, de corrompre ou d’intimider la noble fermeté de son âme[6]. Les Barbares qui s’étaient fixés à dans les provinces de l’Occident, s’accoutumèrent peu à peu à respecter la valeur et la bonne foi d’Ætius. Il calmait leur pétulance, caressait leurs préjugés, balançait leurs intérêts, et mettait un frein à leur ambition. Un traité conclu avec Genseric arrêta les Vandales prêts à entrer en Italie ; les Bretons indépendants implorèrent son secours et reconnurent combien il leur avait été utile ; l’autorité impériale fut rétablie en Espagne et dans la Gaule ; et après avoir vaincu les Suèves et les Francs, il les força d’employer leurs armes à la défense de la république.

Par politique autant que par reconnaissance, Ætius cultivait assidûment l’amitié des Huns. Durant son séjour dans leur camp, comme otage ou comme exilé, il vécut familièrement avec Attila, neveu de son bienfaiteur ; et ces célèbres adversaires semblent avoir été liés d’une intimité et d’une sorte de fraternité d’armés qu’ils confirmèrent dans la suite par des présents mutuels et par de fréquentes ambassades. Carpilio, fils d’Ætius, fut élevé dans le camp d’Attila. Le patrice cherchait, par des protestations d’attachement et de reconnaissance, à déguiser ses craintes à un conquérant dont les aimées formidables menaçaient les deux empires. Il satisfaisait à ses demandes ou tâchait de les éluder. Lorsqu’il réclama les dépouilles d’une ville prise d’assaut, quelques vases d’or frauduleusement détournés, les gouverneurs de la Norique partirent aussitôt pour lui donner satisfaction[7] ; et il est évident, d’après leur conversation avec Maximin et Priscus, dans le village royal, que la prudence et la valeur d’Ætius n’avaient pu éviter aux Romains de l’Occident la honte du tribut. Sa politique adroite prolongeait les avantages d’une paix nécessaire ; et il employait à la défense de la Gaule une nombreuse armée de Huns et d’Alains, qui lui étaient personnellement attachés. Il avait judicieusement placé deux colonnes de ces barbares sur les territoires de Valence et d’Orléans[8], et leur active cavalerie gardait les passages du Rhône et de la Loire. Ces sauvages alliés étaient à la vérité presque aussi redoutables pour les sujets de Rome que pour ses ennemis : ils étendaient par la conquête et par la violence le canton qui leur avait été accordé, et les provinces où ils passaient éprouvaient toutes les calamités d’une invasion[9]. Indifférents pour l’empereur et pour l’empire, les Alains de la Gaule étaient aveuglément dévoués à servir l’ambitieux Ætius ; et, quoiqu’il pût craindre que dans une guerre contre Attila, ils ne repassassent sous les drapeaux de leur monarque national, le patrice travailla plus à calmer qu’à exciter leur ressentiment contre les Goths, les Francs et les Bourguignons.

Le royaume fondé par les Visigoths dans les provinces méridionales de la Gaule avait insensiblement acquis de la force et de la solidité ; la conduite de ces ambitieux Barbares exigeait ; soit en temps de paix, soit en temps de guerre, la vigilance continuelle d’Ætius. Après la mort de Wallia, Théodoric, fils du grand Alaric, hérita du trône[10] ; et un règne heureux de plus de trente ans sur un peuple inconstant et indocile, autorise à penser que sa prudence était soutenue d’une vigueur extraordinaire de corps et de génie. Resserré dans des limites trop étroites, Théodoric aspirait à la possession de la ville d’Arles, le centre du commerce et le siège du gouvernement ; mais l’approche d’Ætius sauva la place ; et le roi des Goths, après avoir levé le siége avec quelque perte et un peu de honte, consentit, au moyen d’un subside, à exercer la valeur de à ses sujets à la guerre d’Espagne. Cependant Théodoric ne cessait d’épier, et saisit bientôt avec empressement l’occasion de renouveler son entreprise. Les Goths assiégèrent Narbonne, tandis que les Bourguignons faisaient une invasion dans les provinces de la Belgique, et l’évidente intelligence des ennemis de Rome menaçait de toutes parts sa sûreté. L’activité d’Ætius et sa cavalerie scythe surent leur opposer une résistance couronnée par le succès. Vingt mille Bourguignons périrent les armes à la main, et le reste de cette nation accepta humblement un asile dans les montagnes de la Savoie, où ils reconnurent l’autorité de l’empire[11]. Les machines de guerre avaient déjà ébranlé les murs de Narbonne, et les habitants étaient réduits par la famine aux dernières extrémités, lorsque le comte Litorius, approchant en silence avec un corps nombreux de cavalerie, dont chaque homme portait deux sacs de farine sur son cheval, pénétra dans la ville a travers les retranchements des ennemis. Les Goths levèrent le siège, et perdirent huit mille hommes dans une bataille, dont le succès décisif fût attribué aux dispositions et à l’habileté personnelle d’Ætius ; mais dans l’absence du patrice, que quelque affaire publique ou particulière rappela précipitamment en Italie, le comte Litorius succéda au commandement ; et sa présomption fit bientôt sentir qu’il ne suffit pas de savoir conduire un corps de cavalerie pour diriger habilement les opérations d’une guerre importante. A la tête d’une armée de Huns, il avança imprudemment jusqu’aux portes de Toulouse sans daigner prendre de précautions contre un ennemi dont les revers avaient éveillé la prudence, et à qui sa situation inspirait le courage du désespoir. Les prédictions des augures inspiraient à Litorius une confiance impie convaincu qu’il devait entrer en vainqueur dans la capitale des Goths, et plein de confiance en ses alliés païens, il refusa toutes les offres de paix que le évêques vinrent plusieurs fois lui proposer au nom de Théodoric. Le roi des Goths montra au contraire, dans cette circonstance dangereuse, autant de piété que de modération et ne quitta la haire et les cendres qu’au moment de s’armer pour le combat. Ses soldats, enflammés d’un enthousiasme à la fois religieux et militaire, assaillirent le camp de Litorius. Le combat fut opiniâtre, et la perte considérable des deux côtés. Après une défaite totale, dont il ne pouvait accuser que son ignorance et sa témérité, le général romain traversa les rues de Toulouse, non pas en conquérant comme il s’en était flatté, mais prisonnier, à la suite de son vainqueur ; et la misère qu’il éprouva dans sa longue et très ignominieuse captivité excita même la compassion des Barbares[12]. Une perte si considérable dans un pays dont les finances et le courage étaient épuisés depuis longtemps, pouvait difficilement se réparer ; et les Goths, animés par l’ambition et par la vengeance auraient planté leurs étendards victorieux sur les bords du Rhône, si le retour d’Ætius n’eut pas rendu aux Romains leurs forces et leur discipline[13]. Les deux armées attendaient le signal d’une action décisive ; mais les généraux, qui se craignaient réciproquement, remirent prudemment leur épée dans le fourreau sur le champ de bataille, et leur réconciliation fut sincère et durable. Il parait que Théodoric, roi des Visigoths, mérite l’amour de ses sujets, la confiance de ses alliés et l’estime universelle. Six fils, tous valeureux, environnaient son trône. Leur éducation n’avait pas été bornée aux exercices d’un camp barbare ; les fils de Théodoric s’instruisirent dans les écoles de la Gaule ; l’étude de la jurisprudence romaine, leur enseigna au moins la théorie des lois et de la justice, et la lecture de l’harmonieux Virgile contribua sans doute à adoucir la rudesse de leurs mœurs nationales[14]. Les deux filles du roi des Goths épousèrent les fils aînés du roi des Suèves et de celui des Vandales, qui régnaient en Espagne et en Afrique : mais ces alliances illustres produisirent le crime et la discorde. La reine des Suèves pleura son mari assassiné par son frère, et la princesse des Vandales éprouva le traitement le plus odieux de la part du tyran inquiet, qu’elle avait adopté pour père. Le barbare Genséric, soupçonna la femme de son fils, du dessein de l’empoisonner. En punition de ce crime supposé on lui coupa le nez et les oreilles ; la fille infortunée de Théodoric, ignominieusement renvoyée à Toulouse, vint offrir à la cour de son père cet affreux spectacle. Un siècle civilisé ne doit qu’avec peine ajouter foi à cette horrible barbarie. Tous ceux qui virent la princesse versèrent des larmes sur son sort ; mais Théodoric, éprouvant à la fois la douleur d’un père et l’indignation d’un monarque, résolut de tirer vengeance de cette injure irréparable. Les ministres impériaux, intéressés à fomenter les discordes des Barbares, auraient fourni au roi des Goths de l’or, des armes et les vaisseaux pour porter la guerre en Afrique ; et la cruauté de Genseric lui serait peut-être devenue fatale, si l’artificieux Vandale n’avait pas réussi à se procurer le secours formidable des Huns. Ses présents et ses instances enflammèrent l’ambition d’Attila, et l’invasion de la Gaule arrêta l’entreprise d’Ætius et ce Théodoric[15].

Les Francs, dont la monarchie était encore renfermée dans les environs du Bas-Rhin avaient sagement accordé à la noble famille des Mérovingiens le droit exclusif de succéder à la couronne[16]. On élevait ces princes sur un bouclier, symbole du commandement militaire[17], et leurs longs cheveux étaient la marque de leur naissance et de leur dignité royale. Leur chevelure blonde, qu’ils peignaient et arrangeaient avec grand soin, flottait en boucles sur leurs épaules. La loi ou l’usage obligeait le reste des guerriers à se raser le derrière de la tête, à ramener leurs cheveux sur le front, et à se contenter de deux petites moustaches[18]. La haute taille des Francs et leurs yeux bleus annonçaient leur origine germanique ; leurs habits serrés laissaient voir la forme de leurs membres ; ils portaient une épée pesante suspendue à un large baudrier, et un grand bouclier qui les couvrait presque tout entiers. Ces belliqueux Barbares apprenaient dès l’enfance à courir, à sauter, à nager, à lancer avec une, justesse surprenante le javelot ou la hache d’armes, à attaquer sans hésiter un ennemi supérieur en nombre, et à soutenir jusqu’à la mort la réputation invincible de leurs ancêtres[19]. Clodion, le premier de leurs rois chevelus, dont l’histoire fasse connaître le nom et les actions d’une manière authentique, faisait sa résidence à Dispargum[20], village ou forteresse dont on peut assigner la position entre Bruxelles et Louvain. Le roi des Francs apprit, par ses espions, que la seconde Belgique était presque sans défense, et qu’un léger effort suffirait pour s’en emparer. Il pénétra audacieusement à travers les bois et les marais de la forêt Carbonnaire[21], s’empara de Cambrai et de Tournay, les deux seules villes qui, existassent dans le cinquième siècle, et étendit ses conquêtes jusqu’à la rivière de la Somme, dans un pays désert, dont la culture et la population sont les effets d’une industrie plus moderne[22]. Tandis que Clodion campait dans les plaines de l’Artois[23], et célébrait avec une arrogante sécurité un mariage, peut-être celui de son fils, l’arrivée imprévue d’Ætius, qui avait passé la Somme à la tête de sa cavalerie légère, interrompit désagréablement la fête nuptiale. Les tables, dressées à l’abri d’une colline, sur les bords d’un ruisseau agréable, furent impétueusement renversées ; les Francs furent accablés avant d’avoir pu reprendre ni leurs rangs ni leurs armes, et leur valeur leur devint funeste. Les chariots chargés qui avaient suivi la marche de l’armée, offrirent aux vainqueurs un riche butin. La nouvelle épouse et les femmes de sa suite subirent la loi des nouveaux amants que leur donnait le hasard de la guerre. Cet avantage, du à l’activité d’Ætius, jeta quelques doutes sur la prudence de Clodion ; mais le roi des Francs répara bientôt sa faute, et rétablit sa réputation en se maintenant dans la possession de ses États depuis les bords du Rhin, jusqu’à celui de la Somme[24] : Trèves, Mayence et Cologne éprouvèrent sous son règne, et probablement par les entreprises de ses sujets, tout ce que l’avarice, et la cruauté peuvent inspirer à des vainqueurs. Cologne eut le malheur de rester sous la puissance de ces Barbares, qui évacuèrent les ruines de Trèves ; et Trèves, qui durant l’espace de quarante ans avait été quatre fois prise et pillée, cherchait encore à oublier ses anciennes calamités dans les vains amusements du cirque[25]. Après un règne de vingt ans ; la mort de Clodion livra son royaume aux querelles de deux fils ambitieux[26]. Mérovée, le plus jeune, se laissa persuader d’implorer la protection de Rome. Valentinien le reçut comme son allié et le fils adoptif du patrice Ætius ; il le renvoya dans son pays avec des présents magnifiques et les plus fortes assurances de secours et d’amitié. Tandis qu’il était absent, son aîné avait sollicité avec une ardeur égale les redoutables secours d’Attila ; et le roi des Huns accepta avec plaisir une alliance qui lui facilitait le passage du Rhin, et fournissait un prétexte honorable à l’invasion qu’il projetait de faire dans la Gaule[27].

Lorsque Attila annonça publiquement la résolution de secourir les Francs et les Vandales, ce héros sauvage, saisi comme d’une sorte d’ardeur chevaleresque, se déclara aussi l’amant et le défenseur de la princesse Honoria. La sœur de Valentinien avait été élevée dans le palais de Ravenne ; et comme le mari d’Honoria, aurait pu donner de l’inquiétude à l’empire, on éleva la princesse au rang d’Augusta[28], pour anéantir l’espérance des sujets les plus présomptueux ; mais la belle Honoria avait à peine atteint l’âge de seize ans, qu’elle détesta la grandeur importune, qui la privait pour toujours des douceurs d’un amour légitime. Au milieu d’une pompe vaine et insipide, Honoria soupirait, et, cédant enfin à la voix de la nature, elle se jeta dans les bras d’Eugène, son chambellan. Des signes de grossesse trahirent bientôt ce que, dans l’absurde langage d’un sexe impérieux, on appela son crime et sa honte, et le public en fut instruit par l’imprudence de l’impératrice Placidie, qui fit partir sa fille pour Constantinople, après l’avoir tenue longtemps dans une captivité ignominieuse. La malheureuse Honoria passa douze on quatorze ans dans la triste société des sœurs de Théodose et de leurs chastes compagnes. La fille de Placidie ne pouvait plus prétendre à leur mérite, et se conformait avec répugnance aux pratiques pieuses des prières, des jeûnes et des vigiles. L’impatience d’un célibat dont elle n’espérait plus de sortir, lui fit entreprendre une démarche extraordinaire et désespérée. Le nom redouté d’Attila se trouvait souvent dans les entretiens des habitants de Constantinople, et ses fréquentes ambassades entretenaient une correspondance presque continuelle entre son camp et le palais impérial. Sacrifiant tous les préjugés et tous les devoirs aux désirs de l’amour, ou plutôt de la vengeance, la princesse offrit de se remettre elle-même dans les bras d’un prince barbare dont elle ignorait le langage, dont les traits présentaient à peine l’idée d’une figure humaine, et dont elle abhorrait les mœurs et la religion. Par le moyen d’un eunuque de confiance, elle fit remettre à Attila une bague pour garant de sa foi, et le conjura de la réclamer comme sa légitime épouse, avec laquelle il aurait été secrètement uni. Le monarque reçût avec froideur ces avances indécentes, et continua de multiplier le nombre de ses épouses jusqu’au moment où deux passions puissantes, l’avarice et l’ambition, éveillèrent son amour pour Honoria. Son entrée dans la Gaule fut précédée d’une déclaration formelle, par laquelle il demandait la main de la princesse et la part égale à laquelle elle avait droit de prétendre dans le patrimoine impérial. Ses prédécesseurs, les anciens Tanjoux, avaient souvent demandé, avec la même arrogante, les princesses de la Chine, et les prétentions d’Attila ne parurent pas moins offensantes à l’empereur des Romains. Ses ambassadeurs reçurent un refus ferme, quoique sans hauteur. Malgré les exemples récents de Pulchérie et de Placidie, on déclara que les femmes n’avaient aucun droit à la succession de l’empire ; et à la demande de la princesse on opposa ses engagements indissolubles[29]. Dès le moment où l’on avait eu connaissance de sa correspondance avec le roi des Huns, la coupable Honoria avait été enlevée de Constantinople comme un objet d’horreur, et reléguée au fond de l’Italie on épargna sa vie ; mais aussitôt après la cérémonie par laquelle ordonna à quelque particulier obscur le titre de son époux, on l’enferma dans une prison perpétuelle, pour y pleurer des crimes et des infortunes auxquelles Honoria aurait peut-être échappé, si elle n’eût pas été la fille d’un empereur[30].

Un Gaulois contemporain, le savant et éloquent Sidonius, qui occupa depuis le siège, épiscopal de Clermont, s’était engagé vis-à-vis d’un de ses amis à écrire l’histoire de la guerre d’Attila. Si la modestie de Sidonius ne l’avait pas détourné d’un ouvrage si intéressant[31], l’historien aurait exposé avec la simplicité de la vérité les faits mémorables auxquels le poète se contente, de faire allusion d’une manière concise, et dans un style vague et métaphorique[32]. Les rois et les nations de la Scythie et de la Germanie, répandus depuis le Volga peut-être jusqu’au Danube, accoururent à la voix belliqueuse d’Attila. Du village royal dans les plaines de la Hongrie, ses étendards s’avancèrent vers l’Occident, et après une marché de sept ou huit cents milles, ils arrivèrent au confluent du Rhin et du Necker, où ils furent joints par ceux des Francs qui obéissaient à son allié le fils aîné de Clodion. Une troupe légère de Barbares, conduite par l’espoir du butin, aurait peut-être préféré l’hiver, afin de pouvoir traverser le fleuve sur la glace ; mais l’innombrable cavalerie des Huns exigeait des fourrages et des provisions qu’il eût été impossible de se procurer dans cette saison. On trouva dans la forêt Hercynienne les bois nécessaires pour construire un pont de bateaux ; et cette multitude d’ennemis se précipita avec une violence irrésistible, sur les provinces de la Belgique[33]. La consternation fut universelle dans la Gaule ; et la tradition, qui nous a transmis l’histoire de ses malheurs, n’a point oublié les miracles et les martyrs dont furent honorées plusieurs de ses villes[34]. Troyes, dut sa conservation au mérite de saint Loup. La Providence enleva, saint Servat de ce monde, pour lui éviter la douleur de contempler la ruine de Tongres, et les prières de sainte Geneviève détournèrent Attila des environs de Paris ; mais la plupart des villes de la Gaule, également dépourvues de saints et de soldats, furent assiégées et emportées d’assaut par les Huns, qui se conduisirent à Metz[35], selon les maximes qu’ils avaient coutume de pratiquer à la guerre. Ils massacrèrent sans distinction les prêtres à l’autel, et les enfants qu’au moment du danger l’évêque s’était hâté de baptiser cette ville florissante fut livrée aux flammes, et une petite chapelle solitaire, dédiée à saint Etienne, indiqua depuis, le terrain que Metz occupait alors. Des bords de la Moselle Attila s’avança dans le cœur de la Gaule, passa la Seine à Auxerre ; et, après une longue et pénible marche, plaça son camp sous les murs d’Orléans. Il voulait assurer ses conquêtes par la possession d’un poste avantageux, qui, le rendit maître du passage de la Loire ; et il se fiait à l’invitation de Sangiban, roi des Alains, qui lui avait promis de trahir les Romains, de lui livrer la ville et de passer sous ses drapeaux ; mais cette conspiration fut découverte et déjouée. Les fortifications d’Orléans étaient nouvellement réparées et augmentées ; les soldats ou les citoyens qui défendaient la place, repoussèrent courageusement tous les assauts des Barbares. L’évêque Anianus, prélat d’une haute piété et d’une prudence consommée, employa toutes les ressources de la politique religieuse. Pour soutenir le courage des habitants jusqu’à l’arrivée du secours qu’il attendait. Après un siége opiniâtre, les béliers commencèrent à ébranler les murs ; les Huns occupaient déjà les faubourgs, et ceux qui n’étaient en état de porter les armes étaient prosternés dans les églises, Anianus, qui comptait les jours et les heures, envoya sur le rempart un homme de confiance examiner s’il n’apercevait rien dans l’éloignement. Le messager revint deux fois sans lui rapporter la moindre espérance ; mais à la troisième il déclara qu’il avait cru entrevoir un faible nuage à l’extrémité de l’horizon. C’est le secours envoyé de Dieu, écria le prélat du ton d’une pieuse confiance ; et le peuple répéta après lui : C’est le secours envoyé de Dieu. L’objet éloigné sur lequel se fixaient tous les yeux, s’agrandissait à chaque instant, et devenait plus distinct. On aperçut enfin les étendards des Goths et des Romains, et un coup de vent, ayant dissipé la poussière, offrit clairement à la vue les impatients escadrons d’Ætius et de Théodoric, qui se hâtaient d’accourir au secours d’Orléans.

La politique insidieuse d’Attila avait servi autant que la terreur de ses armes à le faire pénétrer sans obstacle dans le cœur de la Gaule. Il modifiait adroitement ses déclarations publiques par des assurances particulières ; il caressait ou menaçait tour à tour les Romains et les Goths ; et les cours Ravenne et de Toulouse, se méfiant réciproquement l’une de l’autre, attendaient avec une indolente indifférence l’approche de l’ennemi commun. Ætius veillait seul à la sûreté de la république ; mais ses plus sages mesures étaient entravées par une faction qui dominait dans le palais depuis la mort de l’impératrice Placidie. La jeunesse de l’Italie tremblait au seul bruit de la trompette ; et les Barbares, qui penchaient pour Attila, par crainte ou par inclination attendaient avec une fidélité douteuse et prête à se vendre, quel serait l’événement de la guerre. Le patrice passa les Alpes à la tête d’un corps de troupes qui méritait à peine le nom d’une armée[36] ; mais en arrivant à Arles ou à Lyon, il apprit que les Visigoths refusaient d’entreprendre la défense de la Gaule, et qu’ils étaient résolus d’attendre sur leur territoire l’ennemi redoutable qu’ils affectaient de mépriser. Atterré par cette nouvelle, le général romain eut recours au sénateur Avitus, qui, après avoir exercé honorablement l’office de préfet du prétoire, s’était retiré dans ses domaines en Auvergne. Le ministre consentit à se charger d’une ambassade à la cour de Toulouse, et l’exécuta avec habileté et avec succès. Il représenta à Théodoric qu’on ne pouvait résister au conquérant ambitieux qui voulait tout envahir, par une alliance solide et sincère de toutes les puissances qu’il s’efforçait d’accabler. Avitus anima le ressentiment des Goths par la description de tous les maux que les Huns avaient fait souffrir à leurs ancêtres, et de la fureur avec laquelle ils les poursuivaient depuis le Danube jusqu’au pied des Pyrénées ; il leur représenta fortement que le devoir de tous les chrétiens était de contribuer à sauver de leurs violences sacrilèges les églises et les reliques des saints ; qu’il était de l’intérêt personnel de tous les Barbares fixés dans la Gaule de défendre, contre les pâtres de la Scythie, les terres et les vignes cultivées pour leur usage. Théodoric se rendit à l’évidence de la vérité, adopta les mesures les plus sages et les plus honorables, et déclara que, comme le fidèle allié d’Ætius et des Romains, il était prêt à exposer sa vie et ses États pour la défense de la Gaule[37]. Les Visigoths, alors au plus haut point de leur puissance et de leur renommée, obéirent avec joie au premier signal de guerre, préparèrent leurs chevaux et leurs armes, et s’assemblèrent sous l’étendard de leur vieux monarque, qui résolût de commander lui-même son armée avec les deux aînés de ses fils, Torismond et Théodoric. L’exemple des Goths détermina des tribus et des nations qui balançaient encore entre les Huns et les Romains. L’infatigable Ætius rassembla peu à peu les guerriers de la Gaule et de la Germanie, qui, après s’être longtemps reconnus les sujets et les soldats de la république, prétendaient au rang d’alliés indépendants, et réclamaient les récompenses dues à un service volontaire. Les Læti, les Armoricains, les Bréones, les Saxons, les Bourguignons, les Sarmates ou Alains, les Ripuaires, et les Francs, qui obéissaient à Mérovée : telle était la composition de l’armée qui, sous la conduite d’Ætius et de Théodoric, s’avançait à marches pressées, pour délivrer Orléans, et livrés bataille à la multitude formidable qui environnait Attila[38].

A leur arrivée, le roi des Huns leva le siége et fit sonner la retraite pour rappeler la plus grande partie de ses troupes, occupées alors au pillage d’une ville voisine dans laquelle elles venaient d’entrer[39]. Attila, dont la valeur était toujours guidée par la prudence, sentit ce qu’il aurait à craindre s’il essuyait une défaite au cœur de la Gaule. Il repassa la Seine et attendit l’ennemi dans les plaines de Châlons où sa nombreuse cavalerie pouvait manœuvrer avec avantage ; mais, dans sa retraite précipitée, l’avant-garde des Romains et de leurs alliés pressait et attaquait fréquemment les troupes qui formaient l’arrière-garde d’Attila. Dans, l’obscurité de la nuit et dans des chemins inconnus, des colonnes ennemies se rencontraient quelquefois sans projet ; et le combat sanglant des Francs et des Gépides, dans  lequel quinze mille barbares perdirent la vie[40], fût le prélude d’une action générale et décisive. Les champs catalauniens[41], qui environnent la ville de Châlons, s’étendent, selon la mesure vague de Jornandès, à cent cinquante milles en longueur, à cent milles en largeur, et comprennent toute la province connue aujourd’hui sous le nom de Champagne[42]. Dans cette vaste plaine, il se trouvait cependant quelque inégalité de terrain, et les deux généraux se disputèrent une éminence qui commandait le camp d’Attila, et dont ils sentaient toute l’importance. Le jeune et vaillant Torismond l’occupa le premier, et les Goths en précipitèrent les Huns, qui s’efforçaient de monter du côté opposé. La possession de ce poste avantageux donna aux généraux et aux soldats une espérance fondée de la victoire. Attila inquiet consulta les aruspices ; on assure qu’après avoir examiné les  entrailles et raclé les os des victimes, ils lui annoncèrent, dans un langage mystérieux, sa défaite et la mort de son plus redoutable ennemi ; et que le Barbare, en acceptant l’augure, témoigna involontairement son estime pour le mérite supérieur d’Ætius ; mais le découragement qu’Attila aperçut parmi les Huns, l’engagea à user de l’expédient si familier aux généraux de l’antiquité, d’animer leurs troupes par une harangue militaire : il leur parla comme un héros qui avait souvent combattu et vaincu à leur tête[43]. Il leur représenta leurs anciens exploits, leur danger présent, et leurs espérances pour l’avenir ; la même fortune qui leur avait ouvert les déserts et les marais de la Scythie, qui les avait fait triompher presque sans armes, de tant de nations guerrières, leur réservait les jouissances de cette journée mémorable pour récompense de leurs travaux et de leurs victoires. Il peignit les précautions de ses ennemis, leur étroite alliance, et le choix qu’ils avaient fait d’une position avantageuse, comme l’effet de la crainte et non de la prudence. Les Visigoths faisaient,; disait-il, toute la force de leur armée, et les Huns n’avaient rien à craindre des timides Romains, dont les bataillons serrés, annonçaient la frayeur, et qui ne savaient supporter ni les fatigues ni les dangers d’une bataille. Le monarque barbare se servit habilement de la doctrine de la prédestination, si favorable à la vertu martiale. Il les assura que les guerriers protégés par le ciel, étaient invulnérables au milieu des dards de leurs ennemis, tandis que le destin, qui ne se trompe jamais, frappait ses victimes au sein de la plus honteuse paix. Je lancerai le premier dard, continua-t-il, et le lâche, qui refusera d’imiter son souverain est dévoué à une mort inévitable. La présence et la voix d’Attila ranimèrent le courage des Barbares, et l’intrépide général, cédant à leur impatience, rangea son armée en bataille. A la tête de ses braves et fidèles Huns il occupait le centre de la ligne. Les nations dépendantes de son empire, les Rugiens, les Férules, les Thuringiens, les Francs et les Bourguignons, couvraient des deux côtés la vaste plaine catalaunienne. La droite était commandée par Ardaric, roi des Gépides, et les trois frères valeureux qui régnaient sur les Ostrogoths, faisaient face sur la gauche aux tribus des Visigoths. Les alliés, dans leurs dispositions, avaient suivi un principe différent. Singiban, l’infidèle roi des Alains, était placé au centre, où l’on pouvait veiller à sa conduite et punir sa perfidie, Ætius prit le commandement de l’aile gauche, et Théodoric de la droite, tandis que Torismond continuait à occuper les hauteurs qui s’étendaient sur le flanc et peut-être jusque sur les derrières de l’armée d’Attila. Toutes les nations, depuis le Volga jusqu’à l’Atlantique, étaient rassemblées dans les plaines de Châlons ; mais une partie de ces nations avaient été divisées par les factions, par la conquête ou par des émigrations, et l’aspect de ces enseignes et de ces armes semblables et prêtes à se choquer dans le combat, présentait l’image d’une guerre civile.

La discipline et la tactique des Grecs et des Romains formaient une partie intéressante de leurs mœurs nationales. L’étude attentive des opérations militaires de Xénophon, de César ou de Frédéric, quand elles sont décrites par le même génie qui les a conçues et exécutées, peut tendre à perfectionner (si l’on peut se servir du mot perfectionnement) l’art funeste de détruire l’espèce humaine ; mais la bataille de Châlons ne peut exciter notre curiosité que par la grandeur de l’objet, puisqu’elle fut décidée par l’aveugle impétuosité des Barbares, et qu’elle à été transmise à la postérité par des écrivains partiaux que leur profession civile ou ecclésiastique éloignait de toute connaissance de l’art militaire. Cassiodore a cependant conversé familièrement avec des Goths qui s’étaient trouvés à cette bataille, et ils la lui représentèrent comme terrible, longtemps douteuse, opiniâtre et sanglante ; telle qu’on n’en avait point vu depuis, non plus que dans les siècles précédents. Le nombre des morts se monta, selon les uns, à cent soixante-deux mille ; et selon d’autres, à trois cent mille[44]. Ces exagérations peu croyables supposent toujours une assez grande perte, pour prouver, comme le remarque judicieusement un historien, que des générations entières peuvent être englouties dans l’espace d’une heure par l’extravagance des souverains. Après la décharge mutuelle et répétée des flèches et des javelots, dans laquelle les adroits archers de la Scythie, purent se montrer avec avantage, la cavalerie et l’infanterie des deux armées se joignirent et combattirent corps à corps. Les Huns, animés par la présence d’Attila, percèrent le centre des alliés, formé de troupes faibles et peu affectionnées, séparèrent les deux ailes et, se tournant sur la gauche avec rapidité, dirigèrent tous leurs efforts contre les Visigoths. Tandis que Théodoric galopait devant les rangs pour animer ses soldats ; il tomba de son cheval mortellement blessé d’un javelot lancé par Andage, Ostrogoth d’une naissance illustre. Dans ce moment de désordre, le monarque blessé fut accablé sous la foule des combattants et foulé aux pieds des chevaux de sa propre cavalerie ; et sa mort servit à justifier l’oracle ambigu des aruspices. Attila s’enorgueillissait déjà des espérances de la victoire, lorsque le vaillant Torismond descendit des hauteurs et vérifia le reste de la prédiction. Les Visigoths, qui avaient été mis en désordre par la fuite, reprirent peu à peu leur ordre de bataille ; et les Huns furent inévitablement vaincus, puisque Attila fut forcé de faire retraite. Il s’était exposé avec la témérité d’un soldat ; mais les intrépides Barbares qui composaient son corps de bataille s’étaient avancés fort loin du reste de la ligne ; cette attaque, faiblement soutenue par leurs confédérés, mit leurs flancs à découvert. L’approche de la nuit sauva seule d’une défaite totale les conquérants de la Scythie et de la Germanie. Ils se retirèrent derrière le rempart de chariots qui composait les fortifications de leur camp. La cavalerie mit pied à terre, et se prépara à un genre de combat qui ne convenait ni à ses armes ni à ses habitudes. L’événement était incertain ; mais Attila s’était réservé une dernière et honorable ressource. Il fit faire une pile des selles et des riches harnais des chevaux, et l’intrépide Barbare résolut, si son camp était forcé, d’y mettre le feu, de s’y précipiter, et de priver les ennemis de la gloire d’avoir Attila dans leur puissance, durant sa vie ou après sa mort[45].

Mais ses ennemis ne passèrent pas la nuit plus tranquillement. La valeur imprudente de Torismond lui fit continuer la poursuite jusqu’à ce qu’enfin, suivi d’un petit nombre de guerriers, il se trouva au milieu des chariots des Scythes. Dans le tumulte d’un combat nocturne, il fut jeté en bas de son cheval, et le fils de Théodoric aurait éprouvé le sort de son père, si sa vigueur et le zèle de ses soldats ne l’avaient tiré de cette dangereuse situation. Sur la gauche, Ætius, séparé de ses alliés, incertain de la victoire et inquiet de leur sort, rencontra de même des troupes d’ennemis répandues dans la plaine de Châlons, et, étant parvenu à leur échapper, il atteignit enfin le camp des Visigoths, qu’il ne put garnir que d’un petit nombre de troupes, en attendant le retour de la clarté. Au point du jour, le général romain ne douta plus de la défaire d’Attila, qui restait enfermé dans ses retranchements ; et en contemplant le champ de bataille, il aperçut, avec une secrète satisfaction, que la plus forte perte était tombée sur les Barbares. On trouva, sous un monceau de morts le corps, de Théodoric percé d’honorables blessures. Ses sujets le pleurèrent comme leur roi et comme leur père ; mais, leurs larmes étaient mêlées des chants de là victoire, et Théodoric fut enterré à la vue de l’ennemi vaincu. Les Goths, frappant leurs armes les unes contre les autres, élevèrent sur un bouclier, son fils aîné Torismond, à qui ils attribuaient avec raison tout l’honneur de la journée ; et le devoir de la vengeance devint pour le nouveau roi une portion sacrée de l’héritage paternel. Cependant, les Goths eux-mêmes sentaient leur courage s’étonner de la contenance fière et terrible qu’avait conservée leur redoutable adversaire. Leur historien a comparé le roi des Huns un lion dans sa caverne, menaçant avec un redoublement de rage les chasseurs dont il est environné. Les rois et les nations qui, au moment de sa défaite, auraient pu déserter ses étendards, sentaient que de tous les dangers, le plus à craindre pour eux et le plus inévitable était la colère d’Attila. Son camp retentissait du bruit de ses instruments guerriers, dont les sons animés ne cessaient de défier les ennemis ; et les premières troupes qui entreprirent dd forcer ses retranchements furent repoussées ou détruites par une grêle de traits lancés sur elles de toutes parts. On résolut, dans un conseil de guerre, d’assiéger le roi des Huns dans son camp, d’intercepter ses convois, et de le forcer à accepter un traité honteux ou un combat inégal, mais l’impatience des Barbares dédaigna bientôt la lenteur de ces prudentes mesures ; et la sage politique d’Ætius craignit de rendre, par la destruction des Huns, l’orgueil et la puissance des Goths beaucoup trop redoutables. Il employa l’ascendant de la raison et de l’autorité pour calmer le ressentiment que le fils de Théodoric regardait comme un devoir. Le patrice lui représenta, avec une apparence d’attachement à ses intérêts, le danger très réel de son absence, et lui conseilla de déconcerter, par un prompt retour à Toulouse, les desseins ambitieux de ses frères, qui pouvaient usurper son trône et s’emparer de ses trésors[46]. Après le départ des Goths et la séparation des alliés, Attila fut surpris du vaste silence qui régnait dans les plaines de Châlons. La crainte de quelque stratagème le contint plusieurs jours dans l’enceinte de ses chariots, et sa retraite au-delà du Rhin attesta la dernière des victoires remportées au nom de l’empereur d’Occident. Mérovée et ses Francs suivirent l’armée des Huns jusqu’aux confins de la Thuringe, en ayant soin toutefois de se tenir toujours à une certaine distance, et de faire paraître leur nombre plus grand qu’il n’était réellement, par la quantité de feux qu’ils allumaient chaque nuit. Les Thuringiens servaient dans l’armée d’Attila, ils traversèrent le territoire des Francs dans leur marche et dans leur retour, et ce fut peut-être alors qu’ils exercèrent les horribles cruautés dont le fils de Clovis tira vengeance quatre-vingts ans après. Les Thuringiens massacrèrent leurs prisonniers et même les otages ; firent périr dans les tourments les plus recherchés deux cents jeunes filles dont les unes furent écartelées par des chevaux sauvages, les autres écrasées sous le poids des chariots que l’on fit passer sur elles, et leurs membres épars sur la route servirent de pâture aux loups et aux vautours. Tels étaient les sauvages ancêtres dont les vertus imaginaires ont obtenu les louanges et excité quelquefois l’envie des siècles civilisés[47].

Le mauvais succès de l’expédition des Gaules n’altéra ni les forces, ni le courage, ni même la réputation d’Attila. Dans le printemps suivant, il fit une seconde demande de la princesse Honoria, et des trésors qui lui appartenaient. Sa demande fut encore rejetée ou éludée, et le fougueux Attila reprit les armes ; passa les Alpes, envahit l’Italie, et assiégea Aquilée avec une armée aussi nombreuse que la première. Les Barbares n’entendaient rien à la conduite d’un siège, qui même chez les anciens exigeait quelque théorie ou au m’oins quelque pratique des arts mécaniques : mais les travaux de plusieurs milliers d’habitants de la province et des captifs, dont on sacrifiait la vie sans pitié, pouvaient exécuter les ouvrages les plus pénibles et les plus dangereux ; et les artistes romains vendaient peut-être leur secours aux destructeurs de leur pays. Les Huns se servirent contre les murs d’Aquilée des béliers, des tours roulantes et des machines qui lançaient des pierres, des dards et des matières enflammées[48]. Le roi des Huns employait tour à tour l’influence de l’espoir de la crainte de l’émulation et de l’intérêt pour détruire la seule barrière qui retardât la conquête de l’Italie. Aquilée était alors une des plus fortes villes maritimes, et une des plus riches et des plus peuplées de la côte de la mer Adriatique. L’intrépidité des Goths auxiliaires, commandés, à ce qu’il parait, par leurs princes nationaux, Alaric et Antala, se communiquait aux citoyens, qui se rappelaient encore la glorieuse résistance de leurs ancêtres contre un Barbare féroce et inexorable, qui déshonorait la majesté de la pourpre romaine. Après trois mois d’un siége inutile, le manque de subsistances et les clameurs de l’armée contraignirent Attila de renoncer à son entreprise, et il donna à regret, pour le lendemain, l’ordre de plier les tentes et de commencer la retraite. Triste, pensif et indigné ; il faisait le tour des murs d’Aquilée ; lorsqu’il aperçut une cigogne qui, suivie de ses petits, s’envolait d’une tour et semblait abandonner son nid. Saisissant sur-le-champ en habile politique ce que ce frivole incident pouvait offrir à la superstition, il s’écria à haute voix, et d’un ton plein de joie, que cet oiseau domestique, si attaché à la société de l’homme, n’eût pas quitté son ancien asile ; si ces tours n’eussent été dévouées à la destruction et à la solitude[49]. Cet heureux présage inspira l’assurance de la victoire ; on reprit, le siége, et poussé avec une nouvelle vigueur. Les Huns assaillirent la partie du mur d’où était sorite la cigogne ; ouvrirent une large brèche, s’y précipitèrent avec une impétuosité irrésistible, et la génération suivante distinguait à peine les ruines d’Aquilée[50]. Après cette effrayante vengeance, Attila continua sa marche ; Altinum, Padoue et Concordia, qui se trouvaient sur son passage, ne présentèrent bientôt plus que des monceaux de pierres et de cendres. Vicence, Vérone et Bergame villes de l’intérieur, eurent tout à souffrir de l’avide cruauté des Huns. Pavie et Milan se soumirent sans résistance à la perte de leurs richesses, et rendirent grâce à la clémence inaccoutumée qui épargnait et les bâtiments et la vie des citoyens captifs. Les traditions populaires de Côme, Turin et Modène, paraissent suspectes ; mais elles concourent, avec des autorités plus authentiques à prouver qu’Attila étendit ses ravages jusque dans les riches plaines de la Lombardie, qui sont séparées par le Pô, et bornées par les Alpes et l’Apennin[51]. En entrant dans le palais de Milan, le monarque barbare aperçut avec surprise et avec indignation un tableau qui représentait les empereurs des Romains assis sur leur trône ; et les princes de Scythie prosternés à leurs pieds. La vengeance qu’il prit de ce monument de la vanité romaine, fut à la fois douce et ingénieuse. Il fit venir un peintre lui ordonna de changer les figures et les attitudes, et de peindre sur la même toile le roi de Scythie sur son trône[52], et les empereurs romains s’en approchant d’un air humble ; pour vider à ses pieds des sacs d’or, symbole du tribut auquel ils s’étaient assujettis[53]. Les spectateurs reconnurent sans doute la vérité de cette nouvelle représentation, et se rappelèrent peut-être, dans cette singulière occasion, la dispute de l’homme et du lion[54].

L’orgueil féroce d’Attila s’est peint dans ce mot digne de lui, que l’herbe ne croissait jamais où son cheval avait passé. Cependant ce destructeur sauvage : donna involontairement naissance à une république, qui ranima en Europe, dans le siècle de la féodalité, l’esprit de l’industrie commerciale. Le nom célèbre de Venise ou Venetia, appartenait autrefois à une vaste et fertile province de l’Italie, qui s’étendait depuis les frontières de la Pannonie jusqu’à là rivière de l’Adda, et depuis le Pô jusqu’aux Alpes Rhétiennes et Juliennes. Avant l’irruption des Barbares, cinquante villes vénitiennes jouissaient de la paix et de la prospérité. Aquilée était une des plus magnifiques ; mais l’agriculture et les manufactures soutenaient l’ancienne dignité de Padoue, et, les possessions de cinq cents citoyens qui jouissaient du rang de chevaliers romains, montaient, d’après la plus rigoureuse évaluation, à un million sept cent mille livres sterling. Un grand nombre de familles d’Aquilée, de Padoue, et des villes des environs échappées à la fureur des Huns, trouvèrent dans les îles voisines un humble mais sûr asile[55]. A l’extrémité du golfe où les marées de l’Océan se font facilement sentir dans la mer Adriatique, on découvre une centaine de petits îles séparées du continent par les eaux fort basses ; et défendues contre les vagues par de longues et étroites langues de terre entre lesquelles les vaisseaux peuvent pénétrer par des passages secrets et resserrés[56]. Jusqu’au milieu au cinquième siècle, ces îles, à peine habitées, demeurèrent sans culture et presque sans nom[57] : mais les mœurs des Vénitiens fugitifs, leurs arts et leur gouvernement prirent peu à peu dans leurs nouvelles habitations, une forme régulière ; et l’on peut considérer une des épîtres de Cassiodore, dans laquelle il décrit leur situation[58], comme le premier monument de la république. Le ministre de Théodoric les compare, dans son style de déclamation recherchée, à des poules d’eau qui ont fait leur nid milieu des vagues ; et bien qu’il convienne que les provinces vénitiennes renfermaient autrefois un grand nombre de familles nobles, il fait entendre qu’elles étaient toutes alors réduites à l’égalité par la misère. Le poisson était presque l’unique nourriture des habitants de toutes les classes ; leur unique richesse consistait en sel que la mer leur fournissait en abondance, et qui, dans tous les marchés des environs, avait cours au lieu de l’or ou de l’argent qu’il remplaçait dans  les achats. Un peuple qui par la nature de ses habitations semblait appartenir également à la terre et à la mer, fut bientôt aussi accoutumé à ce second élément qu’il pouvait l’être au premier ; et les désirs de l’avarice succédèrent à ceux du besoin. Les insulaires, qui depuis Grado jusqu’à Chiozza étaient unis par les liens de la plus étroite alliance, pénétrèrent dans le cœur de -l’Italie par la navigation pénible, mais peu dangereuse, des canaux et des rivières. Leurs vaisseaux, dont ils augmentaient continuellement le nombre et la grandeur, visitaient tous les ports du golfe ; et Venise a contracté dès son enfance le mariage qu’elle célèbre tous les ans avec la mer Adriatique. Cassiodore, préfet du prétoire, adresse son épître aux tribuns maritimes, et les exhorte avec douceur, mais d’un ton d’autorité, à exciter dans leurs compatriotes le zèle du service public. On avait alors besoin de leur secours pour transporter les magasins de vin et d’huile de la province d’Istrie dans la ville de Ravenne. Ces tribuns maritimes paraissent avoir réuni plusieurs attributions, ainsi qu’on en peut juger par une tradition qui nous apprend que dans les douze îles principales le peuple élisait tous les ans douze juges ou tribuns. La domination des rois goths de l’Italie, sur la république de Venise, est constatée par la même autorité qui anéantit ses prétentions à une indépendance originaire et perpétuelle[59].

Les Italiens, qui avaient renoncé depuis longtemps au métier des armes, apprirent avec terreur, avec les après quarante ans de paix, l’approche d’un Barbare formidable, qu’ils abhorraient comme l’ennemi de leur pays et de leur religion. Au milieu de la consternation générale, le seul Ætius demeurait inaccessible à la crainte ; mais malgré sa valeur et ses talents, Ætius, seul et sans secours, ne pouvait exécuter aucun exploit digne de sa réputation. Les Barbares qui avaient défendu la Gaule, refusaient obstinément de marcher à la défense de l’Italie, et les secours promis par l’empereur d’Orient étaient éloignés et peu certains. Le patrice,  la tête des troupes domestiques attachées à son service particulier, fatiguant et retardant sans cesse la marche d’Attila, ne se montra jamais plus grand qu’au moment où un peuple d’ignorants et d’ingrats blâmaient hautement sa conduite[60]. Si l’âme de Valentinien eût été susceptible de quelques sentiments généreux, il aurait pris ce brave général pour exemple et pour guide : mais le petit-fils de Théodose, au lieu de partager le danger, fuyait le bruit des armes ; et sa retraite précipitée de Ravenne à Rome, d’une forteresse imprenable dans une ville ouverte et sans défense, annonçait clairement l’intention d’abandonner l’Italie dès que l’ennemi s’approcherait assez pour menacer sa sûreté personnelle. Cependant l’esprit de doute et de délai, qui règne toujours dans les conseils des lâches et en diminue quelquefois la pernicieuse influence, suspendit cette honteuse abdication. L’empereur de l’Occident, le sénat et le peuple de Rome, par une inspiration plus salutaire, se déterminèrent à tâcher d’apaiser la colère d’Attila par l’envoi d’une ambassade solennelle chargée de lui porter leurs supplications. On confia cette importante commission à Avienus, qui, par sa naissance et ses richesses, sa dignité consulaire, le nombre de ses clients et ses talents personnels, tenait le premier rang dans le sénat de Rome. Le caractère adroit et artificieux d’Avienus[61] était parfaitement approprié à la conduite d’une négociation, soit qu’elle fût relative à des intérêts publics ou particuliers. Son collègue Trigetius avait occupé la place de préfet du prétoire en Italie ; et Léon, évêque de Rome, consentit à hasarder sa vie pour sauver son troupeau. Saint Léon a exercé et déployé son génie[62] dans les calamités publiques, et il a obtenu le nom de grand par son zèle et son succès à établir ses opinions et son autorité, sous les noms révérés de foi orthodoxe et de discipline ecclésiastique. Attila était campé à l’endroit où le cours lent et tortueux du Mincius vient se terminer, et se perdre dans les vagues écumantes du lac Benacus[63], et sa cavalerie scythe foulait l’héritage de Catulle et de Virgile[64] ; ce fut là qu’il reçut les ambassadeurs romains, dans sa tente, et les écouta avec une attention obligeante et même respectueuse. La délivrance de l’Italie fut achetée par l’immense rançon ou douaire de la princesse Honoria. L’état où était son armée contribua sans doute à faciliter le traité et à hâter sa retraite. Les jouissances du luxe et la chaleur du climat avaient énervé la valeur de ses soldats. Les pâtres du Nord, dont la nourriture ordinaire consistait en lait et en viande crue s’étaient livrés avec excès à l’usage du pain, du vin et de la viande préparée et assaisonnée à la manière des Romains et les progrès de la maladie parmi eux commençaient à venger l’Italie[65]. Lorsque Attila déclara sa résolution de conduire son armée victorieuse aux portes de Rome, ses amis et ses ennemis concoururent à l’en détourner, en lui rappelant qu’Alaric n’avait pas survécu longtemps à la conquête de la ville éternelle. L’âme intrépide que ne pouvait émouvoir la présence du danger, ne fut pas à l’abri d’une terreur imaginaire ; le roi des Huns n’échappa point à l’influence de la superstition dont il s’était si fréquemment servi pour le succès de ses desseins[66]. L’éloquence pressante de Léon, sa démarche majestueuse et ses habits pontificaux inspirèrent au prince barbare un sentiment de vénération pour le père spirituel des chrétiens ; l’apparition des deux apôtres saint Pierre et saint Peul, qui menacèrent le conquérant d’une prompte mort s’il rejetait la prière de leur successeur, est une des plus belles légendes de la tradition ecclésiastique. Le destin de Rome pouvait mériter l’intervention du Ciel, et l’on doit quelque indulgence à une fable qui a été représentée par le pinceau de Raphaël et par le ciseau de l’Algardi[67].

Avant de quitter l’Italie, le roi des Huns menaça d’y revenir plus terrible encore et plus implacable si, avant le terme convenu par le traité, l’on ne remettait pas son épouse, la princesse Honoria, entre les mains de ses ambassadeurs ; mais, en attendant, Attila, pour calmer ses tendres inquiétudes, ajouta à la liste de ses nombreuses épouses, une jeune beauté, nommée Ildico[68]. Après avoir célébré son mariage dans le palais du village royal, situé au-delà du Danube, par toutes les fêtes usitées chez les Huns, le monarque, accablé de vin et de sommeil, quitta fort tard les plaisirs de la table pour se livrer à ceux de l’amour. Dans la crainte de les troubler ou d’interrompre son repos, ses domestiques n’osaient entrer le lendemain dans son appartement ; mais la plus grande partie du jour s’étant passée sans que ceux qui attendaient à sa porte entendissent le moindre bruit, l’inquiétude l’emporta sur le respect ; leurs cris répétés n’ayant pas réussi à éveiller le monarque, ils se précipitèrent dans la chambré de leur maître, et trouvèrent sa nouvelle épouse assise tremblante à côté du lit, le visage couvert de son voile, déplorant le danger de sa propre situation et la perte d’Attila. Une de ses artères s’était rompue pendant la nuit, et, se trouvant couché, il avait été suffoqué par le sang qui, au lieu de s’échapper par les narines, avait regorgé dans les poumons et l’estomac[69]. On exposa son corps au milieu de la plaine sous un pavillon de soie, et des escadrons de Huns en firent plusieurs fois le tour en chantant des vers à l’honneur d’un héros plein de gloire durant sa vie, invincible, même à sa mort, le père de son peuple, le fléau de ses ennemis et  la terreur de l’univers. Les Barbares coupèrent suivant l’usage, une partie de leurs cheveux, se couvrirent le visage de hideuses blessures, et firent couler, en l’honneur de leur intrépide général, non les larmes des femmes, mais le sang des guerriers. Le corps d’Attila, renfermé dans trois cercueils, le premier d’or, le second d’argent et le dernier de fer, fut mis en terre pendant la nuit. On ensevelit dans la même tombe quelques dépouilles des nations qu’il avait vaincues. Les captifs qui avaient ouvert la fosse furent impitoyablement massacrés, et les Huns, après s’être abandonnés à une douleur immodérée, terminèrent la fête en se livrant, autour du sépulcre, à tous les excès de la joie et de la débauche. On prétendit à Constantinople que, dans la nuit fortunée qui en délivra l’empire, Marcien avait cru voir en songe se briser l’arc d’Attila. Cette tradition pourrait servir à prouver que le redoutable roi des Huns occupait souvent l’imagination des empereurs romains[70].

La révolution qui détruisit l’empire des Huns assura la gloire du monarque qui seul avait pu soutenir un édifice si vaste et si peu solidement assemblé. Après sa mort, ses chefs les plus braves aspirèrent au rang de souverains, les rois les plus puissants parmi ceux qui lui étaient soumis voulurent jouir de l’indépendance, et les fils de tant de mères différentes se partagèrent et se disputèrent comme un héritage particulier le commandement des nations de la Scythie et de la Germanie. L’audacieux Ardaric sentit et représenta la honte de ce partage. Les Gépides ses sujets, et les Ostrogoths, sous la conduite de trois frères intrépides, encouragèrent leurs alliés à soutenir les droits de la liberté de leur couronne. On vit, soit pour se soutenir, soit pour se combattre, se rassembler sur les bords de la rivière de Netad en Pannonie, les lances des Gépides, les épées des Goths, les traits des Huns, l’infanterie des Suèves, les armes légères des Hérules et les glaives pesants des Alains. La bataille fut sanglante et décisive, et la victoire d’Ardaric coûta trente mille hommes à ses adversaires. Ellac, l’aîné des fils d’Attila, perdit sa couronne et la vie à la bataille de Netad. Sa précoce valeur l’avait déjà placé sur le trône des Acatzires peuple de Scythie qu’il avait subjugué, et Attila, sensible à la supériorité du mérite, aurait envié la mort de son fils Ellac[71]. Son frère Dengisich, suivi d’une armée de Huns encore formidable après sa défaite, se défendit plus de quinze ans sur les bords du Danube. Le palais d’Attila et l’ancienne Dacie, depuis les montagnes Carpathiennes jusqu’à la mer Noire, devinrent le siège d’une nouvelle puissance fondée par Ardaric, roi des Gépides. Les Ostrogoths occupèrent les conquêtes faites en Pannonie, depuis Vienne jusqu’à Sirmium ; et les différents établissements des tribus qui venaient de défendre si courageusement leur liberté, furent irrégulièrement distribués selon l’étendue de terrain qu’exigeaient leurs forces respectives. Environné et accablé par la multitude des esclaves de son père, Dengisich ne possédait d’autre empire que l’enceinte de ses chariots ; son courage désespéré le poussa à attaquer l’empire d’Orient, et il perdit la vie dans une bataille. Sa têt, ignominieusement exposée dans l’Hippodrome, amusa la curiosité du peuple de Constantinople. La tendresse et la superstition avaient persuadé à Attila qu’Irnac, le plus jeune de ses fils, était destiné à soutenir la gloire de sa race. Le caractère de ce prince, qui tâcha vainement de modérer l’impétuosité de son frère Dengisich, convenait mieux à la nouvelle situation des Huns. Irnac, suivi des hordes qui lui obéissaient, se retira dans le cœur de la petite Scythie. Ils y furent bientôt accablés par une multitude de Barbares qui suivirent le chemin qu’avaient découvert leurs ancêtres. Les Geougen ou Avares, que les écrivains grecs placent sur les côtes de l’océan, chassèrent devant eux les tribus voisines ; et enfin les Igours du Nord, sortant des régions glacées de la Sibérie, qui produisent les plus précieuses fourrures, se répandirent dans le désert jusqu’au Borysthène et de la mer Caspienne, et détruisirent totalement l’empire des Huns[72].

Cette révolution put contribuer à la sûreté de l’empire d’Orient, dont le monarque avait su se concilier l’amitié des Barbares sans se rendre indigne de leur estime ; mais en Occident le faible Valentinien, parvenu à sa trente-cinquième année sans avoir atteint l’âge de la raison ou du courage, abusa de sa tranquillité apparente pour saper les fondements de son trône en assassinant de sa propre main le patrice Ætius. Il haïssait, par un instinct de basse jalousie, le héros qu’on célébrait universellement comme la terreur des Barbares et le soutien de l’empire, et l’eunuque Héraclius, son nouveau favori, tira l’empereur d’une léthargie qui, durant la vie de l’impératrice, pouvait se déguiser sous le nom de respect filiale[73]. La réputation d’Ætius, ses dignités, ses richesses, la troupe nombreuse et guerrière de Barbares dont il était toujours suivi, ses créatures puissantes dans l’État, où elles remplissaient tous les emplois civils, et les espérances de son fils Gaudentius, déjà fiancé à Eudoxie, fille de l’empereur, l’élevaient au-dessus du rang d’un sujet. Les desseins ambitieux dont on l’accusa secrètement excitèrent la crainte et le ressentiment de Valentinien, Ætius lui-même, encouragé par le sentiment de son mérite, de ses services, et peut-être de son innocence, parait s’être conduit avec une imprudente hauteur. Le patrice offensa son souverain par une déclaration hostile ; et il aggrava l’offense en le forçant à ratifier, par un serment solennel, un traité d’alliance et de réconciliation. Ætius témoigna hautement ses soupçons et négligea sa sûreté. Le mépris qu’il ressentait pour son ennemi l’aveugla au point de le croire incapable même d’un crime qui demandait de la hardiesse, et il se rendit imprudemment au palais de Rome. Tandis qu’il pressait l’empereur, peut-être avec trop de véhémence, de conclure le mariage de son fils, Valentinien, tirant pour la première fois son épée, la plongea dans le sein d’un général qui avait sauvé l’empire. Ses eunuques et ses courtisans se disputèrent l’honneur d’imiter leur maître, et Ætius, percé de plus de cent coups, expira en sa présence. Dans le même instant, on assassinait Boëthius préfet du prétoire ; et avant que la nouvelle put se répandre, les principaux amis du patrice furent mandés au palais et massacrés séparément. L’empereur, déguisant cette action atroce sous les noms spécieux de justice et de nécessité, en instruisit ses soldats, ses sujets et ses alliés. Les nations qu’aucune alliance n’intéressait au sort d’Ætius, ou qui le redoutaient comme ennemi, déplorèrent généreusement l’indigne mort d’un héros. Les Barbares qui avaient été personnellement attachés à son service, dissimulèrent leur douleur et leur ressentiment ; et le mépris public dont Valentinien avait été si longtemps l’objet, se convertit en une horreur profonde et universelle. Ces sentiments pénètrent rarement à travers les murs ces palais ; cependant l’empereur entendit avec confusion la réponse ferme d’un Romain dont il n’avait pas dédaigné de solliciter l’approbation : J’ignore, lui dit-il, quels ont été vos griefs ; mais je sais que vous avez agi, comme un homme qui se sert de sa main gauche pour se couper la main droite[74].

Le luxe de Rome semble avoir attiré à cette ville de longues et fréquentes visites de Valentinien, que l’on méprisait par cette raison plus à Rome qu’en aucun autre endroit de ses États. Les sénateurs, dont l’autorité et même les secours devenaient nécessaires au soutien d’un gouvernement faible, avaient repris insensiblement l’esprit républicain ; les manières impérieuses d’un monarque héréditaire offensaient leur vanité, et les plaisirs de Valentinien troublaient la paix et blessaient l’honneur des familles les plus distinguées. La naissance de l’impératrice Eudoxie était égale à celle de son mari ; sa tendresse et ses charmes méritaient de recevoir les preuves d’amour que l’inconstance de l’empereur offrait chaque jour à quelque nouvelle beauté. Pétrone Maxime, riche sénateur de la famille Anicienne, qui avait été deux fois consul, possédait une femme belle et vertueuse. Sa résistance soutenue ne servit qu’à irriter les désirs de Valentinien, qui résolut de les satisfaire par force ou par stratagème. Un jeu excessif était un des vices de la cour. L’empereur, par hasard ou par quelque artifice, avait gagné une somme considérable à Maxime, et avec peu de délicatesse il avait exigé qu’il lui remît son anneau pour sûreté de la dette ; il l’envoya à la femme de Maxime par un messager de confiance, lui faisant ordonner de la part de son mari de se rendre sur-le-champ auprès de l’impératrice. N’ayant aucun soupçon de la supercherie, elle se fit conduire dans sa litière au palais impérial. Les émissaires de son impétueux amant l’introduisirent dans une chambre écartée, où Valentinien viola sans remords les lois de l’hospitalité. A son retour, sa profonde douleur et les reproches amers dont elle accablait son mari, qu’elle regardait comme complice de son propre déshonneur, enflammèrent Maxime du désir d’une juste vengeance ; et à ce désir de vengeance vinrent se joindre les espérances de l’ambition. Maxime pouvait raisonnablement se flatter que les suffrages du peuple et du sénat l’élèveraient sur le trône de son odieux et méprisable rival. Valentinien, qui, jugeant d’après son cœur, ne croyait ni à l’amitié ni à la reconnaissance, avait imprudemment reçu parmi ses gardes des domestiques et des soldats d’Ætius. Deux d’entre eux, Barbares de naissance, se laissèrent aisément persuadés qu’ils rempliraient un devoir honorable et sacré en ôtant la vie à l’assassin de leur ancien maître, et leur intrépidité ne leur permit pas de chercher longtemps une occasion favorable. Tandis que Valentinien s’amusait dans le Champ-de-Mars, du spectacle de quelques jeux militaires, ils s’élancèrent sur lui, l’épée à la main, immolèrent le coupable Héraclius, et percèrent l’empereur lui-même sans rencontrer aucune opposition de la part de sa nombreuse suite qui semblait plutôt applaudir à la mort du tyran (16 mars 455). Tel fut le sort de Valentinien III[75], le dernier empereur de la famille de Théodose. Il eut toute la faiblesse de son cousin et de ses deux oncles, sans y joindre la douceur, la pureté, l’innocence de caractère qui font tolérer en eux le manque de courage et d’intelligence. Valentinien, moins excusable, avait des passions et n’avait pas de vertus ; sa religion même était suspecte ; et quoiqu’il n’ait jamais embrassé les erreurs de l’hérésie, il scandalisa la piété des chrétiens par son attachement pour les pratiques sacrilèges de la magie et de la divination.

Dès le temps de Cicéron et de Varron, les augures romains prétendaient que les douze vautours aperçus  par Romulus annonçaient le terme fixé par le destin pour la durée de sa ville qui serait détruite douze cents ans après sa fondation[76]. Cette prophétie avait peut-être été méprisée dans des siècles de vigueur et de prospérité ; mais alors en voyant s’approcher la fin de ce douzième siècle, marqué par la honte et les malheurs, le peuple se livrait aux craintes les plus funestes[77] ; et la postérité n’a pu sans doute se défendre de quelque surprise en voyant se vérifier par la chute de l’empire d’Occident, l’interprétation arbitraire d’une circonstance accidentelle ou fabuleuse ; mais cette chute fut annoncée par des présages plus clairs et plus sûrs que le vol des vautours. Le gouvernement romain devenait tous les jours plus odieux à ses sujets accablés[78] ; et moins redoutable à ses ennemis. Les taxes se multipliaient avec les malheurs publics ; l’économie était plus négligée à mesure qu’elle devenait plus nécessaire ; l’injustice des riches faisait retomber sur le peuple tout le poids d’un fardeau inégalement partagé, et détournait à leur profit tout l’avantage des décharges qui auraient pu quelquefois soulager sa misère. L’inquisition sévère qui confisquait leurs biens et exposait souvent leurs personnes aux tortures, décidait les sujets de Valentinien à préférer la tyrannie moins compliquée des Barbares, à se réfugier dans les bois et dans les montagnes, ou à embrasser l’état avilissant de la domesticité mercenaire. Ils rejetaient avec horreur le nom de citoyen romain, autrefois l’objet de l’ambition générale. Les provinces armoricaines de la Gaule, et la plus grande partie de l’Espagne, entraînées par la confédération des Bagaudes, vivaient dans un état d’indépendance et d’anarchie ; et les ministres impériaux employaient inutilement des troupes et des lois de proscription à réduire des nations qu’ils avaient jetées dans la révolte et dans le désespoir[79]. Quand un même moment aurait vu périr tous les Barbares, leur destruction totale n’aurait pas suffi pour rétablir l’empire d’Occident ; et si Rome lui survécut, elle avait vue du moins périr sa liberté, son honneur et sa vertu.

 

 

 



[1] Voyez Priscus, p. 39-72.

[2] La chronique d’Alexandrie ou de Paschal, qui rend compte de cet insolent message, peut avoir anticipé la date en la plaçant sous le règne ou avant la mort de Théodose ; mais ce lourd annaliste n’aurait pas trouvé dans son imagination le style caractéristique d’Attila.

[3] Le second livre de l’Histoire critique de l’établissement de la Monarchie française, t. I, p. 189-414, jette une grande clarté sur l’état de la Gaule lorsqu’elle fut envahie par Attila ; mais l’ingénieux auteur, l’abbé Dubos, se perd trop souvent en systèmes et en conjectures.

[4] Victor Vitensis (de Persecut. Vandal., l. I, c. 6, p. 8, édit. Ruinart) le nomme acer consilio et strenuus in bello. Mais quand il tomba dans l’infortune son courage ne fut plus considéré que comme l’aveuglement du désespoir, et Sébastien fût surnommé præceps. (Sidon. Apollin., Carmen IX, 181.) Les Chroniques d’Idatius et de Marcellin font une légère mention de ses aventures à Constantinople, dans la Sicile, la Gaule, l’Espagne et l’Afrique. Il était toujours accompagné dans sa fuite d’une troupe nombreuse, puisqu’il ravagea l’Hellespont et la Propontide, et s’empara de la ville de Barcelone.

[5] Reipublicæ romanœ singulariter natus, qui superbiam Suevoram, Francorumque barbariem immensis cœdibus servire imperio romano cœgisset. Jornandès, de Reb. geticis, c. 34, p. 660.

[6] Ce portrait est de Benatus Profuturus Frigeridus, auteur contemporain, connu seulement par quelques extraits que saint Grégoire de Tours a conservés (l. II, c. 8, t. II, p. 163). Il était sans doute du devoir, ou au moins de l’intérêt de Benatus, d’exagérer les vertus d’Ætius ; mais il eût été plus adroit de ne point insister sur sa patience et sa facilité à pardonner.

[7] L’ambassade était composée du comte Romulus, de Promotus, président de la Norique, et de Romanus, duc militaire ; ils étaient accompagnés de Tatullus illustré citoyen de Petovio dans la même province, et père d’Oreste, qui avait épousé la fille du comte Romulus. (Voyez Priscus, p. 57, 65.) Cassiodore (Variar., I, 4) fait mention d’une autre ambassade, composée de son père et de Carpilio, fils d’Ætius ; et comme Attila n’existait plus, il pouvait exagérer impunément l’intrépidité de leur conduite en présence du roi des Huns.

[8] Deserta Valentinæ urbis rura Alanis partienda traduntur. (Prosper Tyro, Chronic., dans les Histor. de France, t. I, p. 639.) Quelques lignes après, Prosper observe qu’on assigna des terres aux Alains dans la Gaule ultérieure. Sans admettre la correction de Dubos (t. I, p. 300), la supposition très probable de deux colonies ou garnisons d’Alains confirmera ses arguments et détruira ses objections.

[9] Voyez Prosper Tyro, p. 639. Sidon. (Panegyr. Avit., 246) se plaint au nom de l’Auvergne, sa patrie.

Litorius Scythicos equites, tunc fortè sucacto

Celsus Aremorico, Geticum rapiebat in agmen

Per terras, Arverne, tuas, qui proxima quœque

Discursu, flammis, ferro ; feritate, rapinis,

Delebant ; pacis fallentes nomen inane.

Un autre poète, Paulin du Périgord, confirme cette plainte,

Nam socium vix ferre queas qui durior hoste.

Voyez Dubos, t. I, p. 330.

[10] Théodoric II, fils de Théodoric Ier, déclare à Avitus sa résolution de réparer ou d’expier la faute que son grand-père avait commise.

Quæ oster peccavit avus ; quem fuscat id unum,

Quod te, Roma, capit . . . . . . . . . .

SIDON., Panegyr. Avit., 505.

Cette circonstance, qui n’est applicable qu’au grand Alaric, établit la filiation des rois des Goths, et on avait jusqu’à présent négligé cette observation.

[11] On trouve, pour la première fois dans Ammien Marcellin le nom de Sabarcdia, dont celui de Savoie est dérivé ; et la Notitia constate l’existence de deux postes militaires dans cette province. Une cohorte était placée à Grenoble en Dauphiné ; et il y avait à Ebredunum, ou Iverdun, une flotte de petits vaisseaux qui défendaient le lac de Neufchâtel. Voyez Valois, Notit. Galliarum, p. 503 ; d’Anville, Notice de l’ancienne Gaule, p. 284-579.

[12] Salvien a essayé d’expliquer le gouvernement moral de la Divinité, tâche très facile à remplir, en supposant que les calamités des méchants sont des châtiments, et que les malheurs qui assiègent l’homme vertueux sont des épreuves.

[13] . . . . . Capto terrarum, damna patebant

Litorio, in Rhodanum proprios producere fines,

Theodaridæ fixum ; nec erat pugnare necesse,

Sed migrare Getis ; rabidam trux asperat iram

Victor ; quod sensit Scythicum sub mœnibus hostem

Imputat, et nihil est gravius, si forsitan unquam

Vinrere contingat, trepido . . . . .

Panegyr. Avit., 300, etc.

Sidonius ensuite, selon le devoir d’un panégyriste, attribue tout le mérite d’Ætius a son ministre Avitus.

[14] Théodoric II révérait dans Avitus son ancien précepteur.

Mihi Romula dudum

Per te jura placent ; pervumque ediscere jussit

Ad tua verba pater docili quo prisca Maronis

Carmine molliret, Scythicos mihi pagina mores.

SIDON., Panégyr. Avit., 495 ; etc.

[15] Nos autorités pour le règne de Théodoric Ier, sont Jornandès, de Reb. getic., c. 34-36 ; les Chroniques d’Idatius et des deux Prosper, insérées dans les Historiens de France, t. I, p. 612-649 ; et en outre Salvien, de Gubernatione Dei, l. VII, p. 243, 244, 245 ; et le Panégyrique d’Avitus par Sidonius.

[16] Reges crinitos se creavisse de prima, et, ut ira dicam, nobiliori suorum familia. Saint Grégoire de Tours, l. II, c. 9, p. 166, du second volume des Historiens de France. Saint Grégoire ne fait pas mention du nom Mérovingien ; mais jusqu au commencement du septième siècle ce nom paraît avoir été la dénomination distinctive de la famille royale et même des monarques français. Un critique ingénieux a fait descendre les Mérovingiens du grand Maroboduus ; et il a prouvé avec évidence que ce prince, qui donna son nom à la première race, était plus ancien que le père de Childéric. Voyez les Mém. de l’Accad. des Inscript., t. XX, p. 52-90 ; t. XXX, p. 557-567.

[17] Cet ancien usage des Germains ; dont on peut suivre la .trace depuis Tacite jusqu’à Grégoire de Tours, fut enfin adopté par les empereurs de Constantinople. D’après un manuscrit du dixième siècle, Montfaucon a représenté une cérémonie semblable ; que l’ignorance du siècle appliquait au roi David. Voyez Monuments de la Monarchie française, t. I, Discours préliminaire.

[18] Cœsaries prolixa..... crinium flagellis per terga dimissis, etc. Voyez la préface au troisième volume des Historiens de France, et l’abbé Le Bœuf, Dissert., t. III, p. 47-79. Cet usage particulier des Mérovingiens est constaté par les écrivains nationaux, et étrangers ; par Priscus, t. I, p. 608 ; par Agathias, t III, p. 49 ; et par saint Grégoire de Tours, t. III, 18 ; VI, 24 ; VIII, 10 ; tome II, pages 196, 278, 316.

[19] Voyez une description originale de la figure de l’habillement, des armes et du caractère des anciens Francs ; dans Sidonius Apollinaris, Panégyrique de Majorien, 238-254. De telles peintures, quoique grossièrement tracées, ont une valeur réelle et particulière. Le père Daniel (Histoire de la Milice française, t. I, p. 2-7) a éclairci cette description.

[20] Dubos, Hist. crit., etc., t. I, p. 271, 272. Quelques auteurs ont placé Dispargum de l’autre côté du Rhin. Voyez une Note des éditeurs bénédictins aux Historiens de France, t. II, p. 166.

[21] La forêt Carbonnaire ou Carbonnienne était cette partie de la grande forêt des Ardennes, qui est située entre l’Escaut et la Meuse. Valois, Notitia Gall., p. 126.

[22] Saint Grégoire de Tours, l. II, c. 9, t. II, p. 166, 167 ; Fredegar., Epitomé, c. 9, p. 395 ; Gesta reg. Francor., c. 5, t. II, p. 544 ; Vit. S. Remig. ab Hincmar, t. III, p. 373.

[23] . . . . . Francus qua Cloio patentes

Atrebatum terras pervaserat......

Panegyr. Majorian., 212.

L’endroit exact était une ville ou un village appelé, Vicus Helena, dont des géographes modernes ont découvert le nom et l’emplacement à Lens. Voyez Valois, Notit. Gall., p. 246. Longuerue, Description de la France, t. II, p. 88.

[24] Voyez un récit vague de cette action dans Sidonius, Panégyrique de Majorien, 212-230. Les critiques français, impatiens d’établir leur monarchie dans la Gaule, ont tiré un argument très fort du silence de Sidonius, qui n’ose faire entendre que les Francs aient été forcés de repasser le Rhin après leur défaite. Dubos, t. I, p. 322.

[25] Salvien (de Gubern. Dei., l. VI) a raconté en style vague et déclamatoire les calamités de ces trois villes, qui sont clairement constatées par le savant Mascou, Hist. des anciens Germains, IX, 21.

[26] Priscus, en racontant la contestation, ne nomme pas les deux frères dont il avait vu un à Rome, et qu’il dépeint comme un adolescent, sans barbe et avec de longs cheveux flottants. (Historiens de France, t. I, p. 607, 608.) Les éditeurs bénédictins penchent à croire qu’ils étaient les fils de quelque roi méconnu des Francs, dont le royaume était situé sur les bords du Necker ; mais les arguments de M. de Foncemagne (Mém. de l’Accad., t. VIII, p. 464) semblent prouver que les deux fils de Clodion disputèrent sa succession, et que le plus jeune était Mérovée, père de Childéric.

[27] Sous la race mérovingienne le trône était héréditaire ; mais tous les fils du monarque défunt étaient autorisés également à partager ses trésors et ses États. Voyez les Dissertations de M. de Foncemagne dans les sixième et huitième volumes des Mém. de l’Académie.

[28] Il existe encore une médaille de la belle Honoria ; elle porte le titre d’Augusta et sur le revers on lit la légende assez déplacée de salus reipieblicœ, autour du monogramme du Christ. Voyez Ducange, Fam. byzant., p. 67-73.

[29] Voyez Priscus, p. 39, 40. On pouvait alléguer avec raison que si les femmes avaient eu les prétentions au trône, Valentinien, qui avait épousé la fille et l’héritière de Théodose le jeune, aurait réclamé ses droits sur l’empire d’Orient.

[30] Jornandès (de Succes. regn., c. 97, et de Reb. getic., c. 42, 674) et les Chroniques de Prosper et de Marcellin racontent très imparfaitement les aventures d’Honoria ; mais il est impossible de les rendre croyables ou probables, à moins de séparer, par un intervalle de temps et de lieu, son intrigue avec Eugène, de son invitation à Attila.

[31] Exegeras mihi ut promitterem tibi, Attilœ bellum stylo me posteris intimaturum..... Cœperam scribere ; sed operis arrepti fasce perspecto tæduit inchoasse. Sidon. Apoll., l. VIII, epist. 15, p. 246.

[32] . . . . . Subito cum rupta tumultu

Barbaries totas in te transfuderat arctos,

Gallia. Pugnacem Rugum comitante Gelono,

Gepida trux sequitui ; Scyrum Burgundio cogit :

Chunus, Beldonotus, Neurus, Basterna, Toringus,

Bracterus, ulvosa vel quem Nicer abluit unda

Prorumpit Francus. Cecidit cito secta bipenni

Hercynia in lintres, et Rhenum texuit alno.

Et jam terrificis difuderat Attila turmis

In campos se, Belga, tuos . . . . .

Panegyr. Avit., 319.

[33] On trouve dans Jornandès le récit le plus authentique et le mieux détaillé que nous ayons de cette guerre, (de Rebus geticis., c. 36-41, p. 662-672). Il a quelquefois abrégé et quelquefois transcrit littéralement l’Histoire de Cassiodore. Nous dirons, une fois pour toutes, que saint Grégoire de Tours (l. II, c. 5, 6, 7) les Chroniques d’Idatius, d’Isidore et des deux Prosper, peuvent servir à corriger et à éclaircir Jornandès. Toutes les anciennes autorités sont rassemblées et insérées dans les Historiens de France ; mais le lecteur doit être en garde contre un extrait supposé de la Chronique d’Idatius, placé parmi les fragments de Frédégaire, t. II, p. 462, qui contredit souvent le véritable texte de l’évêque gaulois.

[34] Les anciens légendaires méritent quelque considération, en ce qu’ils ont été, forcés de mêler à leurs fables l’histoire de leur temps. Voyez les Vies de saint Loup, de saint Arian, les évêques de Metz, sainte Geneviève, etc., dans les Historiens de France, tome I, p. 644, 645, 649 ; t. III, p. 369.

[35] On ne peut conciliée les doutes du comte du Buat (Hist. des Peuples, t. VII, p. 539-540) avec aucun principe de raison où de saine critique : Saint Grégoire de Tours n’affirme-t-il pas la destruction de Metz, en termes précis et positifs ? Est-il possible qu’à peine un siècle après l’événement, saint Grégoire et tout le peuple se trompassent sûr le sort d’une ville où résidaient alors leurs souverains les souverains d’Australie ? Le savant comte, qui, semble avoir entrepris l’apologie d’Attila et des Barbares, en appelle au faux Idatius, parcens civitates Germaniœ et Galliæ ; et oublie que le véritable Idatius a clairement affirmé, plurimœ civitates effractæ ; au nombre desquelles il compte Metz.

[36] . . . . . Vix liquerat Alpes

Ætius tenue, et rarum sine milite ducens

Robur ; in auxiliis geticum male credulus agmen

Incassum propriis præsumen adfore castris.

Panégyr. Avit., 328, etc.

[37] Le Panégyrique d’Avitus et le trente-sixième chapitre de Jornandès donnent une idée imparfaite de la politique d’Attila, d’Ætius et des Visigoths. Le poète et l’historien se laissent entraîner l’un et l’autre par leurs préjugés personnels et nationaux. Le premier relève le mérite d’Avitus : Orbis, Avite, salus ! etc. ; et l’autre s’attache à présenter la conduite des Goths sous le jour le plus avantageux ; cependant, en les interprétant avec exactitude, on trouve dans leur accord une preuve de leur véracité.

[38] Jornandès, c. 36, 664, édit. Grot., t. II, p. 23 des Historiens de France, et les notes de l’éditeur bénédictin donnent le détail de l’armée d’Ætius. Les Læti étaient une race mêlée de Barbares nés ou naturalisés dans la Gaule ; les Ripaires ou Ripuaires tiraient leur nom du lieu de leur résidence sur les bords des trois rivières, le Rhin, la Meuse et la Moselle ; les Armoricains occupaient les villes indépendantes entre la Seine et la Loire. Il y avait une colonie de Saxons dans le diocèse de Bayeux ; les Bourguignons habitaient la Savoie, et les Bréones étaient une tribu belliqueuse des Rhétiens, à l’orient du lac de Constance.

[39] Aurelianensis urbis obsidio, oppugnatio, irruptio nec direptio, l. V, Sidonius Apollinar., l. VIII, epist. 15, p. 246. Il était facile de convertir la délivrance d’Orléans en un miracle obtenu et prédit par le pieux évêque.

[40] On trouve dans la plupart des éditions XCM, mais nous avons l’autorité de quelques manuscrits, et, toute autorité est presque suffisante pour donner la préférence au nombre de XVM.

[41] Châlons ou Duro-Catalaunum, et depuis Catalauni, avait fait précédemment partie du territoire de Reims, dont cette ville n’est éloignée que de vingt-sept milles. Voyez Valois, Notit. Gall., p. 136 ; d’Anville, Notice de l’ancienne Gaule, p. 212, 279.

[42] Saint Grégoire de Tours cite souvent le nom de Campania, ou Champagne. Cette grande province, dont Reims était la capitale, était sous le commandement d’un duc. Valois, Notit., p. 120-123.

[43] Je ne me dissimule pas que la plupart de ces harangues sont composées par les historiens. Cependant les anciens Ostrogoths qui avaient servi sous Attila, ont pu rendre son discours à Cassiodore : les idées et les expressions ont une tournure scythe et originale ; et j’ai peine à croire qu’un Italien du sixième siècle ait imaginé le hujus certaminis gaudia.

[44] Les expressions de Jornandès, ou plutôt de Cassiodore, sont très fortes : Bellum atrox, multiplex ; immane, pertinax, cui similia nulla usquam narra. antiquitas : ubi tali esta referuntur, ut nihil esse quod in vita sua conspicere potuisset egregius, qui hujus miraculi privaretur aspectu. Dubos (Hist. crit., t. I, p. 392, 393) tâche de concilier les cent soixante-deux mille hommes de Jornandès avec les trois cent mille d’Idatius et d’Isidore en supposant que le plus fort de ces deux nombres comprenait tous ceux qui avaient péri dans cette guerre, soldats ou citoyens, etc., par les armes, les maladies, les fatigues, etc.

[45] Le comte du Buat, Hist. des Peup., etc. tome VII, p. 554-573, s’en rapportant toujours au faux Idatius, et rejetant toujours le véritable, a prétendu qu’Attila avait été défait dans deux grandes batailles, l’une près d’Orléans, et l’autre dans les plaines de Champagne ; que dans l’une Théodoric perdit la vie, et que dans l’autre il fut vengé.

[46] Jornandès, de Reb. getic., c. 41, p. 671. La politique d’Ætius et la conduite de Torismond paraissent fort naturelles ; et le patrice, selon saint Grégoire de Tours (l. II, c. 7, p. 163), renvoya le roi des Francs en lui inspirant la même crainte. Le faux Idatius prétend ridiculement qu’Ætius fit en secret dans la nuit une visite au roi des Huns, et une autre à celui des Visigoths, et qu’ils lui donnèrent chacun une bourse de dix mille pièces d’or pour ne pas les inquiéter dans leur retraite.

[47] Ces cruautés, que Théodoric, fils de Clovis, déplore avec indignation (saint Grégoire de Tours, l. III, c. 10, p. 190), paraissent convenir au temps et aux circonstances de l’invasion d’Attila. Son séjour dans la Thuringe a été longtemps attesté par la tradition populaire, et l’on prétend qu’il y tint un couroultai ou diète, dans les environs d’Eisenach. Voyez Mascou (IX, 30), qui décrit avec la plus scrupuleuse exactitude l’ancienne Thuringe, dont il assure que le nom est dérivé des Thervinges, tribu des Goths.

[48] Machinis constructis, omnibusque tormentorum generibus adhibitis. Jornandès, c. 42, p. 673. Dans le treizième siècle, les Mongous se servirent, pour renverser les murs des villes de la Chine, de machines construites par les mahométans ou les chrétiens qui servaient dans leur armée. Ces machines lançaient des pierres qui pesaient de cent cinquante à trois cents livres. Les Chinois employèrent pour leur défense la poudre à canon et même des bombes plus de cent ans avant qu’elles fussent connues en Europe ; et cependant ces armes, empruntées au ciel ou plutôt à l’enfer, ne purent sauver une nation pusillanime. Voyez Gaubill, Hist. des Mangous, p. 70, 71, 155-157, etc.

[49] Jornandès et Procope (de Bell. Vandal., l. I, p. 187, 188) racontent la même histoire ; il n’est pas aisé de décider lequel des deux est l’original : mais l’historien grec a commis une erreur inexcusable en plaçant le siége d’Aquilée après la mort d’Ætius.

[50] Jornandès, environ un siècle après le siége, affirme qu’Aquilée était si complètement détruite, ut vix ejus vestigia, ut appareant, reliquerint. Voyez Jornandès, de Reb gétic., p. 673 ; Paul diacre, l. II, c. 14, p. 785 ; Luitprand, Hist., l. III, c. 2. On donnait quelquefois le nom d’Aquilée au Forum Julii, Cividad del Friuli, la capitale plus moderne de la province vénitienne.

[51] Dans le récit de cette guerre d’Attila, si fameuse et si imparfaitement connue, j’ai pris pour guides deux savants italiens qui ont traité ce sujet avec quelques avantages particuliers, Sigonius (de Imperio occidentali, l. XIII, dans ses ouvrages, t. I, p. 495-502) et Muratori, Annali d’Italia, t. IV, p. 229, 236, édit. in-8°.

[52] Cette anecdote se trouve dans deux différents articles μεδιολανον et κορυκος des mélanges de Suidas.

[53] Leo respondis : Humana hoc pictum manu ;

Videres hominem dejectum, si pingere

Leones scirent.

Appendix ad Phœdrum, Fab. 15.

Dans Phèdre, le lion en appelle assez gauchement du tableau aux amphithéâtres, et j’ai observé avec plaisir que le goût naturel de la Fontaine lui a fait rejeter cette mauvaise conclusion.

[54] Paul diacre (de Gest. Langobard., l. II, c. 4 p. 784), donne la description des provinces de l’Italie environ vers la fin du huitième siècle : Venetia non solum in paucis insulis quas nunc Venetias dicimus, constat ; sed ejus terminus a Pannoniœ finibus usque Adduam fluvium protelatur. L’histoire de cette province jusqu’au siècle de Charlemagne, forme la première, et la plus intéressante partie de Verona illustrata (p. 388), dans laquelle le marquis Scipion Maffei s’est montré également capable des plus grandes vues et des recherches les plus détaillées.

[55] Cette émigration, n’est attestée par aucun contemporain ; mais le fait est prouvé par l’évènement et la tradition a pu en conserver les circonstances. Les citoyens d’Aquilée se retirèrent dans l’île Gradus, ceux de Padoue à Rivus-Altus ou Rialto, où la ville de Venise a été bâtie dans la suite, etc.

[56] La topographie, et les antiquités des îles Vénitiennes depuis Gradus jusqu’à Clodia ou Chioggia, sont exactement décrites dans la Dissertation géographique de Italia medii Ævi, p. 151-155.

[57] Le savant comte Figliasia prouvé dans des Mémoires sur les Vénètes (Mémorie de Veneti primi e secondi, del conte Figliasi, t. VI, Venezia, 1796), que dans les temps les plus reculés cette nation, qui occupait le pays qu’on a nommé depuis États vénitiens de terre ferme, habitait également les îles répandues sur ces côtes ; et que de là étaient venus les noms de Venetia prima et seconda ; dont le premier s’appliquait au continent, et le second aux îles et aux lagunes. Dès le temps des Pélasges et des Étrusques, les premiers Vénètes, habitant une contrée fertile et délicieuse, s’étaient voués à l’agriculture ; les seconds, placés au milieu des canaux, à l’embouchure des fleuves, et à portée des îles de la Grèce comme des campagnes fécondes de l’Italie, s’étaient adonnés à la navigation et au commerce. Les uns et les autres se soumirent aux Romains peu avant la seconde guerre punique. Ce ne fut cependant qu’après la victoire remportée par Marius sur les Cimbres, qu’on réduisit leur pays en province romaine. Sous le règne des empereurs, la première Vénétie mérita plus d’une fois, par ses malheurs, une place dans l’histoire..... Mais la province maritime était occupée de la pêche, des salines et du commerce. Les Romains ont regardé les peuples qui l’habitaient comme au-dessous de la dignité de l’histoire, et les ont laissés dans l’obscurité. Ils y demeurèrent jusqu’à l’époque où leurs îles offrirent une retraite à leurs compatriotes ruinés et fugitifs. Hist. des Républ. ital. du moyen âge, par Simonde Sismondi, t. I, p. 313. (Note de l’Éditeur.)

[58] Cassiodore, Variar., l. XII, épît. 24. Maffei (Verona illustrata, part. I, p. 240-254) a traduit et expliqué cette lettre curieuse avec le génie d’un savant antiquaire et d’un sujet fidèle, qui regardait les Vénitiens, comme les seuls descendants légitimes de la république romaine. Il fixe la date de l’épître, et par conséquent de la préfecture de Cassiodore, A. D. 523 ; et l’autorité du marquis a d’autant plus de poids, qu’il avait préparé une édition des ouvrages de Cassiodore, et a publié une Dissertation sur la véritable orthographe de son nom. Voyez Osservazioni litterarie, t. II, p. 290-339.

[59] Voyez, dans le second volume d’Amelot de La Houssaie, Histoire du gouvernement de Venise, une traduction du fameux Squittenio. Ce livre, qu’on a beaucoup trop vanté, trahit chaque ligne le manque de sincérité et la malveillance de l’esprit de parti ; mais on y trouve, rassemblés tous les principaux témoignages, soit authentiques, soit apocryphes, et le lecteur les discernera facilement.

[60] Sirmond (Not. ad Sidon. Apollin., p. 19) a publié un passage curieux tiré de la Chronique de Prosper : Attila, redintegratis viribus, quas in Gallia amiscrat, Italiam ingredi per Pannonias intendit, nihil duce nostro, Ætio secundum prioris belli opera prospiciente, etc. Il reproche à Ætius d’avoir négligé la garde des Alpes, et d’avoir eu le dessein d’abandonner l’Italie ; mais cette accusation hasardée est au moins contrebalancée par les témoignages favorables d’Isidore et d’Idatius.

[61] Voyez les portraits originaux d’Avienus et de son rival Basile, tracés et mis en opposition dans les épîtres 1, 9, p. 22, de Sidonius. Il avait étudié le caractère des deux chefs du sénat ; mais il s’était attaché à Basile, comme l’ami le plus sincère et le plus désintéressé.

[62] On peut découvrir le caractère et les principes de saint Léon dans cent quarante et une de ses épîtres originales, qui éclaircissent toute l’histoire ecclésiastique de ce pontificat si long et si rempli, depuis A. D. 440 jusqu’en 461. Voyez Dupin, Biblioth. ecclés., t. III, part. 2, p. 120-165.

[63] Tardis ingens ubi, flexibus errat.

Mincius, et tenera prœtexit arundine ripas

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Anne lacus tantos, te, Lari maxime ; teque

Fluctibus, et fremitu assurgens, Benace, marino.

[64] Le marquis de Maffei (Verona illustrata, part. I, p. 95, 129-221, part. II, p. 2, 6) a éclairci avec beaucoup de goût et d’érudition cette intéressante topographie. Il place l’entrevue d’Attila et de Saint Léon près d’Ariolica ou Ardelica, aujourd’hui Peschiera, au confluent du lac et de la rivière. Il marque l’endroit qu’occupait la maison de Catulle, dans la péninsule de Sarmio, et découvre les Andes de Virgile, dans le village de Bandes, précisément où se subducere colles incipiunt, où les hauteurs du Véronèse s’abaissent dans la plaine de Mantoue.

[65] Si statim infesto agmine urbem petussent ; grande discrimem esset : sed in Venetia quo fere tractu Italia mollissima est, ipsa solis cœlique clementia robur elanguit. Adhoc panis usu carnisque cocteœ, et dulcedine vini mitigatos, etc. Ca passage de Florus est plus applicable aux Huns qu’aux Cimbres, et il peut servir de commentaire à la peste envoyée du ciel, dont Idatius et Isidore prétendent que furent attaqués les soldats d’Attila.

[66] L’historien Priscus rapporte, d’une manière positive, l’effet que produisit cet exemple sur l’esprit d’Attila. Jornandès, c. 42, p. 673.

[67] Le tableau de Raphaël est dans le Vatican, et le bas-relief de l’Algardi sur un des autels de Saint-Pierre. Voyez Dubos, Réflex. sur la poésie et sur la peinture, t. I, p. 519, 520. Baronius (Annal. ecclés., A. D. 452, n° 57, 58 soutient hardiment la vérité de l’apparition, qui est rejetée toutefois par les plus savants et les plus pieux des catholiques.

[68] Attila, ut Priscus historicus refert, extinctionis suæ tempore, puellam Ildico nomine, decoram valde, sibi matrimonio post innumerabiles uxores..... socans. Jornandès, c. 49, p. 683, 684. Il ajoute ensuite (c. 50, p. 686) : Filii Attilœ, quorum per licentiam libidinis pene populus fuit. Dans tous les siècles la polygamie fut admise chez les Tartares : le rang des épouses, parmi le peule, dépend de leur beauté ; et la matrone surannée arrange, sans murmurer le lit destiné à sa jeune rivale : mais parmi les princes les fils nés des filles de khans ont le premier droit à la succession de leur père. Voyez l’Histoire généalogique, p. 406, 407, 408.

[69] La nouvelle de son crime passa bientôt jusqu’à Constantinople, où on lui donna un nom fort différent, et Marcellin observe que l’usurpateur de l’Europe périt dans la nuit par la main et par le couteau d’une femme. Corneille qui a suivi dans sa tragédie la vérité de l’Histoire, décrit cette hémorragie en quarante vers pompeux, et fait dire à Attila avec une fureur ridicule :

. . . . . . . . . . S’il ne veut s’arrêter (son sang),

Dit-il, on me paiera ce qu’il va m’en coûter.

[70] Jornandès (c. 4, p. 684, 685) raconte les circonstances curieuses de la mort et des funérailles d’Attila ; et il y a lieu de croire que Priscus les a rapportées d’après lui.

[71] Voyez Jornandès, de Reb. getic., c. 50, p. 685, 686, 687, 688. Sa distinction des armes nationales est curieuse et importante. Nam ibi admirandum reor fuisse spectaculum, ubi cernere erat cunctis pugnantem Gothum ense furentem, Gepidam in vulnere suorum cuncta tela frangentem ; Suevum pede, Hunnum sagitta prœsumere ; Alanum gravi, Herulum levi armatura, aciem instruere. Je ne sais point avec précision où est située la rivière de Netad.

[72] Deux historiens modernes ont jeté de nouvelles lumières sur la ruine et la division de l’empire d’Attila : M. du Buat (t. VIII, p. 3-31, 68-94), par ses recherchés exactes et laborieuses ; et M. de Guignes, par son extraordinaire connaissance de la langue et des auteurs chinois. Voyez l’Hist. des Huns, t. II, p. 315-319.

[73] Placidie mourut à Rome le 27 novembre A. D. 450 ; on l’enterra à Ravenne, où son sépulcre et même son corps, assis sur une chaise de bois de cyprès, a été conservé durant plusieurs siècles. Le clergé orthodoxe complimenta souvent l’impératrice, et saint Pierre Chrysologue l’assura que son zèle pour la sainte Trinité avait été récompensé par une auguste trinité d’enfants. Voyez Tillemont, Hist. des Empereurs, t. VI, p. 240.

[74] Ætium Placidus mactavit semivir amens, dit Sidonius, Panegyr. Avit., 359. Le poète connaissait le monde, et n’était point disposé à flatter un ministre qui avait outragé ou disgracié Avitus et Majorien, dont Sidonius a fait successivement les héros de ses chants.

[75] Relativement à la cause et aux circonstances de la mort d’Ætius et de Valentinien, nous n’avons que des renseignements obscurs et imparfaits. Procope (de Bell. vand., l. I, c. 4, p. 186, 187, 188) raconte fabuleusement tout ce qui est antérieur à son siècle ; il est donc indispensable d’y suppléer, et de le corriger par le secours de cinq ou six Chroniques, dont aucune n’a été composée à Rome ni en Italie, et qui ne peuvent que rapporter sans aucune liaison les bruits populaires répandus en Espagne, en Afrique, à Constantinople ou à Alexandrie.

[76] Cette interprétation de Vettius, célèbre augure, fut citée par Varron dans le dix-huitième livre de ses Antiquités. Censorinus, de Die natali, c. 17, p. 91, éd. Haverc.

[77] Selon Varon, le douzième siècle devait expirer A. D. 447 ; mais l’incertitude de l’époque véritable de la fondation de Rome peut permettre un peu de délai ou d’anticipation. Les poètes du siècle attestent cette opinion populaire, et leur témoignage n’est pas récusable.

Jam reputant annos, interceptoque volatu

Vulturis, incidunt properatis sœcula metis.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Jam prope fata tui bissenas vulturis alas

Implebant ; scis namque tuos, scis, Roma, labores.

Voyez DUBOS, t. I, p. 340-346.

[78] Le cinquième livre de Salvien est rempli de lamentations pathétiques à d’invectives véhémentes. Son excessive liberté, prouve également la faiblesse et la corruption du gouvernement romain. Il publia son livre après la perte de l’Afrique (A. D. 439) et avant la guerre d’Attila (A. D. 451).

[79] Les Bagaudes d’Espagne combattirent les troupes romaines en batailles rangées. Idatius en parle dans plusieurs articles de ses Chroniques, Salvien décrit très énergiquement leurs souffrances et leur révolte, De Gubern. Dei, l. V, p. 158, 159.