Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

CHAPITRE XXXI

Invasion de l’Italie par Alaric. Mœurs du peuple et du sénat romain. Route est assiégée trois fois, et enfin pillée par les Goths. Mort d’Alaric. Les Goths évacuent l’Italie. Chute de Constantin. Les Barbares occupent la Gaule et l’Espagne. Indépendance de la Grande-Bretagne.

 

 

LES dissensions et l’incapacité d’un gouvernement faible produisent souvent l’apparence et les effets d’une intelligence coupable avec l’ennemi public. Les ministres d’Honorius[1] firent à peu près tout ce que le roi des Goths aurait pu leur dicter pour son propre avantage, s’il eût cité admis dans leurs conseils : peut-être même le généreux Alaric n’aurait-il conspiré qu’avec répugnance la perte du formidable adversaire dont les armes l’avaient chassé deux fois de la Grèce et de l’Italie ; mais les efforts de la haine active et intéressée des favoris de l’empereur avaient enfin accompli la disgrâce et la ruine du grand Stilicnon. La valeur de Sarus, sa réputation militaire et son influence héréditaire ou personnelle sur les Barbares confédérés, ne le recommandaient qu’aux amis de la patrie qui méprisaient le vil caractère de Turpilion, de Varannes et de Vigilantius : mais quoique ces généraux se fussent montrés indignes du nom de soldat[2], les pressantes sollicitations des nouveaux favoris d’Honorius leur obtinrent le commandement de la cavalerie, de l’infanterie et des troupes du palais. Le roi des Goths aurait souscrit avec plaisir l’édit que le fanatisme d’Olympius dicta au simple et dévot empereur. Par cet édit, Honorius écartait de tous les emplois de l’État tous ceux dont la croyance était en opposition avec la foi de l’Église catholique, rejetait absolument les services de tous ceux dont les sentiments religieux ne s’accordaient pas avec les siens, et se privait ainsi d’un grand nombre de ses meilleurs et de ses plus braves officiers, attachés au culte des païens ou aux erreurs de l’arianisme[3]. Alaric aurait approuvé et conseillé peut-être des dispositions si favorables aux ennemis de l’empire ; mais on peut douter que le prince barbare eût consenti, pour servir ses projets, à l’absurde et inhumaine mesure qui fut exécutée par l’ordre ou du moins avec la connivence des ministres impériaux. Les auxiliaires étrangers déploraient la mort de Stilichon leur protecteur ; mais de justes craintes pour la sûreté de leurs femmes et de leurs enfants, retenus comme otages dans les villes fortes de l’Italie, où ils avaient aussi déposé leurs effets précieux, contenaient leurs désirs de vengeance. A la même heure et comme au même signal, les villes d’Italie, souillées par une même scène d’horreur, virent tan massacre et un pillage général anéantir à la fois les familles et les fortunes des Barbares furieux et désespérés d’un outrage capable de pousser à bout les esprits les plus doux et les plus serviles, ils jetèrent vers le camp d’Alaric un regard d’indignation et d’espoir, et jurèrent une guerre aussi juste qu’implacable à la nation perfide qui violait si bassement les lois de l’hospitalité. Par cette conduite inconcevable, les ministres d’Honorius perdirent non seulement trente mille des plus braves soldats de leur armée, mais en firent leurs ennemis ; et le poids que devait mettre dans la balance ce corps formidable, capable à lui seul de déterminer l’événement de la guerre, passa dit parti .des Romains dans celui des Goths.

Dans les négociations comme dans les opérations militaires, Alaric conservait sa supériorité sur des ennemis qui, n’ayant ni desseins ni plans fixes, variaient sans cesse dans leurs résolutions. De son camp placé sur les frontières de l’Italie, il observait attentivement les révolutions du palais, épiait les progrès de l’esprit de mécontentement et de faction, et déboisait avec soin les projets ennemis d’un conquérant et d’un Barbare, sous l’apparence bien plus favorable d’ami et d’allié du grand Stilichon : il Bayait sans peine un tribut de louanges et de regrets aux vertus d’un héros dont il n’avait plus rien à redouter. L’invitation des mécontents qui le pressaient d’entrer en Italie, s’accordait parfaitement avec le désir de venger sa profonde injure. Alaric pouvait se plaindre, avec une sorte de justice, de ce que les ministres d’Honorius éloignaient et éludaient même le paiement de quatre mille livres d’or accordées par le sénat de Rome pour récompenser ses services ou apaiser son ressentiment. La noble fermeté de ses discours était accompagnée d’une apparence de modération qui contribua au succès de ses desseins. Il demandait qu’on satisfît de bonne foi à ce qu’il avait droit d’attendre ; mais il donnait les plus fortes assurances de sa promptitude à se retirer aussitôt qu’il l’aurait obtenu. Il refusait de s’en fier au serment des Romains, à moins qu’ils ne lui livrassent pour otages Ætius et Jason, les fils des deux premiers officiers de l’empire ; mais il offrait de donner en échange plusieurs jeunes gens des plus distingues de sa nation. Les ministres de Ravenne regardèrent la modération d’Alaric comme une preuve évidente de sa faiblesse et de ses craintes ; ils ne daignèrent ni entrer en négociation, ni assembler, une armée ; et leur confiance insensée, soutenue par l’ignorance du danger terrible qui les menaçait, négligea également le moment de faire la paix et celui de se préparer à la guerre. Tandis que dans un silence méprisant ils s’attendaient tous les jours à voir les Barbares évacuer l’Italie, Alaric, par des marches rapides et hardies, passa les Alpes et le Pô, pilla presque sans s’arrêter les villes d’Aquilée, d’Altinum, de Concordia et de Crémone, qui succombèrent sous l’effort de ses armes. Il recruta son armée de trente mille auxiliaires, et s’avança, sans rencontrer un seul ennemi qui s’opposât à son passage, jusqu’au bord des marais qui environnaient la résidence inattaquable de l’empereur d’Occident. Trop sage pour perdre son temps et consumer ses forces en assiégeant une ville qu’il ne se flattait point d’emporter, il avança jusqu’à Rimini, continua ses ravages sur les côtes de la mer Adriatique, et médita la conquête de l’ancienne maîtresse du monde. Un ermite italien, dont le zèle et la sainteté obtinrent le respect des Barbares eux-mêmes, vint au devant du monarque victorieux, et lui annonça courageusement l’indignation du ciel contre les oppresseurs de la terre ; mais Alaric embarrassa beaucoup le saint en lui déclarant qu’il était entraîné presque malgré lui aux portes de Rome, par une impulsion inconnue et surnaturelle. Le roi des Goths se sentait élevé par sa fortune et son génie à la hauteur des entreprises les plus difficiles, et l’enthousiasme qu’il inspirait aux Barbares effaça insensiblement l’antique et presque superstitieuse vénération qu’imprimait encore aux nations la majesté du nom romain. Ses troupes, animées par l’espoir du butin, suivirent la voie Flaminienne, occupèrent les passages abandonnés de l’Apennin[4], descendirent dans les plaines fertiles de l’Ombrie, et purent se rassasier à leur plaisir, sur les bords du Clitumne, de la chair des bœufs sacrés, dont la race blanche comme neige avait été si longtemps, réservée à l’usage des sacrifices célébrés à l’occasion des triomphes[5]. La position escarpée de la ville de Narni, un orage et le tonnerre qui grondait avec violence, sauvèrent cette petite ville. Le roi des Goths, dédaignant de s’arrêter pour une si vile proie, continua de s’avancer avec la même ardeur ; et, après avoir passé sous les superbes arcs de triomphe ornés des dépouilles des Barbares, il déploya ses tentes sous les murs de Rome[6].

Durant le long espace de six cent quatre-vingt-dix ans, la capitale du monde romain ne s’était, point vue insultée par la présence d’un ennemi étranger. L’expédition malheureuse d’Annibal[7] n’avait servi qu’à faire briller la courageuse énergie du peuple et du sénat ; de ce sénat qu’on dégradait plutôt que de l’élever en le comparant à une assemblée de rois, et de ce peuple à qui l’ambassadeur de Pyrrhus attribuait les intarissables ressources de l’hydre[8]. A l’époque de la guerre punique, tout sénateur devait accomplir son temps de service militaire, ou dans  un poste supérieur où dans des emplois subordonnés ; et le décret qui investissait d’un commandement temporaire tous ceux qui avaient été censeurs, consuls où dictateurs, assurait à la république le secours toujours prêt d’un grand nombre de généraux braves et expérimentés. Au commencement de la guerre, le peuple romain se composait de deux cent cinquante mille citoyens en âge de porter les armes[9]. Cinquante mille avaient déjà sacrifié leur vie à la défense de leur pays ; et les vingt-trois légions qui composaient les différents camps de l’Italie, de la Grèce, de la Sardaigne, de la Sicile et de l’Espagne, exigeaient environ cent mille hommes ; mais il en restait encore autant dans Rome et dans les environs, tous animés d’un courage intrépide, et accoutumés, dès leur plus tendre jeunesse, aux exercices et à la discipline du soldat. Annibal vit avec étonnement la fermeté du sénat, qui, sans lever le siége de Capoue, sans rappeler les troupes dispersées, attendait tranquillement l’approche des Carthaginois. Leur général campa sur les bords de l’Anio, à environ trois milles de Rome ; sa surprise augmenta quand il apprit que le terrain sur lequel était placée sa tente venait d’être vendu dans une enchère, au prix ordinaire, et qu’on avait fait sortir de la ville, par la porte opposée, un corps de troupes qui allait joindre les légions d’Espagne[10]. Annibal conduisit ses Africains aux portes de cette orgueilleuse capitale, et trouva trois armées prêtes à le recevoir. Il craignit l’événement d’une bataille dont il ne pouvait sortir victorieux sans immoler jusqu’au dernier de ses ennemis, et sa retraite précipitée fut un aveu de l’invincible courage des Romains.

Depuis l’époque de la guerre punique, la succession non interrompue des sénateurs conservait encore l’image et le nom de la république et les sujets dégénérés d’Honorius prétendaient tirer leur origine des héros qui avaient repoussé. Annibal et soumis toutes les nations de la terré. Saint Jérôme, qui dirigeait la conscience de la dévote Paula[11] et qui a écrit son histoire, a récapitulé avec soin tous les honneurs et les titres dont avait hérité cette sainte, et dont elle faisait peu de cas. La généalogie de son père, Rogatus qui remontait jusqu’à Agamemnon, pourrait faire soupçonner une origine grecque ; mais sa mère Blœsile comptait Paul-Émile, les Scipions et les Gracques, au nombre de ses ancêtres ; et Toxotius, le mari de Paula, tirait sa royale origine d’Énée, tige de la race Julienne. Les citoyens opulents voulaient être nobles, et satisfaisaient leur vanité par ces hautes prétentions. Encouragés par les applaudissements de leurs parasites, ils en imposaient aisément à la crédulité du peuple, et l’ancienne coutume d’adopter le nom de son patron, qui avait toujours été suivie par les clients et les affranchis des familles illustres, favorisait en quelque façon cette supercherie. La plupart de ces anciennes familles, soumises à tant de causes de destruction, soit intérieures, soit étrangères, s’étaient successivement éteintes ; et l’on aurait trouvé plus aisément salis doute une filiation de vingt générations dans les montagnes des Alpes ou dans les contrées paisibles de l’Apulie, qu’à Rome, théâtre des coups de la fortune, des dangers et des révolutions. Sous chaque règne, une foule d’aventuriers accouraient de toutes les provinces dans la capitale ; ceux qui faisaient fortune par leurs vices ou par leurs talents, occupaient les palais de Rome, usurpaient les titres, les honneurs, et opprimaient ou protégeaient les restes humbles et appauvris des familles consulaires qui ignoraient peut-être l’ancienne gloire de leurs ancêtres[12].

Du temps de saint Jérôme et de Claudien, les sénateurs cédaient unanimement la préséance à la famille Anicienne ; et un léger coup d’œil sur son histoire fera apprécier l’ancienneté des familles nobles qui ne réclamaient que le second rang[13]. Durant les cinq premiers siècles de la république, le nom des Aniciens fut tout à fait inconnu. Il parait qu’ils étaient originaires de Préneste, et ces nouveaux citoyens se contentèrent longtemps des honneurs plébéiens accordés aux tribuns du peuple[14]. Cent soixante-huit ans avant l’ère chrétienne, la charge de préteur conférée à Anicius anoblit sa famille. Il termina glorieusement la guerre d’Illyrie par la captivité du roi et la conquête de la nation[15]. Depuis le triomphe de ce général, trois consulats, à des époques éloignées l’une de l’autre, marquèrent la filiation des Aniciens[16]. Depuis le règne de Dioclétien jusqu’à la destruction totale de l’empire d’Occident, l’éclat de leur nom ne le céda pas, dans l’opinion, du peuple à la pourpre impériale[17]. Les différentes branches qui le portèrent réunirent, on par des mariages, ou par des successions, les honneurs et les richesses des familles Anicienne, Pétronienne et Olybrienne, et à chaque génération, le nombre des consulats s’y multiplia par une espèce de droit héréditaire[18]. La famille Anicienne surpassait toutes les autres par sa piété comme par ses richesses. Les Aniciens furent les premiers du sénat qui embrassèrent le christianisme : on peut supposer qu’Anicius Julien, depuis consul et préfet de Rome, expia par sa prompte docilité à accepter la religion de Constantin, le crime d’avoir suivi le parti de Maxence[19]. Probus, chef de la maison des Aniciens augmenta par son industrie l’opulence de la famille. Il partagea avec l’empereur Gratien les honneurs du consulat, et occupa quatre fois le poste distingué de préfet du prétoire[20]. Ses vastes possessions étaient répandues dans toutes les provinces de l’empire romain ; et, quoique les moyens dont il s’était servi pour les acquérir ne fussent pas peut-être à l’abri du blâme ou du soupçon, la magnificence et le générosité de cet heureux ministre obtinrent là reconnaissance de ses clients et l’admiration des étrangers[21]. Les Romains avaient une si grande vénération pour la mémoire de Probus, qu’ai la requête du sénat, ses deux, fils, encore très jeunes, occupèrent conjointement les deux places de consuls ; les annales de Rome n’offrent point d’exemples d’une pareille distinction[22].

Les marbres du palais Anicien passèrent en proverbe pour exprimer la richesse et la magnificence[23] ; mais les nobles et les sénateurs s’efforçaient, selon leurs facultés, d’imiter cette famille illustre. La description de Rome, faite avec soin sous le règne de Théodose, contient l’énumération de dix-sept cent quatre-vingts maisons habitées par des citoyens opulents[24]. Plusieurs de ces superbes bâtiments pourraient presque excuser l’exagération du poète qui prétend Bile Rome renfermait un grand nombre de palais, dont chacun était aussi grand qu’une ville. On trouvait effectivement dans leur enceinte tout ce qui pouvait servir au luxe ou à l’utilité ; des marchés, des hippodromes, des temples, des fontaines, des bains, des portiques, des bocages et des volières[25]. L’historien Olympiodore, qui décrit l’état de la ville de Rome[26] au moment où les Goths l’assiégèrent, observe que quelques-uns des plus riches sénateurs tiraient de leur patrimoine un revenu de quatre mille livres pesant d’or, ou cent soixante mille livres sterling, sans compter les redevances fixées pour leur provision en blé et en vins, et qui, si elles eussent été vendues, auraient pu s’évaluer à un tiers de la somme précédente. En comparaison de ces fortunes énormes, un revenu de mille ou quinze cents livres pesant d’or pouvait paraître comme suffisant à peine à la dignité de sénateur, qui exigeait beaucoup de dépenses publiques et de représentation. On cite plusieurs exemples de nobles fastueux et jaloux de la popularité, qui, sous le régner d’Honorius, célébrèrent l’anniversaire de leur préture par une fête dont la durée fut de sept jours et la dépense de plus de cent mille livres sterling[27]. Les domaines des sénateurs romains, qui excédaient si considérablement les bornes des fortunes modernes, n’étaient pas toujours situés eu Italie ; ils s’étendaient au-delà de la mer Ionienne et de la mer Égée, dans les provinces les plus reculées de l’empire. La ville de Nicopolis, fondée par Auguste comme un monument durable de la victoire d’Actium, appartenait à la dévote Paula[28] ; et Sénèque observé que les rivières qui avaient séparé des nations ennemies se trouvaient maintenant traverser les propriétés d’un simple particulier[29]. Une partie des Romains, selon leur goût ou leur situation, faisaient cultiver leurs terres par des esclaves, et d’autres les donnaient à bail à un fermier. Les écrivains économiques de l’antiquité recommandent la première de ces deux manières de faire valoir, comme la meilleure lorsqu’elle est praticable ; mais si, à raison de l’éloignement ou de l’étendue, le propriétaire ne pouvait point y veiller lui-même, ils conseillent de préférer un fermier héréditaire qui s’attache au sol et qui est intéressé à la récolte, à un intendant mercenaire, souvent négligent et quelquefois infidèle[30].

L’opulente noblesse d’une ville immense, peu avide de la gloire militaire, et se livrant bien rarement aux occupations du gouvernement civil, devait naturellement dévouer ses loisirs aux affaires et aux plaisirs de la vie privée. Les Romains méprisèrent toujours le commerce ; mais les sénateurs du premier âge de la république augmentaient leur patrimoine et multipliaient leurs clients par la pratique lucrative de l’usure. L’intérêt et l’inclination des deux parties concouraient à éluder ou à violer des lois antiques et oubliées[31]. Rome doit avoir renfermé toujours des trésors considérables, soit en monnaie courante au coin de l’empire, ou en vaisselle d’or et d’argent ; et, du temps de Pline, on aurait trouvé dans le buffet d’un grand nombre de particuliers plus d’argent massif que Scipion n’en avait rapporté de Carthage[32]. La majeure partie des nobles, dissipant leurs fortunes en profusions se trouvaient souvent pauvres au milieu des richesses, et désœuvrés dans un cercle perpétuel d’amusements. Une nombreuse suite d’esclaves, dont l’activité était excitée par la crainte du châtiment, et une multitude d’ouvriers et de marchands, arrimés par le désir et l’espérance de s’enrichir, leur fournissaient des milliers de bras sans cesse en mouvement pour satisfaire leurs moindres désirs. Les anciens manquaient d’une grande partie des commodités inventées ou perfectionnées de nos jours, par les progrès de l’industrie ; et l’usage général du linge et du verre procure aux habitants de l’Europe des jouissances infiniment préférables à toutes celles que les sénateurs de Rome pouvaient tirer des raffinements de leur fastueuse et voluptueuse profusion[33]. Leur luxe et leurs mœurs ont été l’objet de recherches très laborieuses et très détaillées ; mais, comme elles m’éloigneraient trop du plan de cet ouvrage, je présenterai au lecteur une description authentique de Rome et de ses habitants, qui a plus de relation avec l’époque de l’invasion des Goths. Ammien Marcellin, qui fixa sagement sa résidence dans la capitale comme dans le lieu le plus convenable pour l’homme qui voulait écrire l’histoire de son siècle, a mélangé le récit des événements publics, du tableau frappant de scènes particulières dont il était tous les jours le témoin. Le lecteur judicieux n’approuvera pas toujours l’amertume de sa censure, le choix des circonstances et des expressions, et découvrira peut-être les préjugés secrets et les animosités personnelles qui aigrissaient le caractère d’Ammien lui-même ; mais il observera sûrement avec une curiosité philosophique le tableau original et intéressant des mœurs de Rome[34].

La grandeur de Rome, dit Ammien, était fondée sur l’alliance, rare et presque incroyable de la vertu la et de la fortune. La longue période de son enfance romaine, se passa en efforts contre les tribus de l’Italie, voisines et ennemies d’une ville naissante. Dans la vigueur de sa jeunesse, elle eut à soutenir les orages de la guerre ; elle porta ses armes victorieuses au-delà des montagnes et des mers, et rapporta des lauriers cueillis dans toutes les parties du globe. Déclinant enfin vers sa vieillesse, et triomphant encore quelquefois par la terreur de son nom, elle chercha les douceurs de l’aisance et de la tranquillité. La vénérable cité, qui avait foulé les têts orgueilleuses des nations les plus fières, et établi un code de lois pour protéger à jamais la justice et la liberté abandonna, en mère sage et puissante, aux Césars, ses enfants favoris, le gouvernement de ses immenses possessions[35]. Une paix solide et profonde, qui rappelait le règne heureux de Numa, succéda aux révolutions sanglantes de la république. Rome était toujours adorée comme la reine de l’univers, et les nations vaincues respectaient encore la dignité du peuple et la majesté du sénat ; mais cette ancienne splendeur, ajoute Ammien, est ternie et déshonorée par la conduite de quelques-uns des nobles, qui, oubliant et leur propre dignité et celle de leur pays, se livrent sans pudeur aux excès du vice et de l’extravagance. Disputant entre eux de vanité et de puérilité dans le choix de leurs titres et de leurs surnoms, ils adoptent ou inventent des noms sonores et pompeux, Reburrus ou Fabunius, Pagonius ou Tarrasius[36], afin de frapper la foule crédule d’étonnement et de respect. Dans la vaine espérance de perpétuer leur mémoire, ils multiplient leurs statues en bronze et en marbre, et ne sont point contents que ces monuments de leur vanité ne soient couverts de lames d’or ; distinction honorable que le consul Acilius obtint le premier, après avoir détruit, par sa valeur et son habileté, la puissance du monarque Antiochos. L’ostentation avec laquelle ils exposent aux regards et enflent peut-être l’état du revenu de leurs domaines situés dans toutes les provinces de l’Orient et de l’Occident, excitent justement l’indignation, lorsqu’on se rappelle la valeur et la pauvreté de leurs ancêtres, qui ne se distinguaient du simple soldat ni par la nourriture ni par l’habillement ; mais nos nobles modernes calculent leur rang et leur considération par l’élévation de leurs chars[37], et par la pesante magnificence de leurs vêtements. Leurs longues robes de pourpre et de soie flottent au gré du vent, et en s’agitant laissent apercevoir ou par leur arrangement, ou par hasard, de riches tuniques ornées d’une broderie qui représente la figure de différents animaux[38]. Suivis d’un train de cinquante serviteurs, leurs chars ébranlent les pavés en parcourant les rues avec autant de rapidité que s’ils couraient la poste. Les matrones et les dames romaines imitent hardiment l’exemple des sénateurs, et les chars couverts parcourent sans cesse l’espace immense de la ville et des faubourgs. Si quelque personnage d’une haute distinction daigne entrer dans un bain public, il donne ses ordres d’un ton impérieux, et approprie insolemment à son usage exclusif toutes les commodités destinées au peuple romain. Si dans ces lieux de rendez-vous général pour toutes les classes, il rencontre par hasard quelque méprisable agent de ses plaisirs, une tendre accolade exprime aussitôt son affection, tandis qu’il évite orgueilleusement le salut de ses concitoyens, auxquels il permet seulement d’aspirer à lui baiser la main ou les genoux. Après avoir joui des plaisirs du bain, ces fastueux personnages reprennent leurs bagues, leurs bijoux et les marques de leur dignité ; ils choisissent dans leur garde-robe particulière, composée des plus fines étoffes et suffisante pour une douzaine de personnes, les vêtements qui flattent le plus leur fantaisie, et conservent jusqu’au départ un maintien arrogant, qu’on aurait peut-être excusé dans le grand Marcellus après la conquête de Syracuse. Quelquefois, à la vérité, ces héros entreprennent des expéditions plus hardies ; ils visitent leurs domaines en Italie, et se procurent l’amusement d’une chasse dont leurs esclaves prennent tout le soin et la fatigue[39]. S’il arrive par hasard, et surtout dans un jour de chaleur, qu’ils aient le courage de faire dans leurs galères dorées le trajet du lac Lutrin[40] jusqu’à leurs magnifiques maisons de campagne situées sur la côte maritime de Puteoli ou de Cayète[41], ils comparent ces pénibles travaux aux marches de César et d’Alexandre. Si cependant une manche se hasarde à se poser sur les rideaux de soie de leurs pavillons dorés, si un pli mal fermé laisse passer un rayon de soleil, ils déplorent le malheur de leur situation, et se lamentent, dans un langage affecté, de n’être point nés dans le pays des Cimmériens[42], séjour d’éternelle obscurité. Dans ces voyages à la campagne, le maître est suivi de toute sa maison[43] ; et, de même que dans la marche d’une armée les généraux font les dispositions pour la cavalerie et pour l’infanterie, pour l’avant et l’arrière-garde, les officiers domestiques, portant en main une baguette, symbole de leur autorité, distribuent et rangent la nombreuse suite des serviteurs et des esclaves. Le bagage et la garde-robe marchent en tête, ensuite une foule de cuisiniers avec tous les subordonnés employés au service de la cuisine et de la table. Le corps de bataille est composé des esclaves, et grossi par la foule des plébéiens oisifs ou des clients qui sont venus s’y mêler. Une bande d’eunuques choisis, forment l’arrière-garde ; ils sont rangés par ordre, d’âge depuis les plus vieux jusqu’aux plus jeunes. Leur nombre et leur difformité font éprouver un motif d’horreur et d’indignation ; et les spectateurs maudissent la mémoire de Sémiramis, qui inventa l’art cruel de mutiler la nature, et de détruire, dès sa naissance, l’espoir de la génération suivante. Dans l’exercice de la juridiction domestique, les nobles de Rome montrent la plus délicate sensibilité pour toute injure qui leur est personnelle, et une indifférence dédaigneuse pour tout le reste du genre humain. Demandent-ils un vase d’eau chaude, si l’esclave tarde à l’apporter, trois cents coups de fouet le corrigent de sa lenteur ; mais si ce même esclave commet un meurtre volontaire, son maître observe avec douceur que c’est un fort mauvais sujet, et l’avertit que s’il récidive, il le fera punir comme il le mérite. Les Romains exerçaient autrefois la vertu de l’hospitalité : tout étranger, soit que ses titres fussent fondés sur le mérite ou sur le malheur, obtenait de leur générosité secours ou récompense. Qu’on introduise aujourd’hui un étranger, même d’une condition honnête, chez un de nos riches et orgueilleux sénateurs il sera, à la vérité, bien reçu à sa première visite, et même avec de si vives protestations d’amitié et des questions si obligeantes, qu’il se retirera enchanté de l’affabilité de son illustre ami, et désolé peut-être d’avoir différé si longtemps son voyage à la capitale, le centre de la politesse aussi bien que de l’empire. Assuré d’une réception gracieuse, il répète le lendemain sa visite, et s’aperçoit avec mortification que le sénateur a déjà oublié sa personne, son nom et son, pays. S’il a le courage de persévérer, il se trouve insensiblement classé dans le nombre des clients, et obtient la stérile permission de faire assidûment et inutilement sa cour à un patron également incapable de reconnaissance et d’amitié, qui daigne à peine remarquer sa présence, son départ ou son retour. Lorsque les hommes opulents préparent une fête publique et populaire[44], lorsqu’ils célèbrent avec un luxe et une profusion pernicieuse leurs banquets particuliers ; le choix des convives est l’objet d’une longue et pénible délibération. Les citoyens sobres, savants ou modestes, obtiennent rarement la préférence ; et les nomenclateurs, presque toujours dirigés par des motifs intéressés, insèrent adroitement dans la liste de l’invitation les noms obscurs des plus méprisables citoyens ; mais les compagnons les plus familiers des grands, ceux qu’ils chérissent le plus, ce sont ces parasites qui pratiquent effrontément le plus utile de tous les métiers, celui de l’adulation, qui applaudissent avec vivacité à chaque action, à chaque parole de leur immortel patron, qui contemplent avec ravissement les colonnes de marbre, les couleurs variées du pavé des appartements, et qui font continuellement l’éloge d’un faste et d’une élégance que celui auquel ils l’adressent est accoutumé à considérer comme une partie de son mérite personnel. Aux tables des Romains, les oiseaux, les loirs[45] ou les poissons dont la taille excède la grandeur ordinaire, excitent la plus sérieuse attention : on apporte des balances pour s’assurer du poids ; et, tandis que quelques convives, plus sensés détournent leurs regards de cette fastidieuse répétition, des notaires sont mandés et viennent dresser un procès-verbal de ce merveilleux événement. La profession de joueur est encore un moyen sûr de s’introduire dans la familiarité des grands. Les confédérés sont unis par un lied indissoluble d’attachement, ou plutôt par une sorte de conspiration ; et un degré de science supérieure dans l’art tessérarien (qu’on petit regarder comme le jeu de trictrac)[46] est un moyen sûr d’acquérir de l’opulence et de la réputation. Un maître de cet art sublime, qui, dans un souper ou dans une assemblée, se trouve placé au-dessous d’un magistrat, fait voir dans son maintien cette surprise et cette indignation qu’a pu éprouver Caton lorsqu’un peuple capricieux lui refusa son suffrage pour la préture. L’envie de s’instruire prend rarement à des nobles, qui abhorrent toute espèce de fatigue et méprisent tous les avantages de l’étude. Les satires de Juvénal, les verbeuses, et fabuleuses histoires de Marius Maximus, sont les seuls livres qu’ils se permettent de lire[47]. Les bibliothèques qu’ils ont héritées de leurs pères sont fermées comme des sépulcres, et le jour n’y pénètre jamais[48] ; mais ils font fabriquer pour leur usage de dispendieux instruments de théâtre, des flûtes, d’énormes lyres, des orgues hydrauliques et les palais de Rome retentissent sans cesse de la voix des chanteurs et du son des instruments. Dans ces palais, on préfère le son au bon sens ; et l’on s’occupe beaucoup plus du corps que de l’esprit. On y adopte pour maxime que le plus léger soupçon d’une maladie contagieuse est une excuse qui dispense les plus intimes amis de se rendre visite ; et si, dans ces occasions, l’on envoie par décence un domestique savoir des nouvelles, il ne rentre dans la maison qu’après s’être purifié par un bain. Cependant cette crainte égoïste et pusillanime cède, dans l’occasion, à l’avarice, passion plus impérieuse encore. L’espoir du moindre gain conduira jusqu’à Spolète un sénateur riche ; et l’espoir d’une succession ou même d’un legs fait disparaître l’arrogance et la fierté. Un citoyen riche et sans enfants est le plus puissant des Romains. Ils sont très experts dans l’art d’obtenir la signature d’un testament favorable, et même de hâter le moment de la jouissance. Il est arrivé que, dans la même maison, le mari et la femme ont appelé séparément chacun son notaire dans un appartement différent, et, dans la louable intention de se survivre l’un à l’autre, ont fait au même instant des dispositions tout à fait opposées. La détresse, qui est la suite et la punition d’un luxe extravagant, réduit souvent ces nobles orgueilleux aux plus honteux expédients. S’agit-il d’emprunter, ils deviennent bas et rampants comme l’esclave dans la comédie ; mais quand le malheureux créancier réclame son argent, ils prennent le ton tragique et impérieux des petits-fils d’Hercule ; si le demandeur les importune, ils obtiennent aisément d’un des vils agents de leurs plaisirs une accusation de poison ou de magie contre le créancier insolent, qui sort rarement de prison sans avoir donné quittance de toute la dette. Aux vices honteux dont les Romains sont infectés, se joint une superstition ridicule qui déshonore leur jugement. Ils écoutent avec crédulité les prédictions des aruspices, quel prétendent lire dans les entrailles d’une victime les signes de leur grandeur future et de leur prospérité ; il s’en trouve un grand nombre qui n’oseraient ni prendre le bain, ni dîner, ni paraître en public, avant d’avoir consulté avec soin selon les règles l’astrologie, la position de Mercure et l’aspect de la lune[49]. Il est assez plaisant de découvrir cette crédulité chez des sceptiques impies, qui osent nier ou révoquer en doute l’existence d’un pouvoir céleste.

Dans les villes très peuplées, où fleurissent le commence et les manufactures, les habitants de la classe mitoyenne, qui tirent leur subsistance du travail ou de l’adresse de leurs mains, et se produisent en plus grand nombre que les autres, sont les plus utiles et, en ce sens, les plus respectables de la société civile ; mais les plébéiens de Rome, qui dédaignaient les arts serviles et sédentaires avaient été écrasés, dès les premiers temps de la république, sous le poids des dettes et de l’usure, et le laboureur était forcé d’abandonner ses cultures durant le terme de son service militaire[50]. Les terres de l’Italie, originairement partagées entre plusieurs familles de propriétaires libres et indigents, passèrent insensiblement dans les mains avides de la noblesse romaine, qui tantôt les achetait et tantôt les usurpait. Dans le siècle qui précéda la destruction de la république, on ne comptait que deux mille citoyens qui possédassent une fortune indépendante[51]. Cependant, aussi longtemps que les suffrages du peuple conférèrent les dignités de l’État, le commandement des légions et l’administration des opulentes provinces, un sentiment d’orgueil servit à adoucir jusqu’à un certain point les rigueurs de la pauvreté, et le nécessiteux trouvait une ressource dans l’ambitieuse libéralité des candidats, cherchant par leurs largesses à s’assurer une majorité de suffrages dans les trente-cinq tribus, ou les cent quatre-vingt-treize centuries, dont le peuple de Rome était composé ; mais, lorsque les prodigues communes eurent imprudemment aliéné leur puissance et celle de leur postérité, elles n’offrirent plus, sous le règne des Césars, qu’une vile populace qui aurait été bientôt anéantie si elle n’avait été recrutée à chaque génération par la manumission des esclaves et l’affluence des étrangers. Dès le temps d’Adrien, les Romains de bonne foi reconnaissaient avec regret que la capitale avait attiré dans son sein tous les vices de l’univers et les mœurs des nations les plus opposées. L’intempérante des Gaulois, la ruse et l’inconstance des Grecs, la farouche opiniâtreté des Juifs et des Égyptiens, la basse soumission des Asiatiques et la dissolution efféminée des Syriens, se trouvaient réunies dans une multitude d’hommes qui, sous la vaine et fausse dénomination de Romains, dédaignaient leurs concitoyens et même leurs monarques parce qu’ils n’habitaient point dans l’enceinte de la cité éternelle[52].

Cependant on prononçait encore le nom de Rome avec respect, on souffrait avec indulgence les fréquents et tumultueux caprices de ses habitants ; et les successeurs de Constantin, au lieu d’anéantir les faibles restes de la démocratie par le despotisme de la puissance militaire, adoptèrent la politique modérée d’Auguste, et s’occupèrent de soulager l’indigence et de distraire l’oisiveté du peuple de la capitale[53]. 1° Pour la commodité des plébéiens paresseux, on substitua aux distributions de grains qui se faisaient tous les mois, une ration de pain que l’on délivrait tous des jours ; un grand nombre de fours furent construits et entretenus aux frais du public ; et à l’heure fixée, chaque citoyen, muni d’un billet, montait l’escalier qui avait été assigné à son quartier ou à sa division, et recevait, ou gratis, ou à très bas prix, un pain du poids de trois livres pour la subsistance de sa famille. 2° Les forêts de la Lucanie, dont les glands servaient à engraisser du gros bétail et des porcs sauvages[54], fournissaient, en manière de tribut, une grande abondance de viande saine et à bas prix. Durant cinq mois de l’année, on faisait aux citoyens pauvres une distribution régulière de porc salé ; et la consommation annuelle de la capitale, dans un temps où elle était déjà fort déchue de son ancienne splendeur, fut fixée et assurée par un édit de Valentinien III, à trois millions six cent vingt-huit mille livres[55]. 3° Les usages de l’antiquité faisaient de l’huile un besoin indispensable pour la lampe et pour le bain ; et la taxe annuelle imposée sur l’Afrique au profit de Rome, montait au poids de trois millions de livres, faisant à peu près trois cent mille bouteilles mesure anglaise. 4° Auguste, en apportant le plus grand soin à approvisionner sa capitale d’une quantité de grains suffisante, s’était borné à cet article de première nécessité ; et lorsque le peuple se plaignait de la cherté et de la rareté du vin, une proclamation de ce grave réformateur rappelait à ses sujets qu’aucun dieux ne pouvait se plaindre raisonnablement de la soif dans une ville où les aqueducs d’Agrippa distribuaient de tous côtés une si grande quantité d’eau pure et salutaire[56]. Cette sobriété sévère se relâcha insensiblement et, quoique le dessein qu’avait conçu la libéralité d’Aurélien[57] n’ait pas été exécuté, à ce qu’il parait, dans toute son étendue, on facilita beaucoup l’usage général du vin. Un magistrat d’un rang distingué avait l’administration des caves publiques, et une très grande partie des vendanges de la Campanie était réservée pour les habitants de la capitale.

Les admirables aqueducs, si justement célébrés par Auguste, remplissaient les thermœ ou bains construits dans tous les quartiers de la ville avec une magnificence impériale. Les bains de Caracalla, qui étaient ouverts à des heures fixes pour le servile des sénateurs et du peuple indistinctement, contenaient plus de seize cents sièges de marbre, et l’on en comptait plus de trois mille dans les bains de Dioclétien[58]. Les murs élevés des appartements étaient couverts de mosaïques qui imitaient la peinture par l’élégance du dessin et par la variété des couleurs. On y voyait le granit d’Égypte artistement incrusté du précieux marbre vert de la Numidie. L’eau chaude coulait sans interruption dans de vastes bassins, à travers de larges embouchures d’argent massif, et le plus obscur des Romains pouvait, pour une petite pièce de cuivre, se procurer tous les jours la jouissance d’un luxe fastueux capable d’exciter l’envie d’un monarque asiatique[59]. On voyait sortir de ces superbes palais une foule de plébéiens sales et déguenillés, sans manteau et sans souliers qui vaguaient toute la journée dans les rues ou dans le Forum pour apprendre des nouvelles, ou pour s’y quereller, qui perdaient dans un jeu extravagant ce qui aurait dû faire subsister leur famille, et passaient la nuit dans des tavernes ou dans des lieux infâmes, livrés aux excès de la plus grossière débauche[60].

Mais les amusements les plus vifs et les plus brillants de cette multitude oisive étaient les jeux du Cirque et les spectacles. La piété des princes chrétiens avait supprimé les combats de gladiateurs, mais les habitants de Rome, regardaient encore le Cirque comme leur demeure, comme leur temple, et comme le siège de la république. La foule impatiente courait, avant le jour pour en occuper les places ; et, quelques-uns même passaient la nuit avec inquiétude sous les portiques des environs. Depuis le levé de l’aurore jusqu’à la nuit, les spectateurs, quelquefois au nombre de trois ou quatre mille, indifférents à la pluie ou à l’ardeur du soleil, restaient les yeux fixés avec une aride attention sur les chars et sur leurs conducteurs, et l’air alternativement agitée de crainte et d’espérance pour le succès de la couleur à laquelle ils s’étaient attachés. A les voir, on aurait pu penser que l’événement d’une course devait décider du destin de la république[61]. Ils n’étaient pas moins impétueux dans leurs clameurs et dans leurs applaudissements, soit qu’on leur donnât le plaisir d’une chasse d’animaux sauvages, ou de quelque pièce de théâtre. Dans les capitales modernes, les représentations théâtrales peuvent être considérées comme l’école du bon goût et quelquefois de la vertu ; mais la muse tragique et comique des Romains, qui n’aspirait guère qu’à l’imitation du génie attique[62], était presque condamnée au silence depuis la chute de la république[63] ; et la scène fut occupée alors par des farces indécentes, une musique efféminée, ou par le spectacle d’une vaine pompe. Les pantomimes[64], qui soutinrent leur réputation depuis le temps d’Auguste jusqu’au sixième siècle, exprimaient, sans parler, les différentes fables des dieux de l’antiquité ; et la perfection de leur art, qui désarmait quelquefois la sévérité du philosophe, excitait toujours les applaudissements de la multitude. Les vastes et magnifiques théâtres de Rome avaient toujours à leurs gages trois mille danseuses et autant de chanteuses, avec les maîtres des différents chœurs. Telle était la faveur dont elles jouissaient, que, dans un temps de disette, le mérite d’amuser le peuple les fit excepter d’une loi qui bannissait tous les étrangers de la capitale, et qui fut si strictement exécutée, que les maîtres des arts libéraux ne purent obtenir d’en être dispensés[65].

On prétend qu’Élagabale eut l’extravagance de vouloir juger le nombre des habitants de Rome par la quantité des toiles d’araignées. Il eût été digne des plus sages empereurs d’employer à cette recherche des moyens moins ridicules. Ils auraient pu facilement résoudre une question si importante pour le gouvernement romain, si intéressante pour la postérité. On enregistrait exactement la mort et la naissance de tous les habitants et si quelqu’un des écrivains de l’antiquité avait daigné nous conserver le résultat de ces listes annuelles, ou simplement celui de l’année commune nous pourrions présenter un calcul satisfaisant qui détruirait probablement les assertions exagérées des critiques, et confirmerait peut être les conjectures plus modérées et plus probables des philosophes[66]. Les recherches les plus exactes à ce sujet n’ont pu fournir que les faits suivants, qui, bien qu’insuffisants, peuvent cependant jeter quelque jour sur la question de la population de l’ancienne Rome. 1° Lorsque la capitale de l’empire fut assiégée par les Goths, le mathématicien Ammonius mesura exactement l’enceinte de Rome, et trouva que la circonférence était de vingt et un milles[67]. On ne doit pas oublier, que le plan de la ville formait presqu’un cercle, et que cette figure géométrique est celle qui contient le plus d’espace dans une circonférence donnée. 2° L’architecte Vitruve, qui vivait du temps d’Auguste, et dont l’autorité a un grand poids dans cette occasion, observe que, pour que les habitations du peuple romain ne s’étendissent pas fort au-delà des limites de la ville ; le manque de terrain, probablement resserré de tous côtés par des jardins et des maisons de campagne, suggéra la pratique ordinaire, quoique incommode, d’élever les maisons à une hauteur considérable[68] : mais l’élévation de ces bâtiments, souvent construits à la hâte et avec de mauvais matériaux, occasionna des accidents fréquents et funestes ; et les édits d’Auguste et de Néron défendirent plusieurs fois d’élever les maisons des particuliers, dans l’enceinte de Rome, à plus de soixante-dix pieds du niveau des fondements[69]. 3° Juvénal[70] déplore, à ce qu’il paraîtrait, d’après sa propre expérience, les souffrances des citoyens malaisés auxquels il conseille de s’éloigner au plus vite de la fumée de Rome, et d’acheter, dans quelque petite ville de l’Italie, une maison commode, dont le prix n’excédera pas celui qu’ils paient annuellement pour occuper un galetas dans la capitale. Les loyers y étaient donc excessivement chers. Les riches sacrifiaient des sommes immenses à l’acquisition du terrain où ils construisaient leurs palais et leurs jardins. Mais le gros du peuple se trouvait entassé dans un petit espace, et les familles des plébéiens se partageaient, comme à Paris et dans beaucoup d’autres villes, les différents étages et les appartements d’une même maison. 4° On trouve dans la description de Rome, faite avec exactitude sous le règne de Théodose, que la totalité des maisons des quatorze quartiers de la ville montait à quarante-huit mille trois cent quatre-vingt-deux[71]. Les deux classes de domiciles comprenaient, sous le nom de domus et d’insulœ, toutes les habitations de la capitale, depuis le superbe palais des Aniciens avec les nombreux logements des affranchis et des esclaves, jusqu’à’ l’hôtellerie étroite et élevée où le poète Codrus occupait avec sa femme un misérable grenier, immédiatement sous les tuiles. En adoptant l’évaluation commune qu’on a cru pouvoir appliquer à la ville de Paris, où les habitants sont distribués à peu près de la même manière qu’ils l’étaient à Rome[72], et en s’accordant vingt-cinq personnes par maison de toute espèce, nous évaluerons les habitants de Rome à douze cent mille ; et ce nombre ne peut paraître excessif pour la capitale d’un puissant empire, quoiqu’il excède la population des plus grandes villes de l’Europe moderne[73].

Tel était l’état de Rome sous le règne d’Honorius, au moment où les Goths en formèrent le siège ou plutôt le blocus[74]. Par une disposition habile de sa nombreuse armée, qui, attendait avec impatience le moment de l’assaut, Alaric environna toute l’enceinte des murs, masqua les douze principales portes, intercepta toute communication avec les campagnes environnantes, et, fermant soigneusement la navigation du Tibre, priva les Romains de la seule ressource qui pût, maintenir l’abondance en leur procurant de nouvelles provisions. La noblesse et le peuple romain éprouvèrent d’abord un mouvement de surprise et d’indignation, en voyant un vil Barbare insulter à la capitale du monde ; mais le malheur abattit leur fierté. Trop lâches pour entreprendre de repousser un ennemi armé, ils exercèrent leurs fureurs sur une victime innocente et sans défense. Peut-être les Romains auraient-ils respecté dans la personne de Sérène la nièce du grand Théodose, la tante et la mère adoptive de l’empereur régnant ; mais ils détestaient la veuve de Stilichon, et ils adoptèrent avec une fureur crédule la calomnie qui accusait cette princesse d’entretenir une correspondance criminelle avec le monarque des Goths. Les sénateurs, séduits ou entraînés malgré eux par la frénésie populaire, prononcèrent l’arrêt de sa mort sans exiger aucune preuve de son crime. Sérène fuit ignominieusement étranglée ; et la multitude aveuglée s’étonna de ce que cette inique cruauté n’opérait pas sur-le-champ la délivrance de Rome et la retraite des Barbares. La disette commençait à se faire sentir dans la capitale, et ses malheureux habitants éprouvèrent bientôt toutes les horreurs de la famine. La distribution du pain fut réduite de trois livres à une demi-livre, ensuite à un tiers de livre, et enfin à rien ; le prix du blé s’élevait avec rapidité et dans une proportion exorbitante ; les citoyens indigents, hors d’état de se procurer les moyens de subsister, se voyaient réduits à solliciter les secours précaires de la charité des riches. L’humanité de Lœta[75], veuve de l’empereur Gratien, qui avait fixé sa résidence à Rome, adoucit quelque temps la misère publique, et consacra au soulagement de l’indigence l’immense revenu que les successeurs de son mari payaient à la veuve de leur bienfaiteur ; mais ces charités particulières ne suffirent pas longtemps aux besoins d’un grand peuple, et la calamité publique s’étendit jusque dans les palais de marbre des sénateurs eux-mêmes. Les riches des deux sexes, élevés dans les jouissances du luxe, apprirent alors combien peu demandait réellement la nature ; et ils prodiguèrent leurs inutiles trésors pour obtenir quelques aliments grossiers, dont, en des temps plus heureux, ils auraient dédaigneusement détourné leurs regards. La faim, tournée en rage, se disputait avec acharnement et dévorait avec avidité les aliments les plus faits pour révolter les sens et l’imagination, la nourriture la plus malsaine et même la plus pernicieuse. On a soupçonné quelques malheureux, devenus féroces dans leur désespoir, d’avoir secrètement massacré d’autres hommes pour satisfaire avidement leur faim dévorante ; et des mères, dit-on, (quel dut être le combat affreux des deux plus puissants instincts que la nature ait placés dans le cœur humain !), se nourrirent de la chair de leurs enfants égorgés[76]. Des milliers de Romains expirèrent d’inanition dans leurs maisons et dans les rues. Comme les cimetières publics, situés hors de la ville, étaient au pouvoir de l’ennemi, la puanteur qui s’exhalait d’un si grand nombre de cadavres restés sans sépulture infecta l’air ; et une maladie contagieuse et pestilentielle suivit et augmenta les horreurs de la famine. Les assurances répétées que donnait la cour de Ravenne de l’envoi d’un prompt et puissant secours, soutinrent quelque temps le courage défaillant des habitants de Rome. Privés enfin de toute espérance de secours humains, ils furent séduits par l’offre d’une délivrance surnaturelle. Les artifices ou la superstition de quelques magiciens toscans avaient persuadé à Pompeïanus, préfet de la ville, que, par la force mystérieuse des conjurations et des sacrifices, ils pouvaient extraire la foudre des nuages et lancer ces feux célestes dans le camp des Barbares[77]. On communiqua cet important secret à Innocent, évêque de Rome ; et le successeur de saint Pierre est accusé, peut-être sans fondement, de s’être relâché, pour le salut de la république de la sévérité des règles du christianisme : mais lorsqu’on agita cette question dans le sénat ; lorsqu’on exigea comme une clause essentielle que les sacrifices fussent célébrés dans le Capitole en présence, et sous l’autorité des magistrats, la majeure partie de cette respectable assemblée, craignant d’offenser ou Dieu ou l’empereur, refusa de participer à une cérémonie qui paraissait équivalente à la restauration du paganisme[78].

Il ne restait de ressource aux Romains que dans la clémence ou du moins dans la modération du roi des Goths. Le sénat, qui, dans ces tristes, circonstances, avait pris les rênes du gouvernement, envoya deux ambassadeurs. On confia cette commission importante à Basilius, Espagnol d’extraction, qui s’était distingué dans l’administration des provinces, et à Jean, le premier tribun des notaires, également propre à cette négociation par sa dextérité dans les affaires, et par son ancienne intimité avec le prince barbare. Admis en sa présence, ils déclarèrent, avec plus de hauteur peut-être que leur humble situation ne semblait le permettre, que les Romains étaient résolus de maintenir leur dignité, soit en paix, soit en guerre ; et que si Alaric refusait de leur accorder une capitulation honorable ; il pouvait donner le signal et se préparer à combattre une multitude de guerriers exercés aux armes et animés par le désespoir. Plus l’herbe est serrée, et mieux la faux mord, leur répondit laconiquement le roi des Goths, et, il accompagna cette rustique métaphore d’un éclat de rire insultant, qui annonçait son mépris pour les menaces d’un peuple énervé par le luxe avant d’avoir été épuisé par la famine. Il daigna stipuler la rançon qu’il exigeait pour se retirer des portes de Rome ; tout l’or et tout l’argent qui se trouvaient dans la ville, sans distinction de ce qui appartenait à l’État ou aux particuliers, tous les meubles de prix et tous les esclaves en état de prouver une origine barbare. Les députés du sénat se permirent de lui demander d’un ton modeste et suppliant : Ô roi ; si telles sont vos volontés, que comptez-vous donc laisser aux Romains ?La vie, répliqua l’orgueilleux vainqueur. Ils tremblèrent et se retirèrent. Avant leur départ, cependant, on convint d’une courte suspension d’armes qui facilita une négociation moins rigoureuse. L’esprit sévère d’Alaric se radoucit sensiblement ; il rabattit beaucoup de sa première demande, consentit enfin à lever le siège aussitôt qu’il aurait reçu cinq mille livres pesant d’or et trente mille livres pesant d’argent, quatre mille robes de soie, trois mille pièces, de fin drap écarlate, et trois mille livres de poivre[79]. Mais le trésor public était épuisé, et les calamités de la guerre interceptaient les revenus de tous les grands domaines de l’Italie et des provinces. Durant la famine on avait échangé l’or et les pierres précieuses contre les aliments les plus grossiers ; et l’avarice des citoyens s’obstinant à cacher leurs trésors, quelques restes des dépouilles consacrées offrirent la seule ressource qui demeurât encore à la ville pour éviter sa destruction. Dés que les Romans eurent satisfait à l’avidité d’Alaric, ils recommencèrent à jouir en quelque façon de la paix et de l’abondance. On ouvrit avec précaution plusieurs portes de la ville. Les Barbares laissèrent passer sans opposition les provisions sur la rivière et sur les chemins ; et les citoyens coururent en foule au marché, qui tint trois jours de suite dans les faubourgs. Tandis que les marchands s’enrichissaient à ce commerce lucratif, on assurait la subsistance future de la ville en remplissant de vastes magasins publics et particuliers. Alaric maintint, dans son camp une discipline plus exacte qu’on ne pouvait l’espérer ; et le prudent barbare prouva son respect pour la foi des traités par le châtiment sévère et juste d’un parti de Goths qui avait insulté des citoyens de Rome sur le chemin d’Ostie. Son armée, enrichie des contributions de la capitale, s’avança lentement dans la belle et fertile province de Toscane, où il se proposait de prendre ses quartiers d’hiver. Quarante mille esclaves barbares, échappés de leurs chaînes, se réfugièrent sous ses drapeaux, et aspirèrent à se venger, sous la conduite de leur libérateur, des souffrances et de la honte de leur servitude. Il reçut en même temps un renfort plus honorable de Goths et de Huns, qu’Adolphe[80], frère de sa femme, lui amenait, d’après ses pressantes invitations, des bords du Danube sur ceux du Tibre, et qui s’était fait un passage, avec quelque perte et quelque difficulté, à travers les troupes de l’empire, supérieures en nombre. Un chef victorieux qui joignait à l’audace d’un Barbare l’art et la discipline d’un général romain, se trouvait alors à la tête de cent mille combattants, et l’Italie ne prononçait qu’avec terreur et respect le formidable nom d’Alaric[81].

Dans un éloignement de quatorze siècles, nous devons nous contenter de raconter les exploits militaires des conquérants de Rome, sans prétendre discuter les motifs de leur conduite politique. Alaric sentait peut-être, au milieu de sa prospérité, quelque faiblesse cachée, quelque vice intérieur qui menaçait sa puissance, ou peut-être sa modération apparente ne tendait-elle qu’à désarmer les ministres d’Honorius en trompant leur complaisante crédulité. Alaric déclara plusieurs fois qu’il voulait être regardé comme l’ami de la paix et des Romains. Trois sénateurs se rendirent à sa pressante requête, comme ambassadeurs à la cour de Ravenne, pour solliciter l’échange des otages et la ratification du traité ; et les conditions qu’il proposa clairement, durant le cours des négociations, ne pouvaient faire soupçonner sa sincérité que par une modération qui semblait peu convenir à l’état de sa fortune. Alaric aspirait encore au rang de maître général des armées de l’Occident. Il stipulait un subside annuel en grains et en argent, et choisissait les provinces de Dalmatie, de Norique et de Vénétie, pour l’arrondissement de son nouveau royaume, qui l’aurait rendu maître de la communication importante entre l’Italie et le Danube. Alaric paraissait disposé, en cas que ces demandes modestes fussent rejetées, à renoncer au subside pécuniaire, et à se contenter même de la possession de la Norique, province dévastée, appauvrie et continuellement exposée aux incursions des Germains[82] ; mais toute espérance de paix fût anéantie par l’obstination aveugle ou par les vues intéressées du ministre Olympius. Sans écouter les sages remontrances du sénat, il renvoya les ambassadeurs sous une escorte militaire, trop nombreuse pour une suite d’honneur, et trop faible pour une armée défensive. Six mille Dalmatiens, la fleur des légions impériales, avaient ordre de marcher de Ravenne à Rome à travers un pays ouvert, occupé par la redoutable multitude des Barbares. Ces braves légionnaires environnés et trahis, payèrent de leur vie l’imprudence du ministère : Valens, leur général, se sauva du champ de bataille suivi de cent soldats ; et un des ambassadeurs, qui n’était plus autorisé à réclamer la protection du droit des gens, se vit réduit à racheter sa liberté au prix de trente mille pièces d’or. Cependant Alaric, au lieu de s’offenser de cette impuissante hostilité, renouvela ses propositions de paix, et la seconde ambassade du sénat romain, soutenue et relevée par la présence d’Innocent, évêque de Rome, évita les dangers de la route par la protection d’un détachement de l’armée des Barbares[83].

Olympius[84] aurait peut-être encore insulté longtemps au juste ressentiment d’un peuple, qui l’accusait hautement d’être l’auteur des calamités publiques ; mais les intrigues secrètes du palais minaient sourdement sa puissance. Les eunuques favoris firent passer le gouvernement d’Honorius et de l’empire à Jovius, préfet du prétoire, serviteur sans aucun mérite, qui ne compensa point par la fidélité de son attachement les fautes et les malheurs de son administration. L’exil ou la fuite du coupable Olympius le réservèrent à de nouvelles vicissitudes de fortune ; il fut quelque temps exposé à tous les incidents d’une vie errante et obscure, remonta ensuite au faîte des grandeurs, tomba une seconde fois dans la disgrâce, et eut les oreilles coupées ; il expira enfin sous les coups de fouet, et son supplice ignominieux offrir un doux spectacle au ressentiment des amis de Stilichon. Après la retraite d’Olympius, dont un des vices était le fanatisme religieux, les hérétiques et les païens furent délivrés de la proscription impolitique qui les excluait de toutes les dignités de l’État. Le brave Gennerid, soldât d’extraction barbare[85], qui suivait encore le culte de ses ancêtres, avait été forcé de quitter le baudrier militaire ; et, quoique l’empereur l’eût assuré plusieurs fois lui-même, que les hommes de son rang et de son mérite ne devaient point se regarder comme compris dans la loi, il refusa toute dispense particulière, et persévéra dans une disgrâce honorable, jusqu’au moment où il arracha à l’embarras du gouvernement romain un acte de justice générale. La conduite de Gennerid dans la place importante de maître général de la Dalmatie, de la Pannonie, de la Norique et de la Rhétie, qui lui fut donnée ou rendue, sembla ranimer la discipline et l’esprit de la république. Les troupes oisives et manquant de tout, reprirent leurs exercices et retrouvèrent en même temps une subsistance assurée ; et sa générosité suppléa souvent aux récompenses que leur refusait l’avarice ou la pauvreté de la cour de Ravenne. La valeur de Gennerid, redoutée des Barbares voisins, devint le plus ferme boulevard de la frontière d’Illyrie, et ses soins vigilants procurèrent à l’empire un renfort de dix mille Huns qui vinrent des confins de l’Italie, suivis d’un tel convoi de munitions et de bœufs et de moutons, qu’ils auraient suffi, non seulement pour la marche d’une armée, mais pour l’établissement d’une colonie. Mais la cour et les conseils d’Honorius offraient toujours le spectacle de la faiblesse, de la division, de la corruption et de l’anarchie. Les gardes, excités par le préfet Jovius, se révoltèrent, et demandèrent la tête de deux généraux et des deux principaux eunuques. Les généraux, trompés par une promesse perfide de leur sauver la vie, furent envoyés à bord d’un vaisseau et exécutés secrètement, tandis que la faveur dont jouissaient les eunuques leur procura un exil commode et sûr à Milan et à Constantinople. L’eunuque Eusèbe et le Barbare Allobich succédèrent au commandement de la chambre et des gardes, et ces ministres subordonnés périrent tous deux victimes de leur mutuelle jalousie. Par les ordres insolents du comte des domestiques, le grand chambellan expira sous les baguettes en présenté de l’empereur étonné ; et lorsque, peu de temps après, Allobich fut assassiné au milieu d’une procession publique, Honorius fit paraître pour la première fois de sa vie quelques lueurs de courage et de ressentiment ; mais, avant de succomber, Eusèbe et Allobich avaient contribué, pour leur part, à la chute de l’empire, en arrêtant la conclusion du traité que, par des motifs personnels et peut-être coupables, Jovius avait négocié avec Alaric dans une entrevue sous les murs de Rimini. Durant l’absence de Jovius, l’empereur se laissa persuader de prendre un ton de hauteur et de dignité inflexible qui ne convenait ni à sa situation, ni à son caractère. Il fit expédier en son nom une lettre au préfet du prétoire, qui lui accordait la permission de disposer des richesses publiques, mais par laquelle Honorius refusait dédaigneusement de prostituer les honneurs militaires de l’empire aux orgueilleux désirs d’un Barbare. On communiqua imprudemment cette lettre à Alaric ; et le roi des Goths, qui s’était comporté avec décence et modération durant tout le cours de la négociation, exhala dans les termes les plus outrageants un vif ressentiment contre ceux qui insultaient si gratuitement sa personne et sa nation. Les conférences de Rimini furent brusquement rompues, et le préfet Jovius se vit forcé, à son retour à Ravenne, d’adopter et même d’encourager les opinions alors en faveur à la cour. Les principaux officiers de l’État et de l’armée furent obligés, d’après son avis et par son exemple, de jurer que sans égard aux circonstances, sans écouter aucune condition de paix, ils continueraient une guerre perpétuelle et implacable contre l’ennemi de la république. Cet imprudent engagement mit un obstacle insurmontable à toute nouvelle négociation. On entendit déclarer aux ministres d’Honorius que, s’ils n’avaient invoqué dans leur serment que le nom de la Divinité, ils pourraient encore consulter l’intérêt de la sûreté publique, et se confier à la miséricorde du Tout-Puissant ; mais qu’ayant juré par la tête sacrée de l’empereur, qu’ayant touché de la main, dans une cérémonie solennelle, le siège auguste de la sagesse et de la majesté ; ils s’exposeraient, en violant leur engagement aux peines temporelles du sacrilège et de la rébellion[86].

Tandis que l’orgueil opiniâtre de l’empereur et de sa cour se soutenait à l’abri des fortifications et des marais impénétrables de Ravenne, ils abandonnaient Rome sans défense au ressentiment d’Alaric. Telle était encore cependant la modération réelle ou affectée du roi des Goths que tandis qu’il s’avançait avec son armée le long de la voie Flaminienne, il envoya successivement les évêques des différentes villes d’Italie pour réitérer ses offres de paix, et conjurer l’empereur de sauver Rome et ses habitants des flammes et du fer des Barbares[87]. La ville évita cette affreuse calamité, non par la sagesse d’Honorius, mais par le prudence, ou par l’humanité du roi des Goths, qui se servi, pour s’emparer de Rome, d’un moyen plus doux, mais non moins efficace. Au lieu d’assaillir la capitale, il dirigea ses efforts contre le pont d’Ostie, un des plus étonnants ouvrages de la magnificence romaine[88]. Les accidents auxquels la subsistance précaire de la capitale était continuellement exposée en hiver par les dangers de la navigation, avaient suggéré au génie du premier des Césars l’utile dessein qui s’exécuta sous le règne de l’empereur Claude. Les môles artificiels qui en formaient la passe étroite, s’avançaient dans la mer et repoussaient victorieusement la violence des vagues, tandis que les plus gros vaisseaux étaient en sûreté à l’ancre dans trois bassins vastes et profonds, qui recevaient la branche septentrionale du Tibre à environ deux milles de l’ancienne colonie d’Ostie[89]. Le port des Romains était insensiblement devenu une ville épiscopale[90], où l’on déposait les grains de l’Afrique dans de vastes greniers pour l’usage de la capitale. Dès qu’Alaric se fut rendu maître de cette place importante, il somma les Romains de se rendre à discrétion, en leur déclarant que sur leur refus, ou, même sur leur délai, il ferait détruire à l’instant les magasins d’où dépendit la subsistance de leur ville. L’orgueil du sénat fut contraint de céder aux clameurs du peuple et à la terreur de la famine. Il consentit à placer, un nouvel empereur sur le trône du méprisable Honorius, et le suffrage du victorieux Alaric donna la pourpre à Attale, préfet de la ville. Ce monarque reconnaissant nomma son protecteur maître général des armées de l’Occident. Adolphe, avec le rang de comte des domestiques, obtint la garde, de la personne du nouvel empereur ; et les deux nations semblèrent réunies par l’alliance et par l’amitié[91].

Les portes de la ville s’ouvrirent, et Attale se rendit, environné d’un corps de Barbares, au milieu d’une pompe tumultueuse, au palais d’Auguste et de Trajan. Après avoir distribué à ses favoris et à ses partisans les honneurs civils et militaires ; le nouveau monarque convoqua une assemblée du sénat, où il annonça, dans un discours grave et pompeux ; le dessein de rétablir la majesté de la république, et de réunir les provinces de l’Égypte et de l’orient, auxquelles Rome avait si longtemps donné des lois. Ces promesses extravagantes, faites par un usurpateur sans expérience et sans talents, pour la guerre, excitèrent le mépris de tous les citoyens sensés, qui regardaient son élévation comme l’injure la plus humiliante que l’arrogance des Barbares eût encore osé faire à la république ; mais la populace applaudissait avec sa légèreté ordinaire à un changement de maître, et le mécontentement public favorisait le rival d’Honorius. Les sectaires, persécutés par ses édits, espéraient trouver un appui, ou du moins quelque indulgence chez un prince qui, né en Ionie, avait été élevé dans la religion païenne, et qui avait depuis reçu le baptême des mains d’un évêque arien[92]. Les commencements du règne d’Attale s’annoncèrent d’une manière favorable. On envoya un officier de confiance avec un faible corps de troupes, pour assurer l’obéissance de l’Afrique. Presque tonte l’Italie céda à la terreur qu’inspiraient les armes des Barbares ; la ville de Bologne se défendit avec opiniâtreté et avec succès ; mais le peuple de Milan, irrité peut être de l’absence d’Honorius, accepta avec acclamation le choix du sénat. A la tête d’une armée formidable, Alaric conduisit son captif couronné presque jusqu’aux portes de Ravenne ; et une ambassade des principaux ministres, de Jovius, préfet du prétoire, de Valens, maître de la cavalerie et de l’infanterie du questeur Potamius et de Julien, le premier des notaires, se rendit au camp des Goths. Ils offrirent, au nom de leur souverain, de reconnaître pour légitime l’élection son compétiteur et de partager entre les deux empereurs les provinces de l’Italie et de l’Occident. Leurs propositions furent rejetées avec mépris ; et Attale, affectant une clémence plus insultante que le refus, daigna promettre que si Honorius avait la sagesse de renoncer volontairement à la pourpre, il lui permettrait de .passer tranquillement le reste de sa vie dans quelque île éloignée[93]. La situation du fils de Théodose paraissait en effet si désespérée à ceux qui connaissaient le mieux ses forces et ses ressources, que Jovius et Valens, son ministre et son général, trahirent sa confiance, désertèrent indignement la cause expirante de leur bienfaiteur, et vouèrent à son heureux rival leurs infidèles services. Effrayé de ces exemples de trahison, Honorius tremblait à l’approche de tous ses serviteurs, à l’arrivée de tous les messagers. Il craignait sans cesse que quelque ennemi secret ne se glissât dans sa capitale, dans son palais et jusque dans son appartement ; il tenait des vaisseaux prêts dans le port de Ravenne, pour le transporter, au besoin, dans les États de son neveu, l’empereur d’Orient.

Mais il existe, dit l’historien Procope, une Providence[94], qui protégé l’innocence et la sottise ; et elle ne pouvait raisonnablement refuser son secours à Honorius. Au moment où, incapable d’une entreprise sage ou hardie, il méditait une fuite honteuse, un renfort de quatre mille vétérans entra dans le port de Ravenne. L’empereur confia la garde des murs et des portes de la ville à ces braves étrangers, dont la fidélité n’était point corrompue par les intrigues de la cour ; et son sommeil cessa d’être troublé par la crainte d’un danger intérieur et imminent. Les nouvelles favorables qui arrivèrent d’Afrique changèrent l’opinion publique et l’état élus affaires. Les troupes et les officiers envoyés par Attale dans cette province avaient été défaits et massacrés. Le zèle actif d’Héraclien maintenait l’obéissance des peuples soumis à son gouvernement. Il envoya une somme d’argent considérable pour assurer la fidélité des gardes impériales ; par sa vigilance à arrêtée l’exportation d’huile et de grains, Rome éprouva la famine et le mécontentement du peuple fit naître le tumulte et les séditions. Le mauvais succès de l’expédition d’Afrique devint la source de plaintes mutuelles, et de récriminations entre les partisans d’Attale. Son protecteur se dégoûta insensiblement d’un prince qui manquait de talents, pour commander, et de docilité pour obéir. Il adoptait les mesures les plus imprudentes sans en donner connaissance, à Alaric, ou même contre son avis ; et, le refus que le sénat fit d’admettre cinq cents Barbares au nombre des troupes qui s’embarquèrent, annonça une méfiance aussi imprudente dans la circonstance qu’elle était d’ailleurs peu généreuse, Jovius, nouvellement élevé au rang de patrice ; enflamma par ses artifices le ressentiment du roi des Goths, et, voulut ensuite excuser cette double perfidie en assurant qu’il n’avait feint d’abandonner le service d’Honorius que pour détruire plus facilement le parti de son rival. Dans une vaste plaine, auprès de Rimini, et en présence d’une multitude innombrable de Romains et de Barbares, Attale fut publiquement dépouillé de la pourpre et du diadème. Alaric envoya ces ornements de la royauté au fils de Théodose, en signe de paix et d’amitié[95]. Ceux des officiers qui rentrèrent dans le devoir reprirent leurs emplois, et le repentir le plus tardif ne resta point sans récompense ; mais l’empereur dégradé, moins sensible à la .hante qu’au désir de conserver sa vie, demanda la permission de marcher dans le camp des Goths à la suite d’un Barbare hautain et capricieux[96].

La déposition d’Attale faisait cesser le seul obstacle réel qui pût s’opposer à la conclusion de la paix ; et Alaric s’avança jusqu’à trois milles de Ravenne, pour fixer l’irrésolution des ministres impériaux, dont ce retour de fortune avait ranimé l’insolence. Il apprit avec indignation que Sarus, un des chefs des Goths et son riyal ennemi personnel d’Adolphe et animé d’une haine héréditaire contre la maison des Balti, était reçu dans le palais. A la tête de trois cents guerriers, cet intrépide Barbare sortit des portes de Ravenne, surprit et tailla en pièces un nombreux corps de Goths, rentra dans la ville en triomphe et obtint la permission d’insulter son adversaire par un héraut, qui annonça publiquement que le crime d’Alaric le rendait irrévocablement indigne de l’alliance et de l’amitié de l’empereur[97]. Les calamités de Rome expièrent, pour la troisième fois, les fautes et l’extravagance de la cour de Ravenne. Le roi des Goths, ne dissimulant plus le désir du pillage et de la vengeance, parut sons les murs de Rome à la tête de son armée et le sénat tremblant se prépara, sans espoir de secours, à retarder du moins, par une résistance désespérée, la destruction de la capitale ; mais on ne put défendre Rome contre la secrète conspiration des esclaves et des domestiques, que la naissance ou l’intérêt attachait au parti des Barbares. A minuit, ils ouvrirent sans bruit la porte Salarienne, et les habitants se réveillèrent au bruit redouté de la trompette des Goths. Onze cent soixante-trois ans après la fondation de Rome, cette cité impériale, qui avait soumis et policé la plus grande partie de la terre, fut livrée à la fureur effrénée des Scythes et des Germains[98].

Cependant la proclamation d’Alaric, au moment où il pénétra en vainqueur dans la ville, fit voir qu’il n’était point déjà dépourvu des sentiments de religion et d’humanité. En encourageant ses soldats à s’emparer sans scrupule des biens qui devenaient le prix de leur valeur, et à s’enrichir des dépouilles d’un peuple opulent et efféminé, il leur recommanda d’épargner la vie des citoyens désarmés, et de respecter les églises des saints apôtres, de saint Pierre et de saint Paul comme des asiles et des sanctuaires inviolables. Au milieu des horreurs d’un tumulte nocturne, plusieurs Goths firent admirer le zèle d’une conversion récente ; et les écrivains ecclésiastiques rapportent, et peut-être avec quelques embellissements, plusieurs exemples de leur piété et de leur modération[99]. Tandis que les Barbares parcouraient la ville pour satisfaire leur avidité, un de leurs chefs força la maison d’une vierge âgée qui avait dévoué sa vie au service des autels. Il lui demanda sans lui faire aucune insulte, tout l’or et tout l’argent qu’elle possédait, et fut étonné de la complaisance avec laquelle cette vierge le conduisit à un endroit ou se trouvaient cachés un grand nombre de vases d’or et d’argent massif du travail le plus exquis. Le Barbare, saisi de joie et d’admiration, contemplait la riche proie qu’il venait d’acquérir, lorsque la vénérable gardienne le reprit gravement en ces termes : Ces vases consacrés appartiennent à saint Pierre ; si vous osez y toucher, c’est sur vous que tombera le sacrilège : quant à moi, je n’ose point garder ce que je ne suis pas en état de défendre. Le capitaine des Goths, saisi d’une frayeur religieuse, fit savoir, à son roi ce qu’il venait de découvrir, et Alaric lui envoya l’ordre de transporter, sans dommage et sans délai, tous les vases et tous les ornements consacrés dans l’église de Saint Pierre. Une pieuse procession de soldats goths, portant dévotement sur leur tête les vases d’or et d’argent, parcourut, à travers les principales rues de Rome, la longue distance qui se trouve entre l’extrémité du mont Quirinal et le Vatican ; ils marchaient environnés et protégés par un fort détachement de leurs compatriotes en ordre de bataille, l’épée à la main, et mêlant leurs cris de guerre aux chants de la psalmodie religieuse. Une foule de chrétiens sortaient des maisons voisines pour suivre cette édifiante procession, et des fugitifs, de tout âge, de tout rang, et même de toutes les sectes, eurent le bonheur de se sauver dans le sanctuaire protecteur de l’église du Vatican. Saint Augustin composa son savant ouvrage sur la Cité de Dieu pour justifier les voies de la Providence dans la destruction de la grandeur romaine. Il célèbre particulièrement ce mémorable triomphe du Christ, et insulte ses adversaires en les défiant de lui citer un exemple d’une ville prise d’assaut, où les divinités fabuleuses de l’antiquité aient été capables de se sauver elles-mêmes ou de protéger leurs crédules prosélytes[100].

C’est avec justice qu’on applaudit à de rares et extraordinaires exemples de vertus donnés par les Barbares dans le sac de Rome ; mais l’enceinte sacrée du Vatican et les églises des apôtres ne pouvaient contenir qu’une petite portion du peuple romain. Des milliers de soldats, et principalement les Huns qui suivaient les drapeaux d’Alaric, ne connaissaient ni la foi ni peut-être le nom du Christ ; et nous pouvons même présumer, sans manquer à la charité ou à la bonne foi, que dans ces moments de licence et de désordre, où les passions enflammées avaient la force de se satisfaire les Goths chrétiens ne se conduisirent pas tous selon les préceptes de l’Évangile. Les écrivains les plus disposés à exagérer leur clémence, avouent qu’un grand nombre de Romains furent massacrés[101], et que les rues étaient remplies de cadavres que la consternation générale laissait sans sépulture. Le désespoir des citoyens se changeait quelquefois en fureur ; et lorsque les Barbares éprouvaient la moindre résistance, le châtiment s’étendait jusque sur le faible et sur l’innocent désarmé. Quarante mille esclaves, exercèrent, sans pitié et sans remords, leur vengeance personnelle ; et les traitements ignominieux qu’ils avaient reçus furent expiés par le sang des familles les plus coupables ou les plus accusées de cruauté envers eux. Les matrones et les vierges de Rome essuyèrent des insultes plus affreuses pour la chasteté que la mort même ; et l’historien ecclésiastique nous a conservé d’une d’entre elles un exemple de vertu qu’il offre à l’admiration de la postérité[102]. Une dame romaine, d’une grande beauté et d’une piété orthodoxe, avait enflammé par sa vue les désirs impétueux d’un jeune barbare, que Sozomène a grand soin de nous faire connaître pour un arien. Irrité de sa résistance, il tira son épée, et, avec la colère d’un amant, lui fit au cou une blessure légère. L’héroïne vit couler son sang, mais n’en continua pas moins à braver le ressentiment et à repousser les entreprises de son ravisseur, qui renonçant enfin à d’inutiles efforts, la conduisit respectueusement dans le sanctuaire du Vatican : il donna même six pièces d’or aux gardes de l’église, à condition qu’ils la rendraient à son mari sans lui faire la moindre insulte. Ces traits de courage et de générosité ne se multiplièrent pas à un certain point. La brutale lubricité des soldats consulta peu les devoirs et l’inclination de leurs captives, et les casuistes agitèrent sérieusement une question assez singulière. Il s’agissait de décider si les victimes violées, malgré leurs efforts pour s’en défendre, avaient perdu, par un crime commis sans leur consentement, la glorieuse couronne de la virginité[103]. Les Romains essuyèrent des pertes d’un genre moins arbitraire et d’un intérêt plus général. On ne peut supposer que tous les Barbares fussent continuellement disposés au crime du viol ; et le manque de jeunesse, de beauté ou de chasteté, mettait beaucoup de Romaines à l’abri de la violence : mais l’avarice est une passion universelle et insatiable, dont les succès peuvent procurer toutes les sortes de jouissances que les hommes sont capables de désirer. Dans le pillage de Rome, l’or et les diamants obtinrent une juste préférence, comme offrant une plus grande valeur que tous les autres objets sous un volume et un poids beaucoup moins considérables ; mais lorsque les plus diligents eurent enlevé ces richesses portatives, on en vint bientôt à dépouiller brutalement les palais de leurs magnifiques et coûteux ameublements. L’argenterie et les robes de pourpre et de soie étaient jetées en tas dans les chariots qui suivaient l’armée des Goths ; les plus parfaits chefs-d’œuvre de l’art étaient brisés par maladresse ou détruits par plaisir. On fondit des statues pour en retirer le métal ; et plus d’une fois, dans le partage du butin, des vases furent mis en morceaux d’un coup de hache d’armes. L’acquisition de ces richesses ne servit qu’à enflammer l’avidité des Barbares, et ils employaient les menaces, les mauvais traitements et les fortunes, pour forcer les citoyens à découvrir l’endroit qui recélait leurs trésors[104]. L’apparence du luxe et de la dépensé leur faisait supposer une grande fortune, et ils attribuaient l’apparence de la pauvreté à l’avarice ou à l’économie. L’obstination avec laquelle quelques Romains avaient souffert les traitements les plus cruels avant de trahir le dépôt de leurs richesses, devint funeste à des malheureux que les Barbares faisaient expirer sous les coups de fouet pour les forcer à déclarer des trésors imaginaires. Les Goths détruisirent ou mutilèrent quelques édifices de Rome, mais le dommage a été fort exagéré. En entrant par la porte Salarienne, ils mirent le feu aux premières maisons pour éclairer leur marche et distraire l’attention des citoyens. Les flammes, que personne ne s’occupait d’éteindre, consumèrent pendant la nuit des bâtiments publics et particuliers ; et les ruines du palais de Salluste[105] offraient encore, du temps de Justinien, un vaste monument des fureurs et de l’incendie des Goths[106]. Cependant un historien de ce siècle a observé que le feu pouvait difficilement consumer des couvertures et des poutres de cuivre massif, et que les efforts des hommes étaient insuffisants pour détruire les fondements des anciens édifices. Peut-être sa dévote assertion n’est-elle pas tout à fait dénuée de vérité, lorsqu’il affirme que la colère du ciel suppléa à la faiblesse des Barbares, et que la foudre réduisit en poussière le Forum de Rome et les statues des dieux et des héros dont il était décoré[107].

Quel que puisse être le nombre des plébéiens ou des membres de l’ordre équestre, qui perdirent la vie dans les massacres de Rome, on assure qu’un seul sénateur périt par le fer des Barbares[108] ; mais il n’est pas aisé de calculer la multitude de ceux qui, d’un état aisé et honorable, furent réduits en un instant à la situation cruelle de captifs et d’exilés : Comme l’argent était pour les Barbares d’un usage beaucoup plus utile que les esclaves, ils fixèrent la rançon de leurs prisonniers indigents à un prix modique, souvent payé par leurs amis ou par la bienfaisance des étrangers[109]. Les captifs vendus en plein marché ou par convention particulière, auraient pu reprendre légalement leur liberté, qu’un citoyen ne pouvait ni perdre ni aliéner[110] ; mais on sentit bientôt qu’en usant de ce droit, les Romains courraient risque de leur vie, et que les Goths, en perdant l’espoir de vendre des prisonniers qui leur étaient inutiles, pourraient être tentés de les massacrer. Un règlement sage dans la circonstance avait déjà modifié la jurisprudence civile, en ordonnant qu’ils seraient esclaves durant cinq ans pour acquitter, par leurs travaux, le prix de leur rançon[111]. Les nations qui envahirent l’empire romain avaient chassé devant elles, en Italie, une multitude d’habitants de provinces affamés et tremblants, et redoutant plus la famine que l’esclavage. Les calamités de Rome et de l’Italie, firent chercher à leurs habitants les refuges les plus sûrs, les plus éloignés et les plus solitaires. Tandis que la cavalerie des Goths répandait la terreur et la dévastation sur les côtes de la Campanie et de la Toscane, la petite île d’Igilium, séparée par un canal étroit du promontoire Argentarien, repoussa ou éluda leurs attaques ; et à une si petite distance de Rome, une foule de citoyens trouvèrent leur sûreté dans les forêts de ce canton écarté[112]. Les vastes patrimoines qu’un grand nombre de sénateurs possédaient en Afrique, offrirent un asile à ceux qui eurent le temps et la prudence de fuir la désolation de leur patrie. Parmi ces fugitifs, on remarqua surtout, la noble et pieuse Proba[113], veuve du préfet Petronius. Après la mort de son mari, le plus puissant des sujets de Rome, elle était demeurée à la tête de la famille Anicienne, et avait défrayé de sa fortune particulière les dépendes des consulats de ses trois fils. Lorsque les Goths assiégèrent et emportèrent la capitale, Proba, supportant avec une résignation chrétienne la perte de ses immenses richesses, s’embarqua dans un petit vaisseau, d’où elle vit, en naviguant, les flammes qui consumaient son magnifique palais. Elle se réfugia sur les côtes d’Afrique, accompagnée de sa fille Læta et de sa petite-fille, vierge célèbre, connue sous le nom de Demetrias. La générosité avec laquelle cette respectable matrone distribua les revenus et le prix de ses domaines, adoucit l’infortune des exilés et des captifs ; mais la famille même de Proba ne fut point à l’abri de l’avide oppression du comte Héraclien, qui, par un honteux trafic, prostituait aux désirs ou aux vues intéressées des marchands de Syrie l’alliance des plus nobles filles des familles romaines. Les Italiens fugitifs se dispersèrent dans les provinces le long des côtes de l’Égypte et de l’Asie, jusqu’à Constantinople et Jérusalem ; et la ville de Bethléem, la résidence solitaire de saint Jérôme et de ses nouvelles converties, se trouva rempli d’illustres mendiants, des deux sexes et de tous les âges, qui excitaient la compassion par le souvenir de leur ancienne opulence[114]. L’affreuse catastrophe de Rome répandit dans tout l’empire la crainte et la douleur. Le contraste touchant de la grandeur et de la misère disposait le peuple à exagérer le malheur de la reine des cités. Le clergé, qui appliquait aux événements récents les métaphores orientales des prophètes, était quelquefois tenté de confondre la destruction de la capitale avec la dissolution du globe.

Il existe chez tous les hommes un penchant à se grossir les malheurs du temps où ils vivent, et à en dissimuler les avantages. Cependant, lorsque le calme fut un peu rétabli, les plus savants et les plus judicieux des écrivains contemporains furent obligés d’avouer que le dommage réel occasionné par les Goths était fort au-dessous de celui que Rome avait souffert dans son enfance[115], lorsque les Gaulois s’en étaient emparés. L’expérience de onze siècles a fourni à la postérité un parallèle bien plus singulier ; et elle peut affirmer avec confiance que les ravages des Barbares, qu’Alaric conduisit des bords du Danube en Italie, furent bien moins funestes à la ville de Rome que les hostilités exercées dans cette même ville par les troupes de Charles-Quint, qui s’intitulait prince catholique et empereur des Romains[116]. Les Goths évacuèrent la ville au bout  de six jours ; mais Rome, fut, durant neuf mois, la victime des impériaux, et chaque jour, chaque heure était marquée par quelque acte abominable de cruauté, de débauche ou de rapine. L’autorité d’Alaric mettait quelques bornes à la licence de cette multitude farouche qui le reconnaissait pour son chef et son monarque ; mais le connétable de Bourbon avait glorieusement perdu la vie à l’attaque des murs, et la mort du général ne laissait plus aucun frein ni aucune discipline dans une armée composée de trois nations différentes, d’Italiens, d’Allemands et d’Espagnols. Dans le commencement du seizième siècle les mœurs de l’Italie présentaient le modèle le plus accompli de la dépravation humaine, et la réunion des crimes sanguinaires des nations sauvages aux vices qui naissent parmi les nations civilisées de l’abus du luxe et des arts. Les aventuriers qui, oubliant tous les sentiments du patriotisme et les préjugés de la superstition, assaillirent le palais du pontife romain, doivent être considérés comme les plus scélérats des Italiens. A cette époque, les Espagnols étaient la terreur de l’Ancien et du Nouveau Monde : mais un orgueil farouche, une avide rapacité, une cruauté implacable ternissaient l’éclat de leur haute valeur. Infatigables à la poursuite de l’or et de la renommée, ils avaient perfectionné, par la pratique, les méthodes les plus féroces de torturer leurs prisonniers. Parmi les Castillans qui pillèrent Rome, il se trouvait sans doute des familiers de l’inquisition, et peut-être quelques volontaires nouvellement arrivés du Mexique. Les Allemands étaient moins corrompus que les Italiens, moins cruels que les Espagnols et l’aspect rustique ou même sauvage de ces guerriers ultramontains déguisait souvent un caractère facile et compatissant : mais, dans la première ferveur d’une réformation récente, ils avaient adopté l’esprit aussi bien que les principes de Luther. Ils se plaisaient à insulter les catholiques et à détruite les objets consacrés aux cérémonies de leur religion ; ils se livraient sans remords et sans pitié à leur pieuse haine contre le clergé de toutes les classes et de toutes les dénominations, qui compose la plus grande partie des habitants de Rome moderne, et leur zèle fanatique aspirait peut-être à renverser le trône de l’antéchrist, pour purifier par le feu et par le sang les abominations de la Babylone spirituelle[117].

La retraite des Goths victorieux, qui évacuèrent Rome le sixième jour[118], pouvait être motivée par la prudence ; mais elle ne fut probablement pas l’effet de la crainte[119]. A la tête d’une armée chargée de riches et pesantes dépouilles, l’intrépide Alaric s’avança, le long de la voie Appienne, dans les provinces méridionales de l’Italie, détruisant tout ce qui osait s’opposer à son passage et se contentant de piller les pays qui ne lui offraient aucune résistance. Nous ignorons quel fût le sort de Capoue, l’orgueilleuse et voluptueuse capitale de la Campanie, qui, bien que déchue de son ancienne grandeur, passait encore pour le huitième ville de l’empire[120], tandis que Nole, située dans ses environs[121], a été illustrée dans cette occasion par la sainteté de Paulin[122], qui fut successivement consul, moine et enfin évêque. A l’âge de quarante ans, il renonça aux richesses, aux honneurs et aux plaisirs de la société et de la littérature, pour embrasser une vie de solitude et de pénitence ; les vifs applaudissements du clergé l’encouragèrent à mépriser les reproches de ses amis mondains qui attribuaient une conduite si extraordinaire à quelque indisposition du corps ou de l’esprit[123]. La dévotion passionnée qu’il portait depuis longtemps à saint Félix le détermina à fixer son humble résidence dans un des faubourgs de Nole, près de la tombe miraculeuse de ce saint, que la piété publique avait déjà environné de cinq églises vastes et fréquentées. Saint Paulin dévoua les restes de sa fortune et de ses talents au service du glorieux martyr. Il ne manquait jamais de célébrer le jour de sa fête par un hymne solennel. Il fit construire et lui dédia une sixième église plus magnifique que les autres, et ornée d’un grand nombre de tableaux, dont le sujet était tiré de l’Ancien et du Nouveau Testament. Un zèle si assidu lui assura la faveur du saint[124], ou du moins celle du peuple. Après quinze ans de retraite le consul romain fût forcé d’accepter l’évêché de Nole, peu de mois avant l’époque où cette ville fut investie par les troupes d’Alaric. Durant le siége, quelques personnages pieux se persuadèrent, qu’ils avaient aperçu en songe ou en vision la figure divine de leur saint protecteur. Cependant l’événement prouva que saint Félix manquait ou de pouvoir ou de volonté pour sauver son ancien troupeau. Nole essuya sa part de la dévastation générale[125], et son évêque captif ne dut son salut qu’à sa réputation d’innocence et de pauvreté. Depuis l’invasion de l’Italie par Alaric jusqu’à la retraite volontaire des Goths sous la conduite d’Adolphe, son successeur, ils furent, durant plus de quatre ans, les maîtres de l’Italie, et régnèrent despotiquement sur un pays qui, au jugement des anciens, réunissait tous les avantages de la nature et toutes les perfections de l’art. Le degré de prospérité auquel l’Italie était parvenue dans le siècle heureux des Antonins, avait, à la vérité, décliné avec la gloire de l’empire. Les fruits d’une longue paix périrent sous la main grossière des Barbares, peu susceptibles de goûter les élégantes délicatesses d’un luxe destiné aux doux et polis habitants de l’Italie. Chaque soldat cependant se faisait assigner une ample portion de solides approvisionnements, tels que le grain les troupeaux, l’huile et le vin, qui venaient tous les jours s’engloutir dans le camp des Goths ; et les chefs allaient piller les maisons de campagne et les jardins situés sur la délicieuse côte de Campanie, précédemment habités par Lucullus ou par Cicéron. Leurs captifs tremblants, fils et filles de sénateurs romains, présentaient, dans des vases d’or et de pierres précieuses, le vin de Falerne à leurs orgueilleux vainqueurs étendus de toute la longueur de leurs vastes corps à l’ombre des platanes[126] industrieusement entrelacés, de manière à préserver des rayons brûlants du soleil, sans intercepter sa vivifiante chaleur. Ces jouissances étaient encore relevées par le souvenir de leurs dangers et de leurs travaux ; la comparaison de leur pays natal, des mornes et stériles collines de la Scythie et des bords glacés de l’Elbe et du Danube, ajoutait pour eux de nouveaux charmes aux délices de l’Italie[127].

Quel qu’ait été l’objet d’Alaric, la gloire, la conquête ou les richesses, il le poursuivit avec une ardeur infatigable sans se rebuter des revers ou se laisser amollir par les succès. A peine eut-il atteint l’extrémité de l’Italie, qu’il tourna ses regards, sur l’île fertile et paisible qui en est voisine. Le roi des Goths ne considérait cependant la possession de la Sicile que comme, le premier pas vers l’importante expédition qu’il méditait déjà contre l’Afrique. Le détroit de Reggio à Messine[128] a douze milles de longueur, et dans sa moindre largeur, à peu près un mille et demi de traversée. Les monstres fabuleux de la mer, les rochers de Scylla et le gouffre de Charybde, ne pouvaient effrayer que les plus timides et les plus ignorants des mariniers. Cependant après l’embarquement de la première division des Goths, il s’éleva une tempête qui dispersa et engloutit une partie des bâtiments de transport. Les dangers de ce nouvel élément triomphèrent du courage des Barbares ; et la mort prématurée d’Alaric, arrivée à sa suite d’une courte maladie, déconcerta l’entreprise et termina ses conquêtes. Les Goths déployèrent toute leur férocité dans les honneurs funèbres qu’ils rendirent à un héros dont ils célébrèrent là valeur et les succès par leurs lugubres applaudissements. A force de travaux, leurs nombreux captifs détournèrent le cours du Busentin, petite rivière qui baigne des murs de Consentia. Après avoir construit au milieu de son lit, mis à sec, le sépulcre de leur général, orné des dépouilles et des trophées de Rome, ils y firent rentrer les eaux ; et, pour que l’endroit qui recélait le corps du victorieux Alaric fût à jamais un secret, ils massacrèrent inhumainement tous les prisonniers qu’ils avaient employés à l’exécution de cet ouvrage[129].

L’embarras du moment suspendit les animosités personnelles et les rivalités héréditaires des Barbares ; ils placèrent, d’une voix unanime, le brave Adolphe sur le trône de son beau-frère Alaric. Rien ne peut donner au lecteur une idée plus juste du caractère et du système politique de ce nouveau roi des Goths, que sa conversation avec un des premiers citoyens de la ville de Narbonne, qui, dans un pèlerinage qu’il fit à la Terre-Sainte, la rendit à saint Jérôme en présence de l’historien Orose. Dans la confiance qu’inspirent la valeur et la victoire, dit Adolphe, j’ai fait autrefois le projet de changé la face de l’univers, d’en effacer le nom des Romains, d’élever le royaume des Goths sur leurs ruines, et d’acquérir, comme Auguste, la gloire immortelle de fondateur d’un nouvel empire ; mais l’expérience m’a peu à peu convaincu qu’il faut des lois pour maintenir la constitution d’un État, et que le caractère indocile et féroce des Goths n’est point susceptible de se soumettre à la contrainte salutaire d’un gouvernement civil. Dés ce moment je me suis fait un autre plan de gloire et d’ambition, et mon plus sincère désir est aujourd’hui de faire en sorte que la postérité reconnaissante loue le mérite d’un étranger qui employa la valeur des Goths, non pas à renverser, mais à défendre l’empire romain et à maintenir sa prospérité[130]. D’après ces vues pacifiques, le nouveau monarque des Goths suspendit les opérations de la guerre, et négocia sérieusement un traité d’alliance avec la cour impériale. Les ministres d’Honorius, qui se trouvaient dégagés de leur vœu absurde par la mort d’Alaric, avaient le plus grand intérêt à délivrer l’Italie de l’intolérable oppression des Goths, qui consentirent avec joie à servir contre les tyrans et les Barbares dont les provinces au-delà des Alpes étaient infestées[131]. Adolphe, devenu général des Romains, dirigea sa marche de l’extrémité de la Campanie vers les provinces méridionales de la Gaule. Ses troupes en arrivant occupèrent, de gré ou de force, les villes de Narbonne, de Toulouse et de Bordeaux ; et, quoique repoussées des murs de Marseille par le comte Boniface, elles étendirent bientôt leurs quartiers depuis la Méditerranée jusqu’à l’Océan. Les malheureux habitants de la province se plaignaient avec raison que ces prétendus alliés leur enlevaient le peu qui était échappé à la cupidité des ennemis. Cependant on ne manquait pas de prétextes spécieux pour pallier ou même pour justifier les violences des Goths. Les villes de la Gaule qu’ils attaquaient pouvaient être considérées comme rebelles au gouvernement d’Honorius. Adolphe avait toujours pour excuser de ses usurpations apparentes les articles du traité ou les instructions sécrètes de la cour impériale ; et on pouvait toujours, avec une sorte de vérité, imputer à l’indocilité inquiète et indisciplinable des Barbares les actes d’hostilité irréguliers qui n’était point légitimés par le succès. Le luxe de l’Italie avait moins servi à adoucir la férocité des Goths qu’à amollir leur courage ; ils avaient adopté les vices des nations civilisées, sans en imiter les arts ou les institutions[132].

Les protestations d’Adolphe étaient probablement sincères, et l’ascendant qu’une princesse romaine prit sur le cœur et sur l’esprit du monarque des Goths, devint un garant de sa fidélité pour les intérêts de l’empire. Placidie[133], fille du grand Théodose, et de sa seconde femme Galla, avait été élevée dans le palais de Constantinople ; mais les événements dont est remplie sa vie se trouvent liés avec les révolutions qui agitèrent l’empire d’Occident sous le règne de son frère Honorius. Lorsque Rome fut investie, pour la première fois par Alaric, Placidie, âgée d’environ vingt ans, habitait la capitale ; et la facilité avec laquelle cette princesse consentit à la mort de Sérène, sa cousine, pourrait la faire soupçonner d’une ingratitude et d’une cruauté que, selon les circonstances qui accompagnèrent cette action, sa jeunesse peut ou excuser ou aggraver[134]. Les Barbares retinrent la sœur d’Honorius en captivité ou en otage[135] ; mais quoique forcée de parcourir l’Italie avec l’armée des Barbares, elle fut toujours traitée avec les égards et le respect dus à son sexe et à son rang. Jornandès fait l’éloge de la beauté de Placidie ; mais le silence expressif des courtisans de cette princesse peut faire raisonnablement douter des grâces de sa figure. Cependant, sa haute naissance, sa jeunesse, l’élégance de ses manières et les adroits moyens d’insinuation qu’elle ne dédaigna point d’employer, firent une impression profonde dans le cœur d’Adolphe ; et le monarque des Goths eut l’ambition de devenir le frère de l’empereur. Les ministres d’Honorius rejetèrent dédaigneusement la proposition d’une alliance si honteuse pour la fierté romaine, et pressèrent à plusieurs reprises le renvoi de Placidie comme une condition indispensable du traité de paix : mais la fille de Théodose se soumit sans répugnance aux désirs d’un conquérant jeune et intrépide, qui, ne le cédant à Alaric que par la taille et par la force du corps, l’emportait sur son prédécesseur par les avantages séduisants de la grâce et de la beauté. Le mariage d’Adolphe et de Placidie[136] fut consommé avant que les Goths évacuassent l’Italie, et ils célébrèrent la fête ou peut-être l’anniversaire de leur union dans la maison d’Igenuus, un des plus illustres citoyens de Narbonne. La princesse, vécue comme une impératrice, s’assit sur un trône élevé ; et le roi des Goths habillé, dans cette cérémonie, à la romaine, se plaça à côté d’elle sur un siège moins éminent. Les dons qu’il offrit à son épouse, selon l’usage des Barbares, étaient composés des plus magnifiques dépouilles du pays de Placidie[137]. Cinquante jeunes hommes de la plus belle figure et vêtus de robes de soie, portaient un bassin dans chaque main : l’un était rempli de pièces d’or, et l’autre de pierreries d’un prix inestimable. Attale, si longtemps le jouet de la fortune et des Goths, conduisait le chœur qui faisait entendre le chant d’hyménée, et cet empereur déposé aspirait peut-être à la gloire d’être regardé comme un habile musicien. Les Barbares jouissaient avec orgueil de leur triomphe, et les habitants du pays se félicitaient d’une alliance qui, par l’influence de l’amour et de la raison, pourrait adoucir la fierté du Barbare qu’ils avaient pour maître[138].

Les cent bassins remplis d’or et de diamants que Placidie reçut le jour de la fête nuptiale, n’étaient qu’une très petite partie des trésors de son mari, dont l’histoire des successeurs d’Adolphe offre quelques échantillons assez extraordinaires. On trouva dans leur palais de Narbonne, lorsque les Francs le pillèrent dans le sixième siècle, soixante gobelets ou calices, quinze patènes pour l’usage de la communion, vingt boites ou coffres pour conserver les saintes Écritures : tous ces objets étaient d’or massif, enrichis de pierres d’un grand prix. Le fils de Clovis distribua ces richesses sacrées[139] aux églises de ses États ; et sa pieuse libéralité semble inculper les Goths de quelque sacrilège. Leur conscience devait être plus tranquille sur la possession du fameux missorium, un plat d’une grandeur extraordinaire d’or massif du poids de cinq cents livres, destiné au service de la table, d’une valeur inestimable par la main-d’œuvre et les diamants dont il était incrusté, et par la tradition qui le faisait regarder comme un présent du patrice Ætius, offert à Torismond roi des Goths. Un des successeurs de Torismond acheta le secours du roi des Francs par la promesse de ce don magnifique. Lorsqu’il eut pris possession du trône d’Espagne, le prince goth le remit à regret aux ambassadeurs de Dagobert, mais le fit reprendre sur la route ; et, après avoir longtemps négocié pour convenir d’une rançon, il donna la somme relativement très modique, de deux cent mille pièces d’or, et conserva le missorium comme le plus glorieux ornement du trésor des rois goths[140]. Lorsque les Arabes conquirent l’Espagne et pillèrent ce trésor, ils trouvèrent une curiosité encore plus précieuse dont ils ont admiré et célébré la munificence : c’était une table fort grande, formée d’une seule émeraude[141], entourée de trois rangs de perles, soutenue par trois cent soixante-cinq pieds d’or massif, incrustée de pierres précieuses, et estimée à la valeur de cinq cent mille pièces d’or[142]. Une partie des trésors du roi des Goths pouvait provenir des dons de l’amitié ou des tributs de l’obéissance ; mais la principale avait sans doute été le fruit de la guerre, et consistait en dépouilles arrachées à l’empire et peut-être à la ville de Rome.

Lorsque les Goths eurent évacué l’Italie, on permit à quelque conseiller obscur de s’occuper, au milieu des factions du palais, à soulager les maux de ce pays désolé[143]. Par un règlement sage et humain, les huit provinces qui avaient le plus souffert, savoir, la Campanie, la Toscane, le Picenum ou Picentin, le Samnium, l’Apulie ou la Pouille, la Calabre, le Bruttium et la Lucanie ou Basilicate, obtinrent pour cinq ans une diminution de tributs ; celui qu’elles payaient ordinairement fut réduit à un cinquième, qu’on destina même à rétablir et à défrayer l’institution utile des postes publiques. Une autre loi accorda, avec une diminution de taxe, aux voisins ou aux étrangers qui voudraient les occuper, la possession des terres restées sans culture et sans habitants, et on les mit à l’abri des réclamations futures des propriétaires fugitifs. A peu près dans le même temps les ministres d’Honorius publièrent en son nom une amnistie générale qui abolissait la mémoire de toutes les offenses involontaires commises par ses malheureux sujets durant les désordres et les calamités publiques. On s’appliqua avec un soin convenable et décent à la restauration de la capitale ; on encouragea les citoyens à reconstruire les édifices détruits ou endommagés par l’incendie et on fit venir des côtés d’Afrique des secours extraordinaires de grains. L’espoir de l’abondance et des plaisirs rappela bientôt la foule qui avait fui si récemment l’épée des Barbares ; et Albinus, préfet de Rome, instruisit la cour, non sans quelque surprise et quelque inquiétude, du compte qu’on lui avait rendu en un seul jour de l’arrivée de quatorze mille étrangers[144]. En moins de sept ans, il ne resta presque plus de vestiges de l’invasion des Goths ; et Rome, avec la tranquillité, reprit son ancienne splendeur ; cette vénérable matrone replaça sur sa tête la couronne de lauriers que lui avaient enlevée les orages de la guerre, et se laissa amuser, jusqu’au moment de sa chute, par des prédictions de vengeance, de victoire et de domination éternelle[145].

Cette apparence de tranquillité fut bientôt troublée par l’approche d’une flotte ennemie qui s’avançait vers Rome du pays d’où ses habitants tiraient leur subsistance journalière. Héraclien, comte d’Afrique, dans les circonstances les plus critiques et les plus désespérées, avait soutenu, par ses fidèles services, le parti d’Honorius ; entraîné à la révolte dans l’année de son consulat, il prit le titre d’empereur, et se préparât à envahir l’Italie à la tête des forces maritimes dont il avait rempli les ports de l’Afrique. Lorsqu’il jeta l’ancre à l’embouchure du Tibre, s’il est vrai que ses bâtiments fussent au nombre de trois mille deux cents en y comprenant depuis la galère qu’il montait jusqu’aux plus faibles bateaux, sa flotte surpassait celle de Xerxès et d’Alexandre[146]. Cependant cet armement, capable de renverser ou de rétablir le plus vaste empire de l’univers, ne procura que de faibles succès à l’usurpateur de l’Afrique. Dans sa marche depuis le port, sur la route qui conduit aux portes de Rome, un des généraux de l’empire vint à sa rencontre, l’attaqua et le mit en fuite. Le chef de cette puissante armée désespéra de sa fortune, abandonna ses amis et disparut avec un seul vaisseau[147]. Lorsque Héraclien aborda dans le port de Carthage, la province pleine de mépris pour un chef si pusillanime, était rentrée sous l’obéissance d’Honorius. Le rebelle eut la tête tranchée dans l’ancien temple de la Mémoire, son consulat fut aboli[148], et l’on accorda le reste de sa fortune, qui ne montait qu’à quatre mille livres pesant d’or, au brave Constance, qui défendait déjà le trône qu’il partagea depuis avec son faible souverain. Honorius regardait avec indifférence les calamités de Rome et de l’Italie[149] ; mais les révoltes d’Attale et d’Héraclien qui attaquaient sa sûreté personnelle, le tirèrent pour un moment de son indolence habituelle. Il ignora probablement les causes et les événements, qui l’avaient délivré de ces dangers ; et l’Italie se trouvant débarrassée de ses ennemis étrangers et domestiques, il continua de végéter paisiblement dans le palais de Ravenne, tandis qu’au-delà des Alpes, ses lieutenants poursuivaient les usurpateurs, et remportaient des victoires au nom du fils de Théodose[150]. Occupé d’un récit intéressant et compliqué, il serait possible que j’oubliasse d’annoncer l’époque de sa mort et je prendrai d’avance la précaution d’avertir qu’il survécut environ treize ans au dernier siége de Rome.

Constantin revêtu la pourpre par les légions de la Bretagne, avait eu des succès qui semblaient devoir assurer son usurpation. On reconnaissait sa puissance depuis le mur d’Antonin jusqu’aux colonnes d’Hercule ; et, au milieu des désordres publics, il partageait le pillage de la Gaule et de l’Espagne avec les Barbares, dont la marche destructive n’était plus arrêtée ni par le Rhin ni par les Pyrénées. Souillé du sang d’un parent d’Honorius, il arracha de la cour de Ravenne, avec laquelle il entretenait une secrète correspondance, l’autorisation de ses prétentions criminelles. Constantin, s’étant engagé par serment à délivrer l’Italie des Goths, s’avança jusqu’aux rives du Pô ; et après avoir donné plus d’alarmes que de secours à son pusillanime allié, il se retira précipitamment dans le palais d’Arles, pour célébrer, avec un luxe désordonné, un triomphe sans réalité. Mais sa prospérité passagère fut troublée et bientôt détruite par la révolte du comte Gerontius, le plus brave de ses généraux, qui, durant l’absence de Constans, fils de Constantin, et déjà revêtu de la pourpre, commandait dans les provinces de l’Espagne. Au lieu de se déplacer lui-même sur le trône, Gerontius, par des raisons dont nous ne sommes pas instruits, disposa du diadème en faveur de son ami Maxime, qui fixa sa résidence à Tarragone, tandis que son actif général traversait les Pyrénées pour surprendre les deux empereurs, Constantin et Constans, avant qu’ils fussent préparés à se défendre. Le fils perdit à Vienne la liberté et la vie ; et ce jeune infortuné eut à peine le loisir de déplorer la funeste élévation de sa famille, qui l’avait pressé ou forcé de commettre un sacrilège, en quittant la paisible obscurité de la vie monastique. Le père s’enferma dans Arles, et soutint un siége ; mais la ville aurait infailliblement été prise par Gerontius, si une armée d’Italie ne fut venue promptement à son secours. Le nom d’Honorius et la proclamation de l’empereur légitime étonnèrent également les deux partis rebelles. Gerontius, abandonné de ses troupes, s’enfuit sur les frontières d’Espagne, et sauva son nom de l’oubli, par le courage vraiment romain qu’il fit paraître dans ses derniers moments. Au milieu de la nuit, un corps nombreux de ses perfides soldats environna, et attaqua sa maison, qu’il avait fortement barricadée. N’ayant avec lui que sa femme, un intrépide Alain de ses amis, et quelques esclaves fidèles, il se servit avec tant de courage et d’adresse d’un amas de dards et de flèches, que trois cents des assaillants perdirent la vie. Au point du jour, toutes les armes étant épuisées, ses esclaves prirent la fuite, et Gerontius aurait pu les suivre, s’il avait été retenu par l’amour conjugal. Les soldats, irrités d’une défense si opiniâtre, mirent le feu aux quatre coins de la maison. Dans cette extrémité funeste, il se rendit aux pressantes instances du brave Alain, et lui abattit la tête. La femme de Gerontius, le suppliait de la délivrer d’une vie de misère t d’ignominie, tendit la gorge à ses coups. Cette scène tragique fut terminée par la mort du comte, qui, après s’être frappé trois fois inutilement de son épée, tira un court poignard et se l’enfonça dans le cœur[151]. Maxime abandonné de son protecteur, n’eut d’obligation de la vie qu’au mépris qu’inspirait sa faiblesse et à son incapacité. Le caprice des Barbares qui ravageaient l’Espagne plaça une seconde fois sur le trône ce fantôme impérial ; mais ils l’abandonnèrent bientôt à la justice d’Honorius ; et l’usurpateur Maxime, après avoir servi de spectacle à la populace de Ravenne et de Rome, fut exécuté publiquement.

Le général Constance dont l’approche avait fait lever le siége d’Arles et dissipé les troupes de Gerontius, était né Romain ; et cette distinction remarquable prouve à quel point les sujets de l’empire avaient dégénéré de leur ancien esprit militaire. Une force singulière et un grand air de majesté faisaient de ce général, dans l’opinion populaire, un digne prétendant au trône où il monta, par la suite[152]. Ses manières dans la société étaient affables et enjouées, et il ne dédaignait pas de jouter, dans la joie d’un festin, avec les pantomimes, qu’il savait imiter dans l’exercice de leur ridicule profession ; mais quand la trompette guerrière l’appelait aux armes, lorsque, penché sur le cou de son cheval (car tel était son usage), Constance roulait autour de lui avec un regard terrible, ses grands yeux pleins de feu, il frappait les ennemis de terreur, et ses soldats encouragés ne doutaient plus de la victoire. La cour de Ravenne l’avait chargé de faire rentrer dans la soumission les provinces rebelles de l’Occident ; et le prétendu empereur Constantin, après quelques moments de répit troublés par la crainte, se vit assiégé une seconde fois dans sa capitale par un ennemi plus formidable. Cependant l’intervalle de ces deux siéges lui donna le temps de négocier un traité avec les Francs et les Allemands ; et Edobic, son ambassadeur, revint bientôt à la tête d’une armée pour troubler les opérations du siége. Le général romain, lion d’attendre qu’on l’attaquât dans ses lignes, se détermina hardiment, et peut-être sagement, à passer le Rhône et à prévenir les Barbares. Ses dispositions furent conduites avec tant de secret et d’intelligence, que, tandis que l’infanterie de Constance les attaquait en tête, son lieutenant Ulphilas, qui avait gagné en silence un poste avantageux sur leurs derrières, les environna avec sa cavalerie, en fit un grand carnage, et détruisit toute leur armée. Les restes sauvèrent leur vie par la fuite ou par la soumission, et leur général Edobic trouva la mort dans la maison d’un ami perfide, qui se flattait d’obtenir du général de l’empire un présent magnifique pour récompense de sa trahison. Constance se conduisit dans cette occasion avec la magnanimité d’un vrai Romain. Réprimant tout sentiment de jalousie, il reconnut devant l’armée le mérite et le service important d’Ulphilas ; mais il détourna ses regards avec horreur, de l’assassin d’Edobic, et donna des ordres sévères pour que le camp ne fut pas souillé plus longtemps de la présence d’un misérable qui avait violé les lois de l’honneur et de l’hospitalité. L’usurpateur, qui du haut des murs d’Arles, voyait anéantir sa dernière espérance, résolut de confier sa vie à un vainqueur si généreux. Après avoir exigé sûreté pour sa personne et s’être fait donner, par l’imposition des mains, le caractère sacré d’ecclésiastique, il ouvrit les portes d’Arles ; mais Constantin éprouva bientôt que les principes d’honneur et d’intégrité qui dirigeaient la conduite ordinaire de Constance, étaient subordonnés à la doctrine de la politique. Le général roman ne voulut pas, à la vérité, souiller ses lauriers du sang d’un rebelle ; mais il fit partir, sous une forte garde, Constantin et son fils Julien pour l’Italie ; et, avant d’arriver à Ravenne, ils rencontrèrent les ministres de la mort.

Dans un temps où l’on convenait généralement qu’il se trouvait à peine un seul citoyen dans tout l’empire, dont le mérite personnel ne fut supérieur à celui des princes que le hasard de la naissance avait placés sur le trône, une foule d’usurpateurs se succédaient rapidement, sans réfléchir au sort de leurs prédécesseurs. Ce désordre se faisait particulièrement sentir dans les provinces de la Gaule et de l’Espagne, où les ravages de la guerre et l’esprit de révolte avaient anéanti tous les principes d’ordre et d’obéissance. Durant le quatrième mois du siège d’Arles, avant que Constantin eût quitté la pourpre, on apprit dans le camp impérial que Jovinus, couronné à Mayence, dans la Haute-Germanie, à l’instigation de Goar, roi des Alains, et de Guntiarius, roi des Bourguignons, s’avançait des bords du Rhin vers ceux du Rhône, à la tête d’une nombreuse armée de Barbares. La courte histoire du règne de Jovinus est extraordinaire et obscure dans toutes ses circonstances. On devait naturellement supposer, qu’un général habile et courageux, à la tête d’une armée victorieuse, ne craindrait point d’exposer au sort d’une bataille les droits légitimes d’Honorius. La retraite précipitée de Constance fut sans douté déterminée par de fortes raisons ; mais il abandonna sans un seul combat la possession entière de la Gaule, et Dardanus, préfet du prétoire, est cité comme le seul magistrat qui ait refusé de se soumettre à l’usurpateur[153]. Quand les Goths, deux ans après le siège de Rome, établirent leurs quartiers dans la Gaule, on pouvait croire que leurs inclinations ne seraient partagées qu’entre l’empereur Honorius, dont ils étaient récemment devenus les alliés, et Attale, monarque dégradé, qu’ils réservaient dans leur camp, à jouer, selon l’occasion, le personnage de musicien ou celui d’empereur. Cependant, dans un moment d’humeur dont on ne découvre ni la date ni la cause, Adolphe entra en pourparler avec l’usurpateur de la Gaule, et chargea Attale de l’humiliante commission de négocier un traité qui confirmait sa propre ignominie. Nous lisons encore, avec étonnement, qu’au lieu de considérer l’alliance des Goths comme le plus ferme appui de son trône, Jovinus réprimanda en termes obscurs et ambigus l’officieuse importunité d’Attale ; que, méprisant les avis de son puissant allié, il revêtit son frère Sébastien de la pourpre, et qu’il accepta très imprudemment les services de Sarus, lorsque ce brave soldat d’Honorius quitta, dans un mouvement de colère, la cour d’un prince qui ne savait ni punir ni récompenser. Adolphe, élevé dans une nation de guerriers qui regardaient la vengeance comme le plus doux des plaisirs et le plus sacré des devoirs, s’avança, suivi de dix mille Goths, à la rencontre de l’ennemi héréditaire de la maison des Balti, et le surprit accompagné, pour toute escorte, de dix-huit ou vingt de ses intrépides compagnons. Unie par l’amitié, animée par le désespoir, mais à la fin écrasée par la multitude, cette petite troupe de héros, mérita l’estime des ennemis, sans obtenir leur compassion ; et dès que le lion fut dans les lacs, on lui arracha la vie[154]. La mort de Sarus rompit l’alliance incertaine qu’Adolphe entretenait avec les usurpateurs de la Gaule. Il écouta de nouveau la voix de l’amour et de la prudence, et promit au frère de Placidie de lui porter bientôt à Ravenne les têtes de Jovinus et de Sébastien. Le roi des Goths exécuta sa promesse sans délai et sans difficulté. Les deux frères, sans amis et sans mérite personnel, virent déserter tous leurs auxiliaires barbares ; et Valence, une des plus belles villes de la Gaule, expia, par sa ruine, sa courte résistance. L’empereur choisi par le sénat de Rome, après avoir été successivement élevé sur le trône, dégradé, insulté, rétabli, et dégradé une seconde fois avec ignominie, fut enfin abandonné à son triste sort. Lorsque le roi des Goths lui retira totalement sa protection, le mépris ou la pitié l’empêchèrent de faire aucune violence au malheureux Attale. Ce fantôme d’empereur, sans alliés et sans sujets, s’embarqua dans un port de l’Espagne, pour se réfugier dans quelque retraite solitaire ; mais il fut pris en mer, traîné en présence d’Honorius, conduit en triomphe dans les rues de Rome et de Ravenne, et publiquement exposé aux regards de la multitude, sur la seconde marche du trône de son invincible vainqueur. Attale subit le châtiment dont on l’accusait d’avoir menacé Honorius dans les jours de sa prospérité. Après lui avoir coupé deux doigts de la main, on le condamna à un exil perpétuel dans l’île de Lipari, où il reçut du gouvernement une honnête subsistance. Il n’y eut plus de révolte durant le reste du règne d’Honorius ; et d’on peut observer que dans l’espace de cinq ans, sept usurpateurs avaient cédé à la fortune d’un prince également incapable d’agir et de commander.

La situation de l’Espagne, séparée de tous côtés des ennemis de Rome par des mers ou des montagnes et par des provinces intermédiaires, avait conservé, longtemps, sa tranquillité, et nous pouvons observer comme une preuve de son bonheur intérieur, que, durant une période de quatre siècles, l’Espagne a fourni très peu de matériaux à l’histoire de l’empire romain. Le retour de la paix effaça rapidement les traces des Barbares qui avaient franchi les Pyrénées sous le règne de Gallien ; et dans le quatrième siècle de l’ère chrétienne, on comptait les villes d’Emerita ou Merida, de Cordoue, de Bracara et de Séville au hombre des plus belles et des plus riches du monde romain. Des peuples industrieux entretenaient l’abondance des différentes races d’animaux, des végétaux et des minéraux. Les manufactures étaient en vigueur, et l’avantage particulier des productions nécessaires à la marine contribuait à soutenir un commerce lucratif et très étendu[155]. Les arts et les sciences florissaient sous la protection des empereurs ; et le courage des Espagnols, un peu affaibli par l’habitude de la paix et de la servitude, sembla jeter de nouveau quelques étincelles, lorsque les Germains répandirent la terreur depuis les bords du Rhin jusqu’aux Pyrénées. Tant que les braves et fidèles milices du pays conservèrent la garde de ces montagnes elles repoussèrent avec succès toutes les entreprises des Barbares ; mais dès que les troupes nationales furent forcées de remettre leurs postes aux bandes honoriennes qui combattaient pour Constantin, ces troupes perfides livrèrent les barrières de l’Espagne aux ennemis, environ dix mois avant le sac de Rome par les Goths[156]. Coupables de rébellion contre leur souverain légitime, affamés de pillage, les gardes mercenaires des Pyrénées abandonnèrent leur poste, appelèrent à leur aide les Suèves, les Alains et les Vandales et grossirent le torrent dévastateur qui se répandait avec une violence irrésistible depuis les frontières de la Gaule jusqu’à la mer d’Afrique. Un des plus éloquents historiens de l’Espagne a décrit les malheurs de sa patrie dans un discours concis, où il a rassemblé les déclamations violentes et peut-être exagérées des auteurs contemporains[157]. L’irruption de ces peuples fut suivie des plus affreuses calamités. Les Barbares pillaient et massacraient indifféremment les Romains et les Espagnols, et ravageaient avec la même fureur les villes et les campagnes. La famine réduisit les malheureux habitants à se nourrir de chair humaine, et les animaux sauvages qui se multipliaient sans obstacle, rendus plus furieux par l’habitude du sang et les aiguillons de la faim attaquaient sans crainte les hommes pour les dévorer. La peste, suite inévitable de la famine, vint bientôt combler la désolation ; la plus grande partie des peuples en fut la victime, et les gémissements des mourants n’excitaient que l’envie de ceux qui leur survivaient. Enfin les Barbares, rassasiés de meurtre et de brigandage, et atteints eux-mêmes de la maladie contagieuse dont ils étaient les funestes auteurs, se fixèrent dans le pays qu’ils avaient dépeuplé. Les Suèves et les Vandales se partagèrent l’ancienne Galice, où se trouvait enclavé le royaume de la Vieille-Castille. Les Alains se répandirent dans les provinces de Carthagène et de Lusitanie, depuis la Méditerranée jusqu’à l’océan Atlantique. Les Silinges, branche de la nation des Vandales, s’emparèrent du territoire fertile de la Bétique. Après avoir réglé ce partager les conquérants contractèrent avec leurs nouveaux sujets quelques engagements réciproques d’obéissance et de protection. Les villes et les villages se remplirent peu à peu d’un peuple de captifs, et les terres recommencèrent à être cultivées. Des Espagnols, et même la plupart, se sentirent disposés à préférer cet état de misère et de barbarie aux anciennes vexations du gouvernement romain ; plusieurs cependant défendirent avec succès leur liberté, et refusèrent, particulièrement dans les montagnes de la Galice, de se soumettre au joug des Barbares[158].

La mort de Jovinus et de Sébastien avait prouvé l’attachement d’Adolphe pour son beau-frère Honorius et lui avait soumis la Gaule. La paix était incompatible avec le caractère et la situation du monarque des Goths ; il accepta sans peine la proposition de tourner ses armes victorieuses contre les Barbares de l’Espagne. Les troupes de Constance lui coupèrent toute communication avec les ports de la Gaule, et hâtèrent sans violence sa marche vers les Pyrénées[159]. Il franchit ces montagnes, surprit et occupa, au nom de l’empereur, la ville de Barcelone. Le temps et la possession ne diminuaient point la tendresse d’Adolphe pour Placidie, et la naissance d’un fils qu’il nomma Théodose, par vénération pour son illustre aïeul, semblait lier pour jamais ses intérêts avec ceux de l’empire. La mort de cet enfant, inhumé dans un cercueil d’argent dans une église auprès de Barcelone, fut, pour ses parents un sujet d’affliction ; mais les soins de la guerre parvinrent aisément à distraire le roi des Goths de sa douleur, et une trahison domestique mit bientôt un terme à ses victoires. Il avait imprudemment reçu à son service un des compagnons de Sarus. Cet audacieux Barbare cherchait secrètement l’occasion de venger la mort de son général, et son nouveau maître réveillait sans cesse son ressentiment en le plaisantant sur la petitesse de sa taille. Adolphe, fut assassiné dans le palais de Barcelone. Une faction tumultueuse viola les lois de la succession[160]. Un prince d’une maison étrangère, Singeric, frère de Sarus, frit placé sur le trône d’Adolphe. Il commença son règne par le meurtre inhumain de six enfants[161] que son prédécesseur avait eus d’un premier mariage, et qu’il arrachât sans pitié des bras d’un vénérable évêque. L’infortunée Placidie, au lieu de la respectueuse compassion qu’elle avait le droit d’attendre des cœurs les plus inhumains, essuya des traitements barbares et ignominieux. La fille de l’empereur Théodose, confondue dans une foule de vils captifs, fut forcée de faire à pied un trajet de plus de douze milles, devant le cheval du Barbare, assassin d’un mari qu’elle aimait et regrettait[162].

Mais Placidie ne tarda pas à jouir du plaisir de la vengeance. Les outrages qu’on lui faisait souffrir excitèrent peut-être l’indignation du peuple contre l’usurpateur, qui fut assassiné le septième jour de son règne. Le choix libre de la nation plaça sur le trône Wallia, guerrier ambitieux et entreprenant, dont les projets parurent d’abord menacer l’empire. Il conduisit son armée de Barcelone aux côtes de l’océan Atlantique, que les anciens révéraient et redoutaient comme les bornes de l’univers, mais quand il arriva au promontoire méridional de l’Espagne, et que, du haut du rocher où est aujourd’hui situé Gibraltar, il contempla les côtes fertiles de l’Afrique, Wallia reprit le projet de conquête suspendu par la mort d’Alaric[163]. Les vents et les vagues s’opposèrent encore à l’entreprise des Goths, et cette seconde épreuve de la fureur des tempêtes fit une profonde impression sur l’imagination d’un peuple superstitieux. Dans cette disposition des esprits, le successeur d’Adolphe écouta les propositions de l’ambassadeur romain, et se laissa déterminer par la nouvelle de l’approche réelle ou supposée d’une armée conduite par le brave Constance. Le traité fut solennellement conclu et fidèlement observé. Placidie fut reconduite avec honneur dans le palais de son frère. Les Goths affamés[164], reçurent six cent mille mesures de grains ; et Wallia fit le serment d’employer ses armes au service de l’empire. Dans ces circonstances, une guerre sanglante éclata entre les Barbares de l’Espagne. On prétend que les princes rivaux écrivirent à l’empereur d’Occident, et lui envoyèrent des ambassadeurs et des otages pour l’engager à demeurer tranquille spectateur de leur querelle, dont l’événement ne pouvait qu’être avantageux aux Romains par le massacre et l’affaiblissement de leurs ennemis[165]. La guerre d’Espagne se soutint des deux côtés, durant trois campagnes, avec une valeur désespérée et avec des succès variés, et les exploits militaires de Wallia répandirent dans tout l’empire la renommée du héros des Goths. Il extermina les Silinges, qui avaient ruiné sans retour la belle et fertile province de Bétique. Il tua de sa propre, main le roi des Alains dans une bataille ; et ceux de ces Scythes errants qui échappèrent au fer du vainqueur, au lieu de choisir un nouveau chef, cherchèrent humblement un asile sous les drapeaux des Vandales, avec lesquels ils restèrent confondus. Les Vandales eux-mêmes et les Suèves cédèrent aux efforts irrésistibles des Goths. La multitude de ces Barbares mêlés ensemble fut coupée dans sa retraite et chassée jusque dans les montagnes de Galice, où ils continuèrent d’occuper le coin d’un canton aride et d’exercer leurs querelles et leurs fureurs. Au faite de la gloire et de la prospérité, Wallia n’oublia point ses engagements. Il remit ses conquêtes d’Espagne sous l’obéissance d’Honorius ; et la tyrannie des officiers de l’empire fit bientôt regretter aux peuples le joug des Barbares. Tandis que l’événement de la guerre était encore douteux, les premiers succès de Wallia engagèrent les ministres de Ravenne à décerner les honneurs du triomphe à leur faible souverain. Il entra dans Rome comme les anciens conquérants des nations et si les vils monuments de la flatterie n’avaient pas été ensevelis depuis longtemps dans l’oubli qu’ils méritent, nous trouverions, sans doute encore les ouvrages d’une foule de poètes, d’orateurs, de magistrats et d’évêques, qui applaudirent à la fortune, à la sagesse et au courage invincible d’Honorius[166].

Ce triomphe aurait pu être réclamé avec justice par l’allié de Rome si avant de repasser les Pyrénées, Wallia eût anéanti les semences de la guerre d’Espagne. Les Goths victorieux, quarante-trois ans après avoir traversé le Danube, obtinrent, conformément aux articles du traité, la possession de la secondé Aquitaine, province maritime entre la Loire et la Garonne, et soumise à la juridiction civile et ecclésiastique de Bordeaux. Cette capitale, avantageusement située pour le commerce de l’Océan, était bâtie sur un plan élégant et régulier, et ses nombreux habitants se distinguaient du reste des Gaulois par leurs richesses, leurs connaissances et la politesse de leurs mœurs. La province environnante, qu’on a comparée avec complaisance au paradis terrestre, jouit d’un sol fertile et d’un climat tempéré. L’aspect du pays offrait partout les inventions de l’industrie et les richesses qui en sont la récompense ; et les Goths, se reposant de leurs glorieux travaux, se rassasiaient délicieusement des excellents vins de l’Aquitaine[167]. Leurs limites s’étendirent par le don de quelques diocèses voisins ; et les successeurs d’Alaric fixèrent la résidence de leur cour à Toulouse, qui comprenait dans l’enceinte de ses murs cinq villes ou quartiers très peuplés. A peu près au même temps, et dans les dernières années du règne d’Honorius, les Goths, les Francs et les Bourguignons obtinrent un établissement fixe et indépendant dans les provinces de la Gaule. L’empereur légitime confirma la concession de l’usurpateur Jovinus aux Bourguignons ses alliés. Les terres de la première ou de la Haute-Germanie devinrent la propriété de ces Barbares formidables qui occupèrent insensiblement, par droit de conquête ou par convention, les deux provinces connues depuis sous le nom de duché et de comté de Bourgogne[168]. Les Francs, ces vaillants et fidèles alliés de Rome, se laissèrent bientôt tenter d’imiter les usurpateurs auxquels ils avaient si courageusement résisté. Leurs bandes indisciplinées pillèrent la ville de Trèves, capitale de la Gaule ; et la faible colonie qu’ils conservaient depuis si longtemps dans le district de la Toxandrie ou Brabant, s’étendit peu à peu sur les bords de la Meuse et de la Scheld, et couvrit de leurs tribus indépendantes toute l’étendue de la seconde ou Basse-Germanie. Ces faits sont suffisamment prouvés par le témoignage de l’histoire ; mais la fondation de la monarchie française par Pharamond, les conquêtes, les lieux et même l’existence de ce héros, ont été, avec justice, révoqués en doute par la sévérité impartiale des critiques modernes[169].

On peut dater la ruine des plus riches provinces Barbares de la Gaule du moment où elle devint la résidence de ces Barbares, dont l’alliance, était dangereuse et oppressive, et qui ne respectaient jamais la paix publique lorsque leur intérêt ou leur caprice les disposaient à la troubler. Ils exigèrent une forte rançon de tous ceux des habitants du pays qui avaient échappé aux calamités de la guerre, s’emparèrent des terres les plus fertiles et des demeures les plus commodes pour leurs familles, leurs esclaves et leurs troupeaux. Les malheureux habitants s’éloignaient en soupirant, et cédaient sans résistance à ces avides étrangers leurs biens, et leurs maisons paternelles. Ces maux particuliers, d’ordinaire épargnés aux peuples vaincus, n’étaient cependant qu’une répétition de ce qu’avaient tour à tour éprouvé ou fait souffrir les Romains, non seulement dans ces moments de tyrannie qui suivent la conquête, mais dans les fureurs de leurs discordes civiles. Les triumvirs proscrivirent dix-huit colonies florissantes, toutes situées en Italie, et distribuèrent les terres et les maisons des habitants aux vétérans qui vengèrent la mort de César et donnèrent des fers à la république. Deux poètes, dont la réputation est bien différente, ont déploré, dans des circonstances semblables, la perte de leur patrimoine : mais les légionnaires d’Auguste semblent avoir surpassé l’injustice et la violence des Barbares qui envahirent la Gaule sous le règne d’Honorius. Virgile eut bien de la peine à sauver sa vie des fureurs du centurion qui s’empara de sa ferme de Mantoue[170] ; et Paulin de Bordeaux reçut du Goth qui s’établit dans sa maison une somme d’argent qu’il accepta avec autant de joie que de surprise, quoiqu’elle fût très inférieure au prix de son bien. La violence, dans cette occasion, chercha du moins à se déguiser sous le masque de la modération et de l’équité[171]. A l’odieux nom de conquérants, on substitua la douce et amicale dénomination d’hôtes des Romains ; et les Barbares de la Gaule, particulièrement les Goths, déclarèrent à plusieurs reprises qu’ils étaient attachés aux peuples par les liens de l’hospitalité, et à l’empereur par ceux du devoir et de l’obéissance militaire. On reconnaissait, on respectait encore, dans les provinces de la Gaule cédées aux Barbares, le titre d’Honorius et de ses successeurs, leurs lois, leurs magistrats civils ; et les rois, en exerçant sur leurs sujets une autorité suprême et indépendante, sollicitaient, comme un honneur, le rang de maître général des armées de l’empire[172]. Telle était la vénération involontaire que le nom romain inspirait encore aux farouches guerriers qui avaient emporté en triomphe les dépouilles du Capitole.

Tandis que les Goths ravageaient l’Italie et que de faibles usurpateurs opprimaient successivement les provinces au-delà des Alpes, l’île de la Bretagne secouait le joug du gouvernement, romain. On avait retiré, peu à peu toutes les forces régulières qui gardaient cette province éloignée, et la Bretagne se trouvait abandonnée sans défense aux pirates saxons et aux sauvages de l’Irlande et de la Calédonie. Les Bretons, réduits à cette extrémité, cessèrent de compter sur les secours tardifs et douteux d’une monarchie expirante. Ils prirent les armes, repoussèrent les Barbares, et se réjouirent d’avoir si heureusement éprouvé leurs propres forces[173]. Les mêmes calamités inspirèrent le même courage aux provinces de l’Armorique, qui comprenaient sous cette dénomination les contrées maritimes de la Gaule entre la Seine et la Loire[174]. Les habitants chassèrent les magistrats romains qui commandaient sous l’autorité de l’usurpateur Constantin, et établirent un gouvernement libre chez un peuple qui obéissait depuis si longtemps au despotisme d’un maître. Honorius, empereur légitime de l’Occident, confirma bientôt l’indépendance de la Bretagne et de l’Armorique ; et les lettres que le fils de Théodose écrivait à ces nouveaux États, et dans lesquelles il les abandonnait à leur propre défense, peuvent être considérées comme une renonciation formelle aux droits et à l’exercice de la souveraineté. L’événement justifia en quelque manière cette interprétation. Lorsque tous les usurpateurs eurent succombé, l’empire reprit la possession des provinces maritimes ; mais leur soumission fut toujours imparfaite et précaire. Le caractère vain et inconstant de ces peuples, et leurs dispositions turbulentes, étaient également incompatibles avec la servitude et avec la liberté[175]. L’Armorique ne put conserver longtemps la forme d’une république[176] ; mais elle fut sans cesse agitée de révoltes et de factions, et la Bretagne fut perdue sans retour[177]. Mais comme les empereurs consentirent sagement à l’indépendance de cette province éloignée, la séparation n’entraîna le reproche ni de rébellion, ni de tyrannie ; et les services volontaires de l’amitié nationale succédèrent aux devoirs de l’obéissance et de la protection[178].

Cette révolution détruisit tout l’édifice du gouvernement civil et militaire ; et, durant une période de quarante ans, la Bretagne se gouverna, jusqu’à la descente des Saxons, sous l’autorité du clergé, des nobles et des villes municipales[179]. 1° Zozime, le seul qui ait conservé la mémoire de cette singulière transaction, observe que les lettres d’Honorius étaient adressées aux villes de la Bretagne[180]. Quatre-vingt-dix cités considérables avaient pris naissance dans cette vaste province sous la protection des Romains ; et, dans ce nombre, trente-trois se distinguaient des autres par leur importance et par des privilèges très avantageux[181]. Chacune de ces villes formait, comme dans les autres provinces de l’empire, une corporation légale, à laquelle appartenait le droit de régler la police intérieure ; et l’autorité de ce gouvernement municipal se partageait, entre des magistrats annuels, un sénat choisi et l’assemblée du peuple, conformément au modèle primitif de la constitution romaine[182]. Ces petites républiques administraient le revenu public, exerçaient la juridiction civile et criminelle, et s’attribuaient, relativement à leurs intérêts politiques, le pouvoir de décider et de commander ; et lorsqu’elles défendaient leur indépendance, la jeunesse de la ville et des environs devait naturellement se ranger sous l’étendard du magistrat. Mais le désir d’obtenir tous les avantages de la société civile, sans s’asservir à aucune des charges qu’elle impose, est une source inépuisable de troubles et de discorde, et nous ne pouvons raisonnablement, supposer que le rétablissement de l’indépendance de la Bretagne ait été exempt de tumulte et de factions. L’audace des citoyens des classes inférieures dut souvent méconnaître la supériorité du rang et de la fortune et l’orgueil des nobles, qui se plaignaient d’être devenus les sujets de leurs anciens serviteurs[183], regretta plus d’une fois sans doute le gouvernement arbitraire des empereurs. 2° Les possessions territoriales des sénateurs de chaque cité leur donnaient sur le pays environnant une influence qui maintenait la juridiction de la ville. Les villages et les propriétaires des campagnes reconnaissaient l’autorité de ces républiques naissantes, afin d’y trouver, dans l’occasion, leur sûreté. La sphère d’attraction de chacune, s’il est permis de s’exprimer ainsi, était proportionnée au degré de population et de richesses qu’elle renfermait dans son sein ; mais les seigneurs héréditaires de vastes possessions, qui n’étaient point gênés par le voisinage d’une grande ville aspiraient au rang de princes indépendants, et s’arrogeaient le droit de paix et de guerre. Les jardins et les maisons de campagne, faibles imitations de l’élégance italienne, durent se convertir bientôt en forteresses, où les habitants des environs se réfugiaient dans les moments de danger[184]. Du produit de la terre on achetait des armes et des chevaux pour soutenir des forces militaires composées d’esclaves, de paysans et d’aventuriers sans discipline, dont le chef exerçait probablement dans son domaine l’autorité d’un magistrat civil. Une partie de ces chefs bretons tiraient peut-être leur origine d’anciens rois ; un plus grand nombre encore put être tenté de s’attribuer cette honorable généalogie, et de réclamer des droits héréditaires suspendus par l’usurpation des Césars[185]. Les circonstances et leur ambition purent les engager à affecter l’habillement, les mœurs et le langage de leurs ancêtres. Si les princes de la Bretagne retombèrent dans la barbarie, tandis que les villes conservaient soigneusement les mœurs et les lois des Romains, l’île entière dut insensiblement se diviser en deux partis subdivisés eux-mêmes, par différents motifs d’intérêt ou de ressentiment, en un nombre infini de différentes factions. Les forces publiques au lieu de se réunir contre un ennemi étranger se consumaient en querelles intestines ; le mérite personnel, qui plaçait un chef heureux à la tête de ses égaux, lui facilitait les moyens d’étendre sa tyrannie sur les villes voisines, et de réclamer un rang ; parmi les tyrans[186] qui opprimèrent la Bretagne après la dissolution du gouvernement romain. 3° L’Église bretonne devait être composée de trente ou quarante évêques[187] et d’un nombre proportionné du clergé inférieur ; et le défaut de richesses (car il parait que le clergé breton était pauvre)[188] devait les engager à mériter l’estime publique par l’exemple de leurs vertus. L’intérêt et l’inclination des ecclésiastiques tendaient à maintenir la paix et à réunir les différents partis. Ils répandaient souvent à ce sujet des leçons salutaires dans leurs instructions publiques, et les synodes des évêques étaient les seuls conseils qui pussent prétendre à l’autorité d’une assemblée nationale. Ces assemblées libres, où, les princes et les magistrats siégeaient indistinctement avec les évêques, débattaient probablement les importantes affaires de l’État aussi bien que celles de l’Église. On y conciliait les différends, on contractait des alliances, on imposait des contributions, et l’on faisait souvent des projets sages qui étaient quelquefois, suivis de l’exécution. Il y a lieu de croire que dans les dangers pressants, les Bretons, d’un accord unanime se choisissaient un pendragon ou dictateur. Ces soins pastoraux, si dignes du caractère épiscopal, étaient à la vérité quelquefois suspendus par le zèle et la superstition, tandis que le clergé de la Bretagne, travaillait sans interruption à déraciner l’hérésie de Pélage ; qu’il abhorrait et qu’il considérait comme la bonté particulière de la nation[189].

Il est assez remarquable, ou plutôt tout naturel, que la révolte de la Bretagne et de l’Armorique ait introduit une apparence de liberté dans les provinces soumises de la Gaule. Dans un édit[190] rempli des plus fortes assurances de l’affection paternelle, dont la plupart des princes emploient le langage sans en connaître le sentiment, l’empereur Honorius déclara l’intention de convoquer tous les ans une assemblée des sept provinces, dénomination particulièrement appliquée à l’Aquitaine et à l’ancienne Narbonnaise, d’où les arts utiles et agréables de l’Italie avaient fait disparaître depuis longtemps la grossièreté sauvage des Celtes, leurs premiers habitants[191]. Arles, le siège du gouvernement comme celui du commerce, fut choisie pour le lieu de l’assemblée, qui tenait régulièrement ses séances, tous les ans, durant vingt-huit jours, depuis le 15 août jusqu’au 13 septembre. Elle était composée du préfet du prétoire des Gaules, de sept goudronneries de provinces, un consulaire et six présidents, des magistrats et peut-être des évêques d’environ soixante villes, et d’un nombre suffisant, mais indéterminé des plus considérables et des plus opulents propriétaires des terres, qu’on pouvait raisonnablement regarder comme les représentants de leur nation. Ils étaient autorisés à interpréter et communiquer les lois glu souverain ; à exposer les griefs et les demandes de leurs constituais, à modérer ou à répartir également les impôts et à délibérer sur tous les objets d’intérêt local ou national qui pouvaient tendre à maintenir la paix et la prospérité des sept provinces. Si cette institution, qui accordait aux peuples une influence sur leur gouvernement, eût été universellement établie par Trajan ou par les Antonins, des semences de sagesse et de vertu publique auraient pu germer et se multiplier dans l’empire romain ; les privilèges des sujets auraient soutenu le trône des monarques, l’intervention des assemblées représentatives aurait arrêté à un certain point ou corrigé les abus d’une administration arbitraire, et des citoyens libres auraient défendu leur patrie avec courage contre l’invasion d’un ennemi étranger. Sans la généreuse et bénigne influence de la liberté l’empire romain fût demeuré peut-être toujours invincible ; ou si sa trop vaste étendue et l’instabilité des, choses humaines se fussent opposées à la conservation de son ensemble, ses parties séparées auraient pu conserver leur indépendance et leur vigueur ; mais, dans la caducité de l’empire, lorsque tout principe de vie était épuisé, ce remède tardif et partiel devenait incapable de produire des effets importants ou salutaires. L’empereur Honorius s’étonna de la répugnance avec laquelle les provinces, acceptaient un privilège qu’elles auraient dû solliciter ; il fut obligé d’imposer une amende de trois et même de cinq livres pesant d’or aux représentants qui s’absenteraient de l’assemblée et il paraît qu’ils regardèrent ce présent imaginaire d’une constitution libre, comme la dernière et la plus cruelle insulte de leurs oppresseurs.

 

 

 



[1] Zozime est le seul qui rende compte des évènements qui se passèrent depuis la mort de Stilichon jusqu’à l’arrivée d’Alaric aux portes de Rome (l. V, p. 347-350).

[2] L’expression de Zozime est forte et vive, καταφρονησιν εμποιησαι τοις πολεμιοις αρχοντας ; cela suffisait pour exciter le mépris des Barbares.

[3] Eos qui catholicæ sectæ sunt inimici, intra palatium militare prohibemus. Nullus nobis sit aliqua ratione conjunctus, qui a nobis fide et religione discordat. Cod. Theod., l. XVI, tit. 5, leg. 42 ; et le Commentaire de Godefroy, t. VI, p. 164. On donna à cette loi la plus grande extension, et elle fut exécutée à la rigueur. Zozime, l. V, p. 364.

[4] Addison (voyez ses ouvrages, vol. II, p. 54, édit. Baskerville) a donné une description très pittoresque de la route qui traverse l’Apennin. Les Goths ne s’amusèrent point à admirer les beautés de cette perspective ; mais ils virent avec satisfaction que le passage étroit pratiqué dans le rocher par Vespasien, et connu sous le nom de Saxa intercisa, était tout à fait abandonné, Cluvier, Italia antiq., t. I, p. 618.

[5] Hinc alti Clitumni greges, et maxima taures

Victima sœpe tuo perfusi flumine sacro,

Romanos ad templa Deum duxere triumphos.

Outre Virgile, la plupart des poètes latins, Properce, Lucain, Silius Italicus, Claudien, etc., dont les passages sont rapportés dans Cluvier et dans Addison, ont célébré les victimes triomphales du Clitumne.

[6] Le voyage d’Honorius, qui fit le même trajet, nous a fourni quelques détails sur la marche d’Alaric. Voyez Claudien, in VI cons. Honor., 494-522. La distance mesurée entre Ravenne et Rome était de deux cent cinquante-quatre milles romains. Itinerar., Wesseling, p. 126.

[7] Tite-Live (l. XXVI, c. 7, 8, 9, 10, 11) décrit la marche et la retraite d’Annibal, et rend le lecteur spectateur en quelque sorte de cette scène intéressante.

[8] Cynéas, le ministre de Pyrrhus, se sentit de cette comparaison au retour de l’ambassade durant laquelle il avait soigneusement étudié les mœurs et la discipline des Romains. Voyez Plutarque, in Pyrrho, t. II, p. 459.

[9] Dans les trois census qui furent faits du peuple romain vers le temps de la seconde guerre punique, on trouva les nombres dont voici le détail (voyez Tite-Live, Epitomé, l. XX ; Hist., l. XXVII, 36 ; XXIX, 37), deux cent soixante-dix mille deux cent treize, cent trente-sept mille cent huit, deux cent quatorze mille. La diminution considérable qui se trouvé dans le second, et l’augmentation du troisième, ont paru si extraordinaires, que, malgré le témoignage unanime des manuscrits, plusieurs critiques ont soupçonné quelque erreur dans le texte de Tite-Live. Voyez Drakenborch, ad XXVII, 36 ; et Beaufort, Républ. romain., t. I, p. 325. Ils ne considéraient pas que le second census ne comprenait que ce qui, se trouvait dans Rome, et que le nombre de citoyens était diminué non seulement par la mort, mais aussi par l’absence d’un grand nombre de soldats. Tite-Live affirme que dans le troisième census les légions furent comptées, et que le dénombrement en fut fait par des commissaires particuliers. Du nombre que porte la liste, il faut toujours déduire un douzième d’hommes au-dessus de soixante ans, et incapables de porter les armes. Voyez Population de la France, p. 72.

[10] Tite-Live considère ces deux incidents comme les effets du hasard et du courage ; mais je soupçonne qu’ils furent conduits tous deux par l’admirable politique du sénat.

[11] Voyez saint Jérôme, tome I, p. 169, 170, ad Eustochium. Il donne à Paula le titre de Graechorum stirps, soboles Scipionum ; Pauli hœres ; cujus vocabulum trahit ; Martiœ Papyriæ, matris Africani, vera et germana propago. Cette description particulière suppose un titre plus solide que le surnom de Jules, que Toxotius partageait avec mille familles des provinces, de l’Occident. Voyez l’Index de Tacite, des Inscriptions de Gruter, etc.

[12] Tacite (Annal., III, 55) affirme qu’entre la bataille d’Actium et le règne de Vespasien, le sénat se remplit peu à peu de nouvelles familles des villes municipales et des colonies de l’Italie.

[13] Nec quisquam procerum tentet (lices rare vetusto

Floreat, et claro cingatur Roma senatu)

Se jactare parem ; sed prima sede relicta

Aucheniis, de jure lices certare secundo.

CLAUD., in Prob. et Olybrii Coss., 18.

Un tel hommage rendu au nom obscur des Auchenii, a fort étonné les critiques ; mais ils conviennent tous que quel que soit le véritable texte, on ne peut appliquer le sens de Claudien qu’à la famille des Aniciens.

[14] La plus ancienne date relative aux Aniciens dans les Annales de Pighius, est celle de M. Anicius Gallus, Trib. Pl. A. U. C. 506 ; un autre tribun, Q. Anicius, A. U. C. 508, est distingué par le surnom de Prænestinus. Tite-Live (XIV, 43) place les Aniciens au-dessous des familles illustres de Rome.

[15] Tite-Live, XLIV, 30-31 ; XLV, 3, 26, 43. Il apprécie avec impartialité le mérite d’Anicius, et observe que la gloire du triomphe de l’Illyrie fut obscurcie par celui de la Macédoine, qui venait de le précéder.

[16] Les dates des trois consulats sont A. U. C. 593, 818, 967 ; les deux derniers sous les règnes de Néron et de Caracalla. Le second de ces consuls ne se distingua que par ses infâmes flatteries. Tacite, Annal., XV, 76. Mais les maisons nobles admettent sans répugnance dans leur généalogie la bassesse et même le crime, pourvu qu’ils puissent servir à en démontrer l’ancienneté.

[17] Dans le sixième siècle, un ministre d’un roi goth d’Italie (Cassiodore, Variar., l. X, ep. 10-12) parle avec le plus grand respect de la noblesse des Aniciens.

[18] . . . . . . . . . . . . . . . Fixus in omnes

Cognatos procedit honos ; quemcumque requiras

Hac de stirpe virum, certum est de consule nasci.

Per fasces numerantur avi, semperque renata

Nobilitate virent : et prolem fata sequuntur.

Claudien, in Prob. et Olyb. cons., 125 etc. Les Anniens, dont le nom semble s’être confondu dans celui des Aniciens, furent illustrés par plusieurs consulats, depuis le temps de Vespasien, jusqu’au quatrième siècle.

[19] Le titre de premier des sénateurs chrétiens paraît justifié par l’autorité de Prudence (in Symmach., I, 553) et par l’éloignement des païens pour la famille Anicienne. Voyez Tillemont, Hist. des Emp., t. IV, p. 183 ; V, p 44 ; Baronius, Annal., A. D. 312, n° 78 ; A. D. 322, n° 2.

[20] Probus..... claritudine generis, et potentia, et opum magnitudine, cognitus orbi romano, per quem universum pene patrimonia sparsa possedit, juste an secus non judicioli est nostri. (Ammien Marcellin, XVII, 11.) Ses enfants et sa veuve lui élevèrent dans le Vatican un superbe mausolée, qui fut démoli du temps du pape Nicolas V, pour faire place à la nouvelle église de Saint-Pierre. Baronius, qui déplore la destruction de ce monument chrétien, en a conservé avec soin les bas-reliefs et les inscriptions. Voyez Annal. ecclés., A. D. 395, n° 5-17.

[21] Deux satrapes persans firent le voyage de Milan et de Rome, pour entendre saint Ambroise et voir Probus. (Paulin, in Vit. S. Ambros.) Claudien (in consul. Probin. et Olybr., 30-60) semble manquer de termes pour décrire la gloire de Probus.

[22] Voyez le poème de Claudien adressé aux deux jeunes consuls.

[23] Secundinius le manichéen (ap. Baron., Annal. ecclés., A. D. 390, n° 34.

[24] Voyez Nardini, Roma antica, p. 89, 498, 500.

[25] Quid loquar inclusas inter laquearia sylvas ;

Vernula quœ vario carmine ludit avis ?

Claudien, Rutil. Numatian. Itinerar. ver., 3. Le poète vivait dans le temps de l’invasion des Goths. Un palais médiocre aurait couvert le bien de Cincinnatus, qui ne contenait que quatre acres. (Val. Maxime, IV, 4.) In laxitatem ruris excurrunt, dit Sénèque, epist. 114. Voyez la note judicieuse de M. Hume dans ses Essais, vol. I, p. 562, dernière édition, in-8°.

[26] On trouve cette curieuse description de Rome au temps d’Honorius, dans un fragment de l’historien Olympiodore, apud Photium, p. 197.

[27] Les fils d’Alypius, de Symmaque et de Maxime, dépensèrent durant le temps de leur préture douze ou vingt ou quarante centenaires, ou cent livres pesant d’or. Voyez Olympiodore, apud Phot, p. 197. Cette estimation populaire laisse quelque latitude ; mais il est assez difficile d’expliquer une loi du Code de Théodose (l. VI, leg. 5), qui fixe la dépense du premier préteur à vingt-cinq mille folles, celle du second à vingt mille ; et celle du troisième à quinze mille. Le nom de follis (voyez Mém. de l’Acad. des Inscript., t. XXVIII, p. 727) s’appliquait également à une bourse de cent vingt-cinq pièces d’argent, et à une petite monnaie de cuivre de la valeur de la deux mille six cent vingt-cinquième partie de cette bourse. Dans le premier sens, les vingt-cinq mille folles auraient été égales à cent cinquante mille livres sterling ; dans le dernier, elles n’en auraient valu que cinq ou six. Le premier serait extravagant, et le second ridicule. Il faut qu’il ait existé quelque valeur moyenne, désignée aussi sous le nom de folles, dont il serait question ici ; mais l’ambiguïté est une faute inexcusable dans l’expression d’une loi.

[28] Nicopolis..... in Actiaco littore sita possessionis vestræ nunc pars vel maxima est. S. Jérôme, in Præfat. Comment. ad epist. ad. Titum, t. IX, p. 243. M. de Tillemont suppose assez étrangement qu’elle faisait partie de la succession d’Agamemnon. Mém. ecclés., t, XI, p. 85.

[29] Sénèque, epist. 89. Son discours est dans le’ genre déclamatoire ; nais il était difficile de trouver des expressions qui pussent exagérer l’avarice et le luxe des Romains. Le philosophe n’a pas lui-même été exempt du reproche, s’il est vrai que la rentrée de quadragenties, ce qui excédait la somme de trois cent mille livres sterling, et qu’il exigea rigoureusement de ceux auxquels il les avait prêtés à gros intérêt, excita une révolte en Bretagne. (Dion Cassius, l. LXII, p. 1003). Selon la conjecture de Gale (dans son Itinéraire d’Antonin in Britann., p. 92), le même Faustinus possédait un domaine dans la province de Suffolk près Bury, et un autre dans le royaume de Naples.

[30] Volusius, riche sénateur (Tacite, Annal., III, 30), préférait toujours pour fermiers ceux qui étaient nés sur ses terres. Columelle, qui adopta de lui cette maxime, raisonne très pertinemment sur ce sujet. De Re rustica, l. I, c. 7, p. 408, édit. Gesner, Leipzig, 1735.

[31] Valois (ad Ammien, XIV, 6) a prouvé, par le témoignage de saint Chrysostome et de saint Augustin, qu’il était défendu aux sénateurs de prêter leur argent à usure. Cependant il paraît, par le Code Théodosien (voyez Godefroy, ad l. II, tit. 33, t. I, p. 230-289), qu’il leur était permis de prendre six pour cent, ou une moitié de l’intérêt légal ; et ce qu’il y a de particulier, c’est que cette permission fut accordée aux jeunes sénateurs.

[32] Pline, Hist. nat., XXXIII, 50. Il fixe la masse d’argent à quatre mille trois cent quatre-vingts livres, que Tite-Live porte jusqu’à cent mille vingt-trois livres (XXX, 45). La première estimation paraît fort au-dessous d’une ville opulente ; et la seconde est beaucoup trop considérable pour le buffet d’un particulier.

[33] Le savant Arbuthnot (Tableau des anc. mon., etc., p. 153) a observé plaisamment, et je crois avec vérité, qu’Auguste n’avait ni vitres à ses croisées, ni chemise sur le corps. Dans le bas-empire, l’usage du linge et du verre devint un peu plus commun.

[34] Il convient que j’avertisse des changements que j’ai pris la liberté de faire au texte d’Ammien : 1° j’ai fondu ensemble le sixième chapitre du quatorzième livre et le quatrième chapitre du vingt-huitième ; 2° j’ai donné un peu d’ordre et de liaison aux matériaux épars ; 3° j’ai adouci quelques hyperboles extravagantes, et supprimé quelques unes des superfluités de l’original ; 3° j’ai développé des observations qui n’étaient qu’indiquées. En admettant ces licences, on trouvera une version, non pas littérale, mais exacte et fidèle.

[35] Claudien, qui semble avoir lu l’histoire d’Ammien, parle de cette grande révolution d’un ton beaucoup moins flatteur.

Postquam jura ferox in se communia Cæsar

Transtulit ; et lapsi mores, desuetaque priscis

Artibus, in gremium pacis servile recessi.

De Bell. gildonico, 49.

[36] Les recherches les plus exactes des antiquaires ont été insuffisantes pour vérifier ces noms extraordinaires. Je suis persuadé, qu’ils ont été inventés par l’historien lui-même, pour éviter toute application de satire personnelle. Toujours est-il vrai que les Romains, longtemps désignés par un seul nom, vinrent par degrés à adopter l’usage d’ajouter à leur nom propre quatre, cinq et même jusqu’à sept pompeux surnoms, comme, par exemple, Marcus-Mœcius-Mæmmius-Furius-Balburius-Cæcilianus-Placidus. Voyez Noris Cenotaph. Pisan, Dissert. IV, p. 438.

[37] Les carrucœ, ou voitures des Romains, étaient souvent d’argent massif, ciselé ou gravé. Les harnais des mules ou des chevaux étaient embossés d’or. Cette magnificence continua depuis le règne de Néron jusqu’à celui d’Honorius ; et la voie Appienne fut couverte de magnifiques équipages qui allèrent à la rencontre de sainte Mélanie quand elle revint à Rome, six ans avant le siège des Goths. (Sénèque, epist. 87 ; Pline, Hist. natur., XXXVIII, 49 ; Paulin. Nolan. apud Baron, Annal. ecclés., A. D. 397, n° 5.) Cependant le faste est bien remplacé par la commodité, et un carrosse uni, suspendu sur de bons ressorts, vaut infiniment mieux que les charrettes d’argent ou d’or de l’antiquité, portant à plomb sur l’essieu, et ordinairement sans aucun préservatif contre les injures de l’air.

[38] M. de Valois à découvert dans une homélie d’Asterius, évêque d’Amasée (ad Ammien, XIV, 6), que c’était une mode nouvelle de représenter en broderie des ours, des loups, des lions et des tigres, des bois et des parties de chasse ; et que les élégants plus dévots y substituaient la figure ou la légende de leur saint favori.

[39] Voyez les Lettres de Pline, I, 6. Trois énormes sangliers furent attirés et pris dans les filets, sans distraire le chasseur philosophe de son étude.

[40] Le changement du mot Averne, de sinistre signification, qui se trouve dans Ammien, est de peu de conséquence. Les deux lac Averne et Lucrin se communiquaient, et ce fut de ces deux lacs qu’au moyen des prodigieux môles d’Agrippa, fut fait le port Julien, dont l’étroite entrée donnait dans le golfe de Pouzzoles. Virgile, qui demeurait sur les lieux, a décrit (Géorgiques, II, 161) cet ouvrage au moment de son exécution. Ses commentateurs, principalement Cartrou, ont tiré beaucoup de lumières de Strabon, de Suétone et de Dion. Des tremblements de terre et des volcans ont changé la face du pays, et le mont Nuovo a pris depuis 1538 la place du lac Lucrin. Voyez Camillo Pellegrino, Discorsi della Campania Felice, p. 239-244, etc. ; Antonii Sanfelicii Campania, p. 13-88.

[41] Les regna Cumana et Puteolana ; loca cœtero qui valde expetenda, interpellantium autem multitudine penè fugienda. Cicéron, ad Atticus, XVI, 17.

[42] L’expression proverbiale d’obscurité cimmérienne a été originairement empruntée d’une description d’Homère (onzième livre de l’Odyssée), qu’il applique à une contrée fabuleuse sur les rives éloignées de l’Océan. Voyez Erasmi Adagia, dans ses Œuvres, t. II, p. 53, édit. de Leyde.

[43] Sénèque (épit. 123), rapporte trois circonstances curieuses relativement aux voyages des Romains. 1° Ils étaient précédés d’une troupe de cavalerie numide, qui annonçait un grand seigneur par une nuée de poussière. 2° On chargeait sur des mules non seulement les vases précieux, mais encore la fragile vaisselle de cristal et de murra. Le savant traducteur français de Sénèque (t. III, p. 402-422) a presque démontré que murra signifiait des porcelaines de la Chine et du Japon. 3° On enduisait d’une espèce d’onguent les belles figures des jeunes esclaves, pour les mettre à l’abri des effets du soleil ou du grand froid.

[44] Distributio solemniam sportularum. Les sportulæ ou sportellæ étaient de petits paniers qui étaient supposés contenir une certaine quantité de mets chauds, de la valeur de cent quadrantes, ou environ douze sous et demi. On les rangeait avec ostentation dans la première salle, et on les distribuait à la foule affamée ou servile qui assiégeait la porte. Les satires de Juvénal et les épigrammes de Martial font souvent, mention de cette coutume peu délicate. Voyez aussi Suétone, in Claude, c. 21 ; in Néron, c. 16 ; in Domitien, c. 4-7. Ces paniers de nourriture furent ensuite convertis en larges pièces d’or et d’argent monnayées ou de vaisselles, qui, étaient réciproquement données et acceptées par les citoyens du premier rang (voyez Symmaque, epist. IV, 55 ; IX, 124 ; et Miscell., p. 256), dans les occasions solennelles de mariages ou de consulats, etc.

[45] En latin glis et loir en français, Ce petit animal habite dans les bois, et paraît privé de mouvement dans les froids rigoureux. Voyez Pline, Hist. nat., t. VIII, p. 82 ; Buffon, Hist. nat., t. VII, p. 158 ; et l’Abrégé de Pennant sur les quadrupèdes, p. 289. On s’occupait dans les maisons de campagne d’élever et d’engraisser une grande quantité de glires ou loirs, et on en faisait un article d’économie très lucratif (Varron, de Re rustica, III, 15). Ce mets fût plus recherché dans les tables somptueuses, depuis la défense ridicule des censeurs. On assure qu’on en fait encore grand cas aujourd’hui à Rome, et que les princes de la maison des Colonnes en font souvent des présents. Voyez Brottier, le dernier éditeur de Pline, tome II, page 558, apud Barbou, 1779.

[46] Ce jeu, dont le nom peut être traduit par la dénomination plus familière de trictrac, était le passe-temps favori des plus graves Romains, et le vieux jurisconsulte Mutius Scævola avait la réputation de le jouer très savamment. On le nommait ludus duodecim scriptorum, en raison des douze scripta ou lignes qui partageaient également l’alveolus ou la table. On plaçait régulièrement les deux armées, l’une blanche et l’autre noire, sur cette table, et chaque armée consistait en quinze soldats ou calculi, que l’on remuait conformément aux règles du jeu et aux chances des tesseræ ou dés. Le docteur Hyde, qui détaille soigneusement l’histoire et les variations du nerdiludium, nom tiré de la langue persane, depuis l’Irlande jusqu’à Japon, prodigue sur ce sujet peu important un torrent d’érudition classique et orientale. Voyez Syntagma Dissert., t. II, p. 217-405.

[47] Marius Maximus, homo omnium verbosissimus, qui et mythistoricis se voluminibus implicavit. Vopiscus, in Hist. August., p. 242. Il a écrit la vie des empereurs depuis Trajan jusqu’à Alexandre-Sévère. Voyez Gérard Vossius, de Hist. latin, t. II, c. 3, dans ses Œuvres, vol. IV, p. 57.

[48] Il y a probablement de l’exagération dans cette satire. Les Saturnales de Macrobe et les Epîtres de saint Jérôme prouvent d’une manière incontestable qu’un grand nombre de Romains, des deux sexes et du premier rang, cultivaient la littérature classique et la théologie chrétienne.

[49] Macrobe, l’ami de ces nobles Romains, considère les étoiles comme la cause, ou au moins comme l’indice certain des événements futurs. De Somn. Scip., l. I, c. 19, page 68.

[50] L’histoire de Tite-Live (voyez particulièrement VI, 36) parle sans cesse des extorsions des riches et de la misère des débiteurs indigents. La triste histoire d’un brave et vieux soldat (Denys d’Halicarnasse, l. VI, c. 26, p. 347, édit. Hudson ; et Tite-Live, II, 23) doit s’être répétée fréquemment dans ces premiers temps dont on fait mal à propos l’éloge.

[51] Non esse in civitate dua millia hominum qui rem haberent. Cicéron, Offic., II, 21 ; Comment. Paul. Manut. in édit. Grœv. Philippe, tribun du peuple, inséra ce dénombrement vague dans son discours, A. U. C. 649 ; et son objet, ainsi que celui des Gracques (voyez Plutarque), était de déplorer et peut-être d’exagérer la misère du peuple.

[52] Voyez la troisième satire (60-125) de Juvénal, qui se plaint avec indignation,

. . . . . Quamvis quota porno fecis Achæi !

Jampridem Syrus in Tiberim defluxit Orontes ;

Et linguam et mores, etc.

Sénèque tâche de consoler sa mère, en lui faisant observer que presque tous les hommes passent leur vie dans l’exil, et lui rappelle que la plupart des habitants de Rome ne sont point nés dans cette capitale. Voyez Consolation ad Helv., c. 6.

[53] On trouve dans le quatorzième livre du code de Théodose presque tout ce qui a rapport au pain, au porc salé, à l’huile et au vin, etc. Il traite particulièrement de la police des grandes villes. Voyez surtout les tit. 3, 4, 15, 16, 17, 24. Il parait inutile de transcrire les témoignages secondaires qui se trouvent dans le commentateur Godefroy. D’après cette loi de Théodose, qui apprécie en argent la ration militaire, une pièce d’or (onze schellings) était la valeur de quatre-vingts livres de porc salé, ou de quatre-vingts livres d’huile, ou de douze modii ou mesures de sel. Cod. Theod, l. VIII, tit. 4, leg. 17. Cette évaluation, comparée à une autre de soixante-dix livres de porc salé pour une amphora (Cod. Theod, l. XIV, tit. 4, leg. 4), fixe le prix du vin à environ seize pence la bouteille.

[54] L’auteur anonyme de la Description du monde (p. 14, t. III, Geograph, minor, Hudson), observe que la Lucanie dans son latin barbare, regio optima, et ipsa omnibus abundans, et lardum multum foras emittit. Propter quod est ire montibus, cujus escam animalium variam, etc.

[55] Voyez Novell. ad calcem, Cod. Theod. D. Valent., l. I, tit. 15. Cette loi fut publiée à Rome, A. D. 442, le 29 du mois de juin.

[56] Suétone, in Auguste, c. 42. La plus forte débauche qu’on ait vu faire à cet empereur de son vin favori de Rhétie, n’excéda jamais un sextarius ou demi-pinte. Id., c. 77. Torrentius, ad loc., et les Tables d’Arbuthnot, p. 86.

[57] Son dessein était de planter des vignes tout le long de la côte d’Etrurie. (Vopiscus, in Hist. August., p. 225), les tristes, incultes et malsaines maremme de la Toscane moderne.

[58] Olympiodore, apud Phot, p. 197.

[59] Sénèque (epist. 56) compare les bains de Scipion l’Africain dans sa maison de campagne à Liternum avec la magnificence toujours croissante des bains publics de Rome, longtemps avant l’établissement des bains superbes de Caracalla et de Dioclétien. Le quadrant qu’on payait pour y entrer était la quatrième partie de l’as, à peu près la huitième du penny anglais.

[60] Ammien (l, XIV, c. 6 ; et l. XXVII, c. 4), après avoir décrit le luxe et l’orgueil des nobles romains, déclame avec la même indignation contre les vices et l’extravagance du peuple.

[61] Juvénal, Satire XI, 191, etc. Les expressions de l’historien Ammien ne sont ni moins fortes ni moins animées que celles du poète satirique ; et l’un et l’autre peignaient d’après nature. Le nombre de spectateurs que le Cirque pouvait contenir est tiré des Notitiœ de la ville. Les différences que l’on y rencontre prouvent qu’elles ne se copiaient pas ; et ce nombre paraît incroyable, même lorsque l’on considère que, dans ces occasions, tous les habitants de la campagne accouraient en foule dans la capitale.

[62] Ils composaient à la vérité quelquefois des pièces originales.

. . . . . . . . . . . . . . . Vestigia græca

Ausi descrere et celebrare domestica facta.

Horace, epist. ad Pison, 285 ; et la savante et obscure note de Dacier, qui aurait pu accorder le nom de tragédies au Brutus et au Decius de Pacuvius, ou au Caton de Maternus. L’Octavie attribuée à un des Sénèque existe encore, et ne donne pas grande opinion de la tragédie romaine.

[63] Du temps de Pline et de Quintilien, un poète tragique était réduit à la triste ressource de louer une grande salle pour y lire sa pièce à l’assemblée qu’il y avait invitée. Voyez Dialog. de Orationibus, c. 9-11 ; et Pline, epist. VII, 17.

[64] Voyez le dialogue de Lucien, intitulé de Saltatione, t. II, p. 265-317, édit. Reitz. Les pantomimes obtinrent le nom honorable de χειροσοφοι, et on exigeait qu’ils eussent une teinture de tous les arts et de toutes les sciences. Burette (dans les Mém. de l’Acad. des Inscript., t. I, p. 127, etc.) a donné une histoire abrégée de l’art des pantomimes.

[65] Ammien, l. XIV, c. 6. Il se plaint de ce que les rues de Rome sont pleines de filles qui auraient pu donner des enfants à l’État, et, qui n’ont d’autre occupation que celle de friser leurs cheveux ; et jactari volubilibus gyris, dum exprimunt innumera simulacra, quœ finxere, fabulœ theatrales.

[66] Lipse (t. III, p. 423, de Magnitudine romana, l. III, c. 3) et Isaac Vossius (Observat. Var., p 26-34) adoptent l’étrange idée de quatre, huit et même quatorze millions d’habitants à Rome, M. Hume, dans ses Essais (volume I, p. 450-457), montre, avec une raison et un bon sens de scepticisme, admirable, une disposition secrète à rabaisser la population des anciens temps.

[67] Olympiodore, apud Phot., p. 197. Voyez Fabricius, Bibl. græc., t. IX, p. 400.

[68] In ea autem majestate urbis et civium infinita frequentia innumerabiles habitationes opus est explicare. Ergo cum recipere non possit area planata tantam multitudinem ad habitandum in urbe, ad auxilium altitudinis aedificiorum res ipsa coegit devenire. Vitruve, II, 8. Ce passage, dont je suis redevable à Vossius, est clair, important et remarquable.

[69] Les témoignages successifs de Pline, Aristide, Claudien, Rutilius, etc., prouvent que ces édits prohibitifs ne suffirent point pour arrêter l’abus. Voyez Lipse, de Magnitudine romana.

[70] Lisez la troisième satire entière, mais particulièrement 166, 223, etc. La description de la foule entassée dans une insula ou auberge (voyez Pétrone, c. 95, 97) justifie les complaintes de Juvénal ; et Heineccus (Hist. jur. rom., c. 4, p. 181), dont l’autorité n’est pas récusable, nous apprend que, du temps d’Auguste, les différents cœnacula ou appartements d’une insula produisaient ordinairement un revenu de quarante mille sesterces, entre trois et quatre cents livres sterling. (Pandect., l. XIX, tit. II, n° 30), somme qui prouve à la fois la grande étendue des bâtiments publics, et le prix élève des logements qu’ils renfermaient.

[71] Ce nombre total est composé de mille sept cent quatre-vingts domus ou maisons principales, et quarante-six mille six cent deux insulæ ou habitations du peuple (voyez Nardini, Roma antica, l. III, p. 88) ; et ce dénombrement est justifié par la conformité des textes des différentes Notitiœ. Nardini, l. VIII, p. 498-500.

[72] Lisez les Recherches de M. de Messance, écrivain exact, sur la population, p. 175-187. Il assigne à Paris, d’après des calculs sûrs ou probables, vingt-trois mille cinq cent soixante-cinq maisons, soixante et onze mille cent quatorze familles, et cinq cent soixante-seize mille six cent trente habitants.

[73] Ce calcul ne diffère pas beaucoup de celui que M. Brottier, dernier éditeur de Tacite (t. II p. 380), a fait d’après les mêmes principes, quoiqu’il semble prétendre une précision qui n’est ni possible ni fort importante.

[74] Relativement aux événements du premier siège de Rome, que l’on confond souvent avec le second et avec le troisième, voyez Zozime, l. V, p. 35-354 ; Sozomène, l. IX, c. 6 ; Olympiodore, apud Phot, p. 180 ; Philostorgius, l. XII, c. 3 ; et Godefroy, Dissert., p. 467-475.

[75] La mère de Lœta portait le nom de Pissumena. On ignore le pays, la famille et le nom de son père. Ducange, Fam. byzant., p. 59.

[76] Ad nefandos cibos crupit esurientium rabies, et sua invicem membra laniarunt, dum mater non parcit lactenti infantiœ ; et recipit utero, quem paulo ante effuderat. Saint Jérôme, ad Principiam, t. I, p. 121. On raconte les mêmes horreurs du siége de Jérusalem et de celui de Paris. Relativement au dernier, comparez le dixième livre de la Henriade avec le Journal de Henri IV, t. I, p. 47-83 ; et vous observerez qu’un simple récit de ces faits est infiniment plus pathétique que les descriptions les plus recherchées d’un poème épique.

[77] Zozime (l. V, p. 355, 356) parle de ces cérémonies comme un Grec qui n’avait aucune connaissance des superstitions romaines ou toscanes. Je soupçonne qu’elles consistaient en deux parties, l’une secrète et l’autre publique. La première était probablement une imitation des enchantements au moyen desquels Numa avait fait descendre Jupiter et, son tonnerre sur le mont Aventin,

. . . Quid agani laqueis, quœ carmina dicant

Quaque trahant superis sedibus arte Jovem,

Scire nefas homini.

Les ancilia ou boucliers de Mars, les pignora imperiï que l’on portait en procession aux calendes de mars, tiraient leur origine de cet événement mystérieux. (Ovide, Fastes, III, 259-398.) Le dessein était probablement de rétablir cette ancienne fête que Théodose avait supprimée. En ce cas-là, nous retrouvons une date chronologique (le 1er mars A. D. 409) que l’on n’a point encore remarquée.

[78] Sozomène (l. IX, c. 6) insinue que cette expérience fut tentée sans succès ; mais il ne parle point d’Innocent et Tillemont (Mém. ecclés., tome X, p. 645) est décidé de ne point croire qu’un pape ait été capable de cette complaisance impie.

[79] Le poivre était l’ingrédient favori de la cuisine la plus recherchée des- Romains ; et la meilleure espèce se vendait communément quinze deniers, ou environ dix schellings la livre. Voyez Pline, Hist. nat., XII, 14. On l’apportait des Indes, et le même pays, la côte de Malabar, en fournit toujours très abondamment ; mais le commerce et la navigation ont multiplié la quantité et diminué le prix. Voyez, Hist. polit. et philos., etc., t. I, p. 457.

[80] Ce chef des Goths est nommé par Jornandès et par Isidore, Athaulphe ; par Zozime et Orose, Ataulphe ; et par Olympiodore, Adoulphe. Je me suis servi du nom célèbre d’Adolphe, autorisé ici par l’usage des Suédois, frères ou fils des anciens Goths.

[81] Le traité entre Alaric et les Romains, etc., est tiré de Zozime, l. V, p. 354, 355, 358, 359, 362, 363. Ce que nous savons des circonstances qui l’accompagnèrent n’est pas assez considérable, et assez intéressant pour exiger d’autre citation.

[82] Zozime, l. V, p. 367, 368, 369.

[83] Zozime, l. V, p. 360, 361, 362. L’évêque évita, en restant à Ravenne, les calamités qui menaçaient la ville. Orose, l. VII, c. 39, p. 573.

[84] Relativement aux aventures d’Olympius et de ses successeurs au ministère, voyez Zozime, l. V, p. 363, 365, 366 ; et Olympiodore, ap. Phot., 180, 181.

[85] Zozime (l. V, p. 364) raconte cette circonstance avec une satisfaction visible, et célèbre le caractère de Gennerid comme le dernier qui fit honneur au paganisme expirant. Le concile de Carthage n’était pas de cette opinion lorsqu’il députa quatre évêques à la cour de Ravenne pour se plaindre d’une loi nouvellement publiée qui exigeait que toutes les conversions au christianisme fussent libres et volontaires. Voyez Baronius, Annal. ecclésiastiques, A. D. 409, n° 12 ; A. D. 410, n° 47, 48.

[86] Zozime, I. V, p. 367, 368, 369. Cet usage de jurer par la tête, la vie, la sûreté ou le génie du souverain, était très ancien en Égypte et en Scythie. (Genèse, XLII, 15.) L’adulation le fit bientôt passer chez les Césars ; et Tertullien se plaint de ce que, dans son temps, ce serment était le seul pour lequel les Romains affectassent de conserver du respect. Voyez l’élégante Dissertation de l’abbé Massieu sur les serments de l’antiquité, Mém. de. l’Acad. des Inscript., t. I, p. 208, 209.

[87] Zozime, l. V, p. 368, 369. J’ai adouci les expressions d’Alaric, qui s’étend trop pompeusement sur l’histoire de Rome.

[88] Voyez Suétone, in Claude, c. 20 ; Dion Cassius, l. LX, 949, édit. Reimar ; la vive description de Juvénal, satire XII, 75, etc. Dans le seizième siècle, tandis que les restes du port d’Auguste étaient encore visibles, les antiquaires en esquissèrent le plan (voyez d’Anville, Mém. de l’Acad. des Inscript., t. XXX, p. 198) ; et déclarèrent avec enthousiasme que tous les monarques de l’Europe réunis ne parviendraient point à exécuter un pareil ouvrage. Bergier, Hist. des grands chemins des Romains, t. II, p. 356.

[89] Ostia tiberina. (Voyez Chivier, Italia antiqua, t. III, p. 870-879.) Les deux bouches du Tibre étaient séparées par l’île sacrée, triangle équilatéral dont les côtés étaient évalués à environ deux milles. La colonie d’Ostie était placée immédiatement au-delà du bras gauche ou méridional de la rivière et le port au-delà du bras droit au septentrional ; et la distance entre leurs restes, selon la carte de Cingolani, est d’un peu plus de deux milles. Du temps de Strabon, le sable et la vase avaient presque bouché le port d’Ostie ; le progrès de cette même cause a augmenté l’étendue de l’île sainte, et insensiblement Ostie et le port se sont trouvés à une distance considérable du rivage. Les canaux à sec, fiumi morti, et les vastes marais, stagno di Ponente, di Levante, marquent les retraites de la rivière et les efforts de la mer. Consultez sur l’état de cette plage triste et solitaire, l’excellente carte de l’État ecclésiastique, par les mathématiciens de Benoît XIV, une vue de l’état présent de l’Agro romano, en six feuilles, par Cingolani, qui contient cent treize mille huit cent dix-neuf rubbia, environ cinq cent soixante-dix mille acres ; et la grande carte topographique d’Ameti, en huit feuillés.

[90] Dès le troisième siècle (Lardner, Crédibilité de l’Évangile, part 2, vol. III, p. 89-82), ou du moins dès le quatrième (Carol. à sancto Paulo, Notit. ecclés., p. 47), le port de Rome était devenu une ville épiscopale, qui a été démolie, à ce qu’il paraît, dans le neuvième siècle, par le pape Grégoire IV, au temps des incursions des Arabes. Elle se trouve aujourd’hui réduite à une auberge, une église, et une maison ou palais de l’évêque, qui est un des six cardinaux de l’Eglise romaine. Voyez Eschinard, Descrizione di Roma et dell Agro romano, p. 328.

[91] Relativement à l’élévation d’Attale, consultez Zozime, l. VI, p. 377-380 ; Sozomène, l. 9, c. 8, 9. Olympiodore, apud. Phot., p. 180, 181 ; Philostorgius, l. XII, c. 3 ; et Godefroy, Dissertat., p. 470.

[92] Nous pouvons admettre le témoignage de Sozomène relativement au baptême arien d’Attale, et celui de Philostorgius relativement à son éducation païenne. La joie visible de Zozime et le mécontentement qu’il impute à la famille Anicienne, ne font pas présumer favorablement du christianisme du nouvel empereur.

[93] Il porta l’insolence jusqu’à déclarer qu’il ferait mutiler Honorius avant de l’envoyer en exil ; mais cette assertion de Zozime est contredite par le témoignage plus impartial d’Olympiodore. Il impute cette proposition odieuse à la bassesse et peut-être à la perfidie de Jovius, et assure qu’elle fût absolument rejetée par Attale.

[94] Procope, de Bell. vandal., l. I, c. 2.

[95] Voyez la cause et les circonstances de la chute d’Attale, dans Zozime, l. VI, p. 380-383 ; Sozomène, l. IX, c. 8 ;  Philostorgius, l. XII, c. 3. Les deux amnisties (Cod. Theod., l. IX, tit. 38, leg. II, 12) qui furent publiées le 12 février et le 8 d’août, A. D. 410, sont évidemment relatives à cet usurpateur.

[96] In hoc, Alaricus ; imperatore facto, infecto, refecto ac defecto..... mimum risit, et ludum spectavit imperii. Orose, l. VII, c. 42, p. 582.

[97] Zozime, l. VI, p. 384 ; Sozomène, l. IX, c. 9 ; Philostorgius, l. XII, c. 3. Dans cet endroit, le texte de Zozime se trouve mutilé ; et nous avons perdu le reste de son sixième et dernier livre qui finissait par le sac de Rome. Quoique cet historien puisse être accusé de partialité et de crédulité, nous ne nous en voyons point privé sans quelque regret.

[98] Adest Alaricus, trepidam Romam obsidet, turbat, irrumpit. Orose, l. VII, c. 39, p. 573. Il raconte en sept mots ce grand événement ; mais il remplit des pages entières de la dévotion des Goths. J’ai tiré d’une histoire invraisemblable de Procope, les circonstances qui m’ont paru avoir quelque air de probabilité. (Procope, de Bell. vandal., l. I, c. 2.) Il suppose que la ville fut prise tandis que les sénateurs dormaient après leur dîner ; mais saint Jérôme, dont le témoignage a beaucoup d’autorité, assure, avec plus de vraisemblance, que ce fut dans la nuit : Nocte Moab capta est ; nocte cecidit murus ejus. Tome I, page 121, ad Principiam.

[99] Orose (l. VII, c. 39, p. 573-576) applaudit à la piété des Goths chrétiens, sans paraître réfléchir que le plus grand nombre était de la secte d’Arius. Jornandès (c. 30, p. 653) et Isidore de Séville (Chron., p. 714, édit. Grot.), qui étaient fort attachés au parti des Goths, ont répété et embelli ces histoires édifiantes. Selon Isidore, on entendit dire à Alaric lui-même qu’il faisait la guerre aux Romains et non pas aux saints apôtres : tel était le style du septième siècle. Deux cents ans plus tôt, le mérite et la gloire étaient attribués au Christ et non pas à ses apôtres.

[100] Voyez saint Augustin, de Civit. Dei, l. I, c. 16. Il cite les exemples de Troie, de Syracuse et de Tarente.

[101] Saint Jérôme, t. I, p. 121, ad Principiam. Il applique au sac de Rome les expressions énergiques de Virgile :

Quis cladem illius noctis, quis funera fando,

Explicet ? etc.

Procope (l. I, c. 2) affirme que les Goths massacrèrent un grand nombre de Romains. Saint Augustin (de Civit. Dei, l. I, c. 12, 13) offre aux chrétiens des motifs de consolation pour la mort de ceux dont les cadavres, multa corpora, restèrent sans sépulture, in tanta strage. Baronius a tiré des écrits des différents pères de l’Église quelques lumières sur le pillage de Rome. Annal. ecclés., A. D. 410,  n° 16-44.

[102] Sozomène, l. IX, c. 10. Saint Augustin (de Civ. Dei, c. 17) assure que quelques vierges ou matrones se donnèrent la mort pour éviter d’être violées ; et quoiqu’il admire leur courage, ses opinions théologiques le forcent â blâmer leur présomptueuse imprudente. Peut-être le bon évêque d’Hippone crut-il trop facilement à des actes d’héroïsme qu’il blâmait avec trop de sévérité. Les vingt vierges, supposé qu’elles aient existées, qui se jetèrent dans l’Elbe lorsque Magdebourg fut pris d’assaut, ont été multipliées au nombre de douze cents. Voyez l’Hist. de Gustave-Adolphe, par Harte, v. I, p. 308.

[103] Voyez saint Augustin, de Civit. Dei, l. I, c. 16-18. Il traite ce sujet avec beaucoup d’attention, et après avoir admis qu’il ne peut point y avoir de crime sans consentement, il ajoute : Sed quia non solutra quod ad dolorem, verum etiam quod ad libidinem pertinet, in corpore alieno perpetrari potest, quicquid tale factum fuerit, etsi retentam constantissimo animo pudicitiam non excutit, pudorem tamen incutit, ne credatur factum cum mentis etiam voluntate, quod fieri fortasse sine carnis aliqua voluptate non potuit. Dans le chapitre 18 il fait quelques distinctions curieuses entre la virginité morale et la virginité physique.

[104] Marcella, Romaine également distinguée par son rang, par son âge et par sa piété, fut renversée à terre et inhumainement battue et fouettée : Cæsam fustibus flagellisque, etc. Saint Jérôme, tome I, p, 121, ad Principiam. (Voyez saint Augustin, de Civ. Dei, l. I, c. 10.) Le moderne Sacco di Roma, p. 208, donne une idée des différentes tortures que l’on faisait souffrir aux prisonniers pour découvrir leurs trésors.

[105] L’historien Salluste, qui pratiquait utilement les vices qu’il a censurés avec éloquence, employa les dépouilles de la Numidie à embellir son palais et ses jardins sur le mont Quirinal. L’endroit où il était situé est occupé aujourd’hui par l’église de Sainte-Susanne, séparée par une seule rue des bains de Dioclétien, et peu éloignée de la porte Salarienne. Voyez Nardini, Roma antica, p. 192, 193 ; et le grand Plan de Rome moderne, par Nolli.

[106] Les expressions de Procope sont claires et modérées, de Bell. vandal, l. I, c. 2. La Chronique de Marcellin paiâ4t s’exprimer trop fortement, partem urbis Romœ cremavit ; et les expressions de Philostorgius, εν ερειπιοις δε της πολεος κειμένης (l. XII, c. 3), donnent une idée fausse et exagérée. Bargæus a composé une Dissertation particulière pour prouver que les édifices de Rome ne furent point détruits par les Goths et par les Vandales.

[107] Orose, l. II, c. 19, p. 143. Il semblerait désapprouver toutes sortes de statues ; vel Deum vel hominem mentiuntur. Elles représentaient les rois d’Albe et de Rome depuis Enée, les Romains qui s’étaient illustrés par les armes ou par les arts et les Césars qu’on avait mis au rang des dieux. Le nom de Forum, dont il se sert, est un peu équivoque, puisqu’il en existait cinq principaux ; mais comme ils étaient tous contigus les uns aux autres dans la plaine qui est environnée par les monts Capitolin, Quirinal, Esquilin et Palatin, on peut les regarder comme ne faisant qu’un seul forum. Voyez la Roma antiqua, de Donat, p. 162-201 ; et la Roma antica de Nardini, p. 212-273. La première est plus utile pour les anciennes descriptions, et la seconde pour la topographie actuelle.

[108] Orose (l. II, c. 19, p. 142) compare la cruauté des Gaulois à la clémence des Goths. Ibi vix quemquam inventum senatorem, qui vel absens evaserit ; hic vix quemquam requiri, qui forte ut latens perierit. Mais cette antithèse a un air de recherche qui ne ressemble point à la vérité ; et Socrate (l. VII, c. 10) affirme, peut-être tout aussi faussement, qu’un grand nombre de sénateurs furent massacrés après avoir souffert les plus cruelles tortures.

[109] Multi christiani in captivitatem ducti sunt (saint Augustin, de Civit. Dei, l. I, c. 14) ; et les chrétiens ne furent pas plus maltraités que les autres.

[110] Voyez Heineccius, Antiq. juris roman, t. I, p.96.

[111] Appendix, Cod. Theod., XVI ; in Sirmond, opera, t. I, p. 135. Cet édit fut publié le 11 décembre, A. D. 408, et annonce plus de sagesse qu’on ne pouvait en attendre des ministres d’Honorius.

[112] Rutilius, in Itiner., l. I, 325. L’île est connue aujourd’hui sous le nom de Giglio. Voyez Cluvier, Ital. antiq., l. II, p. 502.

[113] Comme les aventures de Proba et de sa famille sont liées avec la vie de saint Augustin, Tillemont s’est appliqué avec beaucoup de soin à les éclaircir (Mém. ecclés., t. XIII, p. 620-635). Quelque temps après leur arrivée en Afrique, Démétrias prit le voile, et fit vœu de virginité. On regarda cet événement comme très intéressant pour Rome et pour le monde chrétien. Tous les saints écrivirent à Demetrias des lettres de félicitation. Celle de saint Jérôme existe encore (t. I, p. 62-73, ad Demetriad, de servanda Virginitate). C’est un mélange de raisonnements absurdes, de déclamations véhémentes et de faits assez curieux, dont quelques-uns sont, relatifs au siège et au pillage de Rome.

[114] Voyez les lamentations pathétiques de saint Jérôme, t. V, p. 400, dans sa préface au second livre de ses Commentaires sur le prophète Ézéchiel.

[115] Orose établit cette comparaison sans pouvoir cependant se dépouiller de toute partialité théologique (l. II, c. 19, p. 142 ; l. VII, c. 39, p. 575). Mais dans l’histoire de la prise de Rome par les Gaulois tout est incertain et peut-être fabuleux. Voyez Beaufort, sur l’Incertitude, etc., de l’Histoire romaine, p. 356 ; et Melot, Mémoires de l’Acad. des Inscript., t. XV, p. 1-21.

[116] Le lecteur qui désire connaître les circonstances de ce fameux événement peut lire l’excellent récit du docteur Robertson, Hist. de Charles-Quint, vol. II, p. 283, ou consulter gli Annali d’Italia, du savant Muratori, t. XIV, p. 230-244, édit. in-8°. S’il veut examiner les originaux, il peut avoir recours au dix-huitième livre de la grande, mais incomplète histoire de Guicciardini. Au reste, l’ouvrage qui mérite le mieux le titre d’authentique et d’original, est un petit livre intitulé il Sacco di Roma, composé environ un mois après le pillage de la ville, par le frère de l’historien Guicciardini, qui paraît avoir été magistrat habile et écrivain impartial.

[117] Bossuet (Hist. des Variations des Églises protestantes, l. I, p. 20-36) a attaqué vigoureusement la disposition fougueuse de Luther, effet du tempérament et de l’enthousiasme ; et Seckendorf (Commentaire du luthéranisme) l’a défendu faiblement (l. I, n° 78, p. 120 ; et l. II, n° 122, p. 556).

[118] Marcellin dans sa Chronique. Orose (l. VII, c. 39 ; p. 575) assure qu’il quitta Rome le troisième jour ; mais cette différence peut aisément être conciliée par les mouvements successifs des différents corps d’une grande armée.

[119] Socrate (l. VII, p. 10) prétend, sans aucune apparente de vérité ou de raison, qu’Alaric se retira à la hâte en apprenant que les armées de l’empire d’Orient étaient en marche pour venir l’attaquer.

[120] Ausone, de claris Urbibus, p. 233, édit. Toll. Le luxe de Capone avait autrefois surpassé celui de Sybaris. Voyez Athénée Deipnosophist, l. XII, p. 528, édit. Casaubon.

[121] Quarante huit ans après la fondation de Rome, environ huit cents ans avant l’ère chrétienne ; les Toscans bâtirent Capoue et Nole, à la distance de vingt-trois milles l’une de l’autre ; mais la dernière de ces villes ne s’éleva jamais au-dessus d’un état de médiocrité.

[122] Tillemont (Mém. ecclés., t. XIV, p. 1-146) a compilé avec son activité ordinaire tout ce qui a rapport à la vie ou aux écrits de saint Paulin, dont la retraite est célébrée dans ses propres écrits, et par les louanges de saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin et Sulpice Sévère, ses contemporains et ses amis.

[123] Voyez les Lettres affectueuses d’Ausone (epist. 19-25, p. 650-698, édit. Toll) à son collègue, son ami et son disciple saint Paulin. La religion d’Ausone est encore un problème. Voyez les Mém. de l’Acad. des Inscript, tome XV, p. 123-138. Je crois qu’elle n’était pas moins un problème durant sa vie, et conséquemment qu’il était païen dans le cœur.

[124] L’humble saint-Paulin eut une fois la présomption d’avouer qu’il croyait être aimé se saint Félix au moins comme un homme aime son petit chien.

[125] Voyez Jornandès, de Reb. get., c. 30, p. 653 ;. Philostorgius, l. XII, c. 3, saint Augustin, de Civ. Dei, l. I, c. 10 ; Baronius, Annal. ecclés., A. D. 410, n° 45, 46.

[126] Le platane ou plane était l’arbre favori des anciens ; ils le multiplièrent, à raison de son ombrage, depuis l’Orient jusque dans la Gaule. Pline, Hist. nat., XII, 3, 4, 5. Il en cite plusieurs d’une taille énorme, un entre autres dans une maison de campagne impériale à Velletri, que Caligula appelait son nid. Ses brandies mettaient à l’abri une vaste table et toute la suite de l’empereur, que Pline nomme finement pars umbrœ, expression qui pouvait aussi bien convenir à Alaric.

[127] The prostrate South to the destroyer yields.

Her boasted titles, and her golden fields

With grim delight the brood of wanter view

A brighter day ; and skies of azure hue ;

Scent the new fragrance of the opening rose,

And quaff the pendant vintage as il grows.

Le Midi consterné céda aux dévastateurs ses titres de gloire à ses champs dorés. Le fils de l’Hiver vit pour la première fois, avec une hideuse expression de plaisir, un jour brillant et des cieux teints d’azur ; pour la première fois il sentit le parfum de la rose nouvellement épanouie, et savoura le jus de la grappe pendante sur le cep.

Voyez les Poésies de Gray, publiés par M. Mason, p. 197. Au lieu de compiler des tables chronologiques et d’histoire naturelle, pourquoi Gray n’a-t-il pas employé son génie achever ce poème philosophique, dont il nous a laissé un si précieux échantillon ?

[128] On trouve une excellente description du détroit de Messine, de Charybde et de Scylla, dans Cluvier, Italia antiq., l. IV, p. 1293 ; et Sicil. antiq., l. I, p. 60-76. Il a soigneusement étudié les anciens, et examiné avec exactitude l’état actuel du pays.

[129] Jornandès, de Reb. get, c. 30, p. 654.

[130] Orose, l. VI, c. 43, p. 584, 585. Saint Augustin l’envoya, en 415, d’Afrique en Palestine, visiter saint Jérôme, et le consulter relativement à la controverse de Pélage.

[131] Jornandès suppose, sans beaucoup de probabilité, qu’Adolphe revint à Rome et la pilla une seconde fois, more locustarum erasit. Il convient cependant, avec Orose, que le roi des Goths conclut un traité avec Honorius. Voyez Orose, l. VII, c. 43, p. 584, 585 ; Jornandès, de Reb. get., c. 31, p. 654, 655.

[132] La retraite des Goths hors de l’Italie, et leurs premières opérations dans la Gaule, sont obscures et douteuses. J’ai tiré beaucoup de secours de Mascou (Hist. des anciens Germains, l. VIII, c. 29, 35, 36, 37.). Il a éclairci et lié les chroniques interrompues et les fragments de ces temps-là.

[133] Voyez ce qui a rapport à Placidie dans Ducange, Fam. byzant., p. 72 ; et Tillemont, Hist. des Empereurs, t. V, p. 260-386, etc. ; t. VI, p. 240.

[134] Zozime, l. V, p. 350.

[135] Zozime, l. VI, p. 38 ; Orose, l. VII, c. 40, p. 576. Les Chroniques de Marcellin et d’Idatius semblent supposer que les Goths n’emmenèrent Placidie qu’après le dernier siége et le sac de Rome.

[136] Voyez les portraits d’Adolphe, et de Placidie, et les détails de leur mariage, dans Jornandès, de Reb. get., c. 34, p. 654, 655. Quant à l’endroit où cette union fut contractée, célébrée où consommée, les manuscrits de Jornandès ne sont point d’accord, et ils nomment deux villes proche l’une de l’autre, Forli et Imola. (Forum Livii et Forum Cornelii). Il est aisé de concilier d’historien des Goths avec Olympiodore. (Voyez Mascou, l. VIII, c. 36.) Mais Tillemont prend de l’humeur, et prétend qu’il est inutile de chercher à concilier Jornandès avec un bon auteur.

[137] Les Visigoths, sujets d’Adolphe, mirent depuis des bornes à la prodigalité de l’amour conjugal. Un mari ne pouvait légalement faire des dons ou des constitutions au profit de sa femme dans la première année de son mariage, et sa libéralité ne pouvait, dans aucun temps, passer la dixième partie de sa fortune. Les Lombards furent un peu plus indulgents. Ils permettaient le morning-cap le lendemain de la consommation du mariage ; et ce don fameux, la récompense de la virginité, pouvait être du quart de la fortune du mari. Quelques épousées prenaient, à la vérité, la précaution de stipuler la veille un présent qu’elles savaient ne pas mériter. Voyez Montesquieu, Esprit des Lois, l. XIX, c. 5 ; Muratori, delle Antichita italiane, t. I, Dissetazion XX, p. 243.

[138] Nous devons le détail de cette fête nuptiale à l’historien Olympiodore, apud Photium, p. 185-188.

[139] Voyez dans la grande Collection des historiens de France, par dom Bouquet, t. II, Grégoire de Tours, l. III, c. 10, p. 191, Gesta regum Francorum, c. 23, p. 557. L’écrivain anonyme suppose, avec une ignorance digne de son siècle, que ces instruments du culte des chrétiens avaient appartenu au temple de Salomon. Si cette expression a quelque sens, elle signifierait qu’ils ont été enlevés dans le sac de Rome.

[140] Consultez les témoignages originaux dans les historiens de France, t. II ; Fredegarii scholastici Chron., c. 73, p. 441 ; Fredegar. Fragment. 3, p. 463 ; Gesta regis Dagobert., c. 29, p. 587. L’avènement de Sisenand au trône d’Espagne date A. D. 631. Dagobert employa les deux cent mille pièces d’or à la fondation de l’église de Saint-Denis.

[141] Le président Goguet (Origine des Lois, etc., t. II, p. 239) pense que ces émeraudes d’une grandeur si extraordinaire, les statues et les colonnes, que l’antiquité prétend avoir existé en Égypte, à Cadix et à Constantinople, n’étaient que des compositions de cristal coloré. Le fameux plat d’émeraude que l’on montre à Gênes pourrait, à ce qu’on croit, confirmer ce soupçon.

[142] Elmacin, Hist. Saracenica, l. I, p. 85 ; Roderic Tolet, Hist. Arab., c. 9 ; Cardonne, Hist. de l’Afrique et de l’Espagne sous les Arabes, t. I, p. 83. On l’appelait la Table de Salomon, selon la coutume des Orientaux, qui attribuent à ce prince tous les ouvrages savants ou magnifiques de l’antiquité.

[143] Ces trois lois sont insérées dans le Code de Théodose, l. XI, tit. 28, leg. 7 ; l. XIII, tit, 2, leg. 12 ; l. XV, tit. 14, leg. 14. Les expressions de la dernière sont d’autant plus remarquables, qu’elles contiennent non seulement un pardon, mais une apologie.

[144] Olympiodore, apud Photium, p. 188. Philostorgius observe que quand Honorius fit son entrée triomphale, il encouragea les Romains de la main et de la voix, à rebâtir leur cité ; et la Chronique de Prosper fait l’éloge d’Héraclien, qui in Romanœ urbis reparationem strenuum exhibuerat ministerium.

[145] La date du voyage de Claudius Rutilius Numatianus est embarrassée de quelques difficultés ; mais Scaliger juge, d’après des observations astronomiques, qu’il quitta Rome le 24 septembre, et s’embarqua à Porto le 9 d’octobre A. D. 416. (Voyez Tillemont, Hist. des Empereurs, t. V, p. 820. Dans cet Itinéraire poétique, Rutilius (l. I, 115 etc.) adresse à Rome ses félicitations.

[146] Orose composa son histoire en Afrique, deux ans après l’événement. Cependant l’improbabilité suffit pour contrebalancer son autorité. La Chronique de Marcellin suppose à Héraclien sept cents bâtiments et trois mille hommes. Ce dernier nombre est ridiculement altéré, mais le premier me parait beaucoup plus raisonnable.

[147] La Chronique d’Idatius affirme, sans la plus légère apparence de probabilité, qu’il s’avança jusqu’à Otriculum dans l’Ombrie ; et qu’il fut défait dans une bataille avec perte de cinquante mille hommes.

[148] Voyez Cod. Theod., l. XV, tit. 14, leg. 13. Les actes légaux faits en son nom furent déclarés nuls, et jusqu’à la manumission des esclaves, qu’on obligea à se faire affranchir une seconde fois.

[149] J’ai dédaigné de raconter une histoire ridicule et probablement fausse. Procope (de Bell. vandal, l. I, c. 2) assure qu’Honorius fût alarmé de la perte de Rome jusqu’au moment où il s’assura qu’il ne s’agissait point d’un poulet favori auquel il donnait ce nom, et qu’il n’était question que de la capitale de son empire. Cependant ce conte prouve l’opinion publique.

[150] J’ai tiré tous mes éclaircissements sur la vie de ces différents usurpateurs de six historiens contemporains, deux latins et quatre grecs. Orose, l. VII, c. 42, p. 581, 582, 583. Renatus Profuturus Frigeridus, ap. Grégoire de Tours, l. II, c. 9, dans les historiens de France, tome II, p. 165, 166 ; Zozime, l. VI, p : 370-371 ; Olympiodore, apud Photium, p. 180, 181, 184, 1.85 ; Sozomène, l. IX, c. 12-15 ; Dissert. de Godefroy, p. 477-481, ; et les quatre Chroniques de Prosper Tyro, Prosper d’Aquitaine, Idatius et Marcellin.

[151] Les louanges que Sozomène a données à cet acte de désespoir sont étranges et scandaleuses dans la bouche d’un ecclésiastique : il observe (p. 379) que la femme de Gerontius était chrétienne, et que sa mort fut digne de sa religion et digne d’une gloire immortelle.

[152] Ειδος αξιον τυραννιδος est l’expression d’Olympiodore, qu’il paraît avoir tirée d’Éole, tragédie d’Euripide, dont il ne nous reste que des fragments (Euripide, Barnes, t. II, p. 443, vers 38.) Cette allusion annonce que les anciens poètes tragiques étaient encore familiers aux Grecs du cinquième siècle.

[153] Sidonius Apollinaris, l. V, epist. 9, p. 139 ; et les notes de Sirmond, p. 58. Après avoir répandu le blâme sur l’inconstance de Constantin, la facilité de Jovinus et la perfidie de Gerontius, il observe que les vices de tous ces usurpateurs se trouvaient réunis dans la personne de Dardanus. Cependant ce préfet conserva une réputation honorable dans le monde et même dans l’Église. Il entretint une pieuse correspondance avec saint Jérôme et avec saint Augustin, et le premier lui donna (t. III, p. 66) les épithètes de christianorum nobilissime et de nobilium christianissime.

[154] On peut prendre l’expression presque à la lettre ; Olympiodore dit μολις σακκοις εξωγρησαν. Σακκος ou σακος peut signifier un sac ou un habit flottant ; et cette manière d’embarrasser un ennemi ou de s’en rendre maître, laciniis contortis, se pratiquait souvent chez les Huns. (Ammien, XXXI, 2.) Il fut pris vif avec des filets ; c’est ainsi que le traduit Tillemont, Hist. des Emper., t. V, p. 608.

[155] Sans recourir des auteurs plus anciens, je citerai trois témoignages respectables du quatrième et du septième siècle : Expositio totius mundi, p. 16, dans le troisième volume des géographes d’Hudson ; Ausone, de claris Urbibus, p. 242, édit. Toll. ; Isidore de Séville, Préface de la Chronique, apud Grotium, Hist. des Goths, p. 707. On peut trouver beaucoup de particularités relatives à la fertilité et au commerce de l’Espagne, dans Nonnius, Hispania illustrata ; et dans Huet, Histoire du Commerce des Anciens, c. 40 ; p. 228-234.

[156] La date est soigneusement fixée dans les Fasti et dans la Chronique d’Idatius. Orose (l. VII, c. 40, p. 578) assure que la trahison des honoriens livra l’Espagne ; mais Sozomène (l. IX, c. 12) ne les accuse que de négligence.

[157] Idatius voudrait appliquer les prophéties de Daniel aux calamités de sa nation, et il est par conséquent obligé d’arranger les événements d’une manière conforme aux termes de la prédiction.

[158] Mariana, de Rebus hispanicis, l. V, c. 1, t. I, p. 148, la Haye, 1733. Il avait lu dans Orose (l. VII, c. 41, p. 579) que les Barbares avaient quitté l’épée pour conduire la charrue, et qu’une grande partie des provinciaux préféraient inter Barbaros pauperem libertatem, quam inter Romanos tributariam sollicitudinem sustinere.

[159] La force, à ce qu’il paraît, se joignit à la persuasion, ainsi qu’on peut clairement l’inférer des témoignages comparés d’Orose et de Jornandès, historiens, l’un des Goths et l’autre des Romains.

[160] Selon le système de Jornandès (c. 33, p. 659) le véritable droit héréditaire au sceptre des Goths passait dans la maison des Amalis ; mais ces princes, vassaux des Huns, commandaient les tribus des Ostrogoths dans quelque canton éloigné de la Germanie ou de la Scythie.

[161] Olympiodore raconte le meurtre, mais le nombre des enfants est tiré d’une épitaphe peu authentique.

[162] On célébra à Constantinople la mort d’Adolphe par une représentation des jeux du Cirque, et par une illumination, voyez. Chron. Alexandrin. On ne sait pas bien si ce fut en haine des Barbares ou des Latins que les Grecs se livrèrent à ces réjouissances.

[163] Quod Tartessiacis avus hujus Vallia terris

Vandalicas turmas ; et juncti Martis Alanos

Stravit, et occiduam texere cadavera Calpen.

Sidonius Appollinar., in Panegyr. Anthem., 363, p. 300, éd. Sirmond.

[164] Ce secours leur était très nécessaire : les Vandales de l’Espagne donnaient aux Goths l’épithète insultante de Truli, parce que durant la disette ils avaient donné une pièce d’or, pour une trula, environ une demi-livre de farine. Olympiodore, apud Phot, p. 189.

[165] Orose donne une copie de ces lettres prétendues. Tu cum omnibus pacem habe ; omniunique osides accipe ; nos nobis confligimus, nobis perimus, tibi vincimus ; immortalis vera quæstus erit reipublicæ tuæ, si utrique pereamus. L’idée est juste, mais je ne puis pas croire qu’elle ait été sentie et avouée par les Barbares.

[166] Romam triumphans ingreditur. Telle est l’expression positive de Prosper dans sa Chronique. Les faits relatifs à la mort d’Adolphe et aux exploits de Wallia se trouvent dans Olympiodore, ap. Phot, 188 ; Orose, l. VII, c. 43, p. 584-587 ; Jornandès, de Reb. get., c. 31, 32 ; et dans les Chroniques d’Idatius et d’Isidore.

[167] Ausone (de claris. Urbibus, p. 257-262) fait l’éloge de Bordeaux avec l’enthousiasme d’un citoyen qui célèbre sa ville natale. Voyez dans Salvien (de Gubern. Dei, p. 228, Paris, 1608) une description fleurie des provinces de l’Aquitaine et de la Novempopulanie.

[168] Orose (l. VII, c. 32, p. 550) fait l’éloge de la douceur et de la modération des Bourguignons, qui traitaient leurs sujets gaulois comme leurs frères chrétiens. Mascou a éclairci l’origine de leur royaume dans les quatre premières notes qui se trouvent à la fin de sa laborieuse Histoire des anciens Germains, vol. XI, p. 555-572, de la traduction anglaise.

[169] Voyez Mascou, l. VIII, p. 43, 44, 45. A l’exception d’une ligne courte et peu authentique de la Chronique de Prosper (t. I, p. 639), on ne trouve nulle part le nom de Pharamond avant le septième siècle. L’auteur des Gesta Francorum (t. II, p. 543) suppose avec assez de probabilité que Marcomir, père de Pharamond, exilé en Toscane, engagea les Francs à faire choix de son fils, ou du moins d’un roi.

[170] O Lycida ! vivi pervenimus : advena nostri

(Quod nunquam veriti sumus) ut possessor agelli

Diceret : Hœc mea sunt ; veteres migrate coloni.

Nunc victi tristes, etc.

Voyez la neuvième églogue tout entière, avec l’utile Commentaire de Servius. On assigna aux vétérans quinze milles du territoire de Mantoue, avec une réserve de trois milles autour de la ville en faveur des habitants ; et même Alfenus Varus, fameux jurisconsulte, et l’un des commissaires nommés dans cette occasion, les frauda en partie de ce qui leur était laissé, en y comprenant huit cents pas d’eau et de marais.

[171] Voyez le passage remarquable de l’Eucharisticon de Paulin, 575, apud Mascou, l. VIII, c. 42.

[172] Cette importante vérité est établie par l’exactitude de Tillemont (Hist. des Empereurs) et la sincérité de l’abbé Dubos (Hist. de l’établissement de la Monarchie française dans les Gaules, t. I, p. 259).

[173] Zozime (l. VI, p. 376-383) raconte en peu de mots la révolte de la Bretagne et de l’Armorique. Nos antiquaires et le grand Camden lui-même ont été entraînés dans de grandes erreurs, faute d’une connaissance suffisante de l’histoire du continent.

[174] MM. de Valois et d’Anville, géographes nationaux, fixent les limites de l’Armorique dans leurs Notitiœ de l’ancienne Gaule. Le pays connu sous ce nom avait eu une beaucoup plus grande étendue que celle qu’ils lui assignent et en eut par la suite une beaucoup moins considérable.

[175] Gens inter geminos notissima clauditur amnes,

Armoricana prius veteri cognomine dicta.

Torva, ferox, ventosa, procax, incauta, rebellis,

Inconstans, disparque sibi novitatis amore ;

Prodiga verborum, sed non et prodiga facti.

Erricus, Monach. in Vit. S. Germani, l. V, apud Valois, Notit. Galliarum, p. 43. Valois rapporte plusieurs témoignages poux confirmer ce caractère, auxquels j’ajouterai celui du prêtre Constantin, A. D. 488. Dans la vie de saint Germain, il les appelle les rebelles Armoricains, mobilem et indisciplinatum populum. Voyez les historiens de France, t. I, p. 643.

[176] J’ai cru devoir faire ma protestation contre cette partie du système de l’abbé Dubos, contre lequel Montesquieu s’est élevé si fortement. Voyez l’Esprit des Lois, l. XXX, c. 24.

[177] Βρεταννιαν μεν τοι Ρωμαιοι ανασωσασθαε ουκετι εχον, sont les expressions de Procope (de Bell. vandal, l. I, c. 2, p. 181, éd. Du Louvre) dans un passage important qui a été trop négligé. Bède lui-même (Hist. gent. anglic., l. I, c. 12, p. 50, édit. Smith) convient que les Romains abandonnèrent tout à fait la Bretagne sous le règne d’Honorius. Cependant nos historiens modernes et nos antiquaires ne sont point de cette opinion ; et quelques-uns prétendent qu’il ne se passa que peu de mois entre la retraite des Romains et l’invasion des Saxons.

[178] Bède n’a point omis le secours passager des légions contre les Pictes et les Ecossais ; nous offrirons bientôt la preuve la plus authentique d’une levée de douze mille hommes que les Bretons indépendants fournirent à l’empereur Authemius pour la guerre de la Gaule.

[179] Je me dois à moi-même et à la vérité de l’histoire, de déclarer que quelques circonstances de ce paragraphe ne sont fondées que sur des analogies et des conjectures.

[180] Προς τας εν Βρεταννια πολεις. Zozime, l. VI, p. 383.

[181] Deux villes de la Bretagne étaient municipia, neuf des colonies, dix latti jure donatæ, douze stipendiariæ du premier rang. Ce détail est tiré de Richard de Cirencester (de Situ Britanniœ, p. 36) ; et quoiqu’on puisse douter qu’il ait écrit d’après le manuscrit d’un général romain il montre une connaissance de l’antiquité très rare chez un moine du quatorzième siècle.

[182] Voyez Maffei, Verona illustrata, part. I, l. V, p. 83-106.

[183] Leges restituit, libertatemque reducit,

Et servos famulis non sinit esse suis.

Itinerar. Rutil, l. I, c. 215.

[184] Une inscription (apud Sirmond, Not. ad. Sidon. Apoll., p.59) décrit un château, cum muris et portis, tuitioni omnium, construit par Dardanus dans ses terres près Sistèron, dans la seconde Narbonnaise, et qu’il avait nommé Théopolis.

[185] L’établissement de leur autorité n’aurait pas souffert de grandes difficultés, si l’on pouvait s’en rapporter au système impossible d’un savant et ingénieux antiquaire, qui prétend que les chefs des tribus bretonnes continuèrent toujours de régner, quoique avec un pouvoir subordonné, depuis le règne de Claude jusqu’à celui d’Honorius. Voyez l’Histoire de Manchester, par Whitaker, vol. I, p. 247-257.

[186] Άλλ ουσα υπο τυραννοις απ' αυτου εμενε. (Procope, de Bell. vandal., l. I, c. 2, p.181.) Britannia, fertilis provincia tyrannorum. Telle fut l’expression de saint Jérôme en 415, t. II, p. 255, ad Ctesiphont. Le moine de Bethléem recevait les premières nouvelles et les plus circonstanciées, par le moyen des pèlerins qui visitaient tous les ans la Terre-Sainte.

[187] Voyez les Antiquités ecclésiastiques, de Bingham, vol. I, c. 6, p. 394.

[188] L’histoire rapporte que trois évêques de la Bretagne qui assistèrent au concile de Rimini, A. D. 359, tam pauperes fuisse ut nihil haberent. (Sulpice Sévère, Hist. Sacra, l. III, p. 420.) Quelques-uns de leurs confrères jouissaient cependant d’un sort plus doux.

[189] Consultez Usher, de Antiq. Ecclés. Britann., c. 8-12.

[190] Voyez le texte exact de cet édit, tel que l’a publié Sirmond (Not. ad Sidon. Apollinar., p. 147). Hincmar, qui assigne une place aux évêques, avait probablement vu dans le neuvième siècle une copie plus parfaite. Dubos, Histoire critiq. de la Monarch. franc., t. I. p. 241-255.

[191] La Notitia prouve évidemment que les sept provinces étaient le Viennois, les Alpes-maritimes, la première et la seconde Narbonnaise, la Novempopulanie, et la première et seconde Aquitaine. Au lieu de la première Aquitaine, l’abbé Dubos, sur l’autorité de Hincmar, veut substituer la première Lyonnaise.