Mort de Gratien. Destruction de l’arianisme. Saint Ambroise. Première guerre civile contre Maxime. Caractère, administration et pénitence de Théodose. Mort de Valentinien II. Seconde guerre civile contre Eugène. Mort de Théodose.
AVANT d’avoir accompli sa vingtième année, Gratien jouissait d’une réputation égale à celle des princes les plus célèbres. Sa douceur et sa bonté le rendaient cher à ses amis ; une affabilité remplie de grâce lui avait gagné l’affection du peuple ; les gens de lettres qui jouissaient de ses libéralités célébraient son goût et son éloquence ; les soldats applaudissaient à sa valeur et à son adresse dans tous les exercices militaires, et le clergé regardait l’humble piété de Gratien, comme la première et la plus utile de ses vertus. La victoire de Colmar avait délivré l’Occident d’une invasion formidable, et les provinces reconnaissantes de l’Orient rapportaient tout le mérite de Théodose à celui qui, en l’élevant sur le trône, avait été le premier auteur du salut de l’empire. Gratien ne survécu que quatre où cinq ans à ces événements mémorables mais il survécut à sa gloire ; et quand il tomba victime de la rébellion, il avait déjà perdu en grande partie le respect et la confiance du monde romain. On ne peut attribuer le changement remarquable qui s’opéra dans sa conduite et son caractère, ni aux artifices des flatteurs dont il avait toujours été également environné depuis son enfance, ni à l’impétuosité des passions dont la douce modération de ce prince paraît l’avoir garanti. Un examen plus approfondi de la vie de Gratien nous fera peut-être découvrir la causé qui anéantit les espérances du peuple. Ses vertus apparentes : n’étaient point de ces jets vigoureux que produisent l’expérience et l’adversité, c’étaient les fruits précoces d’une éducation de prince. La tendre sollicitude de son père s’était occupée sans relâche à lui procurer des talents qu’il estimait peut-être d’autant plus, qu’il en sentait la privation ; et les plus habiles maîtres dans les sciences et dans les arts avaient contribué à former et à embellir l’esprit et le corps du jeune Gratien[1] : on répandait avec ostentation, on célébrait par des louanges immodérées, les connaissances qu’ils lui avaient péniblement communiquées : son caractère doux : et docile recevait facilement l’impression de leurs sages préceptes, et l’absence des passions passait en lui pour l’effort d’une raison prématurée. Ses précepteurs, élevés insensiblement au rang de ministres d’État[2], dissimulèrent sagement aux yeux du public l’autorité qu’ils conservaient sur leur pupille ; et par leur secours secret, le jeune souverain parut agir, dans les circonstances les plus importantes de sa vie et de son règne, avec autant de prudence que de fermeté ; mais l’influence de leurs instructions ne fit qu’une impression peu profonde, et les habiles instituteurs qui dirigeaient si judicieusement la conduite de Gratien ne purent introduire dans son âme indolente et faible le principe d’activité, germe vigoureux et indépendant des grandes actions, qui rend la poursuite de la gloire nécessaire au bonheur et même à l’existence d’un héros. Dès que le temps ou les évènements eurent éloigné de son trône ces fidèles conseillers, l’empereur d’Occident redescendit insensiblement au niveau de son génie naturel. Il abandonna, les rênes du gouvernement aux mains ambitieuses toujours prêtés à s’en saisir, et consuma ses loisirs dans les occupations les plus frivoles. Les indignes agents de son pouvoir, sur le mérite desquels on ne pouvait élever un doute sans devenir coupable de sacrilège[3], vendaient publiquement à la cour et dans les provinces leur faveur et leurs injustices. Des saints et des évêques[4] dirigeaient la conscience du crédule Gratien ; et ils en obtinrent un édit qui condamnait à une peine capitale la violation, la négligence, et même l’ignorance de la doctrine divine[5]. Parmi les exercices dont le monarque s’était occupé pendant sa jeunesse, ceux du cheval, de l’arc et du javelot, avaient particulièrement attiré son attention ; mais il appliqua ces talents, utiles à un soldat, aux moins nobles plaisirs de la chasse. De vastes parcs furent enclos de murs et abondamment peuplés de toutes sortes d’animaux sauvages. Gratien, négligeant les devoirs et la dignité de son rang, passait des journées entières à déployer sa vigueur et ses talents pour ce jeu frivole. L’orgueil que mettait l’empereur à exceller dans un art, ou le plus vil de ses esclaves aurait pu l’emporter sur lui, rappelait aux spectateurs le souvenir de Néron et de Commode, mais le chaste et doux Gratien était exempt de leurs vices monstrueux, et sa main ne se teignit jamais que du sang des animaux[6]. La conduite qui dégradait Gratien aux yeux de ses sujets n’aurait pas troublé la tranquillité de son règne s’il n’eût point excité le ressentiment de son armée par des injures particulières. Tant qu’il fut guidé par les instructions de ses sages instituteurs, le jeune monarque se déclara l’ami et l’élève de ses soldats. Il causait dans le camp familièrement avec eux des heures entières et semblait s’occuper avec soin de leur santé, de leurs besoins, de leurs récompenses et de tous leurs intérêts ; mais des que Gratien fut livré à son ardente passion pour la chasse et les jeux de l’arc, il n’eut plus de relation qu’avec ceux dont l’adresse pouvait contribuer à ses plaisirs favoris. Il admit un corps d’Alains au service militaire et domestique du palais, et ils exercèrent dans les parcs et les enclos de la Gaule la dextérité surprenante qu’ils étaient accoutumés à déployer dans les plaines immenses de la Scythie. Gratien admirait les talents et les usages de ses gardes favoris, et leur confiait exclusivement la sûreté de sa personne ; et, comme s’il eût voulu insulter à l’opinion publique, il se montrait souvent vêtu de l’habit fourré, armé de l’arc long et du bruyant carquois qui composaient le costume d’un guerrier scythe. Ce révoltant spectacle d’un prince romain qui renonçait à l’habillement et aux usages de son pays, enflammait les légions de douleur et d’indignation[7]. Les Germains eux-mêmes, qui composaient une si redoutable partie des armées de l’empire, affectaient de mépriser l’étrange et horrible figure des sauvages du Nord, qui dans le cours de peu d’années, avaient poussé leurs courses vagabondes depuis le Volga jusqu’aux bords de la Seine. De bruyants et licencieux murmures s’élevèrent et se répandirent de tous les camus et de toutes les garnisons de l’Occident, et comme la paisible indolence de Gratien négligea d’arrêter ces rumeurs dans leur commencement, l’influence de la crainte ne suppléa point au manque de respect et d’affection. Mais un gouvernement établi ne se renverse pas sans quelques difficultés, plus considérables encore en apparence qu’elles ne le sont en réalité. L’empire de l’habitude, la sanction des lois, la religion et la balance à droite des autorités civiles et militaires introduites par Constantin, protégeaient le trône de Gratien. Il n’est pas fort important de savoir quelles causes amenèrent la rébellion de la Grande-Bretagne ; le hasard est souvent la source du désordre, et les semences de la révolte tombèrent sur un sol qu’on regardait comme plus fertile qu’aucun autre en tyrans et en usurpateurs[8]. Les légions de cette île se distinguaient depuis longtemps par leur arrogante présomption[9], et le nom de Maxime fut proclamé par les voix tumultueuses mais unanimes des soldats et des habitants de la province. L’empereur ou le rebelle (car la fortune m’avait point encore justifié son titre) était Espagnol, compatriote, compagnon d’armes et rival de Théodose, dont il n’avait pas vu l’élévation sans quelques mouvements d’envie et de ressentiment. Les événements de sa vie le fixaient depuis plusieurs années en Bretagne, et j’aurais désiré trouver quelque preuve du mariage qu’il avait contracté, dit-on, avec la fille d’un seigneur opulent du Caernarvonshire[10] ; mais son rang dans cette île peut être raisonnablement considéré comme un état d’exil et d’obscurité ; et si Maxime y occupait un poste civil et militaire, ce n’était ni celui de gouverneur ni celui de général[11]. La partialité des écrivains n’a pu refuser de rendre justice son habileté et même à son intégrité ; et il fallait sans doute que son mérite fût incontestable pour arracher cet aveu en faveur de l’ennemi vaincu de Théodose. Le sentiment de l’envie pouvait engager Maxime à blâmer la conduite de son souverain et à encourager, peut-être sans aucune vue d’ambition, les murmures de troupes ; mais au moment du tumulte, il refusa modestement ou artificieusement de monter sur le trône ; et il paraît qu’on ajouta quelque foi à la déclaration positive du nouveau César, qui protestait avoir accepté malgré lui le dangereux présent de la pourpre impériale[12]. Mais il n’était pas moins dangereux de refuser l’empire ; et dès que Maxime eut violé la fidélité qu’il devait à son souverain, il ne put se flatter ni de régner, ni même de conserver la vie ; s’il bornait son ambition à la possession de la Bretagne. Il prit donc la résolution hardie et prudente de prévenir Gratien. Toute la jeunesse de l’île accourut en foule sous ses étendards et il conduisit dans la Gaule une armée et une flotte dont on parla longtemps comme de l’émigration d’une partie considérable de la nation[13]. L’empereur, dans sa paisible résidence, de Paris, fut alarmé à l’approche des rebelles. Les dards qu’il lançait contré les ours et contre les lions auraient été employés plus utilement contre ses ennemis ; mais la faiblesse de ses efforts faisant connaître l’abaissement dans lequel il était tombé et le peu d’espoir qui lui restait, le priva des ressources qu’il aurait encore pu trouver dans les secours de ses sujets et de ses alliés. Les armées de la Gaule, loin de fermer le passage à Maxime, le reçurent avec des acclamations de joie et des protestations de fidélité, et ce fut le prince qu’on accusa d’avoir abandonné son peuple. Les troupes qui étaient plus immédiatement employées au service du palais abandonnèrent l’étendard de Gratien la première fois qu’on le déploya dans les environs de Paris. L’empereur s’enfuit vers Lyon avec un petit corps de trois cents chevaux ; et les villes situées sur sa route, où il espérait trouver un refuge ou au moins un passage, lui apprirent, en fermant leurs portes, qu’il ne s’en trouve jamais d’ouvertes pour les malheureux. Il aurait encore pu parvenir sans danger aux États de son frère et revenir avec toutes les forces de l’Italie et de l’Orient, s’il ne se fût pas laissé tromper par le perfide gouverneur du Lyonnais. Le crédule Gratien accorda sa confiance à des protestations, de fidélité suspectes et aux promesses d’un secours qui ne pouvait être qu’insuffisant. L’arrivée d’Andragathius, général à la cavalerie de Maxime, le tira de son erreur. Cet audacieux officier exécuta sans remords les ordres, ou les intentions de l’usurpateur. On livra Gratien, au sortir de son souper, entre les mains de l’assassin, et son corps même fut refusé aux pieuses et pressantes instances de son frère Valentin[14]. La mort de l’empereur fut bientôt suivie de celle de son puissant général Mellobaudes, roi des Francs, qui conserva jusqu’à la fin de sa vie une réputation équivoque, juste récompense de sa politique intrigante et ténébreuse[15]. Ces exécutions pouvaient être nécessaires la tranquillité publique ; mais l’heureux usurpateur, dont l’autorité, était reconnue par toutes les provinces de l’Occident, eut le mérite et la satisfaction de se vanter qu’excepté ceux qui périrent par le hasard des combats, son triomphe n’avait coûté la vie à aucun de ses sujets[16]. Cette révolution avait été terminée avec tant de rapidité, que Théodose apprit la défaite et la mort de son bienfaiteur avant qu’il lui fût possible de marcher à son secours. Le temps destiné aux regrets sincères à la douleur ou à l’étiquette du deuil, n’était point encore expiré lorsqu’on vit arriver le première chambellan de Maxime ; et le choix d’un vieillard vénérable pour un poste ordinairement occupé par un eunuque, annonça à Constantinople les mœurs graves et sévères de l’usurpateur. L’ambassadeur daigna justifier ou excuser la conduite de son maître, et protester, dans un langage spécieux, que le meurtre de Gratien avait été commis à son insu et contré son intention, par le zèle indiscret des soldats ; mais il ajouta, d’un ton ferme et tranquille, que Maxime offrait à Théodose le choix de la paix ou de la guerre ; et il acheva son discours en déclarant que quoique son maître préférât, comme Romain et comme père de ses sujets, d’employer ses forces militaires à la défense commune, il était cependant prêt à disputer l’empire dans une bataille décisive, si Théodose rejetait ses propositions de paix et d’amitié. Maxime exigeait une réponse prompte et claire ; mais dans cette circonstance, il était difficile à Théodose de satisfaire les sentiments de son âme ou l’attente du public. La voix de la reconnaissance et de l’honneur criait vengeance. Il devait le diadème à la libéralité de Gratien ; la patience de Théodose pouvait faire, présumer qu’il serait plus sensible aux anciennes injures qu’aux services récents ; mais accepter l’amitié d’un assassin était en quelque sorte partager son crime. Laisser Maxime impuni était d’ailleurs donner une atteinte funeste aux lois de la justice et à l’intérêt de la société ; et le succès d’un usurpateur tendait à détruire l’édifice artificiel du gouvernement, et à replonger l’empire dans-les calamités du siècle précédent : mais les sentiments d’honneur et de reconnaissance qui doivent régler invariablement la conduite des citoyens sont quelquefois contraintsk1e céder dans l’âme d’un monarque à des devoirs supérieurs ; les lois de la justice et de l’humanité tolèrent l’impunité du crime, même le plus atroce, lorsque sa punition entraînerait inévitablement la perte d’un grand nombre d’innocents. L’assassin de Gratien avait sans doute usurpé le gouvernement des provinces les plus belliqueuses de l’empire, mais ces provinces se trouvaient réellement en sa possession. L’Orient était épuisé par les revers et même par le succès de la guerre des Goths ; il avait lieu de craindre qu’après avoir consumé le reste des forces de la république dans une guerre destructive et douteuse, le vainqueur affaibli ne devînt bientôt la proie des Barbares du Nord. Ces puissantes considérations forcèrent Théodose à dissimuler son ressentiment et à accepter l’alliance de Maxime ; mais il stipula que le nouvel empereur se contenterait des provinces au-delà des Alpes, et que le frère de Gratien conserverait la souveraineté de l’Italie, de l’Attique et de l’Illyrie occidentale. On inséra dans le traité quelques conditions honorables en faveur de la mémoire et des lois du dernier empereur[17]. Les portraits des trois augustes collègues furent exposés, selon la coutume, à la vénération des peuples, et on ne doit pas supposer légèrement qu’au moment de cette réconciliation solennelle, Théodose méditât secrètement des projets de vengeance et de perfidie[18]. Le mépris de Gratien pour les troupes romaines l’avait exposé aux funestes effets de leur ressentiment ; mais sa profonde vénération pour le clergé chrétien reçut sa récompense dans les louanges d’un ordre puissant, qui a réclamé dans tous les siècles le privilège de distribuer les honneurs sur la terre et dans le ciel[19]. Les évêques orthodoxes déplorèrent sa mort et leur perte irréparable ; ils s’en consolèrent bientôt en découvrant que Gratien avait confié le sceptre de l’Orient à un prince dont la foi docile et le zèle ardent étaient soutenus par un génie plus vaste et un caractère plus vigoureux. Parmi les bienfaiteurs de l’Eglise, la gloire de Théodose a rivalisé avec celle de Constantin. Si Constantin eut l’avantage d’élever l’étendard de la croix, son successeur et son émule subjugua l’hérésie arienne et détruisit le culte des idoles dans tout le monde romain. Théodose fut le premier des empereurs baptisés dans la foi orthodoxe de la Trinité. Quoique né dans une famille chrétienne, il retarda, selon les maximes ou l’usage du siècle, la cérémonie de son initiation jusqu’au moment où une maladie, qui menaça ses jours sur la fin de la première année de son règne, lui fit sentir le danger du retard. Avant de rentrer en campagne contre les Goths, il reçut le sacrement du baptême[20] d’Acholius, évêque orthodoxe de Thessalonique[21] ; et en sortant des fonts sacrés, tout brûlant encore du pieux sentiment de sa régénération, l’empereur dicta un édit qui publiait les règles de sa foi et fixait la religion de ses sujets. C’est notre bon plaisir (tel est le style impérial) que tous les peuples gouvernés par notre clémence et notre modération, adhèrent strictement à la religion enseignée par saint Pierre aux romains, fidèlement conservée par la tradition, et professée aujourd’hui par le pontife Damase, et par Pierre, évêque d’Alexandrie, nommé d’une sainteté apostolique. Conformément à la discipline des apôtres et à la doctrine de l’Évangile, nous devons croire à la seule divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, sous une majesté égale et une pieuse Trinité. Nous autorisons les disciples de cette doctrine à prendre le titre de chrétiens catholiques ; et comme nous jugeons que tous les autres sont des aveugles et des insensés, bous les flétrissons du nom,odieux d’hérétiques ; et nous défendons à leurs assemblées d’usurper désormais le respectable nom d’églises. Indépendamment de la condamnation divine, ils doivent s’attendre à souffrir les châtiments sévères que notre autorité, guidée par la sagesse céleste, jugera à propos de leur infliger[22]. La croyance d’un soldat est plus communément le fruit de l’instruction qu’il a reçue, que celui de son propre examen ; mais comme l’empereur se renfermait dans les bornes de l’orthodoxie qu’il avait prudemment fixées, ses opinions religieuses ne frirent jamais ébranlées par les textes spécieux, les arguments subtils ou les symboles équivoques des docteurs ariens. Il montra une seule fois un faible désir de s’entretenir avec le savant et éloquent Eunomius, qui habitait une retraite dans les environs de Constantinople ; mais les instances de l’impératrice Flacilla, qui tremblait pour le salut de son époux, prévinrent cette dangereuse entrevue, et l’empereur fait irrévocablement confirmé dails son opinion par un argument à la portée de l’intelligence la plus grossière. Il avait récemment revêtu Arcadius, son fils aîné, de la pourpre et du titre d’Auguste ; les deux princes, placés sur un trône magnifique, recevaient l’hommage de leurs sujets. Amphilochius, évêque d’Iconium, s’approcha des empereurs, et après avoir salué Théodose avec le respect dû à un souverain ; il aborda Arcadius avec les caresses familières qu’il aurait pu employer envers l’enfant d’un plébéien. Irrité de cette insolence, le monarque ordonna que ce prêtre campagnard fut à l’instant chassé de sa présence ; mais tandis que les gardes l’entraînaient à la porte, l’adroit théologien eut le temps d’exécuter son projet, en s’écriant d’une voix forte : Tel est le traitement, ô empereur ! que, le roi du ciel réserve, aux hommes impies qui feignent d’adorer le Père en refusant de reconnaître la majesté divine et égale de son fils. L’empereur embrassa tendrement l’évêque d’Iconium, et n’oublia jamais l’importante leçon qu’il lui avait donnée par cette parabole dramatique[23]. Constantinople était le siége principal de l’arianisme, et les écoles orthodoxes de Rome et à Alexandrie avaient constamment rejeté, durant l’espace de quarante ans[24], la foi des princes et des évêques qui gouvernaient la capitale de l’Orient. Le siége archiépiscopal de Macédonius, souillé d’une si grande quantité de sang chrétien, avait été successivement occupé par Enclose et par Damophile. Les vides et les erreurs de toutes les provinces de l’empire affluaient librement dans leur diocèse ; l’ardeur des controverses religieuses offrait une occupation de plais à l’oisiveté turbulente de la métropole, et nous pouvons en croire l’observateur intelligent qui décrit, sur le ton de la plaisanterie, les effets de leur zèle verbeux : Cette ville, dit-il, est pleine d’esclaves et de gens de métier qui sont tous de profonds théologiens, et qui prêchent dans les boutiques et dans les rues. Priez un homme de vous changer une pièce d’argent, il vous apprendra en quoi le fils diffère du Père. Demandez à un autre le prix d’un pain, il vous répondra que le Fils est inférieur au Père. Informez-vous si le bain est prêt, on vous dira que le Fils a été créé de rien[25]. Les hérétiques de toutes les dénominations vivaient en paix sous la protection des ariens de Constantinople, qui tâchaient de s’affectionner ces sectes obscures, tandis qu’ils abusaient avec la plus violente sévérité de leur victoire sur les partisans du concile de Nicée. Durant les règnes de Constance et de Valens, les faibles restes des homoousiens furent privés de l’exercice public et particulier de leur religion ; et l’on a observé, en style pathétique, que ce troupeau dispersé sans berger dans les montagnes, était abandonné à la voracité des loups[26] ; mais comme leur zèle, loin de se laisser vaincre par la tyrannie, semblait en recevoir une nouvelle vigueur, ils saisirent le premier instant de liberté imparfaite que leur procura la mort de Valens, pour former une congrégation régulière sous la conduite d’un évêque. Saint Basile et saint Grégoire de Nazianze, tous deux nés en Cappadoce[27], se distinguaient de tous leurs contemporains[28] par l’union, rare alors, de l’éloquence profane et de la piété orthodoxe. Ces orateurs, qui ont été comparés, quelquefois. Par eux-mêmes, et quelquefois par le public, aux plus célèbres des anciens Grecs, étaient liés parles nœuds de la plus étroite amitié ; ils avaient suivi avec la même ardeur les mêmes études dans les écoles d’Athènes ; ils s’étaient retirés ensemble, avec une dévotion égale, dans les déserts du Pont ; et les âmes pures de saint Basile et de saint Grégoire paraissaient également incapables de tout mouvement d’envie ou de jalousie ; mais l’exaltation de saint Basile sur le siégé archiépiscopal de Césarée découvrit au public, et peut-être au prélat lui-même, l’orgueil de son caractère ; et saint Grégoire, dans la première faveur qu’il reçut- de son ami, crut voir, non peut-être sans quelque raison, l’intention d’une cruelle insulte[29]. Au lieu d’employer les talents supérieurs de Grégoire dans un poste utile et brillant, l’orgueilleux Basile choisit dans le nombre de cinquante évêchés, dépendants de son vaste diocèse, le misérable village de Sasima[30], sans eaux, sans verdure, sans société, et placé à la jonction de trois grands chemins, qui n’y amenaient d’autres voyageurs que des rouliers grossiers et bruyants. Saint Grégoire se soumit, quoique avec répugnance, à cet humiliant exil, et fut ordonné évêque de Sasima ; mais il proteste solennellement qu’il ne consomma jamais son mariage spirituel avec cette désagréable épouse. Il consenti ensuite à gouverner l’église de Nazianze, sa ville natale[31], dont son père avait été évêque durant plus de quarante-cinq ans ; mais il se sentait digne d’un autre théâtre et d’un autre auditoire ; une ambition légitime le porta à accepter l’honorable, invitation du parti orthodoxe de Constantinople. A son arrivée dans la capitale, un parent pieux et charitable le reçut dans sa maison ; on consacra la chambre la plus vaste aux cérémonies de la religion ; et on choisit le nom d’Anastasie pour exprimer la résurrection de la foi de Nicée. Cette assemblée particulière se convertit dans la suite en une église magnifique ; et la crédulité du siècle suivant adopta sans peine les miracles et les visions qui attestaient la présence de la mère de Dieu, ou au moins sa protection[32]. La chaire de l’Anastasie fut le théâtre des travaux, et des triomphes de saint Grégoire, et, dans l’espace de deux ans, il éprouva toutes les révolutions spirituelles qui constituent les succès et les revers d’un missionnaire[33]. Les ariens, irrités de la hardiesse de son entreprise, l’accusèrent de prêcher trois divinités égales et distinctes, et excitèrent le zèle de la populace à s’opposer, par des attroupements et des violences, à l’assemblée irrégulière des hérétiques athanasiens. Une troupe de mendiants qui avaient perdu tous leurs droits à la commisération, des moines qui ressemblaient à des boucs ou à des satyres et des femmes plus violentes que des Jézabels, sortirent pêle-mêle de la cathédrale de Sainte-Sophie. lis enfoncèrent les portes de l’Anastasie, et, armés de pierres, de bâtons et de tisons ardents, y firent beaucoup de dégâts qu’ils essayèrent même de porter encore plus loin. Un homme ayant perdu la vie dans cette bagarre, saint Grégoire, appelé le lendemain devant le juge, eût la satisfaction de se regarder comme un confesseur du nom de Jésus-Christ. Débarrassé, dans la suite, de la crainte des ennemis extérieurs, saint Grégoire de Nazianze eut le chagrin de voir son Église naissante déshonorée par des dissensions. Un étranger, qui portait le nom de Maxime[34] et le manteau d’un philosophe cynique, s’insinua dans la confiance de saint Grégoire, abusa de l’opinion favorable qu’il lui avait inspirée, et par de sourdes pratiques avec quelques évêques d’Égypte, il tâcha, au moyen d’une ordination clandestine, de supplanter son protecteur, et d’obtenir le siège épiscopal de Constantinople. Ces mortifications pouvaient bien faire regretter quelquefois au missionnaire de Cappadoce sa solitude obscure et paisible ; mais il oubliait ses peines en voyant augmenter tous les jours l’éclat de sa gloire et le nombre de sa congrégation ; il observait avec satisfaction que la plus grande partie de ceux qui composaient son nombreux auditoire, frappés de son éloquence[35], se retiraient convaincus de l’irrégularité de leurs pratiques et de leurs principes religieux[36]. Le baptême et l’édit de Théodose remplirent d’une heureuse confiance les catholiques de Constantinople, et ils attendirent avec impatience l’effet de ses favorables promesses. Leur espoir ne tarda point à se réaliser : dès que l’empereur eut terminé les opérations de la campagne, il fit son entrée publique dams la capitale, à la tête de son armée victorieuse. Le lendemain de son arrivée, il manda Damophile, et offrit à cet évêque arien la dure alternative de souscrire à là foi de Nicée, ou de céder sur-le-champ à des ecclésiastiques orthodoxes- son palais épiscopal, la cathédrale de Sainte-Sophie et toutes les églises de Constantinople. Le zèle de Damophile, qui, dans un pieux catholique eût été justement applaudi, choisit sans hésiter l’exil et la pauvreté[37], et aussitôt après son départ on lit la cérémonie de la purification de la ville. Les ariens se plaignirent, avec quelque apparence de raison, de ce qu’une congrégation peu nombreuse s’emparait de cent églises qu’elle ne pouvait pas remplir, tandis que tout le reste des citoyens se trouvait privé de l’exercice public de son culte religieux. Théodose fut inexorable ; mais comme les anges qui protégeaient le parti des catholiques n’étaient visibles qu’aux yeux de la foi, il appuya prudemment ces légions célestes des secours efficaces du glaive temporel, et un corps nombreux de ses gardes occupa l’église de Sainte-Sophie. Si saint Grégoire était susceptible d’orgueil, il doit avoir éprouvé une satisfaction bien vive, lorsque l’empereur le conduisit en triomphe dans les rues, et le plaça respectueusement lui-même sur le trône archiépiscopal de la cathédrale de Constantinople. Mais ce saint, qui n’était point encore dépouillé de toutes les faiblesses de l’humanité, vit avec douleur que son entrée dans le sacré bercail ressemblait plus à celle d’un loup qu’à celle d’un pasteur ; qu’il ne devait la sûreté de sa vie qu’à l’éclat des armes qui l’environnaient, et qu’il était personnellement l’objet des imprécations d’un parti nombreux de sectaires, qui, comme hommes et comme citoyens, ne pouvaient lui paraître méprisables. Les rues, les fenêtres, et jusqu’aux toits des maisons, étaient couverts d’une multitude des deux sexes et de tous les âges. On n’entendait de tous côtés que des cris d’étonnement, de fureur et de désespoir ; enfin, saint Grégoire avoue de bonne foi qu’au jour mémorable de son installation, la capitale de l’Orient offrait le spectacle affreux d’une ville prise d’assaut, par une armée de Barbares[38]. Environ six semaines après, Théodose annonça la résolution d’expulser de toutes les églises de son royaume les évêques et les ecclésiastiques qui refuseraient de croire, ou du moins de professer la doctrine du concile de Nicée. Il chargea de cette commission Sapor, son lieutenant, qui, armé de tous les pouvoirs que pouvaient lui donner une loi générale et une commission spéciale, et suivi d’un corps de troupes nombreux[39], conduisit cette révolution ecclésiastique avec tant de sagesse et de modération, que la religion de l’empereur, sans tumulte et sans effusion de sang, se trouva établie dans toutes les provinces de l’Orient. Si on eût laissé subsister les écrits des ariens[40], nous y trouverions sans doute la relation lamentable de la persécution de l’Église sous le règne de l’impie Théodose, et les souffrances de leurs saints confesseurs exciteraient peut-être la compassion de quelque lecteur impartial. Il y a cependant lieu de présumer que le défaut de résistance offrit peu d’exercice au zélé et à la vengeance, et que dans leur adversité les ariens déployèrent beaucoup moins de fermeté que le parti orthodoxe n’en avait montré sous les règnes de Constance et de Valens. C’est d’ans les mêmes passions sans doute, c’est -de même dans les effets de l’esprit religieux qu’il faut chercher le principe de la conduite et du caractère moral des sectaires des deux partis ; mais on peut découvrir, dans leurs opinions théologiques, une différence importante qui pouvait apporter quelque inégalité dans les degrés de leur foi. Dans l’école et dans l’église, l’un et l’autre reconnaissaient et adoraient la majesté du Christ ; mais comme les hommes sont toujours disposés. à supposer à la Divinité leurs sentiments et leurs passions, il devait paraître plus prudent et plus respectueux d’exagérer que de restreindre les perfections adorables du Fils de Dieu. Le disciple de saint Athanase fondait son orgueil sur une parfaite confiance d’avoir mérité la faveur divine, et celui d’Arius était peut-être tourmenté par la crainte secrète de commettre une offense impardonnable, en retranchant ainsi sur les louanges et les honneurs dus au juge et au Sauveur du monde. Les préceptes de l’arianisme pouvaient satisfaire une imagination froide et contemplative ; mais la doctrine du symbole de Nicée, empreinte d’une foi et d’une dévotion plus vives, devait obtenir la préférence dans un siècle de ferveur religieuse. L’empereur, persuadé que l’assemblée du clergé orthodoxe serait animée de l’esprit de sagesse et de vérité, convoqua dans sa capitale un synode, composé de cent cinquante prélats, qui, complétèrent, sans beaucoup de difficulté et sans délai, le système théologique précédemment établi par le concile de Nicée. Les disputes violentes du quatrième siècle avaient eu principalement pour objet la nature du Fils de Dieu ; et les différentes opinions adoptées relativement à la seconde personne de la Trinité, s’étaient naturellement étendues par analogie à la troisième[41]. Cependant les adversaires victorieux de l’arianisme jugèrent à propos d’expliquer le langage équivoque de quelques docteurs, de confirmer la foi des catholiques, et de condamner la doctrine peu goûtée d’une secte de macédoniens, qui, en admettant que le Fils était consubstantiel avec le Père, craignaient s’ils poussaient plus loin la complaisance, qu’on ne les accusât d’avouer l’existence de trois Dieux. Une sentence finale et unanime établit la divinité du Saint-Esprit comme égale à celle des deux autres personnes. Cette doctrine mystérieuse a été reçue de toutes les nations chrétiennes et de toutes leurs églises, et leur respectueuse reconnaissance a placé les évêques assemblés par Théodose au second rang des conciles généraux[42]. Leur connaissance de la vérité religieuse peut s’être conservée par tradition, ou leur avoir été inspirée ; mais la circonspection de l’histoire ne peut pas accorder un grand degré de confiance à l’autorité personnelle des évêques de Constantinople. Dans un siècle où les ecclésiastiques avaient renoncé scandaleusement à la pureté apostolique, les plus indignes, les plus corrompus étaient les plus assidus à suivre et à troubler les assemblées épiscopales. La fermentation et le conflit de tant d’intérêts opposés, de tant de caractères différents, enflammaient les passions des prélats, et leurs passions principales étaient l’amour de l’or et de la controverse. Parmi les évêques qui applaudissaient alors à la piété orthodoxe de Théodose, il en était un grand nombre dont la prudence flexible avait changé plusieurs fois de symbole et d’opinion ; et dans les différentes révolutions de l’État et de l’Église, la religion du souverain servait toujours de règle à leur obséquieuse conscience. Dès que l’empereur cessait de faire agir son influence, le turbulent synode se livrait aux impulsions de la haine, du ressentiment et de la vengeance. Durant la tenue du concile de Constantinople, la mort de Mélèce offrit un moyen facile de terminer le schisme d’Antioche, en permettant à Paulin, son rival, fort âgé, d’occuper paisiblement jusqu’à sa mort le siège épiscopal. La foi et les vertus de Paulin étaient irréprochables ; mais les Églises de l’Occident avaient pris sa défense, et les évêques du synode résolurent de perpétuer la discorde par l’ordination précipitée d’un candidat parjure[43], plutôt que de déroger à la dignité qu’ils croyaient devoir attribuer à l’Orient, illustré par la naissance et par la mort de Jésus-Christ. Des procédés si irréguliers et si injustes furent désapprouvés par les plus sages du concile ; ils se retirèrent, et la bruyante majorité qui resta maîtresse du champ de bataille, n’a pu être comparée par les contemporains qu’à un assemblage de guêpes ou de pies, à une volée de grues ou à une troupe d’oies[44]. On serait peut-être tenté de regarder cette peinture des synodes ecclésiastiques comme l’ouvrage partial de quelque païen rempli de malice, ou d’un hérétique endurci ; mais le nom de l’historien véridique qu’à transmis à la postérité cette leçon instructive, imposera silence aux murmures impuissants du fanatisme et de la superstition. Il était la fois l’évêque le plus pieux et le plus éloquent de son siècle, le fléau de l’arianisme et le pilier de la foi orthodoxe. L’Église le révère comme un saint ; et comme un de ses docteurs. Il tint une place distinguée, dans le concile de Constantinople, où il fit les fonctions de président après la mort de Mélèce ; en un mot, c’est saint Grégoire de Nazianze. Le traitement injurieux qu’il éprouva lui-même[45], loin de nuire à l’authenticité de son témoignage, atteste l’esprit qui dirigeait les délibérations du concile. Tous les suffrages réunis avaient confirmé les droits que l’évêque de Constantinople tirait du choix du peuple et de l’approbation de l’empereur ; mais saint Grégoire devint bientôt la victime de l’envie et de la malveillance. Les évêques de l’Orient, ses adhérents les plus zélés furent irrités de sa modération relativement aux affaires d’Antioche, et l’abandonnèrent à la faction des Égyptiens, qui disputaient la validité de son élection ; ils se fondaient sur une loi canonique tombée en désuétude, qui défendait à un prélat de passer d’un siège épiscopal dans un autre. Soit orgueil, soit humilité, saint Grégoire ne voulut point soutenir une contestation dans laquelle sa fermeté aurait pu être imputée à l’ambition ou à l’amour des richesses ; il offrit publiquement, non sans quelque sentiment d’indignation, de quitter le gouvernement d’une Église restaurée et presque créée par ses travaux. Le concile accepta sa résignation, et l’empereur lui-même y consentit avec plus de facilité que le prélat ne semblait le prévoir. Au moment où il pouvait espérer de jouir des fruits de sa victoire, le sénateur Nectarius prit possession de son archevêché ; choisi presque par hasard, le nouvel archevêque n’avait guère d’autre recommandation qu’une grande facilité de caractère unie à une figure vénérable. On fut obligé de retarder la cérémonie de sa consécration pour lui administrer d’abord, en grande halte, le sacrement de baptême[46]. Après cette triste expérience de l’ingratitude des princes et des prélats, saint Grégoire de Nazianze rentra paisiblement dans sa retraite de Cappadoce, où il employa le reste de sa vie, environ huit ans, à des œuvres de poésie et de dévotion. On a décoré son nom du titre de saint la sensibilité de son âme et l’élégance de son génie[47] le couronnent d’un plus doux éclat. Théodose ne se contenta point d’anéantir la puissance insolente des ariens, et de venger les injures que le zèle de Constance et de Valens avait fait souffrir aux catholiques. Cet empereur orthodoxe regardait les hérétiques comme également rebelles aux puissances du ciel et à celles de la terre, et supposait ainsi ces deux puissances autorisées à exercer leur juridiction respective sur l’âme et sut le corps, des coupables. Les décrets du concile de Constantinople avaient fixé les préceptes de la foi, et les ecclésiastiques qui dirigeaient la conscience de Théodose, lui suggérèrent des moyens de persécution efficace. Dans l’espace de quinze années, il publia au moins quinze édits rigoureux contre les hérétiques[48], et principalement contre ceux qui rejetaient la doctrine de la Trinité. Pour leur ôter toute ressource et tout espoir, l’empereur déclara que si on alléguait en leur faveur quelque édit ou quelque mandat, il voulait que les juges les regardassent comme illégaux, obtenus par fraude ou contrefaits. Il détailla les différentes punitions destinées aux ministres, aux assemblées et aux personnes des hérétiques, et le législateur annonça sa colère par la violence de ses expressions. 1° Les prédicateurs hérétiques qui usurpaient audacieusement le titre d’évêques ou de prêtres étaient non seulement privés des privilèges et des émoluments accordés avec tant de libéralité au clergé orthodoxe ; mais ils encouraient les peines d’exil et de confiscation, s’ils se hasardaient à prêcher la doctrine ou à pratiquer les cérémonies de leurs sectes maudites. Celui qui recevait, conférait ou même facilitait une ordination hérétique, devait payer une amende de dix livres d’or, environ quatre cents livres sterling. On pouvait raisonnablement espérer que quand il n’y aurait plus de pasteurs, les troupeaux, sans défense, sans instruction et sans culte, rentreraient d’eux-mêmes dans le bercail de l’Église. 2° On étendit avec soin la prohibition des conventicules à toutes les occasions possibles dans lesquelles les hérétiques pourraient tenter de se réunir avec l’intention de célébrer le culte de Dieu ou du Christ selon les principes de leur foi et de leur conscience. Leurs assemblées religieuses publiques ou secrètes, de jour ou de nuit, dans les villes ou dans les campagnes, furent également proscrites par les édits de Théodose ; et le bâtiment ou le terrain qui avait servi à cet usage criminel, était confisqué au profit du domaine impérial. 3° On supposait que l’erreur des hérétiques ne pouvait venir que d’une obstination qui méritait la punition la plus sévère. On fortifia l’anathème de l’Église d’une espèce d’excommunication civile qui les séparait de leurs concitoyens par une tache d’infamie particulière ; et cette marque imprimée sur eux par le suprême magistrat de l’empire, tendait à encourager, où au moins à excuser les insultes d’une populace fanatique. Les sectaires furent successivement exclus de tout emploi honorable ou lucratif ; et Théodose crut faire un acte de justice, quand il ordonna que les eunomiens, par la raison qu’ils distinguaient la nature du Père de celle du Fils, seraient privés du droit de tester et de recevoir aucun don testamentaire. L’hérésie des manichéens parut si criminelle, que la mort du coupable pouvait seule l’expier ; on condamna aussi à une peine capitale les audiens ou quartodecimans[49], dont l’horrible impiété allait jusqu’à déplacer la fête de Pâques, pour la célébrer à une époque différente. Tout Romain avait le droit de se porter publiquement pour accusateur ; mais l’office d’inquisiteur de la foi, dont le nom est si justement abhorré, prit naissance sous le règne de Théodose. Cependant nous croyons pouvoir assurer que les lois pénales furent rarement exécutées à la rigueur, et que le pieux monarque avait moins le dessein de punir que de corriger ou d’effrayer des sujets opiniâtres[50]. La théorie de la persécution fut établie par Théodose, dont les saints de l’Église ont loué la justice et la pitié ; mais il était réservé à Maxime, son collègue et son rival, d’en exercer la pratique dans toute son étendue, et d’être le premier des empereurs chrétiens qui versèrent, pour des opinions religieuses, le sang de leurs sujets chrétiens. On transféra, par appel du synode de Bordeaux au consistoire impérial de Trèves, la caisse des priscillianistes[51], nouvelle secte d’hérétiques qui troublaient la tranquillité des provinces de l’Espagne. La sentence du préfet du prétoire condamna sept personnes à la torture et à la mort. On exécuta d’abord Priscillien[52], évêque d’Avila en Espagne[53], également distingué par sa naissance et par sa fortune ; par son éloquence et par son érudition. Deux prêtres et deux diacres accompagnèrent leur maître chéri au supplice, qu’ils regardaient comme un martyre glorieux. Cette scène sanglante finit par le supplice de Latronien, poète célèbre, dont la réputation rivalisait avec celle des anciens, et par celui d’Euchrocia, noble matrone de Bordeaux, et veuve de l’orateur Delphidius[54]. Deux évêques qui avaient adopté les opinions de Priscillien, furent condamnés au plus triste exil, dans des terres éloignées[55]. On montra quelque indulgence pour des coupables moins illustres, et qui l’avaient méritée par un rompt repentir. Si l’on pouvait ajouter foi aux aveux arrachés par la terreur et par les tourments, aux accusations vagues de la calomnie, adoptées par la crédulité, on demeurerait convaincu que l’hérésie des priscillianistes réunissait toutes les abominations de la magie, de la débauche et de l’impiété[56]. Priscillien, qui avait couru le monde, accompagné de ses sœurs spirituelles, fut accusé de prêcher entièrement nu au milieu de sa congrégation ; et d’autres ajoutaient qu’il avait détruit, par des moyens odieux et punissables, les fruits de son commerce criminel avec la fille d’Euchrocia. Mais un examen approfondi, ou plutôt imparfait, prouvera que si les priscillianistes violèrent les lois de la nature, ce ne fut pas par la licence, mais par l’austérité de leur vie. Ils condamnaient absolument l’intimité du lit nuptial, et il en résultait des séparations indiscrètes, qui troublaient la paix des familles. Ils ordonnaient ou recommandaient l’abstinence totale de la chair des animaux, et leurs prières continuelles, leurs jeûnes et leurs vigiles composaient une règle de dévotion pure et sévère. Ils avaient puisé dans le système des gnostiques et des manichéens leurs opinions relativement à la personne du fils de Dieu et à la nature de l’âme. Cette vaine philosophie transportée d’Égypte en Espagne, ne convenait guère aux esprits des Occidentaux, moins subtils que ceux de l’Orient. Les disciples obscurs de Priscillien souffrirent, languirent et disparurent insensiblement. Le peuple et le clergé rejetèrent ses préceptes ; mais sa mort entraîna une longue et violente controverse. Les uns applaudissaient à l’équité de sa sentence, et les autres la regardaient comme une injustice tyrannique. C’est avec plaisir que nous remarquerons l’humanité, peut-être peu conséquente, de saint Ambroise, évêque de Milan[57], et de saint Martin, évêque de Tours[58], deux saints des plus illustres de l’Église, qui en cette occasion défendirent la cause de la tolérance. Es eurent pitié des malheureux exécutés à Trèves, et refusèrent toute relation avec les évêques qui les avaient condamnés. Si saint Martin s’écarta ensuite de cette résolution généreuse, ses motifs étaient louables, et sa pénitence fut exemplaire. Les évêques de Tours et de Milan prononçaient sans hésiter la damnation éternelle des hérétiques ; mais le spectacle sanglant de leur mort temporelle faisait horreur a ces respectables prélats ; les préceptes de la théologie n’effaçaient pas de leur âme les sentiments de la nature, et l’irrégularité scandaleuse des procédures faites contre Priscillien et ses adhérents échauffa encore leur humanité. Les ministres civils et ecclésiastiques avaient exercé leur autorité lors des limites de leur juridiction. Le juge séculier reput un appel, et prononça une sentence définitive, qui, en matière de foi, appartient à la justice ecclésiastique[59], et les évêques se déshonorèrent en se portant pour accusateurs, dans une poursuite criminelle. La cruauté d’Ithacius, qui sollicita la mort des hérétiques et fut témoin de leurs tortures, enflamma le public d’indignation, et les vices de cet évêque corrompu servirent de preuve à la bassesse de ses motifs. Depuis la mort de Priscillien, l’exercice de la persécution a pris une forme plus régulière dans le Saint-Office, qui distribue aux justices ecclésiastique et séculière leurs différentes fonctions. Le prêtre livre sa victime au magistrat, le magistrat la remet à l’exécuteur, et la sentence inexorable de l’Église, atteste le crime spirituel du coupable, est énoncée en termes qui semblent n’exprimer que la pitié et l’intercession. Parmi les ecclésiastiques qui ont illustré le règne de Théodose, saint Grégoire de Nazianze se distingua par ses talents pour la chaire : le don des miracles ajouta, dans l’opinion des hommes, un grand éclat aux vertus monastiques de saint Martin de Tours[60] ; mais la vigueur et l’habileté de l’intrépide saint Ambroise lui obtinrent, à juste titre, le premier rang parmi les évêques[61]. Il descendait d’une noble famille romaine : son père avait occupé le poste distingué de préfet du prétoire de la Gaule ; le fils après avoir reçu une éducation brillante parvint, par les gradations ordinaires des honneurs civils au rang de consulaire de la Ligurie, dans laquelle se trouvait enclavée la résidence de Milan. Saint Ambroise, âgé de trente-quatre ans, n’avait point encore reçu le sacrement du baptême, lorsqu’à sa grande surprise et à celle du public, de gouverneur d’une province, il se trouva transformé en archevêque. Sans cabale et sans intrigue, à ce que l’histoire rapporte, le public le nomma d’une voie unanime à l’épiscopat. L’accord et la persévérance des acclamations passa pour une impulsion surnaturelle, et le magistrat fut contraint, malgré sa répugnance, d’accepter des fonctions spirituelles auxquelles les habitudes et les occupations de sa vie passée le rendaient tout à fait étranger ; mais la vigoureuse activité de son génie le rendit bientôt propre à exercer, avec zèle et prudence, les devoirs de la juridiction ecclésiastique ; en même temps qu’il renonçait avec joie aux brillantes et vaines décorations de la grandeur temporelle, il daignait, pour l’avantage de l’Église, diriger la conscience des empereurs, et surveiller l’administration de l’empire. Gratien l’aimait et le révérait comme son père, et ce fut pour l’instruction de ce jeune prince que saint Ambroise composa avec tant de soin son Traité sur la foi de la Trinité. Après sa mort tragique, et au moment où l’impératrice Justine tremblait pour sa propre sûreté et pour celle de son fils Valentinien, elle chargea l’archevêque de Milan de deux ambassades successives à la cour de Trèves. Il déploya une intelligence et une fermeté égales dans ses fonctions politiques et ecclésiastiques, et contribua peut-être, par son éloquence et par son autorité, à suspendre les desseins ambitieux de Maxime, et à conserver la paix de l’Italie[62]. Saint Ambroise avait dévoué sa vie et ses talents au service de l’Église. Plein de mépris pour les richesses, il avait abandonné son patrimoine particulier, et il vendit sans hésiter l’argenterie sacrée pour le rachat des captifs. Le peuple et le clergé de Milan chérissaient leur archevêque, qui, jouissait de l’estime de ses faibles souverains sans solliciter leur faveur et sans redouter leur disgrâce. Le gouvernement de l’Italie et la tutelle du jeune prince échurent naturellement à la princesse Justine, sa mère, également distinguée par son courage et par sa beauté, mais qui, au milieu d’un peuple orthodoxe, suivait malheureusement la doctrine hérétique d’Arius qu’elle tâchait d’inculquer à son fils. Justine, persuadée qu’un empereur romain avait le droit d’obtenir dans ses propres États l’exercice public de sa religion, crut faire à saint Ambroise une proposition raisonnable et modérée en lui demandant la jouissance d’une seule église, soit dans la ville, soit dans les faubourgs de Milan ; mais le pieux archevêque se conduisait par des principes différents[63]. Il reconnaissait que les palais de la terre appartiennent au souverain ; mais il considérait les églises comme le sanctuaire de Dieu, dont il prétendait, comme le successeur des apôtres, être le seul ministre dans toute l’étendue de son diocèse. Les vrais croyants devaient jouir exclusivement des privilèges temporels aussi bien que spirituels du christianisme, et le prélat regardait ses opinions théologiques comme la règle essentielle et invariable de l’orthodoxie et de la vérité. Il refusa toute conférence où négociation avec les disciples de Satan, et déclara, avec une fermeté modeste, qu’il souffrirait plutôt le martyre que de consentir à un sacrilège. Justine, offensée d’un refus qu’elle regardait comme un acte d’insolence et de rébellion, résolut imprudemment d’avoir recours à l’autorité impériale. Elle manda l’archevêque dans son conseil quelques jours avant la fête de Pâques, pendant laquelle elle désirait faire publiquement ses dévotions. Saint Ambroise obéit avec tout le respect d’un sujet fidèle ; mais le peuple l’avait suivi sans son aveu, et se pressait impétueusement autour des portes du palais. La frayeur saisit les ministres de Valentinien ; au lieu d’une sentence d’exil contre l’archevêque, ils le supplièrent d’interposer son autorité pour protéger le souverain et rendre la tranquillité à la capitale. Mais les promesses que l’on fit à saint Ambroise, et qu’il communiqua aux citoyens, furent bientôt violées par une cour perfide, et tous les désordres du fanatisme régnèrent dans la capitale durant les six jours solennels que la piété chrétienne a destinés aux cérémonies de la dévotion. Les officiers du palais préparèrent d’abord la basilique Porcienne, et ensuite la nouvelle basilique pour la réception de l’empereur et de la princesse sa mère, et y arrangèrent, à la manière accoutumée, le dais brillant et tous les ornements du trône impérial ; mais il fallut les faire accompagner d’une forte garde militaire, pour éviter les insultes de la populace. Les ecclésiastiques ariens qui hasardaient de paraître dans les rues couraient risque de la vie, et saint Ambroise eut le mérite et la gloire de sauver ses ennemis personnels des mains d’une multitude en fureur. Mais tandis qu’il tâchait de s’opposer à ces effets du zélé religieux, la véhémence pathétique de ses sermons continuait à enflammer les dispositions violentes et séditieuses du peuple de Milan. Il appliquait indécemment à la cause de l’empereur des comparaisons tirées du caractère d’Ève, de la femme de Job, de Jézabel et d’Hérodias ; et il assimilait la demande d’une église pour les ariens aux plus cruelles persécutions que les chrétiens eussent endurées sous le règne du paganisme. Les mesures de la cour ne servirent qu’à faire connaître toute l’étendue du mal. On imposa une amende de deux cents livres d’or sur les communautés des marchands et des manufacturiers ; on ordonna, au nom de l’empereur, à tous les officiers et aux suppôts inférieurs de la justice, de rester renfermés dans leurs maisons jusqu’à la fin des troubles de la capitale ; et les ministres de Valentinien eurent l’imprudence d’avouer publiquement que les citoyens les plus respectables de Milan étaient attachés au parti de l’archevêque. On le sollicita une seconde fois de rendre la paix à son pays, en se soumettant, tandis qu’il le pouvait encore, aux volontés de son souverain : saint Ambroise fit sa réponse en termes humbles et respectueux, mais qu’on pouvait regarder comme une déclaration de guerre civile. Elle portait : Que l’empereur pouvait disposer de son sort et de sa vie ; mais qu’il ne trahirait jamais l’Église de Jésus-Christ ; qu’il ne dégraderait point la dignité du caractère épiscopal ; que, pour cette cause, il était prêt à souffrir tous les supplices que la malice du démon pourrait accumuler sur lui, et qu’il ne désirait que de mourir en présence de son fidèle troupeau et sur les marches des autels ; qu’il n’avait pas contribué à exciter la fureur du peuple, mais que Dieu seul pouvait l’apaiser. Il priait l’Être suprême de détourner les scènes de sang et de confusion qui paraissaient près de commencer, et de ne pas le laisser survivre à la destruction d’une ville florissante, qui entraînerait peut-être la désolation de toute l’Italie[64]. L’opiniâtre bigoterie de Justine aurait hasardé l’empire de son fils, si, dans cette contestation avec l’Église et le peuple de Milan, elle avait pu compter sur l’obéissance active des troupes du palais. Un corps considérable de Goths s’était mis en marche pour s’emparer de la basilique qui faisait l’objet de la dispute, et on pouvait présumer que des étrangers mercenaires, qui réunissaient des mœurs barbares et des principes ariens, exécuteraient sans scrupule les ordres les plus sanguinaires. L’archevêque les attendait à la porte de l’église, et, fulminant contre eux une sentence d’excommunication, il leur demanda, du ton d’un père et d’un maître, si c’était pour envahir la maison de Dieu qu’ils avaient imploré des Romains asile et protection. Les Barbares s’arrêtèrent incertains ; un délai de quelques heures fut employé à des négociations plus efficaces ; et dans cet intervalle, les plus sages conseillers de l’impératrice la déterminèrent à laisser aux catholiques de Milan la paisible possession de toutes leurs églises, et à dissimuler ses projets de vengeance en attendant des circonstances plus favorables. La mère de Valentinien ne pardonna jamais ce triomphe à saint Ambroise, et le jeune empereur se plaignit, en termes violents, de la lâcheté de ses serviteurs, qui lui faisait subir le joug honteux d’un prêtre insolent. Les lois de l’empire, dont quelques-unes étaient souscrites par Valentinien, condamnaient l’hérésie arienne, et semblaient excuser la résistance des catholiques : à la sollicitation de Justine, on publia un édit de tolérance dans toutes les provinces qui dépendaient de la cour de Milan ; ceux qui suivaient la foi du concile de Rimini obtinrent l’exercice public de leur religion[65], et l’empereur déclara que tous ceux qui enfreindraient ce règlement salutaire seraient punis de mort, comme perturbateurs du repos public. D’après le caractère de l’archevêque de Milan et la liberté de ses expressions, on peut soupçonner que sa conduite ne tarda pas à fournir aux ministres ariens, qui l’épiaient, un motif réel ou un prétexte spécieux de l’accuser de désobéissance à une loi qu’il a étrangement représentée comme une loi de sang, et une tyrannie. Le conseil de Valentinien prononça contre saint Ambroise une sentence d’exil également honorable et modérée, qui, en lui enjoignant de quitter sans délai la ville de milan, lui permettait de choisir le lieu de sa retraite, et de régler le nombre de ses compagnons, mais le danger de l’Église fit oublier au prélat les maximes des saints qui ont prêché et pratiqué l’obéissance passive au souverain ; il refusa hardiment d’obéir, et son peuple fidèle applaudit unanimement à son refus[66]. Les citoyens gardèrent tour à tour leur archevêque ; ils barricadèrent fortement les portes de la cathédrale et du palais épiscopal ; et les troupes impériales, qui bloquaient cette forteresse imprenable, n’osèrent en risquer l’attaque. La multitude de pauvres que faisait subsister la libéralité de saint Ambroise, saisit avec ardeur une si belle occasion de signaler son zèle et sa reconnaissance, et pour que la patience de ses partisans ne s’épuisât pas par la longueur et la monotonie des vigiles ; il introduisit dans l’église de Milan l’usage de psalmodier régulièrement et à haute voix. Tandis que l’archevêque soutenait ce dangereux combat, un songe l’avertit de faire creuser la terre dans l’endroit où l’on avait enterré depuis plus de trois siècles les restes des deux martyrs saint Gervais et saint Protais[67]. Immédiatement sous le pavé de l’église, on trouva deux corps entiers, dont les têtes étaient séparées, et qui versèrent beaucoup de sang[68]. Ces saintes reliques furent présentées en grande pompe à la vénération du peuple, et toutes les circonstances de cette heureuse découverte vinrent à l’appui du projet de saint Ambroise. On supposa que les os des martyrs, leur sang, et même leurs vêtements, étaient doués d’une vertu salutaire, et qu’ils communiquaient leur influence surnaturelle aux objets les plus éloignés, sans rien perdre de leur efficacité. La cure extraordinaire d’un aveugle[69], et les aveux forcés de plusieurs possédés parurent autant de preuves en faveur de la doctrine et de la sainteté de l’archevêque ; ces miracles sont attestés par saint Ambroise lui-même, par Paulin, son secrétaire, et par son disciple le célèbre saint Augustin, qui professait alors la rhétorique à Milan. La philosophie de notre siècle approuvera peut-être l’incrédulité de Justine et de la cour arienne, qui tournaient en dérision ces comédies, représentées par les intrigues et aux dépens de l’archevêque[70]. Quoi qu’il en soit, leur effet sur l’imagination du peuple n’en fut pas moins rapide et irrésistible ; et le faible souverain de l’Italie ne se trouva pas en état de soutenir sa querelle contre le favori du ciel. Les puissances de la terre se réunirent en sa faveur. Le conseil désintéressé de Théodose fut dicté par la dévotion et par l’amitié, et l’usurpateur de la Gaule cacha, sous le masque du zèle religieux, les projets hostiles que lui inspirait son ambition[71]. Maxime aurait pu régner en paix jusqu’à la fin de sa vie s’il se fût contenté de la possession des trois vastes contrées qui composent, aujourd’hui les trois plus florissant royaumes de l’Europe. Mais cet avide usurpateur dévoré d’une basse ambition que n’ennoblissaient ni l’amour de la gloire ni l’amour de la guerre, ne regardait sa puissance actuelle que comme l’instrument de sa grandeur future ; et ses premiers succès entraînèrent rapidement sa destruction. Les trésors qu’il arrachait à la Gaule, à l’Espagne et à la Grande-Bretagne opprimées[72], lui servirent à lever et à entretenir une nombreuse armée de Barbares, tirés des plus belliqueuses nations de l’Allemagne, et avec laquelle il se préparait à envahir l’Italie et à dépouiller un prince encore enfant, dont le gouvernement était détesté et méprisé par ses sujets catholiques : mais Maxime, ayant à cœur de s’emparer sans résistance du passage des Alpes, reçut avec la plus perfide, bienveillance Domninus de Syrie, ambassadeur de Valentinien, et pressa celui-ci d’accepter le secours d’un corps considérable de troupes pour le servir dans la guerre de Pannonie. La pénétration de saint Ambroise avait découvert le piège à travers les protestations d’amitié[73] ; mais le Syrien Domninus se laissa tromper ou corrompre par les libéralités de la cour de Trèves ; et le conseil de Milan rejeta obstinément le soupçon du danger avec une confiance aveugle qui était moins l’effet du courage que celui de la peur. L’ambassadeur dirigea la marche des auxiliaires, et on les admit sans méfiance dans les forteresses des Alpes ; mais le perfide Maxime les suivit précipitamment, et sans bruit, avec le reste de son armée. Comme il avait soigneusement intercepté tous les avis qu’on aurait pu avoir sur ses mouvements, la réverbération du soleil réfléchie par les armes, et la poussière qu’élevait la cavalerie, furent la première annonce que l’on reçut de l’arrivée d’un ennemi aux portes de Milan. Dans cette extrémité, Justine et son fils ne pouvaient que regretter leur imprudence et accuser la perfidie de Maxime ; mais ils n’avaient ni le temps, ni la force, ni le courage nécessaires pour résister à une armée de Germains, soit en rase campagne, soit dans les murs d’une grande ville remplie de sujets mécontents ; la fuite était leur seule ressource, et Aquilée leur seul refuge. Maxime ne daignait plus dissimuler la perversité de son caractère, et le frère de Gratien pouvait attendre de son assassin le même sort que lui. Maxime entra dans Milan en triomphe ; et quoique le sage archevêque de Milan évitât le crime et le danger de communiquer avec l’usurpateur, en refusant toute relation avec lui, il contribua peut-être indirectement au succès de ses armes, en prêchant aux citoyens le devoir de la résignation plutôt que celui de la résistance[74]. L’infortunée Justine arriva sans accident à Aquilée ; mais les fortifications ne lui parurent pas capables de la rassurer. Elle craignit un siége, et résolût d’aller implorer la protection du grand Théodose, dont on célébrait la puissance et les vertus dans toutes les provinces de l’Occident. Elle fit approvisionner en secret un vaisseau pour transporter la famille impériale, s’embarqua précipitamment dans un petit port de la province des Vénètes ou de l’Istrie, traversa toute l’étendue de la mer Adriatique et de la mer d’Ionie, doubla le promontoire du Péloponnèse, et, après une longue mais heureuse navigation, se trouva enfin en sûreté dans le port de Thessalonique. Tous les sujets de Valentinien abandonnèrent le parti à un prince dont l’abdication les dispensait de la fidélité ; et sans la résistance d’Émone, petite ville sur les confins de l’Italie qui essaya d’arrêter le cours de ces victoires si peu glorieuses Maxime aurait conquis tout l’empire d’Occident sans tirer l’épée. Au lieu d’inviter ses augustes hôtes à venir le joindre à Constantinople, Théodose fixa, par quelques motifs secrets, leur résidence à Thessalonique. Ce ne fut ni par mépris ni par indifférence, puisqu’il se hâta de les y aller trouver, suivi de la plus grande partie de sa cour et du sénat. Après les avoir tendrement assurés de son intérêt et de son attachement, le pieux Théodose avertit, avec douceur, l’impératrice que le crime d’hérésie était quelque fois puni dans ce monde aussi bien que dans l’autre, et qu’en consentant à adopter publiquement la foi de Nicée, elle faciliterait, la restauration de son fils, en se ménageant ainsi l’approbation de la terre et du ciel. L’empereur, remit à son conseil le choix important de la paix ou de la guerre. La justice et l’honneur criaient maintenant bien plus haut encore que dans le temps de la mort de Gratien. Le persécuteur de cette famille impériale, à laquelle Théodose devait son élévation, venait d’ajouter de nouvelles injures à celles qui avaient déjà été souffertes. On ne pouvait plus compter sur ses serments ni sur des traités pour contenir l’ambition sans frein de l’usurpateur, et en tardant à employer des moyens vigoureux et décisifs, loin de conserver la paix, on pouvait exposer l’Orient au danger d’une invasion. Les Barbares qui avaient passé le Danube, convertis depuis peu en soldats et en citoyens, conservaient encore une partie de leur férocité nationale ; la guerre, en exerçant leur valeur, avait encore l’avantage d’en diminuer le nombre, et de soulager, les provinces qu’ils accablaient. Malgré tous ces raisonnements, approuvés par la majorité du conseil, Théodose hésitait encore à prendre les armes pour une cause qui ne pouvait plus admettre de réconciliation, et sa grande âme pouvait sans honte éprouver de l’inquiétude pour les peuples épuisés et pour la sûreté de ses propres enfants. Tandis que le doute d’un seul- homme suspendait le destin de l’empire, les charmes de la princesse Galla plaidaient en faveur de son frère Valentinien[75]. Théodose se sentit ému des larmes de la beauté, et son cœur ne put se défendre des charmes de la jeunesse et de l’innocence. L’impératrice. Justine sut profiter habilement de sa passion, et la célébration de son mariage fut le gage et le signal de la guerre civile. Les critiques insensibles, qui regardent la faiblesse de l’amour comme une tache indélébile pour la mémoire d’un grand homme, et surtout d’un empereur orthodoxe, rejettent en cette occasion l’autorité suspecte de Zozime. Pour moi, j’avoue naïvement que je me plais à trouver et même à chercher dans les sanglantes révolutions de ce monde quelques traces des sentiments moins funestes et plus doux de la vie domestique. Dans la foule des conquérants ambitieux et sanguinaires, je distingue avec satisfaction le héros sensible qui reçoit ses armes des mains de l’amour. On s’assura par un traité, de l’alliance du roi de Perse. Les Barbares belliqueux qui environnaient l’empire consentirent à respecter les frontières ou à suivre les drapeaux d’un monarque actif et généreux ; et les préparatifs de guerre se firent avec ardeur, tant sur mer que sur terre, dans les États de Théodose, depuis l’Euphrate jusqu’à la mer Adriatique. L’habileté des dispositions si2hiblait’multilaliéi les forces de l’Orient, et partageait l’attention de Maxime. Il avait lieu de craindre qu’un corps de troupes choisies et commandées par l’intrépide Arbogaste, ne dirigeât sa marche le long du Danube, et ne pénétrât à travers la Rhétie dans le cœur de la Gaule. On équipa une flotte puissante dans les ports de la Grèce et de l’Épire ; le dessein apparent était de conduire Valentinien et sa mère en Italie, dès qu’une victoire navale aurait ouvert le passage, de les mener sans délai à Rome, et de les mettre en possession du siége principal de l’empire et de la religion. Dans le même temps, Théodose lui même, à la tête d’une armée courageuse et bien disciplinée, s’avançait à la rencontre de son indigne rival, qui, après le siége d’Émone, avait assis son camp dans les environs de Siscie, ville de Pannonie, fortement défendue par le cours large et rapide de la Save. Les vétérans, qui se rappelaient encore la longue résistance et les ressources successives du tyran Magnence, se préparaient sans doute aux travaux de deux. ou trois campagnes sanglantes ; mais l’expédition entreprise contre celui qui avait usurpé comme lui le trône de l’Occident ne dura que deux mois[76], et ne leur fit pas parcourir plus de deux cents milles. Le génie de l’empereur d’Orient devait naturellement prévaloir contre le faible Maxime, qui ne montra, dans cette crise fatale, ni courage personnel, ni talents militaires. L’avantage d’une cavalerie nombreuse et agile seconda puissamment l’habileté de Théodose. Les Huns, les Alains, et les Goths à leur exemple, formèrent des escadrons d’archers qui combattaient à cheval, et étonnaient la fermeté des Gaulois et des Germains par la rapidité des évolutions d’une guerre de Tartares. Après une longue marche, et dans la plus forte chaleur de l’été, ils s’élancèrent, sur leurs chevaux couverts d’écume, dans les eaux de la Save, passèrent la rivière à la nage en présence de l’ennemi, chargèrent les troupes qui défendaient la rive opposée, et les mirent en fuite. Marcellinus, frère de l’usurpateur, accourût à leur secours avec des cohortes choisies, qu’on regardait comme l’espoir et la ressource de l’armée. Le combat, interrompu par l’approche de la nuit, recommença le lendemain matin ; et après une défense opiniâtre, le reste des plus braves soldats de Maxime posa les armes aux pieds de l’empereur. Sans perdre le temps à écouter les acclamations des fidèles habitants d’Émone, Théodose continua sa marche pour terminer la guerre par la mort ou la prise de l’usurpateur, qui fuyait devant lui avec toute l’agilité de la crainte. Du sommet des Alpes Juliennes, il descendit si rapidement dans les plaines d’Italie, qu’il arriva le même jour à Aquilée ; et Maxime, environné de toutes parts, eut à peine le temps d’en fermer les portes : mais elles ne pouvaient résister longtemps aux efforts d’un ennemi victorieux ; l’indifférence, le mécontentement et le désespoir du peuple et des soldats, hâtèrent la chute du misérable Maxime. Arraché violemment de son trône, et dépouillé des ornements impériaux, de la robe, du diadème et des sandales de pourpre, il fut traîné dans le camp de Théodose, environ à trois milles d’Aquilée, Loin d’insulter à son infortune, l’empereur parut touché de compassion, et disposé à quelque indulgence, pour un homme qui n’avait jamais été son ennemi personnel, et qui ne lui inspirait que du mépris. Les malheurs auxquels nous sommes exposés excitent plus aisément notre sensibilité, et ce n’était pas sans de profondes et sérieuses réflexions que le vainqueur pouvait voir son orgueilleux compétiteur maintenant prosterna devant lui. Mais la mort de Gratien, et le respect pour la justice, bannirent bientôt la faible impression d’une pitié involontaire. Théodose abandonna Maxime au pieux ressentiment des soldats qui l’emmenèrent de sa présence et lui tranchèrent la tête. La nouvelle de sa victoire fut reçue partout avec une joie sincère ou habilement feinte. Victor, fils de l’usurpateur, que son père avait décoré du titre d’Auguste, périt par l’ordre, et peut-être de la main de l’audacieux Arbogaste ; et toutes les dispositions militaires de Théodose furent couronnées du succès. Dès qu’il eut ainsi terminé une guerre civile moins sanglante et moins difficile qu’il n’avait dû s’y attendre, l’empereur de l’Orient s’occupa, durant plusieurs mois de résidence à Milan, de rétablir l’ordre dans les provinces ; et au commencement du printemps, il fit, a l’exemple de Constantin et de Constance[77], son entrée triomphale dans l’ancienne capitale de l’empire. L’orateur qui peut sans danger garder le silence, peut aussi louer sans peine et sans résistance[78]. La postérité avouera sans doute que le caractère de Théodose[79] offrait le sujet abondant d’un juste panégyrique. La sagesse de ses lois et le succès de ses armes faisaient respecter son administration de ses sujets et de ses ennemis. Il aimait et pratiquait les vertus de la vie domestique, qui habitent rarement dans les palais des rois. Théodose était sobre et chaste, à table, il jouissait sans excès des plaisirs du repas et de la conversation, et sa passion pour les femmes ne l’emporta jamais à des affections illégitimes. Décoré des titres fastueux de la grandeur impériale, il aimait encore à mériter les tendres noms d’époux fidèle et de père indulgent. Sa tendre estime donna près de lui à son oncle le rang d’un second père. Théodose reçut comme ses propres enfants, ceux de son frère et de sa sœur, et ses soins s’étendirent à ses parents les plus éloignés. C’était dans le nombre de ceux qu’il avait vus sans masque avant son élévation, qu’il choisissait ses amis particuliers ; le sentiment d’un mérite supérieur le rendait capable de mépriser les distinctions accidentelle de la pourpre, et du diadème, et sa conduite, lorsqu’il fut monté sur le trône, prouva qu’il savait oublier les injures, pour ne se souvenir que des bienfaits. Il avait l’attention obligeante de conformer le ton léger ou sérieux de sa conversation à l’âge, au rang ou au caractère de ceux de ses sujets qu’il admettait dans sa société, et l’affabilité de ses manières était la peinture naïve de son âme. Théodose respectait la simplicité des hommes bons et vertueux ; et l’habileté dans tous les genres : tous les talents, pourvu qu’ils fussent utiles ou seulement innocents, étaient sûrs d’éprouver sa judicieuse libéralité. En exceptant les hérétiques, qu’il persécuta avec une haine implacable, on peut dire que sa bienveillance n’avait de bornes que celles du genre humain. Le gouvernement d’un grand empire suffit sans doute pour occuper le temps et tous les talents d’un mortel : cependant ce prince actif, sans aspirer à la réputation d’un savant, réservait toujours quelques moments de son loisir à une lecture instructive ; l’histoire, où il allait puiser de quoi augmenter son expérience, était son étude favorite. Les annales de Rome lui présentaient, dans la longue révolution de onze siècles, des tableaux variés et frappants de la fortune et de la vie des hommes ; et on avait particulièrement remarqué que les cruautés de Cinna, de Marius ou de Sylla, qui arrachaient une exclamation d’horreur pour ces fléaux des hommes et de la liberté. Son opinion impartiale sur les événements passés servait de règle à sa conduite, et il eut le rare mérite d’étendre ses vertus en proportion de sa fortune. Le moment de la prospérité était pour lui celui de la modération. Il fit admirer plus que jamais sa clémence après le danger et le succès de la guerre civile. Dans la première chaleur de la victoire, on avait massacré les Maures qui composaient la garde de l’usurpateur, et livré au glaive de la justice quelques-uns des criminels les plus marquants de son parti ; mais l’empereur se montra plus empressé de sauver les innocents que de punir les coupables. Les infortunés citoyens de l’Occident, qui se seraient crus trop heureux d’obtenir la restitution de leurs terres, reçurent avec étonnement une somme d’argent équivalente à leurs pertes, et le vainqueur pourvut libéralement à l’entretien de la mère et à l’éducation des filles de Maxime[80]. Un caractère si accompli excuserait presque l’extravagante supposition de l’orateur Pacatus, qui affirme avec enthousiasme que si Brutus l’ancien revenait à sur la terre, ce sévère républicain abjurerait aux pieds de Théodose la haine de la royauté, et avouerait ingénument qu’un tel prince est le plus fidèle soutien du bonheur et de la dignité du peuple romain[81]. Cependant l’œil perçant, du fondateur de la république aurait aperçu sans doute deux défauts essentiels et capables de détruire son goût récent pour le despotisme. L’indolence de Théodose affaiblissait souvent l’activité[82] de ses vertus, et il se livrait quelquefois à l’impétuosité de sa colère[83]. Dans la poursuite d’un objet important, son courage devenait capable des plus grands efforts ; mais après la réussite d’une entreprise, après la crise d’un danger, le héros retombait dans un repos sans gloire ; et, oubliant que le temps d’un prince appartient à ses sujets, il se livrait aux plaisirs innocents mais frivoles d’une cour fastueuse. Théodose était naturellement impatient et colère ; et dans un rang où personne ne pouvait lui résister, où peu d’hommes osaient lui faire des représentations, le monarque sensible craignait également le danger de ses faiblesses et celui de sa puissance. Il travaillait sans cesse à vaincre ou, du moins, à modérer l’impétuosité de ses passions ; et le succès de ses efforts augmentait le mérite de sa clémence. Mais la vertu pénible qu’exige toujours un combat n’est pas toujours sûre de la victoire ; le règne d’un prince sage et clément fut souillé par un acte de cruauté qu’on attendrait à peine d’un Néron, où d’un Domitien, et paru un étrange contraste ; l’historien de Théodose, dans le cours seulement de trois années, rapporte et le pardon généreux que ce prince accorda aux citoyens d’Antioche, et le massacre inhumain des habitants de Thessalonique. L’esprit inquiet du peuple d’Antioche ne lui permettait jamais de se trouver content de sa propre situation, ni du caractère et du gouvernement de ses souverains. Les sujets ariens de Théodose déploraient la perte de leurs églises ; trois évêques rivaux se disputèrent le siége d’Antioche, et la sentence qui décida de leurs prétentions excita les murmures des deux congrégations qui succombaient. Les besoins de la guerre contre les Goths, et la dépense inévitable qu’entraîna le traité de paix, avaient obligé l’empereur à augmenter les impôts ; et les provinces d’Asie qui n’avaient point souffert des malheurs de l’Europe, contribuaient avec répugnance à les soulager. La dixième année de son règne approchait, et la fête d’usage à cette époque était plus agréable aux soldats qui recevaient une gratification considérable, qu’aux citoyens dont les dons volontaires avaient été convertis depuis longtemps en taxes extraordinaires. Les édits bursaux troublèrent le repos et les plaisirs de la ville d’Antioche ; le tribunal du magistrat fut assiégé par une foule suppliante qui sollicitait en termes pathétiques, et d’abord respectueux, la réformation des abus. L’arrogance des commissaires qui traitaient les plaintes de résistance criminelle enflamma peu a peu la colère du peuple ; sa disposition satirique se tourna bientôt en violentes et claquantes invectives, qui, d’abord lancées contre les ministres subordonnés du gouvernement, s’élevèrent insensiblement jusqu’à l’empereur lui-même ; la fureur de la multitude, animée par une faible résistance se déchargea sur les images de la famille impériale qu’on avait exposées à la vénération publique sur les plus belles places de la ville. Les statues de Théodose, celles de son père, de Flaccilla son épouse et de ses deux fils Arcadius et Honorius, furent abattues, mises en pièces, ou traînées ignominieusement dans les rues, et les outrages que la multitude endigua aux images de la majesté impériale, manifestèrent assez quels étaient ses vœux coupables et sacrilèges. L’arrivée d’un corps d’archers fit cesser presque sur-le-champ le tumulte, et les habitants d’Antioche eurent le temps de réfléchir sur l’énormité de leur faute et sur le danger du châtiment[84]. Le gouverneur de la province rendit à la cour, comme il y était obligé par les devoirs de sa place, un compte exact de toutes les circonstances de l’émeute ; et de leur côté, pour porter à la cour l’aveu de leur crime et l’assurance de leur repentir, les citoyens tremblants se confièrent au zèle de Flavien, leur évêque, et à l’éloquence d’Hilaire, l’ami et probablement le disciple de Libanius, dont le génie, dans cette triste circonstance, ne fut pas inutile à sa patrie[85]. Une distance de huit cents milles séparait Antioche de Constantinople ; et, malgré la diligence des postes impériales, ce fut déjà pour la ville coupable une punition sévère que le long effroi qui précéda les réponses. La moindre rumeur excitait la crainte ou l’espérance des citoyens d’Antioche. Ils entendaient avec frayeur annoncer que l’empereur, violemment irrité des insultes faites à ses statues, et plus encore des indignités commises sur celles de son épouse bien-aimée, avait résolu de raser la ville et de massacrer, sans distinction d’âge ou de sexe, tous les habitants[86], dont une partie chercha un refuge dans les montagnes de Syrie et dans le désert voisin. Enfin, après vingt-quatre jours d’attente et d’inquiétude, le général Hellebicus et Cesarius, maître des offices, prononcèrent les ordres de l’empereur et la sentence d’Antioche. Cette orgueilleuse capitale fût dégradée de son rang et perdit le nom et les droits de cité. On dépouilla la métropole de l’Orient de ses terres, de ses privilèges et de ses revenus, et on l’assujettit, sous la dénomination humiliante de village, à la juridiction de Laodicée[87] ; on ferma les bains, le cirque et les théâtres ; et pour la priver en même temps des plaisirs et de l’abondance, Théodose enjoignit sévèrement de supprimer à l’avenir toute distribution de grains. Ses délégués procédèrent ensuite aux informations contre les particuliers qui avaient détruit les statues, et contre ceux qui ne s’y étaient point opposés. Hellebicus et Cesarius siégeaient au milieu du Forum sur leur tribunal, environné de soldats ; les citoyens d’Antioche les plus distingués par leur naissance et leurs richesses y comparurent chargés de chaînes ; on leur fit souffrir la torture, et les deux magistrats prononcèrent ou suspendirent, de leur seule autorité, la sentence des criminels. On mit leurs maisons en vente ; leurs femmes et leurs enfants tombèrent de l’opulence dans l’excès de la misère ; et l’on s’attendait à voir terminer par les plus sanglantes exécutions[88] un jour de calamités que le prédicateur d’Antioche, l’éloquent saint Chrysostome, a représenté comme un tableau frappant du jugement dernier de l’univers. Mais les ministres de Théodose exécutaient avec répugnance sa cruelle commission. La désolation du peuple leur arracha des larmes, et ils écoutèrent avec respect les sollicitations pressantes des moines et des ermites qui descendaient en foule des montagnes[89]. Hellebicus et Cesarius consentirent à suspendre l’exécution de leur sentence ; il fut convenu que le premier resterait à Antioche, tandis que l’autre, retournant en diligence à Constantinople, se hasarderait à consulter une seconde fois la volonté de son souverain. La colère de Théodose était déjà calmée ; les députés du peuple, l’évêque et l’orateur avaient obtenu une audience favorable ; et les reproches de l’empereur furent plutôt les plaintes de la tendresse offensée que les menaces sévères et hautaines de l’orgueil et de la puissance. Un pardon général et absolu fut accordé à la ville et aux citoyens d’Antioche ; on ouvrit les portes des prisons ; les sénateurs, qui n’attendaient plus qu’une mort ignominieuse, recouvrèrent leurs maisons et leurs fortunes, et la capitale de l’Orient reprit son éclat et la jouissance de tous ses privilèges. Théodose honora de ses éloges la générosité avec laquelle le sénat de Constantinople avait intercédé en faveur des malheureux sénateurs d’Antioche ; il récompensa l’éloquence d’Hilaire en le nommant gouverneur de la Palestine et l’évêque d’Antioche, à son départ, reçut de lui les plus vifs témoignages de respect et de reconnaissance. Théodose vit élever à sa clémence mille nouvelles statues ; son cœur ratifiait les applaudissements de ses sujets, et l’empereur avoua que si rendre la justice est le devoir le plus sacré des souverains, pardonner est leur plus délicieuse jouissance[90]. On attribue la sédition de Thessalonique à une cause plus honteuse, et les suites en furent plus funestes. Cette grande ville, la métropole de toutes les provinces de l’Illyrie, avait été préservée du ravage des Goths par des fortifications redoutables et une garnison nombreuse. Botheric, général de ces troupes et probablement, d’après son nom, Barbare lui même, avait dans le nombre de ses esclaves un jeune garçon dont la beauté excita les désirs impurs d’un des cochers du cirque. Botheric punit par la prison son insolente brutalité, et se refusa sévèrement aux importunes clameurs de la multitude, qui, dans une représentation des jeux publics, se plaignît de l’emprisonnement de son cocher favori, à l’habileté duquel elle attachait infiniment plus d’importance qu’à sa vertu. Quelques anciens sujets de mécontentement avaient déjà excité le ressentiment du peuple, et la garnison, affaiblie par de nombreux détachement employé à la guerre d’Italie et par la désertion, ne put sauver son général de la fureur d’une multitude sans frein ; Botheric et plusieurs de ses principaux officiers furent inhumainement massacrés. Leurs corps mutilés furent traînés à travers les rues. L’empereur, qui résidait alors à Milan, apprit avec étonnement l’insolence et la cruauté effrénée du peuple de Thessalonique. Le juge le plus modéré aurait puni sévèrement les auteurs de ce crime ; et le mérite de Botheric pouvait contribuer à augmenter l’indignation de Théodose. Le monarque fougueux, trouvant les formalités de la justice trop lentes au gré de son impatience, résolut de venger la mort de son lieutenant par le massacre d’un peuple coupable. Cependant son âme flottait encore entre la clémence et la vengeance. Le zèle des évêques lui avait presque arraché malgré lui la promesse d’un pardon impérial ; mais Rufin son ministre, armé des artifices de la flatterie, parvint à ranimer sa colère ; et l’empereur, après avoir expédié le fatal message, essaya, mais trop tard, de prévenir l’exécution de ses ordres. On confia avec une funeste imprudence le châtiment d’une ville romaine à la fureur aveugle des Barbares, et l’exécution fût tramée avec tous les artifices perfides d’une conjuration. On se servit du nom du souverain pour inviter les habitants de Thessalonique aux jeux du cirque ; et telle était leur avidité pour ces amusements, qu’ils oublièrent, pour y courir en foule, tout sujet de crainte et de soupçon. Dès que l’assemblée fût complète, au lieu du signal des jeux, celui d’un massacre général fut donné aux soldats qui environnaient secrètement le cirque. Le carnage continua pendant trois heures, sans distinction de citoyen ou d’étranger, d’âge ou de sexe, de crime ou d’innocence. Les relations les plus modérées portent le nombre des morts à sept mille, et quelques écrivains affirment que l’on sacrifia quinze mille victimes aux mânes de Botheric. Un marchand étranger, qui probablement n’avait pris aucune part à la mort du général, offrit sa propre vie et toute sa fortune pour sauver un de ses fils ; mais tandis que ce père infortuné balançait, incapable de choisir et plus incapable de condamner l’un des deux, les Barbares terminèrent son anxiété en immolant au même instant ces deux jeunes gens sans défense. Les assassins donnaient peur excuse de leur inhumanité, un motif qui augmenterait encore, par l’idée d’un froid calcul, l’horreur de ce massacre exécuté par les ordres de Théodose : ils assuraient qu’on avait fixé nombre de têtes que chacun d’aux devait présenter. Ce qui aggravait le crime de l’empereur, c’est qu’il avait fait souvent de longs séjours à Thessalonique. La situation de cette ville infortunée, ses rues, ses maisons et jusqu’à l’habillement et aux traits de ses habitants étaient familiers à Théodose, et l’existence du peuple qu’il faisait massacrer devait frapper vivement son imagination[91]. L’attachement respectueux de l’empereur pour le clergé orthodoxe le disposait à aimer et à admirer le caractère de saint Ambroise, qui réunissait au plus haut degré toutes les vertus épiscopales. Les ministres et les amis de Théodose imitaient l’exemple de leur souverain, et il apercevait, avec plus de surprise que de mécontentement, que l’archevêque était immédiatement instruit de tout ce qui se passait dans son conseil. Le prélat jugeait que toutes les opérations du gouvernement civil pouvaient intéresser la gloire de Dieu ou la vraie religion. Les moines et la populace de Callinicum, petite ville sur les frontières de la Perse, animés par leur fanatisme et par celui de leur évêque, avaient incendié, à la suite d’une émeute, un conventicule de valentiniens et une synagogue de juifs. Le magistrat condamna le séditieux prélat à rétablir la synagogue ou à payer le dommage, et l’empereur confirma cette sentence modérée ; mais l’archevêque de Milan n’y donna pas son approbation[92]. Il dicta une lettre de censure et pleine de reproches amers, tels que l’empereur aurait pu les mériter s’il eût reçu la circoncision et renoncé au baptême. Saint Ambroise y considère la tolérance du judaïsme comme une persécution contre la religion chrétienne ; il déclare hardiment que, comme fidèle croyant, il envie à l’évêque de Callinicum le mérite de l’action et la palme du martyre, et il déplore, en termes pathétiques, le tort que cette sentence doit faire à la gloire et au salut de Théodose. Cet avertissement particulier n’ayant pas produit l’effet qu’il en attendait, l’archevêque s’adressa, du haut de sa chaire[93], à l’empereur sur son trône[94], et refusa obstinément de faire l’oblation de l’autel jusqu’au moment où Théodose assura, par une promesse solennelle, l’impunité de l’évêque et des moines de Callinicum. La rétractation[95] de Théodose, fut sincère, et, durant sa résidence à Milan, son commerce familier, ses pieux entretiens avec l’archevêque, augmentèrent tous les jours l’attachement qu’il lui portait. Lorsque saint Ambroise apprit le massacre de pénitence Thessalonique, son âme se remplit d’horreur et d’effroi. Il se retira à la campagne pour s’y livrer à sa douleur et éviter la présence de Théodose ; mais, songeant qu’un silence timide le rendrait comme complice du crime ; il écrivit une lettre particulière à l’empereur, dans laquelle il lui en peignait l’énormité, en l’avertissant qu’il ne pourrait l’effacer que par les larmes de la pénitence. Saint Ambroise, joignant la prudence à la fermeté épiscopale, au lieu d’excommunier directement l’empereur[96], se contenta de lui mander qu’il avait été averti, dans une vision, de ne plus présenter l’oblation de l’Église au nom et même en présence de Théodose ; il lui conseillait de s’en tenir aux exercices de la prière, et de ne point penser à s’approcher des autels pour recevoir la sainte eucharistie avec des mains impures, encore teintes du sang d’un peuple innocent. L’empereur, profondément affecté des reproches de l’archevêque et déchiré de ses propres remords, après avoir pleuré quelque temps les suites funestes de son aveugle fureur, se disposa, comme de coutume, à faire ses dévotions dans la cathédrale de Milan. L’intrépide archevêque arrêta son souverain sous le portique, et, prenant le ton et le langage d’un envoyé du ciel, il lui déclara qu’un repentir secret ne suffisait pas pour expier un crime public et apaiser la justice d’un Dieu irrité. Théodose lui représentât avec humilité que s’il s’était rendu coupable d’homicide, David, l’homme selon le cœur de Dieu, avait non seulement commis le meurtre, mais encore l’adultère. Vous avez imité David dans son crime, lui répondit le courageux archevêque, imitez-le dans son repentir. Théodose accepta respectueusement les conditions qui lui furent imposées ; et sa pénitence publique est regardée comme un des événements les plus honorables pour l’Église. Selon les règles les plus modérées de la discipline ecclésiastique établie dans le quatrième siècle, le crime d’homicide exigeait une pénitence de vingt ans[97] ; et, comme le cours de la plus longue vie humaine ne suffisait pas pour expier la multiplicité des meurtres commis à Thessalonique, l’assassin devait être exclu durant toute sa vie de la sainte communion ; mais l’archevêque, suivant les maximes de la politique religieuse, accorda, un peu d’indulgence à un pénitent illustre qui humiliait à ses pieds l’orgueil du diadème, et l’édification publique qui résultait d’un tel abaissement était un motif puissant pour abréger la durée de la pénitence. Il suffisait que l’empereur des Romains, dépouillé de toutes les marques de la royauté, se présentât dans l’attitude affligée d’un suppliant, et qu’au milieu de la cathédrale de Milan, ses humbles prières, accompagnées de soupirs et de larmes, sollicitassent la rémission de ses péchés[98]. Saint Ambroise employa sagement, dans cette cure spirituelle, un mélange de douceur et de sévérité. Après un délai d’environ huit mois, Théodose fut admis à la communion des fidèles ; et l’édit qui ordonne de différer de trente jours l’exécution des sentences doit être regardé comme le fruit salutaire de son repentir[99]. La postérité a applaudi à la pieuse fermeté de l’archevêque, et l’exemple de Théodose démontre l’utilité des principes qui forcèrent un monarque absolu, que ne pouvait atteindre la justice humaine, à respecter les lois et les ministres d’un juge invisible. Le prince, dit Montesquieu, qui aime la religion et qui la craint, est un lion qui cède à la main qui le flatte ou à la voix qui l’apaise[100]. Les forces de ce puissant animal sont conséquemment à la disposition de celui qui a acquis sur lui cette dangereuse autorité ; et le prêtre qui dirige la conscience d’un souverain peut enflammer ou contenir ses passions sanguinaires au gré de son inclination ou de son intérêt. Saint Ambroise a défendu alternativement la cause de l’humanité et celle de la persécution avec la même véhémence et le même succès. Après la défaite et la mort de l’usurpateur de la Gaule, Théodose fut maître absolu dans toute l’étendue du monde romain : il régnait sur les provinces de l’Orient par le choix honorable de Gratien, et sur celles de l’Occident par le droit de conquête. Le vainqueur employa utilement trois années de séjour en Italie à rétablir l’autorité des lois et à réformer les abus qui s’étaient introduits sous l’administration de Maxime et sous la minorité de Valentinien. Les actes publics portaient toujours le nom de Valentinien ; mais l’âge et la foi suspecte du fils de Justine exigeaient toute la prudence d’un tuteur orthodoxe. Théodose aurait pu lui ôter l’administration de ses États ou le renverser du trône sans s’exposer à des combats ou même à des murmures. S’il avait écouté la voix de la politique ou de l’intérêt personnel, ses amis auraient trouvé moyen de le justifier ; mais la générosité de sa conduite, dans cette occasion mémorable, a arraché les applaudissements de ses plus implacables ennemis. Il replaça Valentinien sur le trône de Milan, rendit au prince détrôné toutes les provinces enlevées par Maxime, sans rien stipuler à son avantage, soit pour le présent ou pour l’avenir, et y ajouta le don magnifique de tout le pays au-delà des Alpes, que son heureuse valeur avait reconquis sur le meurtrier de Gratien [101]. Satisfait de la gloire qu’il avait acquise en vengeant son bienfaiteur et en délivrant l’Occident du joug de la tyrannie, l’empereur quitta Milan pour retourner à Constantinople, et, dans la paisible possession de son empire, retrouva bientôt ses habitudes de luxe et d’indolence. Il remplit également ses devoirs, envers le frère de Valentinien, et ce que lui prescrivait sa tendresse conjugale pour la sœur de ce jeune empereur ; la postérité, qui admire la pure et singulière gloire dont le couvrit son élévation, applaudira de même à l’incomparable générosité avec laquelle il usa de la victoire. L’impératrice Justine ne survécut pas longtemps à son retour en Italie, et quoiqu’elle ait encore été témoin du triomphe de Théodose, elle n’eut pas le temps de reprendre aucune influence sur le gouvernement de son fils[102]. Une éducation orthodoxe effaça bientôt les principes d’hérésie arienne qu’elle lui avait donnés par son exemple et par ses instructions. Le zèle naissant de Valentinien pour la foi de Nicée, son respect pour le caractère et pour l’autorité de saint Ambroise, faisaient concevoir aux catholiques la plus favorable opinion du jeune empereur de l’Occident[103] : ils applaudissaient à sa chasteté, à sa sobriété, à son mépris pour les plaisirs, à son application aux affaires et à sa tendresse pour ses deux sœurs, en faveur desquelles il ne se permettait cependant pas la plus faible injustice contre le moindre de ses sujets. Mais cet aimable prince, avant d’avoir, accompli la vingtième année de son âge, tomba victime d’une trahison domestique, et l’empire se trouva de nouveau accablé des horreurs de la guerre civile. Arbogaste[104], vaillant soldat de la nation des Francs avait tenu le second rang dans l’armée de Gratien. A la mort de son maître, il avait passé sous les drapeaux de Théodose, et avait contribué, par sa valeur et par ses talents militaires, à la défaite de Maxime. Après la victoire, l’empereur le nomma maître général des armées de la Gaule. Son mérite réel et sa fidélité apparente avaient gagné la confiance du prince et de ses sujets. Il séduisit les troupes par ses largesses ; et, tandis qu’on le regardait comme la colonne de l’État, le rusé Barbare formait secrètement le projet de monter sur le trône de l’Occident ou de le renverser. Les Francs, ses compatriotes, occupaient tous les postes importants dans l’armée ; les créatures d’Arbogaste obtenaient tous les honneurs et tous les emplois du gouvernement civil. Le progrès de la conspiration éloignait tous les sujets fidèles de la présence du jeune empereur ; et Valentinien, sans pouvoir et sans moyen de communication avec qui que ce fut, se trouva insensiblement resserré dans une étroite et dangereuse captivité[105]. L’indignation qu’il en fit paraître n’était peut-être que le résultat de l’imprudente vivacité de la jeunesse ; il est permis cependant de l’attribuer, au noble courage d’un prince qui se sentait digne de régner. II engagea secrètement l’archevêque de Milan à entreprendre le rôle de médiateur, et le prit pour garant de sa sincérité en même temps que de sa sûreté. Il parvint à faire instruire l’empereur de l’Orient de sa situation humiliante. Valentinien déclarait à Théodose, que s’il ne pouvait pas marcher promptement è son secours, il serait forcé d’essayer de fuir de son palais, ou plutôt de sa prison de Vienne dans la Gaule, où il avait imprudemment fixé sa résidence au milieu d’une faction ennemie ; mais, dans l’attente de secours éloignés et douteux, l’empereur recevait chaque jour d’Arbogaste quelque provocation nouvelle. Le monarque irrité, mais dépourvu de conseil et d’appui, résolut trop précipitamment de rompre avec un puissant rival. Il reçut Arbogaste assis sur son trône ; et au moment où le général s’en approchait avec quelque apparence de respect, Valentinien lui remit un papier par lequel il lui annonçait la perte de tous ses emplois. Mon autorité, répondit l’audacieux Arbogaste, avec un sang-froid insultant, ne dépend ni de la faveur ni de la disgrâce d’un monarque. Et il jeta dédaigneusement le papier à terre. Valentinien, indigné, saisit l’épée d’un de ses gardes, qu’il s’efforça de tirer du fourreau, et ce ne fut pas sans quelque violence qu’on parvint à l’empêcher de s’en servir contre un ennemi ou contre lui-même. Peu de jours après cette querelle extraordinaire, qui attestait sa faiblesse autant que sa colère, on trouva l’infortuné Valentinien étranglé dans son appartement (15 mai 392). Arbogaste prit quelques précautions pour se laver d’un crime qui était si manifestement le sien, et persuader que la mort du prince était l’effet de son propre désespoir[106]. On conduisit le corps de l’empereur avec la pompe ordinaire dams le sépulcre de Milan, et l’archevêque prononça une oraison funèbre, dans laquelle il déplora ses malheurs, et fit l’éloge de ses vertus[107]. Dans cette occasion, saint Ambroise dérogea singulièrement, sans doute par humanité, à son système de théologie, et tâcha de calmer la douleur des deux sœurs de Valentinien, en leur affirmant que le pieux empereur serait admis sans difficulté dans le séjour de la béatitude éternelle, quoiqu’il n’eût pas reçu le sacrement de baptême[108]. Arbogaste avait préparé avec prudence le succès de ses desseins ambitieux ; et les habitants des provinces, en qui se trouvait éteint tout sentiment de patriotisme et de fidélité, attendaient avec résignation le maître inconnu qu’il plairait à un Franc de placer sur le trône impérial. Quelques préjugés d’orgueil semblaient encore s’opposer à l’élévation d’Arbogaste, et le judicieux Barbare consentit à régner sous le nom d’un Romain obscur. Il revêtit de la pourpre Eugène, professeur de rhétorique[109], qui, de la place de son secrétaire, était passé à celle de maître des offices. Le comte avait toujours été satisfait de l’attachement et de l’habileté d’Eugène dans le cours de ses services publics et particuliers. Le peuple estimait son érudition, son éloquence et la pureté de ses mœurs ; la répugnance avec laquelle il consentit à monter sur le trône, peut donner une opinion avantageuse de sa vertu et de sa modération. Les ambassadeurs du nouveau souverain partirent immédiatement pour la cour de Théodose, et lui communiquèrent, avec l’apparence de la douleur, la mort funeste de l’empereur Valentinien. Sans prononcer le nom d’Arbogaste, ils sollicitèrent le monarque de l’Orient de recevoir pour collègue légitime, un citoyen respectable, appelé au trône par les suffrages unanimes des peuples et des armées de l’Occident[110]. Théodose fut justement irrité de voir détruire en un instant, par la perfidie d’un Barbare, le fruit de ses travaux et de sa victoire. Les larmes d’une épouse chérie l’excitaient à venger la mort de son malheureux frère, et à rétablir une seconde fois la majesté du trône[111]. Mais comme cette seconde conquête de l’Occident paraissait difficile et dangereuse, il renvoya les ambassadeurs d’Eugène avec des présents magnifiques et une réponse obscure, et employa près de deux années aux préparatifs de la guerre civile. Avant de prendre une résolution décisive ; le pieux empereur désirait de connaître les volontés du ciel ; et comme les progrès du christianisme avaient imposé silence aux oracles de Delphes et de Dodone, il consulta un moine égyptien, qui, dans l’opinion du siècle, possédait le don des miracles et la connaissance de l’avenir. Eutrope, eunuque favori de l’empereur, s’embarqua pour Alexandrie, d’où il remonta le Nil jusqu’à la ville de Lycopolis ou des Loups, dans la province écartée de la Thébaïde[112]. Aux environs de cette ville saint. Jean[113] avait construit de ses mains, sur le sommet d’une montagne ; une cellule dans laquelle il avait demeuré plus de cinquante ans sans ouvrir sa porte, sans voir la figure d’une femme et sans goûter aucun aliment cuit au feu ou préparé par la main des hommes. Il passait cinq jours de la semaine dans la prière et la méditation ; mais les samedis et les dimanches il ouvrait régulièrement une petite fenêtre, et donnait audience à une foule de suppliants qui s’y rendaient de toutes les parties du monde chrétien. L’eunuque de Théodose approcha respectueusement, lui proposa ses questions relatives à l’événement de la guerre civile, et rapporta un oracle favorable qui anima le courage de l’empereur par la promesse d’une victoire sanglante, mais infaillible[114]. A l’appui de la prédiction, on prit toutes les mesures que pouvait suggérer la prudence humaine. Les deux maîtres généraux Stilicon et Timasius reçurent l’ordre de recruter les légions romaines et de ranimer leur discipline. Les troupes formidables des Barbares marchaient sous les ordres, de leurs chefs nationaux. On voyait rassemblés sous les drapeaux du même prince, l’Ibère, l’Arabe et le Goth, occupés à se considérer avec une mutuelle surprise ; et le célèbre Alaric acquit à l’école de Théodose les talents militaires qu’il employa depuis, d’une manière si funeste, à la destruction de Rome et de l’empire[115]. L’empereur d’Occident, ou plutôt son général Arbogaste, avait appris, par les fautes et la défaite de Maxime, combien il était dangereux d’étendre la ligne de défense contré un ennemi habile qui pouvait à son gré presser ou suspendre, restreindre ou multiplier ses attaques[116]. Arbogaste posta son armée sur les confins de l’Italie. Les troupes de Théodose s’emparèrent, sans résistance, des provinces de la Pannonie jusqu’au pied des Alpes Juliennes ; il trouva même les passages des montagnes gardés négligemment, ou peut-être abandonnés à dessein aux entreprises de l’ennemi. Théodose descendit des montagnes, et découvrit, non sans un peu de surprise, le camp des Gaulois et des Germains, qui couvrait la plaine depuis les murs d’Aquilée jusqu’aux bords du Frigidus[117] ou rivière froide[118]. Un théâtre étroit, borné parles Alpes et par la mer Adriatique, offrait peu d’exercice aux taleras militaires. Le fier Arbogaste dédaignait de demander grâce ; son crime lui ôtait tout espoir de réconciliation, et Théodose était impatient d’assurer sa gloire et de venger le meurtre de Valentinien. Sans peser les obstacles de la pâture et de l’art, qui s’opposaient à ses efforts, l’empereur fit attaquer le camp des ennemis ; et, en donnant aux Goths le poste honorable du danger, il désirait secrètement que cette sanglante journée diminuât le nombre et l’orgueil de ces conquérants. Dix mille de ces auxiliaires, et Bacurius, général des Ibères, périrent courageusement sur le champ de bataille ; mais la victoire ne fut pas le prix de leur sang. Les Gaulois tinrent ferme, et l’approche de la nuit favorisa la fuite ou la retraite tumultueuse des Romains. Théodose, retiré sur les montagnes, passa une nuit douloureuse dans l’inquiétude, sans provisions et sans autre espoir[119] que celui qui, au milieu des situations les plus désespérées, se soutient toujours dans une âme forte ; capable de mépriser la fortune et la vie. Tandis que les troupes d’Eugène célébraient leur triomphe dans son camp par les orgies d’une joie insolente, le vigilant Arbogaste fit occuper les passages des montagnes par un corps nombreux, pour couper l’arrière-garde dès ennemis, et Théodose aperçut au point du jour tout l’excès du danger de sa situation. Mais les chefs de ce corps firent bientôt cesser les craintes de l’empereur, en lui envoyant offrir de passer sous ses drapeaux. Théodose accorda sans hésiter, toutes les récompenses honorables et lucratives qu’ils exigeaient pour prix de leur perfidie ; et au défaut d’encre et de papier, qu’il n’était pas facile de se procurer, il écrivit sur ses propres tablettes la ratification du traité. Un renfort si nécessaire ranima le courage de ses soldats ; ils retournèrent avec confiance, pour surprendre dans son camp un usurpateur dont les principaux officiers semblaient révoquer en doute les droits ou les succès. Au fort de la mêlée, il s’éleva, du coté de l’orient, une de ces tempêtes dont les Alpes sont fréquemment tourmentées[120]. L’armée de Théodose était garantie, par sa position, de l’impétuosité du vent ; qui soufflait un nuage de poussière dans le visage de l’ennemi, rompait ses rangs, arrachait les épées des mains des soldats, et repoussait contre eux leurs inutiles javelots. L’empereur sut profiter habilement de l’avantage que lui offrait la fortune. La superstition augmenta la terreur des Gaulois, et ils cédèrent sans honte aux puissances invisibles qui semblaient combattre pour leurs pieux ennemis. La victoire de l’empereur fut décisive, et la mort de ses deux rivaux fut conforme à leurs différents caractères ; le rhétoricien Eugène, qui s’était presque vu maître du monde, fut réduit à implorer la clémence du vainqueur ; et, tandis qu’il était prosterné aux pieds de Théodose, les impitoyables soldats lui abattirent la tête. Arbogaste après la perte de la bataille. Où il s’était acquitté des devoirs d’un général et d’un soldat erra quelques jours dans les montagnes. Convaincu qu’il n’avait plus de ressources, et que sa fuite était impossible, l’intrépide Barbare imita l’exemple des anciens Romains, et se perça de sa propre épée, Le sort du monde romain se décida dans un coin de l’Italie. Le successeur légitime de la maison de Valentinien embrassa l’archevêque de Milan, et reçut la soumission des provinces de l’Occident elles étaient toutes complices de la rébellion. L’intrépide Ambroise avait seul résisté aux sollicitations et aux succès de l’usurpateur, et rejeté la correspondance et les dons d’Eugène avec une mâle liberté qui aurait été fatale à tout autre qu’à lui. Il s’était retiré de Milan pour éviter l’odieuse présence du tyran ; et il osa même prédire sa chute en termes équivoques. Le vainqueur applaudit au mérite d’Ambroise, qui lui assurait l’attachement du peuple par l’influence de la religion ; et on attribue la clémence de Théodose à l’intercession de l’archevêque[121]. Après la défaite et la mort d’Eugène, tous les habitants du monde romain reconnurent avec joie le mérite et l’autorité de Théodose. Sa conduite jusqu’a cette époque donnait les espérances les plus flatteuses pour la suite de son règne ; son âge, qui n’excédait pas cinquante ans, laissait encore la perspective d’une longue félicité, et sa mort, arrivée quatre mois après cette victoire, fut reçue comme un malheur inattendu, qui détruisait toutes les espérances de. la génération naissante. Les jouissances du luxe et l’inaction avaient affaibli la constitution de Théodose[122] ; il ne put supporter ce passage subit du repos d’un palais aux fatigues de la guerre, et des symptômes effrayants d’hydropisie annoncèrent qu’on allait bientôt perdre l’empereur. L’intérêt du public avait peut-être confirmé l’opinion de la nécessité du partage de l’empire. Les princes Arcadius et Honorius, que la tendresse de leur père avait déjà revêtus du titre d’Auguste, étaient destinés à occuper les trônés de Rome et de Constantinople. Théodose ne leur avait pas permis de partager la gloire et les dangers de la guerre civile[123] ; mais des que l’empereur eut triomphé de ses rivaux, Honorius, son second fils, vint jouir du fruit de la victoire et recevoir le sceptre de l’Occident Viles mains de son père expirant. On célébra l’arrivée d’Honorius à Milan par une magnifique représentation des jeux du cirque, où Théodose, quoique accablé par la maladie, voulut contribuer, par sa présence, à la joie publique, mais l’effort pénible qu’il fit pour assister aux jeux du matin épuisa le reste de ses forces. Honorius tint sa place pendant le reste de la journée, et l’empereur expira dans la nuit suivante. Les animosités d’une guerre civile récente n’empêchèrent point qu’il ne fût unanimement regretté. Les Barbares qu’il avait vaincus et le clergé dont il subissait respectueusement, là loi lui prodiguèrent à l’envi des louangés, et célébrèrent chacun les vertus auxquelles ils donnaient la préférence. Les dangers d’une administration faible et divisée épouvantaient les Romains, et chaque événement fâcheux des règnes malheureux d’Arcadius et d’Honorius leur rappela la perte irréparable du grand Théodose. Dans le tableau fidèle des vertus de cet empereur, nous n’avons point dissimulé ses imperfections, son indolence habituelle, et le trait de cruauté qui a imprimé une tache ineffaçable sur la gloire d’un des plus grands d’entre les princes romains. Un historien acharné, à déchirer sa mémoire, a exagéré ses vices et leurs suites pernicieuses. Il assure, que les sujets de toutes les classes imitèrent les manières efféminées de leur souverain ; qu’ils se livraient à toutes sortes de débauchés, et que les lois affaiblies de l’ordre et de la décence ne suffisaient point, pour arrêter les progrès de cette corruption de mœurs, qui sacrifiait sans rougir toute considération de devoir pu d’intérêt à une basse complaisance pour des goûts énervés ou déréglés[124]. Les complaintes des auteurs contemporains qui déplorent les progrès du luxe et la dépravation des mœurs, ne peignent communément que leur situation personnelle et leur caractère : Peu d’observateurs se sont fait une idée juste et claire, des révolutions de la société ; peu d’entre eux sont capables de découvrir les ressorts secrets et délicats qui donnent une direction uniforme aux passions aveugles et capricieuses d’une multitude d’individus. S’il est vrai qu’on puisse affirmer avec une apparence de raison que le luxe des Romains ait été plus impudent et plus effréné soude règne de Théodose que du temps de Constantin ou d’Auguste, ce changement ne put provenir d’une augmentation d’opulence nationale. Une longue suite de pertes à de calamités avait arrêté l’industrie et diminué l’aisance des peuples. Leurs profusions étaient sans doute le résultat de ce désespoir indolent qui jouit dû moment et craint de penser à l’avenir. L’incertitude de la propriété décourageait les sujets de Théodose et les détournait des entreprises utiles qui exigeaient de la dépense et des travaux pénibles ; et qui n’offraient qu’une perspective d’avantages éloignés. Les exemples fréquents de ruine et de désolation les engageaient à ne pas ménager les restes d’un patrimoine qui pouvait à tout instant devenir la proie des Barbares ; et la prodigalité extravagante à laquelle les hommes se livrent dans la confusion d’un naufrage ou dans une ville assiégée, peut expliquer les progrès du luxe au milieu des alarmes d’un peuple qui prévoyait sa prochaine destruction. Les villes adoptèrent le luxe efféminé de la cour ; il s’introduisit jusque dans le camp des légions. Un écrivain militaire qui, a soigneusement, étudié les premiers principes de l’ancienne discipline des Romains, marque les progrès de leur corruption. Végèce observe que, depuis la fondation de Rome jusqu’au règne de Gratien, l’infanterie romaine avait toujours été couverte d’une armure. Dés qu’on eut laissé perdre aux soldats l’esprit de discipline et l’habitude des exercices, ils furent moins propres et moins disposés à supporter les fatigues du service. Les légions se plaignaient du poids insupportable d’une armure qu’elles portaient rarement, et elles obtinrent successivement la permission de quitter leurs casques et leurs cuirasses. Les armes pesantes de leurs ancêtres, la courte épée et le formidable pilum qui avait subjugué l’univers. Echappèrent insensiblement de leurs mains impuissantes ; et comme l’usage de l’arc est incompatible avec celui du bouclier, ils s’exposaient avec répugnance dans la plaine à être criblés de blessures ou à les éviter par la fuite, et ils étaient toujours disposés à préférer l’alternative là plus ignominieuse. Les Huns, les Goths ; et les Alains sentirent l’avantage, pour leur cavalerie, d’une armure défensive, et en adoptèrent l’usage. Comme leurs soldats excellaient dans l’art de lancer les javelots, ils mettaient aisément en déroute des soldats tremblants et presque nus, dont la tête et la poitrine étaient exposées sans défense aux traits des Barbares. La perte des armées, la destruction des villes et le déshonneur du nom romain, sollicitèrent inutilement les successeurs de Gratien de rendre le casque et la cuirasse à l’infanterie. Les soldats énervés négligèrent leur propre défense et celle de la patrie, et leur indolence pusillanime peut-être considérée comme la cause immédiate de la destruction de l’empire[125]. |
[1] Valentinien était plus indifférent sur la religion de son fils, puisqu’il confia l’éducation de Gratien à Ausone, qui faisait publiquement profession du paganisme. (Mém. de l’Acad. des Inscript., tome XV, p. 125-138.) La réputation qu’Ausone obtint comme poète donne mauvaise idée du goût de son siècle.
[2] Ausone fut successivement préfet du prétoire de l’Italie (A. D. 377), de la Gaule (A. D. 378), et obtint enfin le consulat 379). Il publia sa reconnaissance dans un morceau rempli d’une adulation basse et insipide (Actio gratiarum, p. 699-736), qui a survécu à des productions beaucoup plus estimables.
[3] Disputare de principcali judicio non oportet. Sacrilegii enim instar este drebitare, an is dignus sit, quem imperator elegerit. (Codex Justin., l. IX, tit. 29, leg. 3.) Après la mort de Gratien, la faible cour de Milan rappela et promulgua de nouveau cette loi commode.
[4] Saint Ambroise composa pour son instruction un Traité théologique sur la foi relative à la sainte Trinité ; et Tillemont (Hist. des Empereurs, t. V, p. 158-169) donne à l’archevêque tout le mérite des lois intolérantes de Gratien.
[5] Qui divinœ legis sanctitatem, nesciendo omittunt, aut negligendo violant, et offendunt, sacrilegium committunt. (Cod. Justin., l. IX, tit. 29, leg. 1) Théodose peut, à la vérité, réclamer en partie le mérite de cette loi si claire.
[6] Ammien (XXXI, 10) et Victor le jeune conviennent des vertus de Gratien, et lui reprochent seulement, ou plutôt déplorent des goûts qui l’abaissent. Le parallèle odieux de Commode est adouci par licet incruentus ; et peut-être Philostorgius (l. X, c. 16) et Godefroy (p. 412) avaient-ils mis quelque réserve pareille à la comparaison avec Néron.
[7] Zozime (l. IV, p. 247) et Victor le jeune attribuent la révolution à la faveur qu’il accordait aux Alains et au ressentiment des troupes romaines. Dum exercitum ne liberet, et paucos ex Alanis, quos ingenti auro ad se transtulerat, anteferret veteri ac romano militi.
[8] Britannia, fertilis provincia tyrannorum, est une expression remarquable, dont saint Jérôme se servit dans la controverse de Pélage, et que nos antiquaires ont expliquée, dans leurs disputes, fort différemment l’un de l’autre. Les révolutions du dernier siècle semblent justifier l’image du sublime Bossuet : Cette île plus orageuse que les mers qui l’environnent.
[9] Zozime dit des soldats bretons : Των αλλων απαντων πλέον αυθαδεια και θυμω νικομενους.
[10] Hélène, fille d’Eudda. On peut encore voir sa chapelle à Caer-Segont, aujourd’hui Caer-Narvon (Hist. d’Angleterre par Carte, vol. I, p. 168, d’après la Mona antiqua de Rowland.) Le lecteur judicieux n’aura peut-être pas grande confiance à cette autorité galloise.
[11] Cambden (vol. I, Introd., p. cj) en fait un gouverneur de la Bretagne, et ses dociles successeurs ont suivi aveuglément légère de nos antiquités. Pacatus et Zozime ont fait quelques efforts pour détruire cette erreur ou cette fable, et je m’appuierai de leur autorité. Rebali habitu exulem suum ; illi exules orbis induerunt (in Panegyr. vet., XII, c. 3) ; et l’historien grec d’une manière encore moins équivoque : Αυτος (Maximus) δε ουδε εις αρχήν ευτιμον ετυχή προελθων. (l. IV, p. 248).
[12] Sulpice Sévère, Dialogue 2, 7 ; Orose, l. VII, c. 34, p. 556. Ils conviennent l’un et l’autre (Sulpice avait été son sujet) de son mérite et de son innocence. Il est assez singulier que Maxime ait été traité moins favorablement par Zozime, l’ennemi juré de son rival.
[13] L’archevêque Usher (Antiq. Brit. Ecclés., p. 104, 108) a rassemblé avec soin toutes les légendes de l’île et du continent. L’émigration totale consistait en trente mille soldats et cent mille plébéiens, qui s’établirent dans la Bretagne. Leurs épousés futures, sainte Ursule accompagnée de onze mille vierges nobles, et de soixante mille plébéiennes, prirent une fausse route et abordèrent à Cologne, où les Huns les massacrèrent impitoyablement. Mais les plébéiennes n’ont point participé aux honneurs du martyre ; et ce qu’il y a de plus sûr, c’est que Jean Trithème a eu la hardiesse de citer la postérité de ces vierges bretonnes.
[14] Zozime (l. IV, p. 248, 249) a transporté la mort de Gratien de Lugdunum en Gaule ; à Singidunum en Mœsie. On peut tirer quelques faibles lumières des Chroniques, et découvrir plus d’un mensonge dans Sozomène (l. VII, c. 13) et dans Socrate (l. V, c. 2). L’autorité de saint Ambroise est la plus authentique (t. I, Enarrat. in Psalm., LXI, p. 961 ; t. II, épit. 24, p. 888, etc. ; et de Obitu Valentin. consolat., n° 28, p. 1182.).
[15] Pacatus (XII, 28) fait l’éloge de sa fidélité, tandis que la Chronique de Prosper atteste sa perfidie, et l’accuse de lei perte de Gratien. Saint Ambroise, qui sentait le besoin de se disculper lui-même, se borne à blâmer la mort de Vallion, fidèle domestique de Gratien (t. II, épist. 24, p. 291, édit. Benedict.).
[16] Il protesta nullum ex adversariis nisi in acie occubuisse (Sulpice Sévère, in Vit. B. Martin., c. 23). L’orateur de Théodose donne à la clémence de Maxime des louanges d’autant moins suspectes, quelles sont accordées à contrecœur. Si cui ille, pro cœteris sceleribus suis, nimus crudelis fuisse, videtur. Panegyr. vet., 12, 28.
[17] Saint Ambroise cite les lois de Gratien : Quas non abrobavit hostis, t. II, epist. 17, p. 827.
[18] Zozime, l. IV, p. 252. Nous pouvons rejeter ses odieux soupçons, mais non pas le traité de paix que les amis de Théodose ont tout à fait oublié, ou sur lequel ils passent du moins fort légèrement.
[19] Leur oracle, l’archevêque de Milan, assigne à Gratien, son pupille, une place distinguée dans le paradis (t. II, de Obit. Val. consol., p. 1193 ).
[20] Pour le baptême de Théodose, voyez Sozomène (l. VII, c. 4), Socrate (l. V, c. 6), et Tillemont (Hist. des Emper., t. V, p. 728).
[21] Saint Ambroise honora Ascolius ou Acholius de ses louanges et de son amitié ; il le nomme murus fidei atque sanctitatis (t. II, epist. 15, p. 820), et fait ensuite un grand éloge de la rapidité avec laquelle il courut à Constantinople, en Italie, etc. (epist. 16, p. 822). Cette rapidité ne convient ni à un mur ni à un évêque.
[22] Cod. Theod., l. XVI, tit. I, leg. 2 ; et les Commentaires de Godefroy, t. IV, p. 5-9. Cet édit a mérité les louanges de Baronius. Auream sanctionem, edictum pium et salutare. Sic itur ad astra.
[23] Sozomène, l. VII, c. 6 ; Théodoret, l. V, c. 16. Tillemont (Mém. ecclés., t. VI, p. 627, 628) est scandalisé des termes d’évêque campagnard, cité obscure. Je réclame la liberté de croire qu’Iconium et Amphilochius n’étaient pas dans l’empire romain des objets d’une grande importance.
[24] Sozomène, l. VII, c. 5 ; Socrate, Marcellin, in Chron. L’’histoire des quarante années doit dater de l’élection ou de l’intrusion d’Eusèbe, qui troqua fort adroitement l’évêché de Nicomédie contre la chaire archiépiscopale de Constantinople.
[25] Voyez les Remarques de Jortin sur l’histoire ecclésiastique, vol. IV, p. 71. Le trente-troisième discours de saint Grégoire de Nazianze contient, à la vérité, des idées semblables ou même encore plus ridicules ; mais je n’ai jamais pu découvrir les expressions de ce passage remarquable, que j’admets sur le témoignage d’un érudit exact et sans préjugés.
[26] Voyez le trente-deuxième discours de saint Grégoire de Nazianze, et l’histoire de sa propre vie, qu’il composa envers ïambiques, au nombre de dix-huit cents, mais on peut dire que tout médecin est disposé à exagérer la maladie qu’il a guérie.
[27] J’ai trouvé de très grands secours dans les deux : Vies de saint Grégoire de Nazianze, composées dans des vues bien différentes l’une de l’autre, par Tillemont (Mém. ecclés., t. IX, p. 305-560 ; 692-731) et par Le Clerc (Bibl. univers., t. XVIII, p. 1-128).
[28] À moins que saint Grégoire de Nazianze ne se soit trompé lui-même de trente ans sur son âge, il doit être né, ainsi que son ami saint Basile, vers l’année 329. On a adopté la chronologie absurde de Suidas, pour dissimuler le scandale qu’avait donné le père de saint Grégoire, qui, quoique saint lui-même, n’en a pas moins fait des enfants depuis son élévation au pontificat. Tillemont, Mémoires ecclés., t. IX, p. 693-697.
[29] On trouve dans le poème de saint Grégoire, sur sa propre vie, quelques vers d’une grande beauté, qui semblent partir du cœur, et expriment fortement la douleur de l’amitié trahie. On peut leur comparer la plainte qu’Hélénia adresse à Hermia, son amie, dans le Midsummer-night’s Dream (le Songe d’une nuit d’été).
Shakespeare n’avait point lu les poèmes de saint Grégoire. Il ne savait point le grec ; mais sa langue maternelle, celle de la nature, est la même en Angleterre et en Cappadoce.
[30] Cette peinture si peu séduisante de Sasima nous a été tracée par saint Grégoire de Nazianze (t. II, de Vita sua, p. 718). On trouve dans l’Itinéraire d’Antonin (p. 144, éd. Wesseling.) la position exacte de cette ville, à quarante-neuf milles d’Archelais, et à trente-deux de Tyane.
[31] Saint Grégoire a immortalisé le nom de Nazianze. Cependant Pline (VI, 3), Ptolémée et Hiéroclès (Itinerar., Wesseliing, p. 709) citent la ville natale de saint Grégoire sous le nom grec ou romain de Diocœsarea. (Tillemont, Mém. ecclés., tome IX, p. 692). Il paraît qu’elle était située sur les frontières de l’Isaurie.
[32] Voyez Ducange, Constant. christiana, l. IV, p. 141-142. Le θεια δυνμις de Sozomène, (l. VII, c. 5) est interprété comme signifiant la Vierge Marie.
[33] Tillemont (Mém. ecclésiast., t. IX, p. 432, etc. ) rassemble, commente, et explique tous les passages oratoires et poétiques de saint Grégoire, qui peuvent avoir quelque rapport à ce sujet.
[34] Il prononça un discours (t. I, Orat. 23,-p. 409) à sa louange ; mais après leur querelle il substitua au nom de Maxime celui de Héron. (Voyez saint Jérôme, t. I, dans le Catal. Script. ecclés., p. 301.) Je passé légèrement sur ces débats personnels et obscurs.
[35] Sous l’emblème modeste d’un songe, saint Grégoire (t. II, chant 9, p. 78) décrit, avec une complaisance un peu mondaine, les succès qu’il avait obtenus ; cependant ses conversations familières avec saint Jérôme, un de ses auditeurs (t. I, épit. à Népotien, p. 14), donnent lieu de penser que le prédicateur savait apprécier les applaudissements du peuple à leur juste valeur.
[36] Lacrymœ auditorum laudes tuæ sint. C’est le conseil sage et expressif de saint Jérôme.
[37] Socrate (l. V, c. 7) et Sozomène (l. VII, c. 5) rapportent la conduite et les réponses évangéliques de Damophile sans daigner y ajouter un seul mot d’approbation. Il considérait, dit Socrate, qu’il est difficile de résister à la puissance ; mais il était facile et il lui aurait été profitable de s’y soumettre.
[38] Voyez saint Grégoire de Nazianze, t. II, de Vita sua, p. 21, 22. Pour l’édification de la postérité ; le prélat raconte un étonnant prodige : au mois de novembre, le ciel était nébuleux dans la matinée ; mais le soleil perça les nuages, et le ciel s’éclaircit lorsque la procession entra dans l’église.
[39] Théodoret est le seul des trois historiens ecclésiastiques qui cite (l. V, c. 2) cette importante commission de Sapor, que Tillemont (Hist. des Emp., t. V, p. 723) déplace judicieusement du règne de Gratien pour le replacer sous celui de Théodose.
[40] Je ne compte point Philostorgius, quoiqu’il cite l’expulsion de Damophile. Les ouvrages de cet historien Eunomien ont été avec soin épurés par des éditeurs orthodoxes.
[41] Le Clerc a donné (Bibl. univers., t. XVIII, p. 91-105) un extrait fort curieux des sermons que saint Grégoire de Nazianze prêcha à Constantinople contre les ariens, les eunomiens, les macédoniens, etc. Il dit aux macédoniens qui reconnaissaient la divinité du Père et du Fils, et rejetaient celle du Saint-Esprit, qu’on pouvait aussi bien les appeler trithéistes que dithéistes. Saint Grégoire était lui-même un peu trithéiste, et sa monarchie du ciel ressemble fort à une aristocratie bien ordonnée.
[42] Le premier concile général de Constantinople triomphe aujourd’hui dans le Vatican ; mais les papes ont hésité longtemps, et leurs doutes embarrassent et font presque chanceler l’humble Tillemont, Mém. ecclés., tome IX, p. 499-500.
[43] Avant la mort de Mélèce, sept ou huit de ses ecclésiastiques les plus aimés du peuple, parmi lesquels était Flavien, avaient renoncé avec serment, pour l’amour de la paix, à l’évêché d’Antioche. (Sozomène, l. VII, c. 3, 11 ; Socrate, l. VI c. 5.) Tillemont croit devoir rejeter cette histoire ; mais il avoue que plusieurs circonstances de la vie de Flavien paraissent peu dignes des louanges de saint Chrysostome et du caractère d’un saint.
[44] Consultez saint Grégoire de Nazianze (de Vita sua, t. II, p. 25-28). On peut connaître, par ses vers et par sa prose son opinion générale et particulière du clergé et de ses assemblées (t. I, Orat. I, p. 33, épît. 55, p. 814 ; t. II, chant 10, p. 81). Tillemont ne parle qu’obscurément de ces passages que Le Clerc cite ouvertement.
[45] Voyez saint Grégoire, t. II, de Vita sua, p. 28-31. Les quatorzième, vingt septième et trente-deuxième discours, furent prononcés, à différentes époques de ces divisions. La péroraison du dernier (t. I, p. 528), dans laquelle il prend congé des hommes et des anges, de la ville et de l’empereur, de l’Orient et de l’Occident, etc., est pathétique et presque sublime.
[46] Sozomène (l. VII, c. 8) atteste la bizarre ordination de Nectarius ; mais Tillemont observe (Mém. ecclés., t. 9, p. 719) qu’après tout, ce narré de Sozomène est si honteux pour tous ceux qu’il y mêle, et surtout pour Théodose, qu’il vaut mieux travailler à le détruire qu’à le soutenir. Admirable règle de critique !
[47] On supposera bien, sans que j’en avertisse, qu’en faisant l’éloge de son cœur et de sa sensibilité, je veux parler de son caractère naturel, lorsqu’il n’était ni endurci ni enflammé par le zèle religieux. Il exhorte, du fond de sa retraite, Nectarius à persécuter les hérétiques de Constantinople.
[48] Voyez le Code de Théodose, l. XVI, tit. 5, leg. 6-23 ; les Commentaires de Godefroy sur chaque loi, et son Sommaire général ou Paratitlon, t. VI, p. 104, 110.
[49] Ils célébraient la fête de Pâques comme les Juifs, le quatorzième jour de la première lune après l’équinoxe du printemps, et s’opposaient ainsi obstinément à l’Église romaine, qui fixait, ainsi que le synode de Nicée, la fête de Pâques sur un dimanche. Antiq. de Bingham, l. XX, c. 5, vol. II, p. 3o9, édit. in fol.
[50] Sozomène, l. VII, c. 12.
[51] Voyez l’Hist. sacrée de Sulpice Sévère (l. II, p. 437-452, éd. Lugd. Bat., 1647), auteur exact et original ; Crédibilité de la religion chrétienne, par le docteur Lardner (part. II, vol. IX, p. 256-350). Il a traité cet article avec érudition, jugement et modération. Tillemont (Mém. ecclés., t. VIII, p. 491-527) a rassemblé en un monceau tout le fumier des pères ; excellent balayeur !
[52] Sulpice parle de l’archi-hérétique avec estime et compassion : Felix profecto, si non pravo studio corrupisset optimum ingenium ! Prorsus mulla in eo animi et corporis bona cerneres. (Hist. Sacra, t. II, p.439.) Saint Jérôme lui-même (t. I, in Script. Ecclés., p. 3S2) parle avec modération de Priscillien et de Latronien.
[53] Cet évêché de la Vieille-Castille vaut annuellement au prélat vingt mille ducats. (Géographie de Busching, V, 2, p. 308) Il n’est pas vraisemblable, d’après cela, qu’il produise un nouvel hérésiarque.
[54] Exprobabatur mulieri viduœ nimia religio, et diligentius culta Divinitas. (Pacatus, in Panegyr. vet., 12, 29.) Telle était l’idée d’un polythéiste humain, quoique, ignorant.
[55] L’un, d’eux fut envoyé in Syllinam insulam quæ ultra Britanniam est. Quel doit avoir été autrefois l’état des rochers de Scilly ! Bretagne de Cambden, vol. II, p. 1519.
[56] Les scandaleuses calomnies de saint Augustin, du pape Léon, etc., que Tillemont adopte docilement, et que Lardner réfute avec force, font naître des soupçons en faveur des anciens gnostiques.
[57] Saint Ambroise, t. II, épit. 24, p. 891
[58] Dans l’Histoire Sacrée et la Vie de saint Martin, Sulpice Sévère est fort circonspect ; mais il s’exprime avec plus de liberté dans les Dialogues (III, 15). Cependant saint Martin fut vigoureusement tancé par un ange et par le cri de sa propre conscience, et trouva depuis beaucoup moins de facilité à faire des miracles.
[59] Sulpice Sévère, prêtre catholique (l. II, p. 448) et Pacatus, orateur païen (Paneg. vet., XII, 29), condamnent avec une égale indignation le caractère et la conduite d’Ithacius.
[60] La Vie de saint Martin et les Dialogues relatifs à ses miracles contiennent des faits qui respirent la plus grossière ignorance, dans un style qui n’est point indigne du siècle d’Auguste. L’alliance du bon sens et du bon goût est si naturelle, que ce contraste me surprend toujours.
[61] La vie abrégée et superficielle de saint Ambroise, par son diacre Paulin (Appendix à l’édit. des Bénédictins, p. 1-15), a le mérite d’être une autorité originale. Tillemont (Mém. ecclés., t. X, p. 78-306) et les édit. bénédict. (p. 31-63) ont apporté leurs soins ordinaires dans les rechercher qu’ils ont faites à cet égard.
[62] Saint Ambroise lui-même (t. II, epist. 24, p. 858-891) fait à l’empereur un récit très animé de son ambassade.
[63] Le tableau qu’il fait lui-même de ses principes et de sa conduite (t. II, epist. 20, 21, 22, p. 850-880) est un des plus curieux monuments de l’antiquité ecclésiastique : on y trouve deux lettres adressées à sa sœur Marcellina, une requête à Valentinien, et le sermon de Basilicis non tradendis.
[64] Le cardinal de Retz reçut de la reine un message semblable. Elle le priait d’apaiser les troubles de Paris ; il répondit qu’il n’en était plus le maître ; à quoi j’ajoutai tout ce que vous pouvez imaginer, de respect, de douleur, de regret et de soumission. (Mém., t. I, p. 140.) Je ne prétends sûrement pas comparer ni les temps ni les hommes ; cependant le coadjuteur (p. 84) semble avoir eu en quelque sorte l’idée d’imiter saint Ambroise.
[65] Sozomène (l. VII, c. 13) a jeté ce fait lumineux au milieu d’un récit obscur et embarrassé.
[66] Excubabat pia plebs in ecclesiâ mori parata cum episcopo suo... Nos adhuc frigidi excitabamur tamen civitate attonitâ atque turbatâ. Saint Augustin, Confessions, l. IX, chap. 7.
[67] Tillemont, Mém. ecclés., t. II, p. 78-498. Un grand nombre des églises de l’Italie, de la Gaule, etc., furent dédiées à ces martyrs inconnus ; mais saint Gervais semble avoir été plus favorisé que son compagnon.
[68] Invenimus mirœ magnitudinis viros duos, ut prisca ætas ferebat (t. II, epist. 22, p. 875). La grandeur de ces corps était heureusement ou adroitement adaptée sur la dégradation physique et graduelle de l’espèce humaine, préjugé que tous les siècles, depuis Homère, ont généralement adopté.
Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulchris.
[69] Saint Augustin, t. II, epist. 22, p. 875 ; Confessions, t. IX, c. 8 ; de Civ. Dei, l. XXII, c. 7 ; Paulin, in Vit. sanct. Ambr., c. 14, in Appendice Benedict. L’aveugle se nommait Sévère : en touchant la sainte robe il fut guéri et dévoua le reste de sa vie (environ vingt-cinq ans) au service de l’Église. Je recommanderais ce miracle à nos théologiens protestants, s’il ne prouvait pas la sainteté des reliques aussi bien que l’orthodoxie du symbole de Nicée.
[70] Paulin, in Vit. sanct. Ambros., c. 5, in Append. Benedict., p. 5.
[71] Tillemont, Mém. ecclés., t. X, p. 190-750. Il admet avec partialité la médiation de Théodose, et rejette, on ne sait par quel caprice, celle de Maxime, quoiqu’elle soit attestée par Prosper, Sozomène et Théodoret.
[72] La censure modeste de Sulpice Sévère (Dialog. III, 15) frappe plus sévèrement que les faibles déclamations de Pacatus (XII, 25, 26).
[73] Esto tutior adversus, hominem, pacis involucro tegentem. Tel fut l’avis prudent de saint Ambroise (t. II, p. 891) au retour de sa seconde ambassade.
[74] Baronius (A. D. 387, n° 63) applique à ces temps de calamités publiques quelques-uns des sermons pénitentiaux de l’archevêque.
[75] Zozime (l. IV, p. 263, 264) raconte la fuite de Valentinien et l’amour de Théodose pour sa sœur. Tillemont, à l’appui de quelques autorités faibles et équivoques, antidate le second mariage de Théodose (Hist. des Empereurs, t. V, P. 740) et tâche de réfuter ces contes de Zozime, qui seraient trop contraires à la piété de Théodose.
[76] Voyez la Chronologie des Lois, par Godefroy ; Code Théodosien, t. I, p. 119.
[77] En outre des passages que l’on peut recueillir dans les Chroniques et dans l’Hist. ecclés., Zozime (l. IV, p. 259-267), Orose (l. VII, c. 35) et Pacatus (in Panegyr. vet., 30-47), suppléent à la disette des matériaux sur la guerre civile. Saint Ambroise (t. II, épit. XL, p. 952, 953) fait allusion, d’une manière assez obscure, aux événements connus d’un magasin enlevé, d’une action à Petovio, et d’une victoire en Sicile, peut-être une victoire navale, etc. Ausone (p. 256, édit. Toll.) félicite Aquilée de sa bonne fortune, et fait l’éloge de la conduite de ses habitants.
[78] Quam promptunt laudare principent, tam tutum siluisse de principe. (Pacatus, in Panegyr. vet., XII, 2) Latinus-Pacatus-Drepanius, né dans la Gaule, prononça ce discours à Rome (A. D. 388). Il fut nommé depuis consul d’Afrique, et son ami Ausone compare ses poésies à celles de Virgile. Voyez Tillemont, Hist. des Empereurs, tome V, p. 303.
[79] Voyez le portrait que Victor le jeune fait de Théodose. Les traits sont bien frappés, mais les couleurs sont mêlées. L’éloge de Pacatus est trop vague, et Claudien semble craindre toujours d’élever la gloire de Théodose au-dessus de celle de son fils
[80] Saint Ambroise, t. IX, épist. 40, p. 955. Pacatus, faute de courage ou d’intelligence, néglige cette circonstance glorieuse.
[81] Pacatus, in Panegyr. vet., XII, 20.
[82] Zozime, l. IV, p. 271, 272. Son témoignage porte, dans cette occasion, l’empreinte de la candeur et de la vérité. Il observe cette alternative d’indolente et d’activité, non pas comme un vice, mais comme une singularité du caractère de Théodose.
[83] Victor avoue et excuse cette disposition à la colère. Sed habes, dit saint Ambroise à son souverain, en termes fermes et respectueux, naturœ impetum, quem si quis lenire velit, cito vertes ad misericordiam : si quis stimulet, in magis exsuscitas, ut eum revocare vix possis (t. II, épist., l. I, p. 998) Théodose (Claud., in IV cons. Honor., 266, etc.) exhorte son fils à modérer son penchant à la colère.
[84] Les chrétiens et les païens crurent unanimement que la sédition avait été excitée par les démons. Une femme de taille gigantesque, dit Sozomène, se promenait dans les rues un fouet à la main ; un vieillard, dit Libanius (Orat., p. 396), se transforma d’abord en jeune homme, et enfin en petit enfant, etc.
[85] Zozime se trompe sûrement dans son récit court et dénué de bonne foi (t. IV, p. 258, 259), lorsqu’il envoie Libanius en personne à Constantinople ; ses propres discours prouvent qu’il resta à Antioche.
[86] Libanius (Orat. I, p. 6, édit. Venet.) déclare que sous un semblable règne la crainte du massacre était absurde, surtout pendant l’absence de l’empereur ; car sa présence, selon cet éloquent esclave, aurait pu légitimer les actions les plus sanguinaires.
[87] Laodicée, sur le bord de la mer, à soixante-cinq milles d’Antioche. (Voyez Noris, Epoch. Syro-Laced., Dissert. III, p. 230.) Les habitants d’Antioche trouvèrent mauvais que la ville de Séleucie, qui dépendait de leur capitale, eût la présomption d’intercéder en leur faveur.
[88] Comme la date des jours où le tumulte eut lieu se rapporte à la fête mobile de Pâques, on ne peut la déterminer sans avoir auparavant fixé l’année. Tillemont (Hist. des Empereurs, t. V, p. 741-744) et Montfaucon (Saint Chrysostome, t. XIII, p. 105-110) ont préféré l’année 387.
[89] Saint Chrysostome compare leur courage, qui ne les exposait pas à un grand danger, à la fuite honteuse des cyniques.
[90] Deux orateurs également distingués par leur mérite, quoique d’opinions différentes, ont écrit la sédition d’Antioche dans un style presque dramatique. (Voyez Libanius, Orat., 14, 15, p. 389-420, édit Morel, Orat. I, p. 1-14, Venet., 1754 ; et les vingt Discours de saint Jean Chrysostome, de Statuis, t. II, p. 1-225, édit. Montfaucon.) Je connais peu les ouvrages de saint Chrysostome, mais Tillemont (Hist. des Empereurs, t. V, p. 263-283) et Hermant (Vie de saint Chrysostome, t. I, p. 137-2+4) avaient lu ses œuvres avec soin, et avec une pieuse exactitude.
[91] Saint Ambroise (t. II, epist. 51, p. 998), saint Augustin (de Civitate Dei, V, 26), et Paulin (in Vit. Sancti Ambrosii, c. 24), expriment en termes vagues leur horreur et leur compassion. On peut y ajouter l’autorité de Sozomène (l. VII, c. 25), Théodoret (l. V, c. 17), Théophane (Chronogr., p. 62), Cedrenus (p. 317) et Zonare (t. II, l. XIII, p. 34) ; témoignages dont le poids n’est pas égal. Le seul Zozime, l’ennemi juré de Théodose, passe sous silence la plus condamnable de toutes ses actions.
[92] Voyez toute l’affaire dans saint Ambroise (t. II, épit. 40, 41, p. 946-956) et son biographe Paulin (c. 23). Bayle et Barbeyrac (Morale des Pères, c. 17, p. 325, etc.) ont justement condamné l’archevêque.
[93] Son sermon est une étrange allégorie tirée de la verge de Jérémie et de l’amandier, de la femme qui lava et oignit les pieds du Christ ; mais la péroraison est directe et personnelle.
[94] Hodiè, episcope, de me proposuisti. Saint Ambroise l’avoue modestement ; mais il réprimande sévèrement Timasius, général de la cavalerie et de l’infanterie, qui avait osé dire que les moines de Callinicum méritaient punition.
[95] Cependant cinq ans après, éloigné de son guide spirituel, Théodose toléra les juifs ; et défendit la destruction de leurs synagogues. Cod. Théod., l. XVI, tit. 8, leg. 9, avec les Commentaires de Godefroy, t. VI, p. 225.
[96] Saint Ambroise, t. I, Epist. 51, p. 997-100 1. Son épître est une mauvaise rapsodie sur un sujet qui méritait d’être traité plus dignement. Saint Ambroise savait mieux agir qu’écrire ; ses compositions manquent de goût et de génie. Il n’a ni le feu de Tertullien, ni l’élégante abondance de Lactance, ni la vivacité spirituelle de saint Jérôme, ni la grave énergie de saint Augustin.
[97] Selon la discipline de saint Basile (canon 56), l’homicide volontaire devait porter quatre ans le deuil, passer les cinq autres années dans le silence, rester prosterné jusqu’à la fin des sept années suivantes, et se tenir debout durant les quatre dernières. J’ai entre les mains l’original (Beveridge, Pandectes, t. II, p. 47-151), et une traduction (Chard., Hist. des Sacrements, l. IV, p. 219-277) des Épîtres canoniques de saint Basile.
[98] La pénitence de Théodose est attestée par saint Ambroise (t. VI, de Obitu Theodos., c.. 34, p., 1207), saint Augustin (de Civit. Dei, v, 26), et Paulin (in Vit. sanct. Ambros., c. 24). Socrate n’en est point instruit. Sozomène (l. VII, c. 25) est fort concis, et il faut user avec précaution du récit prolixe de Théodoret (l. V, c. 18).
[99] Cod. Theodos., l. IX, t. XI, leg. 13. La date et les constances de cette loi présentent beaucoup de difficultés ; mais je me sens porté à favoriser les honnêtes efforts de Tillemont, Hist. des Empereurs, t. V, p. 271 et de Pagi, Critica, t. I, p. 578.
[100] Esprit des Lois, l. XXIV, c. 2.
[101] Τουτο περι τους ευεργετας καθηκον εδοξεν ειναι. Telle est la misérable louange de Zozime (l. IV, p. 267). Saint Augustin se sert d’une expression plus heureuse : Valentinianum..... misericordissima veneratione restituit.
[102] Sozomène, l. VII, c. 14. Sa chronologie est fort incertaine.
[103] Voyez saint Ambroise, t. II, de Obit. Valentinian., c. 15. ; p. 1178 ; c. 36, p. 1184. Tandis que le jeune empereur donnait un festin, il jeûnait lui-même. Il refusa de voir une actrice dont on vantait la beauté, etc. D’après l’ordre qu’il donna de tuer les animaux sauvages qu’il réservait pour les plaisirs de la chasse, il est peu généreux à Philostorgius (l. XI, c. 1) de lui reprocher son penchant pour cet amusement.
[104] Zozime (l. IV, p. 275) fait l’éloge de l’ennemi de Théodose ; mais il est abhorré de Socrate (l. V, c. 25) et d’Orose (l. VII, c. 35).
[105] Saint Grégoire de Tours (l. II, c. 9, p. 165, dans le second volume des historiens de France) a conservé un fragment curieux de Sulpice Alexandre, historien fort supérieur à saint Grégoire.
[106] Godefroy (Dissert. ad Philostorg., p. 429-434) a rassemblé avec soin toutes les circonstances de la mort de Valentinien. Les sentiments opposés et l’ignorance des contemporains prouvent qu’elle fut secrète.
[107] De Obitu Valentinian., t. II, p. 1173-1196. Il est contraint de s’envelopper dans un langage obscur ; cependant il s’exprime avec plus de liberté qu’aucun laïque qu’aucun autre ecclésiastique n’aurait osé le faire.
[108] Voyez c. 51, p. 1188 ; c. 75, p. 1193. Dom Chardon (Hist. des Sacrements, t. I, p. 86), en avouant que saint Ambroise affirme la nécessité indispensable du baptême, tâche de concilier cette contradiction.
[109] Quem sibi Germanus famulum delegerat exul.
Telle est l’expression dédaigneuse de Claudien (IV consul. Honor. 74). Eugène professait le christianisme ; mais il paraît assez probable (Sozomène, l. VII, c. 22 ; Philostorg., l. XI, c. 2), d’après son état de grammairien, qu’il était secrètement attaché au paganisme, et c’en était assez pour lui assurer l’amitié de Zozime (l. IV, p. 276-277).
[110] Zozime (l. IV, p. 278) parle de cette ambassade, mais sans en dire le résultat ; il passe sur-le-champ à une autre histoire.
[111] Zozime, l. IV, p. 277. Il dit ensuite (p. 280) que Galla mourut en couches, et insinue que l’affliction de son mari fut excessive, mais de peu de durée.
[112] Lycopolis est la même que la moderne Siut ou Osiot, une ville de Saïde, à peu près de la grandeur de Saint-Denis, qui fait un commerce lucratif avec le royaume de Sennaar, et possède une fontaine très commode, cujus potu, signa virginitatis eripiuntur. Voyez d’Anville, Descript, de l’Égypte, p, 181 ; Abulféda, Descript. Egypt., p. 14 ; et les notes curieuses de son éditeur Michaëlis, p. 25-92.
[113] Deux amis de saint Jean de Lycopolis ont donné l’histoire de sa vie : Rufin (l. II, c. 1, p. 449) et Palladius (Hist. Lausiac., c. 43, p. 738). Voyez la grande Collection Vitæ Patrum, par Rosweide. Tillemont (Mém. ecclés., t. X, p. 718-720) a mis de l’ordre dans cette chronologie.
[114] Sozomène, l. VII, c. 22. Claudien (in Eutrop., l. I, 312) parle d’un voyage de l’eunuque ; mais il montre le plus grand mépris pour les songes des Égyptiens et pour les oracles du Nil.
[115] Zozime, l. IV, p. 280 ; Socrate, l. VII, 10. Alaric lui-même (de Bell. getic., 524) s’étend avec plus de complaisance, sur ses premiers exploits contre les Romains.
. . . . . . . . . Tot Augustus Hebro qui teste fugavi.
Cependant sa vanité aurait difficilement cité plusieurs empereurs fugitifs.
[116] Claudien (in IV consul. Honor., 77) etc., compare les plans militaires des deux usurpateurs.
. . . . . . . . . Novitas audere priorem
Suadebat,
cautumque dabant exempla sequentem,
Hic
nova moliri prœceps : hic quœrere tutus
Providus.
Hic fusis ; collectas viribus ille.
Hic
vagus excurrens ; hic intra claustra reductus :
Dissimiles, sed morte pares. . . . . . . .
[117] Le Frigidus, rivière peu considérable dans le pays de Goretz, aujourd’hui connue sous le nom de Vipao : elle se jette dans le Sontius ou Lizonzo, au-dessus d’Aquilée, à quelques milles de la mer Adriatique. Voyez les Cartes anciennes et modernes de d’Anville, et l’Italia antiqua de Cluvier, t. I, p. 188.
[118] L’affectation de Claudien est intolérable. La neige était teinte en rouge, la rivière froide fumait, et les cadavres auraient encombré le canal, si la grande quantité de sang n’avait pas augmenté le courant.
[119] Théodoret affirme que saint Jean et saint Philippe apparurent à l’empereur éveillé ou endormi, montés sur leurs chevaux, etc. C’est la première apparition de la cavalerie apostolique, qui se renouvela souvent en Espagne et dans les croisades.
[120] Te propter, gelidis Aquilo de monte procellis.
Obruit
adversas acies ; revolutaque zela,
Vertit
in auctores, et turbine reppulit hastas.
O
nimium dilecte Deo ; cui fundit ab antris
Æolus
armatas hyemes, cui militat Æther,
Et conjurati veniunt ad classica venti !
Ces fameux vers de Claudien (in III consul. Honor., 93, etc., A. D. 396) sont cités par ses contemporains, saint Augustin et Orose, qui suppriment la divinité païenne d’Eole, et, d’après des témoins oculaires, ajoutent quelques circonstances. Quatre mois après cette victoire, saint Ambroise la compara aux victoires miraculeuses de Moïse et de Josué.
[121] Le récit des événements de la guerre civile a été tiré des écrits de saint Ambroise, t. II, épit. 62, p. 1022 ; Paulin, in Vit. Ambros., c. 26-34 ; saint Augustin, de Civit. Dei, V, 26 ; Orose, l. VII, c. 35 ; Sozomène, l. VII, c. 24 ; Théodoret, l. V, c. 24 ; Zozime, l. IV, p. 28t, 282 ; Claudien, in III consul. Honor., 63-105 ; in IV consul. Honor., 70-117 ; et des Chroniques publiées par Scaliger.
[122] Socrate (l. V, c. 26) impute cette maladie aux fatigues de la guerre ; mais Philostorgius (l. XI, c. 2) la considère comme la suite de la mollesse et de l’intempérance ; ce qui lui vaut de la part de Photius le titre d’impudent menteur. Dissert. de Godefroy, p. 438.
[123] Zozime suppose qu’Honorius, encore enfant, accompagna son père (l. IV, p. 280). Cependant le Quanto flagrabant pectora voto est tout ce que la flatterie a pu permettre à un poète contemporain. Il rapporte clairement le refus de l’empereur, et le voyage d’Honorius après la victoire. Claudien, in III cons., 78-125.
[124] Zozime, l. IV, p. 244.
[125] Végèce, de Re militari, l. I, c. 10. La suite de calamités dont il parle, nous donne lieu de penser que le héros à qui il dédie son livre est le dernier et le plus méprisable des Valentiniens.