Arcadius empereur d’Orient. Administration et disgrâce d’Eutrope. Révolte de Gainas. Persécution de saint Jean Chrysostome. Théodose II empereur d’Orient. Sa sœur Pulchérie. Sa femme Eudoxie. Guerre de Perse et partage de l’Arménie.
LE partage du monde romain, entre les fils de Théodose peut-être regardé comme l’époque de l’établissement de l’empire d’Orient, qui, depuis le règne d’Arcadius jusqu’à la prise de Constantinople, subsista mille cinquante-huit ans dans un état de décadence perpétuelle et prématurée. Le souverain de cet empire prit et conserva obstinément le titre vain et bientôt illusoire d’empereur des Romains ; et les surnoms héréditaires de CÉSAR et d’AUGUSTE continuèrent à le désigner comme le successeur légitime de ces hommes les premiers des hommes, et qui avaient régné sur la première des nations. Le palais de Constantinople égalait ou surpassait peut-être ceux de la Perse en magnificence ; et saint Chrysostome[1], dans ses éloquents sermons, célèbre, tout en le blâmant, le luxe pompeux qui signala le règne d’Arcadius. L’empereur, dit-il, porte sur sa tête ou un diadème ou une couronne d’or enrichie de pierres précieuses d’une valeur inestimable. Ces ornements et les vêtements teints en pourpre sont réservés à sa personne sacrée. Ses robes de soie sont ornées d’une broderie d’or qui représente des dragons. Son trône est d’or massif ; il ne paraît en public qu’environné de ses courtisans, de ses gardes et de ses serviteurs. Leurs lances, leurs boucliers, leurs cuirasses, les brides et les harnais de leurs chevaux sont d’or, ou en ont au moins l’apparence. La brillante et large bosse d’or qui s’élève au centre de leur bouclier est entourée de plus petites bosses qui représentent la forme d’un œil humain. Les deux mules attelées au char de l’empereur sont parfaitement blanches et toutes couvertes d’or. Le char d’or pur et massif excite l’admiration des spectateurs ; ils contemplent les rideaux de pourpre, la blancheur des tapis, le volume des diamants, et les plaqués d’or qui jettent l’éclat le plus vif lorsqu’elles sont agitées par le mouvement du char. Les portraits de l’empereur sont blancs sur un fond bleu. Le monarque est représenté assis sur son trône avec ses armes, ses chevaux et ses gardes à ses côtés, et ses ennemis vaincus, enchaînés à ses pieds. Les successeurs de Constantin fixèrent leur résidence dans la ville impériale- qu’il avait construite sur les frontières de l’Europe et de l’Asie. Inaccessibles aux menaces de leurs ennemis, et peut-être aux plaintes de leurs sujets, ils recevaient, selon les différents vents, les diverses productions, tribut de tous les climats ; et les fortifications de leur capitale bravèrent, durant une suite de siècles, toutes les entreprises des Barbares. Leurs vastes États s’étendaient depuis le Tigre jusqu’à la mer Adriatique ; et l’intervalle de vingt-cinq jours de navigation, qui séparait les glaces de la Scythie, et la brûlante Éthiopie[2], se trouvait enclavé dans les limites de l’empire d’Orient. Les populeuses provinces de cet empire étaient le siège des sciences et des arts, du luxe et de l’opulence ; et leurs habitants, qui avaient adopté le langage et les mœurs de la Grèce, se regardaient, avec quelque apparence de justice, comme la portion la plus civilisée et la plus éclairée de l’espèce humaine. La forme du gouvernement était absolument monarchique ; le nom de république romaine, longue et faible tradition de l’ancienne liberté, avait été laissé aux provinces latines. Les souverains de Constantinople ne mesuraient leur grandeur, que par l’obéissance servile de leurs sujets. Ils ignoraient combien cette soumission passive énerve et dégrade toutes les facultés de l’âme. Des hommes qui avaient abandonné la direction de leur volonté aux ordres absolus d’un maître, étaient également incapables de défendre leur vie et leur fortune contre les Barbares, et de préserver leur raison des terreurs de la superstition. Les premiers événements du règne d’Arcadius et d’Honorius sont liés si intimement, que la révolte des Goths et la chute de Rufin ont déjà occupé une place dans l’histoire de l’empire d’Occident. On a déjà observé qu’Eutrope[3], un des principaux eunuques du palais de Constantinople, succéda à l’orgueilleux ministre dont il avait précipité la chute, et dont il imita bientôt les vices. Tous les ordres de l’État se prosternaient devant le nouveau favori, et leur bassesse l’encourageait à mépriser non seulement les lois, mais encore les usages de la nation, ce qui est infiniment plus difficile et plus dangereux. Sous le plus faible des prédécesseurs d’Arcadius, le règne des eunuques avait été secret et presque invisible. Ils s’insinuaient dans la confiance de leur maître ; mais leurs fonctions ostensibles se renfermaient dans le service domestique de la personne de l’empereur. Ils pouvaient, par leurs secrètes insinuations, diriger les conseils publics, et détruire, par leurs perfides manœuvres, la fortune et la réputation des plus illustres citoyens ; mais ils n’avaient jamais osé se montrer à la tête du gouvernement[4], et profaner les dignités de l’État. Eutrope fût le premier de cette espèce dégradée qui ne craignit point de se revêtir du caractère respectable de général et de magistrat[5]. Quelquefois, en présence du sénat rougissant de honte, il montait sur le tribunal pour prononcer ou des jugements ou des harangues taillées. Dans d’autres occasions, il paraissait sur son cheval à la tête des légions’, vêtu et arme comme un héros. Le mépris de la décence et des usagés décèle toujours un esprit faible et déréglé ; et il ne parait pas qu’Eutrope ait compensé l’extravagance de ses entreprises par un mérite supérieur ou par l’habileté de l’exécution. Les occupations de sa vie ne lui avaient permis ni l’étude des lois ni les exercices militaires ; ses gauches essais excitaient le mépris des spectateurs. Les Goths exprimaient leurs vœux pour que les armées romaines fussent toujours commandées par un semblable général ; et le nom du ministre était chargé d’un ridicule plus dangereux que la haine pour la réputation d’un homme public. Les sujets d’Arcadius se rappelaient avec indignation que cet eunuque difforme et décrépit[6], qui voulait si ridiculement singer I’homme, était né dans la servitude la plus abjecte ; qu’avant d’entrer dans le palais impérial, il avait été successivement acheté et revendu par un grand nombre de maîtres qui avaient employé le temps de sa vigueur et de sa jeunesse aux offices les plus bas et les plus infâmes, et dont le dernier l’avait enfin rendu à la liberté et à la misère[7]. Tandis que ces détails honteux et peut-être exagérés faisaient le sujet des conversations publiques, on prodiguait à la vanité du favori les honneurs les plus extraordinaires. Dans le sénat, dans la capitale et dans les provinces, on élevait les statues d’Eutrope en marbre et en bronze ; elles étaient décorées des symboles de ses vertus civiles et militaires, et de pompeuses inscriptions lui donnaient le surnom de troisième fondateur de Constantinople. Il obtint le rang de patrice, qualification qui, dans son acception populaire, même légale, commençait à équivaloir au titre de père de l’empereur ; et la dernière année du quatrième siècle fut déshonorée par le consulat d’un eunuque et d’un esclave[8]. Ce monstrueux prodige réveilla cependant les préjugés des Romains. L’Occident rejeta ce vil consul comme une tache indélébile dans les annales de la république ; et, sans invoquer les ombres de Brutus et de Camille, le collègue d’Eutrope, magistrat respectable[9] et instruit, fit assez connaître la différence des maximes qui dirigeaient les deux administrations. Audacieux et inflexible, Rufin avait montré plus de disposition à la vengeance et à la cruauté ; mais l’avarice de l’eunuque n’était pas moins insatiable que celle du préfet[10]. Tant qu’il se contenta d’arracher les dépouilles du peuple à ses oppresseurs, il satisfit son avidité sans qu’on eût beaucoup à se plaindre de son injustice ; mais ses rapines s’étendirent bientôt sur les fortunes acquises par le plus légitime droit de succession ou l’industrie la plus louable. Il employa et perfectionna tous les moyens de concussion déjà connus avant lui ; et Claudien nous a laissé un tableau original et frappant de la vente publique de l’État mis à l’enchère. L’impuissance de l’eunuque, dit cet agréable poète satirique, ne sert qu’à enflammer son avarice. La main qui s’est essayé par de petits vols dans le coffre de son maître, se saisit aujourd’hui des richesses de l’univers, et cet infâme brocanteur de l’empire met à prix, morcelle et vend toutes les provinces romaines depuis le Tigre jusqu’au mont Hémus. L’un obtient le proconsulat de l’Asie en échange de sa maison de campagne ; l’autre achète la Syrie avec les diamants de sa femme ; un troisième se plaint d’avoir échangé son patrimoine contre le gouvernement de la Bithynie. On trouve sur une grande liste, publiquement exposée dans l’antichambre d’Eutrope, le prix fixé pour toutes les provinces ; les différentes valeurs du Pont, de la Galatie et de la Lydie, y sont soigneusement énoncées. Le prix de la Lycie n’est que de quelques milliers de pièces d’or ; mais l’opulente Phrygie exige une somme beaucoup plus considérable. L’eunuque cherche à cacher sa propre turpitude dans l’ignominie générale ; et comme il a été vendu lui-même, il voudrait vendre à son tour, tout le genre humain. La concurrence des acheteurs tient quelquefois longtemps suspendues les balances qui contiennent le sort d’une province et la fortune de ses habitants, et le juge impartial attend, dans une inquiète incertitude, qu’on ajoute, d’un côté ou de l’autre assez d’or pour les faire pencher[11]. Tels sont, ajoute le poète avec indignation ; tels sont les fruits de la valeur des Romains, de la défaite d’Antiochus et des triomphes de Pompée. Cette prostitution vénale des honneurs publics assurait seulement l’impunité des crimes futurs ; mais les richesses qu’Eutrope tirait des confiscations étaient déjà souillées par l’injustice. On accusait sans honte et l’on condamnait sans remords tous les riches propriétaires dont il était impatient de saisir les dépouilles. Le sang de quelques nobles citoyens coula sous la main des bourreaux ; et les contrées les plus sauvages des extrémités de l’empire se peuplèrent d’illustres exilés. Parmi les consuls et les généraux de l’Orient, Abundantius[12] devait s’attendre à essuyer le premier les effets du ressentiment d’Eutrope : il avait à se reprocher le crime impardonnable d’avoir introduit ce vil esclave dans le palais de Constantinople ; et l’on peut louer en quelque sorte un favori ingrat et puissant, qui se contente de la disgrâce de son bienfaiteur Abundantius fut dépouillé de sa fortune par un mandat de l’empereur, et banni à Pityus, dernière frontière des Romains sur la mer Noire, où il vécut abandonné à l’inconstante pitié des Barbares jusqu’à la chute de son persécuteur, après laquelle cet infortuné obtint un exil moins rigoureux à Sidon, en Phénicie. Il fallut pour se défaire de Timase procéder avec plus de circonspection et de régularité[13]. Maître général des armées sous le règne de Théodose, il avait signalé sa valeur par la défaite des Goths de Thessalie ; mais, imitant l’insolence de son maître dans les loisirs de la paix, Timase abandonnait sa confiance des flatteurs scélérats et perfides ; méprisant les clameurs du public, il avait donné le commandement d’une cohorte à l’un de ses subordonnés, homme infâme, qui l’en punit bientôt par son ingratitude. À l’instigation secrète de l’eunuque favori, Pargus, accusa son protecteur d’une conspiration contre le souverain. Le général fut cité devant le tribunal d’Arcadius lui-même, et le premier eunuque, placé à côté du trône, suggérait à l’empereur les demandes et les réponses ; mais comme cette manière de procéder aurait pu paraître partial et arbitraire, on remit la plus ample information des crimes de Timase à Saturnin, consulaire, et à Procope, beau-père de l’empereur Valens qui jouissait encore des respects dus à cette illustration. La probité de Procope maintint, dans l’instruction du procès, l’apparence de l’impartialité ; et il ne céda qu’avec répugnance à la basse dextérité de son collègue, qui prononça la condamnation du malheureux Timase. On confisqua son immense fortune au nom de l’empereur et au profit du favori, et le maître général fut condamné à un exil perpétuel à Oasis, au milieu des sables déserts de la Libye[14]. Séquestré de toute société, ce brave général, disparut pour toujours. Les circonstances du reste de sa vie ont été racontées de différentes manières. Les uns prétendent qu’Eutrope envoya secrètement des assassins pour lui ôter la vie[15] ; d’autres disent que Timase périt de faim et de soif dans le désert ; en essayant de se sauver d’Oasis, et que l’on trouva son corps dans les sables de la Libye[16] ; et d’autres assurent, d’une manière plus positive, que son fils Syagrius, après avoir rassemblé une bande de brigands de l’Afrique, avec lesquels il éluda la poursuite des agents et des émissaires de la cour, délivra Timase de son exil, et qu’on n’entendit plus, parler ni de l’un ni de l’autre[17]. Mais le perfide Bargus, loin de jouir du fruit de son crime, périt bientôt lui-même enlacé dans les piéges que lui tendit la perfidie d’un ministre plus puissant que lui, et qui conservait du moins assez d’âme et de jugement pour détester l’instrument de son crime. La haine publique et le désespoir des particuliers menaçaient ou semblaient menacer continuellement la sûreté personnelle d’Eutrope et des individus attachés à sa fortune ou élevés par sa faveur. Il inventa pour leur défense commune, une loi qui violait tous les principes de la justice et de l’humanité[18]. 1° Il est ordonné, au nom et par l’autorité d’Arcadius, que tous ceux qui, soit sujets ou étrangers, conspireront contre la vie de l’une des personnels que l’empereur regarde comme ses propres membres, encourront la peine de mort et de confiscation ; et cette application métaphorique du crime de lèse-majesté comprenait non seulement les officiers de l’État et de l’armée de la classe des illustres et qui siégeaient dans le conseil impérial, mais aussi les domestiques du palais, les sénateurs de Constantinople ; les commandants militaires et les magistrats civils des provinces, dénomination vague, qui, sous les successeurs de Constantin, comprenait une multitude obscure d’agents subordonnés. 2° Cette extrême sévérité aurait pu paraître équitable, si elle n’avait tendu qu’à défendre les représentants du souverain contre les violences auxquelles ils pouvaient être exposés dans l’exercice de leurs fonctions ; mais la totalité des employés du gouvernement s’était arrogé le droit de réclamer ce privilège ou plutôt cette impunité, qui des mettait à l’abri, jusque dans les moments les moins solennels de leur vie, des premiers mouvements de violence où pouvait se porter le ressentiment, souvent légitime, de leurs concitoyens ; et, par un étrange renversement de toutes les lois, une querelle particulière et une conspiration contre l’empereur ou contre l’État encouraient la même punition comme également criminelles. Le ridicule édit d’Arcadius déclaré positivement, qu’en matière de crime de trahison les pensées doivent être punies avec autant de sévérité que les actions ; que la connaissance d’une intention criminelle, lorsqu’elle n’est pas révélée, à l’instant, devient aussi punissable que l’intention même[19] ; et que les imprudents qui oseront, solliciter le pardon des criminels de lèse-majesté, seront eux-mêmes flétris d’une infamie publique et indélébile. 3° Quant aux fils des coupables, ajoute l’empereur, quoiqu’ils dussent être compris dans le châtiment de leurs pères, parce qu’il est très probable qu’ils en imitèrent le crime ; cependant, par un effet spécial de nôtre indulgence impériale, mais leur faisons grâce de la vie ; mais nous les déclarons inhabiles à hériter, soit du côté de leur père ou de leur mère, ou à recevoir par testament aucun don ou legs d’un parent ou d’un étranger. Couverts d’une infamie héréditaire, privés de tout espoir d’acquérir des honneurs ou de la fortune, qu’ils endurent toutes les horreurs du mépris et de la misère, au point de détester la vie, et de désirer la mort comme leur seule ressource. C’est dans ces termes, qui outragent tous les sentiments de l’humanité, que l’empereur, ou plutôt son eunuque favori, applaudit à la modération d’une loi qui comprend dans ce châtiment injuste et inhumain les enfants de tous ceux qui ont favorisé ou qui n’ont pas découvert ces prétendues conspirations. Un grand nombre des plus sages règlements de la jurisprudence romaine sont ensevelis dans l’oubli ; mais on a soigneusement inséré dans les codes de Théodose et de Justinien cet odieux instrument de la tyrannie ministérielle, et les mêmes maximes ont été adoptées, dans des temps plus modernes, pour protéger les électeurs de l’Allemagne et les cardinaux de l’Église romaine[20]. Cependant ces lois sanguinaires, qui répandaient la terreur parmi les peuples timides et désarmés, se trouvèrent un faible frein contre l’audace de Tribigild l’Ostrogoth[21]. La colonie de cette nation guerrière, placée par Théodose dans un des plus fertiles cantons de la Phrygie[22] ; comparait impatiemment les bénéfices faibles et lents des travaux de l’agriculture aux résultats brillants des brigandages d’Alaric et aux récompenses libérales qu’il accordait à la valeur ; et leur chef était offensé de la manière désobligeante dont il avait été reçu dans le palais de Constantinople. Une province pacifique et opulente, située au centre de l’empire, entendit avec étonnement le cliquetis des armes ; et un vassal, opprimé et méprisé tant qu’il avait été fidèle, reprit la considération en reprenant le caractère d’ennemi et de Barbare. Les vignes et les campagnes situées entre le cours rapide du Marsias et les sinuosités du Méandre[23], furent consumées par la flamme. Les murs des villes, dès longtemps tombant en ruines, croulèrent aux premiers coups de l’ennemi. Les habitants effrayés échappèrent au carnage en se précipitant sur les rives de l’Hellespont : presque toute l’Asie-Mineure ressentit les fureurs de Tribigild et de ses Ostrogoths. Les paysans de la Pamphylie arrêtèrent un moment les progrès de cette invasion. Les Ostrogoths, attaqués dans un passage étroit entre la ville de Selgæ[24], un marais profond et les roches escarpées du mont Taurus, perdirent les plus braves de leurs soldats ; mais ce revers n’effraya point l’intrépide général. Son armée se recrutait sans cesse de Barbares et de malfaiteurs qui cherchaient à exercer leur brigandage sans le nom plus honorable de guerre et de conquête. La crainte et adulation déguisèrent dans les commencements les succès de Tribigild, mais l’alarme se répandit enfin à la cour et dans la capitale : tous les événements malheureux étaient grossis par des faits vagues et incertains ; les projets des rebelles devenaient le sujet des plus effrayantes conjectures. Lorsque Tribigild avançait dans l’intérieur du pays, les Romains lui supposaient l’intention de franchir le mont Taurus et d’envahir la Syrie ; s’il descendait du côté de la mer, ils lui attribuaient, et, par leurs craintes, lui suggéraient peut-être l’idée, d’armer une flotte dans les ports de l’Ionie, et de s’en servir pour étendre ses dévastations sur toute la côte maritime, depuis les bouches du Nil jusqu’au port de Constantinople. L’approche du danger et l’obstination de Tribigild qui se refusait à toutes les offres de conciliation, forcèrent Eutrope à assembler un conseil de guerre[25]. Après avoir réclamé pour lui-même le privilège d’un vétéran, il confia la garde de la Thrace et de l’Hellespont à Gainas le Goth, et il donna à Leo, son favori, le commandement de l’armée d’Asie. Ces deux généraux favorisèrent l’un et l’autre les succès des rebelles ; mais d’une manière différente. Leo[26], qu’à raison de sa taille massive et de son esprit lourd, on surnommait l’Ajax de l’Orient, avait quitté son premier métier de cardeur de laine pour exercer avec moins d’intelligence et de succès la profession militaire. Incertain dans ses opérations, il se décidait par caprice, entreprenait sans prévoir les difficultés réelles de l’exécution, et négligeait par crainte les occasions les plus favorables. Les Ostrogoths s’étaient imprudemment engagés dans une position désavantageuse entre le Mélas et l’Eurymédon, où ils étaient presque assiégés par les paysans de la Pamphylie ; mais l’arrivée d’une armée impériale, loin d’achever de les détruire, servit à leur délivrance et à leur triomphe. Tribigild surprit le camp des Romains dans l’obscurité de la nuit séduisit la plus grande partie des auxiliaires barbares, en dissipa sans peine des troupes amollies dans la capitale par le luxe et par l’indiscipline. Gainas, qui avait si audacieusement concerté et exécuté le meurtre de Rufin, était irrité de la fortune de son indigne successeur. Il accusait de bassesse honteuse sa longue patience sous le règne d’un vil eunuque, et l’ambitieux Barbare fut convaincu, au moins dans l’opinion publique, d’avoir fomenté la révolte de Tribigild, son compatriote et allié de sa famille[27]. Lorsque Gainas passa l’Hellespont pour réunir sous ses drapeaux les restes des troupes de l’Asie, il conforma avec habileté tous ses mouvements aux désirs des Ostrogoths : tantôt il se retirait du pays qu’ils voulaient envahir et tantôt il s’approchait des ennemis pour faciliter la désertion des auxiliaires barbares. Il exagérait dans ses lettres à la cour impériale la valeur, le génie et les ressources de Tribigild, et avouait qu’il manquait de moyens et de talents pour soutenir une guerre aussi difficile. Il arracha enfin une permission de négocier avec son invincible adversaire. Tribigild dicta impérieusement les conditions de la paix, et la tête d’Eutrope, exigée pour préliminaires, révéla l’auteur et le dessein de la conspiration. L’écrivain qui, dans ses satires, a satisfait son ressentiment par la censure outrée des empereurs chrétiens, offense moins la vérité que la dignité de l’histoire lorsqu’il compare le fils de Théodose à un de ces animaux doux et timides qui sentent à peine qu’ils appartiennent au berger qui les conduit. Deux sentiments cependant, la crainte et l’amour conjugal, éveillèrent un moment l’âme indolente d’Arcadius. Les menaces du rebelle victorieux l’effrayèrent, et il se laissa toucher par les tendres discours de l’impératrice Eudoxie, qui, baignée de feintes larmes et portant son enfant dans ses bras, vint lui demander justice de je ne sais quelle insulte réelle ou imaginaire dont elle accusait l’audacieux eunuque[28]. L’empereur laissa conduire sa main à signer l’arrêt d’Eutrope, et ainsi fut rompit le talisman qui régnait depuis quatre ans le prince et ses sujets sous la puissance d’un esclave. Les acclamations qui, si peu de temps auparavant, célébraient le mérite et le fortune du favori, firent place aux clameurs du peuple et des soldats, qui lui reprochaient ses crimes et pressaient son supplice. Dans ces instants de détresse et de désespoir, Eutrope ne put trouver d’autre asile que le sanctuaire de l’église, dont ses efforts, ou sages, ou sacrilèges, avaient limité les privilèges. Le plus éloquent de tous les saints, Jean Chrysostome, eut la gloire de protéger un ministre disgracié, dont le choix l’avait élevé sur le siége archiépiscopal de Constantinople. Le prélat, du haut de sa chaire, d’où il pouvait se faire entendre distinctement de la foule immense, de tout âge et de tout sexe, qui remplissait la cathédrale, prononça un discours pathétique et conforme à la circonstance, sur le pardon des injures, et l’instabilité des grandeurs humaines ; et la vue du favori étendu, pâle et tremblant, sous la table de l’autel, présentait un spectacle frappant et instructif. L’orateur, qu’on accusa depuis d’avoir insulté au malheur d’Eutrope, chercha à exciter le mépris du peuple pour tempérer sa fureur[29]. L’humanité, la superstition, et l’éloquence l’emportèrent : l’impératrice, retenue par ses propres préjugés ou par ceux de ses sujets, n’entreprit point de violer le sanctuaire de l’église, et Eutrope se laissa persuadée d’en sortir après qu’on lui eut promis par serment de lui laisser la vie[30]. Sans égard pour la dignité de leur souverain les nouveaux ministres du palais déclarèrent, par un édit, que l’ancien favori avait déshonoré les noms de consul et de patrice ; ils abolirent ses statues, confisquèrent toutes ses richesses, et le condamnèrent à un exil perpétuel dans l’île de Chypre[31]. Un eunuque méprisable et décrépit ne pouvait plus inspirer la crainte à ses ennemis ; et il n’était plus même susceptible de goûter les biens qui lui restaient encore, la tranquillité, la solitude et la beauté du climat. Leur haine implacable lui envia pourtant ces derniers restes de sa misérable vie : à peine Eutrope était-il arrivé dans l’île de Chypre, qu’ils le rappelèrent précipitamment. Dans la vaine idée d’éluder, par le changement de lieu, l’obligation du serment, l’impératrice fit transporter de Constantinople au faubourg adjacent de Chalcédoine le théâtre du jugement et de l’exécution. Le consul Aurélien prononça la sentence, et les griefs sur lesquels il la motiva font connaître la jurisprudence d’un gouvernement despotique. Les attentats d’Eutrope contre les citoyens suffisaient pour justifier sa mort ; mais on prouva de plus qu’il était coupable d’avoir attelé à son propre char les animaux sacrés dont la race et la couleur étaient exclusivement réservées au service du souverain[32]. Tandis que cette révolution se consommait dans l’intérieur du palais, Gainas se révolta ouvertement, réunit ses forces avec celles de Tribigild à Thyatire en Lydie, et conserva toujours sur le chef rebelle des Ostrogoths l’ascendant de la supériorité[33]. Les armées confédérées s’avancèrent sans obstacle jusqu’au détroit de l’Hellespont et du Bosphore ; et l’on fit consentir Arcadius, pour éviter la perte de ses provinces d’Asie, à remettre sa personne et son autorité entre les mains des Barbares. On choisit pour le lieu de l’entrevue l’église de Sainte Euphémie, située sur une haute éminence près de Chalcédoine[34]. Gainas, respectueusement prosterné aux pieds de l’empereur, exigea le sacrifice d’Aurélien et de Saturnin, deux ministres consulaires, qui virent l’épée de cet orgueilleux Barbare suspendue sur leur tête et prête les frapper, jusqu’au moment où il daigna leur accorder un sursis honteux et précaire. Conformément aux articles de la convention, les Goths passèrent sur-le-champ d’Asie en Europe ; leur chef victorieux, qui avait accepté le titre de maître général des armées romaines, remplit Constantinople de ses troupes et distribua parmi ses créatures les honneurs et les richesses de l’empire. Dans sa jeunesse, Gainas avait passé le Danube en fugitif et s’était présenté en suppliant. Il devait son élévation à sa valeur, secondée de la fortune ; l’imprudence ou la perfidie de sa conduite précipita rapidement sa destruction. Malgré la vigoureuse opposition de l’archevêque, il réclama obstinément la possession d’une église particulière pour ses Barbares ariens ; et l’orgueil des catholiques s’offensa de voir tolérer publiquement l’hérésie[35]. Les murmures, le tumulte et le désordre, éclataient dans tous les quartiers de Constantinople ; les Barbares contemplaient avec des yeux avides les boutiques des joailliers et l’or qui couvrait les comptoirs des banquiers. On jugea qu’il était prudent de les éloigner de ces objets de tentation. Irrités de cette précaution injurieuse, les Goths essayèrent de mettre le feu au palais pendant la nuit[36]. Dans ces dispositions mutuelles de soupçon et d’animosité, les gardes et le peuple de Constantinople fermèrent les portes et prirent les armes pour prévenir la conspiration des Goths oui pour s’en venger. Dans l’absence de Gainas, ses troupes furent surprises et vaincues, et sept mille Barbares perdirent la vie dans ce massacre. Dans la fureur de la poursuite, les catholiques découvrirent les toits de l’église arienne où s’étaient réfugiés leurs adversaires, et les écrasèrent en leur lançant des poutres enflammées. Gainas avait ignoré l’entreprise des Goths, ou s’en était promis trop légèrement le succès. Il apprit avec étonnement que la fleur de son armée avait péri sans gloire, qu’il était déclaré lui-même ennemi de l’empire, et que son compatriote Fravitta, brave général et affectionné à la cour impériale, commandait l’armée et les forces maritimes. Gainas attaqua plusieurs villes de la Thrace ; mais ses entreprises furent partout repoussées par une défense vigoureuse et bien conduite ; et ses soldats, manquant de subsistance, furent bientôt réduits à se nourrir de l’herbe qui croissait autour des remparts. Regrettant trop tard l’abondance des provinces de l’Asie, le chef des rebelles résolut, dans son désespoir, de forcer le passage de l’Hellespont. Il manquait de vaisseaux ; mais les forêts de la Chersonèse offraient abondamment de quoi construire des radeaux, et les intrépides Barbares ne craignaient pas de se confier aux vagues. Cependant Fravitta épiait attentivement l’instant de leur entreprise ; et, dès qu’il les vit au milieu du canal, les galères romaines[37], serrées l’une contre l’autre, et pressées à la fois par les rames, le courant et un vent favorable, vinrent tomber sur la flotte avec un poids irrésistible. L’Hellespont fut couvert en un instant des débris des radeaux et des cadavres flottants des Barbares. Après avoir vu périr ses plus braves soldats, Gainas, forcé de renoncer à ses espérances, et n’aspirant plus à gouverner ni à vaincre les Romains, fit le projet de reprendre la vie errante et sauvage. Un corps de cavalerie barbare, débarrassée de son infanterie et des gros bagages, pouvait aisément faire en huit ou dix jours le trajet de trois gents milles qui sépare l’Hellespont du Danube[38]. Les garnisons de cette importante frontière avaient été peu à peu réduites à rien. Comme on était alors au mois de décembre, le fleuve devait être glacé profondément, et la Scythie offrait une vaste perspective à l’ambition de Gainas. Il communiqua secrètement son dessein aux troupes de sa nation, qui consentirent à suivre le sort de leur chef, et, avant de donner le signal du départ, ils massacrèrent en trahison un, grand hombre d’auxiliaires tirés des provinces romaines, et qu’ils soupçonnaient d’attachement pour leur pays natal. Les Goths s’avancèrent par des marches rapides à travers les plaines de la Thrace, et la vanité de Fravitta leur ôta bientôt toute craint d’être poursuivis. Au lieu d’achever d’éteindre la révolte, il retourna précipitamment à Constantinople, pour jouir des applaudissements du peuple et des paisibles honneurs du consulat ; mais un allié formidable prit les armes pour soutenir l’honneur de l’empire et défendre la paix et la liberté de la Scythie[39]. Les forces supérieures d’Uldin, roi des Huns, arrêtèrent la marche de Gainas. Un pays ennemi et ruiné s’opposait à sa retraite ; le général des Goths dédaigna de capituler après avoir inutilement tenté plusieurs fois de s’ouvrir un chemin dans les rangs des ennemis, il périt sur le champ de bataille avec ses intrépides compagnons (3 janvier 401). Onze jours après la bataille navale sur l’Hellespont, l’empereur reçut à Constantinople la tête de Gainas, comme un présent inestimable, et avec la plus vive expression de reconnaissance. On célébra la mort du rebelle par des fêtes et des illuminations ; les victoires d’Arcadius devinrent le sujet de poèmes épiques[40] ; et le monarque, délivré de ses terreurs, subit nonchalamment le joug paisible et absolu de la belle et artificieuse Eudoxie, qui ternit sa gloire par la persécution de Saint Jean Chrysostome. Après la mort de l’indolent Nectarius, successeur de saint Grégoire de Nazianze, l’Église de Constantinople avait été déchirée par la rivalité de deux candidats qui ne rougirent point d’employer l’or et la séduction pour obtenir les suffrages du peuple et du favori. Eutrope semble avoir dérogé, dans cette occasion, à ses maximes ordinaires ; le mérite supérieur d’un étranger fixa son choix. Il avait eu récemment l’occasion, en voyageant dans l’Orient, d’entendre les sermons éloquents de Jean, prêtre et natif d’Antioche, dont le nom a été distingué par l’épithète de Chrysostome, ou bouche d’or[41]. On expédia un ordre particulier au gouverneur de Syrie ; et comme le peuple aurait pu s’opposer au départ de son prédicateur favori, on le transporta secrètement, dans un chariot de poste, d’Antioche à Constantinople. Le consentement unanime et spontané de la cour, du clergé et du peuple, ratifia le choix du ministre, et les vertus et l’éloquence de l’archevêque surpassèrent tout ce qu’en attendait le public. Né dans la capitale de la Syrie, d’une famille noble et opulente, saint Chrysostome avant été élevé par une mère tendre, sous la conduite des maîtres les plus habiles. Il fit son cours de rhétorique à l’école de Libanius ; et ce philosophe célèbre, qui découvrit bientôt les talents de son disciple, déclara que Jean aurait été digne de lui succéder, s’il ne se fût pas laissé séduire par les chrétiens. Sa piété le disposa de bonne heure à recevoir le sacrement de baptême, à renoncer à la profession honorable et lucrative de la jurisprudence, et à s’enfoncer dans le désert voisin, où il dompta la fougue de ses sens par une pénitence austère de six années. Ses infirmités le ramenèrent malgré lui dans le monde, et l’autorité de Mélèce dévoua ses talents au service de l’Église ; mais au milieu de sa famille, et ensuite sur le siège archiépiscopal, saint Chrysostome pratiqua toujours les vertus monastiques. Il employa à fonder des hôpitaux les revenus que ses prédécesseurs dissipaient dans un luxe inutile ; et la multitude qui subsistait de ses charités préférait les discours édifiants de l’éloquent archevêque aux jeux du cirque et aux amusements du théâtre. Les monuments de cette éloquence, qu’on admira durant près de vingt ans à Antioche et à Constantinople, ont été soigneusement conservés ; et la possession de plus de mille sermons ou homélies a mis les critiques des siècles suivants[42] en état d’apprécier le mérite de saint Chrysostome. Ils reconnaissent unanimement dans l’orateur chrétien une abondante et élégante facilité, le talent de déguiser les avantages qu’il tirait de la rhétorique et de la philosophie, un fonds inépuisable de métaphores, d’idées et d’images qui varient et embellissent les sujets les plus simples et les plus communs ; enfin l’art heureux de faire servir les passions à l’avantage de la vertu, et de démontrer la honte et l’extravagance du vice avec l’énergie et la vérité, pour ainsi dire, d’une représentation dramatique. Le zèle de l’archevêque, dans ses fonctions pastorales, irrita et réunit peu à peu contre lui des ennemis de deux espèces différentes : le clergé, qui enviait ses succès ; et les pécheurs endurcis qu’offensaient ses reproches. Lorsque saint Chrysostome tonnait dans la chaire de Sainte Sophie contre la corruption des chrétiens, ses traits se perdaient dans la fouie sans blesser, sans désigner même aucun individu ; lorsqu’il déclamait contre les vices de l’opulence, la pauvreté éprouvait peut-être une consolation passagère ; mais le grand nombre des coupables servait à les déguiser ; et le reproche était même adouci par quelques idées de grandeur et de supériorité : mais plus ses regards s’élevaient vers le faîte, et moins ils embrassaient d’objets. Les magistrats, les ministres, les eunuques favoris, les dames de la cour[43], et l’impératrice Eudoxie elle-même, sentaient très bien des reproches d’autant plus graves qu’ils ne pouvaient plus se partager qu’entre un petit nombre de coupables. Le témoignage de leur conscience prévenait ou confirmait l’application que leur en faisait l’auditoire ; et d’intrépide prédicateur usait du dangereux privilégie de dévouer l’offense et le coupable à l’exécration publique. Le ressentiment secret de la cour encouragea celui du clergé et des moines de Constantinople, que le zèle de leur archevêque avait entrepris de réformer trop précipitamment. Il s’était élevé en chaire contre l’usage des femmes qui servaient le clergé de la capitale sous le nom de domestiques ou de sœurs, et qu’il regardait comme une occasion continuelle de péché ou de scandale. Saint Chrysostome accordait une protection particulière à ces pieux et silencieux solitaires qui se séquestraient du commerce du monde ; mais il censurait avec aigreur et méprisait, comme la honte de leur sainte profession, cette foule de moines dégénérés qui, attirés par d’indignes motifs de plaisir ou de profit, remplissaient sans cesse les rites de Constantinople. A la voix de la persuasion le prélat fut obligé de joindre telle de son autorité ; et son ardeur dans l’exercice de la juridiction ecclésiastique n’était pas toujours exempte de passion, ou guidée par la prudence. Saint Chrysostome naturellement d’un caractère emporté[44], tâchait de se soumettre aux préceptes de l’Évangile, en aimant ses ennemis personnels ; mais il se livrait sans résistance à la haine des ennemis de Dieu et de l’Église, et s’exprimait quelquefois avec trop de violence dans la parole et dans le maintien. Par des motifs de santé ou peut-être d’abstinence, l’archevêque conservait son ancienne coutume de prendre son repas en particulier, et cette habitude[45], que ses ennemis attribuaient à l’orgueil, contribuait au moins à nourrir son humeur morose et insociable. Renonçant en quelque façon à ces communications qui éclaircissent et facilitent les affaires, il mettait toute sa confiance dans le diacre Sérapion, et se servait rarement de ses connaissances spéculatives de la nature humaine pour approfondir le caractère de ses égaux ou de ses subordonnés. Se fiant à la pureté de ses intentions ou, peut-être à la supériorité de son génie, l’archevêque de Constantinople étendit la juridiction de la ville impériale pour étendre celle de ses soins épiscopaux. Cette conduite, que les profanes imputaient à l’ambition, paraissait à saint Chrysostome un devoir sacré et indispensable. En visitant les provinces d’Asie, il déposa treize évêques de Lydie et de Phrygie, et déclara indiscrètement que l’esprit de débauche et de simonie infectait tout l’ordre épiscopal[46]. La condamnation rigoureuse de ces évêques, en cas qu’ils fussent innocents, dut exciter leur juste indignation ; et en supposant au contraire qu’ils fussent coupables, la plupart de leurs confrères, qui craignaient d’éprouver le même sort, sentirent bientôt que leur sûreté ne pouvait s’établir que sur la ruine de l’archevêque, qu’ils tâchaient de représenter comme le tyran de l’Église orientale. Théophile[47], archevêque d’Alexandrie, prélat actif et ambitieux qui dissipait en monuments fastueux des biens acquis par la rapine, conduisit la conspiration ecclésiastique. Sa vanité nationale lui inspirait de l’aversion pour une ville dont la grandeur naissante le faisait descendre du second ou troisième rang dans le monde chrétien ; et quelques querelles personnelles avaient achevé de l’irriter contre saint Chrysostome[48]. D’après l’invitation secrète de l’impératrice, Théophile débarqua dans le port de Constantinople, accompagné d’une nombreuse troupe de mariniers pour dissiper la populace, et d’une longue suite d’évêques, ses suffragants, pour s’assurer la majorité des voix dans le synode[49]. On assembla ce synode dans le faubourg de Chalcédoine, surnommé le Chêne ; où Rufin avait construit une vaste église et un monastère. Les séances continuèrent durant quatorze jours. Un évêque et un diacre se portèrent pour accusateurs de l’archevêque de Constantinople mais les quarante-sept articles des griefs frivoles ou improbables qu’ils présentèrent contre ce prélat, peuvent être considérés comme un panégyrique de l’espèce la plus irrécusable. Saint Chrysostome fût cité quatre fois à comparaître ; mais il refusa toujours de confier sa personne et sa réputation à la haine implacable de ses ennemis qui abandonnèrent prudemment l’examen des accusations, le condamnèrent comme rebelle et contumace ; et prononcèrent précipitamment contre lui une sentence de déposition. Le synode du Chêne fit demander immédiatement à l’empereur la ratification et l’exécution de la sentence, et insinua charitablement qu’on pouvait punir comme coupable de lèse-majesté l’audacieux prédicateur qui avait insulté l’impératrice Eudoxie sous le nom odieux de Jézabel. Un officier du palais s’empara de saint Chrysostome, le traîna ignominieusement dans les rues de la capitale, et le descendit, après une courte navigation, à l’entrée de l’Euxin, d’où, en moins de deux jours, on le rappela glorieusement. Dans le premier instant de sa surprise, son fidèle troupeau était demeuré muet et immobile ; mais tout à coup sa fureur éclata dans toutes les parties de la ville avec une violence irrésistible. Théophile trouva moyen de s’échapper ; mais les moines et les mariniers furent impitoyablement massacrés dans les rues de Constantinople[50]. Un tremblement de terre, qui vint à propos augmenter la terreur et la confusion, semblait annoncer l’intervention du ciel en faveur de l’archevêque. Le torrent de la sédition s’approchait des portes du palais : l’impératrice agitée par la crainte et peut-être par le remords, se jeta aux pieds de l’empereur, et avoua que le rappel de saint Chrysostome pouvait seul ramener la tranquillité publique. Un nombre infini de vaisseaux couvrirent le Bosphore ; de brillantes illuminations éclairèrent les côtes de l’Europe et de l’Asie, et les acclamations d’un peuple victorieux accompagnèrent depuis le port jusqu’à la cathédrale la rentrée triomphante de l’archevêque. Le prélat consentit trop légèrement à reprendre l’exercice de ses fonctions avant que sa sentence eut été révoquée par un synode ecclésiastique. Ignorant ou méprisant le clergé, saint Chrysostome suivit l’ardeur de son zèle ou peut-être de son ressentiment, déclama avec violence contre les vices des femmes, et condamna les honneurs profanes qu’on accordait à la statue de l’impératrice presque dans l’enceinte de Sainte Sophie. Ses ennemis profitèrent de cette imprudence pour irriter l’orgueilleuse Eudoxie, en lui rapportant ou en inventant ce fameux exorde attribué à l’un des sermons de saint Chrysostome : Hérodias reprend sa fureur, Hérodias recommence à danser ; elle demande une seconde fois la tête de Jean. Comme femme et comme souveraine, elle ne pouvait pardonner cette insolente allusion[51]. Durant le cour intervalle d’une trêve perfide, on concerta des moyens plus sûrs pour consommer sans retour la ruine de l’archevêque. Un concile nombreux d’évêques de l’Orient, dirigé de loin par les instructions de Théophile, confirma la validité de la première sentence sans en examiner la justice ; et un détachement de soldats barbares entra dans la ville pour arrêter les mouvements du peuple. La veille de Pâques, l’arrivée des soldats interrompit indécemment les cérémonies solennelles du baptême, alarma la pudeur des catéchumènes nus dans les fonts baptismaux, et viola les mystères du christianisme. Arsace occupa l’église de Sainte-Sophie et le siège archiépiscopal. Les catholiques se réfugièrent dans les bains de Constantin et ensuite dans la campagne, où les gardes, les évêques et les magistrats, continuèrent à les poursuivre et à les insulter. Le jour funeste où saint Chrysostome se vit exilé pour la secondé fois et sans retour, fut marqué par l’incendie de la cathédrale, du palais où s’assemblait le sénat, et des bâtiments voisins. On imputa cette calamité, sans preuve, mais non pas sans vraisemblance, au désespoir de la faction persécutée[52]. Cicéron se glorifiait de ce que son exil volontaire avait conservé la paix à sa patrie[53] ; mais la soumission de saint Chrysostome était le devoir indispensable d’un sujet et d’un chrétien. Il demanda humblement et en vain la permission d’habiter Cizique ou Nicomédie ; l’inflexible impératrice le fit transporter à Cucuse, dans la Petite-Arménie au milieu des rochers du mont Taurus. On espérait que l’archevêque ne résisterait point à une marche pénible de soixante-dix jours, dans les plus grandes chaleurs de l’été, à travers l’Asie-Mineure, et continuellement exposé aux attaques des Isauriens et à la fureur bien plus implacable des moines. Cependant saint Chrysostome arriva sans accident au lieu de son exil ; et les trois années qu’il passa à Cucuse et dans la ville voisine d’Arabisse, furent les dernières et les plus glorieuses de sa vie. La persécution et l’absence augmentèrent la vénération publique les fautes de son administration furent oubliées ; on ne se souvint que du mérite et des vertus de saint Chrysostome ; et l’attention du monde chrétien se fixa sur un coin désert du mont Taurus. Du fond de sa solitude, l’archevêque, dont l’âme s’était fortifiée dans l’infortune, entretint une correspondance régulière avec les provinces les plus éloignées[54], exhorta les membres de sa congrégation à persévérer dans leur fidélité, pressa la destruction des temples de Phénicie et l’extinction de l’hérésie dans l’île de Chypre, étendit son attention pastorale aux missions de Perse et de Scythie ; négocia, par des ambassadeurs, avec le pontife romain et avec l’empereur Honorius, et appela d’un synode partial au tribunal suprême d’un concile libre et général. Le génie de cet illustre exilé conservait son indépendance ; mais son corps était à la merci de ses persécuteurs, qui ne cessaient point d’exercer leur vengeance en abusant du nom et de l’autorité d’Arcadius[55]. On expédia un nouvel ordre de transférer sans délai saint Chrysostome au fond du désert de Pityus ; et ses gardes obéirent si fidèlement à leurs cruelles instructions, qu’avant, d’atteindre la côte de l’Euxin, il mourut à Comana, ville du Pont, dans la soixantième année de son âge (24 septembre 407). La génération suivante reconnut son mérite et son innocence. La fermeté du pontife romain disposa les archevêques de l’Orient, honteux sans doute d’avoir succédé aux ennemis de saint Chrysostome, à réhabiliter la mémoire de ce nom vénérable[56]. Trente ans après la mort de saint Chrysostome, à la réquisition du peuple et du clergé de Constantinople, ses reliques furent transportées de leur obscur sépulcre dans la ville impériale[57]. L’empereur Théodose alla les recevoir, jusqu’à Chalcédoine, et, se prosternant sur le cercueil, il implora, au nom de ses coupables parents Arcadius et Eudoxie, le pardon du saint qu’ils avaient persécuté[58]. On peut cependant douter qu’Arcadius eût transmis à son successeur la tache d’un crime héréditaire. Eudoxie, jeune et belle, méprisait son mari, et se livrait sans contrainte à ses passions. Le comte Jean jouissait au moins de la confiance intime de l’impératrice, et le public le nommait le père du jeune Théodose[59]. Le pieux empereur n’en accepta pas moins la naissance d’un fils comme l’événement le plus heureux et le plus honorable pour lui, pour sa famille et pour l’empire ; et l’auguste enfant, par une faveur sans exemple, fût revêtu, dès sa naissance, des titres de César et d’Auguste. Environ quatre ans après les suites d’une fausse couche enlevèrent Eudoxie dans son printemps, et sa mort déconcerta la prophétie d’un saint évêque[60], qui, au milieu de la joie et des fêtes publiques, avait hasardé de prédire que l’impératrice serait témoin du règne long et glorieux de son fils Théodose. Les catholiques applaudirent à la justice du ciel qui vengeait la persécution de saint Chrysostome ; et l’empereur fût peut-être le seul qui regretta sincèrement l’avide et impérieuse Eudoxie. Cette perte particulière l’affecta. Plus que toutes les calamités publiques[61] : les insolentes excursions des brigands isauriens qui ravageaient depuis le Pont jusqu’à la Palestine, et dont l’impunité accusait la faiblesse du gouvernement ; les incendies, les tremblements de terre, les sauterelles[62] et la famine, fléaux que le mécontentement général était presque tenté d’imputer à l’incapacité du monarque. Enfin ; dans la trente et unième année de son âge, et après avoir régné, si l’on peut abuser ainsi de cette expression, l’espace de treize ans trois mois et quinze jours. Arcadius mourut à Constantinople. Il est impossible de tracer son caractère, puisque, dans un temps abondant en matériaux historiques, on ne découvre pas une seule action qui appartienne personnellement au fils du grand Théodose. L’historien Procope[63] fait briller, à la vérité, dans l’esprit du monarque expirant, un rayon de prudence humaine ou de prévoyance céleste. Arcadius considérait avec inquiétude la situation dangereuse dans laquelle il laissait son fils Théodose, âgé de sept ans, les factions d’une minorité et le caractère ambitieux de Jezdegerd, roi de Perse. Au lieu de s’exposer à tenter la fidélité de quelque sujet ambitieux en lui confiant le pouvoir suprême, il osa réclamer la générosité d’un roi, et mit, par un testament solennel, le sceptre de l’Orient entre les mains de Jezdegerd lui-même. Jezdegerd accepta, et remplît avec une fidélité sans exemple, les devoirs de tuteur de Théodose. La sagesse et les armes du roi de Perse protégèrent l’enfance de l’empereur romain. Tel est l’étrange récit de Procope ; et Agathias[64] n’en conteste point la vérité, quoiqu’il ne soit pas de l’avis de Zozime, et qu’il blâme l’empereur romain d’avoir confié si imprudemment, quoique avec succès, son fils et son empire à la foi inconnue d’un étranger, d’un rival et d’un païen. A cent cinquante ans de distance, on pouvait débattre cette question politique à la cour de Justinien ; mais un historien sage ne s’arrêtera point à discuter le plus ou le moins de prudence du testament d’Arcadius avant de s’être convaincu de son authenticité. Comme l’histoire du monde entier n’offre rien de semblable ; on peut raisonnablement exiger qu’un fait si extraordinaire soit attesté par les contemporains. L’événement qui excite nos doutes aurait dû, par sa nouveauté, attirer leur attention ; et leur silence universel anéantit cette vaine tradition, recueillie dans l’âge suivant. Si l’on eût pu appliquer au gouvernement les maximes que professait la jurisprudence romaine à l’égard des affaires particulières, elles auraient donné à Honorius la régence et la tutelle de son neveu, au moins jusqu’à ce qu’il eût atteint sa quatorzième année. Mais la faiblesse d’Honorius, et les calamités de son règne l’empêchèrent de réclamer ses droits ; et les deux empires étaient si divisés d’intérêt et d’affection, que les habitants de Constantinople auraient obéi avec moins de répugnance aux ordres du monarque persan qu’au gouvernement de la cour de Ravenne. Sous un prince qui, parvenu à l’âge de raison, couvre sa faiblesse de l’extérieur d’un homme ; les plus méprisables favoris peuvent disputer secrètement l’empire du palais, et dicter aux provinces obéissantes, les ordres d’un maître qu’ils dirigent et qu’ils méprisent ; mais les ministres d’un enfant incapable de les autoriser par sa sanction, acquièrent et exercent nécessairement une autorité indépendante. L es grands officiers de l’état et de l’armée qui avaient été mis en place avant la mort d’Arcadius, formaient une aristocratie qui aurait pu leur donner l’idée d’un gouvernement républicain : heureusement le préfet Anthemius s’empara de l’autorité, et conserva un ascendant durable sur ses égaux par la supériorité de son mérite[65]. Il prouva sa fidélité par le soin qu’il prit du jeune Théodose, et l’étendue de ses talents par la fermeté avec laquelle il conduisit l’administration difficile d’une minorité. Uldin campait au milieu de la Thrace avec une nombreuse armée de Barbares, rejetait insolemment toutes les propositions de paix, et disait aux ambassadeurs romains, en leur montrant le soleil levant, que les conquêtes des Huns ne se termineraient qu’avec le cours de cet astre. Mais, abandonné de ses alliés, que l’on eut soin de convaincre chacun en particulier de la justice et de la libéralité des ministres impériaux, il fut obligé de repasser le Danube. La tribu des Scyrres, qui formait son arrière-garde, fut presque entièrement détruite ; et l’on dispersa plusieurs milliers de captifs dans les plaines de l’Asie[66], où ils servirent utilement aux travaux de l’agriculture. Au milieu de la victoire, Anthemius ne négligea point les précautions ; il fit environner Constantinople d’un nouveau mur plus épais et plus élevé. Ses soins vigilants s’étendirent aux fortifications des villes d’Illyrie, et il conçut un plan sagement combiné, qui, établissant sur le Danube, en l’espace de sept années, une flotte de deux cent cinquante vaisseaux[67] toujours armés, aurait défendu invinciblement le passage de ce fleuve. Mais les Romains étaient accoutumés depuis si longtemps à l’autorité d’un monarque, que la première personne, même dans le nombre des femmes de la famille impériale, qui montra du courage et de la capacité, s’empara facilement du trône de Théodose ; et cette personne fut Pulchérie[68], sœur du jeune souverain, son aînée seulement de deux ans, qui obtint, dans sa seizième année le titre d’Augusta. Quoique le caprice ou l’intrigue ait quelquefois diminué passagèrement sa faveur, elle gouverna l’empire durant près de quarante années, soit pendant la longue minorité de Théodose, soit après la mort de ce prince, d’abord en son propre nom et ensuite sous celui de Marcien, qu’elle épousa sous la clause, qu’il n’userait point des droits de mari. Par des motifs de prudence ou de dévotion, Pulchérie fit vœu de virginité ; et, malgré quelques soupçons vagues sur la chasteté de cette princesse[69], sa résolution, adoptée par ses deux sœurs, Arcadie et Marine, fut célébrée par les chrétiens comme le plus sublime effort de la piété. En présence du peuple et du clergé, les trois sœurs d’Arcadius[70] dédièrent à Dieu leur virginité ; et ce vœu solennel fut inscrit sur des tablettes d’or enrichies de pierres précieuses, dont les princesses firent publiquement l’offrande dans la cathédrale de Constantinople. Le palais devint un monastère ; et tous les hommes, excepté ceux qui dirigeaient la conscience des princesses, et les saints qui avaient parfaitement oublié la différence des sexes, en furent scrupuleusement exclus. Pulchérie, ses deux sœurs et une suite choisie de filles d’une naissance distinguée, formèrent une communauté religieuse, et renoncèrent aux plaisirs mondains de la parure. Malgré la frugalité de leur nourriture ordinaire, elles jeûnaient souvent, employaient une partie de leur temps à des ouvrages de broderie, et consacraient plusieurs heures du jour et de la nuit à prier et à réciter des Psaumes. Aux vertus d’une vierge chrétienne, Pulchérie joignait le zèle et la libéralité d’une souveraine. L’histoire ecclésiastique donne le détail des églises magnifiques que l’impératrice fit construire dans toutes les provinces de l’Orient, de ses charitables fondations en faveur des pauvres et des étrangers, des donations considérables qu’elle fit aux monastères, et de ses pieux efforts pour détruire les hérésies opposées d’Eutychès et de Nestorius. Tant de vertus semblaient mériter la faveur particulière de la Divinité[71] ; et la pieuse impératrice en obtint en songe, ou dans des visions, la découverte des saintes reliques des martyrs et la connaissance d’une partie des événements futurs. Cependant la dévotion n’empêchait point Pulchérie de veiller, avec une attention infatigable, aux affaires du gouvernement ; et cette princesse est la seule des descendants du grand Théodose qui semble avoir hérité d’une partie de son courage et de ses talents. Elle avait acquis l’usage familier des langues grecque et latine, dont elle se servait avec grâce dans ses discours et dans ses écrits relatifs aux affaires publiques. La prudence présidait toujours à se délibérations ; son exécution était prompte et décisive. Faisant mouvoir sans bruit et sans ostentation les rouages du gouvernement, elle attribuait discrètement au génie de l’empereur la longue tranquillité de son règne. Dans les dernières années de sa paisible vie, l’Europe souffrit beaucoup de l’invasion d’Attila ; mais la paix continua toujours de régner dans les vastes provinces de l’Asie : Théodose le jeûne ne fut jamais réduit à la cruelle nécessité de combattre ou de punir un sujet rebelle ; et si nous ne pouvons louer Pulchérie d’une grande vigueur dans son administration, la douceur de cette administration prospère mérite du moins quelques éloges. L’éducation du jeune Théodose intéressait tout l’empire. Un plan d’études et d’exercices judicieusement disposé, partagea son temps entre l’équitation, l’art de tirer de l’arc, et l’étude de la grammaire, de la rhétorique et de la philosophie ; les plus habiles maîtres de l’Orient s’empressèrent d’instruire leur auguste élève, qui reçut leurs leçons en commun avec plusieurs jeunes gens de la plus haute distinction, introduits dans le palais pour animer l’empereur par l’émulation de l’amitié. Pulchérie se réserva soin d’instruire son frère dans l’art de gouverner ; mais ses préceptes autorisent à révoquer en doute l’étendue de sa capacité ou la pureté de ses intentions. Elle lui apprit à conserver un maintien grave et imposant, à marcher, à porter sa robe et à s’asseoir sur son trône d’une manière convenable à un grand prince, à s’abstenir de rire, à écouter avec complaisance, à faire des réponses convenables à prendre tour à tour l’air affable ou sérieux ; en un mot, à représenter dans toutes les circonstances, avec grâce et avec dignité, l’extérieur d’un empereur romain : mais on n’inspira point à Théodose[72] le désir d’en mériter le nom et d’en soutenir la gloire. Au lieu d’aspirer à égaler ses ancêtres, on peut dire, s’il est permis dans un tel degré d’incapacité d’apercevoir encore quelque diffracter, qu’il dégénéra de la faiblesse de son père et de son oncle. Arcadius et Honorius avaient eu l’exemple et reçu les leçons du grand Théodose, soutenues de l’autorité d’un père ; mais le prince malheureux, né sur le trône, n’entend jamais la voix de la vérité. Le fils d’Arcadius fut condamné à passer sa vie dans une enfance perpétuelle environnée d’une troupe servile de femmes et d’eunuques. De futiles amusements et des études inutiles remplissaient les heures d’oisiveté que lui laissait son éloignement de tout ce qui avait rapport aux devoirs essentiels du souverain. Théodose ne sortait du palais que pour se livrer aux plaisirs de la chasse ; mais il passait souvent une partie de la nuit à peindre ou à gaver ; et l’élégance avec laquelle il transcrivait les livres de dévotion, mérita à l’empereur romain le surnom singulier de Calligraphe, ou excellent écrivain. Séparé du monde par un voile impénétrable le jeune monarque abandonnait sa confiance à ceux qu’il aimait, et il aimait ceux qui s’occupaient de flatter ses goûts et d’amuser son indolence. Comme il ne lisait jamais les papiers où il mettait sa signature, on exécutait en son nom les injustices les plus opposées à son caractère. Théodose était chaste, sobre, libéral et compatissant ; mais ces qualités, qui ne méritent le nom de vertus quand elles sont soutenues par le courage, et dirigées par la prudence, devinrent en lui rarement utiles, et quelquefois, funestes au genre humain. Une éducation reçue sur le trône avait amolli son âme, et une honteuse superstition l’asservissait et la dégradait encore. Il jeûnait, chantait des psaumes, et croyait aveuglément aux miracles et aux préceptes qui nourrissaient sa crédulité. Dévotement attaché au culte des saints, soit morts, soit vivants, de l’Église catholique, l’empereur des Romains refusa une fois de manger, jusqu’à ce qu’un moine insolent, qui avait osé excommunier son souverain, eût daigné guérir cette blessure spirituelle[73]. L’histoire d’une fille belle et vertueuse, élevée de l’obscurité d’une vie privée sur le trône impérial passerait peut-être pour un roman si elle n’était pas constatée par le mariage de Théodose. La célèbre Athénaïs[74], fille de Leontius, philosophe athénien, avait été élevée par son père dans la religion des Grecs, et instruite dans les sciences qu’ils professaient. Plein d’estime pour ses contemporains, le philosophe athénien crut qu’avec son mérite et sa beauté, sa fille n’avait pas besoin de bien ; il la déshérita, partagea sa fortune entre ses deux fils, et ne laissa qu’un legs de cent pièces d’or à Athénaïs. La jalousie et l’avarice de ses frères la força bientôt à chercher un asile à Constantinople, et à se jeter aux pieds de Pulchérie, dont elle espérait obtenir ou justice ou faveur. L’habile impératrice, en écoutant ses plaintes éloquentes, destina secrètement la fille du philosophe Leontius à devenir la femme de l’empereur d’Orient, qui atteignait alors sa vingtième année. Elle réussit facilement à exciter la curiosité de son frère par une peinture intéressante des charmes d’Athénaïs, dont elle vantait les grands yeux, les traits bien proportionnés, le teint éblouissant, la chevelure dorée, la taille élégante, le maintien plein de grâces, l’esprit perfectionné par l’étude, et la vertu éprouvée par le malheur. Théodose, caché derrière un rideau dans l’appartement de sa sœur, eut le plaisir de contempler la belle Athénienne ; le modeste jeune homme lui déclara bientôt sa pure et honorable flamme. Les noces furent célébrées au milieu des acclamations de la capitale et des provinces. Athénaïs renonça sans peine aux horreurs du paganisme, reçut le baptême et le nom d’Eudoxie ; mais la prudente Pulchérie ne lui accorda le titre d’Augusta qu’au moment où elle eût prouvé sa fécondité par la naissance d’une fille, qui épousa quinze ans après l’empereur d’Occident. Les frères d’Eudoxie n’obéirent qu’avec crainte aux ordres de la nouvelle impératrice qui les appelait près d’elle ; mais il ne lui était pas difficile de leur pardonner l’heureuse dureté qu’ils avaient exercée envers elle, et la tendresse, ou peut-être la vanité d’une sœur, se plut à les élever au rang de consuls et de préfets. Au milieu de la magnificence de leur nouvelle condition, elle cultiva toujours les talents qui avaient contribué à son élévation, et les dévoua sagement à sa religion et à son mari. Eudoxie composa une paraphrase poétique des huit premiers livres et des prophéties de Daniel et de Zacharie ; un centon des vers d’Homère, appliqué à la vie et aux miracles de Jésus-Christ ; la Légende de saint Cyprien, et un panégyrique des victoires de Théodose sur les Perses. Ses écrits, admirés par un peuple d’esclaves superstitieux, n’ont point paru méprisables aux critiques exempts de partialité[75]. Le temps et la possession n’affaiblirent point la tendresse de l’empereur ; et après le mariage de sa fille, Eudoxie obtint la permission de remplir le vœu de sa reconnaissance par un pèlerinage à Jérusalem. Le faste avec lequel cette princesse traversa l’Orient, s’éloigne un peu de l’humilité chrétienne. Elle prononça, sur un trône d’or enrichi de pierres précieuses, un discours éloquent dans le sénat d’Antioche, déclara l’intention d’élargir l’enceinte de la ville, fit un don de deux cents livres d’or pour rétablir les bains publics ; et accepta les statues que la reconnaissance des habitants offrit d’élever en son honneur. Dans la Terre-Sainte, ses aumônes et ses fondations pieuses surpassèrent la munificence d’Hélène la Grande et si le trésor public souffrit un peu de ses libéralités, elle jouit au moins de la satisfaction de rapporter à Constantinople les chaînes de saint Pierre, le bras droit de saint Étienne, et le véritable portrait de la Vierge, peint par saint Luc[76]. Mais ce pèlerinage marqua le terme fatal de la gloire et de la prospérité d’Eudoxie. Rassasiée d’une vaine représentation, oubliant peut-être les obligations qu’elle avait à la sœur de Théodose, elle eut l’ambition de gouverner l’empire. Le palais fut troublé des différends de deux femmes ; mais l’ascendant de Pulchérie décida la victoire. L’exécution de Paulin, maître des offices, et la disgrâce de Cyrus, préfet du prétoire de l’Orient, apprirent au public que la faveur d’Eudoxie ne suffisait pas pour protéger ses plus fidèles amis et la rare beauté de Paulin fit soupçonner que son crime était celui d’un amant heureux[77]. Dès que l’impératrice s’aperçut qu’elle avait perdu irrévocablement la tendresse et la confiance de Théodose, elle demanda la permission de se retirer à Jérusalem, l’empereur la lui accorda ; mais sa jalousie ou la vengeance de Pulchérie la poursuivirent dans sa retraite ; et Saturnin, comte des domestiques, eut ordre d’ôter la vie à deux ecclésiastiques très en faveur auprès d’Eudoxie. Elle les vengea par la mort du comte ; et l’excès de sa fureur, dans cette occasion suspecte, semble justifier la sévérité de Théodose. L’impératrice fut ignominieusement dépouillée des honneurs de son rang, et déshonorée peut- être injustement dans l’opinion publique. Eudoxie passa dans l’exil et dans la dévotion les seize années qu’elle survécut à sa disgrâce[78]. L’approche de la vieillesse, la mort de Théodose, les infortunes de sa fille unique menée en captivité de Rome à Carthage, et la société des saints moines de la Palestine, confirmèrent son penchant à la dévotion. Après avoir éprouvé les vicissitudes de la vie humaine, la fille du philosophe Leontius mourut â Jérusalem[79], dans la soixante-septième année de son âge, et protestant jusqu’à son dernier soupir, qu’elle n’avait jamais passé les bornes de l’innocence et de l’amitié. L’ambition des conquêtes ou de la gloire militaire n’avait jamais agité l’âme tranquille de Théodose, et la faible alarme de la guerre de Perse interrompit à peine le repos de l’Orient. Les motifs de cette guerre étaient aussi justes qu’honorables. Dans la dernière année du règne de Jezdegerd, le tuteur supposé de Théodose, un évêque qui aspirait à la couronne du martyre détruisit à Suze un des temples du Feu[80]. Son zèle et son opiniâtreté attirèrent la vengeance sur ses frères ; les mages irrités excitèrent une persécution violente ; et Varanes ou Bahram, qui succéda au trône de Jezdegerd, hérita aussi de son ressentiment. Quelques chrétiens fugitifs s’étaient réfugiés sur les frontières des Romains ; ils furent redemandés avec hauteur et généreusement refusés. Ce refus, aggravé par quelques différends relatifs à des intérêts commerciaux, fit bientôt éclater la guerre entre les deux puissances rivales. Leurs armées couvrirent les montagnes de l’Arménie et les plaines de la Mésopotamie ; mais les opérations de deux campagnes consécutives ne produisirent aucun événement décisif ou mémorable : on livra quelques combats, on forma quelques siéges, mais avec des succès divers et douteux. Si les Romains essayèrent inutilement de reprendre Nisibis, qu’ils avaient perdue depuis longtemps, les Perses ne réussirent pas mieux devant une ville de Mésopotamie, défendue par son vaillant évêque, qui foudroyait les assiégeants au nom de l’apôtre saint Thomas. Cependant le messager Palladius apportait sans cesse à Constantinople, avec une incroyable rapidité, de brillantes nouvelles de victoires, toujours suivies de fêtes, et de panégyriques. Les historiens du siècle ont pu puiser dans ces panégyriques[81] leurs récits extraordinaires et peut-être fabuleux, le défi d’un héros persan que le Gotht Areobinde tua après l’avoir pris dans son filet, le carnage des dix mille immortels tués et l’attaque du camp des Romains, et la’ fuite des cent mille Arabes ou Sarrasins qui, frappés de terreur, se précipitèrent dans l’Euphrate. On peut révoquer en douté ou négliger de tels événements ; mais on ne doit point passer sous silence la charité d’Acace, évêque d’Amida, dont le nom aurait dû honorer le calendrier. Ce digne prélat osa déclarer que des vases d’or et d’argent étaient inutiles à un Dieu, qui ne boit ni ne mange, vendit tous ceux de son église racheta du produit de cette vente sept mille Persans captifs, leur fournit avec une gendre libéralité tout ce dont ils avaient besoin, et les renvoya dans leur patrie apprendre au monarque persan quel était le véritable esprit de la religion qu’il persécutait. Des actes de bienfaisance exercés au milieu des fureurs de la guerre doivent toujours réussir à diminuer l’animosité des nations ennemies, et je me plais à croire que la générosité d’Acace contribua au rétablissement de la paix. Dans la conférence tenue sur les confins des deux empires, les ambassadeurs romains donnèrent une idée bien méprisable du caractère de leur souverain en voulant exagérer l’étendue de sa puissance ; ils conseillèrent sérieusement aux Persans de prévenir par une prompte conciliation la colère de Théodose, qui n’était pas encore instruit de cette guerre éloignée. Une trêve de cent ans fut solennellement ratifiée ; et quoique la tranquillité publique ait été menacée par les révolutions de l’Arménie, cependant les successeurs d’Artaxerxés et de Constantin respectèrent, durant près de quatre-vingts années, les conditions principales de ce traité. Depuis le premier combat entre les Parthes et les Romains, sur les bords de l’Euphrate, les puissants protecteurs de l’Arménie[82] l’opprimèrent tour à tour. Nous avons déjà rapporté, dans le cours de cette Histoire, une partie des événements qui contribuèrent tantôt à la guerre, tantôt à la paix. Un train déshonorant avait cédé à l’ambitieux Sapor la possession de l’Arménie, et la puissance de la Perse eut un moment la prépondérance : mais les descendants d’Arsace obéissaient avec impatience à la postérité de Sassan ; les nobles, turbulents soutenaient et abandonnaient tour à tour leur indépendance héréditaire, et les peuples conservaient encore de l’attachement pour les princes chrétiens de Constantinople. Au commencement du cinquième siècle, la guerre et les factions déchirèrent l’Arménie[83], et ces divisions intestines précipitèrent la chute de cette ancienne monarchie. Chosroês, vassal du monarque persan, régnait à l’orient sur la partie la plus considérable de ce royaume, et les provinces moins étendues de l’occident étaient soumises à l’autorité d’Arsace et à la suprématie de l’empereur Arcadius. Après la mort d’Arsace, les Romains supprimèrent la monarchie nationale, et les alliés de l’empire devinrent ses sujets. Le commandement militaire de cette province fut attribué au comte militaire de la frontière d’Arménie ; on bâtit dans une situation avantageuse, sur un terrain élevé et fertile, près des sources de l’Euphrate, la ville de Théodosiopolis[84], que l’on eut soin de fortifier, et cinq satrapes gouvernèrent les provinces en obéissaient aux Romains ; leur dignité fut indiquée par un habillement particulier, brillant d’or et de pourpre. Le reste des nobles, moins bien traités, qui regrettaient la perte de leur monarque et enviaient la faveur de leurs égaux, négocièrent leur paix à la cour de Perse, obtinrent leur pardon, retournèrent, avec leur suite, au palais d’Artaxata ; et reconnurent Chosroês pour leur légitime souverain. Environ trente ans après, Artasire, neveu et successeur de Chosroês, perdit la confiance et l’affection de la noblesse, hautaine et capricieuse d’Arménie, et elle demanda unanimement qu’on donnât à la nation, au lieu d’un roi méprisé, un gouverneur persan. La réponse de l’archevêque Isaac, dont les nobles sollicitaient avec ardeur le consentement, peint parfaitement le caractère d’un peuple superstitieux. Il déplore les vices évidents et inexcusables d’Artasire et n’hésiterait pas, disait-il, à l’accuser devant le tribunal d’un empereur chrétien, qui châtierait le pécheur sans le détruire. Notre roi, ajoutait Isaac, se livre à des plaisirs licencieux ; mais il a été purifié par les saintes eaux du baptême. Il aime les femmes ; mais il n’adore ni le feu ni les éléments. On peut l’accuser de débauche ; mais il est évidemment catholique, et sa foi peut être sincère quoique ses mœurs soient corrompues. Je ne consentirai jamais à livrer mon troupeau à la rage des loups dévorants ; et vous auriez bientôt lieu de vous repentir d’avoir imprudemment échangé les faiblesses d’un fidèle contre les vertus apparentes d’un païen[85]. La fermeté d’Isaac enflamma le ressentiment des nobles ; ils dénoncèrent le roi et l’archevêque comme partisans secrets de l’empereur romain, et entendirent avec une satisfaction insensée Bahram, après un examen partial, prononcer lui-même la sentence de condamnation. Les descendants d’Arsace furent dégradés de la dignité royale[86], qu’ils possédaient depuis plus de cinq cent soixante ans[87] ; et les États du malheureux Artasire sous la dénomination nouvelle et expressive de Persarménie, devinrent une province de la Perse. Cette usurpation excita l’inquiétude du gouvernement romain ; mais le différend se termina bientôt au moyen d’un partage de l’ancien royaume d’Arménie, fait à l’amiable, quoique inégalement ; et l’acquisition d’un faible territoire, qu’Auguste aurait méprisé, jeta un peu de lustre sur l’empire expiant de Théodose le jeune. |
[1] Le père Montfaucon, forcé par ses supérieurs bénédictins (voyez Longueruana, t. I, p. 205) à rédiger la volumineuse édition de saint Chrysostome, en treize volumes in folio (Paris, 1738), s’est amusé à extraire de cette immense collection de discours moraux, quelques antiquités curieuses propres à faire connaître les mœurs du siècle de Théodose (voyez Saint Chrysostome, Opera, t. XIII, p. 192-196), et à éclaircir sa Dissertation française, dans les Mém. de l’Acad. des Inscript., t. XIII, p. 474-499.
[2] En calculant à peu près qu’un vaisseau pouvait faire par un bon vent mille stades ou cent vingt-cinq milles en vingt-quatre heures, Diodore de Sicile compte dix jours depuis les Palus-Méotides jusqu’à l’île de Rhodes ; et quatre jours de Rhodes à Alexandrie. La navigation du Nil depuis Alexandrie jusqu’à Syene, sous le tropique du Cancer, exigeait dix jours ; parce qu’il fallait remonter le fleuve. (Diod. de Sicile, t. I, l. III, p. 200, éd. Wesseling.) Il pouvait sans beaucoup d’exagération regarder les climats situés aux confins de la zone torride, comme exposés au dernier degré de la chaleur ; mais il parle des Méotides, situées au quarante-septième degré de latitude moderne, comme si elles étaient enclavées dans le cercle polaire.
[3] Barthius, qui révère son auteur avec l’aveugle superstition d’un commentateur, donne la préférence aux deux livres que Claudien composa contre Eutrope, sur toutes ses autres productions. (Baillet, Jugements des Savants, t. IV, p. 227.) On peut les considérer en effet comme une satire très vive et très éloquente : elle serait plus utile à l’histoire si les reproches étaient moins vagues et plus modérés.
[4] Après avoir déploré l’ascendant que les eunuques prennent de plus en plus dans le palais, et avoir désigné les fonctions qui leur conviennent, Claudien ajoute :
. . . . . . . . . . A fronte recedant
Imperii. In Eutrope, I, 422.
Il ne parait pas que l’eunuque ait occupé nominativement aucune des dignités effectives de l’empire, puisque, dans l’édit de son bannissement, il est désigné comme præpositus sacri cubiculi. Voyez Cod. Theod., l. IX, tit. 40, leg. 17.
[5]
Jamque oblita sui, nec sobria divitiis mens
In
miseras leges hominumque negotia ludit :
Judicat eunuchus. . . . . . . . . . .
Arma etiam violate parat. . . . .
Claudien (I, 229-270), avec ce mélange de raillerie et d’indignation qui plaît toujours dans une satire, décrit l’insolente extravagance de l’eunuque, la honte de l’empire et la joie des Goths.
. . . . . Gaudet, cum viderit hostis,
Et sentit jam deesse viros.
[6] La description que le poète fait de sa difformité (I, 110-125) est confirmée par le témoignage de saint Chrysostome (t. III, p. 384, édit. Montfaucon), qui observe que lorsque le visage d’Eutrope était dépouillé de laid, il était cent fois plus laid et plus ridé qu’une vieille femme. Claudien remarque (I, 469) que chez les eunuques on ne remarquait presque point d’intervalle entre la jeunesse et la décrépitude ; et sa remarque était sans doute fondée sur l’expérience.
[7] Eutrope était né, à ce qu’il paraît, dans l’Arménie ou l’Assyrie. Les trois esclavages que Claudien détaille particulièrement, furent ceux-ci : 1° il passa plusieurs années au service de Ptolémée, palefrenier ou soldat des écuries impériales ; 2° Ptolémée le donna au vieux général Arinthæus, qu’il servit avec beaucoup d’intelligence en qualité de proxénète ; 3° Arinthæus en fit présent à sa fille lorsqu’il la maria ; et l’emploi du consul futur était de lui peigner les cheveux, de lui présenter l’aiguière d’argent, de la laver et de l’éventer durant la chaleur. Voyez l. I, 31-137.
[8] Claudien (l. I, in Eutrope, I,22) après avoir rapporté un grand nombre de prodiges, tels que la naissance de divers monstres, des animaux qui parlaient, des pluies de sang ou de cailloux, un double soleil, etc., ajoute avec quelque exagération :
Omnia cesserunt eunucho consule monstra.
Le premier livre finit par un discours plein de noblesse de la divinité de Rome, adressé à Honorius, son favori, à qui elle se plaint de la nouvelle ignominie qu’elle vient d’éprouver.
[9] Fl. Mallius Theodorus, dont Claudien, a célébré dans un élégant panégyrique les honneurs civils et les ouvrages philosophiques.
[10] Enivré de richesses, est le terme expressif dont Zozime fait usage (l. V, p. 301). Suidas (dans son Lexicon) et Marcellin (dans sa Chronique) vouent également à l’exécration l’avarice d’Eutrope. Saint Chrysostome avait souvent averti le favori de la vanité et du danger de l’excessive richesse (t. II, p. 381).
[11]
. . . . . Gertantum sæpe duorum
Diversum
suspendie onus i cum pondere judex.
Vergit, et in geminas nutat provincia lances.
Claudien (I, 192-209) détaille avec tant de particularités les circonstances de cette vente qu’elles semblent toutes faire allusion à des anecdotes particulières.
[12] Claudien (I, 154-170) parle du crime et de l’exil d’Abundantius ; il ne pouvait se dispenser de rappeler à cette occasion l’artiste qui fit le premier essai du taureau de bronze qu’il présenta à Phalaris. Voyez Zozime, l. V, p. 302 ; saint Jérôme, t. I, p. 26. On peut aisément concilier la différence qui se trouve entre ces deux écrivains relativement au lieu d’exil d’Abundantius ; mais, l’autorité décisive d’Asterius d’Amasée (Orat. p. 76, dans Tillemont, Hist. des Empereurs, p. 435) doit faire pencher la balance en faveur de Pityus.
[13] Suidas a probablement tiré de l’histoire d’Eunape le portrait défavorable qu’il fait de Timase. Le rapport de son accusateur, les juges, le procès, etc., tout est parfaitement conforme aux usages des cours anciennes et modernes. (Voyez Zozime, l. V, p. 298, 299, 300.) Je suis presque tenté de citer le roman d’un grand maître (Fielding, vol. IV de ses œuvres, p. 49, etc., édit. angl., in 8°) peut être considéré comme l’histoire de la nature humaine.
[14] La grande Oasis était un de ces cantons enclavés dans les sables de la Libye, et qui, arrosés de sources, pouvaient produire du froment, de l’orge et des palmiers. Du nord au sud, il fallait environ trois jours pour le traverser, et du levant au couchant à peu près une demi-journée. Il était situé à cinq jours de marche à l’occident d’Abydus, sur les bords du Nil. (Voyez d’Anville, Description de l’Égypte, p. 186, 187, 188.) Le désert stérile qui environne cette Oasis (Zozime, l. V, p. 300) a valu, comparativement à ce canton l’éloge de fertilité, et même l’épithète d’île fortunée.
[15] Claudien, in Eutrope, l. I, p. 180.
Marmaricus claris violatur cœdibus Hammon.
Ce vers fait évidemment allusion à la mort de Timase, dont le poète paraît convaincu.
[16] Zozime, l. VIII, c. 7. Il parle par ouï-dire, ως τινος επυθομεν.
[17] Zozime, l. V, p. 300. Cependant il semble soupçonner que ce bruit a été répandu par les émissaires d’Eutrope.
[18] Voyez Cod. Theod., l. IX, tit. 14, ad legem Corneliam, de Sicariis, leg. 3 ; et le Code de Justinien, l. IX, tit. 8 ; ad legem Juliam, de Majestate, leg. 5. Le changement du terme de meurtre en celui de crime de lèse-majesté est un perfectionnement du subtil Tribonien. Godefroy, dans une dissertation qu’il a insérée dans son Commentaire, éclaircit cette loi d’Arcadius, et explique tous les passages obscurs qui ont été défigurés ou corrompus par les jurisconsultes des siècles d’ignorance. Voyez t. III, p. 88-111.
[19] Barthole entend une connaissance pure et simple sans aucun signe d’approbation, ou de participation. En récompense de cette opinion, dit Baldus, il grille aujourd’hui dans les enfers. Quant à moi, ajoute le discret Heineccius (Elem. jur. civ., l. IV, p. 411), je suis forcé d’approuver la théorie de Barthole ; mais, dans la pratique, j’inclinerais pour le sentiment de Baldus. Cependant les commissaires du cardinal de Richelieu citèrent gravement Barthole, et Eutrope fut en quelque façon cause de la mort du vertueux de Thou.
[20] Godefroy, t. III, p. 89. On soupçonne cependant que cette loi, si contraire aux maximes de la liberté germanique, été frauduleusement ajoutée à la Bulle d’Or.
[21] Zozime (l. V, p. 304-312) nous fait de la révolte de Tribigild et de Gainas un récit long et circonstancié ; qu’il aurait pu réserver, pour des événements plus importants. Voyez aussi Socrate (l. VI, c. 6) et Sozomène (l. VIII, c. 4). Le second livre de Claudien contre Eutrope est un beau morceau d’histoire, quoique imparfait.
[22] Claudien (in Eutrope, l. II, 237-250) observe très judicieusement que, le nom de l’ancienne Phrygie s’étendit au loin de tous les côtés, jusqu’au temps, ou elle fût resserrée par les colonies des Bithyniens de Thrace, des Grecs et enfin des Gaulois. Sa description (II, 257-272) de la fertilité de la Phrygie et des quatre rivières qui charrient de l’or est juste et pittoresque.
[23] Xénophon, Retraite des dix mille, l. I, p. 11-12, éd. Hutc. ; Strabon, l. XII, p. 865, édit. Amst. ; Quinte-Curce, l. III, c. 1. Claudien compare la jonction du Marsias et du Méandre à celle de la Saône et du Rhône ; avec cette différence cependant, que la plus petite des rivières de Phrygie, au lieu d’être accélérée se trouve retardée dans son cours par la plus grande.
[24] Selgæ, colonie des Lacédémoniens, contenait autrefois une population de vingt mille citoyens ; mais du temps de Maxime elle était réduite à la condition d’une πολιχνη, ou petite ville. Voyez Cellarius, Géographie antique, t. II, page 117.
[25] Le conseil d’Eutrope, dans Claudien, peut être comparé à celui de Domitien dans la quatrième satire de Juvénal. Les principaux membres du premier étaient juvenes protervi, lascivique serres. L’un d’eux avait été cuisinier, l’autre cardeur de laine. Le langage de leur première profession jette un ridicule sur leur nouvelle dignité ; et leur conversation sur la tragédie, les danseurs, etc., est encore plus ridicule par l’importance du sujet qu’ils ont à débattre.
[26] Claudien (l. II, p. 376-461) le charge d’opprobres ; et Zozime, quoique beaucoup plus modéré dans ses expressions, confirme tous les reproches de Claudien, l. V, p. 305.
[27] La conspiration de Gainas et de Tribigild, que l’historien grec atteste, n’était pas parvenue à la connaissance de Claudien, qui attribue la révolte de l’Ostrogoth à sa passion pour la guerre et aux avis de sa femme.
[28] Cette anecdote, que le seul Philostorgius a conservée (l. IX, c. 4 ; et Godefroy, Dissert., p. 451-456), est curieuse et intéressante, en ce qu’elle lie la révolte des Goths avec les intrigues du palais.
[29] Voyez l’Homélie de saint Chrysostome (t. III, p. 381-386), dont l’exorde est d’une grande beauté. (Socrate, l. VI, c. 5 ; Sozomène, l. VIII, c. 7.) Montfaucon (dans sa vie de saint Chrysostome, t. XIII, p. 135) suppose un peu légèrement que Tribigild était alors à Constantinople, et que ce fut lui qui donna l’ordre aux soldats de se saisir d’Eutrope. Claudien lui-même, poète païen (Préface ad l. II, in Eutrope, 27), parle de la fuite de l’eunuque dans le sanctuaire.
Suppliciterque
pias humilis prostratus ad aras,
Mitigat iratas voce tremente nurus.
[30] Saint Chrysostome, dans une autre homélie (t. III, p. 396), assure qu’Eutrope n’aurait pas été pris, s’il ne fût pas sorti de l’église. Zozime (l. V, p. 313) prétend au contraire que ses ennemis l’arrachèrent du sanctuaire. Cependant la promesse est la preuve d’une convention ; et le témoignage de Claudien dans la préface de son second livre, p. 46 :
Sed tamen exemplo non feriere tuo,
est sûrement la preuve de quelque promesse.
[31] Cod. Theod., l. IX, tit. 40, leg. 14. Il y a erreur dans la date de cette loi (17 de janvier, A. D. 399), puisque la disgrâce d’Eutrope n’a pu arriver que dans l’automne de cette année. Voyez Tillemont, Hist. des Empereurs, l. V, p. 780.
[32] Zozime, l. V, p. 313 ; Philostorgius, l. XI, c. 6.
[33] Zozime (l. V, 313-S23), Socrate (l. VI, c. 4), Sozomène (l. VIII, c. 4) et Théodoret (l. V, c. 32, 33), racontent, avec quelques différences dans les circonstances, la conspiration, la défaite et la mort de Gainas.
[34] Zosime lui même fait usage de l’expression Οσιας Ευφημιας μαρτυριον, sans faire attention qu’il emploie le langage des chrétiens. Evagrius décrit (l. II, c. 3) l’architecture, la situation, les reliques et les miracles de cette église célèbre, dans laquelle on tint depuis le concile de Chalcédoine.
[35] Théodoret appuie fortement sur les pieuses remontrances de saint Chrysostome, dont ce saint n’a point cependant laissé de trace dans ses écrits. Mais c’est à tort que Théodoret prétend insinuer qu’elles eurent un succès, puisque les faits démontrent le contraire. Tillemont (Hist. des Empereurs, t. V, p. 383) a découvert que, pour satisfaire aux demandes de Gainas, l’empereur fût obligé de fondre l’argenterie de l’église des Apôtres.
[36] Les historiens ecclésiastiques, qui tantôt dirigent et tantôt suivent l’opinion publique, assurent que le palais de Constantinople était gardé par une légion d’anges.
[37] Zozime (l. V, p. 319) donne à ces galères le nom de liburniennes, et observe qu’elles égalaient, par la rapidité de leur course, les galères à cinquante rameurs ; mais il n’eut explique point la différence. Il convient cependant qu’elles n’égalaient pas celles qu’on nommait trirèmes, dont on ne faisait plus d’usage depuis longtemps. Il suppose avec raison, d’après le témoignage de Polybe, qu’on avait construit dans les guerres puniques des vaisseaux beaucoup plus grands. Depuis l’établissement de l’empire romain sur la Méditerranée, la construction des grands vaisseaux fut négligée comme inutile, et bientôt tout à fait oubliée.
[38] Voyages de Chislitulf, p. 616-3, 72-76. Il alla de Gallipoli par Andrinople, jusqu’au Danube, en quinze jours à peu près. Il était de la suite de l’ambassadeur d’Angleterre, dont le bagage consistait en soixante-dix chariots. Ce savant voyageur a le mérite d’avoir tracé une route curieuse et peu fréquentée.
[39] Le récit de Zozime, qui conduit Gainas au-delà du Danube, doit être rectifié par celui de Socrate et celui de Sozomène, qui assurent qu’il fut tué dans la Thrace, et par les dates précises et authentiques de la Chronique d’Alexandrie ou de Paschal, p. 307. La victoire navale de l’Hellespont est datée du mois Apellæus, le 10 des calendes de janvier (décembre 23), et la tête de Gainas fut apportée à Constantinople le 3 des nones de janvier (janvier 3), dans le mois Audynæus.
[40] Eusebius Scholasticus acquit de la réputation, par son poème sur la guerre des Goths, contre lesquels il avait servi. Environ quarante ans après, Ammonius récita un poème sur le même sujet en présence de l’empereur Théodose. Voyez Socrate, l. VI, c. 6.
[41] Le sixième livre de Socrate, le huitième de Sozomène et le cinquième de Théodoret, offrent des matériaux curieux et authentiques pour la vie de saint Jean Chrysostome. En outre de ces historiens, j’ai pris pour guides les quatre principaux biographes de ce saint. 1° L’auteur de la Défense partiale de l’archevêque de Constantinople, composée en forme de dialogue, et sous le nom de son partisan zélé, Palladius, évêque d’Hélénopolis (Tillemont, Mém. ecclés., t. XI, p. 500-533). Elle est insérée dans les ouvrages de saint Chrysostome, t. XIII, p. 1-90, éd. Montfaucon. 2° Le sage Érasme, t. III, epist. 1150, p. 1331-1347, éd. de Leyde. Sa vivacité et la justesse de son jugement sont des qualités qui lui appartiennent ; et, vu l’état d’ignorance où l’on était alors sur les antiquités ecclésiastiques, les erreurs qu’il a commises étaient presque inévitables. 3° Le savant Tillemont, Mém. ecclés., t. XI, p. 1-405 ; 547-626, etc. Il compile la vie des saints avec une patience incroyable et la plus religieuse attention. Il a scrupuleusement examiné les volumineux ouvrages de saint Chrysostome lui-même. 4° Le père Montfaucon, qui a lu ces ouvrages avec la soigneuse exactitude d’un éditeur, a découvert plusieurs nouvelles homélies, et a revu et composé une seconde vie de Saint Chrysostome. Opera Chrysostom., t. XIII, p. 91-177.
[42] N’ayant qu’une connaissance fort légère des volumineux ouvrages de saint Chrysostome, j’ai donné ma confiance aux critiques ecclésiastiques dans lesquels j’ai trouvé le plus d’impartialité et de modération. (Érasme, tome III, p. 1344 ; et Dupin, Bibl. ecclés., t. III, p. 38.) Cependant le bon goût du premier est corrompu quelquefois par l’excès de son attachement pour l’antiquité ; et le bon sens du second est toujours retenu par des considérations de prudente.
[43] Les femmes de Constantinople se distinguaient par leur haine ou par leur attachement pour saint Chrysostome. Trois veuves nobles et opulentes, Marse, Castricie et Eugraphie, étaient à la tête de la persécution. (Pallad. Dialog., tome XIII, p. 14. Elles ne pouvaient pardonner au prédicateur, qui leur reprochait de chercher à masquer leur âge et leur laideur par la parure et la multiplicité des ornements. (Pallad., p. 27.) Le même zèle, déployé pour une cause plus pieuse, valut à Olympias le titre de sainte. Voyez Tillemont, Mém. ecclés., t. XI, p. 416-440.
[44] Sozomène et plus particulièrement Socrate ont peint le caractère de saint Chrysostome avec une liberté impartiale et modérée qui a offensé ses aveugles admirateurs. Ces historiens tenaient à la génération lui succéda aux contemporains du saint archevêque ; la violence des partis ne subsistait plus, et, ils eurent occasion de converser familièrement avec différentes personnes qui avaient été témoins de ses vertus et de ses imperfections.
[45] Palladius (t. XIII, p. 40, etc.) défend très sérieusement l’archevêque : 1° il ne buvait jamais de vin ; 2° la faiblesse de son estomac exigeait un régime particulier ; 3° les affaires, l’étude ou la dévotion, le faisaient souvent jeûner jusqu’au coucher du soleil ; 4° il détestait le bruit et les conversations oiseuses des grands repas ; 5° il épargnait sur la dépense de sa table pour secourir les pauvres ; 6° il craignait, dans une ville comme Constantinople, d’accepter des invitations qui pouvaient le rendre suspect à quelque faction.
[46] Saint Chrysostome (t. IX, hom. III,; in Act. apostol., p. 29) déclare que le nombre des évêques qui seront sauvés est très petit, en comparaison de ceux qu’attend la damnation éternelle.
[47] Voyez Tillemont, Mém. ecclés., t. XI, p. 441-500.
[48] J’ai cru devoir omettre la controverse qui s’éleva parmi les moines de l’Égypte concernant les opinions d’Origène et l’anthropomorphisme ; la dissimulation et la violence de Théophile, son adresse à séduire saint Épiphane, la persécution et la fuite des frères dits les Longs ou les Grands, le secours douteux qu’ils reçurent de saint Chrysostome à Constantinople, etc.
[49] Photius (p. 53-60) à conservé les actes originaux du synode du Chêne ; et ils prouvent qu’on a mal à propos prétendu que saint Chrysostome n’avait été condamné que par trente-six évêques, dont vingt-neuf étaient Égyptiens. Quarante-cinq évêques souscrivirent à la sentence. Voyez Tillemont, Mém. ecclés., t. XI, p. 595.
[50] Palladius avoue (p. 30) que si les habitants de Constantinople avaient rencontré Théophile, ils l’auraient jeta ; dans la mer. Socrate fait le récit (l. VI, c. 17) d’un combat entre la populace et les matelots d’Alexandrie, où il y eut beaucoup de gents blessés et quelques-uns de tués. Le païen Zozime est le seul qui parle du massacre des moines (l. IV, p. 34). Il convient de l’habileté de saint Chrysostome à conduire une multitude ignorante et grossière.
[51] Voyez Socrate, l. VI, c. 18 ; Sozomène, l. VIII, p. 20 ; Zozime (l. V, p. 324-327) parle en termes généraux de ses invectives contre l’impératrice Eudoxie. L’homélie qui commence par ces expressions fameuses est rejetée comme controuvée. Montfaucon, tome XIII, p. 151 ; Tillemont, Mém. ecclés., t. XI, p. 603.
[52] Nous devions, naturellement attendre de Zozime une pareille accusation (l. V, p. 327) ; mais il est remarquable qu’elle soit confirmée par Socrate (l. VI, p. 18) et par la Chronique de Paschal (p. 307).
[53] Il développe ces motifs spécieux (Post reditum, c. 13, 14) dans le style d’un orateur et d’un politique.
[54] Deux cent quarante-deux épîtres de saint Chrysostome existent encore (Opera, t. III p. 528-736). Elles sont adressées à un grand nombre de personnes différentes, et déploient une fermeté d’âme fort supérieure à celle de Cicéron dans son exil. La quatorzième épître contient un détail curieux des dangers de sa route.
[55] Après l’exil de saint Chrysostome, Théophile publia contre lui, un volume énorme et horrible, dans lequel il répète souvent les douces expressions de hostem humanitalis, sacrilegorum principem, immundum dæmonem. Il assure que saint Jean Chrysostome a prostitué son âme au diable, et il souhaite qu’on lui inflige quelque nouveau châtiment, qui égale, s’il est possible, l’horreur de ses crimes. Saint Jérôme, à la requête de son ami Théophile, traduisit du grec en latin cet ouvrage édifiant. Voyez Facundus Hermian., Defens. pro 3 Capitul., l. VI, c. 5, publié par Sirmond, Opera, t. II, p. 595, 596, 597.
[56] Son nom fut inséré par son successeur Atticus dans les diptyques de l’église de Constantinople, A. D. 418. Dix ans après on le révéra comme un saint Cyrille, qui avait hérité de la place et de la haine de son oncle Théophile, céda avec beaucoup de répugnance. Voyez Facund. Herm., l. IV, c. 1 ; Tillemont, Mém. ecclés., t. XIV, p. 277-283.
[57] Socrate, l. VII, c. 45 ; Théodoret, l. V, c. 36. Cet événement opéra la réunion des johannites qui avaient refusé de reconnaître ses successeurs. Durant sa vie les johannites étaient respectés des catholiques comme la congrégation orthodoxe de Constantinople ; leur obstination les conduisit presque jusqu’au schisme.
[58] Selon quelques auteurs (Baronius, Annal. ecclés., A. D. 418, n° 9, 10), pour que le corps de ce saint formaliste pût être transporté de Comana à la Capitale, il fallut que l’empereur écrivît une lettre d’excuse et d’invitation.
[59] Zozime, l. V, p. 315. On ne peut attaquer la chasteté d’une impératrice sans citer un témoin ; mais il est bien étonnant que ce témoin ait osé vivre et écrire dans les États d’un prince dont il révoquait en doute la légitimité. Cette histoire était probablement le libelle de quelque faction, que les païens lisaient et se communiquaient secrètement. Tillemont (Hist. des Emper., t. V, p. 782) semble disposé à inculper Eudoxie.
[60] Porphyre de Gaza, zélé prélat, fut transporté de joie lorsqu’il obtint l’ordre de détruire huit temples païens de cette ville. Voyez les détails curieux de sa vie. (Baronius, A. D. 415, n° 17-51). L’original a été écrit en grec ou peut-être en syriaque, par un moine, un de ses diacres favoris.
[61] Philostorgius, l. XI, c. 8 ; et Godefroy, Dissert., p. 457.
[62] Saint Jérôme (t. VI, p. 73-76) fait un tableau frappant de la marche destructive des sauterelles, qui étendirent un nuage épais entre le soleil et la terre, et couvrirent les champs de la Palestine. Heureusement des vents qui s’élevèrent alors en poussèrent une partie dans la mer Morte, et l’autre dans la Méditerranée.
[63] Procope, de Bell. persic., l. I, c. 2, p. 8, édit. Louvres.
[64] Agathias, l. IV, p. 136-137. Quoiqu’il adopte la vérité de cette tradition, il assure que Procope est le premier qui en ait consacré la mémoire dans ses écrits. Tillemont (Hist. des Empereurs, t. VI, p. 597) évalue très judicieusement cette fable. Sa critique n’a été retenue par aucune autorité ecclésiastique ; Procope et Agathias étaient l’un et l’autre à moitié païens.
[65] Socrate, l. VII, c. 1. Anthemius était petit-fils de Philippe, un des ministres de Constance, et grand-père de l’empereur Anthemius. Au retour de son ambassade de Perse, il fut désigné consul et préfet du prétoire de l’Orient dans l’année 405. Il conserva sa préfecture environ dix ans. Voyez son éloge dans Godefroy, Cod. Theod., t. VI, p. 350 ; Tillemont, Histoire des Empereurs, t. VI, p. 1, etc.
[66] Sozomène, l. IX, c. 5. Il vit quelques Scyrres qui travaillaient sur le mont Olympe, en Bithynie, et se plut à croire, sans aucun fondement, qu’ils étaient les derniers de leur nation.
[67] Cod. Theod., l. VII, tit. 17 ; l. XV, tit. 1, leg. 49.
[68] Sozomène a rempli trois chapitres du plus magnifique panégyrique en l’honneur de Pulchérie, l. IX, c. 1, 2, 3 ; et Tillemont (Mém. ecclés., t. XV, p. 171-184) a dédié un article séparé aux louanges de sainte Pulchérie, vierge et impératrice.
[69] Suidas (Excerpta, p. 68 ; in Script. Byzant.) prétend, sur l’autorité des nestoriens, que la haine violente de Pulchérie contre le fondateur de leur secte, vint des censures qu’il s’était permises sur son intimité avec le beau Paulin, et son inceste avec son frère Théodose.
[70] Voyez Ducange, Famil. Byzant., p. 70. Flaccille, la fille aînée de Théodose, mourut avant son frère Arcadius ; ou, si elle vécut jusqu’à l’an 431, quelques infirmités du corps ou de l’esprit la privèrent probablement des honneurs dus à son rang.
[71] Elle fut avertie, par plusieurs songes consécutifs, des endroits où les corps des quarante martyrs avaient été enterrés. La terre qui les recélait avait successivement fait partie de la maison et du jardin d’une dame de Constantinople, d’un monastère de moines macédoniens, et était enfin occupée par une église de saint Thyrse, élevée par Césarius, qui fut consul A. D. 397. Ces reliques étaient presque entièrement oubliées. Malgré le souhait charitable du docteur Jortin, on ne peut guère se dispenser de soupçonner Pulchérie d’avoir eu quelque part à cette fraude pieuse. L’impératrice devait avoir alors plus de trente-cinq ans.
[72] Il y a une opposition remarquable entre les deux historiens ecclésiastiques, qui, en général, s’accordent dans la plupart de leurs relations. Sozomène (l. IX, c. 1) assure que Pulchérie eut le gouvernement de l’empire, et dirigea l’éducation de son frère, dont il daigne à peine faire l’éloge. Socrate, quoiqu’il déclare avec affectation renoncer à tout espoir de faveur et de célébrité, fait un long panégyrique de l’empereur, et se tait avec soin sur le mérite de Pulchérie (l. VII, c. 22-42). Philostorgius (l. XII, c. 7) parle de l’influence de Pulchérie adroitement et en homme de cour. Suidas (Excerpt., p. 53) peint le véritable caractère de Théodose, et j’ai suivi l’exemple de Tillemont (t. VI, p. 25), en tirant, quelques traits des Grecs modernes.
[73] Théodoret, l. V, c. 37. L’évêque de Cyrrhe, un des hommes les plus respectables de son siècle par sa piété et par son érudition applaudit à l’obéissance de Théodose aux lois divines.
[74] Socrate (l. VII, c. 21) nous apprend son nom, Athénaïs, fille de Leontius, philosophe athénien. Il parle de son baptême, de son mariage, et de ses talents poétiques, Jean Malalas est l’auteur le plus ancien qui ait parlé de cette histoire (part. II, p. 20, 21, éd. de Venise, 1733), avec la Chronique de Paschal (p. 311, 312). Ces auteurs avaient probablement vu le portrait original de l’impératrice Eudoxie. Les Grecs modernes, Zonare, Cedrenus, ont montré plus de penchant que de talent pour la fiction. J’ai cependant hasardé de fixer son âge, sur l’autorité de Nicéphore. Un faiseur de roman n’aurait point inventé qu’Athénaïs avait prés de vingt-huit ans lorsqu’elle enflamma le cœur d’un jeune empereur.
[75] Socrate, l. VII, c. 21 ; Photius, p. 413-420. Le centon d’Homère existe encore, et a été imprimé plusieurs fois ; mais les critiques prétendent que cette insipide production n’est point d’Eudoxie. (Voyez Fabrice, Biblioth. græc., t. I, p. 357.) L’Ionia, ou Dictionnaire de fables et d’histoires, a été compilé par une autre impératrice du nom d’Eudoxie, qui vivait dans le onzième siècle, et le manuscrit existe encore.
[76] Baronius (Annal. ecclés., A. D. 438, 439) est abondant et pompeux ; mais on l’accuse de confondre les traditions mensongères des différents âges sous une même apparence d’authenticité.
[77] Dans ce récit abrégé de la disgrâce d’Eudoxie, j’ai imité la circonspection d’Evagrius (l. I, c. 21) et du comte Marcellin (in Chron., A. D. 440-444). Les deux dates authentiques fixées par le dernier, détruisent une grande partie des fictions des Grecs ; et la fameuse histoire de la Pomme, etc., n’est propre qu’à figurer dans les Mille et une Nuits, où l’on trouve une histoire qui n’en diffère pas beaucoup.
[78] Priscus (in Excerpt. legat., p. 69), contemporain et homme de cour, la désigne sèchement par ses deux noms d’Athénaïs et d’Eudoxie, sans y ajouter aucun titre honorable ou respectueux.
[79] Relativement aux deux pèlerinages d’Eudoxie, à sa longue résidence à Jérusalem, à sa dévotion, osés aumônes, voyez Socrate, l. VII, c. 47, et Evagrius, l. I, c. 20, 21, 22. La Chronique de Paschal, mérite quelquefois d’être consultée ; et, dans l’histoire d’Antioche, l’autorité de Jean Malalas n’est point à rejeter. L’abbé Guénée, dans un Mémoire sur la fertilité de la Palestine, dont je n’ai vu qu’un extrait, évalue les dons d’Eudoxie à vingt mille quatre cent quatre-vingt-huit livres pesant d’or, environ huit cent mille livres sterling.
[80] Théodoret, l. V, c. 39 ; Tillemont, Mém. ecclés., t. XII, p. 356-364 ; Assemanni, Bibl. orient., t. III, p. 396 ; t. IV, p. 61. Théodoret blâme l’imprudence d’Abdas ; mais il loue sa constance en souffrant le martyre. Cependant je ne conçois pas bien clairement les principes qui défendent de réparer le dommage qu’on a commis illégalement.
[81] Socrate (l. VII, c. 18, 19, 20, 21) mérite la préférence relativement à la guerre de Perse. On peut encore consulter les trois Chroniques de Paschal, de Marcellin et de Malalas.
[82] Ce récit de la ruine et du partage du royaume d’Arménie est tiré du troisième livre de l’histoire d’Arménie, de Moïse de Chorène. Quoiqu’il n’ait aucune des qualités estimées dans un historien, son instruction locale, la passion et les préjugés qui dominent dans son récit, démontrent du moins qu’il écrivait l’histoire de son pays et de son siècle. Procope (de Ædificiis, l. III, c. 1-5) raconte les mêmes faits d’une manière fort différente ; mais j’ai extrait les circonstances les plus probables en elles-mêmes et les moins opposées au récit de Moïse de Chorène.
[83] Les Arméniens d’Occident se servaient des caractères et de la langue des Grecs dans leurs prières et dans les offices religieux ; mais les Perses avaient proscrit l’usage de cette langue dans les provinces de l’Orient. Elles se servirent de l’idiome syriaque jusqu’au commencement du cinquième siècle, où Mesrobe inventa les lettres arméniennes ; et traduisit la Bible en langue arménienne. Cet événement affaiblit la liaison de l’Église et de la nation avec Constantinople.
[84] Moise de Chorène, l. III, c. 59 ; p. 309 et 358 ; Procope, de Ædificiis, c. 5 : Théodosiopolis est située, ou plutôt était située environ à trente-cinq milles vers l’orient d’Arzeroum, capitale moderne de l’Arménie ottomane. Voyez d’Anville, Géographie anc., t. II, p. 99, 100.
[85] Moise de Chorène, l. III, c. 63, p. 316. Selon l’institution de saint Grégoire, apôtre de l’Arménie, l’archevêque faisait toujours partie de la famille royale ; circonstance qui corrigeait, en quelque façon, l’ascendant du caractère sacerdotal, et unissait la mitre avec la couronne.
[86] Une branche de la maison royale ides Arsace continua d’exister, probablement avec le rang et les biens de satrape d’Arménie. Voyez Moïse de Chorène, l. III, c. 65, p. 321.
[87] Immédiatement après la défaite d’Antiochus Sidètes, Valarsaces fut nommé empereur de l’Arménie par son frère, monarque des Parthes (Moïse de Chorène, l. II, c. II, p. 85) cent trente ans avant Jésus-Christ. Sans nous en rapporter aux époques incertaines du règne des derniers rois, nous pouvons regarder comme évident que le royaume d’Arménie ne fut détruit que postérieurement, à la tenue du concile de Chalcédoine (A. D. 431, l. III, c. 61, p. 312), et sous le règne de Varanes ou Bahram, roi de Perse (l. III, c. 64, p. 317), qui régna depuis l’année 420 jusqu’en 440. Voyez Assemanni, Bibl. orient., t. III, p. 396.