Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

CHAPITRE XXXIII

Mort d’Honorius. Valentinien II, empereur d’Occident. Administration de sa mère Placidie. Ætius et Boniface. Conquête de l’Afrique par les Vandales.

 

 

L’EMPEREUR Honorius, durant un règne honteux de vingt-huit ans, vécut toujours en inimitié avec son frère Arcadius et ensuite avec son neveu Théodose. Constantinople contemplait, les calamités de Rome avec une joie qu’elle déguisait sous l’extérieur, de l’indifférence. Les étranges aventures de Placidie[1] renouvelèrent par degrés et cimentèrent enfin l’alliance des deux empires. La fille dut grand Théodose avait été alternativement captive et reine des Goths ; elle avait perdu un mari qui la chérissait, et s’était vu traîner en esclavage par l’assassin du brave, Adolphe. Elle goûta bientôt les douceurs de la vengeance, et-le traité de paix stipula six cent mille mesurés de froment pour sa rançon. Après son retour d’Espagne en Italie, Placidie éprouva une nouvelle persécution dans le sein de sa famille. Elle vit avec répugnance les nouveaux liens qu’on lui préparait sans la consulter. Le brave Constance, reçut pour prix de ses services, de la main même d’Honorius, une main que la veuve d’Adolphe s’efforçait en vain de lui refuser ; mais la résistance de la princesse finit avec la cérémonie. Placidie consentit à devenir, mère d’Honoria et de Valentinien, et ne dédaigna point de prendre sur son mari reconnaissant l’empire le plus absolu. Un soldat généreux, accoutumé jusqu’alors à partager sa vie entre le service militaire et les plaisirs de la société, dut prendre des leçons d’ambition et d’avidité ; il obtint le titre d’Auguste, et le serviteur d’Honorius fut associé à l’empire d’Occident. La mort de Constance, arrivée dans le septième mois de son règne, loin de diminuer la puissance de Placidie, sembla au contraire l’augmenter, et les familiarités indécentes que se permettait son frère avec elle, sans aucun autre sentiment peut-être qu’une affection enfantine[2], passèrent dans l’opinion publique pour la preuve d’un commerce incestueux. Les intrigues obscures d’une nourrice et d’un intendant firent succéder tout à coup à cette tendresse excessive un ressentiment irréconciliable. Les querelles violentes d’Honorius et de Placidie ne furent pas renfermées longtemps dans le secret du palais ; et comme les soldats goths défendaient la cause de leur ancienne reine, chaque jour était marqué à Ravenne par des tumultes et des meurtres, et le désordre ne put être apaisé qu’après le départ, forcé ou volontaire de Placidie et de ses enfants. Ces augustes exilés arrivèrent à Constantinople peu de temps après le mariage de Théodose, tandis qu’on célébrait les réjouissances des victoires remportées sur les Persans. On les reçut avec autant d’affabilité que de magnificence ; mais comme la cour de Constantinople avait rejeté les statues de l’empereur Constance, sa veuve ne pouvait pas décemment être reconnue pour Augusta. Peu de mois après l’arrivée de Placidie, un messager rapide vint annoncer la mort d’Honorius, arrivée à la suite d’une hydropisie. On cacha cet important secret le temps nécessaire pour faire avancer un corps considérable de troupes sur la côte maritime de la Dalmatie. Les boutiques et les portes de Constantinople restèrent fermées durant sept jours ; et le mort d’un prince étranger, qu’on ne pouvait ni regretter ni estimer, fut honorée de toutes les apparentes démonstrations de la douleur publique.

Tandis que les ministres de Constantinople délibéraient, un étranger s’emparait du trône d’Honorius. Jean était le nom de l’ambitieux usurpateur. Il occupait le poste de confiance de primicerius ou premier secrétaire ; et l’histoire lui accorde, des vertus qui paraissent incompatibles avec la violation du plus sacré des devoirs. Enorgueilli par la soumission, de l’Italie et l’espoir d’une alliance avec les Huns, Jean eut la hardiesse d’insulter, par une ambassade, à la majesté du monarque de l’Orient ; mais lorsqu’il apprit que ses agents avaient été bannis, emprisonnés, et enfin chassés avec ignominie, Jean se prépara à soutenir par les armes l’injustice de ses prétentions. En pareille occasion, le petit-fils du grand Théodose aurait dû sans doute conduire lui-même son armée ; mais les médecins de l’empereur le détournèrent aisément d’une entreprise si imprudente et si dangereuse, et Théodose le jeune confia, prudemment cette expédition au brave Ardaburius et à son fils Arspar, qui avait déjà signalé sa valeur contre les Persans. On décida qu’Ardaburius s’embarquerait avec l’infanterie ; tandis qu’Aspar, à la tête de la cavalerie, conduirait Placidie et son fils Valentinien le long des côtes de la mer Adriatique. Les marches de la cavalerie furent si rapides, qu’elle surprit la ville d’Aquilée sans éprouver la moindre résistance mais les espérances d’Aspar s’anéantirent lorsqu’il apprit qu’une tempête avait dispersé la flotte impériale, et que son père, n’ayant plus avec lui que deux galères, avait été pris et conduit dans le palais de Ravenne. Cependant cet accident, très funeste en apparence, facilita la conquête de l’Italie. Ardaburius se servit ou abusa de la liberté qu’on lui laissait généreusement pour ranimer chez les troupes le sentiment de la reconnaissance et de la fidélité, et lorsqu’il jugea la conspiration en état de réussir, il invita son fils, par de secrets messages, à s’approcher promptement de Ravenne. Un berger, dont la crédulité populaire a fait un ange, conduisit la cavalerie d’Orient par une route secrète, et qui passait pour impraticable, à travers les marais du Pô. Les portes de Ravenne s’ouvrirent après une courte résistance, et l’usurpateur abandonné fut livré à la merci ou plutôt à la cruauté des vainqueurs. On lui coupa d’abord la main droite ; et après avoir été exposé, monté sur un âne, à la dérision du peuple Jean eut la tête tranchée dans le cirque d’Aquilée. Lorsque l’empereur Théodose apprit la nouvelle de la victoire, il interrompit les courses, et conduisit le peuple en chantant des psaumes dans les rues, depuis l’Hippodrome jusqu’à la cathédrale, où il passa le reste de la journée en pieuses actions de grâces[3].

Dans une monarchie qui, selon les différentes circonstances, avait été considérée tantôt comme élective et tantôt comme héréditaire, il n’était facile d’établir bien clairement[4], les limites des droits que pouvaient avoir au trône les lignes féminines et collatérales ; et Théodose, par ceux de sa naissance ou par la force de ses armes, se serait fait aisément reconnaître pour souverain légitime du monde romain. Peut-être se laissa-t-il éblouir un moment par cette perspective d’une domination sans bornes ; mais l’indolence de son caractère le ramena bientôt aux principes d’une saine politique. Satisfait de posséder l’empire d’Orient, il abandonna prudemment la tâche pénible de soutenir au-delà des Alpes une guerre dangereuse contre les Barbares, et de veiller sans cesse à la soumission de l’Afrique et de l’Italie, aliénée depuis longtemps par la différence du langage et des intérêts. Au lieu d’écouter la voix de l’ambition, il résolut d’imiter la modération de son aïeul, et de placer son cousin Valentinien sur le trône de l’Occident. Le prince enfant avait d’abord été distingué à Constantinople par le titre de nobilissimus. Avant de quitter Thessalonique, il fut élevé au rang et à la dignité de César ; et après la conquête de l’Italie, le patrice Hélion, par l’autorité de Théodose, et en présence du sénat, salua Valentinien III du titre d’Auguste, et le revêtit solennellement de la pourpre et du diadème[5]. Les trois sœurs qui gouvernaient le monde chrétien fiancèrent le fils de Placidie avec Eudoxie, fille de Théodose et d’Athénaïs ; et, dès que l’un et l’autre eurent atteint l’âge de puberté, cette alliance s’accomplit fidèlement. En même temps, et probablement en compensation des frais de la guerre, l’Illyrie occidentale cessa d’appartenir à l’Italie, et fit partie de l’empire d’Orient[6]. Théodose acquit l’utile possession de la riche province maritime de Dalmatie, et la souveraineté dangereuse de la Pannonie et de la Norique, désolées depuis plus de vingt ans par les invasions continuelles des Huns, des Ostrogoths, des Vandales et des Bavarois. Théodose et Valentinien respectèrent toujours les devoirs de leur alliance publique et personnelle ; mais l’unité du gouvernement du monde romain fut tout à fait anéantie ; et un édit unanime des deux gouvernements déclara qu’à l’avenir les lois nouvelles ne seraient reconnues que dans les États du prince qui les aurait, promulguées, à moins qu’il ne jugeât à propos de les communiquer, signées de sa propre main à son collègue[7] qui les adopterait s’il le trouvait convenable.

Valentinien reçut le titre d’Auguste à l’âge de six ans ; et sa mère, qui avait quelques droits personnels à l’empire, le gouverna, en qualité de tutrice, durant la longue minorité de son fils. Placidie enviait, sans pouvoir les égaler, la réputation et les talents de la femme et de la sœur de Théodose, le génie et l’éloquence d’Eudoxie, la sagesse et les succès du gouvernement de Pulchérie ; elle était jalouse du pouvoir, dont l’exercice était au-dessus de ses forces[8]. Elle régna trente-cinq ans au nom de Valentinien ; et la conduite de ce méprisable empereur autorisa à soupçonner que Placidie avait énervé sa jeunesse en le livrant à une vie dissolue, et en l’éloignant avec soin de toute occupation honorable et digne d’un homme. Au milieu de la décadence de l’esprit militaire, on voyait à la tête des armées deux généraux[9], Ætius et Boniface[10] ; qu’on peut regarder avec raison comme les derniers des Romains : ils auraient pu en réunissant leurs efforts, soutenir encore l’empire chancelant. La perte de l’Afrique fut la suite funeste de leur jalousie et de leurs divisions. Ætius s’est immortalisé par la défaite d’Attila ; et quoique le temps ait jeté un voile sur les exploits de son rival, la défense de Marseille et la conquête de l’Afrique attestent les talents militaires du comte Boniface. Il était la terreur des Barbares soit sur un champ de bataille, dans les rencontres ou dans les combats singuliers ; le clergé, et particulièrement son ami saint Augustin, admirèrent la piété chrétienne qui avait donné un moment à Boniface le désir de se retirer du monde. Le peuple estimait son intégrité, et les soldats craignaient l’inflexibilité de sa justice, dont nous pouvons citer un exemple assez bizarre. Un paysan accusa sa femme, au tribunal de Boniface, d’un commerce criminel avec un soldat barbare : on le remit a l’audience du lendemain. Dans l’après-midi, le comte, qui s’était soigneusement informé de l’heure et du lieu du rendez-vous, fit rapidement un trajet de dix milles, surprit les coupables, punit sur-le-champ le soldat de mort, et imposa le lendemain silence au mari, en lui présentant la tête de celui qui l’avait offensé. Placidie aurait pu employer utilement les talents d’Ætius et de Boniface dans des expéditions séparées ; mais l’expérience de leur conduite passée aurait du lui indiquer celui des deux qui méritait réellement sa confiance. Durant le temps de son exil et de ses malheurs, le seul Boniface avait soutenu sa cause avec une inébranlable fidélité, et avait efficacement employé les troupes et les trésors de l’Afrique à l’extinction de la révolte. Ætius avait fomenté cette révolte, et l’usurpateur était redevable à son zèle du secours de soixante mille Huns accourus des bords du Danube aux frontières de l’Italie. La prompte mort de Jean le força d’accepter un traité avantageux ; mais ses nouveaux engagements avec Valentinien ne l’empêchèrent point d’entretenir une correspondance suspecte et peut-être criminelle avec les Barbares ses alliés, dont on n’avait obtenu la retraite que par des présents considérables et des promesses encore plus brillantes. Mais Ætius jouissait d’un avantage précieux sous le règne d’une femme ; il était présent, ses flatteries artificieuses assiégeaient assidûment la cour de Ravenne, et, déguisant ses desseins perfides sous le masque de l’attachement et de la fidélité, il parvint à tromper à la fois et sa maîtresse présente et son rival absent, par une double trahison qu’une femme faible et un brave homme ne pouvaient pas aisément soupçonnés. Ætius engagea secrètement Placidie[11] à rappeler Boniface de son gouvernement d’Afrique, et conseilla secrètement à Boniface de désobéir aux ordres de l’impératrice. Il faisait considérer à Boniface son rappel comme une sentence de mort et peignait à Placidie la désobéissance du gouverneur comme l’indice certain d’une révolte. Lorsque le crédule et confiant Boniface eut armé pour défendre sa vie, Ætius se fit un mérite, vis-à-vis de l’impératrice, d’avoir prévu un événement amené par sa propre perfidie. En cherchant modérément à s’expliquer avec Boniface sur les motifs de sa conduite, on aurait ramené à son devoir et rendu à l’État un serviteur fidèle : mais les artifices d’Ætius s’opposèrent à cette explication, il continua de trahir et d’irriter ; et le comte, poussé à bout, prit une résolution violente que lui inspira son désespoir. Le succès avec lequel il évita ou repoussa les premières attaques, ne l’aveugla point sur l’impossibilité de résister avec quelques Africains indisciplinés aux forces de l’Occident commandées par un rival dont il connaissait les talents militaires. Après quelques irrésolutions, derniers efforts du devoir et de la prudence, Boniface envoya à la cour ou plutôt au camp de Gonderic, roi des Vandales, un ami sûr, chargé de lui proposer une alliance, et de lui offrir un établissement avantageux et solide.

Après la retraite des Goths, Honorius avait repris la possession précaire de l’Espagne ; en exceptant toutefois la province de la Galice, où les Suèves et les Vandales s’étaient fortifiés séparément et se faisaient encore la guerre. Les Vandales étaient victorieux, ils tenaient leurs rivaux assiégés dans les collines Nervasiennes entre Léon et Oviedo, lorsque l’approche du comte Asterius força ou plutôt engagea les Barbares à transporter la scène de la guerre dans les plaines de la Bétique. Il fallut bientôt de plus puissants secours pour s’opposer aux rapides progrès des Vandales ; et le général Castinus s’avança contre eux avec une nombreuse armée de Goths et de Romains. Vaincu en bataille rangée par un ennemi inférieur, Castinus s’enfuit honteusement jusqu’à Tarragone : cette défaite mémorable a été représentée comme la punition de son imprudente présomption ; il est beaucoup plus probable qu’elle en fut la suite[12]. Séville et Carthagène devinrent la récompense ou plutôt la proie de ces féroces vainqueurs ; et les vaisseaux qu’ils trouvèrent dans le port de Carthagène auraient pu les transporter facilement aux îles de Majorque et de Minorque, où les Espagnols fugitifs s’étaient inutilement réfugiés avec leurs familles et leurs trésors. Le danger de la navigation, et peut-être la vue rapprochée de l’Afrique, fit accepter aux Vandales les propositions de Boniface ; et la mort de Gonderic ne fit que rendre cette audacieuse entreprise et plus prompte et plus vive. Au lieu d’un prince dont la force et les talents n’avaient rien de remarquable, ils eurent pour chef son frère illégitime, le terrible Genseric[13], dont le nom mérite d’être placé auprès de ceux d’Alaric et d’Attila dans l’histoire de la destruction de l’empire romain. On représente le roi des Vandales comme étant d’une taille médiocre, et boiteux d’une jambe par les suites d’une chute de cheval. Sa manière de s’exprimer, lente et circonspecte, laissait rarement pénétrer la profondeur de ses desseins. Genséric dédaignait d’imiter le luxe des nations qu’il avait vaincues ; mais il s’abandonnait à des passions plus cruelles ; la colère et la vengeance. Son ambition ne connaissait ni bornes ni scrupules ; guerrier courageux, il n’en savait pas moins faire jouer les plus secrets ressorts de la politique, soit pour se procurer des alliés utiles, ou pour semer la haine et la division chez ses ennemis. Presque au moment de son départ, il apprit qu’Hermanric, roi des Suèves, avait osé ravager ses possessions en Espagne qu’il se déterminait à abandonner. Irrité de cette insulte, Genséric poursuivit les Suèves fugitifs jusqu’à Merida, précipita leur chef et leur armée dans la rivière d’Anas, et revint tranquillement sur le rivage de la mer embarquer ses troupes victorieuses. Les vaisseaux dans lesquels les Vandales traversèrent le détroit de Gibraltar, large d’environ douze milles, furent équipés par les Espagnols qui désiraient ardemment leur départ, et par le gouverneur d’Afrique qui avait imploré leur redoutable secours[14].

Notre imagination, accoutumée depuis si longtemps à exagérer et à multiplier ces essaims guerriers de Barbares que le Nord semblait répandre avec tant l’abondance, sera étonnée sans doute du petit nombre de combattants que Genseric débarqua sur les côtes de la Mauritanie. Les Vandales, qui, dans le cours de vingt ans, avaient pénétré de l’Elbe au mont Atlas, se trouvaient réunis sous le commandement de leur roi. Son autorité s’étendait sur les Alains, dont une même génération avait passé des régions glacées de la Scythie dans le climat brûlant de l’Afrique. Les espérances que présentait cette entreprise hasardeuse attiraient sous ses drapeaux une foule de braves aventuriers goths, et des habitants de la province que le désespoir poussait à réparer leur fortune par les moyens qui l’avaient détruite. Cependant cette réunion de soldats de différentes nations ne composait que cinquante mille hommes effectifs et quoiqu’il tâchât d’en augmenter l’apparence en nommant quatre-vingts chiliarques ou commandants de mille soldats, le supplément illusoire des vieillards, des enfants et des esclaves, aurait à peine suffi pour porter la totalité à quatre-vingt mille hommes[15] ; mais, l’adresse du général et les troubles de l’Afrique lui procurèrent bientôt une multitude d’alliés. Les cantons de la Mauritanie limitrophes au grand désert et à l’océan Atlantique, étaient habités par une race d’hommes farouches et intraitables, dont le caractère sauvage avait été plus aigri que corrigé par la terreur des armes romaines. Ces Maures[16] errants hasardèrent peu à peu de s’approcher du bord de la mer et du camp des Vandales ; ils durent considérer avec surprise les armes, les vêtements, l’air martial et la discipline de ces étrangers inconnus qui débarquaient sur leurs côtes. Le teint blanc et les yeux bleus des guerriers germains devaient, à la vérité former un contraste bien frappant avec la couleur olivâtre ou noire que contractent les peuples habitant dans le voisinage de la zone torride. Lorsque les Vandales eurent vaincu les premières difficultés, qui naissent de l’ignorance mutuelle d’un langage inconnu, les Maures, sans s’inquiéter de ce qui pourrait en résulter par la suite, embrassèrent l’alliance des ennemis de Rome ; une foule de sauvages nus sortirent de leurs forêts et des vallées du mont Atlas, pour assouvir leur vengeance sur les tyrans civilisés qui avaient injustement usurpé sur eux la souveraineté de leur terre natale.

La persécution des donatistes[17] ne favorisa pas moins l’entreprise de Genseric. Dix-sept ans avant sa descente en Afrique, on avait tenu à Carthage une conférence publique, sous l’autorité du magistrat ; les catholiques se persuadèrent qu’après les invincibles raisons qu’ils avaient alléguées, les schismatiques ne pouvaient leur résister que par une obstination volontaire et inexcusable, et Honorius se laissa persuader d’infliger les plus rigoureux châtiments à une faction qui abusait depuis si longtemps de sa douceur et de sa patience. On arracha de leurs églises trois cents évêques[18] et des milliers d’ecclésiastiques inférieurs ; ils furent dépouillés de toutes leurs possessions ecclésiastiques ; bannis dans les îles et proscrits par la loi, en cas qu’ils osassent se cacher dans les provinces de l’Afrique. Les membres de leurs nombreuses congrégations, soit dans les villes soit dans les campagnes, perdirent tous les droits du citoyen et tout exercice du culte religieux. Tout individu convaincu d’avoir assisté à un conventicule de schismatiques devait être puni par une amende soigneusement spécifiée et calculée avec attention depuis dix livres d’argent jusqu’à deux cents, en proportion de son rang et de sa fortune ; et celui qui s’exposait à payer cinq fois l’amende sans se corriger, encourait le châtiment qu’il plaisait à la cour impériale de lui infliger[19]. Ces rigueurs, très chaudement approuvées par saint Augustin[20], ramenèrent dans le sein de l’Église un grand nombre de donatistes ; mais les fanatiques qui persistèrent dans leur hérésie se livrèrent à tout l’emportement du désespoir. Ce n’était de tous côtés que tumulte et que sang répandu ; des troupes de circoncellions armés exerçaient alternativement leurs fureurs sur eux-mêmes et sur leurs adversaires ; et la légende des martyrs fut de part et d’autre considérablement augmentée[21]. Dans ces circonstances, les donatistes regardèrent Genseric chrétien, mais opposé à la foi orthodoxe, comme un libérateur puissant dont ils pouvaient raisonnablement espérer la révocation des édits odieux et vexatoires des empereurs romains[22]. Le zèle actif ou l’appui d’une faction locale facilita la conquête de l’Afrique ; les outrages qu’on accusa les Vandales d’avoir commis sur le clergé et dans les églises peuvent être imputés plus naturellement au fanatisme de leurs alliés ; et l’esprit intolérant, qui avait déshonoré le triomphe du christianisme contribua à la perte de la plus importante province de l’Occident[23].

Le peuple et la cour furent étonnés d’apprendre qu’un héros vertueux, après avoir rendu tant de services et reçu tant de faveurs, eût trahis sa foi, et invité les Barbares à détruire la province confiée à ses soins. Les amis de Boniface, convaincus que sa conduite devait avoir quelque motif excusable, sollicitèrent, durant l’absence d’Ætius, une conférence avec le gouverneur d’Afrique et Darius, officier de distinction, se chargea de cette ambassade[24]. Le mystère de toutes ces offenses imaginaires s’éclaircit à Carthage dès la première entrevue ; on produisit et l’on compara les lettres contradictoires d’Ætius, et sa perfidie fut évidente. Placidie et Boniface déplorèrent leur erreur mutuelle. Le comte eut assez de grandeur d’âme pour se fier à sa souveraine, ou pour braver le danger de son ressentiment. Ardent et sincère dans son repentir, il s’aperçut bientôt avec douleur qu’il n’était plus en son pouvoir de raffermir l’édifice qu’il avait ébranlé jusque dans ses fondements. Carthage et les garnisons romaines rentrèrent avec leur général sous l’obéissance de Valentinien ; mais la guerre et les factions déchiraient toujours le reste de l’Afrique ; et l’inexorable roi des Vandales, dédaignant toute espèce de composition, refusa durement d’abandonner sa proie. Boniface, à la tête de ses vétérans et de quelques levées faites à la hâte, fut défait dans une bataille, où il éprouva une perte considérable. Les Barbares victorieux se répandirent dans les pays découverts ; et Carthage, Hippo-Regius et Cirta, furent les seules villes qu’on vit se conserver intactes au milieu de l’inondation.

L’espace étroit qui s’étend le long de la côte d’Afrique était couvert des monuments de l’art et de la magnificence des Romains, et l’on pouvait calculer avec justesse le degré de la civilisation d’un canton par la distance où il se trouvait de Carthage et de la Méditerranée. Une simple réflexion suffira pour donner au lecteur une idée de la culture et de la fertilité de cette province. Le pays était très peuplé ; les habitants se réservaient une subsistance abondante et ils exportaient tous les ans une si grande quantité de grains, et particulièrement de froment, que l’Afrique mérita le surnom de grenier de Rome et de l’univers. En un instant l’armée des Vandales couvrit les sept fertiles provinces qui s’étendent depuis Tanger jusqu’à Tripoli. Peut être leurs ravages ont-ils été exagérés par le zèle religieux, le ressentiment populaire et l’extravagance des déclamations ; mais si la guerre même la plus loyale entraîne inévitablement la violation presque continuelle de la justice et de l’humanité, on peut penser quelles doivent être les hostilités d’un peuple barbare, toujours accompagnées des fureurs de ce caractère ingouvernable, qui, même dans les temps de paix, trouble continuellement l’intérieur de leur société. Les Vandales faisaient rarement quartier où ils trouvaient de la résistance ; la mort de leurs compatriotes était toujours vengée par la destruction des villes devant lesquelles ils avaient perdu la vie. Leurs avides soldats faisaient subir à leurs captifs, sans  distinction de sexe, d’âge ou de rang, toutes sortes de tortures et d’indignités, pour en arracher la découverte de leurs trésors cachés. La cruelle politique de Genseric autorisait à ses yeux de fréquentes exécutions militaires. Emporté par la violence de ses passions, il ne pouvait pas toujours s’opposer à celles des autres, et les calamités de la guerre étaient augmentées par la férocité des Maures et par le fanatisme des donatistes. Cependant j’ai peine à croire que les Vandales aient arraché tous les oliviers et les autres arbres à fruit d’un pays où ils avaient l’intention de se fixer. Je ne puis pas non plus me persuader que le stratagème ordinaire fût de massacrer un grand nombre de prisonniers, au pied des murs des villes qu’ils assiégeaient, dans l’intention d’infecter l’air et de produire une maladie pestilentielle dont ils auraient été les premières victimes[25].

Le cœur généreux du comte Boniface était déchiré du spectacle douloureux des maux qu’il avait causés et dont il ne pouvait plus arrêter les rapides progrès. Après sa défaite il se retira dans la ville d’Hippo-Regius où il fut immédiatement assiégé par les vainqueurs, qui le regardaient comme le véritable rempart de l’Afrique. La colonie d’Hippo ou Hippone[26], éloignée d’environ deux cents milles à l’occident de Carthage, avait du le surnom de Regius à la résidence des rois de Numidie ; et la ville d’Afrique actuellement connue sous la dénomination corrompue de Bonne conserve encore quelques restes du commerce et de la population d’Hippone. La conversation édifiante de saint Augustin[27] adoucissait les chagrins de son ami Boniface, et l’encourageait dans ses travaux militaires ; mais cet évêque, le flambeau et l’appui de l’Église catholique, était alors dans la soixante-seizième année de son âge, et, expirant doucement le troisième mois du siège, il échappa aux calamités prêtes à fondre sur sa patrie (28 août 430). La jeunesse d’Augustin, comme il l’a si ingénument confessé lui-même, n’avait pas été exempte de vices et d’erreurs ; mais depuis sa conversion jusqu’à sa mort, ses mœurs furent toujours pures et austères ; il se distingua par son zèle ardent contre les hérésies de toutes les dénominations, particulièrement celles des manichéens, des pélagiens et des donatistes, contre lesquels il soutint de perpétuelles controverses. Lorsque les Vandales brûlèrent la ville quelques mois après la mort de saint Augustin, on sauva heureusement la bibliothèque qui contenait ses volumineux écrits ; deux cent trente-deux livres ou traités sur différents sujets géologiques, une explication complète des psaumes et des évangiles, et une grande quantité d’épîtres et d’homélies[28]. Au jugement des critiques les plus judicieux, l’érudition superficielle de saint Augustin se bornait à la connaissance de la langue latine[29]. Son style, quoique animé quelquefois par l’éloquence de la passion, est ordinairement gâté par un goût faux et une vaine affectation de rhétorique ; mais il possédait un esprit vaste, vigoureux, et doué d’une grande puissance de raisonnement. Il a sondé d’une main hardie les abîmes obscurs de la grâce, de la prédestination, du libre arbitre et du péché originel. L’Église latine[30] a prodigué des applaudissements, peut-être peu sincères au système de christianisme rigide qu’il a institué ou rétabli[31], et qu’elle a conservé jusqu’à nos jours.

L’intelligence de Boniface ou l’ignorance des Vandales fit traîner le siége d’Hippone durant quatorze mois. La mer était toujours libre ; et lorsque les environs eurent été épuisés par le brigandage des Vandales, la famine força les assiégeants d’abandonner leur entreprise. La régente de l’Occident sentait vivement l’importance et le danger de l’Afrique ; Placidie implora le secours de Théodose, et Aspar amena de Constantinople un puissant secours de troupes et de vaisseaux. Dès que les forces des deux empires furent réunies sous les ordres de Boniface, ce général marcha hardiment à la rencontre des Vandales, et la perte d’une seconde bataille confirma irrévocablement la perte de l’Afrique. Boniface s’embarqua avec la précipitation du désespoir, et les habitants d’Hippone obtinrent la permission d’occuper dans les vaisseaux la place des soldats, la plupart tués ou faits prisonniers par les Vandales. Le comte dont la fatale crédulité avait fait une plaie incurable à sa patrie, se présenta sans doute devant sa souveraine avec une inquiétude que dissipa bientôt le sourire de Placidie. Boniface accepta avec reconnaissance le rang de patrice et celui de maître général ales armées romaines ; mais il devait rougir en voyant les médailles où il est représenté avec les attributs de la victoire[32]. Aussi orgueilleux que perfide, Ætius ne put voir sans colère la découverte de sa trahison, le ressentiment de l’impératrice et la faveur dont jouissait son rival. Il revint précipitamment de la Gaule en Italie avec une suite ou plutôt une armée de Barbares ; et telle était la faiblesse du gouvernement, que les deux généraux décidèrent leur querelle particulière dans une bataillé sanglante. Boniface remporta la victoire et perdit la vie ; il revint mortellement blessé de la main d’Ætius, et ne vécut que peu de jours. Il poussa les sentiments de la charité chrétienne dans ses derniers moments, jusqu’à presser sa femme, riche héritière d’Espagne, d’accepter Ætius pour son second mari ; mais Ætius ne tira pas alors grand avantage de la générosité de son ennemi : Placidie le fit déclarer rebelle. Après avoir inutilement essayé de se défendre dans les forteresses qu’il avait construites dans ses domaines, il se retira en Pannonie, dans le camp de ses fidèles Huns ; et l’empire d’Orient perdit, par leur discorde, le secours de ses deux plus braves généraux[33].

On pourrait naturellement imaginer qu’après la retraite de Boniface, les Vandales achevèrent sans obstacle et sans délai la conquête de l’Afrique. Cependant huit années s’écoulèrent depuis l’évacuation d’Hippone jusqu’à la réduction de Carthage. Daris cet intervalle l’ambitieux Genseric, en apparence au faîte de la prospérité, négocia un traité de paix par lequel il donna son fils Hunneric pour otage et consentit à laisser l’empereur d’Occident paisible possesseur des trois Mauritanies[34]. Ne pouvant pas faire honneur de cette modération à l’équité du conquérant, on ne doit l’attribuer qu’à sa politique. Genseric était environné d’ennemis personnels qui méprisaient la bassesse de sa naissance et reconnaissaient les droits légitimes de ses neveux, les fils de Gonderic. L’usurpateur sacrifia la vie de ses neveux à sa propre sûreté, et fit précipiter leur mère, la veuve du roi défunt, d’ans la rivière d’Ampsague ; mais le ressentiment public se manifestait par des conspirations fréquentés, et le tyran est accusé d’avoir fait répandre plus de sang vandale sur l’échafaud que dans les batailles[35]. Les troubles de l’Afrique avaient favorisé l’invasion, mais ils nuisaient à l’établissement de sa puissance. Les révoltes des Maures, des Germains, des donatistes et des catholiques, ébranlaient ou menaçaient sans cesse l’enfance d’un gouvernement mal assuré. Pour attaquer Carthage, il fallait retirer ses troupes des provinces occidentales, et la côte maritime se trouvait exposée aux entreprises des Romains, de l’Espagne, de l’Italie. Dans le cœur de la Numidie, la forte ville de Cirta défendait encore avec succès son indépendance[36]. Employant tour à tour la force et la ruse, Genseric vainquit peu à peu tous les obstacles par son courage, par sa persévérance et par sa cruauté. Il conclut un traité solennel, dans le dessein de profiter du temps de sa durée et de l’instant où il pourrait le rompre avec avantage. Tandis que la vigilance de ses ennemis s’endormait par des protestations d’amitié, le roi des Vandales, s’approchant insensiblement de Carthage, et il la surprit cinq cent quatre-vingt-cinq ans (9 octobre 439) après la destruction de cette ville et de la république par Scipion le jeune ou le second Africain[37].

Une nouvelle ville était sortie de ses ruines avec le titre de colonie romaine ; et quoique Carthage ne possédât ni les prérogatives de Constantinople, ni peut-être le commerce d’Alexandrie ou la splendeur d’Antioche, elle passait cependant pour la seconde cité de l’Occident, et les contemporains la nommaient la Rome d’Afrique[38]. Cette riche capitale présentait encore, quoique asservie, l’image d’une république florissante. Carthage contenait les armes, les manufactures et les trésors de six provinces. Une subordination régulière d’honneurs civils s’élevait depuis les commissaires des rues et des quartiers jusqu’au tribunal du premier magistrat, qui, avec le titre de proconsul, jouissait du rang et de la dignité d’un consul de l’ancienne Rome. On y voyait des écoles et des gymnases ouverts à la jeunesse africaine, et les arts libéraux, la grammaire, la rhétorique et la philosophie y étaient publiquement enseignés en langues grecque et latine. Les bâtiments de Carthage se faisaient admirer par leur magnificence et par leur uniformité. Un bocage ombrageait le centre de la ville. Le nouveau port, vaste et sûr, facilitait le commerce des citoyens, et attirait celui de l’étranger ; et dans le sein de l’Afrique, presque sous les yeux des Barbares, on voyait briller les jeux du cirque et la pompe des théâtres. La réputation des Carthaginois n’était pas si avantageuse que celle de leur ville ; le reproche de la foi punique convenait encore à la finesse et à la duplicité de leur caractère[39]. L’esprit du commerce et l’habitude du luxe avaient corrompu leurs mœurs mais les abominations contre lesquelles surtout Salvien, prédicateur de ce siècle[40], s’élève avec véhémence sont leur mépris coupable pour les moines ; et la pratiqué criminelle du péché, contre nature. Le roi des Vandalees, réprima, sévèrement les dérèglements de ce peuple voluptueux, et l’ancienne noble et franche liberté de Carthage (telles sont les expressions assez énergiques de Victor) fût réduite en une servitude ignominieuse. Après avoir donné à ses troupes le loisir de satisfaire leur avarice et leurs fureurs, Genseric organisa un mode plus régulier d’oppression et de brigandage ; il ordonna, par un édit, que tous les habitants, sans distinction, remissent sans fraude et sans délai aux officiers préposés pour les recevoir, tout l’or, l’argent, les bijoux et les meubles précieux qu’ils pouvaient posséder ; ceux qui entreprenaient de se réserver en secret la plus faible partie de leur patrimoine, étaient irrévocablement livrés à la torture et à la mort, comme coupables de trahison envers l’État. Genseric fit mesurer avec soin et partager entre ses Barbares les terres de la province proconsulaire, qui formait le district immédiat de Carthage, et conserva, comme son domaine particulier, le territoire fertile de Bysacium, et les cantons voisins de la Numidie et de la Gétulie[41].

Il était assez naturel que Genseric haït ceux qu’il avait offensés. La noblesse et les sénateurs de Carthage se trouvaient exposés à ses soupçons et à son ressentiment. Tous ceux qui se refusèrent aux conditions ignominieuses prescrites par un tyran arien, et que l’honneur ainsi que la religion leur défendaient d’accepter, furent condamnés à quitter leur patrie pour toujours. Rome, l’Italie et les provinces d’Orient se remplirent d’une foule de fugitifs, d’exilés et d’illustres captifs qui sollicitaient la compassion publique, et les Épîtres du sensible Théodoret ont fait passer jusqu’à nous les noms de Célestien et de Marie[42]. L’évêque de Syrie déplore les malheurs de Célestien, noble Carthaginois qui, dépouillé du rang de sénateur et d’une fortune considérable, se voyait réduit, avec sa femme, ses enfants et ses domestiques, à mendier son pain dans un pays étranger ; mais il applaudit à la pieuse résignation de cet exilé chrétien, et à son caractère philosophique, qui lui conservait, au milieu de ses infortunes, un bonheur plus réel que celui dont on jouit d’ordinaire au sein de la -prospérité. L’histoire de Marie, fille du magnifique Eudemon, est intéressante et singulière. Dans le sac de Carthage, les Vandales la vendirent à des marchands de Syrie, qui la revendirent dans leur pays. Une des servantes de Marie, prise et vendue avec elle à Carthage, se trouvait sur le même vaisseau, et fut achetée par le même maître en Syrie. Toujours également respectueuse pour une maîtresse que le sort condamnait à partager son esclavage, elle lui continua, par attachement, les soins qu’elle lui avait rendus précédemment par obéissance. Cette conduite fit connaître le rang de Marie ; et, dans l’absence de l’évêque de Cyrrhe, elle dut sa délivrance à la générosité de quelques soldats de la garnison. A son retour, Théodoret fournit libéralement à son entretien. Marie, après avoir passé dix mois parmi les chanoinesses de l’Église ; apprit que son père, heureusement échappé du massacre de Carthage, exerçait un emploi honorable dans une des provinces de l’Occident. Le prince évêque seconda l’impatience qu’elle avait de rejoindre Eudemon ; et dans une lettre qui existe encore, il la recommanda à l’évêque d’Ægæ, ville maritime de la Cilicie, que les vaisseaux de l’Occident fréquentaient tous les ans durant la foire. L’évêque de Cyrrhe pria son confrère de traiter Marie avec les égards dus à sa naissante, et de ne la confier qu’à des marchands capables de regarder comme un avantage suffisant le plaisir de rendre à un père affligé une fille qu’il devait croire à jamais perdue.

Parmi les insipides légendes de l’histoire ecclésiastique, on remarque la fable mémorable des sept dormants[43], dont la date imaginaire correspond au règne de Théodose le jeune et à la conquête de l’Afrique par les Vandales[44]. Durant la persécution de l’empereur Dèce contre les chrétiens, sept jeunes nobles d’Éphèse se cachèrent dans une caverne spacieuse creusée dans le flanc d’une montagne voisine, dont le tyran, voulant les y faire périr, fit boucher solidement l’entrée d’un monceau de grosses pierres. Ces jeunes gens tombèrent sur-le-champ dans un profond sommeil, qui fut prolongé miraculeusement durant une période de cent quatre-vingt-sept ans, sans produire aucune altération dans les principes de la vie. Au bout de ce temps, les esclaves d’Adolius, alors propriétaire de la montagne, enlevèrent les pierres pour les employer à la construction de quelque bâtiment rustique. Dès que les rayons du soleil pénétrèrent dans la caverne, les sept dormants s’éveillent persuadés que leur sommeil n’avait été que de quelques heures. Pressés par la faim, ils résolurent que Jamblichus, un des sept, retournerait secrètement à la ville afin d’y acheter du pain pour ses camarades. Le jeune homme, si on peut l’appeler ainsi ne reconnut point son pays natal, et sa surprise augmenta quand il vit une grande croix élevée et triomphante sur la principale porte d’Éphèse. La singularité de ses vêtements, son vieux langage, et, l’antique médaille de Dèce qu’il offrait pour de la monnaie courante, parurent fort extraordinaires au boulanger ; et Jamblichus, soupçonné d’avoir trouvé un trésor, fut traîné devant le juge. Leurs questions mutuelles découvrirent la miraculeuse aventure, et il parut constant qu’il s’était écoulé prés de deux cents ans depuis que Jamblichus et ses compagnons avaient échappé à la rage du persécuteur des chrétiens. L’évêque d’Éphèse, le clergé, les magistrats, le peuple et l’empereur Théodose lui-même, à ce que l’on assure, s’empressèrent de visiter la caverne merveilleuse des sept dormants, qui donnèrent leur bénédiction, racontèrent leur histoire, et expirèrent tranquillement aussitôt après. On ne peut attribuer l’origine de cette fable à la fraude pieuse ou à la crédulité des Grecs modernes ; puisqu’on peut retrouver les traces authentiques de la tradition de ce miracle supposé jusqu’à environ un demi-siècle après l’événement. Jacques de Sarug, évêque de Syrie, né deux ans après la mort de Théodose le jeune, a consacré à l’éloge des dormants d’Éphèse[45] une des deux cent trente homélies qu’il a composées avant la fin du sixième siècle. Leur légende fut traduite du syriaque en latin par les soins de saint Grégoire de Tours. Les communions opposées de l’Orient en conservent la mémoire avec la même vénération, et les noms des dormants sont honorablement inscrits dans les calendriers des Romains, des Russes[46] et des Abyssins. Leur renommée a passé les limites dlu monde chrétien. Mahomet a placé dans le Koran, comme une révélation divine, ce conte populaire, qu’il apprit sans doute en conduisant ses chameaux à la foire de Syrie[47]. L’histoire des sept dormants d’Éphèse a été adoptée et embellie depuis le Bengale jusqu’à l’Afrique, par toutes les nations qui professent la religion de Mahomet[48], et l’on découvre quelques vestiges d’une tradition semblable dans les extrémités les plus reculées de la Scandinavie[49]. On peut attribuer la crédulité générale au mérite ingénieux de cette fable en elle-même ; nous avançons insensiblement de l’enfance à la vieillesse sans observer le changement successif, mais continuel, de toutes les choses humaines ; et même dans le tableau plus vaste que nous présente la connaissance de l’histoire, l’imagination s’accoutume, par une suite perpétuelle de causes et d’effets, à réunir les révolutions les plus éloignées ; mais si l’on pouvait anéantir en un moment l’intervalle de deux époques mémorables, s’il était possible d’exposer la scène du monde nouveau aux yeux d’un spectateur qui, après un sommeil de deux cents ans, conserverait l’impression vive de l’ancienne époque où il a commencé, sa surprise et ses réflexions fourniraient le sujet intéressant d’un roman philosophique. On ne pouvait pas placer cette scène plus avantageusement qu’entre les deux siècles qui s’écoulèrent du règne de Dèce à celui de Théodose le jeune. C’était entre ces deux époques que le siège du gouvernement avait été transporté de Rome dans une ville nouvelle sur les rives du Bosphore de Thrace ; et l’abus de l’esprit militaire avait disparu, devant un système factice d’obéissance cérémonieuse et servile. Le trône de Dèce, persécuteur des chrétiens, était occupé depuis longtemps par une succession de princes orthodoxes qui avaient anéanti les divinités fabuleuses de l’antiquité ; et la dévotion publique s’empressait à élever les saints et les martyrs de l’Église catholique sur les autels de Diane et d’Hercule. L’union de l’empire romain n’existait plus ; son antique majesté rampait dans la poussière ; et des essaims de Barbares inconnus, sortis des régions glacées du Nord, avaient établi victorieusement leur empire dans les plus belles provinces de l’Europe et de l’Afrique.

 

 

 



[1] Voyez ch. XXXI.

[2] Τα συνεχη κατα στομα φιληματα. Telles sont les expressions d’Olympiodore, ap. Phot., p. 197. Il veut sans doute faire allusion à des caresses du genre de celles dont Mahomet honorait sa fille Phatemah. Quando, dit le prophète lui-mème, quando subit mihi desiderium paradisi, osculor cam ; et ingero linguam meam in os ejus. Mais des miracles et des mystères sanctifiaient ces plaisirs sensuels. Cette anecdote a été communiquée au public par le révérend père Maracci, dans sa traduction et réfutation du Coran, t. I, p. 32.

[3] Consultez, pour les révolutions de l’empire d’Occident, Olympiodore, ap Phot., p. 192, 193-196, 197-200 ;  Sozomène, l. IX, c. 16 ; Socrate, l. VII, c. 23, 24 ; Philostorgius, l. XII, c. 10, 11, et Godefroy, Dissert., p. 486 ; Procope, de Bell. vand., l. I, c. p. 182, 183 ; Théophane, in Chronograph., p. 72, 73 ; et les Chroniques.

[4] Voyez Grotius, de Jure belli et pacis, l. II, c. 7. Il a inutilement travaillé à former un système raisonnable de jurisprudence, d’après les changements contradictoires que la succession à l’empire avait éprouvés en différentes constances par le temps, la fraude, la violence, etc.

[5] Les écrivains contemporains diffèrent sur le lieu où Valentinien III reçut le diadème ; les uns disent qui ce fut à Ravenne, et les autres à Rome. (Voyez Muratori, Annali d’Italia, t. IV, p. 139.) Dans cette incertitude, je me plais à croire que l’on montra quelque considération pour le sénat.

[6] Le comte du Buat (Hist. des Peuples de l’Europe, t. VII, p. 292-300) a établi la réalité, expliqué les motifs, et observé les conséquences de cette cession remarquable.

[7] Voyez la première Novelle de Théodose, par laquelle il ratifie et publie (A. D. 438) le Code de Théodose le Grand. Environ quarante ans avant cette époque, l’unité de législation avait été prouvée par une exception. Les Juifs, qui étaient fort nombreux dans les villes de la Pouille et de la Calabre, produisirent une loi de l’Orient qui les exemptait des offices municipaux (Cod. Theod., l. XVI, tit. 8, leg. 13), et l’empereur fut obligé d’annuler par un édit spécial cette loi, quam constat meis partibus esse damnosam. Cod. Theod., l. XI, tit. 1, leg. 158.

[8] Cassiodore (Variar., l. XI, epist. I, p. 238) a comparé les régences de Placidie et d’Amalasonthe. Il condamne la faiblesse de la mère de Valentinien, et exalte les vertus de la reine des Ostrogoths, sa souveraine. Dans cette occasion la flatterie paraît, avoir soutenu le parti de la vérité.

[9] Philostorgius, l. XII, c. 12 ; et les Dissert. de Godefroy, p. 493, etc. Renatus Frigéridus, ap. Grégoire de Tours, l. II, c. 8, t. II, p. 163. Ætius était fils de Gaudenlius, citoyen illustre de la province de Scythie, et maître général de la cavalerie. Sa mère était Italienne, d’une famille noble et opulente. Ætius, dès sa plus tendre jeunesse, avait eu, comme soldat et comme otage, des liaisons avec les Barbares.

[10] Voyez le caractère de Boniface dans Olympiodore, ap. Phot., 196 ; et dans saint Augustin, ap. Tillemont, Mém. ecclés., t. XIII, p. 712-715, 886. L’évêque d’Hippone déplore la chute de son ami, qui, après avoir fait solennellement vœu de chasteté, épousa en secondes noces une femme de la secte arienne, et qui était en outre soupçonné d’avoir plusieurs concubines dans sa maison.

[11] Procope (de Bell. vandal., l. I, c. 3, 4, p. 182-186) raconte la fourberie d’Ætius, la révolte de Boniface et la perte de Afrique. Cette anecdote, confirmée par d’autres témoignages (voyez Ruinart, Hist. Persecut. vandal., p. 420, 421) paraît assez conforme aux intrigues des cours anciennes et modernes, et serait suffisamment constatée par le repentir de Boniface.

[12] Voyez les Chroniques de Prosper et d’Idatius. Salvien (de Gubern. Dei, l. VII, p. 246, Paris, 1608) attribue la victoire des Vandales à leur piété. Ils jeûnaient, priaient et portaient une Bible à la tête de leur armée, dans le dessein peut-être de reprocher à leurs ennemis leur perfidie et leur sacrilège.

[13] Gizericus (on a écrit son nom de différentes manières), statura mediocris, ut equi casa claudicans, animo, profundus, sermone rarus, luxicriœ contemptor, ira turbidus, habendi cupidus, ad sollicatandas gentes providentissimus, semina contentionum jacere, odia miscere paratus. Jornandès, de Reb. geticis, c. 33, p. 651. Ce portrait fait avec assez de talent et beaucoup de vérité, doit avoir été copié de l’histoire des Goths par Cassiodore.

[14] Voyez la Chronique d’Idatius. Cet évêque, Espagnol et contemporain, place le passage des Vandales au mois de mai de l’année d’Abraham (qui commence en octobre) 2444. Cette date, qui se rapporte à l’année 429 de Jésus-Christ, est confirmée par Isidore, autre évêque espagnol ; et cette opinion paraît préférable à celle des écrivains qui ont placé cet événement dans l’une ou l’autre des deux années précédentes. Voyez Pagi Critica, t. II, p. 205, etc.

[15] Comparez Procope (de Bell. vandal., l. I, c. 5, p. 190) et Victor Vitensis (de Persecut. Vandal., l. I, c. 1, p. 3, édit., Ruinart). Idatius assure que Genseric, évacua l’Espagne, cum Vandalis omnibus corumque framiliis ; et Possidius (in Viti sancti Augustini, c. 28, apud Ruinart, p. 47) représente son armée comme manus ingens immanium gentium Vandalorum et Alanorum, commixtam secum habens Gothorum gentem, aliarumque diversarum personas.

[16] Relativement aux mœurs des Maures, voyez Procope, de Bell. Vandal., l. II, c. 6, p. 249 ; pour leur figure et leur couleur, H. de Buffon, Hist. nat., t. III, p. 430. Procope dit en général que les Maures s’étaient joints aux Vandales avant la mort de Valentinien (de Bell. vandal., l. I, c. 5, p. 190) ; et il est probable que les tribus indépendantes n’embrassèrent pas toutes un même système de politique.

[17] Voyez Tillemont, Mém. ecclés., t. XIII., p. 516-558, et tout le cours de la persécution dans les monuments originaux publiés par Dupin à la fin d’Optat, p. 323-515.

[18] Les évêques donatistes, à la conférence de Carthage, étaient au nombre de deux cent soixante-dix-neuf, et ils assurèrent que leur nombre total se montait à plus de quatre cents. Les catholiques en avaient deux cent quatre-vingt-six présents, cent vingt absents, outre soixante-quatre évêchés vacants.

[19] Le cinquième titre du seizième livre du Code de Théodose contient un grand nombre de lois publiées par les empereurs contre les donatistes, depuis l’an 400 jusqu’à l’année 428. La plus sévère est la cinquante-quatrième, publiée par Honorius, A. D. 414. Elle fut aussi la plus efficace.

[20] Saint Augustin changea d’opinion relativement à la manière dont on devait traiter les hérétiques ; et M. Locke a placé parmi les exemples choisis insérés dans son Recueil de Souvenirs, vol. III, p. 469, la déclaration pathétique que le saint fait de sa compassion et de son indulgence pour les manichéens. Le célèbre Bayle a réfuté (t. II, p. 445-496) les arguments que l’évêque d’Hippone employa dans sa vieillesse pour justifier la persécution des donatistes. Dans une cause si claire, les talents et l’éloquence de Bayle étaient superflus.

[21] Voyez Tillemont, Mém. ecclés., t. XIII, p. 586, 592, 806. Les donatistes se vantaient de compter parmi eux des milliers de ces martyrs volontaires. Saint Augustin assure, et probablement avec vérité, qu’ils en exagéraient beaucoup le nombre ; mais il soutient rigoureusement qu’il vaut mieux que quelques hommes se brûlent dans ce monde, que s’ils étaient tous brûlés dans l’autre.

[22] Selon saint Augustin et Théodoret, les donatistes accordaient une préférence aux principes, ou au moins au parti des ariens que soutenait Genseric. Tillemont, Mém. ecclés., t. VI, p. 68.

[23] Voyez Baronius, Annal. ecclés., A. D. 428, n° 7 ; A. D. 439, n° 35. Le cardinal, quoique enclin à chercher la cause des grands événements plutôt dans le ciel que sur la terre, a observé la liaison évidente des Vandales et des donatistes. Sous le règne des Barbares, les schismatiques de l’Afrique jouirent, dans l’obscurité, d’une paix de cent ans, au bout desquels nous en retrouvons la trace an flambeau de la persécution des empereurs. Voyez Tillemont, Mém. ecclés., t. VI, p. 192, etc.

[24] Saint Augustin, sans parler de la faute de Boniface ou des motifs qui l’ont occasionnée, écrit à son ami, et l’exhorte pieusement à remplir les devoirs de chrétien et de sujet, à se tirer sans délai de la situation dangereuse et coupable où il se trouve, et même à tâcher d’obtenir de sa femme la permission de passer le reste de sa vie dans le célibat et la pénitence. (Tillemont, Mém. ecclés., t. XIII, p. 890.) L’évêque était intime ami de Darius, qui avait été l’instrument de la réconciliation. Id., t. XIII, p. 928.

[25] On trouve les lamentations originales des malheurs de l’Afrique, 1° dans une lettre de Capréole, évêque de Carthage, pour servir d’excuse à son absence du concile d’Ephèse (ap. Ruinart, p. 429) ; 2° dans la Vie de saint Augustin par son collègue Possidius (apud Ruinart, p. 427) ; 3° dans l’histoire de la persécution des Vandales par Victor Vitensis, l. I, c. 1, 2, 3, édit. Ruinart. Le dernier tableau, fait soixante ans après l’événement, donne plus d’idée du ressentiment de l’auteur que de la vérité des faits.

[26] Voyez Cellarius, Geogr. antiq., t. II, part. II, p. 112 ; Léon l’Africain, in Ramusio, tome I, fol. 70 ; l’Afrique de Marmol, t. II, p. 434-437 ; les Voyages de Shaw, p. 46, 47. L’ancien Hippo-Regius fut totalement détruit par les Arabes, dans le septième siècle ; mais avec ses matériaux on bâtit une nouvelle ville à la distancé de deux milles de l’ancienne ; et elle contenait dans le seizième siècle environ trois cents familles de manufacturiers industrieux, mais très turbulents. Le territoire voisin est renommé pour la pureté de l’air, la fertilité du sol et l’abondance des fruits exquis.

[27] La vie de saint Augustin par Tillemont remplit un volume in-4° (Mém. ecclés., t. XIII) de plus de mille pages. L’activité laborieuse de ce savant janséniste était animée dans cette occasion par le zèle religieux que devait lui inspirer l’esprit de parti en faveur du fondateur de la secte.

[28] Tel est au moins le récit de Victor Vitensis (de Pers. Vandal., l. I, c. 3). Quoique Gennade semble douter que personne ait jamais lu ou même rassemblé tous les ouvrages de saint Augustin (voyez les Œuvres de saint Jérôme, t. I, p. 319, in Catalog. scriptor. eccles.), ils ont été imprimés plusieurs fois ; et Dupin (Bibliot. ecclés., t. III, p. 158-257) en a donné un extrait très satisfaisant, tiré de l’édition des bénédictins. Je n’ai lu de ces Œuvres que ses Confessions et la Cité de Dieu.

[29] Dans sa jeunesse (Confessions, I, 14) saint Augustin négligea l’étude du grec, pour laquelle il avait de la répugnance ; et il avoue naïvement qu’il n’a lu les platoniciens que dans une version latine (Confessions, VII, 9). Quelques critiques modernes ont pensé que son ignorance de la langue grecque le rendait peu propre à expliquer les saintes Ecritures, et Cicéron ou Quintilien auraient exigé la connaissance de cette langue dans un professeur de rhétorique.

[30] Ces questions furent rarement agitées depuis le temps de saint Paul jusqu’à celui de saint Augustin. J’ai appris que les patriarches grecs adoptaient les sentiments des semi-pélagiens, et que l’orthodoxie de saint Augustin était tirée de l’école des manichéens.

[31] L’Eglise de Rome a canonisé Saint Augustin et foudroyé Calvin. Cependant, comme la différence de leurs opinions est imperceptible, même à l’aide d’un microscope théologique, les molinistes sont écrasés par l’autorité du saint, et les jansénistes sont déshonorés par leur ressemblance avec un hérétique ; tandis que les arminiens protestants se tiennent à l’écart et rient de la perplexité mutuelle des disputants. (Voyez une curieuse Collection de controverses par Le Clerc, Bibl. univ., t. XIV, p. 144-398.) Peut-être un philosophe encore plus impartial rirait-il à son tour en lisant un commentaire arminien sur l’épître aux Romains

[32] Ducange, Fam. Byzant., p 67. D’un côté la tête de Valentinien, et sur le revers Boniface dans un char de triomphe, attelé de quatre chevaux, tenant un fouet dans une main, et une palme dans l’autre. Dans quelques médailles le char est attelé de quatre cerfs, emblème malheureux. Je ne crois pas que l’on puisse citer un second exemple de la représentation d’un sujet sur le revers de la médaille d’un empereur. Voyez Science des médailles, par le Père Jobert, t. I, p. 132-150, édit. de 1739, par le baron de La Bastie.

[33] Procope (de Bell vandal., l. I, c. 3, p. 185) ne continue l’histoire de Boniface que jusqu’à son retour en Italie. Prosper et Marcellin parlent de sa mort, et le dernier observe que, dès la veille du combat, Ætius avait préparé une lance, plus longue que celle dont il avait coutume de se servir ; cette circonstance annoncerait presque un combat singulier.

[34] Voyez Procope, de. Bell. vandal., l. I, c. 186. Valentinien publia plusieurs lois bienfaisantes en faveur de ses sujets de Numidie et de Mauritanie. Il les exempta du paiement de la plus grande partie de leurs dettes, réduisit leur tribut des sept huitièmes, et leur donna le droit d’appeler de la sentence de leur magistrat au préfet de Rome. Cod. Theod., t. VI, Novell., p. 11, 12.

[35] Victor Vitensis, de Persec. Vandal., l. II, c. 5, p. 26. La Chronique de Prosper (A. D. 442) détaille et peint fortement les cruautés que Genseric exerçait sur ses sujets.

[36] Possidius, in Vit. S. Aug., c. 28, ap. Ruinart, p. 428.

[37] Voyez les Chroniques d’Idatius, d’Isidore, de Prosper et de Marcellin ; elles placent la surprise de Carthage dans la même année, mais ne s’accordent pas sur le jour de cet événement.

[38] La description de Carthage, telle qu’elle était dans les quatrième et cinquième siècles, est tirée de l’Expositio totius Mundi, p. 17, 18, dans le troisième volume des petits Géographes d’Hudson ; d’Ausone, de claris Urbibus, p. 228, 229, et principalement de Salvien, de Gubernatione Dei, l. VII, p. 27, 28. Je suis surpris que la Notitia ne donne à Carthage ni arsenal ni hôtel des monnaies, mais seulement un gynœceum ou atelier de femmes.

[39] L’auteur anonyme de l’Expositio totius Mundi compare dans son latin barbare le pays avec les habitants, et, après avoir reproché à ceux-ci leur manque de bonne foi, il ajoute froidement : Difficile autem inter cos, invenitur bonus, tamen in multis pauci boni esse possunt, p. 18.

[40] Il assure que les vices particuliers de tous les pays viennent se rassembler dans le cloaque de Carthage (l. VII, p. 257). Les Africains s’enorgueillissaient de leur vigueur dans la pratique du vice. Et illi se magis virilis fortitudinis esse crederant ; qui maxime viros feminei usus probrositate fregissent, p. 268. On rencontrait dans les rues de Carthage de misérables débauchés, qui affectaient le maintien, l’habillement et les manières des femmes (p. 264). Si un moine paraissait dans les rues, le saint homme était poursuivi par des insultes et des rires impies, detestantibus ridentium cachinnis (p. 289).

[41] Comparez Procope (de Bell. vandal., l. I, c. 5, pages 189, 190) et Victor Vitensis, de Persecut. Vandal., l. I, c. 4.

[42] Ruinart (p. 444-457) a tiré de Théodoret et de quelques autres auteurs, les aventures réelles au fabuleuses des habitants de Carthage.

[43] Dans une fable, le choix des circonstances est peu important ; cependant j’ai suivi exactement le récit qui a été traduit du syriaque par les soins de saint Grégoire de Tours, de Gloria martyrum, l. I, c. 95 ; in maxim. Bibl. Patrum, t. XI, p. 856 ; les Actes grecs de leurs martyrs, ap. Phot., p. 1400, 1401, et les Annales du patriarche Eutychius, t. I, p. 391, 531-532, 535, vers. Pocock.

[44] Deux écrivains syriaques cités par Assemanni (Bibl. orient., t. I, p. 336-338) placent la résurrection des sept dormants dans l’année 736 (A. D. 425), ou 748 (A. D. 437). Les Actes grecs qu’a lus Photius, donnent pour date la trente-huitième année du règne de Théodose, qui peut se rapporter à A. D. 439 ou 446. Le temps qui s’est écoulé depuis la persécution de Dèce est facile à vérifier, et il fallait toute l’ignorance de Mahomet et des faiseurs de légendes pour supposer un intervalle de trois, ou quatre cents ans.

[45] Jacques, un des pères orthodoxes de l’Église syriaque, était né A. D. 452 ; il commença à composer des sermons. A. D. 474 ; il fut fait évêque de Batnæ, dans le district de Satug et dans la province de la Mésopotamie, A. D. 519 ; et mourut A. D. 521. (Assemanni, t. I, p. 289.) Pour l’homélie de Pueris ephesinis, voyez p. 335-339. J’aurais voulu cependant qu’Assemanni eût traduit le texte de Jacques de Sarug, au lieu de répondre aux objections de Baronius.

[46] Voyez Acta Sanctorum des bollandistes, mensis julii, t. VI, p. 375-397. Cet immense calendrier de Saints, fait en cent vingt-six ans (1644-1770) et en cinquante volumes in-folio, n’a pas été poussé plus loin que le 7 d’octobre. La suppression des jésuites a probablement fait abandonner une entreprise qui, à travers beaucoup de fables et de fanatisme, ne laissait pas de fournir beaucoup de lumières à l’histoire et d’aperçus à la philosophie.

[47] Voyez Maracci, Alcoran, Sura, XVIII, t. II, 420-427, et t. I, part. 4, p. 103. Avec un si beau champ pour l’invention, Mahomet n’a montré ni goût ni intelligence a inventé le chien des sept dormants (al Raki), le respect du soleil, qui se dérangeait deux fois par jour de son cours ordinaire pour ne pas éclairer la caverne, et le soin de Dieu même, qui retournait de temps en temps les dormeurs du côté droit sur le gauche, pour préserver leurs corps de la putréfaction.

[48] Voyez d’Herbelot, Bibl. orient., p. 139 ; et Renaudot, List. patriarch. Alexandrin., p. 39, 40.

[49] Paul le diacre, d’Aquilée (de Gest. Langobardorum, l. I, c. 4, p. 145, 146, édit. Grot.), qui vécut vers la fin du huitième siècle, a placé dans une caverne, sous un rocher, et sur les bords de l’Océan, les sept dormants du Nord, dont le long sommeil fut respecté par les Barbares. Leurs habits annonçaient qu’ils étaient Romains, et le doyen suppose que la Providence les destinait à opérer la conversion de ces peuples incrédules.