Révolte des Goths. Ils pillent la Grèce. Deux grandes invasions de l’Italie par Alaric et Radagaise. Ils sont repoussés par Stilichon. Les Germains s’emparent de la Gaule. Usurpation de Constantin en Occident. Disgrâce et mort de Stilichon.
SI les sujets de Rome avaient pu ignorer ce qu’ils devaient au grand Théodose, la mort de cet empereur leur aurait bientôt appris avec combien de peines, de courage et d’intelligence, était parvenu à soutenir l’édifice chancelant de la république. Il cessa de vivre au mois de janvier et avant la fin de l’hiver de la même année, toute la nation des Goths avait pris les armes[1]. Les auxiliaires barbares déployèrent leur étendard indépendant et avouèrent hautement les hostiles desseins nourris déplais longtemps dans ces esprits féroces. Au premier bruit de la trompette, leurs compatriotes ; que le dernier traité condamnait à vivre en paix de leurs travaux rustiqués, abandonnèrent leurs cultures, et reprirent leur, épée qu’ils avaient posée avec répugnance. Les barrières du Danube foirent forcées, les sauvages guerriers de la Scythie sortirent de leurs forêts, et l’extrême rigueur de l’hiver donna occasion au poète de dire qu’ils traînaient leurs énormes chariots sur le vaste sein glacé du fleuve indigné[2]. Les habitants infortunés des provinces au sud du Danube se soumirent à des calamités avec lesquelles vingt années d’habitude les avaient presque familiarisés. Des troupes de Barbares, qui toutes se glorifiaient du nom de Goths, se répandirent irrégulièrement depuis les côtes de la Dalmatie jusqu’aux portes de Constantinople[3]. L’interruption, ou du moins la diminution du subside accordé aux Goths par la prudente libéralité de Théodose, servit de prétexte à leur révolte. Cet affront les irrita d’autant plus ils méprisaient les timides fils de cet empereur ; et leur ressentiment fut encore envenimé par la faiblesse ou par la trahison du ministre d’Arcadius. Les fréquentes visites que Rufin faisait au camp des Barbares, son affectation à imiter leur appareil de guerre, parurent une preuve suffisante de sa correspondance criminelle et les ennemis de la nation, soit par reconnaissance ou par politique, exceptaient avec attention de la dévastation générale les domaines de ce ministre détesté. Les Goths, au lieu d’obéir aveuglément aux passions violentes de leurs différents chefs, se laissaient diriger par le génie adroit et profond d’Alaric. Ce général célèbre descendait de la noble race des Balti[4], qui ne le cédait qu’à l’illustration royale des Amalis. Il avait sollicité le commandement des armées romaines ; irrité du refus de la cour impériale, il résolut de lui faire sentir son imprudence et la perte qu’elle avait faite. Quelque espérance qu’eut pu concevoir Alaric de se rendre maître de Constantinople, ce judicieux général abandonna bientôt une entreprise impraticable. Au milieu d’une cour divisée et d’un peuple mécontent, l’empereur Arcadius tremblait à la vue d’une armée de Goths ; mais les fortifications de la ville suppléaient au manque de valeur et de génie. Du côté de la terre et de la mer, la capitale pouvait aisément braver les traits impuissants et mal dirigés d’une armée de Barbares. Alaric dédaigna d’opprimer plus longtemps les peuples soumis et ruinés de la Thrace et de la Dacie et il alla chercher la gloire et la richesse dans une province échappée jusqu’alors aux ravages de la guerre[5]. Le caractère des officiers civils et militaires auxquels Rufin avait confié le gouvernement de la Grèce, confirma les soupçons du public ; et l’on ne douta plus qu’il n’eût le dessein de livrer au chef des Goths l’ancienne patrie des sciences et de la liberté. Le proconsul Antiochus était le fils indigne d’un père respectable, et Gerontius, qui commandait les troupes provinciales, semblait plus propre à exécuter les ordres tyranniques d’un despote, qu’à défendre avec courage et intelligence un pays singulièrement fortifié par les mains de la nature. Alaric avait traversé sans résistance les plaines de Macédoine et de Thessalie jusqu’au pied du mont Œta, dont les collines escarpées et couvertes de bois, formaient une chaîne presque impénétrable à la cavalerie. Elles s’étendaient d’orient en occident jusqu’aux bords de la mer, et ne laissaient entre le précipice qu’elles formaient et le golfe Malien qu’un intervalle de trois cents pieds, qui se réduisait dans quelques endroits à une route étroite où il ne pouvait passer qu’une seule voiture[6]. Un général habile aurait facilement arrêté et peut-être détruit l’armée des Goths dans cette gorge des Thermopyles, où Léonidas et ses trois cents Spartiates avaient glorieusement dévoué leur vie ; et peut-être la vue de ce passage aurait-elle ranimé quelques étincelles d’ardeur militaire dans le cœur des Grecs dégénérés. Les troupes qui occupaient le détroit des Thermopyles se retirèrent, conformément à l’ordre qu’on leur avait donné, sans entreprendre d’arrêter Alaric ou de retarder son passage[7]. Les plaines fertiles de la Phocide et de la Béotie furent bientôt couvertes d’une multitude de Barbares qui massacraient tons les hommes d’âge à porter les armes, et entraînaient avec eux les femmes, les troupeaux et le butin enlevé aux villages qu’ils incendiaient. Les voyageurs qui visitèrent la Grèce plusieurs années après, distinguèrent encore les traces durables et sanglantes de la marche des Goths ; et la ville de Thèbes dut moins sa conservation à ses sept portes qu’à l’empressement, qu’Alaric avait de s’emparer d’Athènes et du port du Pirée. La même impatience l’engagea à s’épargner, en offrant une capitulation, les longueurs et les dangers d’un siège ; et dès que les Athéniens entendirent la voix de son héraut, ils consentirent à livrer la plus grande partie de leurs richesses, pour racheter la ville de Minerve et ses habitants. Le traité fut ratifié par des serments solennels, et observé réciproquement avec fidélité. Le prince des Goths entra dans la ville, accompagné d’un petit nombre de troupes choisies. Il y prit le rafraîchissement du bain, accepta un repas magnifique chez le magistrat, et affecta de montrer qu’il n’était point étranger aux usages des nations civilisées[8] ; mais tout le territoire de l’Attique, depuis le promontoire de Sunium jusqu’à la ville de Mégare, fut la proie des flammes et de la destruction ; et, si nous pouvons nous servir de la comparaison d’un philosophe contemporain, Athènes elle-même ressemblait à la peau vide et sanglante d’une victime offerte en sacrifice. La distance de Mégare à Corinthe n’excédait guère trente milles ; mais la mauvaise route, dénomination expressive qu’elle porté encore chez les Grecs, aurait été facilement rendue impraticable pour une armée d’ennemis. Les bois épais et obscurs du mont Cythéron couvraient l’intérieur du pays. Les rochers Scironiens qui bordaient le rivage semblaient suspendus sur le sentier étroit et tortueux, resserré dans une longueur de plus de six milles, le long des côtes de la mer[9]. L’isthme de Corinthe terminait le passage de ces rochers si détestés dans tous les siècles, et un petit nombre de braves soldats auraient facilement défendu un retranchement de cinq ou six milles, établi momentanément entre la mer d’Ionie et la mer Égée. Les villes du Péloponnèse, se fiant à leur rempart naturel, avaient négligé le soin de leurs murs antiques, et l’avarice des gouverneurs romains trahit cette malheureuse province après l’avoir épuisée[10]. Argos, Sparte, Corinthe cédèrent sans résistance aux armes des Goths, et les plus heureux des habitants furent ceux qui, premières victimes de leur fureur, évitèrent par la mort le spectacle affreux de leurs maisons en cendres et de leurs familles dans les fers[11]. Dans le partage des vases et des statues, les Barbares considérèrent plus la valeur de la matière que le prix de la main d’œuvre. Les femmes captives subirent les lois de la guerre, la possession de la beauté servit de récompense a la valeur, et les Grecs ne pouvaient raisonnablement se plaindre d’un abus justifié par l’exemple des temps héroïques[12]. Les descendants de ce peuple extraordinaire avait considéré la valeur et la discipline comme les meilleures fortifications de Sparte, ne se rappelaient plus la réponse courageuse d’un de leurs ancêtres à un guerrier plus redoutable qu’Alaric : Si tu es un dieu, tu n’opprimeras point ceux qui ne t’ont pas offensé ; si tu n’es qu’un homme, avance, et tu trouveras des hommes qui ne te cèdent ni en force ni en courage[13]. Depuis les Thermopyles jusqu’à Sparte, le chef des Goths continua sa marche victorieuse sans rencontrer un seul ennemi de nature mortelle ; mais un des prosélytes du paganisme expirant assure avec confiance que la déesse Minerve, armée de sa redoutable égide, et l’ombre menaçante d’Achille[14], défendirent les murs d’Athènes, et élue l’apparition des divinités de la Grèce’ épouvanta le hardi conquérant. Dans un siècle fécond en miracles, il serait peut-être injuste de priver Zozime de cette ressource commune ; cependant on nie peut se dissimuler que l’imagination d’Alaric était mal préparée à recevoir, soit éveillé, soit en songe, les visions de la superstition grecque. L’ignorant Barbare n’avait probablement jamais entendu parler ni des chants d’Homère, ni de la renommée d’Achille ; et la foi chrétienne, qu’il professait dévotement, lui enseignait à mépriser les divinités imaginaires de Rome et d’Athènes. L’invasion des Goths, loin de venger l’honneur, du paganisme, contribua, au moins accidentellement, à en anéantir les dernières traces, et les mystères de Cérès, qui subsistaient depuis dix-huit cents ans, ne survécurent point à la destruction d’Éleusis ni aux calamités de la Grèce[15]. Un peuple qui n’attendait plus rien de ses armes, de ses dieux ni de son souverain, plaçait son unique et dernier espoir dans la puissance et la valeur du général de l’Occident ; Stilichon, à qui l’on n’avait pas permis de repousser les destructeurs de la Grèce, s’avança pour les châtier[16]. Il équipa une flotte nombreuse dans les ports de l’Italie, et ses troupes, après une heureuse navigation sur la mer d’Ionie, débarquèrent sur l’isthme auprès des ruines, de Corinthe. Les bois et les montagnes de l’Arcadie devinrent le théâtre d’un grand nombre de combats douteux entre deux généraux dignes l’un de l’autre. La persévérance et le génie du. Romain finirent par l’emporter ; les Goths, fort diminués parles maladies et par la’ désertion, se retirèrent lentement sur la haute montagne de Pholoé, près des sources du Pénée et des frontières de l’Élide, pays sacré et jadis exempt des calamités de la guerre[17]. Stilichon assiégea le camp des Barbares, détourna le cours de la rivière[18]. Tandis qu’ils souffraient les maux insupportables de la soif et de la faim, le général romain, pour prévenir leur fuite, fit entourer leur camp d’une forte ligne de circonvallation ; mais, comptant trop sur la victoire, après avoir pris ses précautions, il alla se délasser de ses fatigues en assistant aux jeux des théâtres grecs et à leurs danses lascives : ses soldats quittèrent leurs drapeaux, se répandirent dans le pays de leurs alliés, et les dépouillèrent de ce qui avait échappé à l’avidité des Barbares. Il paraît qu’Alaric saisit ce moment, favorable pour exécuter une de ces entreprises hardies, où le véritable génie d’un général se déploie avec plus d’avantage que dans le tumulte d’un jour de bataille. Pour se tirer de sa prison du Péloponnèse, il fallait passer à travers les retranchements dont son camp était environné, exécuter une marche difficile et dangereuse de trente milles jusqu’au golfe de Corinthe ; et transporter ses troupes, ses captifs et son butin, de l’autre côté d’un bras de mer, qui, dans l’endroit le plus étroit, entre Rhium et la côte opposée, est large d’environ un demi-mille[19]. Ces opérations furent sans doute secrètes, prudentes et rapides, puisque le général romain apprit avec la plus grande surprise que les Goths, après avoir éludé tous ses efforts, étaient en pleine et paisible possession de l’importante province d’Épire. Ce malheureux délai donna le temps à Alaric de conclure le traité qu’il négociait secrètement avec les ministres de Constantinople. La lettre hautaine de ses rivaux, et la crainte d’une guerre civile, forcèrent Stilichon à se retirer des États d’Arcadius, et à respecter, dans l’ennemi de la république, le caractère honorable d’allié et de serviteur de l’empereur d’Orient. Un philosophe grec, Synèse[20] qui visita Constantinople peu de temps après la mort de Théodose, a publiquement énoncé des opinions libérales sur les devoirs des souverains et sur l’état de la république romaine. Il observe et déploré l’abus funeste que l’imprudente bonté du dernier empereur avait introduit dans le service militaire. Les citoyens et les sujets achetaient, pour une somme d’argent fixe, l’exemption du devoir indispensable de défendre la patrie, dont la sûreté se trouvait confiée à des Barbares mercenaires. Des fugitifs de la Scythie possédaient et déshonoraient une partie des plus illustres dignités de l’empire. Leur jeunesse féroce dédaignait le joug salutaire des lois, s’occupait plutôt des moyens d’envahir les richesses que d’acquérir les arts d’un peuple qu’elle haïssait et méprisait également ; et la puissance des Goths semblable à la pierre de Phlégyas perpétuellement suspendue, menaçait toujours l’a paix et la sûreté de l’État qu’elle devait écraser un jouir. Les moyens recommandés par Synèse annoncent les sentiments d’un patriote hardi et zélé. Il exhorte l’empereur a ranimer la valeur de ses sujets par l’exemple de ses vertus et de sa fermeté, à bannir le luxe de la cour et des camps, à substituer à la place des Barbares mercenaires une armée d’hommes intéressés à défendre leurs lois et leurs propriétés ; il lui conseille d’arracher, dans ce moment de crise générale, l’ouvrier de sa boutique, et le philosophe de son école, de réveiller le citoyen indolent du songe de ses plaisirs, et d’armer, pour protéger l’agriculture, les mains rustiques des robustes laboureurs. Il excite le fils de Théodose à se mettre à. la tête d’une telle armée, qui mériterait le nom de romaine et en déploierait le courage ; à attaquer la race des Barbares qui n’ont d’autre valeur qu’une impétuosité peu durable et à ne point quitter les armes qu’il ne les ait repoussés dans les déserts de la Scythie, ou réduits dans l’état de servitude où les Lacédémoniens tenaient précédemment les Ilotes[21]. La cour d’Arcadius souffrit le zèle, applaudit à l’éloquence et négligea l’avis de Synèse. Peut-être le philosophe, en adressant à l’empereur d’Orient un discours vertueux et sensé qui aurait pu convenir au roi de Sparte, n’avait-il pas daigné songer à rendre son projet praticable dans les circonstances où se trouvait un peuple dégénéré ; peut-être la vanité des ministres, à qui les affaires laissent rarement le temps de la réflexion, rejeta-t-elle comme ridicule et insensé tout ce qui excédait la mesure de leur, intelligence, ou s’éloignait des formes et des préjugés établis. Tandis que les discours, de Synèse et la destruction des Barbares faisaient le sujet général de la conversation, un édit publié à Constantinople déclara la promotion, d’Alaric au rang de maître général de l’Illyrie orientale. Les habitants des provinces romaines, et les alliés qui avaient respecté la foi des traités virent avec une juste indignation récompenser si libéralement le destructeur de la Grèce et de l’Épire. Le Barbare victorieux fut reçu en qualité de magistrat légitime dans les villes qu’il assiégeait si peu de temps auparavant. Les pères dont il avait massacré les fils, les maris dont il avait violé les femmes, furent soumis à son autorité, et le succès de sa révolte encouragea l’ambition de tous les chefs des étrangers mercenaires. L’usage qu’Alaric fit de son nouveau commandement annonce l’esprit ferme et judicieux de sa politique. Il envoya immédiatement aux quatre magasins ou manufactures d’armes offensives et défensives, Margus, Ratiaria, Naissus et Thessalonique, l’ordre de fournir à ses troupes une provision extraordinaire de boucliers, de casques, de lances et d’épées. Les infortunés habitants de la province furent contraints de forger les instruments de leur propre destruction, et les Barbares virent disparaître l’obstacle qui avait quelquefois rendu inutiles les efforts de leur courage[22]. La naissance d’Alaric, la renommée de ses premiers exploits et les espérances que l’on pouvait, fonder sur son ambition, réunirent insensiblement sous ses étendards victorieux tout le corps de la nation des Goths. Du consentement unanime de tous les chefs barbares, le maître général de l’Illyrie fut élevé sur un bouclier, selon l’ancienne coutume et proclamé solennellement roi des Visigoths[23]. Armé de cette double autorité, et posté sur les limites des deux empires, il faisait alternativement payer ses trompeuses promesses aux cours des deux souverains[24] ; mais enfin, il déclara et exécuta l’audacieuse résolution d’envahir l’empire d’Occident. Les provinces d’Europe, qui appartenaient à l’empire d’Orient, étaient épuisées ; celles de l’Asie étaient inaccessibles, et Constantinople avait bravé tous ses efforts. La gloire, la beauté, la richesse de l’Italie ; qu’il avait visitée deux fois, lui firent ambitionner cette conquête ; il se sentit flatté en secret de l’idée d’arborer l’étendard des Goths sur les mûrs de Rome et d’enrichir son armée des dépouilles que trois cents triomphes y avaient rassemblées[25]. Le petit nombre des faits[26] constatés et l’incertitude des dates[27] ne nous permettent point de donner des détails de la première invasion d’Alaric en Italie. La marche qu’il eut à faire, probablement depuis Thessalonique jusqu’au pied des Alpes Juliennes, dans les provinces ennemies et belliqueuses de la Pannonie, son passage à travers ces montagnes fortifiées par des troupes et des retranchements, le siége d’Aquilée et la conquête de, l’Istrie et de la Vénétie, semblent lui avoir coûté beaucoup de temps. A moins que ses opérations n’aient été conduites avec beaucoup de lenteur et de circonspection, la longueur de l’intervalle donnerait à penser qu’avant de pénétrer dans le cœur de l’Italie, le roi des Goths se retira vers les bords du Danube et recruta son armée d’un nouvel essaim de Barbares. Puisque les principaux événements publics échappent aux rechercher de l’historien, on lui permettra de contempler, un moment l’influence des armés d’Alaric sur la fortune de deux particuliers obscurs, un prêtre d’Aquilée et un laboureur des environs de Vérone. Le savant Rufin, ayant été sommé par ses ennemis de comparaître devant un synode romain[28], préféra sagement les dangers d’une ville assiégée, dans l’espérance qu’il éviterait parmi les Barbares la sentence exécutée sur un autre hérétique, qui, à la requête des mêmes évêques, venait d’être cruellement fouetté et condamné à un exil perpétuel dans une île déserte[29]. Quant au vieillard[30], qui avait coulé dès jours simples et innocents dans les environs de Vérone, il n’avait pas la moindre notion des querelles des rois ni des évêques. Ses désirs, son savoir et ses plaisirs, étaient renfermés dans le cercle étroit de la petite ferme qu’il tenait de son père ; et, un bâton soutenait alors ses pas chancelants sur le sol témoin des jeux de son enfance. Mais son humble et rustique félicité, que Claudien décrit avec autant de naïveté que de sentiment, n’était point à l’abri des calamités de la guerre. Ses arbres, ses vieux contemporains[31], risquaient de se trouver enveloppés dans l’incendié général du canton. Un détachement de cavalerie barbare pouvait anéantir d’un moment à l’autre sa famille et sa chaumière ; et Alaric avait la puissance de détruire un bonheur dont il ne savait pas jouir et qu’il ne pouvait pas procurer. La Renommée, dit le poète, déployant ses ailes avec terreur, annonça au loin la marche de l’armée barbare et remplit l’Italie de consternation. Les frayeurs de chaque individu augmentaient en proportion de sa fortune ; et les plus timides, embarquant d’avance leurs effets, méditaient de se retirer en Sicile ou sur la côte d’Afrique. Les craintes et les reproches de la superstition ajoutaient à la détresse publique[32]. Chaque instant donnait naissance à des contes absurdes et horribles, à d’étranges récits d’arméniens tenant du prodige les païens déploraient qu’ont eût négligé les augures et supprimé les sacrifices ; mais les chrétiens mettaient leur espoir dans la puissante intercession des saints et des martyrs[33]. L’empereur ne se distinguait pas moins de, ses sujets par l’excès de sa frayeur que par la supériorité de son rang. Éleva dans l’orgueil et le fa site de la royauté, il avait toujours été loin de soupçonner qu’on mortel fût assez audacieux pour troubler le repos du successeur d’Auguste. Ses flatteurs lui dissimulèrent le danger jusqu’au moment ou Alaric approcha du palais de Milan ; mais lorsque le bruit de la guerre parvint aux oreilles du jeune monarque, au lieu de courir aux armes avec le courage ou du moins l’impétuosité de son âge, il montra le plus grand empressement à suivre l’avis des courtisans timides qui lui proposaient de se retirer avec ses fidèles serviteurs dans une des villes du fond de la Gaule. Stilichon[34] eut seul le courage et l’autorité de s’opposer à une démarche honteuse, qui aurait abandonné Rome et l’Italie aux Barbares ; mais comme les troupes du palais avaient été détachées récemment sur la frontière de Rhétie, comme la ressource des nouvelles levées n’offrait qu’un secours tardif et précaire, le général de l’Occident ne put faire d’autre promesse que celle de reparaître dans très peu de temps si la cour de Milan consentait à tenir fermé durant son absence, avec une armée suffisante pour repousser Alaric. Sans perdre un seul moment dans une circonstance où ils étaient tous si intéressants pour la sûreté publique, le brave Stilichon s’embarqua sur le lac Laurien, gravit au milieu de l’hiver, tel qu’il se fait sentir dans les Alpes, les montagnes couvertes de neige et de glace, et réprima, par son apparition inattendue, les ennemis qui troublaient la tranquillité de la Rhétie[35]. Les Barbares, peut-être quelques tribus des Allemands, respectaient la fermeté d’un chef qui leur parlait encore du .ton d’un- commandant, et regardèrent comme une preuve d’estime et de confiance le choix qu’il fit d’un nombre de guerriers parmi leur plus brave jeunesse. Les cohortes délivrées du voisinage de l’ennemi joignirent sur-le-champ l’étendard impérial ; et Stilichon fit passer des ordres dans tous les pays de l’Occident pour que les troupes les plus éloignées accourussent à grandes journées défendre Honorius et l’Italie. Les forts du Rhin furent abandonnés, et la Gaule n’eut pour garant de sa sûreté que la bonne foi des Germains et la terreur du nom romain : on rappela même la légion stationnée dans la Grande-Bretagne pour défendre le mur qui la séparait des Calédoniens du nord[36] ; et un corps nombreux de la cavalerie des Alains consentit à s’engager au service de l’empereur, qui attendait avec anxiété le retour de son général. La prudence et l’énergie de Stilichon brillèrent dans cette occasion, qui fit paraître en même temps la faiblesse de l’empire mors sur le penchant de sa ruine. Les légions romaines, dégénérées peu a peu de la discipline et de la valeur de leurs ancêtres, avaient été exterminées dans les terres civiles et dans celles des Goths ; et il parut impossible de rassembler une armée pour la défense de l’Italie sans épuiser et exposer les provinces. En abandonnant son souverain sans défense dans son palais de Milan, Stilichon, avait sans doute calculé le terme de son absence, la distance où se trouvait encore l’ennemi, et les obstacles qui devaient retarder sa marche. Il comptait principalement sur la difficulté du passage des rivières d’Italie, l’Adige, le Mincio, l’Oglio et l’Adda, qui enflent prodigieusement en hiver par la fonte des neiges et par les pluies dans le printemps[37], et deviennent des torrents impétueux ; mais le hasard voulut que la saison fût très sèche, et les Goths traversèrent sans obstacle des lits vastes et pierreux au milieu desquels se faisait remarquer à peine un faible filet d’eau. Un fort détachement de leur armée s’empara du pont et assura le passage de l’Adda ; et lorsque Alaric approcha des murs ou plutôt des faubourgs de Milan, il put jouir de l’orgueilleuse satisfaction de voir fuir devant lui l’empereur des Romains. Honorius, accompagné d’une faible suite de ses ministres et de ses eunuques, traversa rapidement les Alpes avec le dessein de se réfugier dans la ville d’Arles, dont ses prédécesseurs avaient souvent fait leur résidence ; mais il avait à peine passé le Pô[38], qu’il fut atteint par la cavalerie des Barbares[39]. Un danger si pressant l’obligea de chercher une retraite dans les fortifications d’Asti, ville de la Ligurie ou du Piémont, située sur les bords du Tanaro[40]. Le roi des Goths forma immédiatement et pressa sans relâche le siège d’une petite place qui contenait une si riche capture, et qui ne semblait pas capable de faire une lorsque résistance. Lorsque l’empereur assura depuis qu’il n’avait jamais éprouvé l’impression de la peur, cette fanfaronnade n’obtint probablement pas la confiance même de ses courtisans[41]. Réduit à la dernière extrémité, presque sans espérance et ayant déjà reçu des offres insultantes de capitulation Honorius fut délivré de ses craintes et de sa captivité par l’approche et bientôt par la présence du héros si longtemps attendu. A la tête d’une avant-garde choisie, Stilichon passa l’Adda à la nage, pour économiser le temps qu’il aurait perdu à l’attaque du pont. Le passage du Pô présentait moins de difficultés et de danger ; et l’heureuse audace avec laquelle il se fit route à travers le camp des ennemis pour s’introduire, dans Asti, ranima l’espoir et rétablit l’honneur des Romains. Au moment de saisir le fruit de ses victoires, le général des Barbares se vit peut à peu investi de tous côtés par les troupes de l’Occident, qui débouchaient successivement par tous les passages des Alpes. Ses quartiers furent resserrés et ses convois enlevés, et les Romains commencèrent avec activité à former une ligne de fortifications dans lesquelles l’assiégeant se trouvait lui-même assiégé. On assembla un conseil militaire composé des chefs à la longue chevelure des vieux guerriers enveloppés de fourrures, et dont l’aspect était rendu plus imposant par d’honorables cicatrices ; après avoir pesé la gloire de persister dans leur entreprise et l’avantage de mettre leurs dépouilles en sûreté tous opinèrent prudemment à se retirer tandis qu’il en était encore temps. Dans cet important débat, Alaric déploya le courage et le génie du conquérant de Rome. Après avoir appelé à ses compagnons leurs exploits et leurs desseins, il termina son discours énergique par une protestation solennelle et positive de trouver en Italie un trône ou un tombeau[42]. L’indiscipline des Goths les exposait continuellement a des surprises ; mais, au lieu de choisir le moment où ils se livraient aux excès de l’intempérance, Stilichon résolut d’attaquer les dévots Barbares tandis qu’ils célébraient pieusement la fête de Pâques[43]. L’exécution de ce stratagème, que le clergé traita de sacrilège, fut confiée à Saul, Barbare et païen, qui avait cependant servi avec distinction parmi les généraux vétérans de Théodose. La charge impétueuse de la cavalerie impériale jeta le désordre et la confusion dans le camp des Goths, qu’Alaric avait assis dans les environs de Pollentia[44] ; mais le génie de leur intrépide général rendit en un instant à ses soldats un ordre et un champ de bataille ; et après le premier instant de la surprise, les Barbares, persuadés que le Dieu des chrétiens combattrait pour eux se sentirent animés d’une force qui ajoutait à leur valeur ordinaire. Dans ce combat, longtemps soutenu avec un courage et un succès égal, le chef des Alains, dont la petite taille et l’air sauvage recélaient une âme magnanime, prouva l’injustice des soupçons formés, contre sa fidélité par le courage avec lequel il combattit et mourut pour les Romains. Claudien a conservé imparfaitement dans ses vers la mémoire de ce vaillant Barbare, dont il célèbre la gloire sans nous apprendre son nom. En le voyant tomber, les escadrons qu’il commandait perdirent courage et prirent la fuite, et la défaite de l’aile de cavalerie aurait pu décider la victoire en faveur d’Alaric, si Stilichon ne fût pas promptement arrivé à la tête de toute l’infanterie romaine et barbare. Le génie du général et la valeur des soldats surmontèrent tous les obstacles ; et sur le soir de cette sanglante journée, les Goths se retirèrent du champ de bataille : leurs retranchements furent forcés ; le pillage du camp et le massacre des Barbares payèrent quelques-uns des maux dont ils avaient accablé les sujets de l’empire[45]. Les vétérans de l’Occident s’enrichirent des dépouilles magnifiques de Corinthe et d’Argos ; et l’épouse d’Alaric, qui attendait impatiemment les bijoux précieux et les esclaves patriciennes que lui avait promis son mari[46], réduite en captivité, se vit foncée d’implorer la clémence d’un insolent vainqueur. Des milliers de prisonniers, échappés des chaînes des Barbares, allèrent porter dans toutes les villes de l’Italie les louanges de leur libérateur. Le poète Claudien, qui n’était peut-être que l’écho du public, compara le triomphe de Stilichon[47] à celui de Marius qui, dans le même canton de l’Italie, avait attaqué et détruit une armée des Barbares du Nord. La postérité pouvait aisément confondre les ossements gigantesques et les casques vides des Goths avec ceux des Cimbres, et élever sur la même place un trophée commun aux deux illustres vainqueurs des deux plus formidables ennemis de Rome[48]. Claudien[49] a prodigué son éloquente admiration à la victoire de Pollentia, qui célèbre comme le jour le plus glorieux de la vie de son patron ; mais sa muse partiale accorde à regret des éloges moins commandés au caractère d’Alaric. Quoiqu’il charge son nom des injurieuses épithètes de pirate et de brigand, auxquelles purent si bien prétendre les conquérants de tous les siècles, le chantre de Stilichon est forcé d’avouer qu’Alaric possédait cette invincible force d’âme qui, toujours supérieure à la fortune, tire de nouvelles ressources du sein de l’adversité. Après la défaite totale de son infanterie, il l’échappa, ou plutôt se retira du champ de bataille avec la plus grande partie de sa cavalerie encore en bon ordre et peu endommagée. Sans perdre le temps à déplorer la perte irréparable de tant de braves compagnons, il laissa aux ennemis victorieux la liberté d’enchaîner les images captivés d’un roi des Goths[50], et résolus de traverser les passages abandonnés des Apennins, de ravager la fertile Toscane, et de vaincre ou de mourir aux portes de Rome. L’infatigable activité de Stilichon sauva la capitale ; mais il respecta le désespoir de son ennemi ; et, au lieu d’exposer le salut de l’État au hasard d’une seconde bataille, il proposa de payer la retraite des Barbares. Le généreux et intrépide Alaric aurait rejeté avec mépris et indignation, la permission de se retirer et l’offre d’une pension ; mais il n’exerçait qu’une autorité limitée et précaire sur des chefs indépendants, qui l’avaient élevé, pour leur propre intérêt, au-dessus de ses égaux. Ces chefs n’étaient plus disposés à suivre un général, malheureux ; et plusieurs d’entre eux inclinaient à traiter personnellement avec le ministre d’Honorius. Le monarque se rendit au vœu de ses peuples, ratifia le traité avec l’empire d’Occident, et repassa le Pô avec les restes de l’armée florissante qu’il avait conduite en Italie. Une partie considérable des troupes romaines veilla sur ses mouvements ; et Stilichon, qui entretenait une correspondance secrète avec quelques chefs des Barbares, fut ponctuellement instruit des desseins formés dans le camp et dans les conseils d’Alaric. Le roi des Goths, jaloux de signaler sa retraite par quelque coup demain hardi et avantageux, résolut de s’emparer de la ville de Vérone, qui sert de clef au principal passage des Alpes rhétiennes ; et, dirigeant sa marche à travers le territoire des tribus germaines, dont l’alliance pouvait réparer les pertes de son armée, d’attaquer la Gaule du côté du Rhin et d’envahir ses riches provinces sans défiance. Ne se doutant point de la trahison qui avait déjà déconcerté ce sage et hardi projet, Alaric s’avança vers les passages des montagnes qu’il trouva occupés par les troupes impériales ; et dans le même instant son armée fut attaquée de front, sur ses flancs et sur ses derrières. Dans cette action sanglante, à une très petite distance des murs de Vérone, les Goths firent une perte égale à celle de la défaite de Pollentia, et leur intrépide commandant, qui dut son salut à la vitesse de son cheval, aurait inévitablement été pris mort ou vif, si l’impétuosité indisciplinable des Alains n’eût pas déconcerté les précautions du général romain. Alaric sauva les débris de son armée sur les rochers voisins ; et se prépara courageusement à soutenir un siége contre un ennemi supérieur en nombre, qui l’environnait de toutes parts ; mais il ne put parer au besoin impérieux de subsistances, ni éviter la désertion continuelle de ses impatiens et capricieux Barbares. En cette extrémité, il trouva encore des ressources dans son courage ou dans la modération de son ennemi, et sa retraite fut regardée comme la délivrance de l’Italie[51]. Cependant le peuple et même le clergé, également incapables de juger de la nécessité de la paix ou de la guerre, blâmèrent hautement la politique de Stilichon, qui laissait continuellement échapper un ennemi dangereux qu’il avait vaincu si souvent et tant de fois environné. Le premier moment après la délivrance est consacré à la joie et à la reconnaissance ; l’ingratitude et la calomnie s’emparent promptement du second[52]. L’approche d’Alaric avait effrayé les citoyens de Rome, et l’activité avec laquelle ils travaillèrent à réparer les murs de la capitale, annonça leurs craintes et le déclin de l’empire. Après la retraite des Barbares, on prescrivit à Honorius d’accepter l’invitation respectueuse du sénat, et de célébrer dans la ville impériale l’époque heureuse de la défaite des Goths et de son sixième consulat[53]. Depuis le pont Milvius jusqu’au mont Palatin, les rues et les faubourgs étaient remplis par la foule du peuple romain, qui, depuis cent ans, n’avait joui que trois fois de l’honneur de contempler son souverain. En fixant leurs regards sur le char dans lequel Stilichon accompagnait son auguste pupille, les citoyens applaudissaient sincèrement à la magnificence d’un triomphe qui n’était point souillé de sang romain comme celui de Constantin ou de Théodose. Le cortège passa sous un arc fort élevé, et construit exprès pour cette cérémonie ; mais, moins de sept ans après, les Goths, vainqueurs de Rome, ont pu lire la fastueuse inscription de ce monument, qui attestait la défaite et la destruction totale de leur nation[54]. L’empereur résida plusieurs mois dans la capitale, et sa conduite fut dirigée avec le plus grand soin, de manière à lui concilier l’affection du clergé, du sénat et du peuple romain. Le clergé fut édifié de ses fréquentes visites et de la libéralité de ses dons aux châsses des saints apôtres. Le sénat, qui avait été dispensé de l’humiliante obligation de précéder à pied, selon l’usage, le char ale l’empereur durant la marche triomphale, fut traité avec le respect décent que Stilichon affecta toujours pour cette assemblée. Le peuple parut flatté de l’affabilité d’Honorius, et de la complaisance avec laquelle il assista plusieurs fois aux jeux du cirque, célébrés dans cette occasion avec une magnificence qui pouvait les rendre dignes d’un tel spectateur. Dès que le nombre fixe de courses de chars était accompli, la décoration changeait ; une chasse d’animaux sauvages offrait un spectacle brillant et varié, et se terminait par une danse militaires qui, d’après la description de Claudien, paraît ressembler aux tournois modernes. Dans ces jeux célébrés par Honorius, le sang des gladiateurs souilla pour la dernière fois l’amphithéâtre de Rome[55]. Le premier des empereurs chrétiens avait eu la gloire de publier le premier édit qui condamna ces jeux où l’on avait fait un art et un amusement de l’effusion du sang humain[56] ; mais cette loi bienfaisante, en annonçant les vœux du prince, ne réforma pas un si antique abus, qui dégradait une nation civilisée au-dessous d’une horde de cannibales. Plusieurs centaines, peut-être des milliers de victimes périssaient tous les ans dans les grandes villes, et le trois de décembre, plus particulièrement consacré aux combats des gladiateurs, offrait régulièrement aux yeux des Romains enchantés ces barbares et sanglants spectacles. Tandis que la victoire de Pollentia excitait les transports de la joie publique, un poète chrétien exhorta l’empereur à détruire de son autorité un usage barbare qui s’était perpétué malgré les cris de la religion et de l’humanité[57]. Les représentations pathétiques de Prudence furent moins efficaces que la généreuse audace de saint Télémaque, moine asiatique, dont la mort fut plus utile au genre humain que ne l’avait été sa vie[58]. Les Romains s’irritèrent de voir interrompre leurs plaisirs, et écrasèrent sous une grêle de pierres le moine imprudent qui était descendu dans l’arène pour séparer les gladiateurs : mais la fureur du peuple s’éteignit promptement ; il respecta la mémoire de saint Télémaque, qui avait mérité les honneurs du martyre, et se soumit sans murmure à la loi par laquelle Honorius abolissait pour toujours les sacrifices humains des amphithéâtres. Les citoyens, qui chérissaient les usages de leurs ancêtres, alléguaient peut-être que les derniers restes de l’ardeur martiale se conservaient dans cette école d’intrépidité, qui accoutumait les Romains à la vue du sang et au mépris de la mort. Vain et cruel préjugé, si honorablement réfuté parla valeur de l’ancienne Grèce et de l’Europe moderne[59]. Le danger récent que l’empereur avait couru dans son palais de Milan, le décida à choisir pour retraite quelque forteresse inaccessible de l’Italie, où il pût résider sans craindre les entreprises d’une foule de Barbares qui battaient la campagne. Sur la côté de : la mer Adriatique, environ à dix ou douze milles de la plus méridionale des sept embouchures du Pô, les Thessaliens avaient fondé l’ancienne colonie de Ravenne[60], qu’ils cédèrent depuis aux natifs de l’Ombrie. Auguste, qui avait remarqué les avantages de cette situation, fit construire, à trois milles de l’ancienne ville, un vaste port capable de contenir deux cent cinquante vaisseaux de guerre, Cet établissement naval, qui comprenait des arsenaux, des magasins, des baraques pour les troupes et les logements des ouvriers, tire son origine et son nom de la station permanente de la flotte romaine. Les places vides se remplirent bientôt de bâtiments et d’habitants ; et les trois quartiers vastes et peuplés de Ravenne contribuèrent insensiblement a former une des plus importantes villes de l’Italie. Le principal canal d’Auguste conduisait à travers la ville une partie des eaux du Pô jusqu’à l’entrée du port ; ces mêmes eaux se répandaient dans des fossés profonds qui environnaient les murs : elles se distribuaient, par le moyen d’un grand nombre de petits canaux, dans tous les quartiers de la ville, qu’ils divisaient en autant d’îles séparées, et qui n’avaient de communication que par des ponts ou des bateaux. Les maisons de Ravenne étaient bâties sur pilotis, et l’aspect de cette ville pouvait être comparé à celui qu’offre aujourd’hui Venise. Le pays des environs, jusqu’à plusieurs milles, était rempli de marais inabordables, et l’on pouvait aisément défendre ou détruire, à l’approche d’une armée ennemie, la chaussée qui joignait Ravenne au continent. L’intervalle des marais était cependant parsemé de vignes ; et, le sol épuisé même par quatre ou cinq récoltes, le vin était encore dans le port de Ravenne en beaucoup plus grande abondance que l’eau douce[61]. L’air, au lieu d’être imprégné des vapeurs malignes et presque pestilentielles qui s’exhalent ordinairement des terres basses et marécageuses, avait, comme celui des environs d’Alexandrie, la réputation d’être pur et salubre ; on attribuait ce singulier avantage aux marées régulières de la mer Adriatique, qui balayaient, les canaux, empêchaient la pernicieuse stagnation des eaux, et amenaient tous les jours les vaisseaux des pays voisins jusqu’au milieu de Ravenne. La mer s’est retirée insensiblement à quatre milles de la ville moderne. Dès le cinquième ou sixième siècle de l’ère chrétienne, le port d’Auguste se trouvait converti en vergers agréables, et une plantation de pins occupait l’endroit où les vaisseaux des Romains avaient jadis jeté l’ancre[62]. Cette révolution contribuait encore à rendre l’accès plus difficile, et le peu de profondeur des eaux suffisait pour arrêter les grands vaisseaux des ennemis. Ces fortifications naturelles étaient perfectionnées par les travaux de l’art ; et dans la vingtième année de son âge, l’empereur d’Occident, uniquement occupé de sa sûreté personnelle, se confina pour toujours entre les murs et les marais de Ravenne. L’exemple d’Honorius fut imité par ses faibles successeurs, par les rois Goths et les exarques, qui occupèrent depuis le trône et le palais des empereurs. Jusqu’au milieu du huitième siècle, Ravenne fut considérée comme le siége du gouvernement et la capitale de l’Italie[63]. Les craintes d’Honorius étaient fondées, et ses précautions ne furent pas inutiles. Tandis que l’Italie se réjouissait d’être délivrée des Goths, il s’élevait une tempête violente parmi les nations de la Germanie. Elles cédaient à l’impulsion irrésistible qui paraît s’être communiquée successivement depuis l’extrémité orientale du continent de l’Asie. Les annales de la Chine, dont nous a donné connaissance l’industrieuse érudition de notre siècle, peuvent aider utilement à découvrir les causes secrètes et éloignées qui entraînèrent la chute de l’empire romain. Après la fuite des Huns, les Sienpi victorieux occupèrent leur vaste territoire au nord du grand mur. Tantôt ils se répandaient en tribus indépendantes, tantôt ils se rassemblaient sous un seul chef, jusqu’à l’époque où, sous le nom de Topa ou de maîtres de la terre qu’ils s’étaient donné eux-mêmes, ils acquirent une consistance plus solide et de puissance plus formidable. Les Topa forcèrent bientôt les nations pastorales du désert oriental à reconnaître la supériorité de leurs armes. Ils envahirent la Chine dans un moment de faiblesse et de discorde intestine de ce grand empire ; et ces heureux Tartares, adoptant les lois et les mœurs du peuple vaincu, fondèrent une dynastie impériale qui régna près de cent soixante ans sur les provinces septentrionales de cette monarchie. Quelques générations avant qu’ils se fussent emparés du trône de la Chine, un des princes Topa avait enrôlé dans sa cavalerie un esclave nommé Moko, renommé par sa valeur, mais qui pour éviter quelque punition, déserta ses drapeaux et s’enfonça dans le désert, suivi d’une centaine de ses compagnons. Cette troupe de brigands et de proscrits, journellement recrutée par d’autres, forma d’abord un camp, ensuite une tribu, et enfin un peuple nombreux connu sous le nom de Geougen ; et leurs chefs héréditaires, descendants de l’esclave Moko, prirent rang parmi les monarques de la Scythie La jeunesse de Toulun, le plus célèbre de ses successeurs, fut formée à l’école de l’adversité, qui est celle des héros. Il sut résister courageusement à l’infortune, détruisit la puissance orgueilleuse des Topa, devint le législateur de sa nation, et le conquérant de la Tartarie. Ses troupes étaient distribuées en bandes de cent et de mille guerriers. Les lâches périssaient par le supplice de la lapidation, et la valeur obtenait pour récompense les honneurs les plus magnifiques. Toulun, assez éclairé pour mépriser l’érudition chinoise, n’adopta que les arts et les institutions favorables à l’esprit militaire de son gouvernement. Il campait durant l’été dans les plaines fertiles qui bordent le Sélinga, et se retirait à l’approche de l’hiver dans des contrées plus méridionales. Ses conquêtes s’étendaient depuis la Corée jusque fort au-delà de l’Irtish. Il vainquit au nord de la mer Caspienne la nation des Huns[64] ; et le surnom de Kan ou Cagan annonça l’éclat et la puissance qu’il tira de cette victoire mémorable. En passant des bords du Volga à ceux de la Vistule, la chaîne des événements se trouve interrompue, ou du moins cachée dans l’intervalle obscur qui sépare les dernières limites de la Chine de celles de la géographie romaine. Cependant le caractère de ces Barbares, et l’expérience des émigrations précédentes, autorisent à croire que les Huns, après avoir été vaincus par les Geougen, quittèrent bientôt le voisinage d’un vainqueur insolent. Des tribus de leurs compatriotes occupaient déjà les environs de l’Euxin, et leur fuite, qu’ils changèrent bientôt en une attaque hardie, dut naturellement s6 diriger vers les plaines fertiles à travers lesquelles la Vistule coule paisiblement jusque dans la mer Baltique. L’invasion des Huns doit avoir alarmé de nouveau et agité le Nord ; et les nations qu’ils chassaient devant eux sont venues sans doute écraser de leur poids les frontières de la Germanie[65]. Les habitants des régions où les anciens placent les Suèves, les Vandales et les Bourguignons, purent prendre la résolution d’abandonner aux Sarmates fugitifs leurs bois et leurs marais, ou du moins de rejeter le superflu de leur population sur les provinces de l’empire romain[66]. Environ quatre ans après que le victorieux Toulun eut pris le titre de kan des Geougen, un autre Barbare, le fier Rhodogaste ou Radagaise[67], marcha de l’extrémité septentrionale de la Germanie, presque jusqu’aux portes de Rome, et laissa en mourant les restes de son armée pour achever la destruction de l’empire d’Occident. Les Suèves, les Vandales et les Bourguignons, composaient la principale force de cette armée redoutable ; mais les Alains, qui s’étaient vus reçus avec hospitalité dans la contrée où ils étaient descendus, joignirent leur active cavalerie à la pesante infanterie des Germains ; et les aventuriers Goths accoururent en si grand nombre sous les drapeaux de Radagaise, que quelques historiens lui ont donné le titre de roi des Goths. Un corps de douze mille guerriers, distingués par leur naissance et par leurs exploits, composait la première avant-garde de son armée[68] ; et l’armée entière, forte de deux cent mille combattants, peut s’évaluer, en y ajoutant les femmes, les enfants et les esclaves, à quatre cent mille personnes. Cette effrayante émigration descendait de cette même côte de la mer Baltique, d’où des myriades de Cimbres et de Teutons avaient fondu sur Rome et sur l’Italie dans les temps glorieux de la république. Après le départ de ces Barbares, leur pays natal, où ils laissaient des vestiges de leur grandeur, de vastes remparts et des môles gigantesques[69], ne fut durant plusieurs siècles qu’une immense et effrayante solitude. Le genre humain s’y multiplia peu à peu par la génération, et une nouvelle inondation d’habitants vint remplir les vides du désert. Les nations qui occupent aujourd’hui une étendue de terrain qu’elles ne peuvent cultiver, trouveraient bientôt du secours dans la pauvreté industrieuse de leurs voisins, si les gouvernements de l’Europe ne défendaient pas les droits du souverain et la propriété des particuliers. La correspondance entre les nations était dans ce siècle si imparfaite, et si précaire, que la cour de Ravenne put ignorer les révolutions du Nord jusqu’au moment où la tempête qui s’était formée sur la côte de la mer Baltique, vint éclater avec violence sur les bords du Haut-Danube. Le monarque de l’Occident, si ses ministres jugèrent à propos d’interrompre ses amusements par la nouvelle du danger qui le menaçait, se contenta d’être l’objet et le spectateur de la guerre[70]. La sûreté de Rome fut confiée à la valeur et à la sagesse de. Stilichon mais tels étaient la faiblesse et l’épuisement de l’empire, qu’il fut impossible de réparer les fortifications du Danube ou de prévenir, par un effort vigoureux, l’invasion des Germains[71]. Toutes les espérances du vigilant ministre d’Honorius se bornèrent à la défense de l’Italie. Il abandonna une seconde fois les provinces, rappela les troupes, pressa les nouvelles levées exigées à la rigueur et éludées avec pusillanimité, employa les moyens les plus efficaces pour arrêter ou ramener les déserteurs, et offrit la liberté et deux pièces d’or à chaque esclave qui consentait à s’enrôler[72]. Ce fut à l’aide de ces ressources que Stilichon parvint à rassembler avec peine, parmi les sujets d’un grand empire une armée de trente ou quarante mille hommes, que, dans le temps de Scipion ou de Camille, eussent fournie sur-le-champ les citoyens libres du territoire de Rome[73]. A ces trente légions, le général romain ajouta un corps nombreux d’auxiliaires. Les fidèles Alains lui étaient personnellement affectionnas ; les Goths et les Huns, qui servaient sous la conduite de leurs princes légitimes, Huldin et Sarus, étaient excités, par leurs intérêts et leurs ressentiments personnels, à s’opposer aux entreprises et aux succès de Radagaise. Le roi des Germains confédérés passa sans résistance les Alpes, le Pô et l’Apennin, laissant d’un côté le palais inaccessible d’Honorius, enseveli à l’abri de tout danger dans les marais de Ravenne, et de l’autre le camp de Stilichon, qui avait pris ses quartiers à Ticinum ou Pavie, et qui évitait probablement une bataille décisive, jusqu’à ce qu’il eût rassemblé les forces éloignées qu’il attendait. Un grand nombre de villes de l’Italie furent détruites ou pillées ; et le siège de Florence[74], par Radagaise, est un des premiers événements rapportés dans l’histoire de cette fameuse république ; dont la fermeté arrêta quelque temps l’impétuosité de ces Barbares sans art et sans discipline. Quoiqu’ils fussent encore à cent quatre-vingts milles de Rome, le peuple et le sénat se livraient à la terreur, et comparaient en tremblant le danger dont ils venaient d’être livrés avec celui qui les, menaçait. Alaric était chrétien, et animé des sentiments d’un guerrier ; il conduisait une armée disciplinée, connaissait les lois de la guerre et respectait la foi des traités ; il s’était souvent trouvé familièrement avec les sujets de l’empire dans leurs camps et dans leurs églises ; mais le sauvage Radagaise n’avait pas la moindre notion des mœurs, de la religion, ni même d’u langage des nations civilisées du Midi ; une superstition barbare ajoutait à sa férocité naturelle ; et on croyait généralement qu’il s’était engagé, par un vœu solennel, à réduire la ville en cendres et à sacrifier les plus illustres sénateurs sur l’autel de ses dieux, que le sang humain pouvait seul apaiser. Le danger pressant, qui aurait dû éteindre toutes les animosités intestines développa au contraire l’incurable folie des factions religieuses. Les adorateurs de Jupiter et de Mars, opprimés par leurs concitoyens, respectaient dans l’implacable ennemi de Rome le caractère d’un païen zélé ; ils déclaraient hautement que les sacrifices de Radagaise leur paraissaient beaucoup plus à craindre que ses armes ; et ils se réjouissaient secrètement d’une calamité qui devait convaincre de fausseté la religion des chrétiens[75]. Florence fut réduite à la dernière extrémité, et le courage épuisé de ses citoyens n’était plus soutenu que par l’autorité de saint Ambroise, qui était apparu en songe, pour leur annoncer une prompte délivrance[76]. Peu de jours après, ils aperçurent, du haut de leurs murs, les étendards de Stilichon, qui avançait à la tête de toutes ses forces réunies, au secours de cette ville fidèle, et qui fit bientôt de ses environs le tombeau de l’armée barbare. On peut, sans faire beaucoup de violence à leurs opinions respectives, concilier aisément les contradictions apparentes des écrivains qui ont raconté différemment la défaite de Radagaise. Orose et saint Augustin, intimement liés par l’amitié et par la dévotion, attribuent cette victoire miraculeuse à la protection du ciel, plutôt qu’à la valeur des hommes[77]. Ils affirment positivement qu’il n’y eut ni combat ni sang répandu ; que les Romains, oisifs dans leur camp, où ils jouissaient de l’abondance, virent les Barbares affamés expirer lentement sur les rochers de Fæsule qui dominent la ville de Florence. Que l’armée chrétienne n’ait pas perdu un seul soldat, qu’elle n’en ait pas même eu un seul de blessé de la main des Barbares, c’est une assertion dont le ridicule ne permet pas qu’on s’arrête à la repousser ; mais le reste du récit d’Orose et de saint Augustin s’accorde avec les circonstances et avec le caractère de Stilichon. Il sentait trop bien qu’il commandait la dernière armée de la république, pour l’exposer imprudemment en bataille rangée à l’impétueuse furie des Germains. Se servant avec habileté, sur un terrain plus étendu et dans une occasion plus décisive, du moyen qu’il avait déjà employa deux fois avec succès contre le roi des Goths, le général enferma ses ennemis dans une forte ligne de circonvallation. Le moins instruit des guerriers romains ne pouvait ignorer l’exemple de César et les fortifications de Dyrrachium, qui, liant ensemble vingt-quatre forts par un fossé et un rempart non interrompus dans une étendue de quinze milles, présentaient le modèle d’un retranchement capable de contenir et d’affamer la plus nombreuse armée[78]. Les troupes romaines n’avaient pas autant perdu de l’industrie que de la valeur de leurs ancêtres ; et si les travaux serviles et pénibles blessaient la vanité des soldats, la Toscane, pouvait fournir des milliers de paysans plus disposés à travailler qu’à combattre pour le salut de leur patrie. Le manque de subsistances servit sans doute plus que l’épée des Romains à détruire une multitude d’hommes et de chevaux renfermés comme dans une étroite prison[79] ; mais pendant toute la durée d’un travail si considérable, les Romains furent exposés aux fréquentes attaques d’un ennemi impatient. Le désespoir et la faim durent souvent pousser les Barbares à de violents efforts contre les remparts dont on cherchait à les environner. Stilichon céda peut-être quelquefois à l’ardeur de ses braves auxiliaires, qui demandaient à grands cris l’assaut du camp des Germains ; et ces entreprises réciproques ont pu donner lieu aux combats sanglants et opiniâtres qui ornent le récit de Zozime et les chroniques de Prosper et de Marcellin[80]. Un utile secours d’hommes et de provisions avait été introduit dans les murs de Florence l’armée affamée de Radagaise se trouvait à son tour assiégée ; et le chef orgueilleux de tant de nations belliqueuses, après avoir vu périr ses plus braves guerriers, n’eut bientôt plus d’autre ressource que de se rendre sur la foi d’une capitulation ou de la clémence de son vainqueur[81]. Mais la mort de cet illustre captif, ignominieusement décapité, déshonora le triomphe de Rome et du christianisme ; et le court délai de son exécution suffit pour inculper le général victorieux du reproche de cruauté réfléchie[82]. Ceux des Germains affamés qui échappèrent à la fureur des auxiliaires, furent vendus comme esclaves au vil prix d’une pièce d’or par tête ; mais la différence de climat et de nourriture fit périr le plus grand nombre de ces malheureux étrangers ; et, comme on l’a observé alors, les inhumains qui les avaient achetés, au lieu de profiter du fruit de leurs travaux eurent bientôt à payer les frais de leurs funérailles. Stilichon informa l’empereur et le sénat de ses nouveaux succès, et mérita une seconde fois le titre glorieux de libérateur de l’Italie[83]. Le bruit de cette victoire, et surtout du miracle auquel on l’attribue, a donné lieu à cette opinion sans fondement, que l’armée entière, ou plutôt toute la nation des Germains, descendue des côtes de la mer Baltique ; avait été anéantie sous les murs de Florence. Tel fut effectivement le sort de Radagaise, de ses braves et fidèles compagnons, et de plus d’un tiers de la multitude de Suèves, d’Alains, de Vandales et de Bourguignons, qui suivaient les drapeaux de ce général[84]. La réunion d’une pareille armée pourrait nous surprendre ; mais les causes qui la séparèrent sont claires et frappantes. On les trouve dans l’orgueil de la naissance, la fierté de la valeur, la jalousie du commandement, l’impatience de la subordination et le conflit opiniâtre des opinions, des intérêts et des passions, parmi tant de princes et de guerriers aussi peu disposés à céder qu’à obéir. Après la défaite de Radagaise, les deux tiers des Germains, qui devaient composer plus de cent mille combattants, étaient encore sous les armes entre les Alpes et l’Apennin, ou entre les Alpes et le Danube. On ne sait point s’ils cherchèrent à venger la mort de leur général ; mais la prudence et la fermeté de Stilichon, en arrêtant leur marche et favorisant leur retraite, détourna sur un autre point leur impétuosité désordonnée. Principalement occupé de sauver Rome et l’Italie, Stilichon sacrifiait avec trop d’indifférence les richesses et la tranquillité des provinces éloignées[85]. Les Barbares acquirent de quelques déserteurs pannoniens la connaissance du pays et des routes ; et l’invasion de la Gaule, projetée par Alaric, fut exécutée par les restes de l’armée de Radagaise[86]. Cependant, s’ils avaient conçu l’espérance d’obtenir le secours des Germains qui habitaient les bords du Rhin, cette espérance fut déçue. Les Allemands conservèrent strictement la neutralité, et les Francs firent briller leur valeur et leur zèle pour la défense de l’empire. Dans cette rapide expédition sur Ie Rhin, qui°avait signalé les premiers instants de son gouvernement, Stilichon s’était attaché, avec une attention particulière, aux moyens de s’assurer l’alliance de cette nation guerrière, et d’en éloigner les ennemis irréconciliables de la paix et de la république. Marcomir, un de leurs rois, ayant été publiquement convaincu, devant le tribunal du magistrat romain, d’avoir violé la foi des traités, fut banni de son pays par un exil peu rigoureux dans la province de Toscane ; et cette dégradation de la royauté excita si peu le ressentiment de ses sujets, qu’ils punirent de mort le turbulent Sunno, qui voulait entreprendre de venger son frère, et obéirent avec fidélité au prince placé sur le trône par le choix de Stilichon[87]. Lorsque l’émigration septentrionale vint tombée sur les confins de la Gaule et de la Germanie, les Francs attaquèrent avec impétuosité les Vandales, qui, oubliant les leçons de l’adversité, s’étaient encore séparés de leurs alliés. Ils payèrent cher leur imprudence ; Godigisdus leur roi et vingt mille guerriers furent tués sur le champ de bataille. Toute la nation aurait probablement été détruite si les escadrons des Alains, accourant à leur secours, n’eussent passé sur le corps de l’infanterie des Francs. Ceux-ci, après une honorable résistance, furent contraints d’abandonner un combat inégal. Les alliés victorieux continuèrent leur route ; et le dernier jour de l’année, dans une saison où les eaux du Rhin étaient probablement glacées, ils entrèrent sans opposition dans les provinces désarmées de la Gaule. Ce passage mémorable des Suèves, des Vandales des Alains et des Bourguignons, qui ne se retirèrent plus, peut être considéré comme la chute de l’empire romain dans les pays au-delà des Alpes ; et dès ce moment, les barrières qui avaient se paré si longtemps les peuples sauvages des nations civilisées, furent anéanties pour toujours[88]. Tandis que la fidélité des Francs et la neutralité des Allemands semblaient assurer la paix de la Germanie, les sujets de Rome, ignorant le danger qui les menaçait, jouissaient d’une douce sécurité, à laquelle les frontières de la Gaule étaient peu accoutumées. Leurs troupeaux paissaient librement sur le terrain des Barbares, et les chasseurs s’enfonçaient sans crainte et sans danger, dans l’obscurité de la forêt Hercynienne[89]. Les bords du Rhin étaient, comme ceux du Tibre, couverts de maisons élégantes et de fermes bien cultivées ; et le poète qui descendit cette rivière, put demander lequel des deux côtés appartenait aux Romains[90]. Cette scène de paix et d’abondance se changea tout à coup en un désert, et l’affreux aspect des ruines fumantes distinguait seul les pays désolés- par les hommes, de ceux que la nature, avait rendus solitaires. La florissante ville de Mayence fut surprise et détruite, et des milliers de chrétiens furent inhumainement égorgés dans l’église. Worms succomba, après un siège long et opiniâtre ; Strasbourg, Spire, Reims, Tournai, Arras, Amiens, subirent, en gémissant, le joug des cruels Germains ; et feu dévorant de la guerre s’étendit des bords du Rhin dans la plus grande partie des dix-sept provinces de la Gaule. Les Barbares se répandirent dans cette vaste et opulente contrée jusqu’à l’Océan, aux Alpes et aux Pyrénées, chassant devant eux la multitude confuse des évêques, des sénateurs, des femmes, des filles tous chargés des dépouilles de leurs maisons et de leurs autels[91]. Les ecclésiastiques qui nous ont laissé la description vague des calamités publiques, saisirent cette occasion pour exhorter les chrétiens à se repentir des péchés qui attiraient la vengeance du Tout-Puissant, et à renoncer aux jouissances précaires d’un monde trompeur et corrompu ; mais comme la controverse de Pélage[92], qui prétend sonder le mystère de la grâce et de la prédestination, devint bientôt la plus sérieuse affaire du clergé latin, la Providence, qui avait ordonné, prévu ou permis cette suite de maux physiques et moraux, fut audacieusement citée au tribunal d’une raison imparfaite et trompeuse. Les peuples, aigris par le malheur, comparaient leurs maux et leurs crimes à ceux de leurs ancêtres, et blâmaient la justice divine, qui souffrait que la destruction générale s’étendit sur la faiblesse et sur l’innocence, et qui ne préservait pas même les enfants. Ces raisonneurs aveugles oubliaient que les lois invariables de la nature ont attaché la paix à l’innocence, l’abondance à l’industrie, et la sûreté à la valeur. La politique timide et égoïste de la cour de Ravenne pouvait rappeler les troupes palatines pour la défense de l’Italie. Le reste des troupes stationnaires aurait été sans doute insuffisant pour la défendre, et les auxiliaires barbares pouvaient préférer la licence illimitée du brigandage aux bénéfices modestes d’une paye régulière ; mais les provinces de la Gaule étaient remplies d’une race nombreuse d’hommes jeunes, robustes et vigoureux, qui, s’ils avaient osé braver la mort pour défendre leurs maisons, leurs familles et leurs autels, auraient mérité d’obtenir la victoire. La connaissance du pays leur aurait constamment fourni des obstacles insurmontables à opposer aux progrès des usurpateurs ; et les Barbares, manquant également d’armes et de discipline, ôtaient aux Gaulois le seul prétexte qui paisse excuser la soumission d’une contrée populeuse à une armée inférieure en nombre. Lorsque Charles-Quint fit une invasion, en France, il demanda d’un ton présomptueux à un prisonnier, combien on comptait de journées de la frontière à Paris : Douze au moins, lui répondit fièrement le soldat, si votre majesté les compte par les batailles[93]. Telle fut la réponse hardie qui rabattit l’orgueil de ce monarque ambitieux. Les sujets d’Honorius et ceux de François Ier étaient animés d’un esprit bien différent. En moins de deux ans, les bandes séparées des sauvages de la mer Baltique, dont le nombre, en l’examinant de bonne foi, ne paraîtrait pas digne de la moindre crainte, pénétrèrent sans combattre jusqu’au pied des Pyrénées. Dans les premières années du règne d’Honorius, la vigilance de Stilichon avait défendu avec succès l’île de la Bretagne contre les ennemis que lui envoyaient sans cesse l’Océan, les montagnes et la côte d’Irlande[94] ; mais ces Barbares inquiets ne négligèrent pas l’occasion de la guerre des Goths, qui dégarnit de troupes les murailles et les postes défendus parles Romains. Lorsque, quelque légionnaire obtenait la liberté de revenir de l’expédition d’Italie, ce qu’il racontait de la cour et du caractère d’Honorius devait naturellement affaiblir le sentiment du respect et de la soumission, et enflammer le caractère séditieux de l’armée bretonne. La violence capricieuse des soldats ranima l’esprit de révolté qui avait troublé le règne de Gallien, et les candidats infortunés et peut-être ambitieux qu’ils honoraient de leur choix fatal, devenaient tour à tour les instruments et ensuite les victimes de leurs fureurs[95]. Marcus fut le premier qu’ils placèrent sur le trône comme légitime empereur de la Bretagne et de l’Occident. Les soldats violèrent bientôt, en lui donnant la mort, le serment de fidélité qu’ils s’étaient imposé volontairement, et la censure qu’ils ont faite de ses mœurs semblerait attacher à sa mémoire un témoignage qui l’honore. Gratien fut le second qu’ils décorèrent de la pourpre et du diadème ; et quatre mois après, Gratien éprouva le sort de son prédécesseur. Le souvenir du grand Constantin, que les légions de la Bretagne avaient donné à l’Église et à l’empire, leur suggéra le bizarre motif de la troisième élection. Elles découvrirent dans leurs rangs un simple soldat qui portait le nom de Constantin, et leur impatiente légèreté l’avait placé sur le trône avant d’apercevoir son incapacité à soutenir la gloire d’un si beau nom[96]. Cependant Constantin eut une autorité moins précaire et plus de succès que ses deux prédécesseurs. Les exemples récents de l’élévation et de la chute de Marcus et de Gratien lui firent sentir le danger de laisser ses soldats dans l’inaction d’un camp deux fois souillé de sang et troublé par la sédition, et il résolut d’entreprendre la conquête des provinces de l’Occident. Constantin prit terre à Boulogne, suivi d’un petit nombre de troupes, après s’être reposé quelques jours, il somma celles des villes de la Gaule qui avaient échappé au joug des Barbares de reconnaître leur souverain légitime, et elles obéirent sans résistance. L’abandon où les laissait la cour de Ravenne, relevait suffisamment du serment de fidélité des peuples oubliés par leur souverain. Leur triste situation les disposait à accepter tous les changements sans crainte, et peut-être avec quelques mouvements d’espérance ; on pouvait se flatter que les troupes, l’autorité ou même le nom d’un empereur romain qui fixait sa résidence dans la Gaule, défendraient ce malheureux pays de la fureur des Barbares. Les premiers succès de Constantin contre quelques partis de Germains prirent, en passant par la bouche des flatteurs, l’importance de victoires Brillantes et décisives ; mais l’audace des ennemis, réunis enfin en corps d’armées, les réduisit bientôt à leur juste valeur. A force de négociations, il obtint une trêve courte et précaire ; et si quelques tribus de Barbares, séduites par ses dons et ses promesses, consentirent à entreprendre la défense du Rhin, ces traités incertains et ruineux, au lieu de rendre la sûreté aux frontières de la Gaule, ne servirent qu’à avilir la majesté du souverain et à épuiser les restes du trésor public. Enorgueilli toutefois par ce triomphe imaginaire, le soi-disant libérateur de la Gaule s’avança dans les provinces méridionales pour parer à un danger plus pressant et plus personnel. Sarus le Goth avait reçu l’ordre d’apporter la tête de Constantin aux pieds de l’empereur Honorius ; et cette querelle intestine consuma sans gloire les forces de la Bretagne et de l’Italie. Après la mort de ses deux plus braves généraux, Justinien et Nevigastes, dont le premier perdit la vie sur le champ de bataille, et l’autre par trahison dans une entrevue, le nouveau monarque d’Occident se retira dans les fortifications à Vienne. L’armée impériale l’attaqua sept jours de suite sans succès, et, forcée de se retirer avec précipitation, fut honteusement obligée de payer aux brigands et aux aventuriers des Alpes la sûreté de son passage[97]. Ces montagnes séparaient alors les États des deux monarques rivaux ; et-les fortifications de cette double frontière étaient gardées par les troupes de l’empire, qui auraient été plus utilement employées à chasser de ses provinces les Scythes et les Germains. Du côté des Pyrénées, la proximité du danger pouvait justifier l’ambition de Constantin ; mais sa puissance se trouva bientôt affermie par la conquête ou plutôt par la soumission de l’Espagne ; qui suivit l’influence d’une subordination habituelle, et, reçut les lois et les magistrats de la préfecture de la Gaule. Le seul obstacle qu’éprouva son autorité ne vint ni de la force du gouvernement, ni du courage des peuples, mais du zèle et de l’intérêt personnel de la famille de Théodose[98]. Quatre frères, parents de l’empereur défunt, avaient obtenu, par sa faveur, un rang honorable et d’amples possessions dans leur pays natal ; et cette jeunesse reconnaissante était déterminée à employer ses bienfaits au service de son fils. Après des efforts inutiles pour repousser l’usurpateur avec le secours des troupes stationnées en Lusitanie, ils se retirèrent dans leurs domaines, où ils levèrent et armèrent à leurs dépens un corps considérable de paysans et d’esclaves, avec lesquels ils s’emparèrent hardiment des passages et des postes fortifiés des Pyrénées. Le souverain de la Gaule et de la Bretagne, alarmé de cette révolte, soudoya une armée de Barbares auxiliaires pour achever la conquête de l’Espagne. On les distinguait par la dénomination d’Honoriens, qui semblait devoir leur rappeler la fidélité due au souverain légitime[99] ; et si l’on peut supposer que les Écossais furent entraînés par un sentiment de partialité pour un prince breton, les Maures et les Marcomans n’avaient pas cette excuse ; mais ils cédèrent aux profusions de l’usurpateur, qui, distribuait aux Barbares les honneurs militaires et même les emplois civils de l’Espagne. Les neuf bandes d’Honoriens, dont il est aisé de trouver la place dans l’état militaire de l’empire d’Occident, n’excédaient pas le nombre de cinq mille hommes, et cependant cette force peu redoutable suffit pour terminer une guerre qui avait menacé la puissance et la sûreté de Constantin. L’armée rustique des parents de Théodose fût environnée et détruite dans les montagnes vies Pyrénées. Deux des frères eurent le bonheur de se réfugier par mer en Italie et en Orient : les deux autres, après quelques délais, furent exécutés à Arles. Si Honorius demeurait insensible aux calamités publiques, il dut peut-être au moins déplorer le malheur particulier de ses généreux parents. Tels furent les faibles moyens qui décidèrent à qui resterait la possession des provinces occidentales de l’Europe, depuis le mur, d’Antonin jusqu’aux colonnes d’Hercule. Les événements de la guerre et de la paix ont sans doute été rapetissés par les écrivains de ces temps, dont les vues étroites et imparfaites ne s’étendaient point sur les causes ni sur les effets des plus importantes révolutions ; mais l’anéantissement des forées nationales avait détruit jusqu’à la dernière ressource du despotisme, et le revenu des provinces épuisées ne pouvait plus acheter le service militaire d’un peuple mécontent et pusillanime. Le poète adulateur qui a attribué les victoires de Pollentia et de Vérone à l’intrépidité des Romains, précipite sur l’armée d’Alaric, fuyant hors de l’Italie, une horrible troupe de spectres enfantés par son imagination, et placés en effet avec beaucoup de vraisemblance à la suite d’une multitude de Barbares exténués par les fatigues, la famine et les maladies[100]. Dans le cours de cette expédition malheureuse, le roi des Goths doit avoir souffert une perte considérable ; il lui fallut du temps pour recruter ses soldats harassés et pour ranimer leur confiance. L’adversité avait donné au génie d’Alaric autant d’éclat que d’exercice, et la renommée de sa valeur amenait sous ses drapeaux les plus braves guerriers des Barbares, qui, depuis les bords de l’Euxin jusqu’à ceux du Rhin, étaient enflammés de l’amour des conquêtes et du brigandage. Alaric avait mérité l’estime de Stilichon, et accepta bientôt son amitié. Renonçant au service d’Arcadius, il conclut avec la cour de Ravenne un traité de paix et d’alliance par lequel l’empereur le déclarait maître général des armées romaines dans toute la préfecture d’Illyrie, telle que le ministre d’Honorius la réclamait selon les limites anciennes et véritables[101]. L’irruption de Radagaise semble avoir suspendu l’exécution de ce dessein ambitieux, stipulé ou au moins inséré dans les articles du traité ; et l’on pourrait comparer la neutralité du roi des Goths à l’indifférence de César, qui, dans la conjuration de Catilina, refusa son secours et pour et contre l’ennemi de la république. Après la défaite des Vandales, Stilichon renouvela ses prétentions sur les provinces de l’Orient, nomma des magistrats civils pour l’administration de la justice et des finances, et déclara qu’il lui tardait de conduire l’armée des Romains et des Goths réunis aux portes de Constantinople. Cependant, la prudence de Stilichon, son aversion pour les guerres civiles et sa parfaite connaissance de la faiblesse de l’État, portent à croire que sa politique avait plus en vue de conserver la paix intérieure que de faire des conquêtes, et que son but principal était l’éloigner les forces d’Alaric de l’Italie. Ce dessein n’échappa pas longtemps à la pénétration du roi des Goths, qui, continuant d’entretenir une correspondance suspecte ou peut-être perfide avec les deux cours rivales, prolongea comme un mercenaire mécontent ses opérations languissantes en Épire et dans la Thessalie, et revint promptement demander des récompenses extravagantes pour des services imaginaires. De son camp près d’Œmone, sur les frontières de l’Italie[102], il fit passer à l’empereur de l’Occident une longue liste de promesses, de dépenses et de demandes, exigea une prompte satisfaction sur ces objets, et ne dissimula point le danger du refus. Cependant, si sa conduite était celle d’un ennemi, ses expressions étaient décentes et respectueuses. Alaric se déclarait modestement l’ami de Stilichon le soldat d’Honorius ; il offrait de marcher sans délai, à la tête de toutes ses troupes, contre l’usurpateur de la Gaule, et sollicitait, pour y établir à demeure sa nation, quelque canton vacant dans les provinces de l’Occident. Les négociations de deux habiles politiques qui cherchaient à se tromper réciproquement et à en imposer au monde, seraient peut-être restées enveloppées d’un voile impénétrable et enterrées dans le secret du cabinet, si les débats d’une assemblée populaire n’avaient jeté quelques rayons de lumière sur la correspondance d’Alaric et de Stilichon. La nécessite de soutenir par quelque expédient artificiel un gouvernement qui, à raison non pas de sa modération mais de sa faiblesse, se trouvait réduit à traiter avec ses propres sujets, avait ranimé insensiblement l’autorité du sénat de Rome ; et le ministre d’Honorius consulta respectueusement le conseil législatif de la république. Stilichon assembla les sénateurs dans le palais des Césars, représenta, dans un discours étudié, l’état actuel des affaires, exposa les propositions du roi des Goths, et soumit à leur décision le choix de la paix ou de la guerre. Les pères conscrits, comme s’ils se fussent réveillés, d’une léthargie de quatre cents ans, parurent inspirés, dans cette importante occasion, plutôt par le courage que par la sagesse de leurs prédécesseurs ; ils déclarèrent hautement, soit par des discours, prononcés avec calme, soit par des acclamations tumultueuses, qu’il était indigne de la majesté de Rome d’acheter une trêve honteuse d’un roi barbare, et qu’un peuple magnanime devait toujours préférer le hasard de sa destruction à la certitude du déshonneur. Le ministre, dont les intentions pacifiques, n’étaient approuvées que par quelques-unes de ses vénales et serviles créatures, essaya de calmer la fermentation générale par l’apologie suivante de sa propre conduite et même des demandes d’Alaric. Le paiement du subside, qui semble exciter l’indignation des Romains, ne devait pas être considéré, disait-il, sous le jour odieux d’un tribu ou d’une rançon arrachée par les menaces d’un ennemi barbare. Alaric avait fidèlement soutenu les justes prétentions de la république sur les provinces usurpées par les Grecs de Constantinople ; il ne demandait qu’à stipuler une récompense de ses services ; et s’il s’était désisté de poursuivre son entreprise, sa retraite était une nouvelle preuve de son obéissance aux ordres particuliers de l’empereur lui-même. San, chercher à dissimuler les erreurs de ce qui lui était cher. Stilichon avouait que ces ordres contradictoires avaient été obtenus par l’intercession de Sérène. La discorde des deux augustes frères, les fils de son père adoptif, avait affecté trop vivement peut-être la sensibilité de sa femme, et les sentiments de la nature l’avaient emporté trop facilement sans doute sur la loi sévère de l’intérêt public. L’autorité de Stilichon appuya des raisons spécieuses qui déguisaient faiblement les intrigues obscures de la cour de Ravenne ; et, après un long débat, il obtint du sénat ne sanction accordée avec répugnance. La voix du courage et de la liberté garda le silence, et l’on vota, sous le nom de subside, une somme de quatre mille livres d’or, pour assurer la paix de l’Italie et conserver l’alliance du roi des Goths. Le seul Lampadius, un des plus illustres membres de l’assemblée, persista dans son refus ; et après s’être écrié avec véhémence : Ceci n’est point un traité de paix, mais un pacte d’esclavage[103], il évita le danger d’une si audacieuse opposition par une retraite précipitée dans le sanctuaire d’une église chrétienne. Mais le règne de Stilichon tirait à sa fin, et l’orgueilleux ministre pouvait apercevoir les premiers symptômes de sa disgrâce prochaine. On avait applaudi à la résistance courageuse de Lampadius ; et le sénat, qui s’était depuis longtemps résigné si patiemment à la servitude, rejetait avec dédain l’offre d’une liberté honteuse et imaginaire. Les troupes qui, sous le nom de légions romaines, en possédaient encore les privilèges, voyaient avec colère la prédilection de Stilichon pour les Barbares, et le peuple dégénéré imputait à la pernicieuse politique du ministre, des malheurs, suite naturelle de sa propre lâcheté. Cependant Stilichon aurait pu braver encore les clameurs du peuple, et même des soldats, s’il eût pu conserver son empire sur l’esprit de son faible pupille ; mais le respectueux attachement d’Honorius s’était changé en crainte, en soupçons et en haine. Le perfide Olympius[104], qui cachait ses vices sous le masque de la piété chrétienne, avait sourdement déchiré le bienfaiteur dont il tenait la place honorable qu’il occupait dans le palais impérial. L’indolent Honorius, qui accomplissait sa vingt-cinquième année, apprit d’Olympius, avec étonnement, qu’avec le nom d’empereur il n’en possédait ni l’autorité, ni la considération. Le rusé courtisan alarma adroitement la timidité de son maître par une peinture animée des desseins de Stilichon, qui méditait disait-il, la mort de son souverain, dans l’espérance de placer le diadème sur la tête de son fils Eucherius. Le nouveau favori engagea l’empereur à prendre le ton de l’indépendance et de la dignité ; et le ministre vit avec surprise la cour et le conseil former en secret des desseins opposés à ses intérêts ou à ses intentions. Au lieu de fixer sa résidence dans le palais de Rome, Honorius déclara qu’il voulait retourner dans l’asile plus sûr de la forteresse de Ravenne. Dés qu’il apprit la mort de son frère Arcadius, il résolut de partir pour Constantinople, et d’administrer, en qualité de tuteur, les provinces de Théodose encore dans l’enfance[105]. Des représentations sur les dépenses et sur la difficulté de cette expédition lointaine ré primèrent cette étrange saillie d’activité ; mais il demeura inébranlable dans le périlleux projet de se montrer aux troupes du camp de Pavie entièrement composées de légions romaines, ennemies de Stilichon et de ses auxiliaires barbares. L’habile et pénétrant Justinien, célèbre avocat de Rome et confident du ministre, pressa son protecteur d’empêcher un voyage si dangereux pour sa gloire et pour sa sûreté ; mais les inutiles efforts de Stilichon ne servirent qu’à confirmer le triomphe d’Olympius, et le prudent jurisconsulte abandonna son patron, dont la ruine lui paraissait inévitable. Dans le passage de l’empereur à Bologne, Stilichon apaisa une sédition des gardes, que sa politique l’avait engagé à exciter sourdement. Il annonça aux soldats la sentence qui les condamnait à être décimés, et se fit un mérite vis-à-vis d’eux d’en avoir obtenu la révocation. Lorsque ce tumulte eut cessé, Honorius embrassa pour la dernière fois le ministre qu’il ne considérait plus que comme un tyran, et poursuivit sa route vers Pavie, où il fût reçu aux acclamations de toutes les troupes rassemblées pour secourir la Gaule. Le quatrième jour, le monarque prononça, en présence des soldats, une harangue militaire, composée par Olympius, qui, par ses charitables visites et ses discours artificieux, avait dû les engager dans une odieuse et sanglante conspiration. Au premier signal ils massacrèrent les amis de Stilichon, les officiers les plus distingués de l’empire, les deux préfets du prétoire de l’Italie et de la Gaule, deux maîtres généraux de la cavalerie et de l’infanterie, le maître des offices, le questeur, le trésorier et le comte des domestiques. Un grand nombre de citoyens perdirent la vie, beaucoup de maisons furent pillées, et le tumulte dura jusqu’à la nuit. Le monarque épouvanté, qu’on avait vu dans les rues de Pavie sans diadème et dépouillé de la pourpre impériale, céda aux conseils de son favori, condamna la mémoire des victimes et reconnut publiquement l’innocence et la fidélité des assassins. La nouvelle du massacre de Pavie, remplit l’âme de Stilichon des plus justes et des plus sinistres appréhensions. Il assembla sur-le-champ, dans le camp de Bologne, un conseil des chefs confédérés attachés à sa personne, et qui devaient craindre de se trouver enveloppés dans sa ruine. Aux armes ! à la vengeance ! furent les premiers cris que fit entendre cette impétueuse assemblée : ils voulaient marcher sans délai sous les étendards d’un héros qui les avait si souvent conduits à la victoire ; surprendre, saisir et exterminer le perfide Olympius et ses méprisables Romains, et peut-être assurer le diadème sur la tête de leur général outragé. Au lieu d’exécuter une résolution qui pouvait être justifiée par le succès, Stilichon hésita jusqu’au moment où sa perte devint inévitable. Il ignorait encore le sort de l’empereur, se méfiait de son propre parti, et considérait, avec horreur le danger d’armer une multitude de Barbares indisciplinables contre les soldats et les peuples de l’Italie. Les chefs, irrités de ses doutes et de ses délais, se retirèrent frappés de crainte et enflammés d’indignation. A minuit, Sarrus, guerrier de la nation des Goths, et renommé, même parmi eux, pour sa force et son intrépidité, entra tout à coup à main armée dans le camp de son bienfaiteur, pilla le bagage, tailla en pièces les fidèles Huns qui lui servaient de gardes, et pénétra jusque dans la tente où le ministre inquiet et pensif réfléchissait aux dangers de sa situation. Stilichon échappa avec difficulté à la fureur des assassins, et, après avoir fait publier un généreux et dernier avis à toutes les villes d’Italie de fermer leurs portes aux Barbares, sa confiance ou son désespoir le conduisit à Ravenne, déjà occupée par ses ennemis. Olympius, qui exerçait déjà toute l’autorité de l’empereur, apprit bientôt que son rival s’était réfugié dans l’église de Ravenne. Bas et cruel, l’hypocrite Olympius était également incapable de remords et de compassion, mais voulant conserver une apparence de piété, il tâcha d’éluder les privilèges d’un asile qu’il feignait de respecter. Le comte Héraclien, suivi d’une troupe de soldats, parut au point du jour devant les portes de l’église de Ravenne ; et un serment solennel persuada à l’évêque que l’empereur avait seulement ordonné de s’assurer de la personne de Stilichon ; mais dès que l’infortuné ministre eut passé le seuil consacré, le commandant perfide montra la sentence qui le condamnait à mourir sur-le-champ. Stilichon souffrit avec tranquillité les noms injurieux de traître et de parricide, réprima le zèle inutile de sa suite prête à mourir pour le sauver, et tendit le cou au glaive avec une fermeté digne du dernier général des Romains[106]. La foule servile du palais, qui avait si longtemps adoré la fortune de Stilichon, affecta d’insulter à son malheur, et la liaison la plus éloignée avec le grand-maître de l’Occident, considérée peu de jours avant comme un moyen de parvenir aux honneurs et aux richesses, fut désormais désavouée avec soin et punie avec rigueur. Sa famille, unie par une triple alliance à celle de Théodose, se voyait réduite à envier le sort des derniers habitants des campagnes. Son fils Eucherius fut arrêté dans sa fuite, et la mort de ce jeune homme innocent suivit de prés le divorce de Thermantia, qui avait pris la place de sa sœur Marie, et avait conservé, comme elle, sa virginité dans le lit impérial[107]. L’implacable Olympius persécuta tous ceux des amis de Stilichon qui avaient échappé au massacre de Pavie, et employa les plus cruelles tortures pour leur arracher l’aveu d’une conspiration sacrilège. Ils moururent en silence. Leur fermeté justifie le choix[108] de leur protecteur, et prouve peut-être son innocence ; le despotisme qui, après lui avoir ôté la vie sans examen, a flétri sa mémoire sans preuves, n’a aucun pouvoir sur le suffrage impartial de la postérité[109]. Les services de Stilichon sont grands et manifestes ; ses crimes, vaguement énoncés par la voix de la haine ou de l’adulation, sont pour le moins douteux et invraisemblables. Quatre mois environ après sa mort, un édit publié au nom d’Honorius, rétablit entre les deux empires la communication si longtemps interrompue par l’ennemi public[110]. On accusait le ministre, dont la gloire et la fortune étaient liées avec la prospérité publique, d’avoir livré l’Italie aux Barbares qu’il avait vaincus successivement à Pollentia, à Vérone et sous les murs de Florence. Son prétendu dessein de placer le diadème sur la tête de son fils Eucherius, ne pouvait avoir été conduit sans complices et sans .préparations. Stilichon, avec de semblables vues, n’aurait pas laissé le futur empereur jusqu’à la vingtième année de sa vie dans le poste obscur de tribun des notaires. La haine d’Olympius attaqua jusqu’aux sentiments religieux de son rival ; et le clergé, en célébrant dévotement le jour heureux qui en avait délivré presque miraculeusement l’Église, assura que si Eucherius eût régné, le premier acte de sa puissance aurait été de rétablir le culte des idoles et de renouveler les persécutions contre les chrétiens. Le fils de Stilichon avait cependant été élevé dans le sein du christianisme ; que son père avait toujours professé et soutenu avec zèle[111]. Le magnifique collier de Sérène venait de la déesse Vesta[112] et les païens abhorraient la mémoire d’un ministre sacrilège, qui avait livré, aux flammes les livres prophétiques de la sibylle, regardés comme les oracles de Rome[113]. La puissance et l’orgueil de Stilichon firent tout son crime. Sa généreuse répugnance à verser le sang de ses concitoyens paraît avoir contribué au succès de son indigne rival ; et la postérité, pour dernière preuve du mépris que méritait le caractère d’Honorius, n’a pas daigné lui reprocher sa basse ingratitude envers le protecteur de sa jeunesse et le soutien de son empire. Parmi ceux de ses protégés dont le rang et la fortune ont mérité l’attention de leur siècle, notre curiosité se porte sur le célèbre poète Claudien, qui, après voir joui de la faveur de Stilichon, fut entraîné dans la chute de son bienfaiteur. Les titres de tribun et de notaire lui donnaient un rang à la cour impériale. Par la puissante intervention de Sérène, il épousa une héritière opulente d’une province d’Afrique[114] ; et la statue de Claudien, élevée dans le Forum de Trajan, atteste le goût et là libéralité du sénat de Rome[115]. Lorsque l’éloge de Stilichon devint un crime, Claudien se trouva exposé à la vengeance d’un courtisais puissant ; qui ne pardonnait pas à l’esprit du poète de s’être exercé à ses dépens. Il avait comparé, dans une épigramme, les caractères opposés de deux préfets du prétoire de l’Italie, et fait contraster le repos innocent du philosophe qui donne quelquefois au sommeil, ou peut-être à l’étude, des heures destinées aux affaires publiques, avec l’activité funeste d’un ministre avide et infatigable dans l’exercice de sa rapacité. Peuples de l’Italie, dit Claudien, faites des vœux pour que Mallius veille sans cesse, et qu’Adrien dorme toujours ![116] Ce reproche doux et amical ne troubla point le repos de Mallius ; mais la cruelle vigilance d’Adrien épia l’occasion de se venger, et obtint sans peine, des ennemis de Stilichon, le faible sacrifice d’un poète indiscret. Claudien se tint caché durant le tumulte de la révolution ; et, consultant plus les règles de la prudence que les lois de l’honneur, il envoya au préfet offensé un humble et suppliant désaveu en forme d’épître. Claudien déplore tristement l’imprudence où l’entraîna une colère insensée ; et, après avoir présenté à son adversaire les généreux exemples de la clémence des dieux, des héros et des lions, il ose espérer que le magnanime Adrien dédaignera d’écraser un infortuné obscur, suffisamment puni par la disgrâce et la pauvreté, et profondément affligé de l’exil, des tortures et de la mort de ses amis les plus intimes[117]. Quels qu’aient été le succès de cette prière et la : destinée du reste de sa vie, il est constant que, sous peu d’années, la mort réduisit le ministre et le poète à l’état d’égalité ; mais le nom d’Adrien est presque inconnu, et on lit encore Claudien avec plaisir dans tous les pays qui ont conservé ou acquis la connaissance de l’idiome latin. Après avoir balancé avec impartialité son mérite et ses défauts, nous devons avouer que Claudien ne satisfait ni ne subjugue la raison. Il serait difficile de trouver dans ses œuvres un de ces passages qui méritent l’épithète de sublime ou de pathétique. On n’y rencontre point de ces vers qui pénètrent l’âme ou agrandissent l’imagination. Nous chercherions en vain dans ses poèmes l’invention heureuse ou la conduite ingénieuse d’une fable intéressante, ou la peinture juste et frappante des caractères et des situations de la vie réelle. Il publia en faveur de Stilichon beaucoup de panégyriques et de satires, et le but de ces compositions serviles se trouva d’accord avec le penchant qu’il avait à sortir des bornes de la vérité et de la nature. Ces imperfections sont toutefois compensées, à quelques égards, par le mérite poétique de Claudien. Il avait le rare et précieux talent d’ennoblir le sujet le plus, ignoble, d’orner le plus sec et de varier le plus monotone. Son coloris, surtout dans les descriptions, est brillant et doux ; et il mangue rarement l’occasion de déployer, souvent même jusqu’à l’abus, les avantages d’un esprit orné d’une imagination féconde, d’une expression facile et quelquefois énergique, enfin d’une versification toujours abondante et harmonieuse. A cet éloge indépendant des accidents de temps et de lieu, nous devons ajouter le mérite particulier qui sut vaincre les circonstances défavorables de sa naissance. Claudien était né en Égypte[118], dans le déclin des arts et de l’empire. Après avoir reçu une éducation grecque, il acquit, dans la maturité de son âge, la connaissance et l’usage de la langue latine[119], s’éleva au-dessus de ses faibles contemporains, et se plaça, après un intervalle de trois cents ans, au nombre des poètes de l’ancienne Rome[120]. |
[1] Claudien parle clairement de la révolte des Goths et du blocus de Constantinople (in Rufin, l. II., 7-100) ; Zozime (l. V, p. 292) ; et Jornandès (de Reb. getic., c. 29).
[2] . . . . . . . . . . Alii per terga ferocis
Danubii
solidata ruunt ; expertaque remis
Fragunt
stagna rotis.
Claudien et Ovide amusent, souvent leur imagination â varier, par une opposition continuelle, les métaphores tirées des propriétés de l’eau liquide et de la glace solide. Ils ont dépensé beaucoup de faux bel esprit dans ce facile exercice.
[3] Saint Jérôme, t. I, p 26. Il tâche de consoler son ami Héliodore, évêque d’Altinum, de la perte de son neveu Népotien, par une récapitulation curieuse de tous les malheurs publics et particuliers de ces temps. Tillemont, Mém. ecclés., t. XII, p. 200, etc.
[4] Baltha ou Bold, origo mirifica, dit Jornandès, c. 29. Cette race illustre fut longtemps célèbre en France, dans la province gothique de Septimanie ou Languedoc (sous la dénomination corrompue de Baux) ; et une branché de cette famille forma depuis un établissement dans le royaume de Naples. Grotius, in Prolegom., ad Hist.. Gothic., p. 53. Les seigneurs de Baux, près d’Arles, et de soixante-dix terres qui en relevaient, étaient indépendants des comtes de Provence. Longuerue, Description de la France, t. I, p. 357.
[5] Zozime (l. V, p. 293-295) est le meilleur guide pour la conquête de la Grèce ; mais les passages et les allusions de Claudien sont autant de traits de lumière pour l’histoire.
[6] Comparez Hérodote (VII, c. 176) et Tite-Live (XXXVI, 15). Ce passage étroit, qui défendait la Grèce, a probablement été élargi successivement par chacun des conquérants qui l’ont envahi.
[7] Il passa, dit Eunape (in Vit. Philosoph., p. 93 ; édit. Commelin) 1596) à travers le détroit des Thermopyles.
[8] Pour me conformer à saint Jérôme et à Claudien, j’ai chargé un peu le récit de Zozime, qui cherche à adoucir les calamités de la Grèce.
Nec fera Cecropias traxissent vincula matres.
Synèse (epist. 156, p. 272, édit. de Petau) observe qu’Athènes, dont il impute les malheurs à l’avarice du proconsul, était plus fameuse alors par son commerce de miel que par ses écoles de philosophie.
[9] . . . . . . . . . . Vallata mari Scironia rupes,
Et
duo continuo connectens æquora muro
Isthmos.
Claudien, de Bell. getico, 188. Pausanias a décrit les rochers Scironiens (l. I, c. 44, p. 107, édit. Kuhn.) ; et nos voyageurs modernes, Wheeler (p. 436) et Chandler (p. 298) en ont aussi donné une description. Adrien rendit la route praticable pour deux voitures de front.
[10] Claudien (in Rufin., l. II, 186, et de Bell. getic., 611, etc.) peint vaguement, mais avec force, cette scène de dévastation.
[11] Τρις μακαρες Δαναοι και τετρακις, etc. Ces superbes vers d’Homère (Odyssée, l. V, 306) furent transcrits par un des jeunes captifs de Corinthe ; et les larmes de Mummius peuvent servir à prouver que si le grossier conquérant ignorait la valeur d’une peinture originale, il n’en possédait pas moins la véritable source du bon goût un cœur bien veillant. Plutarque, Symposiac., l. IX, t. II, p. 737, édit. Wechel.
[12] Homère parle sans cesse de la patience exemplaire des femmes captives, qui livrèrent leurs charmes et donnèrent même leurs cœurs aux meurtriers de leurs frères, de leurs pères, etc. Racine a représenté avec une délicatesse admirable une passion semblable dans le caractère d’Ériphile éprise d’Achille.
[13] Plutarque (in Pyrrho, t. II, p. 471, édition, Brian.) donne la réponse littérale dans l’idiome laconique. Pyrrhus attaqua Sparte avec vingt-cinq mille hommes d’infanterie, deux mille chevaux et vingt-quatre éléphants ; et la défense de cette ville sans fortifications fait un bel éloge des lois de Lycurgue, même au dernier période de leur décadence.
[14] Tel peut-être qu’Homère l’a si noblement représenté, Iliade, XX, 164.
[15] Eunape (in Vit. Philosoph., p. 90-93) donne à entendre qu’une troupe de moines trahit la Grèce et suivit l’armée des Goths.
[16] Pour la guerre de Stilichon en Grèce, comparez le récit fidèle de Zozime (l. V, p. 295, 296) avec le récit adulateur, mais curieux et détaillé, de Claudien (I cons. Stilich., l. I, 172-186 ; IV cons. Honor., 459-487). Comme l’événement ne fut pas glorieux, il est habilement laissé dans l’ombre.
[17] Les troupes qui traversaient l’Elide quittaient leurs armes. Cette sécurité enrichit les Eléens, qui s’adonnaient à l’agriculture. Les richesses amenèrent l’orgueil ; ils dédaignèrent leurs privilèges et en furent punis. Polybe leur conseille de retourner dans leur cercle magique. Voyez un discours savant et judicieux que M. West a mis en tête de sa traduction de Pindare.
[18] Claudien (in. IV cons. Honor., 480) fait allusion à ce fait sans nommer l’Alphée. I cons. Stilich., l. I, 185.
Et
Alpheus geticis augustus acervis
Tardior
ad siculos etiamnum pergit amores.
Je supposerais cependant plutôt le Pénée, dont le cours faible roule dans un lit vaste et profond à travers l’Élide, et se jette dans la mer au-dessous de Cyllène. Il avait été joint à l’Alphée pour nettoyer les étables d’Augias. Cellarius., t. I, p. 760 ; Voyages de Chandler, p. 286.
[19] Strabon, l. VII, p. 517 ; Pline, Hist. natur., IV, 3 ; Wheeler, p. 308 ; Chandler, p. 275. Ils mesurèrent de différents points l’intervalle des deux côtes.
[20] Synèse passa trois ans (A. D. 397-400) à Constantinople, comme député de Cyrène à l’empereur Arcadius. Il lui présenta une couronne d’or, et prononça devant lui ce discours instructif, de Regno (p. 1-32, édit, de Petau, 1612). Le philosophe fut fait évêque de Ptolémaïs (A. D. 410), et mourut à peu près en 430. Voyez Tillemont, Mém. ecclés., t. XII, p. 499-554, 683-685.
[21] Synèse, de Regno, p. 21-26.
[22]
. . . . . . . . . . . Qui fœdera rumpit
Ditatur
: qui servat, eget vastator Achivœ
Gentis,
et Epirum nuper populatus inultam,
Præsidet
Illyrrico : jam, quos obsedit, amicos
Ingreditur
muros ; illis responsa dœturus
Quorum conjugibus potitur, natosque permit.
Claudien, in Eutrop., l. II, 212. Alaric applaudit à sa propre politique (de Bell. get., 533-543) dans l’usage qu’il fit de son autorité en Illyrie.
[23] Jornandès, c. 29, p. 651. L’historien des Goths ajoute avec une énergie qui lui est peu ordinaire : Cum suis déliberans, suasit suo labore quœrere regna, quam alienis per otium subjacere.
[24]
. . . Discors odiisque anceps civilibus orbis
Non
suavis tutata diu, diem fœdera fallax
Ludit, et alternœ perjuria venditat aulæ.
CLAUD., de Bell. getic., 565.
[25] Alpibus Italiœ ruptis penetrabis ad Urbem. Cette prédiction authentique fut annoncée par Alaric ou au moins par Claudien (de Bell. getico, 547) sept ans avant l’événement ; mais comme elle ne fut pas accomplie à l’époque qu’on avait imprudemment fixée, les traducteurs se sont sauvés à l’aide d’un sens ambigu.
[26] Nos meilleurs matériaux sont neuf, cent soixante-dix vers de Claudien, dans le poème de Bell. getico, et au commencement de celui qui célèbre-le sixième consulat d’Honorius. Zozime garde le plus profond silence, et nous sommes réduits aux parcelles que nous pouvons tirer d’Orose et des Chroniques.
[27] Malgré les fortes erreurs de Jornandès, qui confond les différentes guerres d’Alaric en Italie (c. 29), sa date du consulat de Stilichon et d’Aurélien mérite confiance. Il est certain d’après Claudien (voyez Tillemont, Hist. des Emp., t. V, p. 804), que la bataille de Pollentia se donna A. D. 403 ; mais nous ne pouvons pas aisément remplir l’intervalle.
[28] Tantum Romanœ urbis judicium fugis, ut magis obsidionem barbaricam, quam pacatœ urbis judicium velis sustinere. Saint Jérôme, t. II, p. 239. Rufin sentit son danger personnel. La ville paisible où on voulait l’attirer était échauffée par la furieuse Marcella et le reste de la faction de saint Jérôme.
[29] Jovien, l’ennemi des jeûnes et dit célibat, qui fut persécuté et insulté par le violent saint Jérôme. Remarques de Jortin, vol. XV, p. 104, etc. Voyez l’édit original de sort bannissement dans le Code de Théodose, l. XVI, tit. 5, leg. 43.
[30] Cette épigramme (de Sene Veronensi, qui suburbium nusquam egressus est) est une des premières et des plus agréables compositions de Claudien. L’imitation de Cowley (édit. de Hurd, vol. II, p. 41) présente quelques traits heureux et naturels ; mais elle est fort inférieure au tableau original, qui est évidemment fait d’après nature.
[31] Il voit près de sa demeure un bois né en même temps que lui, et en chérit les vieux arbres, ses contemporains. Cowley.
Dans ce passage, Cowley est peut-être supérieur à son original ; et le poète anglais, qui était un bon botaniste, a déguisé les chênes sous une dénomination plus générale.
[32] Claudien, de Bell. getic., 199-266. Il peut paraître prolixe ; mais la terreur et la superstition occupaient une place considérable dans l’imagination des Italiens.
[33] D’après le passage de saint Paulin, produit par Baronius (Annal. ecclés., A. D. 443, n° 51), il paraît évident que l’alarme s’était répandue, dans toute l’Italie, jusqu’à Nole en Campanie, où ce célèbre pénitent avait fixé sa résidente.
[34] Solus erat Stilichon, etc. Tel est l’éloge exclusif qu’en fait Claudien, sans daigner excepter l’empereur. (De Bell. get., 267.) Combien ne fallait-il pas qu’Honorius fût méprisé, même dans sa propre cour !
[35] L’aspect du pays et la hardiesse de Stilichon sont supérieurement décrits, de Bell. getic., 340-363.
[36]
Venit et extremis Regio prætenta Britannis,
Quœ Scoto dai frena truci.
De Bell. get., 416.
Cependant la marche la plus rapide d’Edimbourg ou de Newcastle à Milan aurait demandé plus de temps que Claudien ne semble en accorder pour toute la durée de la guerre des Goths.
[37] Tout voyageur doit se rappeler l’aspect de la Lombardie (voyez Fontenelle, t. V, p. 279), qui est si souvent tourmentée par les crues abondantes et irrégulières des eaux. Les Autrichiens devant Gênes campèrent dans le lit de la Polcevera qui était à sec. Ne sarebbe, dit Muratori, mai passato per mente a que’ buoni Allemanni, che quel picciolo torrente potesse, per cosi dire in un instante, cangiarsi in un terribil gigante. Annal. d’Ital., t. XVI, p. 443, Milan, 1753, édit. in-8°.
[38] Claudien n’éclaircit pas bien cette question, où était Honorius lui-même ? Cependant la fuite est prouvée par la poursuite ; et mes opinions sur la guerre des Goths sont justifiées par les critiques italiens, Sigonius, (t. I, part. 2, p. 369, de Imper. occid., l. X) et Muratori (Annali d’Italia, t. IV, p. 45).
[39] On peut trouver une des routes dans les Itinéraires, p. 98-228-294, avec les notes de Wesseling. Asti était située à quelques milles sur la droite.
[40] Asta ou Asti, colonie romaine, est à présent la capitale d’un très beau comté, qui passa dans le seizième siècle aux ducs de Savoie. Leandro Alberti, Descrizione d’ltalia, p. 382.
[41] Nec me timor impulit ullus. Il pouvait tenir ce langage orgueilleux à Rome l’année suivante, lorsqu’il était à cinq cents milles de la scène du danger (VI cons. Honor., 449).
[42]
Hanc ego vel victor regno, vel morte tenebo
Victus, humum.
Les harangues (de Bell. get., 479-549) du Nestor et de l’Achille des Goths sont énergiques, parfaitement adaptées à leurs caractères et aux circonstances, et non moins fidèles peut-être que celles de Tite-Live.
[43] Orose (l. VII, C. 37), est irrité de L’impiété des Romains, qui attaquèrent de si pieux chrétiens le dimanche de Pâques. On offrait cependant alors des prières à la chasse de saint Thomas d’Edesse, pour obtenir la destruction du brigand arien. Voyez Tillemont (Hist. des Emp., t. V, p. 529), qui cite une homélie attribuée mal à propos à saint Chrysostome.
[44] Les vestiges de Pollentia se trouvent à vingt-cinq milles au sud-est de Turin. Urbs, dans les mêmes environs, était une maison de chasse des rois de Lombardie, où se trouvait une rivière du même nom, qui justifia la prédiction : Penetrabis ad Urbem. Cluv., Italia. antiqua., t. I, p. 83-85.
[45] Orose cherche, par des expressions ambiguës, à faire entendre que les Romains furent vaincus : Pugnantes vicimus, victores victi sumus. Prosper (in Chron.) en fait une bataille sanglante et douteuse mais les écrivains des Goths, Cassiodore (in Chron.) et Jornandès (de Rebus get., c. 29), prétendent à une victoire décisive.
[46]
Demens Ausonidum gemmata monilia matrum,
Romanasque alta formulas cervice petebat.
De Bell. get., 627.
[47] Claudien (de Bell. getic., 580-647) et Prudence (in Symmach., l. II, 694-719) célèbrent sans ambiguïté la victoire des Romains à Pollentia. Ils sont, poètes et parties ; cependant les témoins les plus suspects méritent quelque confiance quand ils sont retenus par la notoriété récente des faits.
[48] La péroraison de Claudien est énergique et élégante ; mais il faut entendre l’identité du champ de bataille des Cimbres et de celui des Goths (de même que le Philippi de Virgile, Georgic., I, 490), selon la géographie vague et peu certaine des poètes. Verceil et Pollentia sont à soixante milles l’une de l’autre, et la distance est encore plus grande si les Cimbres furent vaincus dans la vaste et stérile plaine de Vérone. Maffei, Verona illustrata, part. I, p. 54-62.
[49] Il est indispensable de suivre Claudien et Prudence avec circonspection, pour réduire l’exagération, et extraire de ces poètes le sens historique.
[50]
Et, gravant en airain ses frêles avantages,
De mes États conquis enchaîner les images.
Cet usage d’exposer en triomphe les images des rois et des provinces, était très familier aux Romains. Le buste de Mithridate, haut de douze pieds, était d’or massif. Freinshem, Supplément de Tite-Live, c. III, 47.
[51] La guerre gothique et le sixième consulat d’Honorius lient ensemble assez obscurément les défaites et la retraite d’Alaric.
[52] Taceo de Alarico... sæpe victo, sœpè concluso, semperque dimisso. Orose, l. VII, c. 37, p. 567. Claudien (VI cons. Honor., 320) tire le rideau en présentant une fort belle image.
[53] Le reste du poème de Claudien, sur le sixième consulat d’Honorius, donne la description du voyage, du triomphe et des jeux, 330-660.
[54] Voyez l’inscription dans l’histoire des anciens Germains par Mascou (VIII, 12). Les expressions sont positives et imprudentes : Getarum nationem in omne œvum domitam, etc.
[55] Sur l’horrible, mais curieux sujet des gladiateurs, consultez les deux livres des Saturnales de Lipse, qui, en qualité d’antiquaire, est disposé à excuser les usages de l’antiquité, t. III, p. 483-545.
[56] Codex. Theodos., l. XV, tit. 12, leg. 1. Le Commentaire de Godefroy offre une grande abondance de matériaux (t. V, p. 396) pour l’histoire des gladiateurs.
[57] Voyez la péroraison de Prudence (in Symmach., l. II, 1121-1131), qui avait sans doute lu la satire éloquente de Lactance (Div. Instit., l. VI, c. 20). Les apologistes chrétiens n’ont pas épargné les jeux sanglants qui faisaient partie des fêtes religieuses du paganisme.
[58] Théodoret, l. V, c. 2.6. J’aurais grand plaisir à croire l’histoire de saint Télémaque ; cependant on n’a point élevé d’autel au seul moine qui soit mort martyr de la cause de l’humanité.
[59] Crudele gladiatorum spectaculum et inhumanum nonnullis videri solet : et haud scio an ita sit, ut nunc fit. Cicéron, Tusculan., II, 17. Il blâme légèrement l’abus, et défend chaudement l’usage de ces spectacles : Oculis nulla poterat esse fortior contra dolorem et mortem disciplina. Sénèque (epist. 7) montre la sensibilité d’un homme.
[60] Cette description de Ravenne est tirée de Strabon (l. V, p. 327), Pline (III, 20), Étienne de Byzance (sub voce Ραβεννα, p. 651, édit. Berkel.), Claudien (in VI cons. Honor., 494, etc.), Sidonius Apollinaris (l. I, epist. 5, 8), Jornandès (de Rebus getic., c. 29), Procope (de Bell. goth., l. I, c. 1, p. 309, édit. Louvre) et Cluvier (Ital antiq., t. I, p. 301-307.). Il me manque cependant encore un antiquaire local et une bonne carte topographique.
[61] Martial (Epig. III, 56, 57) plaisante sur le tour que lui joua un fripon, en lui vendant du vin pour de l’eau ; mais il assure très sérieusement qu’une bonne citerne est plus précieuse à Ravenne qu’une bonne vigne. Sidonius se plaint de ce que la ville manque de fontaines et d’aqueducs, et compte au nombre de ses incommodités locales le défaut d’eau douce, le coassement des grenouilles et les piqûres des insectes, etc.
[62] La fable de Théodore et d’Honoria, que Dryden a tirée de Boccace et traitée si supérieurement (Giornata III, Nov. 8), se passait dans le bois de Chiassi, corruption du mot classis, qui désignait la station navale ou le port, qui avec la route ou le faubourg intermédiaire, la Via Cæsaris, composait la triple cité de Ravenne.
[63] Depuis l’année 404, les dates du Code Théodosien sont toujours de Constantinople ou de Ravenne. Voyez Godefroy, Chronologie des Lois, t. I, p. 148, etc.
[64] Voyez M. de Guignes, Hist. des Huns, t. I, p. 179-189 ; t. II, p. 295, 334-338.
[65] Procope (de Bell. Vandal., l. I, c. 3, p. 182) a fait mention d’une émigration des Palus-Méotides, qu’il attribua à une famine ; mais ses idées sur l’histoire ancienne sont étrangement obscurcies par l’erreur et par l’ignorance.
[66] Zozime (l. V, p. 331) se sert de la qualification générale de nations au-delà du Danube et du Rhin. Leurs situations géographiques, et par conséquent leurs noms, sont faciles à deviner, même par les diverses épithètes que leur donne dans l’occasion chaque auteur ancien.
[67] Le nom de Rhadagaste était celui d’une divinité locale des Obotrites (dans le Mecklenbourg). Un héros pouvait prendre le nom de sa divinité tutélaire ; mais il n’est pas probable que les Barbares adorassent un héros malheureux. Voyez Mascou, Hist. des Germains, VIII, 14.
[68] Olympiadore (apud Photium, p. 180) se sert du mot grec όπτιματοι, qui ne donne pas une idée claire. J’imagine que cette troupe était composée de princes, de nobles et de leurs fidèles compagnons, des chevaliers et de leurs écuyers, comme on aurait pu les dénommer quelques siècles plus tard.
[69] Tacite, de Moribus Germanorum, c. 37.
[70]
. . . . . . . . . . Cujus agendi
Spectator vel causa fui.
Claudien, VI cons. Honor., 439. Tel est le modeste langage d’Honorius en parlant de la guerre des Goths, qu’il avait vue d’un peu plus près.
[71] Zozime (p. 331) transporte la guerre et la victoire de Stilichon au-delà du Danube ; étrange erreur qu’on répare d’une manière bien bizarre et bien imparfaite en lisant Αρυον pour Ιστρον. (Tillemont, Hist. des Emper., t. V, p. 807.) Nous sommes forcé, en bonne politique, de nous servir de Zozime, quoique nous ne lui accordions ni estime ni confiance.
[72] Cod. Theod., l. VII, tit. 13, leg. 16 La date de cette loi (A. D. 406, mai 18) m’apprend, comme à Godefroy (t. II, p. 687), la véritable époque de l’invasion de Radagaise. Tillemont, Pagi et Muratori, préfèrent l’année précédente ; mais il faut considérer ce qu’ils doivent de respect et de civilité à saint Paulin de Nole.
[73] Peu de temps après que les Gaulois se furent emparés de Rome le sénat leva dix légions, trois mille hommes de cavalerie, et quarante mille hommes d’infanterie, effort que la capitale n’aurait pu faire du temps d’Auguste. (Tite-Live, VII, 25). Ce fait peut étonner un antiquaire ; mais Montesquieu en explique clairement la raison.
[74] Machiavel a expliqué, au moins en philosophe, l’origine de Florence, que les bénéfices du commerce firent insensiblement descendre des rochers de Fæsule aux bords de l’Arno. (Hist. Florent., t. I, l. II, p. 36. Londres, 1747.) Les triumvirs envoyèrent une colonie à Florence, qui, sous le règne de Tibère (Tacite, Annal., I, 79), méritait le nom et la réputation d’une ville florissante. Voyez Cluvier, Ital. antiq., l. I, p. 507, etc.
[75] Cependant le Jupiter de Radagaise, qui adorait Thor et Wodin, était fort différent des Jupiter Olympique ou Capitolin. Le caractère conciliant du polythéisme pouvait s’accommoder de toutes ces divinités différentes ; mais les véritables Romains abhorraient les sacrifices humains de la Gaule et de la Germanie.
[76] Paulin (in Vita Ambrosii, c. 50) raconte cette histoire, qu’il tient de Pansophia, pieuse matrone de Florence. Cependant l’archevêque cessa bientôt de se mêler des affaires de ce monde, et ne devint jamais un saint populaire.
[77] Saint Augustin (de Civ. Dei, V, 23) ; Orose (l. VII, c. 37, p. 567-571). Les deux amis écrivaient en Afrique dix ou douze ans après la victoire, et leur autorité est implicitement suivie par Isidore de Séville (in Chron., p. 713, éd. Grot.). Combien de faits intéressants Orose aurait pu insérer dans l’espace qu’il remplit de pieuses absurdités !
[78]
Franguntur montes, planumque per ardua Cœsar
Ducil
opus : pandit fossas, turritaque summis
Disponit
castella jugis, magnoque recessu
Amplezus
fines : saltus nemorosaque tesqua
Et sylvas, vastaque feras indagine claudit.
Cependant le simple récit de la vérité (César, de Bell. civ., III, 44) est fort au-dessus des amplifications de Lucain (Pharsale, l. IV, 29-63).
[79] Les expressions d’Orose, In arido et aspero montis jugo, In unum et parvum verticem, ne conviennent guère au camp d’une grande armée ; mais le quartier général de Radagaise pouvait être placé à Fæsule ou Fiesole, à trois milles de Florence, et devait être environné par les fortifications des Romains comme le reste de l’armée.
[80] Voyez Zozime (l. V, p. 331) et les Chroniques de Prosper et de Marcellin.
[81] Olympiodore (apud Photium, p. 180) emploie l’expression de προσητάιρίσατο, qui semble annoncer une alliance solide et amicale, et rendrait Stilichon encore plus coupable. Le paulisper detentus, deinde interfectus, d’Orose, est déjà suffisamment odieux.
[82] Orose, dévotement barbare, sacrifie le roi et le peuple, Agag et les Amalécites, sans le moindre mouvement de compassion. Le sanguinaire auteur du crime me paraît moins odieux que l’écrivain qui l’approuve dans le calme de la réflexion.
[83] Et la muse de Claudien, qu’était-elle devenue ? dormait-elle, ou avait-elle été mal récompensée ? Il me semble que le septième consulat d’Honorius (A. D. 407) aurait pu fournir le sujet d’un beau poème. Avant qu’on eût découvert qu’il n’était plus, possible de sauver l’État, Stilichon, après Romulus, Camille et Marius, aurait pu être justement surnommé le quatrième fondateur de Rome.
[84] Un passage lumineux des Chroniques de Prosper, In tres partes, per diversos principes, divisus exercitus, réduit un peu le miracle, et lie ensemble l’histoire de l’Italie, de la Gaule et de la Germanie.
[85] Orose et saint Jérôme l’accusent d’avoir suscité l’invasion : Excitatæ a Stilichone gentes, etc. Leur intention était sans doute d’ajouter indirectement. Il sauva l’Italie en sacrifiant la Gaule.
[86] Le comte du Buat assure que l’invasion de la Gaule se fit par les deux tiers restant de l’armée de Radagaise. Voyez l’Histoire ancienne des peuples de l’Europe, t. VII, p. 87-121. Paris, 1772 ; ouvrage savant que je n’ai eu l’avantage de lire que dans l’année 1777. Dès 1771, j’ai trouvé la même idée dans une ébauche de la présente histoire, et depuis dans Mascou (VIII, c 5) ; un pareil concert de sentiment sans communication peut donner quelque poids à notre commune opinion.
[87]
. . . . . . . . . . Provincia missos
Expellet
citius, fasces, quam Francia reges
Quos dederis.
Claudien (I cons. Stilich., l. I, 2-35, etc.) est clair et satisfaisant. Ces rois des Francs sont inconnus à saint Grégoire de Tours ; mais l’auteur des Gesta Francorum parle de Sunno et de Marcomir, et nomme le dernier comme le père de Pharamond (t. II, p. 543). Il semble avoir écrit d’après de bons guides qu’il ne comprenait pas.
[88] Voyez Zozime (l. VI, p. 377.), Orose (l. VII, c. 40, p. 576) et les Chroniques. Saint Grégoire de Tours (l. II, c. 9, p. 165, dans le second volume des historiens de France) a conservé un fragment précieux de Renatus Profuturus Frigeridus, dont les trois noms annoncent un chrétien, un sujet romain et un demi-barbare.
[89] Claudien (I cons. Stilich., l. I, 221, et t. II, 186) fait le tableau de la paix et du bonheur des frontières de la Gaule. L’abbé Dubos (Hist. crit., etc., t. I, p. 174) voudrait substituer Alba (un cuisseau inconnu des Ardennes) au lieu d’Albis, et appuie sur les dangers que les troupeaux de la Gaule auraient couru en paissant au-delà de l’Elbe. La remarque est passablement ridicule. En style poétique, l’Elbe ou la forêt Hercynienne signifient tous les bois ou rivières de la Germanie. Claudien n’est pas de force à supporter le rigoureux examen de nos antiquaires.
[90]
. . . . . . . . . . . . . . Geminasque viator
Cum videat ripas, quœ sit romana requirat.
[91] Saint Jérôme, t. I, p. 93. Voyez le premier volume des historiens de France, p. 777-782 ; les extraits exacts du poème de Providentiâ divinâ, et Salvien. Le poète anonyme était lui-même captif avec son évêque et ses concitoyens.
[92] La doctrine de Pélage, qui fut discutée pour la première fois A. D. 405, fut aussi condamnée, dans l’espace de dix ans, à Rome et à Carthage, Saint Augustin combattit et triompha ; mais l’Eglise grecque favorisa son adversaire ; et, ce qui est assez particulier, le peuple ne prit aucune part à une dispute qu’il ne comprenait pas.
[93] Voyez les Mémoires de Guillaume du Bellay, l. VI.
[94] Claudien, I cons. Stilich., t. II, 250. On suppose que les Ecossais, alors fixés en Irlande, firent une invasion par mer, et occultèrent toute la côte occidentale de l’île de la Bretagne ; on peut accorder quelque confiance même à Nennius et aux traditions irlandaises. (Histoire d’Angleterre, par Carte, vol. I, p. 169 ; Histoire des Bretons, par Whitaker, p. 99.) Les soixante-six Vies de saint Patrice, qui existaient dans le neuvième siècle, devaient contenir autant de milliers de mensonges. Cependant nous pouvons croire que, dans une de ces excursions des Irlandais, le futur apôtre fut emmené captif. Usher, Antiq. ecclés. Britan., p. 431 ; et Tillemont, Mém. ecclés., t. XVI, p. 456-782, etc.
[95] Les usurpateurs bretons sont cités par Zozime (l. VI, p. 371-375) ; Orose (l. VII, c. 40, p. 576, 577) Olympiodore (apud Photium, p. 180, 181) ; les historiens ecclésiastiques et les Chroniques. Les Latins ne parlent point de Marcus.
[96] Cum in Constantino inconstantiam... execrarentur. Sidonius Apollinaris, l. V, epist. 9, p. 139, edit. secund. Sirmond. Cependant Sidonius a pu être tenté de saisir l’occasion de ce jeu de mots pour noircir un prince qui avait dégradé son grand-père.
[97] Babaudœ est le nom que Zozime leur donne ; peut-être en méritaient-ils un moins odieux. Voyez Dubos (Histoire critique, t. I, p. 203) et cette Histoire ; nous aurons encore occasion d’en parler.
[98] Vernianus, Didyme, Théodose et Lagodius, qui dans nos cours modernes seraient décorés du titre de princes du sang, n’étaient distingués ni par le rang ni par les privilèges au-dessus de leurs concitoyens.
[99] Ces Honoriani ou Honoriaci consistaient en deux ban, des d’Ecossais ou Attacotti, deux de Maures, deux de Marcomans, les Victores, les Ascarii et les Gallicani. Notit. imperii, sect. 38, édit. Lab. Ils faisaient partie des cinquante-cinq auxilia Palatina, et sont proprement dénommés εν τα αυλη ταξεις par Zozime, l. VI, p. 374.
[100]
. . . . . . . . . . . . . . . Comitatur euntem
Pallor,
et atra Fames ; et saucia lividus ora
Luctus ; et inferni stridentes amine Morbi.
CLAUD., in VI cons. Honor., 321, etc.
[101] Le comte du Buat a examiné ces obscures transactions (Hist. des Peuples de l’Europe, t. VII, c. 3-8, p. 69-206), et sa laborieuse exactitude peut Fatiguer quelquefois un lecteur superficiel.
[102] Voyez Zozime, l. V, p. 334, 335. Il suspend son récit peu satisfaisant, pour raconter la fable d’Œmone et du vaisseau Argo, qui fut traîné sur terre depuis le lieu où est située cette ville, jusqu’à la mer Adriatique. Sozomène (l. VIII, c. 25 ; l. IX, c. 4) et Socrate (l. VII, c. 10) jettent une faible lumière ; et Orose (l. VII, c. 38, p. 571) est horriblement partial.
[103] Zozime, l. V, p. 338-339. Il répète les expressions de Lampadius dans la langue où elles furent prononcées : Non est ista pax, sed pactio servitutis ; et ensuite il les traduit en grec, pour la commodité de ses lecteurs.
[104] Il venait de la côte de l’Euxin, et exerçait un emploi distingué. Ses actions justifient le caractère que prend plaisir à lui attribuer Zozime (l. V, 340). Saint Augustin révérait la piété d’Olympius, qu’il appelle un vrai fils de l’Église. (Baron., Annal. ecclés., A. D. 408, n° 19, etc. ; Tillemont, Mém. ecclés., t. XIII, p. 467, 468.) Mais les louanges que le saint d’Afrique prostitue si mal à propos, venaient peut-être autant de son ignorance que de son adulation.
[105] Zozime, l. V, p. 338, 339 ; Sozomène, l. IX, c. 4. Stilichon, pour détourner Honorius de cette vaine entreprise, offrit de faire lui-même le voyage de Constantinople. L’empire d’Orient n’aurait point obéi, et il n’était pas en état d’en faire la conquête.
[106] Zozime (l. V, p. 336-345) a très longuement ; mais très obscurément raconté la disgrâce et la mort de Stilichon. Olympiodore (apud Photium, p. 177), Orose (l. VII, c. 38, p. 571, 572), Sozomène (l. IX, c. 4) et Philostorgius (l. XI, c. 3 ; l. XII, c. 2) y suppléent un peu dans leurs différents passages.
[107] Zozime, l. V, p. 333. Le mariage d’un prince chrétien avec deux sœurs scandalise Tillemont (Hist. des Emper., t. V, p. 557), qui prétend que le pape Innocent Ier aurait dû faire quelque démarche relative à une dispense ou à une opposition.
[108] Zozime parle honorablement de deux de ses amis (l. V, p. 3116), Pierre, chef de l’école des notaires, et le grand chambellan Decuterius. Stilichon s’était assuré un appui dans la chambre à coucher de l’empereur ; et il est étonnant que sous un prince faible cet appui ne l’ait point sauvé.
[109] Orose (l. VII, c. 38, p. 571, 572) semble copier les manifestes faux et violents que la nouvelle administration répandait dans les provinces.
[110] Voyez Cod. Theod., l. VII, tit. 16 t ; l. IX, tit. 42, leg. 22. Stilichon est désigné, par le nom de prœdo publicus, qui employait ses richesses ad omnem ditandam, inquietandamque Barbariem.
[111] Saint Augustin lui-même est satisfait des lois promulguées par Stilichon contre les hérétiques et les idolâtres, lesquelles existent encore dans le code. Il s’adresse à Olympius, seulement pour en obtenir la confirmation. Baronius, Annal. ecclés., A. D. 408, n° 19.
[112] Zozime, l. V, p. 351. Nous pouvons observer, comme une preuve du mauvais goût de ce siècle, la bizarre magnificence avec laquelle on décorait alors les statues.
[113] Voyez Rutilius Numatianus (Itiner., l. II, p. 41-60), à qui l’enthousiasme religieux avait dicté quelques vers élégants et expressifs. Stilichon dépouilla aussi les portes du Capitole des lames d’or dont elles étaient ornées, et lut une sentence prophétique gravée à la place qu’elles recouvraient (Zozime, l. V, p. 352). Ces histoires sont ridicules ; cependant l’accusation d’impiété, portée par Zozime, donne du poids à l’éloge qu’il accorde ensuite à regret aux vertus de ce ministre.
[114] Aux noces d’Orphée (la comparaison est modeste), toutes les parties de la nature animée contribuèrent de quelques dons ; et les dieux eux-mêmes enrichirent leur favori. Claudien n’avait ni troupeaux, ni vignes, ni oliviers ; l’opulente héritière possédait tous ces biens ; mais il porta en Afrique une lettre de recommandation de la part de Sérène, sa Junon, et il devint heureux. Epist. 2, ad Serenam.
[115] Claudien a pour cet honneur la sensibilité d’un homme qui le mérite (in præfat. Bell. get.). L’inscription sur marbre fut trouvée à Rome dans le quinzième siècle, et dans la maison de Pomponius Lætus. La statue d’un poète infiniment supérieur à Claudien a dû être élevée durant sa vie par des hommes de lettres, ses compatriotes et ses contemporains ; c’était un noble projet.
[116] Voyez Épigramme 30 :
Mallius
indulget somno noctesque diesque :
Insomnis
Pharius sacra, profana, rapit.
Omnibus,
hoc, Italœ gentes, exposcite votis,
Mallius
ut vigilet, dormiat ut Pharius.
Adrien était un Pharien (d’Alexandrie). Voyez sa vie dans Godefroy (Cod. Theod., t. VI, p. 364). Mallius ne dormait pas toujours ; il a composé des dialogues écrits avec élégance, sur les systèmes grecs de la philosophie naturelle. Claudien, in Mall. Theod. consul., 61-112.
[117] Voyez la première épître de Claudien. Elle trahit cependant la répugnance qu’il voudrait cacher. L’ironie et l’indignation semblent percer dans quelques passages.
[118] La vanité nationale en a fait un Florentin ou un Espagnol ; mais la première épître de Claudien atteste qu’il est né à Alexandrie. Fabricius, Bibl. lat., t. III, p. 192-202, édit. Ernesti.
[119] Ses premiers vers latins furent composés sous le consulat de Probinus (A. D. 395).
Romanos
bibimus primum, te consule, fontes,
Et
latiœ cessit Thalia graia togœ.
Outre ses épigrammes qui existent encore, le poète latin a composé en grec les antiquités de Tarse, d’Anazarbe, de Béryte et de Nicée, etc. Il est plus aisé de remplacer la perte d’une belle poésie que celle d’une histoire authentique.
[120] Strada (Prolusion, V, VI) le place en concurrence avec Lucrèce, Virgile, Ovide, Lucain et Stace. Balthasar Castiglione est son grand admirateur. Ses partisans sont très nombreux et fort passionnés ; cependant les critiques sévères lui reprochent une profusion de fleurs exotiques et trop abondantes pour le dialecte latin.