Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

Chapitre XXII

Julien est déclaré empereur par les légions de la Gaule. Sa marche et ses succès. Mort de Constance. Administration de Julien.

 

 

TANDIS que les Romains languissaient sous la honteuse tyrannie des eunuques et des évêques, tout l’empire, excepté le palais de Constance, retentissait des louanges de Julien. Les Barbares de la Germanie redoutaient le jeune César dont ils avaient éprouvé la valeur. Ses soldats partageaient l’honneur de ses succès. Les provinces heureuses et tranquilles Jouissaient avec reconnaissance des bienfaits de son règne. Mais ses vertus blessaient les favoris qui s’étaient opposés à son élévation. Ils regardaient avec raison l’ami du peuple comme le plus dangereux ennemi de la cour. Jusqu’au moment où sa gloire leur imposa silence, les bouffons du palais, dressés au langage de la satire, essayèrent contre lui le pouvoir de cet art qu’ils avaient si souvent exercé avec succès. Ils avaient aisément remarqué que sa simplicité n’était pas exempte d’affectation, et ils ne désignaient le philosophe guerrier que par les sobriquets insultants de sauvage velu, de singe revêtu de la pourpre. Ses modestes dépêches étaient tournées en ridicule comme les récits mensongers d’un Grec bavard, d’un soldat sophiste qui avait étudié l’art de la guerre dans les jardins de l’académie[1]. L’éclat de ses victoires et les acclamations du peuple étouffèrent la voix de cette absurde malignité. Le vainqueur des Francs et des Allemands ne pouvait plus être représenté comme un objet de mépris, et l’empereur lui-même eut la vile ambition de dérober à son lieutenant l’honorable récompense de ses travaux. Dans les lettres ornées de lauriers qu’il était d’usage d’adresser aux provinces, on omit exprès le nom de Julien. Elles annonçaient que Constance avait fait en personne les dispositions du combat, et signalé sa valeur dans les premiers rangs. La victoire était le fruit de son intelligence, et le roi captif des Barbares lui avait été présenté sur le champ de bataille, dont il était cependant à plus de quarante jours de marche au moment du combat[2]. Une fable si ridicule ne pouvait cependant ni tromper le public, ni satisfaire la vanité de l’empereur. Secrètement convaincu que là gloire de Julien lui avait acquis la faveur et le vœu des Romains, l’esprit inquiet du faible Constance se trouvait disposé à recevoir les impressions de ces sycophantes artificieux qui cachaient leurs desseins perfides sous l’extérieur de l’attachement et de la fidélité pour leur souverain[3]. Loin de dissimuler les brillantes qualités de Julien, ils reconnaissaient et même exagéraient l’éclat populaire de son nom, la supériorité de ses talents, l’importance de ses services, mais en insinuant obscurément que le brave et vertueux César pouvait devenir un ennemi criminel et dangereux, si le peuple inconstant sacrifiait son devoir à son enthousiasme, ou si le désir de la vengeance et d’une autorité indépendante venait tenter la fidélité du général d’une armée victorieuse. Le conseil de Constance décorait les craintes personnelles du souverain du nom respectable de sollicitude paternelle pour la tranquillité publique, tandis qu’en particulier, et peut-être vis-à-vis de lui-même, l’empereur déguisait, sous l’apparence d’une crainte moins odieuse que ses sentiments réels, l’envie et la haine qu’avaient imprimées dans son cœur ces vertus de Julien qu’il ne savait pas imiter.

La tranquillité apparente des Goules et les dangers qui menaçaient les provinces de l’Orient, offraient aux ministres impériaux un prétexte spécieux pour exécuter le dessein qu’ils avaient adroitement concerté. Us résolurent de désarmer le César, de lui enlever les troupes fidèles, sûreté de sa personne et soutien de sa dignité, et d’employer dans une guerre éloignée contre le roi de Perse les intrépides vétérans qui venaient de dompter, sur les bords du Rhin, les plus belliqueuses nations de la Germanie. Tandis que Julien, dans ses quartiers d’hiver à Paris, dévouait ses heures laborieuses à l’administration du pouvoir, qui était pour lui l’exercice du bien, il vit avec étonnement arriver en toute diligence un tribun et un secrétaire impérial, chargés d’ordres positifs de l’empereur qui lui défendait de s’opposer à ce qu’ils exécutassent la commission dont ils étaient spécialement chargés. Quatre logions entières, les Celtes, les Hérules, les Pétulans et les Bataves, devaient immédiatement quitter les drapeaux de Julien, sous lesquels ils avaient marché à la gloire et s’étaient formés à la discipline, et on faisait dans toutes les autres un choix de trois cents des plus jeunes et des plus vigoureux soldats. Ce nombreux détachement, la force de l’armée des Gaules, était sommé de se mettre en marche sans perte de temps, et d’user de la plus brande diligence pour arriver sur les frontières de la Perse avant l’ouverture de la campagne[4]. Le César prévit et déplora les suites de cet ordre funeste. La plupart des auxiliaires s’étaient engagés volontairement, sous la condition expresse qu’on ne leur ferait jamais traverser les Alpes. La foi publique et .l’honneur personnel de Julien avaient été les garants de ce traité militaire. Une si tyrannique perfidie ne pouvait que, détruire la confiance et irriter les guerriers des Germains indépendants, qui regardaient la bonne foi comme la première des vertus, et la liberté comme le bien le plus précieux. Les légionnaires, qui jouissaient du nom et des privilèges de Romains, étaient enrôlés pour servir partout à la défense de la république ; mais ces soldats mercenaires entendaient prononcer avec indifférence les noms de Rome et de république. Attachés par la naissance ou par l’habitude aux mœurs et au climat des Gaulois, ils chérissaient et respectaient Julien ; ils méprisaient et haïssaient peut-être l’empereur, et ils redoutaient une marche pénible, les traits des Persans, et les déserts brûlants de l’Asie. Ils regardaient comme leur patrie le pays qu’ils avaient sauvé, et s’excusaient de leur défaut de zèle sur le devoir plus sacré de défendre leurs parons et leurs amis. D’un autre côté, les habitants du pays voyaient avec effroi le danger inévitable dont ils étaient menaces ; ils soutenaient qu’aussitôt que les Gaules n’auraient plus (le forces respectables à leur opposer, les Germains rompraient un traité que la crainte seule leur avait frit accepter, et que, malgré la valeur et les biens militaires de Julien, le général d’une armée dont il n’existerait plus que le nom, accusé des malheurs publics, se trouverait bientôt, après une vaine résistance, prisonnier dans le camp des Barbares, ou retenti en criminel dans le palais de Constance. En obéissant, Julien souscrivait à sa propre destruction et à celle d’une nation qui méritait son attachement. Mais un refus positif était un acte de rébellion et une déclaration de guerre. L’inexorable jalousie de pouvoir qui dominait l’empereur, son ordre absolu et peut-être insidieux, ne laissaient ni excuse ni interprétation, et l’autorité précaire du jeune César lui permettait à peine le délai ou la délibération. Dans cette situation difficile, Julien se trouvait livré à lui-même ; les artificieux eunuques avaient éloigné Salluste, son sage et fidèle ami. Il n’avait pas même, pour donner quelque force à ses représentations, l’appui de ses ministres, qui auraient été effrayés ou honteux d’approuver la destruction des Gaules. On avait choisi le moment où Lupicinus[5], général de la cavalerie, était occupé en Bretagne à repousser les incursions des Pictes et des Écossais ; et Florentins était allé à Vienne pour y recueillir les tributs. Ce dernier, vil et rusé politique, craignant de se charger, en cette occasion, d’une responsabilité dangereuse, éludait les lettres pressantes et réitérées par lesquelles Julien lui représentait que, dans toutes les affaires importantes, le préfet devait indispensablement se trouver au conseil. D’un autre côté, les messagers de l’empereur persécutaient le César de leurs insolentes sollicitations : ils osaient lui faire entendre qu’en attendant le retour de ses ministres, il se trouverait coupable du délai, et leur donnerait tout,le mérite de l’obéissance. Hors d’état de résister, ne pouvant se décider à obéir, Julien exprimait, dans les termes les plus positifs, son désir et même son intention de quitter la pourpre qu’il ne pouvait plus porter avec gloire, mais à laquelle il ne pouvait renoncer sans danger.

Après un combat pénible, Julien fut forcé de s’avouer que le devoir du sujet le plus élevé en dignité était d’obéir, et que le souverain devait seul décider de l’intérêt public. Il donna les ordres nécessaires pour l’exécution des commandements de l’empereur, et une partie des troupes se mit cri marche vers les Alpes. Les détachements des différentes garnisons s’avancèrent vers les lieux de rassemblement qui leur étaient indiquas. Ils perçaient avec peine la foule des citoyens tremblants et consternés qui cherchaient à exciter leur pitié par un morne désespoir et de bruyantes lamentations. Les femmes des soldats accouraient, portant leurs enfants dans leurs bras, reprochant a leurs maris de les abandonner, et mêlant dans leurs plaintes l’expression de la douleur, de la tendresse et de l’indignation. Cette scène de désolation affligeait la sensibilité de Julien. Il accorda un nombre suffisant de chariots pour transporter les femmes et les enfants[6], tacha d’adoucir les rigueurs qu’il était obligé d’exercer, et, par le plus louable de tous les moyens politiques, il augmenta sa popularité en même temps qu’il enflammait le mécontentement des soldats qu’on bannissait loin de lui. La douleur d’une multitude armée se change aisément en fureur ; les murmures, qui acquéraient d’heure en heure plus de hardiesse et de force, parcourant rapidement toutes les tentes, préparèrent les esprits à la plus audacieuse sédition. Les tribuns favorisèrent la circulation d’un libelle qui peignait des plus vives couleurs la disgrâce du César, les malheurs de l’armée et les vices méprisables du tyran de l’Asie. Le progrès de cette rumeur frappa de crainte et d’étonnement les messagers de Constance. Ils pressèrent le prince de hâter le départ de l’armée ; mais ils rejetèrent imprudemment l’avis plein de sagesse et de loyauté que leur donna Julien de ne pas faire passer les troupes par la ville de Paris i en leur faisant pressentir l’inconvénient de les exposer à la tentation que pourrait leur faire naître une dernière entrevue avec leur général.

Aussitôt qu’on annonça l’arrivée des légions, Julien alla au devant d’elles et monta sur un tribunal qu’il avait fait élever devant les portes de la ville. A près avoir donné des louanges particulières aux officiers et aux soldats qui méritaient cette distinction, Julien s’adressa ; dans un discours étudié, à la généralité des troupes qui l’environnaient. A vanta leurs exploits avec reconnaissance, les exhorta à accepter l’honneur de servir sous les yeux d’un monarque puissant et généreux, et les avertit qu’ils devaient aux ordres d’Auguste une obéissance prompte et volontaire. Les soldats, ne voulant ni offenser leur général par des clameurs indécentes, ni démentir leurs sentiments par des acclamations fausses et mercenaires, gardèrent un morne silence, et, quelques instants après, furent renvoyés dans leurs quartiers. Julien traita les principaux officiers, et leur témoigna, dans tes termes de la plus vive affection, le chagrin de ne pouvoir récompenser comme il le désirait les braves compagnons de ses victoires. Ils se retirèrent de cette fête pleins de douleur et d’incertitude, et déplorèrent les rigueurs du destin qui, en les arrachant de leur pays natal, les séparait d’un général si digne de leur affection. Un seul expédient pouvait le leur conserver : on le discuta hardiment ; il fut adopté. Le mécontentement de la multitude s’était insensiblement tourné en conspiration régulière ; les esprits échauffés exagérèrent de justes sujets de plaintes, et le vin échauffa encore les esprits. Le soir qui précéda leur départ, les soldats avaient eu la liberté de se livrer aux excès d’une fête. A minuit, cette impétueuse multitude, armée d’épées, de torches et de bouteilles, s’élança dans les faubourgs, environna le palais[7], et, oubliant les dangers auxquels elle s’exposait, fit retentir la place du cri fatal et irrévocable de Julien-Auguste. Ce prince, dont les tristes réflexions avaient été interrompues par leurs acclamations tumultueuses, fit barricader ses portes, et, - aussi long- temps qu’il lui fut possible, il déroba sa personne et sa dignité aux événements d’un désordre nocturne. Mais au point du jour, les soldats, dont le zèle était irrité par sa résistance, entrèrent de force dans le palais, et, saisissant l’objet de leur choix avec une respectueuse violence, le portèrent sur son tribunal, le placèrent au milieu d’eux, et, l’épée à la main, traversant ainsi les rues de Paris, le saluèrent comme leur empereur, en répétant à grands cris les mots de Julien-Auguste. La prudence et la fidélité lui ordonnaient également de résister à leurs coupables desseins, et de ménager à sa vertu l’excuse- de la violence. S’adressant alternativement à la multitude et à quelques officiers, tantôt il les suppliait de ne pas le perdre, tantôt il leur exprimait toute son indignation ; il les conjurait de ne pas souiller la gloire immortelle de leurs victoires. Enfin il alla jusqu’à leur promettre que, s’ils rentraient à l’instant dans le devoir, il tâcherait non seulement d’obtenir pour eux de l’empereur un pardon plein et sincère, mais encore de faire révoquer les ordres qui avaient excité leur mécontentement. Mais les soldats connaissaient toute l’étendue de leur faute, et comptaient plus sur la reconnaissance de Julien que sur la clémence de Constance. Leur zèle se changea en impatience, et leur impatience en fureur. L’inflexible César résista jusqu’à la troisième heure du jour à leurs instances, à leurs reproches et à leurs menaces ; il ne céda qu’aux clameurs réitérées, qui lui apprirent qu’il fallait ou mourir ou régner. On l’éleva sur un bouclier, aux acclamations de toute l’armée. Un riche collier militaire qui se trouva là par hasard lui tint lieu de diadème[8] ; la promesse d’une modique gratification[9] termina la cérémonie ; et le nouvel empereur, accablé d’une douleur ou ruelle ou simulée, se retira dans l’intérieur de ses appartements secrets[10].

La douleur de Julien pouvait venir de son innocence ; mais son innocence paraîtra douteuse[11] à ceux qui connaissent assez le caractère général des princes pour se méfier de leurs motifs, et de leurs protestations. Son âme active et véhémente était susceptible de différentes impressions, de la crainte et de l’espoir, de la reconnaissance et de la vengeance, du devoir et de l’ambition, de, l’amour de la gloire et de la crainte du reproche. Mais il est impossible de calculer le degré d’influence que put obtenir alors chacun de ces sentiments, et de prononcer positivement sur des motifs qui échappaient peut- être a celui même dont ils dirigeaient ou plutôt précipitaient les pas. La méchanceté de ses ennemis avait excité le mécontentement des soldats ; la révolte de ceux-ci était l’effet naturel de leur inquiétude et de leur ressentiment. Et, en supposant que, sous les apparences d’un hasard, Julien eût cherché à cacher des desseins secrets, il se serait donné, sans nécessité, et probablement sans réussir à tromper personne, tous les embarras de la plus profonde hypocrisie. Il déclara solennellement, en présence de Jupiter, du Soleil, de Mars, de Minerve et de toutes les autres divinités, que jusqu’à la fin du jour qui précéda celui de son élévation, il ignora le dessein de l’armée[12], et il serait peu généreux de révoquer en doute l’honneur d’un héros et la véracité d’un philosophe. Cependant une conviction superstitieuse que Constance était l’ennemi des dieux dont il se flattait d’être lui-même le favori, put le pousser à désirer, à solliciter, à hâter même l’heureux moment de son règne marqué pour le rétablissement de l’ancienne religion du genre humain. Lorsqu’il eut été averti de la conspiration, il se résigna et prit quelques instants de sommeil ; il a depuis raconté à ses amis qu’il avait vu le génie de l’empire à sa porte, demandant avec quelque impatience à entrer, et lui reprochant son défaut de courage et d’ambition[13]. Surpris et agité, il s’était mis en prières ; et le grand Jupiter, à qui il les adressait, lui avait sur-le-champ intimé, par un signe clair et manifeste, l’ordre de se soumettre à la volonté des dieux et aux désirs de l’armée. Une conduite qui ne peut être jugée par les maximes ordinaires de la raison excite nos soupçons, et échappe à nos recherches. Quand l’esprit du fanatisme ; à la fais si crédule et si artificieux, s’est introduit dans une aime généreuse, il y détruit insensiblement le germe de la vérité et de toutes les vertus.

Le nouvel empereur employa les premiers jours de son règne à modérer le zèle de son parti, à sauver la vie à ses ennemis[14], et à déconcerter, en les méprisant, les entreprises formées contre sa personne et son pouvoir. Quoique déterminé à conserver le titre qu’il venait de prendre, il aurait voulu éviter au pays qu’il gouvernait les calamités d’une guerre civile, ne pas se commettre contre les forces supérieures de Constance, et conserver une réputation exempte du reproche d’ingratitude et de perfidie. Décoré des ornements impériaux et environné d’une pompe militaire, il se montra dans le Champ-de-Mars aux soldats, qui contemplèrent avec enthousiasme, dans leur empereur, leur élève, leur général et leur ami. Il récapitula leurs victoires, se montra sensible à leurs peines, enflamma leurs espérances, contint leur impétuosité, et ne rompit l’assemblée qu’après leur avoir fait solennellement promettre, si l’empereur de l’Orient consentait à un traité équitable, de renoncer à- toute conquête, et de se contenter de la paisible possession des Gaules. D’après cet arrangement, il écrivit, au nom de l’armée et au sien, une lettre adroite et modérée[15]. Deux ambassadeurs, Pentadius, grand-maître des offices, et Eutherius, grand chambellan, furent chargés de la remettre à Constance, d’examiner ses dispositions, et de rapporter sa réponse. La lettre de Julien est signée modestement du nom de César ; niais il réclame positivement, quoique avec respect, la confirmation du titre d’Auguste ; et, en avouant l’irrégularité de son élection, il excuse à un certain point le mécontentement et la violence des soldats qui ont arraché son consentement. Il reconnaît la supériorité de son frère Constance, et s’engage à lui envoyer annuellement un présent de chevaux l’Espagne, à recruter tous les ans son armée d’une troupe choisie de jeunes Barbares, et à recevoir de sa main un préfet du prétoire d’une prudence et d’une fidélité reconnues ; mais il se réserve la nomination de tous les autres officiers civils et militaires, le commandement des armées, les revenus et la souveraineté des provinces au-delà des Alpes. Il invite Constance à consulter les lois de la justice, à se méfier des flatteurs qui ne subsistent que de la discorde des princes, et à accepter la proposition d’un traité honorable, également avantageux pour les peuples et pour la maison de Constantin. Dans cette négociation, Julien ne réclamait que ce qu’il possédait d’avance. La Gaule, l’Espagne et la Bretagne, reconnaissaient, sous le nom indépendant d’Auguste, l’autorité qu’il exerçait depuis longtemps sur ces provinces, avec le titre subordonné de César. Les soldats et les peuples se félicitaient d’une révolution qui n’avait pas même été teinte du sang de ceux qui s’y étaient opposés. Florentius avait pris la fuite, Lupicinus était prisonnier ; on s’était assuré des personnes mal intentionnées pour le nouveau gouvernement ; et les places vacantes avaient été accordées au mérite et aux talons par un prince qui méprisait les intrigues de la cour et les clameurs des soldats[16].

De vigoureux préparatifs de guerre accompagnèrent et soutinrent ses propositions de paix. Les derniers désordres de l’empire aidèrent à recruter et à augmenter l’armée que Julien tenait prête à marcher. La cruelle persécution exercée contre la faction de Magnence avait formé dans la Gaule des bandes nombreuses de voleurs et de proscrits. Ils acceptèrent avec joie une amnistie générale, promise par un prince auquel ils pouvaient se fier, se soumirent à la discipline militaire, et ne retinrent de leurs fureurs qu’une haine implacable pour la personne et le gouvernement de Constance[17]. Aussitôt que la saison permit à Julien d’entrer en campagne, il se mit à la teste de ses légions, jeta un pont sur le Rhin auprès de Clèves, et courut châtier la perfidie des Attuaires, tribu des Francs, qui avait cru pouvoir profiter des dissensions de l’empire pour ravager impunément les frontières. La gloire et la difficulté de cette expédition consistaient dans une : marche dangereuse et pénible, et Julien fut vainqueur dès qu’il eut pénétré dans un pays que plusieurs princes avaient juge’ inaccessible. Après avoir accordé la paix aux Barbares, l’empereur visita soigneusement les forts le long du Rhin, depuis Clèves jusqu’à Bâle, et examina avec une attention particulière les cantons d’oit il avait expulsé les Allemands. Il passa par Besançon[18] qu’ils avaient cruellement saccagé, et marqua son quartier à Vienne pour l’hiver suivant. Après avoir réparé les fortifications de la barrière des Gaules, et en avoir ajouté de nouvelles, il se flatta que les Germains seraient contenus, pendant son absence, par le souvenir de ses victoires et par la terreur de son nom. Vadomair[19] était le seul prince des Allemands qui méritât l’estime de Julien, et qui pût lui donner de l’inquiétude. Tandis que le rusé Barbare feignait d’observer fidèlement les traités, le progrès de ses opérations militaires menaçait d’une guerre dont les circonstances augmentaient le danger. Dans cette situation critique, Julien ne dédaigna point d’imiter la conduite de son ennemi. Au milieu d’une fête où Vadomair s’était rendu imprudemment comme ami, sur l’invitation des gouverneurs romains, il fut saisi et envoyé prisonnier dans le fond de l’Espagne. Sans attendre que les Barbares sortissent de leur étonnement, l’empereur parut sur les bords du Rhin à la tête de son armée, et, après l’avoir traversé, il renouvela dans leur pays l’impression de terreur et de respect qu’il y avait répandue par ses quatre expéditions précédentes[20].

Julien avait ordonné à ses ambassadeurs d’exécuter leur commission avec la plus grande diligence. Mais les gouverneurs d’Italie et d’Illyrie inventèrent différents prétextes pour retarder leur marche. On les conduisit à petites journées de Constantinople à Césarée en Cappadoce ; et lorsqu’ils frirent enfin admis en présence de Constance, les dépêches de ses propres officiers l’avaient déjà instruit et prévenu défavorablement contre Julien et contre l’armée de la Gaule. L’empereur écouta la lecture de la lettre avec impatience, et renvoya les ambassadeurs tremblants avec indignation et avec mépris ; ses regards, ses gestes et ses discours emportés, attestaient le désordre de son Ame. Le lien de famille qui aurait pu contribuer à rapprocher le frère et le mari d’Hélène, venait d’être dissous par la mort de cette princesse : après plusieurs couches toujours fatales à ses enfants, elle venait de périr elle-même dans la dernière[21] ; et depuis la mort de l’impératrice Eusebia, qui avait conservé jusqu’au dernier moment pour Julien la tendre amitié qu’elle poussait jusqu’à la jalousie, et dont la douce influence aurait pu modérer le ressentiment de son époux, l’empereur était abandonné à ses propres passions et aux Artifices de ses eunuques. Mais le danger pressant d’une invasion étrangère lui fit suspendre le châtiment de son ennemi personnel. Il continua de marcher vers les frontières de la l’erse, et crut, qu’il suffisait de dicter à Julien et à ses coupables partisans les conditions qui pourraient leur, obtenir la clémence de leur souverain. Il exigeait que le présomptueux César renonçât immédiatement au titre et au rang d’Auguste qu’il avait accepté des rebelles, et qu’il redescendît au poste de ministre docile et Subordonné ; qu’il rendit les emplois civils et militaires aux officiers choisis par la cour impériale, et qu’il se fiât de sa sûreté aux assurances de pardon qui lui seraient’ données par Épictète, évêque arien de la Gaule, et l’un des favoris de Constance. Les deux empereurs, à trois mille milles l’un de l’autre, continuèrent pendant plusieurs mois, de Paris à Antioche, une négociation inutile. Voyant bientôt que sa respectueuse modération ne servait qu’à irrites l’orgueil de son implacable rival, Julien résolut courageusement de confier sa fortune et sa vie aux hasards d’une guerre civile. Il donna une audience publique et militaire au questeur Léonas, et on lut à la multitude attentive la lettre impérieuse de Constance. Julien protesta, avec la plus flatteuse déférence, qu’il était prêt à quitter le titre d’Auguste, si ceux qu’il reconnaissait comme les auteurs de son élévation voulaient y consentir. Cette proposition, faite avec peu de chaleur, fut repoussée par une clameur générale ; et ces mots : Julien- Auguste, continuez à régner par la volonté de l’armée, du peuple et de l’État que vous avez sauvés, éclatèrent avec le bruit du tonnerre de tous les points de la plaine, et pénétrèrent de terreur le pâle ambassadeur de Constance. On continua la lecture de la lettre, dans laquelle l’empereur se plaignait de l’ingratitude de Julien, qu’il avait revêtu des honneurs de la pourpre après l’avoir élevé avec soin et avec tendresse, avoir protégé son enfance lorsqu’il se trouvait orphelin et sans secours. Orphelin ! s’écria Julien, qui, pour justifier sa cause, se livrait à son ressentiment : l’assassin de mon père, de mes frères, et de toute ma famille, me reproche que je suis resté orphelin ! Il me force à venger des injures que je tâchais depuis longtemps d’oublier. L’assemblée se sépara ; et Léonas, qu’il avait été difficile de mettre à l’abri de la fureur du peuple, retourna vers son maître avec une lettre, dans laquelle Julien peignait à Constance, avec toute l’énergie de l’éloquence enflammée par la colère, les sentiments de haine et de mépris qu’une dissimulation forcée envenimait depuis vingt ans dans son âme. Après ce message, gui équivalait à la déclaration d’une guerre implacable, Julien, qui, quelques semaines auparavant, avait célébré la fête de l’Épiphanie[22], déclara publiquement qu’il confiait le soin de sa vie aux dieux immortels, et renonça avec la même publicité à la religion et à l’amitié de Constance[23].

La situation de Julien demandait des mesures promptes et vigoureuses. Il avait découvert, par des lettres interceptées, que son rival, sacrifiant l’intérêt de l’État à celui du monarque, excitait les Barbares à envahir les provinces de l’Occident. La position de deux magasins, l’un sur les bords du lac de Constance, et l’autre au pied des Alpes Cottiennes, semblait indiquer la marche de deux armées, et six cent mille muids de blé ou plutôt de farine contenus dans chacun de ces magasins[24], annonçaient les forces et le nombre effrayant des ennemis qui se préparaient à l’environner. Mais les légions impériales étaient encore loin de la Gaule dans leurs quartiers d’Asie ; le Danube était faiblement gardé ; et, si Julien pouvait s’emparer par une incursion rapide des importantes provinces de l’Illyrie, il y avait lieu de présumer qu’une foule de soldats suivraient ses drapeaux, et que les riches mines d’or et d’argent de cette province l’aideraient à soutenir les frais de la guerre civile. Il convoqua ses troupes, et leur proposa cette audacieuse entreprise. Il sut leur inspirer une juste confiance en elles-mêmes et dans leur général, les exhorta à soutenir la réputation qu’elles avaient acquise d’être terribles pour les ennemis, douces avec leurs concitoyens, et dociles a leurs officiers. Son discours, rempli de forcé, fut reçu avec les plus vives- acclamations ; et les mêmes troupes qui venaient de prendre les armes contre Constance, parce qu’il avait voulu les faire sortir de la Gaule, déclarèrent qu’elles étaient prêtes à suivre Julien aux extrémités de l’Europe ou de l’Asie. Les soldats firent le serment de fidélité ; frappant à grand bruit sur leurs boucliers, et tournant la pointe de leurs épées nues contre leur poitrine, ils se dévouèrent, avec d’horribles imprécations, au service du libérateur de la Gaule et du vainqueur des Germains[25]. Cet engagement solennel, qui semblait dicté par l’affection plutôt que par le devoir, ne rencontra, d’opposition que de la part de Nebridius, récemment reçu préfet du prétoire. Ce fidèle ministre, sans autre secours, que son courage, défendit les droits de Constance au milieu des armes d’une multitude irritée, dont il aurait été la victime honorable et inutile sans la protection de ce-lui qu’il avait offensé. Après avoir perdu une de ses mains d’un- coup d’épée, il se prosterna aux pieds de Julien, qui le couvrit de son manteau impérial, lui sauva la vie et le renvoya chez lui avec moins de considération : peut-être que n’en méritait la vertu d’un ennemi[26]. Salluste remplaça Nebridius dans le poste éminent de préfet du prétoire ; et les Gaules, soulagées des taxes qui les accablaient, respirèrent sous l’administration douce autant qu’équitable de l’ami de Julien, libre alors de pratiquer les vertus qu’il avait inspirées à son élève[27].

Julien comptait moins sur le nombre de ses troupes que sur la célérité de ses mouvements. Dans L’exécution d’une entreprise hasardeuse, ce prince n’oubliait aucune des précautions que la prudence pouvait lui suggérer ; et quand la prudence ne pouvait plus rien, il se liait du reste à sa valeur et à sa fortune. Il assembla son armée et la divisa dans les environs de Bâle[28]. Nevitta, général de la cavalerie, conduisit un corps de dix mille hommes à travers le cœur des provinces de la Rhétie et de la Norique. Une autre division, sous les ordres de Jovien et de Jovin, suivit les chemins tortueux qui traversent les Alpes et les frontières septentrionales de l’Italie. Des instructions claires et précises enjoignaient à ces généraux de marcher avec diligence et en colonnes serrées., qui pussent toujours se changer en ordre de bataille selon les dispositions du terrain ; de se défendre des surprises nocturnes par des postes avancés et par des gardes vigilantes, de prévenir la résistance par une arrivée imprévue, d’éviter par de prompts départs qu’on eût le temps de les reconnaître, de répandre l’opinion de leurs forces et la terreur du nom de Julien, et de joindre le plus tôt possible leur empereur sous les murs de Sirmium, Julien s’était réservé la tâche la plus difficile et la plus brillante ; suivi de trois mille volontaires braves et agiles, et qui avaient renoncé, comme leur chef, à tout espoir de retraite, il s’enfonça dans l’épaisseur de la forêt Marcienne ou forêt Noire, qui recèle les sources du Danube[29] ; et pendant bien des jours, le sort de Julien fut ignoré de l’univers. Le secret de sa marche, sa diligence et sa viveur, surmontèrent tous- les obstacles. Il pénétrait à travers les montagnes et les matais, s’emparait des ponts ou traversait les rivières à la nage, et suivait toujours son chemin en ligne directe[30], sans examiner s’il traversait le territoire des Romains ou celui des Barbares. Il parut enfin entre Vienne et Ratisbonne, dans l’endroit où il se proposait d’embarquer son armée sur le Danube. Par un stratagème bien concerté, il s’empara d’une flottille de brigantins[31] qui étaient à l’ancre, et d’une provision de vivres grossiers, mais suffisants pour satisfaire l’appétit vorace et peu délicat d’une armée de Gaulois qui s’abandonnèrent audacieusement au cours du Danube. La vigueur active des rameurs, aidée d’un vent favorable, porta la flotte à sept cents milles en onze jours[32] ; et Julien débarqua ses troupes à Bononia, qui n’est éloignée de Sirmium que de dix-neuf milles, avant que les ennemis pussent avoir aucun avis certain de son départ de la Gaule. Dans le cours de sa longue et rapide navigation, Julien ne s’écarta jamais de son objet principal. Il reçut les députations de quelques villes qui s’empressèrent de mériter sa faveur par une soumission volontaire ; mais il passa devant les postes ennemis qui bordaient le Danube, sans être tenté de faire preuve d’une valeur inutile et déplacée. Une foule de spectateurs rassemblés sur les deux bords’ du fleuve, contemplaient la pompe militaire, anticipaient sur la réussite de l’entreprise, et répandaient dans les pays voisins la gloire d’un jeune héros qui s’avançait avec une rapidité plus qu’humaine à la tête des forces innombrables de l’Occident. Lucilien, général de la cavalerie, qui commandait les forces militaires de l’Illyrie, fut alarmé et étourdi ides rapports qu’il n’osait révoquer en doute et qu’il avait cependant peine à croire. Il avait déjà pris quelques mesures lentes et incertaines pour rassembler ses troupes lorsqu’il fut surpris par Dagalaiphus, officier actif, que Julien, aussitôt après son débarquement, envoya en avant avec un corps d'infanterie légère. On fit monter à la hâte sur un cheval le général captif, et ne sachant s'il devait attendre la vie ou la mort ; on le conduisit en présence de Julien, et l'empereur, le relevant avec affabilité, dissipa la terreur et l'étonnement qui engourdissaient toutes ses facultés. Mais Lucilien, à peine revenu à lui-même, eut l'indiscrétion d'observer à Julien qu'il s'était imprudemment hasardé avec une si faible escorte au milieu de ses ennemis : Réservez, lui dit Julien avec un sourire de mépris, vos timides remontrances pour votre maître Constance, en vous donnant le bas de ma robe à baiser; je ne vous ai pas reçu comme un conseiller, mais comme un suppliant. Convaincu que le succès pouvait seul justifier son entreprise, et que le succès dépendait de son audace, Julien attaqua immédiatement, à la tête de trois mille soldats, la ville la plus forte et la plus peuplée de la province d'Illyrie. Lorsqu'il traversa le long faubourg de Sirmium, le peuple et les soldats le reçurent avec des cris de joie, ils le couronnèrent de fleurs, le conduisirent avec des torches allumées jusqu'au palais impérial, et le reconnurent pour leur souverain. L'empereur se livra pendant deux jours à la joie publique manifestée par les jeux du cirque. Mais le troisième jour il partit de grand matin pour s'emparer du passage étroit de Succi, dans les défilés du mont Hémus; qui, situé à une distance à peu près égale de Sirmium et de Constantinople, sépare les provinces de la Thrace et de la Dacie, et, présentait du côté de la première une descente escarpée, se termine du côté de l'autre par une pente douce et facile[33]. La défense de ce poste important fut confiée au brave Nevitta, qui, ainsi que les autres généraux de la division italienne, avait exécuté avec succès la marche et la jonction si habilement combinées[34] par le souverain.

Les craintes ou l'inclination des peuples étendirent l'autorité de Julien bien au-delà de ses conquêtes militaires[35]. Taurus et Florentius gouvernaient les préfectures d'Italie et d'Illyrie, et joignaient cet important office au vain titre de consuls. Ces magistrats s'étaient retirés précipitamment à la cour d'Asie ; et Julien, qui ne pouvait pas toujours contenir son penchant à la raillerie, couvrit les consuls de ridicule en ajoutant à leur nom, dans tous les actes de l'année, l'épithète de fugitif. Les provinces qu'ils avaient abandonnées reconnurent pour leur empereur un prince qui, unissant les qualités d’un soldat à celles d’un philosophe, se faisait également admirer dans les camps sur le Danube et dans les académies de la Grèce. De son palais, ou, pour mieux dire, de son quartier général de Sirmium et de Naissus, il fit distribuer dans les principales villes de l’empire une adroite apologie de sa conduite, dans laquelle il eut soin d’insérer les dépêches secrètes de Constance, et de soumettre au jugement du public le choix de deux princes, dont l’un chassait les Barbares, tandis que l’autre les appelait[36]. Julien, profondément blessé du reproche d’ingratitude, n’était pas moins empressé de défendre sa cause par la force des arguments que par celle des armes, et voulait paraître aussi supérieur par ses talons d’écrivain que par son habileté dans l’art de la guerre. Dans sa lettre adressée au sénat et au peuple d’Athènes[37], il semble qu’animé d’enthousiasme pour la patrie des lettres, il soumette sa conduite et ses motifs à cette nation dégénérée, avec une déférence aussi respectueuse que s’il eût plaidé, du temps d’Aristide, devant le tribunal imposant de l’aréopage. Sa démarche auprès du sénat de Rome, à qui l’on permettait encore de ratifier les élections des empereurs, était ‘conforme aux usages de la république expirante. Tertullus, préfet de la ville, convoqua une assemblée. On lut la lettre de Julien, et comme il était pour le moment le maître de l’Italie, sa demande fut admise à l’unanimité. Mais les sénateurs n’approuvèrent pas également ses censures indirectes des innovations de Constantin, non plus que ses violentes invectives, contre Constance. Ils s’écrièrent tout d’une voix, comme si Julien eût été présent : Ah ! respectez, de grâce, l’auteur de votre fortune[38]. Cette exclamation équivoque était susceptible d’être expliquée comme un reproche d’ingratitude si l’usurpateur succombait ; et, dans le cas contraire, elle pouvait signifier qu’en contribuant à l’élévation de Julien, Constance avait suffisamment réparé toutes ses fautes.

Constance fut informé de l’entreprise et des succès de Julien au moment où la retraite de Sapor suspendait la guerre de Perse et permettait de s’occuper des rebelles. Dégoisant l’angoisse de son âme sous l’extérieur du mépris, le fils de Constantin annonça son retour en Europe et le dessein de donner la chasse à Julien ; car ce n’était jamais que comme d’une partie de chasse qu’il parlait de cette expédition[39] ; et quand il en fit part à l’armée dans le camp d’Hiérapolis, il ne fit mention que très - légèrement du crime et de l’imprudence de Julien, et assura ses soldats que, si les mutins de la Gaule avaient l’audace de paraître devant eux en plaine, ils ne supporteraient pas le feu de leurs peux, et seraient renversés du seul bruit de leurs cris de guerre. L’armée d’Orient applaudit au discours de I’empereur ; et Théodote, président du conseil d’Hiérapolis, demanda avec des larmes d’adulation que la tête du rebelle Julien devînt un des ornements de sa ville[40]. Un détachement choisi partit dans des chariots de poste pour occuper, s’il en était temps encore, le passage de Succi. Les recrues, les chevaux, les armes et les magasins destinés pour les frontières de la Perse, furent employés contre les Gaulois ; et le succès que Constance avait eu dans toutes les guerres civiles, laissa ses courtisans sans inquiétude. Un magistrat nommé Gaudentius, s’étant assuré des provinces d’Afrique au nom de Constance, arrêta les approvisionnements destinés pour Rome, et cette ville manqua de subsistances. L’embarras de Julien fut encore augmenté par un événement imprévu qui aurait pu avoir les suites les plus funestes. Deux légions et une cohorte d’archers, cantonnées auprès de Sirmium, s’étaient enrôlées sous ses drapeaux ; mais, avec raison, il comptait peu sur la fidélité de ces troupes que l’empereur avait distinguées d’une manière particulière ; et, sous le prétexte de défendre les frontières de la Gaule, il les éloigna du théâtre d’une guerre active, la plus importante pour lui. Ce petit corps d’armée avança en murmurant jusqu’aux frontières de l’Italie. Mais bientôt la crainte des fatigues d’une longue marche, celle que leur inspirait la férocité des Germains qu’ils allaient combattre, achevèrent d’aliéner les soldats. Excités par un de leurs tribuns, ils s’arrêtèrent à Aquilée, et arborèrent les drapeaux de Constance sur les murs de cette ville imprenable. Julien aperçut d’un coup d’œil toute l’étendue du danger, et la nécessité d’y remédier avec promptitude. Jovin retourna par ses ordres en Italie avec une partie de l’armée ; il commença immédiatement le siège d’Aquilée et le poursuivit avec la plus grande vigueur. Mais ces légionnaires, qui avaient semble renoncer à toute discipline, défendirent la place avec autant d’habileté que de constance, invitèrent toute l’Italie à imiter leur courage et leur fidélité, et menacèrent de couper la retraite de Julien s’il était force de céder à la supériorité du nombre des armées d’Orient[41].

Détruire ou périr, telle était la cruelle alternative qui s’offrait à l’humanité de Julien, et qu’il déplore si pathétiquement. Mais il n’y fut pas réduit, et la mort de Constance, arrivée à propos, préserva l’empire romain des calamités d’une guerre civile. Pressé d’un désir de vengeance auquel ses favoris n’avaient osé s’opposer, il était parti d’Antioche malgré l’approche de l’hiver, avec une petite fièvre causée sans doute par l’agitation de son esprit. Les fatigues de la route l’augmentèrent, et Constance fut obligé de s’arrêter dans la petite ville de Mopsucrène, douze milles en deçà de Tarse, où il expira après une courte maladie, dans la quarante-cinquième année de son âge, et la vingt-quatrième de son règne[42]. Son caractère, que nous avens suffisamment fait connaître dans le récit des événements civils et ecclésiastiques, était un composé de faiblesse et d’orgueil, de superstition et de cruauté. Un long abus de sa puissance en avait fait un objet redoutable aux yeux de ses contemporains ; mais comme le mérite personnel a seul le droit d’intéresser la postérité, nous nous bornerons à remarquer que le dernier des fils de Constantin hérita de tous les défauts de son père sans aucun de ses talents. On dit qu’avant, de mourir il nomma Julien pour son successeur ; et il paraîtrait assez probable que son inquiétude pour une jeune épouse qu’il aimait, tendrement, et qu’il laissait enceinte, l’eût emporté, dans les derniers moments de sa vie, sur des sentiments de haine et, de vengeance. Eusèbe et ses coupables associés firent une faible tentative pour prolonger le règne des eunuques par l’élection d’un autre empereur ; mais leurs intrigues furent rejetées avec dédain par une armée à qui toute idée de guerre civile était devenue odieuse. Deux ces officiers principaux partirent sur-le-champ pour assurer Julien que tous les soldats de l’empire étaient prêts à marcher sous ses drapeaux. Cet heureux événement rendit inutiles les dispositions militaires du prince, et prévint trois diffèrentes attaques qu’il dirigeait contre la Thrace ; sans verser le sang de ses concitoyens, sans courir le hasard des combats, il obtint tous les avantages d’une victoire complète. Impatient de visiter le lieu de sa naissance et la nouvelle capitale de l’empire, il s’avança de Naissus à travers les montagnes d’Hémus et les villes de la Thrace. Quand il eut atteint Héraclée, à soixante milles de Constantinople, la ville entière sembla sortir des murs pour le recevoir, et il fit son entrée triomphale au milieu des soldats et du sénat. Une multitude innombrable l’environnait avec un respect avide, et fut peut-être désagréablement surprise de la petite taille et du costume simple d’un jeune héros dont les premiers exploits avaient été la défaite des Germains, et qui venait de traverser, clans une expédition heureuse, tout le continent de l’Europe depuis les bords de la mer Atlantique jusqu’à celui du Bosphore[43]. Peu de jours après, lorsqu’on débarqua les restes de Constance dans le port, les sujets de Julien applaudirent à la sensibilité réelle ou affectée de leur souverain. A pied, sans diadème, et vêtu d’un habit de deuil ; il accompagna le convoi jusqu’à l’église des Saints-Apôtres, où le corps fut déposé ; et, si cette démarche respectueuse peut être regardée comme un hommage rendu par la vanité au rang et à la naissance de son prédécesseur et de son parent, les larmes de Julien montrèrent à l’univers qu’oubliant les crimes de Constance, il se rappelait seulement les faveurs qu’il en avait reçues[44]. Dès que les légions d’Aquilée apprirent avec certitude la mort de l’empereur, elles ouvrirent les portes de la ville, et, par le sacrifice de quelques chefs coupables, obtinrent aisément leur pardon de l’indulgence ou de là prudence de Julien, qui, dans la trente-deuxième année de son âge, acquit la possession paisible de tout l’empire[45].

Julien avait appris de la philosophie à comparer les jouissances de la retraite à celles d’une vie active ; mais l’éclat de sa naissance et les événements ne lui avaient jamais laissé la liberté du choix. Il aurait peut-être sincèrement préféra les jardins de l’académie et la société d’Athènes ; mais, forcé d’abord par la volonté de Constance et ensuite par son injustice à exposer ra personne et sa réputation aux dangers de la grandeur impériale, et à se rendre responsable devant l’univers et la postérité du bonheur de plusieurs millions d’hommes[46], Julien se ressouvint avec frayeur d’une des pensées de Platon[47]. Ce philosophe observe que le soin de notre bétail et de nos troupeaux est confié à des êtres qui leur sont supérieurs en intelligence, et que le gouvernement des hommes et des nations exigerait l’intelligence et le pouvoir célestes des dieux et des génies. En partant de ce principe, il conclut que l’homme qui a l’ambition de régner doit aspirer à une perfection plus qu’humaine, qu’il doit purifier son âme de toute la partie terrestre et mortelle, éteindre ses appétits, cultiver son intelligence, régler ses passions, et dompter la brute sauvage qui, selon la vive expression d’Aristote[48], manque rarement de monter sur le trône du despote. Celui de Julien, auquel la mort de Constance venait de donner une base solide et indépendante, fut le siège de la raison, de la vertu et peut-être de la vanité. Ce prince méprisa les honneurs, renonça aux plaisirs, et remplit avec la plus grande exactitude tous les devoirs d’un souverain. Il se serait trouvé peu d’hommes parmi ses sujets qui eussent consenti à le décharger du poids de son diadème, s’il eût fallu qu’ils soumissent leur temps et leurs actions aux lois rigoureuses que s’était imposées leur empereur. Un de ses plus intimes amis[49], qui partageait souvent sa table simple et frugale, a remarqué que ses mets légers et peu abondants (ordinairement composés de végétaux) lui laissaient, toujours la liberté de corps et d’esprit nécessaire aux différentes occupations d’un auteur, d’un pontife, d’un magistrat, d’un général et d’un monarque. Dans un même jour, il donnait audience à plusieurs ambassadeurs ; il dictait et écrivait un grand nombre de lettres aux magistrats civils, à ses généraux, à ses amis particuliers et aux différentes villes de son empire. Il écoutait la lecture des mémoires qu on lui présentait, réfléchissait sur les demandes, et dictait ses réponses plus vite qu’aucun secrétaire ne pouvait les écrire en abrégé. Il avait une si extrême flexibilité d’esprit, une attention si facile et si soutenue, qu’il pouvait employer en même temps sa main à écrire, son oreille à écouter, sa voix à dicter, et suivre ainsi à la fois trois différentes chaînes d’idées sans jamais hésiter ni les confondre. Lorsque ses ministres se reposaient, il volait d’un travail à un autre ; après un court repas, il se retirait dans sa bibliothèque, et se livrait à l’étude jusqu’à l’heure qu’il avait indiquée dans l’après-midi pour reprendre les affaires publiques. Le souper de l’empereur citait un diminutif de son faible dîner. Son sommeil n’était jamais appesanti par les vapeurs de la digestion ; et, si l’on excepte le court intervalle d’un mariage auquel la politique présida plutôt que l’amour, le chaste Julien n’admit jamais de compagne dans son lit[50]. Ses secrétaires se relevaient ; ceux qui avaient dormi la veille se présentaient chez l’empereur de très grand matin ; et ses domestiques veillaient alternativement, tandis que leur infatigable maître ne se reposait guère qu’en changeant d’occupations, Les prédécesseurs de Julien, son oncle, son frère, son cousin, sous un prétexte spécieux de déférence pour les goûts du peuple, se livraient eux-mêmes à leur goût puéril pour les jeux du cirque, où ils passaient souvent la plus grande partie de la journée, spectateurs oisifs et faisant eux-mêmes partie du spectacle, jusqu’à ce que les vingt-quatre courses ordinaires fussent terminée[51]. Aux jours de fêtes solennelles, Julien, qui, peu soumis à la anode du moment, ne cherchait point à cacher sa répugnance pour ces frivoles passe-temps, avait la complaisance de paraître dans le cirque. Mais, après avoir jeté quelques regards d’indifférence sur cinq ou six courses, il se retirait précipitamment avec l’impatience d’un philosophe qui regardait comme perdus tous les moments qu’il n’employait pas au bien public ou à la culture de son esprit[52]. Par cette sévère économie de temps, il allongea en quelque façon la courte durée de son règne ; et, si les dates étaient moins certaines, nous ne pourrions pas croire qu’il ne s’est passé que seize mois entre la mort de Constance et le départ de son successeur pour la guerre de Perse. L’histoire ne peut conserver que le souvenir de ses actions ; mais ce qui existe encore de ses volumineux écrits atteste son application et l’étendue de son génie. Le Misopogon, les Césars, plusieurs de ses discours, et son ouvrage savant et rédigé avec soin contre la religion chrétienne, furent composés pendant les longues nuits de deux hivers, dont il passa le premier à Constantinople, et l’autre à Antioche.

La réforme de la cour impériale fut un des premiers actes et des plus nécessaires du gouvernement de Julien[53]. Peu après son entrée dans le palais de Constantinople, il eut besoin du service d’un barbier. Un officier magnifiquement vêtu se présenta respectueusement. C’est un barbier que je demande, s’écria le prince avec une feinte surprise, et non pas un receveur général des finances[54]. Il lui demanda en quoi consistaient les profits de son emploi, et il apprit qu’en outre d’un salaire et de quelques profits considérables, le’ barbier avait encore la subsistance ale vingt valets et d’autant de chevaux. L’abus d’un luxe mutile et ridicule avait créé mille charges de barbiers, mille chefs de gobelets, mille cuisiniers et le nombre des eunuques ne pouvait se comparer qu’à celui des insectes dans un jour d’été[55]. Le monarque, qui cédait volontiers à ses sujets la supériorité de mérite et de vertu, se distinguait par la désastreuse magnificence de ses habits, de sa table, de ses bâtiments et de sa suite. Les palais construits par Constantin et par ses fils étaient décorés d’un grand nombre de marbres colorés et d’ornements d’or massif. Les jouissances de la sensualité la plus raffinée étaient rassemblées moins pour satisfaire leur goût que leur vanité : des oiseaux des climats les plus éloignés, des poissons à l’extrémité des mers, des fruits hors de leur saison, des roses d’hiver et des neiges dans la canicule[56]. La dépense de cette multitude de domestiques du palais surpassait celle des légions : et il n’y en avait qu’une faible partie qui servit à l’utilité ou même à la splendeur du trône. La plupart de ces charges vénales et obscures, la honte du prince et la ruine des peuples, n’étaient qu’honorifiques, et les plus vils de la nation pouvaient acheter avec leur argent le droit de vivre dans l’aisance et dans l’oisiveté, aux dépens du revenu public. Le pillage d’une énorme maison, les suppléments de profits et de gratifications bientôt réclamés comme un droit, et les dons qu’ils arrachaient également de ceux qui craignaient leur haine et de ceux qui réclamaient leur faveur, enrichissaient promptement ces valets audacieux. Ils dissipaient leurs richesses sans réfléchir à la misère dont ils venaient de sortir, et dans laquelle ils pouvaient encore retomber, et l’excès de leurs rapines et de leur vénalité ne pouvait se, comparer qu’à l’extravagance de leurs dissipations. Ils portaient des robes de soie brodées d’or à leurs tables étaient servies avec délicatesse et profusion ; les maisons construites pour leur servir d’habitation occupaient plus de terrain que le patrimoine d’un ancien consul ; et les citoyens les plus distingués étaient forcés de descendre de leurs chevaux pour saluer respectueusement un eunuque qu’ils rencontraient sur les grands chemins. Le luxe du palais excita le mépris et l’indignation de Julien, qui couchait habituellement sur le plancher, qui s’accordait à peine les premières nécessités de la vie, et qui plaçait sa vanité, non pas dans l’imitation, mais dans le mépris du faste de la royauté. Il était impatient que la suppression totale d’un abus dont l’opinion publique exagérait encore l’étendue, diminuât les impôts et apaisât les murmures des peuplés, qui supportent, plus docilement le poids des taxes quand ils sont convaincus que le fruit de leur industrie est appliqué au service de l’État. Nais on accuse Julien d’avoir exécuté ce changement salutaire avec trop de précipitation et de sévérité. Par un seul édit, il fit du palais de Constantinople un vaste désert, et renvoya ignominieusement les esclaves et les serviteurs[57] sans exception, et sans aucun des égards de justice ou du moins (le bienveillance que pouvaient mériter l’âge, les services ou la pauvreté des fidèles domestiques de la famille impériale. Tel était à la vérité le caractère de Julien. Il oubliait souvent la maxime d’Aristote, qui place la véritable vertu à une distance égale entre les deux vices opposés. La parure fastueuse et efféminée des Asiatiques, la frisure, le fard, les bracelets et les colliers qui avaient couvert Constantin de ridicule, étaient indignes sans doute de la philosophie de son successeur ; mais, en s’éloignant d’une élégance efféminée, Julien semblait renoncer à se vêtir décemment et s’enorgueillir de sa malpropreté. Dans un écrit satirique, et destiné au publie, l’empereur appuie avec complaisance, et même avec un orgueil cynique, sur la longueur de ses ongles et sur l’encre dont ses mains sont toujours tachées ; il proteste que, quoiqu’il ait presque tout le corps velu, jamais le rasoir n’a passé que sur sa tête, et il fait avec satisfaction l’éloge de sa barbe touffue et habitée, qu’il chérit, à l’imitation des philosophes de la Grèce[58]. Si Julien eût suivi les principes du bon sens, le premier magistrat des Romains aurait également dédaigné l’orgueil de Diogène et la vanité de Darius.

Mais l’ouvrage de la réforme publique serait resté imparfait, si, en corrigeant les abus du règne précédent, Julien eût négligé d’en punir les crimes. Nous sommes enfin délivrés, dit ce prince dans une lettre à un de ses amis familiers, nous sommes miraculeusement délivrés de la gueule dévorante de l’hydre[59]. Ce n’est point mon frère Constance que je prétends désigner par cette épithète. Il n’est plus ; que la terre repose légèrement sur sa tête ! Mais ses perfides et barbares favoris passaient leur vie à tromper et à irriter un prince dont il serait difficile de louer la douceur naturelle sans se rendre coupable d’adulation. Nyon dessein n’est cependant pas que ceux-là même soient punis illégalement ; on les accuse, ils jouiront du bienfait d’un jugement équitable et impartial. Julien nomma, pour faire les informations, six juges d’un rang distingué dans l’État et dans l’armée ; et, pour éviter le reproche d’avoir condamné lui-même ses ennemis personnels, il plaça ce tribunal extraordinaire dans Chalcédoine, sur la rive asiatique du Bosphore, et autorisa les commissaires à prononcer et à exécuter leurs sentences finales sans appel et sans délai. Le vénérable préfet d’Orient, un second Salluste, occupa la place de président[60]. Ses vertus lui conciliaient également l’estime des philosophes grecs et celle des prélats chrétiens ; il avait pour adjoint l’éloquent Mamertin[61], un des deux consuls élus, dont le mérite supérieur nous est connu par le témoignage un peu suspect qu’il se donne à lui-même. Mais la sage équité des deux magistrats civils était contrebalancée par la violence féroce des quatre généraux, Nevitta, Agilo, Jovin et Arbetio. Arbetio, que le public aurait vu avec moins d’étonnement sur la sellette que sur un tribunal, passait pour avoir le secret de la commission. Les chefs armés et furieux des bandes Jovienne et Herculienne environnaient le tribunal, et les juges obéissaient alternativement aux règles de la justice et aux clameurs d’une faction[62].

Le chambellan Eusèbe, qui avait abusé si longtemps de la faveur de Constance, expia par une mort ignominieuse, l’insolence, la corruption et les fureurs de son règne servile. Les exécutions de Paul et d’Apodème, dont le premier fut brûlé vif, passèrent pour une faible réparation aux yeux des veuves et des orphelins de cette foule de citoyens romains trahis et assassinés par eux. Mais la justice elle-même, si nous pouvons faire usage de l’expression pathétique d’Ammien[63], pleurai sur le sort d’Ursule, trésorier de l’empire ; et sa mort fût une tache d’ingratitude dans la vie de Julien, que cet intrépide et vertueux ministre avait libéralement secouru dans ses besoins. La fureur des soldats irrités d’une démarche indiscrète du trésorier fut la cause de sa mort et lui servit d’excuse. L’empereur, profondément tourmenté par ses propres remords et par les reproches du public, offrit quelques consolations à la famille d’Ursule, en lui restituant sa fortune. Avant la fin de l’année dans laquelle ils avaient obtenu les honneurs de la préfecture et du consulat[64], Taurus et Florentins se virent réduits à implorer la clémence de l’inexorable tribunal de Chalcédoine, qui bannit le premier à Vercelles en Italie, et porta contre l’autre une sentence de mort. Un prince sage aurait récompensé le crime que l’on reprochait à Taurus : ce fidèle ministre, ne pouvant plus résister aux forces d’un rebelle, s’était réfugié à la cour de son bienfaiteur, de son légitime souverain. Mais Florentius méritait toute la sévérité de ses juges, et sa fuite fournit à Julien l’occasion de montrer sa générosité, en imposant silence au zèle intéressé d’un délateur qui voulait lui indiquer la retraite de ce misérable fugitif[65]. Quelques mois après la suppression du redoutable tribunal de Chalcédoine, le substitut du préteur d’Afrique, le magistrat Gaudentius et Artemius[66], duc d’Égypte, furent exécutés à Antioche Artemius, tyran cruel et corrompu, avait longtemps désolé une grande province : Gaudentius, avait longtemps pratiqué l’art ténébreux de la calomnie contre les innocents, contre les citoyens vertueux et contre Julien lui-même. Cependant on conduisit si maladroitement leur procès et leur jugement, que ces hommes pervers passèrent dans l’opinion publique pour les victimes honorables de l’opiniâtre fidélité avec laquelle ils avaient soutenu la cause de Constance. Une amnistie générale fut accordée à tous les autres serviteurs, et ils purent jouir avec impunité des dons qu’ils avaient obtenus, soit pour défendre ou pour accabler les malheureux. Cette grâce, qui, considérée politiquement, peut mériter notre approbation, s’exécuta d’une manière qui semblait dégrader la majesté du trône. Une multitude d’importuns, la plupart Égyptiens, assiégeaient Julien sans relâche, et redemandaient hautement des dons obtenus frauduleusement ou accordés par imprudence. L’empereur, prévoyant une longue suite de procès sans fin, donna aux Égyptiens sa parole, qui aurait dû toujours être sacrée, que s’ils voulaient se rendre à Chalcédoine, il irait lui-même écouter et juger leurs demandes ; mais à peine furent-ils arrivés au rendez-vous, que Julien publia une défense absolue à tous les mariniers de transporter aucun Égyptien à Constantinople, et laissa en Asie ses clients trompés, jusqu’au moment où leur bourse et leur patience étant également épuisées, ils retournèrent dans leur patrie avec des murmures d’indignation[67].

Julien congédia la nombreuse armée d’espions, d’agents et de délateurs, que Constance avait enrôlés pour assurer le repos d’un seul homme, aux dépens de celui de tous les citoyens de l’empire. Son généreux successeur était lent dans ses soupçons, et modéré dans ses punitions ; un mélange de jugement, de courage et de vanité, portait Julien à dédaigner les traîtres. Intérieurement convaincu de la supériorité de son propre mérite, il n’imaginait pas qu’aucun de ses sujets osai se soulever ouvertement contre lui, attenter à sa vie en particulier, ni même s’asseoir sur son trône en son absence. Le philosophe savait excuser les imprudentes saillies du mécontentement, et le héros méprisait des projets ambitieux qui surpassaient la fortune et l’habileté des conspirateurs. Un citoyen de la ville d’Ancyre s’était fait faire une robe pourpre ; l’officieuse importunité d’un de ses ennemis personnels instruisit Julien de cette indiscrétion, qui, sous le règne de Constance, aurait été regardée comme un crime capital[68]. Le monarque, après s’être informé du rang et du caractère de son rival, lui envoya, par l’officieux délateur, une paire de pantoufles pourpres, pour compléter la magnificence de son vêtement impérial. Dix de ses gardes tramèrent une conspiration plus dangereuse, et firent le projet d’assassiner Julien à Antioche, dans l’endroit où l’on exerçait les troupes. Ils trahirent leur secret dans l’ivresse, et furent conduits chargés de chaînes en présence de l’empereur. Julien, après leur avoir vivement fait sentir le crime et l’imprudence de leur entreprise, au lieu des tortures et de la mort qu’ils méritaient et qu’ils attendaient, prononça une- sentence de bannissement contre les deux principaux coupables. La seule occasion dans laquelle Julien semble s’être écarté de sa clémence ordinaire, est l’exécution d’un jeune imprudent, qui, d’une main faible et impuissante, voulut saisir les rênes de l’empire. Mais ce jeune ambitieux était fils de Marcellus, le général de cavalerie qui, dans la première campagne contre les Gaulois, avait déserté les drapeaux du César et le parti des Romains. Julien, sans être soupçonné de vouloir venger son injure personnelle, pouvait confondre dans un même châtiment le crime du fils et celui du père. Mais il fut touché de la douleur de Marcellus, et l’empereur tâcha d’adoucir, par ses libéralités la blessure que le général avait reçu par la main sévère de la justice[69].

Julien n’était point insensible aux avantages de la liberté publique[70]. Il était imbu dans ses études, de l’esprit des sages et des héros : sa fortune et sa vie avaient dépendu longtemps du caprice d’un tyran ; et quand il monta sur le trône, son orgueil souffrit souvent, en réfléchissant que des esclaves qui n’avaient pas blâmer ses défauts, n’étaient pas dignes d’applaudir à ses vertus[71]. Il abhorrait le système de despotisme oriental, que Dioclétien, Constantin et les patientes habitudes de quatre-vingts années avaient établi dans l’empire. Un motif de superstition l’empêcha d’exécuter le projet sur lequel il s’était souvent arrêté, de soustraire sa tête au joug d’un diadème trop chèrement payé[72]. Mais if refusa toujours le titre de dominus ou seigneur[73], dénomination devenue si familière aux Romains, qu’ils ne se rappelaient plus spa origine servile et humiliante. Ce prince, à qui les débris de la république inspiraient un sentiment de respect, chérissait l’office ou plutôt le nom de consul ; il adopta par choix et par inclination la conduite qu’Auguste avait suivie par prudence. Aux calendes de janvier, les nouveaux consuls Mamertin et Nevitta vinrent, dès le point du jour, présenter leurs respects à l’empereur. Quand on l’eut informé de leur approche, il descendit de son trône, alla au devant d’eux, et força les magistrats embarrassés de recevoir les démonstrations de son humilité affectée. Du palais ils allèrent au sénat ; l’empereur à pied marchait devant leurs litières ; et la foule du peuple étonné admirait l’image des anciens temps, ou blâmait peut-être en secret une conduite qui dégradait à ses yeux l’éclat de la pourpre[74]. Mais Julien ne se démentit dans aucune occasion. Tandis qu’il assistait un jour aux jeux du cirque, il affranchit, ou par inadvertance, ou peut-être à dessein, un esclave en présence du consul. Dès qu’on l’eut averti qu’il empiétait sur la juridiction d’un autre magistrat, il se condamna lui-même à payer une amende de dix livres d’or, et saisit celte occasion de prouver qu’il était, comme tous les citoyens soumis aux lois et même aux formes de la république[75]. Des vues d’administration, et son respect pour le lieu de sa naissance, déterminèrent Julien à conférer au sénat de Constantinople les honneurs, les privilèges et l’autorité dont le sénat de Rome jouissait encore exclusivement[76]. On supposa que la moitié du conseil national était passée en Orient, et cette fiction légale s’établit insensiblement dans l’opinion. Les successeurs despotiques de Julien acceptèrent le titre de sénateurs, et se reconnurent membres d’un corps respectable, qui conservait le droit de représenter la majesté du nom romain. L’attention du monarque ne se borna pas à Constantinople, elle s’étendit sur les sénats municipaux des provinces. Il supprima par plusieurs édits les exemptions injustes et pernicieuses qui éloignaient une foule de citoyens oisifs du service de leur pays ; et, par une distribution égale des charges publiques, il rendit la force et l’éclat, ou, pour nous servir de la brillante expression de Libanius[77], il rendit l’âme et la vie aux villes expirantes de l’empire. La vénérable antiquité de la Grèce inspirait à Julien une tendresse respectueuse, qui éclatait en transports, au souvenir des dieux, des héros, et des hommes supérieurs aux héros et aux dieux, qui avaient légué à la dernière postérité les monuments de leur génie ou l’exemple de leurs vertus. Par ses soins paternels, les villes de l’Épire et du Péloponnèse[78] furent soulagées, et reprirent une partie de leur ancienne splendeur. Athènes le reconnaissait pour son bienfaiteur, et Argos avouait quelle lui était redevable de sa délivrance. L’orgueilleuse Corinthe, sortant de ses ruines avec le titre honorable de colonie romaine, exigeait rigoureusement un tribut des républiques voisines, pour défrayer les jeux de l’isthme qui se célébraient dans son amphithéâtre par une chasse d’ours et de panthères. Les villes d’Élis, de Delphes et d’Argos, chargées par leurs ancêtres de perpétuer les jeux olympiques, les jeux pythiens et ceux de Némée, réclamaient avec justice l’exemption du tribut Les Corinthiens respectèrent les privilèges d’Élis et de Delphes ; mais la pauvreté d’Argos enhardit les violences de l’oppression, et la sentence du magistrat de la province, qui ne consultait que l’intérêt de la capitale où il faisait sa résidence, imposa silence aux plaintes des timides députés. Sept ans après cette sentence, Julien en admit l’appel[79] au tribunal supérieur, et il employa son éloquence, probablement avec succès, à défendre la capitale d’Agamemnon[80], qui avait donné à la Macédoine une racé de héros et de conquérants[81].

Julien exerçait ses talents dans les travaux de l’administration civile et militaire, qui se multipliaient en proportion de l’étendue de l’empire, et il faisait en outre les fonctions de juge[82] et d’orateur[83], à peine connues des souverains de l’Europe moderne. L’art de la persuasion, si cultivé par les premiers Césars, avait été négligé par l’ignorance guerrière et par l’orgueil asiatique de leurs successeurs ; s’ils daignaient haranguer des soldats qu’ils craignaient, ils gardaient un silence dédaigneux avec les sénateurs qu’ils méprisaient. Julien regardait les assemblées du sénat, que Constance avait évitées, comme le lieu le plus propre à faire briller ses maximes républicaines et ses talons de rhéteur. Il y employait tour à tour les tons de la censure, de la louange et de l’exhortation, comme dans une école de déclamation. Son ami Libanius a remarqué que l’étude d’Homère lui avait appris à imiter le style simple et concis de Ménélas, l’abondance de Nestor, dont les paroles descendaient comme les flocons de la neige en hiver, et l’éloquence pathétique et victorieuse d’Ulysse. Julien se livrait, non seulement par devoir, mais par amusement, aux fonctions de juge, qui sont quelquefois incompatibles avec celles d’un souverain ; et quoique l’intégrité et le jugement de ses préfets du prétoire méritassent sa confiance, souvent, assis auprès d’eux, il écoutait leurs jugements. La vive pénétration de son esprit se plaisait, à découvrir les ruses et à déconcerter les chicanes des avocats, qui tâchaient de déguiser la vérité des faits, ou de corrompre l’esprit de la loi. Il dérogeait quelquefois à la majesté de son rang, en hasardant des questions indiscrètes et déplacées, et trahissait l’impétuosité de ses- passions par les éclats de sa voix, ou par la vivacité de ses gestes, quand il soutenait un avis contraire à celui des juges, des avocats ou de leurs clients. Mais, connaissant le vice de son propre« caractère, il encourageait, il ordonnait même à ses amis et à ses ministres de l’en avertir ; et quand ils hasardaient d’arrêter les écarts de sa vivacité, les spectateurs apercevaient avec satisfaction la honte et la reconnaissance de leur souverain. Julien fondait presque toujours ses décrets sur des principes de justice, et il résista constamment aux deux plus dangereuses tentations qui assiègent le tribunal d’un monarque, sous la forme séduisante de l’équité et de la compassion. Il jugeait les causes sans égard à la condition des parties, et quoique disposé à soulager le pauvre, il le condamnait sans hésiter, quand la cause du riche adversaire était la plus juste. Il distinguait avec soin le juge du législateur[84] ; et, quoiqu’il méditât une réforme nécessaire dans la jurisprudence romaine, il prononçait ses sentences conformément au sens strict et littéral des lois établies, qui devaient servir de règle aux magistrats et aux citoyens.

Si l’on dépouillait quelques princes de leur rang et de leurs richesses, si on les jetait nus au milieu du monde, ils tomberaient à l’instant dans la dernière classe, sans espoir de se tirer jamais de l’obscurité. Mais le mérite personnel de Julien était indépendant de sa fortune. Quelque état qu’il eût embrassé, l’intrépidité de son courage, la vivacité de son esprit, et la constance de son application, lui auraient obtenu, ou au moins lui auraient mérité les premiers honneurs de sa profession. Mien, dans un pays où il serait né simple citoyen, aurait pu s’élever, par son génie, au rani ; de ministre ou de général. Si la jalousie capricieuse de l’autorité avait trompes ses espérances, s’il s’était éloigné sagement des sentiers de la grandeur, l’exercice de ces mêmes talents, dans une studieuse solitude, aurait mis hors de l’atteinte des rois le bonheur de sa vie et l’immortalité de sa gloire. Quand on examine le portrait de Julien avec une attention minutieuse ou peut-être malveillante, quelque chose semble manquer à la grâce et à la perfection de la figure. Son génie était moins vaste et moins sublime que celui de César, et il n’égalait point Auguste en prudence. Les vertus de Trajan paraissent plus sûres et plus naturelles ; la philosophie de Marc-Aurèle est plus simple et plus suivie. Cependant Julien a soutenu courageusement l’adversité, et il a joui de sa fortune avec modération. Après un intervalle de cent vingt ans, depuis la mort d’Alexandre-Sévère, les Romains virent paraître un empereur qui ne connaissait point d’autres plaisirs que ses devoirs, qui travaillait à soulager les malheureux et à ranimer le courage de ses sujets, qui tâchait de joindre toujours le, mérite à l’autorité, et de donner le bonheur à la vertu. L’esprit de parti lui - même, et, pour dire encore plus, l’esprit de parti religieux a été forcé de rendre hommage à la supériorité de son génie dans lis paix et dans la guerre, et d’avouer, en soupirant, que Julien l’Apostat aimait son pays et méritait l’empire de l’univers[85].

 

 

 



[1] Omnes qui plus poterant in palatio, adulandi professores iam docti recte consulta prospereque completa vertebant in deridiculum : talia sine modo strepentes insulse, in odium venit cum victoriis suis capella, non homo ; ut hirsutum Julianum carpentes appellantesque loquacem talpam et purpuratam simiam et litterionem Græcum : et his congruentia plurima æque ut tintinnabula principi resonantes, audire hæc taliaque gestienti, virtutes ejus obruere verbis impudentibus conabantur ut segnem incessentes et timidum et umbratilem gestaque secus verbis comptioribus exornantem. Ammien, XVII, 11.

[2] Ammien, XVI, 12. L’orateur Themistius croyait à tout ce que contenaient les lettres impériales adressées au sénat de Constantinople. Aurelius Victor, qui a publié son Abrégé dans la dernière année du règne de Constance, attribue les victoires remportées sur les Germains au génie de l’empereur et à la fortune du jeune César. Cependant cet historien fut, bientôt après, redevable à l’estime ou à la protection de Julien, des honneurs d’une statue de cuivre, et des importantes dignités de consulaire de la seconde Pannonie, et de préfet de la ville. Ammien, XXI, 10.

[3] Callido nocendi artificio, accusatoriam diritatem laudum titulis peragebant.... Hœ voces fuerunt ad inflammanda odia probris omnibus potentiores. Voyez Mamertin, in Actione gratiarum, in vit. Panegyr., XI, 57 6.

[4] Le court intervalle que l’on peut supposer entre l’hieme adultâ et le primo vere d’Ammien (XX, 1-4), loin de suffire à une marche de trois mille milles, ferait paraître les ordres de Constance aussi extravagants qu’ils étalent injustes. Les troupes de la Gaule n’auraient pas pu arriver en Syrie avant la fin de l’automne. Il faut que la mémoire d’Ammien ait été infidèle ou qu’il se soit mal expliqué.

[5] Ammien, XX, 1. Il reconnaît la valeur et les talents militaires de Lupicinus ; mais, dans son langage affecté, il le représente comme élevant les cornes de son orgueil, mugissant d’un ton terrible, et laissant douter qui l’emportait en lui de l’avarice ou de la cruauté. Les Pictes et les Écossais menaçaient si sérieusement la Bretagne, que Julien fut un instant tenté d’y passer lui-même.

[6] Il leur accorda la permission de se servir de ce que l’on nommait currus clavularis ou clabularis. Ces chariots de poste sont souvent cités dans le code, et pesaient pour porter chacun quinze cents livres pesant. Voyez Valois, ad Amm., XX, 4.

[7] Probablement le palais des Bains (Thermarum) dont il subsiste encore une salle dans la rue de la Harpe. Les bâtiments occupaient une grande partie du quartier connu aujourd’hui sous le nom de quartier de l’université ; et les jardins, sous les rois mérovingiens, communiquaient avec l’abbaye Saint-Germain-des-Prés. Les injures du temps et les ravages des Normands ont réduit en un tas de ruines, dans le douzième siècle, ce palais antique, dont l’intérieur obscur avait caché les excès de la débauche.

Explicat aula sinus, montenique amplectitur alis ;

Multipliei latebra scelerum tersura ruborem.

. . . . . . . . . . . . . . . Pereuntis sœpè pudoris

Celatura nefas, Venerisque accommoda furtis.

Ces vers sont tirés de l’Architrenius (l. IV, c. 8), ouvrage poétique de Jean de Hauteville ou Hauville, moine de Saint-Albans, vers l’an 1190. Voyez l’Histoire de la poésie anglaise, par Warton, v. I, dissert. 2.) De pareils vols étaient moins funestes à la tranquillité du genre humain que les disputes théologiques que la Sorbonne a agitées depuis sur le même terrain. Bonamy, Mém. de l’Acad., t. XV, pages 678-682.

[8] Même dans ces moments de tumulte, Julien ne négligea pas les soins de la superstition, et il refusa obstinément de se servir, comme de mauvais augure, d’un collier de femme ou d’un ornement de cheval, dont les soldats impatiens voulaient qu’il fît usage faute de diadème.

[9] Une somme proportionnelle d’or et d’argent, cinq pièces d’or et une livre d’argent : le tout montait à peu près à la valeur de cinq livres sterling et dix schellings.

[10] On peut consulter, sur le récit détaillé de cette révolte, les ouvrages originaux et authentiques de Julien lui-même, ad S. P. Q. Athen., p. 282, 283, 284 ; Libanius, Orat. parental., c. 44-48 ; dans Fabricius, Biblioth. græc., t. VII, pages 269-273 ; Ammien, XX, 4 ; et Zozime, l. III, p. 151, 152, 153, qui, pour le règne de Julien, semble avoir suivi l’autorité plus respectable d’Eunape. Avec de pareils guides, nous avons pu nous passer des Abrégés et de l’Histoire ecclésiastique.

[11] Eutrope, témoin irrécusable, se sert de cette expression vague, consensu militum, X, 15. Saint Grégoire de Nazianze, dont l’ignorance pourrait excuser le fanatisme, accuse l’apostat de présomption, d’extravagance, et lui donne l’épithète de rebelle impie, αυθαδεια, απονοια, ασεβεια, orat. 3, p. 67.

[12] Julien, ad S. P. Q. Athen., p. 284. Le pieux abbé de La Bletterie (Vie de Julien, p. 1 59) paraît tenté de respecter les pieuses protestations d’un païen.

[13] Ammien, XX, 5, avec la note de Lindenbrog sur le génie de l’empire. Julien lui-même, dans une lettre confidentielle à Oribase, son médecin et son ami (epist. XVII, p. 384), parle d’un songe antérieur à l’événement, et dont il fut frappé ; d’un grand arbre renversé, et d’une petite plante qui poussait en terre une racine forte et profonde. L’imagination de Julien était sans doute agitée de craintes et d’espérances jusque dans son sommeil. Zozime (l. III) a rapporté un songe postérieur.

[14] Tacite (Hist., I, 80-85) peint éloquemment la situation dangereuse du prince d’une armée rebelle ; mais Othon était plus coupable et moins habile que Julien.

[15] A cette lettre ostensible il en ajouta, dit Ammien, de particulières, objurgatorias et mordaces, que l’historien n’a pas vues, qu’il n’aurait pas publiées, et qui n’ont peut-être jamais existé.

[16] Voyez les premières transactions de son règne, in Julian., ad S. P. Q. Athen., p. 285, 286 ; Ammien, XX, 5, 8 ; Liban., Orat. parent., c. 49, 50, p. 273-275.

[17] Liban., Orat. parent., c. 50, p. 275, 276. Étrange désordre, puisqu’il dura pendant plus de sept ans. Dans les factions des républiques grecques, les exilés montèrent au nombre de vingt mille ; et Isocrate assure sérieusement Philippe qu’il serait plus aisé de former une armée des vagabonds, que des habitants des villes. Voyez les Essais de Hume, t. I, p. 426-427.

[18] Julien (epist. XXXVIII, p. 4,4) donne une description abrégée de Vesontio ou Besançon, une péninsule pierreuse presque environnée par le Doubs, jadis ville magnifique, remplie de temples, et réduite actuellement à une petite ville qui sort de ses ruines.

[19] Vadomair entra au service des Romains, et d’un roi barbare ils firent un due de Phénicie. Vadomair conserva toujours la duplicité de son caractère (voyez Ammien, XXI, 4) ; mais, sous le règne de Valens, il signala sa valeur dans la guerre d’Arménie.

[20] Ammien, XX, 10 ; XXI, 3, 4 ; Zozime, liv. III, p. 155.

[21] Ses restes furent envoyés à Rome, et enterrés près de sa sœur Constantina, dans le faubourg de la Via Nomentana. (Ammien, XXI, 1.) Libanius a composé une apologie très faible pour justifier son héros d’une accusation très absurde, d’avoir empoisonné sa femme, et récompensé son médecin en lui donnant les bijoux de sa mère. Voyez la septième des dix-sept nouvelles harangues publiées à Venise, 1754, d’après un manuscrit de la bibliothèque de Saint-Marc, p. 117-127. Elpidius, le préfet du prétoire de l’Orient, au témoignage duquel l’accusateur de Julien en appelle, est traité par Libanius d’efféminé et d’ingrat ; cependant saint Jérôme a loué la piété d’Elpidius (tome I, page 243), et Ammien à fait l’éloge de son humanité (XXI, 6).

[22] Feriarum die quem celebrantes mense januario, Christiani Epiphania dictitant, progressus in eorum ecclesiant, solemniter numine orato, discessit. Ammien, XXI, 2. Zonare observe que c’était la fête de la Nativité ; et cette assertion ne contredit pas le passage précédent, puisque les Églises d’Égypte, d’Asie, et peut-être de la Gaule, célébraient le même jour, le 6 janvier, la nativité et le baptême de Jésus-Christ. Les Romains, aussi ignorants que leurs confrères, de la véritable date de sa naissance, fixèrent la fête au 25 décembre, les brumalia ou solstice d’hiver, époque à laquelle les païens célébraient tous les ans la naissance du Soleil. Voyez Bingham, Antiquités de l’Église chrétienne, l. XX, c. 4 ; et Beausobre, Hist. crit. du Manichéisme, t. II, p. 690-700.

[23] Le détail des négociations publiques et secrètes entre Constance et Julien, peut être tiré, avec quelque précaution, de Julien lui-même, Orat. ad S. P. Q. Athen., p. 266 ; de Libanius, Orat. parent., c. 51, p. 276 ; d’Ammien, XX, 9 ; de Zozime, l. III, p. 154 ; et même de Zonare (t. II, l. XIII, p. 20, 21, 22), qui semble avoir trouvé et employé dans cette occasion quelques bons matériaux.

[24] Trois cents myriades ou trois millions de medimni, mesure de grains en usage chez les Athéniens, et qui contenait six modii romains. Julien explique en soldat et en politique le danger de sa situation, et la nécessité et l’avantage d’une guerre offensive (ad S. P. Q. Athen., p. 286-287).

[25] Voyez sa harangue et la conduite des troupes dans Ammien, XXI, 5.

[26] Il refusa durement sa main au préfet suppliant, et le 6t partir pour la Toscane. Ammien, XXI, 5. Libanius, avec une fureur digne d’un sauvage, insulte Nebridius, approuve les soldats, et blâme presque l’humanité de Julien. Orat. parental., c. 53, p. 278.

[27] Ammien, XXI, 8. Dans cette promotion, Julien obéissait à la loi qu’il s’était publiquement imposée. Neque civilis quisquam judex, nec militaris rector, alio quodam præter merita suffragante, ad potiorem veniat gradum. Ammien, XI, 5. L’absence ne diminua point son estime pour Salluste, et il honora le consulat en y nommant son ami. A. D. 363.

[28] Ammien (XXI, 8) prétend qu’Alexandre et d’autres généraux célèbres se conduisirent de même, d’après le même raisonnement.

[29] Ce bois faisait partie de la forêt Hercynienne, qui, du temps de César, s’étendait depuis le pays des Rauraci (Bâle) jusque dans les contrées les moins connues du Nord. Voyez Cluvier, Germania antiqua, l. III, c. 47.

[30] Comparez Libanius (Orat. parent., c. 53, p. 278, 279) avec saint Grégoire de Nazianze (orat. 3, p. 68). Le saint est forcé d’admirer le secret et la rapidité, de cette marche. Un théologien moderne pourrait appliquer à Julien des vers faits pour un autre apostat.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . So eagerly the fiend,

O’er bog, or steep, through strait, rough, dense, or rare,

With head, hands, wings, or feet, pursues his way,

And swims, or sinks, or wades, or creeps, or flies.

Avec la même ardeur le prince des enfers

Trente mille moyens, mille chemins divers ;

De ses mains, de ses pieds, de sa superbe tête,

Il combat, il franchit l’ouragan, la tempête,

Les défilés étroits, les gorges, les vallons,

L’air pesant ou léger, ou la plaine ou les monts,

Les rocs, le noir limon qu’un flot dormant détrempe,

Va guéant ou nageant, court, gravit, vole ou rampe.

Paradis perdu, liv. II. (Trad. de Delille.)

[31] Dans cet intervalle, la Notitia place deux ou trois flottes, la Lauriacensis à Lauriacum ou Lorch, l’Arlapensis, la Maginensis, et fait mention de cinq légions ou cohortes de Liburnarii, qui devaient être des espèces de marins. Sect. LVIII, édit. Labb.

[32] Zozime est le seul qui rapporte cette circonstance intéressante. Mamertin (in Paneg. vet., XI, 6, 7) qui accompagnait Julien comme comte des sacrées largesses, décrit ce voyage d’un style fleuri et d’une manière pittoresque, défie Triptolème, les Argonautes, etc.

[33] La description d'Ammien, qui pourrait être appuyée de plusieurs témoignages, donne la situation précise des Agustiœ Succorum, ou défilés de Succi M. d’Anville, d'après une légère ressemblance de noms, les a placés entre Sardica et Naissus. Pour ma propre justification, je suis obligé de relever la seule erreur que j'aie jamais aperçue dans les cartes et les écrits de cet admirable géographe.

[34] Quels que soient les détails que nous tirons d'autres auteurs, nous suivons, pour le fond du récit, Ammien, XXI, 8, 9, 10.

[35] Ammien, XXI, 9, 10. Libanius, Orat. parental., c. 4, p. 279, 280 ; Zozime, l. III , p. 156, 157.

[36] Julien (ad S. P. Q. Athen., p. 286) assure positivement qu’il intercepta les lettres de Constance aux Barbares ; et Libanius affirme qu’il les lut aux troupes et dans les villes où il passait. Cependant Ammien (XI, 4) emploie l’expression du doute : Si, famæ solius admittenda est fides. Il cite pourtant une lettre interceptée de Vadomair à Constance, qui annonce une correspondance intime : Cæsar tuus disciplinam non habet.

[37] Zozime fait mention de ses épîtres aux Athéniens, aux Corinthiens et aux Lacédémoniens. La substance de toutes était probablement la même, quoique, selon ceux auxquels elles étaient adressées, il pût y avoir quelque différence dans la forme. L’Épître aux Athéniens existe encore, p. 268-287, et nous y avons puisé des instructions intéressantes. Elle a mérité les éloges de l’abbé de La Bletterie, Préface à l’Histoire de Jovien, p. 24, 25, et est un des meilleurs manifestes qui existent dans aucune langue.

[38] Auctori tuo reverentiam rogamus. Ammien, XXI, 10. Il est assez amusant d’examiner la conduite des sénateurs, qui flottaient entré la crainte et l’adulation. Voyez Tacite, Hist., I, 85.

[39] Tanquam venaticam prædam caperet : hoc enim ad leniendum suorum metum subindè prædicabat. Ammien, XXI, 7.

[40] Voyez la harangue et les préparatifs dans Ammien, XXI, 13. Le lâche Théodote implora dans la suite et obtint son pardon de la clémence du vainqueur, qui déclara qu’il voulait diminuer le nombre de ses ennemis, et augmenter celui de ses amis (XXII, 14).

[41] Ammien, XXI, 7, 11, 12. Il raconte avec une exactitude assez inutile les opérations du siège d’Aquilée, qui conserva dans cette occasion la réputation d’imprenable. Saint Grégoire de Nazianze (orat. 3, p. 68) attribue cette révolte accidentelle à la sagesse de Constance, dont il annonce d’avance la victoire. Constantio quem credebat procul dubio fore victorem : nemo enim omnium tanc ab hac constanti sententia discrepebat. Ammien, XXI, 7.

[42] Ammien fait un tableau fidèle de sa mort et de son caractère (XXI, 14, 15, 16) ; on ne peut se défendre d’un sentiment de haine et de mépris en lisant la calomnie absurde de saint Grégoire (orat. 3, p. 68), qui accuse Julien d’avoir tramé la mort de son bienfaiteur. Le repentir que l’empereur montra dans le particulier, d’avoir épargné et élevé Julien (p. 69, et orat. XXI, p. 39), est assez probable, et n’est point incompatible avec son testament verbal et public, que des raisons de prudence peuvent lui avoir dicté dans les derniers instants de sa vie.

[43] Dans la description du triomphe de Julien, Ammien (XXII, 1, 2) prend le ton de l’orateur et du poète, tandis que Libanius (Orat. parental., c. 56, p. 281) se renferme dans la grave simplicité de l’historien.

[44] On trouve la description de la pompe funèbre de Constance dans Ammien, XXI, 16 ; saint Grégoire de Nazianze, orat. 4, p. 119 ; Mamertin, in Paneg. vet., II, 27 ; Libanius, Orat. parent., c. 56, p. 283 ; Philostorgius, l. VI, c. 6, avec les Dissertations de Godefroy, p. 265. Ces écrivains et leurs partisans païens, catholiques, ariens, etc., voyaient avec des yeux bien différents le nouvel empereur et celui qu’ils venaient de perdre.

[45] On ne sait pas bien exactement le jour ni l’année de la naissance de Julien. Le jour est probablement le 6 de novembre, et l’année, doit être ou 331 ou 332. (Tillemont, Hist. des Empereurs, t. IV, p. 693 ; Ducange, Fam. byzant., p. 50.) J’ai préféré la première de ces deux dates.

[46] Julien (p. 253-267) a expliqué lui-même ces idées philosophiques avec beaucoup d’éloquence et un peu d’affectation, dans une Épître très soignée qu’il adressait à Themistius. L’abbé de La Bletterie (t. II, p. 146-193), qui en a donné une traduction fort élégante, incline à croire que c’est le célèbre Themistius dont les harangues existent encore.

[47] Julien à Themistius, p. 258. Petau (not., p. 95) observe que ce passage est tiré du quatrième livre de legibus ; mais ou Julien citait de mémoire, ou ses mss. étaient différents des nôtres. Xénophon commence la Cyropédie par une réflexion semblable.

[48] Ο δε ανθρωπον κελευων αρχεν, προστιθησι και θηριων. (Aristote, ap. Julian., p. 261.) Le MS. de Vossius, peu satisfait d’un seul animal, y supplée par l’expression plus forte de θηρια, et semble être autorisé par d’expérience du despotisme.

[49] Libanius (Orat. parental., c. 84, 85, p. 310, 311, 312) a donné ce détail intéressant de la vie privée de Julien. Ce prince (in Misopogon, p. 350) parle lui-même de sa frugalité, et déclame contre la voracité sensuelle des habitants d’Antioche.

[50] Lectulus... vestalium toris purior. Mamertin (Paneg. vet., XI, 13) adresse cette louange à Julien lui-même ; Libanius affirme en peu de mots que Julien n’eut de familiarité avec aucune femme, ni avant son mariage, ni après la mort de sa femme. (Orat. parent., c. 88, p. 313.) La chasteté de Julien est prouvée par le témoignage impartial d’Ammien (XXV, 4), et par le silence des chrétiens. Cependant Julien relève ironiquement le reproche que lui faisait le peuple d’Antioche de presque toujours (ως επιπαν) coucher seul, In Misopog., p. 345. L’abbé de La Bletterie (Hist. de Jovien, t. II, p. 103-109) explique, cette expression suspecte avec autant d’esprit que de bonne foi.

[51] Voyez Saumaise sur Suétone, in Claud., c. 21. On ajouta une vingt-cinquième course ou missus, pour compléter le nombre de cent chariots. Chaque course était composée de quatre chariots de différentes couleurs.

Centum quadrijuges agitabo ad flumina currus.

Il paraît qu’ils tournaient cinq ou sept fois autour de la borne ou meta. Suétone, in Domitian., c. 4. Et, d’après la mesure du circus maximus de Rome et de l’hippodrome de Constantinople, la course devait être environ de quatre milles.

[52] Julien, in Misopogon, p. 340. Jules César avait offensé les Romains en lisant des dépêches au moment de la course. Auguste se conforma à leur goût, ou suivit le sien, en prêtant toujours la plus grande attention aux jeux importants du cirque, auxquels il assurait prendre le plus grand plaisir. Suétone, in August., c. 45.

[53] La réforme du palais est détaillée par Ammien, XXII, 4 ; Libanius, Orat. parent., c. 62, p. 288, etc. ; Mamertin, in Panegyr. vet., XI, 11 ; Socrate, l. III, c. 1 ; et Zonare, t. II, l. XIII, p. 24.

[54] Ego non rationalem jussi ; sed tonsorem acciri. Zonare substitue au mot de financier celui de sénateur, qui paraît moins naturel ; cependant un officier des finances, rassasié de richesses, pouvait désirer et obtenir l’entrée du sénat.

[55] Μαγειρους μεν χιλιους, κουρεας δε ουκ ελαττους, οινοχοσυς δε ΐλειους, σμηνη τραπεζοποιων, ευνουχους υπερ τας μυιας παρα τοις τοεμεσι εν ηρι. Telles sont les expressions de Libanius, que je transcris fidèlement, pour ne pas être soupçonné d’avoir exagéré les abus du palais.

[56] Mamertin s’exprime avec force et vivacité. Quin etiam prandioruni et cænarum laboratas magnitudines romanus populus senit ; cum quæsitissimæ dapes non gustu, sed difficulatibus æstimarentur ; miracula avium, longinqui maris pises, alieni temporis poma, æstivæ nives, hybenæ rosæ.

[57] Cependant Julien fut accusé d’avoir fait présent de villes entières à des eunuques (Orat. 7, contre Polyclet., p. 117-127). Libanius se contente de nier froidement, mais positivement, le fait, qui, à la vérité, semble plutôt convenir à Constance. Cette accusation est probablement motivée sur quelque circonstance qui nous est inconnue.

[58] Dans le Misopogon, p. 338, 339, il fait un singulier portrait de lui-même, et les mots suivants sont étrangement caractéristiques : Αυτος προσεθεικα τον βαθυν τουτονε πωγωα..... ταυτα τοι διαθεοντων ανεχομαι των φθειρων οσπερ εν λοχμι των θηρεων. Les amis de l’abbé de La Bletterie le conjurent, au nom de la nation française, de ne pas traduire ce passage, qui choquait trop fortement leur délicatesse. (Hist. de Jovien, t. II, p. 94.) J’ai usé de la même discrétion, et me suis contenté d’une légère allusion ; mais le petit animal que nomme Julien est un insecte familier à l’homme et un emblème d’affection.

[59] Julien, epist. XXIII, page 389. Il se sert des mots πολυκεφαλον υδραν, en écrivant à son ami Hermogène, à qui les poètes grecs étaient, comme à lui, très familiers.

[60] On doit distinguer avec attention les deux Salluste, l’un préfet de la Gaule, et l’autre préfet de l’Orient. (Hist. des Empereurs, t. IV, p. 696.) Je me suis servi de l’épithète commode de secundus. Le second Salluste obtint l’estime même des chrétiens ; et saint Grégoire de Nazianze, qui condamnait sa religion, a célébré ses vertus. (Orat. 3, p. 90.) Voyez une note curieuse de l’abbé de La Bletterie (Vie de Julien, p. 363).

[61] Mamertin loue l’empereur (XI, 1) d’avoir confié les emplois de trésorier et de préfet à un homme sage, ferme et intègre comme lui Mamertin. Ammien le classe aussi dans le nombre des ministres de Julien, merita quorum norat et fidem.

[62] Ammien rend compte des formes judiciaires de cette chambre de justice (XXII, 1), et Libanius en fait l’éloge (Orat. parent., c. 74, p. 299, 300).

[63] Ursuli vero necem ipsa mihi videtur, flêsse justitia. Libanius, qui accuse les soldats de sa mort, tâche d’inculper le comte des largesses.

[64] On respectait encore à tel point les noms vénérables et les dignités de la république, que le peuple fut surpris et indigné de voir dénoncer Taurus comme criminel sous le consulat de Taurus. On digéra probablement jusqu’au commencement de l’année suivante le procès de son collègue.

[65] Ammien, XX, 7.

[66] Relativement aux crimes et à la punition d’Artemius, voyez Julien (épist. X, p. 379), Ammien (XXII, 6), et Valois (ad loc.). Les Églises grecque et latine n’ont pu se défendre d’honorer Artemius comme martyr, parce qu’il eut le courage de démolir les temples des païens, et qu’il fut condamné à mort par un apostat. Mais comme l’histoire ecclésiastique atteste qu’Artemius était non seulement un tyran, mais un hérétique arien, il ne serait pas aisé de justifier une promotion si indiscrète. Tillemont, Mém. ecclés., tome VII, page 1319.

[67] Voyez Ammien, XXII, 6 ; et Valois, ad. loc. ; le Code Theod., l. II, tit. 39, leg. 1, et le Comm. de Godefroy, tome I, page 218, ad loc.

[68] Le président de Montesquieu (Considérations sur la grandeur, etc. des Romains, c. 14) excuse cette absurde et misérable tyrannie, en supposant que les actions qui nous paraissent indifférentes aujourd’hui, pouvaient paraître dangereuses et coupables aux Romains, et il soutient cette étrange apologie par une méprise plus étrange encore sur les lois anglaises : Chez une nation.... dit-il, où il est défendu de boire à la santé d’une certaine personne.

[69] Le récit de la clémence de Julien et de la conspiration qui fut formée contre sa vie, se trouve dans Ammien, t. XXII, 9, 10 ; et Valois, ad loc. ; Libanius, Orat. parental., c. 99, p. 323.

[70] Selon quelques-uns, dit Aristote, cité par Julien et Themistius, p. 261, la forme d’un gouvernement absolu, παμβασιλεια, est contraire à la nature. Cependant le prince et le philosophe ont jugé à propos d’envelopper adroitement cette vérité éternelle d’une profonde obscurité.

[71] Ce noble sentiment est rapporté presque dans les termes employés par Julien lui-même. Ammien, XXII, 10.

[72] Libanius (Orat. parent., c. 95, p. 320), qui rend compte du désir et du dessein de Julien, insinue en langage mystérieux (θεων ουτω γνοντων..... αλλ' ην αμεινων ο κωλυων) que l’empereur en fut détourné par une révélation.

[73] Julien, in Misopogon, p. 343. Comme il n’abolit jamais par une loi publique les orgueilleuses dénominations de despote ou dominus, elles existent encore sur ses médailles (Ducange, Fam. byzant., p. 38, 39) ; et la répugnance qu’il affectait en particulier ne servait qu’à donner une tournure différente à la basse adulation des courtisans. L’abbé de La Bletterie (Hist. de Jovien, tom. II, p. 99-102) a suivi avec sain le mot dominus depuis son origine à travers toutes les différentes significations qu’il eut successivement sous le gouvernement impérial.

[74] Ammien, XXII, 7. Le consul Mamertin (in Panegyr. vet., XI, 28, 29, 30) célèbre cet heureux jour, comme un esclave éloquent étonné et enivré de la bonté de son maître.

[75] Les lois des Douze-Tables condamnaient les satires personnelles.

Si malè condiderit in quem quis carmina, jus est,

Judiciumque.

Julien, dans son Misopogon (p. 337), avoue lui-même avoir encouru la peine portée par la loi ; et l’abbé de La Bletterie (Hist. de Jovien, t. II) a saisi avidement une déclaration si favorable à son propre gentiment et au véritable esprit de la constitution impériale.

[76] Zozime, l. III, p. 158.

[77] Η της βουλης ισχυς ψυχη πολεως εστεν. (Voyez Libanius, Orat. Parent., c. 71, p. 296 ; Ammien, XXII, 9 ; et le Code Théod., l. XII, tit. I, leg. 50-55 ; les Commentaires de Godefroy, t. IV, p. 390-402.) Cependant tout le sujet des curiœ est encore, malgré de très amples matériaux, la partie la plus obscure de l’histoire de l’empire.

[78] Quœ paulo apte arides et siti anhelantia visebantur, ea nunc perlui, mundari, madere ; fora, deambulaera, gymnasia, lœtis et gaudentibus populis frequentari ; dies festos, et celebrari veteres, et novos in honorem principis consecrari. (Mamertin, XI, 9.) Il rétablit particulièrement la ville de Nicopolis, et les jeux actiaques institués par Auguste.

[79] Julien, épist. XXXV, p. 407-411. Cette lettre, qui jette une grande lumière sur le déclin de la Grèce, a été omise par l’abbé de La Bletterie, et singulièrement défigurée par le traducteur latin, qui, en rendant ατελεια par tributum, et ιδιωται par populus, fait dire à l’auteur précisément le contraire de ce qu’il dit.

[80] Il régnait à Mycène, éloignée d’Argos d’environ cinquante stades ou six milles. Ces villes, alternativement célèbres, ont été confondues par les poètes grecs. Strabon, l. VIII, p. 579, édit. Amster., 1707.

[81] Marsham, Canon. Chron., p. 421. Cette généalogie, qui remontait jusqu’à Hercule, peut être suspecte ; cependant elle fut reconnue, après des recherches exactes, par les juges des jeux olympiques (Hérodote, l. V, c. 22), dans un temps où les rois de Macédoine ne jouissaient pas d’une grande considération chez les Grecs. Lorsque la ligue achéenne se déclara contre Philippe, on jugea décent de faire retirer les députés d’Argos. Tite-Live, XXXII, 22.

[82] Son éloquence est célébrée par Libanius, qui distingue positivement en lui les différents orateurs que fait parler Homère. (Orat. parental., c. 75, 76, p. 300, 301.). Socrate (l. III, c. 1) a faussement assuré que Julien était le seul prince qui eût harangué le sénat depuis Jules César, Tous les prédécesseurs de Néron et une partie de ses successeurs possédèrent le talent de parler en public ; et on pourrait prouver par plusieurs exemples, qu’ils l’exercèrent souvent dans le sénat.

[83] Ammien (XXII, 10) a établi avec impartialité les avantages et les défauts de ces formes judiciaires. Libanius (Oral. parent., c. 90, 91, p. 315) n’a vu que le beau côté ; mais son tableau, en flattant la personne du prince, établit du moins les devoirs du juge. Saint Grégoire de Nazianze (orat. IV, p. 120), qui omet les vertus et exagère les faibles défauts de l’apostat, demande d’un ton de triomphe si un pareil juge est digne de siéger entre Minos et Rhadamante dans les Champs-Élysées.

[84] Dans le nombre des lois que Julien promulgua durant un règne de seize mois, cinquante-quatre ont été admises dans les codes de Théodose et Justinien. Godefroy, Chron. legum, p. 64-67. L’abbé de La Bletterie (t. II, p. 329-336) a choisi une de ces lois pour donner une idée de la latinité de Julien. Son style est nerveux et soigné ; mais il écrivait plus purement en grec.

[85] . . . . . . . . . . . . . . . . Ducter fortissimus armis ;

Conditor et legum celeberrimus ; ore manuque

Consultor patriæ ; sed non consultor habendæ

Relligionis ; amans tercentum millia Divum.

Perfidus ille Deo, sed non et perfidis orbi.

PRUDENT., Apotheosis, 450, etc.

La conscience d’un sentiment généreux semble avoir élevé le poète chrétien au-dessus de sa médiocrité ordinaire.