Persécutions des hérétiques. Schisme des donatistes. Secte des ariens. Saint Athanase. Troubles de l’Église sous Constantin et ses fils. Le paganisme toléré.
Les plaintes et les accusations mutuelles dont le trône de Constantin fut assailli dès que la mort de Maxence eut soumis l’Afrique à son autorité, étaient peu propres à édifier un prosélyte incertain. Il apprit avec étonnement que les provinces de ce vaste pays, depuis les confins de Cyrène jusqu’aux colonnes d’Hercule, étaient déchirées par des dissensions religieuses[6]. Cette discorde venait d’une double élection dans l’Église de Carthage, considérée par son rang et par ses richesses, comme le second siége ecclésiastique de l’Occident. On avait nommé deux primats d’Afrique, Cécilien et Majorin. Depuis la mort du dernier, sa place était occupée par Donat, dont les talents supérieurs et les vertus apparentes étaient le plus ferme soutien de son parti. L’avantage que Cécilien aurait pu tirer de la priorité de son ordination, disparaissait par la précipitation illégale ou au moins inconvenante avec laquelle on l’avait élu sans attendre l’arrivée des évêques de Numidie. L’autorité de ces évêques, qui, au nombre de soixante dix, condamnèrent Cécilien et consacrèrent Majorin, se trouve aussi affaiblie par l’indigne réputation d’une partie de ces prélats, par des intrigues de femmes, des marchés sacrilèges, et par les procédés tumultueux qu’on reproche à ce concile de Numidie[7]. Les évêques des deux factions soutenaient avec un égal emportement que leurs adversaires avaient perdu tous leurs droits, et s’étaient publiquement déshonorés en livrant les saintes Écritures aux officiers de Dioclétien. Leurs reproches mutuels et l’histoire de cette négociation obscure donnent lieu de croire que la dernière persécution avait aigri le zèle des chrétiens d’Afrique sans réformer leurs mœurs. Cette Église divisée n’était plus capable de porter un jugement impartial. On discuta successivement la cause dans cinq tribunaux formés par le choix de l’empereur ; et l’affaire dura plus de trois ans depuis le premier appel jusqu’au jugement définitif. La recherche sévère que firent le substitut du préteur et le proconsul d’Afrique, le rapport des deux évêques visiteurs qu’on avait envoyés à Carthage, les décrets des conciles d’Arles et de Rome, et le jugement suprême de Constantin dans son sacré consistoire, furent tous en faveur de Cécilien. Les chefs du clergé et les magistrats civils le reconnurent unanimement pour le véritable et légitime primat de l’Afrique. On mit ses évêques suffragants en possession des honneurs et des revenus de l’Église, et ce ne fut pas sans peine que Constantin se borna à exiler les chefs de la faction des donatistes. On peut présumer de l’attention avec laquelle leur cause fut examinée, que les lois de l’équité présidèrent au jugement. Il est possible aussi que, comme les prélats le prétendirent, Osius, favori de l’empereur, ait abusé de son influence sur son maître en trompant sa crédulité. Il est possible que le mensonge et la corruption aient fait condamner l’innocent ou aggraver la condamnation du coupable. Au reste, si une injustice de cette espèce eût terminé une dispute dangereuse, on pourrait la classer parmi les inconvénients attachés à une administration arbitraire, auxquels la postérité ne prend point de part. Cependant cet évènement, qui paraît à peine digne d’une
place dans l’histoire, fut la source d’un schisme qui désola, durant plus de
trois siècles, la province d’Afrique, et n’y fut anéanti qu’avec le
christianisme même. Les donatistes, enflammés du zèle inflexible du fanatisme
et de la liberté, refusèrent d’obéir aux usurpateurs dont ils rejetaient
l’élection et l’autorité spirituelle. Exclus de la société civile et religieuse
de tout le genre humain, ils excommunièrent audacieusement le genre humain,
qui embrassait la cause impie de Cécilien et celle des traîtres dont il avait
reçu sa prétendue ordination. Ils assuraient avec confiance, et avec une
sorte de triomphe, que la succession apostolique était interrompue, que la
criminelle contagion du schisme enveloppait tous les évêques de l’Europe et
de l’Asie, que les prérogatives de l’Église catholique n’appartenaient plus
qu’au petit nombre de fidèles africains qui seuls avaient conservé la pureté
de leurs préceptes et de leur discipline. A cette théorie sévère ils
joignirent les pratiques les moins charitables. Tous les prosélytes qui leur
venaient même des provinces les plus reculées de l’orient recevaient une
seconde fois le baptême et l’ordination[8]. Les donatistes
regardaient ces sacrements comme nuls lorsqu’ils avaient été administrés par
des hérétiques ou des schismatiques. Ils assujettissaient les évêques, les
jeunes filles et même les enfants à une pénitence publique, avant de les
admettre à leur communion. S’ils obtenaient une église occupée précédemment
par leurs adversaires les catholiques, ils purifiaient ce profane édifice
avec autant de soin qu’un temple souillé par le culte des idoles. On lavait
le pavé, on abattait les murs, et l’on brûlait l’autel ordinairement
construit en bois. On fondait les vases sacrés, et les saintes hosties
étaient jetées aux chiens avec toutes les cérémonies ignominieuses qui
devaient enflammer et perpétuer l’animosité des factions religieuses[9]. Malgré cette
aversion irréconciliable, les adhérents des deux partis, confondus et divisés
dans toutes les villes de l’Afrique, conservaient le même extérieur, le même
langage, le même zèle, le même culte et la même doctrine. Proscrits par les
chefs de l’Église et du gouvernement civil, les donatistes se maintinrent
cependant en nombre supérieur dans quelques provinces, particulièrement en
Numidie ; et quatre cents évêques reconnaissaient l’autorité de leur primat.
Mais l’invincible esprit de secte dévorait les entrailles de la secte même,
et l’Église schismatique était déchirée par des dissensions intestines. Le
quart des évêques donatistes suivait la doctrine indépendante des
maximianistes. Le sentier étroit et solitaire que leur avaient marqué leurs
premiers conducteurs les éloignait de plus en plus du genre humain ; et la
petite secte à peine connue sous le nom de rogatiens, affirmait avec
assurance que si le Christ descendait du ciel pour juger les humains, il ne
reconnaîtrait la pureté de sa doctrine que dans quelques villages obscurs de Le schisme des donatistes fut renfermé dans l’Afrique. Mais le mal causé par les opinions des trinitaires se répandit successivement dans tout le monde chrétien. La source du schisme des premiers fut une querelle occasionnée par l’abus de la liberté ; et le système mystérieux des trinitaires prit naissance dans l’abus de la philosophie. Depuis le siècle de Constantin jusqu’à celui de Clovis et de Théodoric, les disputes théologiques de l’arianisme se trouvèrent tellement mêlées dans toutes les affaires temporelles, soit des Romains, soit des Barbares, qu’il doit être permis à l’historien d’écarter respectueusement le voile qui couvre le sanctuaire pour jeter un coup d’œil sur la marche de la raison, de la foi, des erreurs et des passions, depuis l’école de Platon jusqu’au déclin et à la chute de l’empire. Le génie de Platon, éclairé par ses propres méditations ou
par les connaissances traditionnelles des prêtres de l’Égypte[11], avaient essayé
de découvrir la nature mystérieuse de Les victoires des Macédoniens avaient répandu dans
l’Égypte et dans l’Asie le langage et les sciences de L’éloquence de Platon, le nom de Salomon, l’autorité de
l’école d’Alexandrie, le consentement des Juifs et des Grecs, ne suffisaient
point pour établir la vérité d’une doctrine mystérieuse qui séduisait
l’esprit, mais qui révoltait la raison. Un apôtre ou un prophète inspiré par La sanction divine qu’un apôtre avait donnée au principe
fondamental de I. Une société choisie de philosophes, dont
l’éducation libérale avait éveillé la curiosité, pouvait méditer en silence
discuter paisiblement, dans les jardins d’Athènes ou dans la bibliothèque
d’Alexandrie, les questions abstraites de la métaphysique. Ces spéculations
élevées, qui ne pouvaient ni convaincre l’esprit, ni agiter les passions des
platoniciens eux-mêmes, n’étaient considérées, qu’avec la plus froide
indifférence par les gens oisifs, par les hommes occupés, et même par ceux
qui se livraient à l’étude[37]. Mais lorsque,
la révélation eut fait du logos un article de foi, dès qu’il devint
l’objet de l’espoir et du culte des chrétiens, les prosélytes de ce système
mystérieux se multiplièrent rapidement dans toutes les provinces de l’empire
romain. Les personnes qui, par leur âge, leur sexe ou leurs occupations,
étaient le moins capables de juger, celles qui n’avaient aucune habitude des
méditations abstraites, aspirèrent à contempler l’essence de la nature divine
: et Tertullien[38]
se glorifie avec emphase de ce qu’un artisan chrétien peut répondre, sans
hésiter à des questions qui auraient embarrassé tous les sages de II. La dévotion des
individus fut la première différence qui distingua les chrétiens des
platoniciens ; la seconde fut dans l’autorité de l’Église. Les disciples de
la philosophie soutenaient leurs droits à la liberté intellectuelle, et leur
respect pour les sentiments, de leurs maîtres était un tribut volontaire
qu’ils offraient à une raison supérieure. Mais les chrétiens formaient une
société nombreuse et disciplinée. Leurs lois et leurs magistrats exerçaient
une juridiction sévère sur les pensées des fidèles. On fixa leur imagination
flottante par des symboles et par des professions de foi[44]. La liberté
particulière du jugement fût soumise aux décisions des synodes généraux.
L’autorité des théologiens se régla sur leur rang ecclésiastique ; et les
évêques, successeurs des apôtres, infligeaient les censures de l’Église à
ceux qui s’écartaient de la foi orthodoxe. Mais dans un siècle de controverse
religieuse, la contrainte ajoute une nouvelle force à l’activité de
l’imagination, et des motifs d’ambition ou d’avarice animaient quelquefois le
zèle ou l’obstination d’un esprit rebellé. Un argument métaphysique devenait
la cause ou le prétexte d’une contestation politique. Les subtilités de
l’école platonicienne servaient de signes de ralliement aux factions
populaires, et l’aigreur de la dispute augmentait la distance qui séparait
les opinions respectives. Tant que les hérésies obscures de Praxeas et de
Sabellius s’efforcèrent de confondre le père avec le fils[45], on doit excuser
les orthodoxes d’avoir tenu plus rigoureusement à la distinction qu’à
l’égalité des personnes divines ; mais lorsque la chaleur de la controverse
fût calmée, et que les Églises de Rome, d’Afrique et d’Égypte, ne craignirent
plus les progrès des sabelliens, les opinions théologiques prirent un cours
plus tranquille, mais plus invariable, vers l’extrémité contraire, et les
docteurs les plus orthodoxes se permirent des expressions et des définitions
qu’ils avaient condamnées dans la bouche des sectaires[46]. Lorsque l’édit
de tolérance eut rendu aux chrétiens la paix et le loisir, la controverse des
trinitaires se ranima dans l’ancienne présidence de l’école platonicienne, la
savante riche et tumultueuse ville d’Alexandrie ; et la flamme de la discorde
religieuse se communiqua rapidement des écoles au clergé, au peuple, à la
province et dans tout l’Orient. On agita les questions abstraites de
l’éternité du logos, dans les
conférences ecclésiastiques et dans les sermons. Le zèle d’Arius et celui de
ses adversaires rendirent bientôt publiques ses opinions hétérodoxes[47]. Ses
antagonistes les plus violents rendaient hommage à son érudition et à la
pureté de ses mœurs. Ce célèbre ecclésiastique s’était présenté, dans une
élection, pour obtenir l’épiscopat, et il y avait renoncé peut-être par
générosité[48]
: son concurrent Alexandre devint son juge. On plaida la cause devant lui,
et, après avoir paru hésiter quelque temps, le sénat prononça la sentence
finale comme un article de foi essentielle[49]. L’indocile
Arius osa résister à l’autorité de son évêque irrité, et fut banni de la
communion de l’Église ; mais son orgueil se soutint par la faveur d’un parti
nombreux. Il comptait au nombre de ses partisans déclarés deux évêques de
l’Égypte, sept prêtres, douze diacres, et, ce qui paraîtra peut-être
incroyable, sept cents vierges. La majeure partie des évêques d’Asie
paraissait favoriser ses opinions. Ils avaient à leur tête Eusèbe de Césarée,
le plus savant des prélats chrétiens, et Eusèbe de Nicomédie, qui avait
acquis une grande réputation comme homme d’État, sans avoir rien perdu de
celle d’un saint. Les synodes de Lorsqu’on eut imprudemment exposé les mystères de la foi chrétienne aux discussions du public, on pût reconnaître que l’intelligence humaine, était capable de se former trois systèmes différents, sur la nature de la divine Trinité ; on prononça qu’aucun des trois n’était absolument exempt, d’erreur et d’hérésie[51]. 1° Selon la première hypothèse, soutenue par Arius et par ses disciples, le logos était une production dépendante et spontanée, créée de rien par la volonté du père éternel, le fils, par lequel toutes choses ont été faites[52], avait été engendré avant tous les mondes, et les plus longues périodes astronomiques n’étaient qu’une seconde si on les comparait à la durée de son existence ; cette durée n’était cependant pas infinie[53], et des temps avaient précédé l’ineffable génération du logos. Le père tout-puissant avait transmis à ce fils unique sa vaste intelligence, son esprit, et l’avait empreint de tout l’éclat de sa gloire. Image visible de la perfection invisible, il voyait au-dessous de lui, à une distance incommensurable, les trônes des archanges. Il ne brillait cependant que d’une lumière réfléchie et, comme les fils des empereurs romains décorés du titre de César ou d’Auguste[54], il gouvernait le monde en obéissant aux volontés de son père et son maître. 2° Dans la seconde hypothèse le logos possédait toutes les imperfections inhérentes et incommunicables que la religion et la philosophie attribuent au Dieu suprême. Trois esprits ou substances distinctes et infinies, trois êtres égaux et éternels composaient l’essence divine[55] et il y aurait eu contradiction ; si un des trois avait pu un instant ne pas exister ou bien avait dû cesser d’être[56]. Les partisans d’un système qui semblait établir trois divinités indépendantes, s’efforçaient de conserver l’unité d’une première cause si visible dans le dessein et dans l’ordre de l’univers, par l’accord perpétuel de leur administration et la conformité nécessaire de leurs volontés. On peut apercevoir une faible image de cette unité d’action dans la société des hommes et même des animaux. Les causes qui troublent leur harmonie viennent de l’inégalité ou de l’imperfection de leurs facultés. Mais la toute puissance, guidée par une sagesse et une bonté infinis, ne peut manquer de choisir les mêmes pour accomplir les mêmes fins. 3° Trois êtres, tirant d’eux-mêmes la nécessité de leur existence et possédant nécessairement tous les attributs divins dans le degré le plus parfait ; éternels en durée, infinis en espace, intimement présents l’un pour l’autre et pour tout l’univers, impriment dans l’imagination étonnée l’idée d’un seul et même être[57], qui, dans l’ordre de la grâce et celui de la nature, peut se manifester sous différentes formes et être considéré sous différents aspects. Par cette hypothèse, une trinité réelle et substantielle est réduite à une trinité de noms et de modifications abstraites, qui n’existent que dans l’esprit de celui qui les conçoit. Le logos n’est plus une personne, mais un attribut, et ce n’est que dans un sens figuré que l’épithète de fils peut être appliquée à la sagesse éternelle qui était avec Dieu depuis le commencement, et par laquelle, mais non pas par qui, toutes choses ont été faites. L’incarnation du logos n’est plus qu’une simple inspiration de la sagesse divine, qui inspirait l’âme et dirigeait toutes les actions du mortel Jésus. Après avoir ainsi parcouru tout le cercle théologique, on s’aperçoit avec surprise que le système des sabelliens finit où celui des ébionites commence, et, que ce mystère incompréhensible, qui nous oblige à l’adorer, échappe à la curiosité de nos recherches[58]. En supposant les évêques du concile de Nicée[59] en liberté d’obéir aux mouvements de leur conscience, Arius et ses partisans ne pouvaient se flatter d’obtenir la majorité des suffrages en faveur d’une hypothèse si directement contraire aux deux opinions le plus généralement adoptées dans le monde catholique. Les ariens sentirent le danger de leur situation et se revêtirent prudemment de ces vertus modestes rarement pratiquées ou même recommandées dans la fureur des discussions civiles ou religieuses, si ce n’est par le parti le plus faible. Ils prêchaient la modération et l’exercice de la charité chrétienne ; ils appuyaient sur la nature incompréhensible de la question ; et rejetant tous les termes ou les définitions qui ne se trouvaient pas dans les saintes Écritures, ils offraient de satisfaire leurs antagonistes par de très fortes concessions, sans cependant renoncer tout à fait à leurs principes. La faction victorieuse recevait leurs propositions, avec une méfiance hautaine, et tâchait de découvrir quelque article de différence inadmissible qui pût constater l’hérésie et les suites dangereuses de l’arianisme. On lut publiquement, et on déchira avec mépris une lettre dans laquelle Eusèbe de Nicomédie, le protecteur des ariens, avouait ingénument que l’admission de l’homoousion ou consubstantiel, expression familière aux platoniciens, était incompatible avec leur système de théologie. Les évêques qui faisaient la loi dans le concile, saisirent avidement cette heureuse occasion ; et, suivant l’énergique expression de saint Ambroise[60], le glaive que l’hérésie avait elle-même tiré du fourreau, leur servit pour abattre la tête de ce monstre détesté. La consubstantialité du Père et du fils fut établie par le concile de Nicée ; et elle a été unanimement reçue comme un article fondamental de la foi chrétienne par le consentement des Églises grecques, latines, orientales et protestantes. Mais si le même mot n’eût pas servi également à rendre les hérétiques odieux et à unir les catholiques, il n’aurait pas rempli le bût de la majesté du concile qui l’avait adopté comme un article de foi. Cette majorité était divisée en deux partis, dont l’un penchait pour les opinions des trithéistes, et d’autre pour celles des sabelliens. Mais comme ces deux extrêmes semblaient taper ou la religion naturelle ou la révélation, ils convinrent mutuellement de mitiger la rigueur de leurs principes et de désavouer les conséquences justes, mais odieuses, que leurs adversaires pouvaient en tirer. L’intérêt de la cause commune les engagea à unir leurs forces et à celer leurs différends ; les conseils d’une tolérance salutaire calmèrent leur animosité et leurs disputes furent suspendues par le moyen du mystérieux homoousion, que les deux partis avaient la liberté d’expliquer conformément à leurs opinions particulières. L’interprétation des sabelliens, qui avait obligé, cinquante ans auparavant, le concile d’Antioche[61] à proscrire l’usage de cette expression fameuse, la rendait précieuse à ceux d’entre les théologiens qui inclinaient secrètement pour une trinité purement de nom ; mais les saints les plus célébrés du temps d’Arius, l’intrépide Athanase, le savant Grégoire de Nazianze, et les autres piliers de l’Église qui défendaient avec talent et avec succès la doctrine de Nicée, semblaient regarder le nom de substance comme le synonyme de nature, et ils essayaient d’en expliquer la signification en affirmant que trois hommes étaient consubstantiels ou homoousiens puisqu’ils étaient de la même espèce[62]. Cette égalité distincte fut tempérée d’une part par la connexion interne et par la pénétration spirituelle qui unit, indissolublement les personnes divines[63] ; et de l’autre, par la prééminence du père, qui l’on reconnaissait en tant qu’elle était compatible avec l’indépendance du fils[64]. Telles étaient les bornes dans lesquelles pouvait se mouvoir en toute sûreté le fil incertain et presque invisible de l’orthodoxie. De quelque côté qu’on en sortît, les hérétiques et les démons, placés en embuscade, guettaient, pour les saisir et les dévorer au passage, ceux qui avaient le malheur de s’égarer. Mais comme les degrés de haine théologique dépendent beaucoup plus des motifs de rivalité que de l’importance de la question, les hérétiques qui refusaient au fils quelques attributs, étaient plus odieux et plus sévèrement traités que ceux qui niaient son existence. Saint Athanase passa sa vie à combattre l’extravagance impie des ariens[65] ; mais il défendit pendant vingt ans le sabellianisme de Marcellus d’Ancyre ; et après qu’il eut été forcé d’abandonner son parti, il ne parla jamais qu’avec un sourire équivoque des erreurs légères de son respectable ami[66]. L’autorité d’un concile général, auquel les ariens furent eux-mêmes forcés de se soumettre, imprima sur les bannières du parti orthodoxe le caractère mystérieux du mot homoousion, qui contribua, nonobstant quelques débats obscurs, et quelques combats nocturnes, à maintenir et à perpétuer l’uniformise de la foi, ou du moins de son langage. Les consubstantialistes, à qui leur succès a obtenu le titre de catholiques, se glorifiaient de l’invariable simplicité de leur symbole ; ils insultaient aux variations continuelles de leurs adversaires, privés d’une règle de foi incontestable. La sincérité ou les artifices des chefs ariens, la crainte des lois ou celle des peuples, leur vénération pour le Christ, leur haine pour saint Athanase, toutes les causes sacrées et profanes qui déterminent ou dérangent les projets d’une faction religieuse, introduisirent parmi les sectaires un esprit de discorde et d’inconstance qui donna naissance, en peu d’années, à dix-huit différents systèmes de religion[67], et vengea l’autorité de l’Église qu’ils avaient bravée. L’ardent saint Hilaire[68], que la rigueur de sa propre situation disposait plutôt à dissimuler les erreurs du clergé d’Orient qu’à les exagérer, déclare que dans la vaste étendue des dix provinces de l’Asie, dans laquelle il était exilé on ne trouvait qu’un très petit nombre de prélats qui conservassent la connaissance du vrai Dieu[69]. Les persécutions qu’il avait éprouvées, les désordres dont il était le témoin et la victime calmèrent momentanément ses passions irascibles ; et dans le discours suivant, dont je vais transcrire quelques lignes, l’évêque de Poitiers se laisse aller, sans y pendre garde, au ton d’un philosophe chrétien. C’est, dit saint Hilaire, une chose aussi déplorable que dangereuse, qu’il y ait autant de professions de foi que d’opinions parmi les hommes, autant de doctrines que d’inclinations, et autant de sources de blasphèmes qu’il y a de péchés parmi nous, parce que nous faisons arbitrairement des symboles que nous expliquons arbitrairement. L’homoousion est successivement rejeté, reçu et expliqué dans différents conciles. La ressemblance totale ou partielle du père et du fils dévient, dans ces temps malheureux, un sujet de dispute. Chaque année, chaque mois nous inventons de nouveaux symboles pour expliquer des mystères invisibles. Nous nous repentons de ce que nous avons fait, nous défendons ceux qui se repentent, nous anathématisons ceux que nous avons défendus, nous condamnons la doctrine des autres parmi nous, ou notre doctrine chez les autres ; et en nous déchirant avec une fureur réciproque, nous avons travaillé à notre ruine mutuelle[70]. On n’attend pas de moi, on trouverait peut-être mauvais
que j’enflasse cette digression théologique par un examen minutieux des
dix-huit symboles ou confessions de foi différentes dont les auteurs ont
presque tous désavoué le nom odieux de l’arianisme dans lequel ils avaient
pris naissance. On peut prendre plaisir à tracer la forme et la végétation
d’une plante bizarre, mais une description fastidieuse de feuilles sans
fleurs, de branches sans fruits, épuiserait bientôt la patience sans
satisfaire la curiosité. Je citerai cependant une des questions qui s’éleva
dans la controverse arienne, parce qu’elle produisit et servit à distinguer
trois sectes qui n’étaient unies ensemble que par leur aversion commune pour
l’homoousion du concile de Nicée. 1°
Leur demandait-on si le fils était semblable au père, les hérétiques qui
suivaient les principes d’Arius, et même les disciples de la philosophie,
répondaient négativement sans hésiter, et faisaient une grande différence,
entré le Créateur et la plus parfaite de ses créatures. Ce raisonnement,
facile à comprendre, fut soutenu par Ætius[71], que le zèle de
ses adversaires a surnommé l’athée. Son génie actif et entreprenant
lui avait fait essayer de tous les métiers. Il avait été successivement
esclave ou du moins journalier, chaudronnier, ambulant, orfèvre, médecin,
maître d’école, théologien, et enfin l’apôtre d’une nouvelle Église qui se
multiplia par l’habileté de son disciple Eunomus[72]. Armé des textes
de la sainte Écriture et des syllogismes captieux de la logique d’Aristote,
le subtil Ætius avait acquis la réputation d’un argumentateur invincible,
qu’il était impossible de convaincre ou d’embarrasser. Ce talent lui valut
l’amitié des évêques ariens ; mais ils furent obligés d’abandonner et même de
persécuter un allié dangereux, dont les arguments adroits et serrés rendaient
leur cause odieuse au peuple et offensaient les plus dévots de leurs
prosélytes. 2° La toute-puissance du Créateur suggéra l’idée spécieuse et
respectueuse de parité entre le père et le fils, et la foi devait adopter
humblement ce que la raison ne pouvait se dispenser d’admettre, qu’un Dieu
suprême avait sans doute la puissance de communiquer ses perfections
infinies, et de créer un être, semblable à lui[73]. Les ariens
étaient puissamment soutenus par l’autorité et les talents de leurs chefs,
qui avaient remplacé Eusèbe, et qui occupaient les principaux siéges de
l’Orient ; ils détestaient hautement, et peut-être avec quelque affectation,
l’impiété d’Ætius ; ils faisaient profession de croire, ou sans réserve, ou
conformément aux saintes Écritures, que le fils était très différent de
toutes les autres créatures et qu’il était semblable au père seulement ; mais
ils niaient qu’il fût ou de la même ou d’une semblable substance. Ils
déclaraient quelquefois hardiment leur séparation sur ce point, et dans
d’autres occasions, ils bataillaient sur le mot substance, qui semble
renfermer une notion complète ou du moins distincte de la nature de Les provinces de l’Égypte et de l’Asie, qui avaient adopté
la langue et les mœurs des Grecs, étaient infectées du poison de la
controverse sur l’arianisme. L’étude familière du système de Platon, un
penchant naturel pour la discussion, un idiome harmonieux et abondant,
étaient pour le peuple et le clergé de l’Orient une source inépuisable de
mots, de distinctions ; et, dans la chaleur de la dispute, ils oubliaient
également le doute recommandé par la philosophie et la soumission exigée par
la religion. Les peuples de l’Occident étaient d’un caractère moins curieux.
Des objets invisibles avaient moins de prise sur leurs passions ; ils
exerçaient plus rarement leur imagination dans l’art dangereux de la dispute
; et telle était l’heureuse ignorance de l’Église gallicane, que plus de
trente ans après le premier concile général, saint Hilaire lui-même n’avait
point encore connaissance du symbole de Nicée[76]. Les Latins
n’avaient reçu les lumières de la science divine que par le moyen faible,
obscur et douteux, d’une traduction. La pauvreté et l’inflexibilité
naturelles de leur langue manquaient souvent d’équivalents pour les termes
grecs et pour les mots techniques de la philosophie platonicienne[77], qui avaient été
consacrés par l’Évangile ou par l’Église à exprimer les mystères de la foi
chrétienne. Un seul mot défectueux aurait pu introduire dans la théologie
latine une longue suite d’erreurs et de perplexités[78]. Mais comme les
provinces occidentales avaient eu le bonheur de puiser leur religion dans une
source orthodoxe, elles conservèrent avec constance la doctrine qu’elles
avaient reçue avec docilité ; elles avaient été munies, par les soins,
paternels du pontife romain, du préservatif efficace de l’homoousion avant que la contagion de
l’arianisme se fût étendue jusqu’à leurs frontières. Leurs caractères et
leurs sentiments se firent connaître dans le synode mémorable de Rimini ;
plus nombreux que le concile de Nicée, puisqu’il rassembla plus de quatre
cents évêques d’Italie, d’Afrique, d’Espagne, des Gaules, de Tels furent la naissance, les progrès et les révolutions des disputes théologiques qui troublèrent la paix de la chrétienté sous les règnes de Constantin et de ses fils. Mais comme ces princes prétendaient étendre leur despotisme sur les opinions comme sur la fortune et sur la vie de leurs sujets, le poids de leur suffrage entraînait souvent la balance ecclésiastique, et les prérogatives du roi du ciel étaient fixées, changées ou modifiées dans le cabinet d’un roi de la terre. Quoique le funeste esprit de discorde qui avait pénétré
dans toutes les provinces de l’Orient eût troublé le triomphe de Constantin,
il vit d’abord l’objet de la dispute avec une froide indifférence. Ignorant
encore que les querelles théologiques fussent si difficiles à apaiser, il
écrivit avec douceur aux deux antagonistes, Alexandre et Arius[81] ; et il paraît avoir
plutôt écouté dans sa lettre la raison indépendante d’un politique ou d’un
soldat, que les principes ou les suggestions de ses conseillers
ecclésiastiques. Constantin attribue l’origine de cette controverse à une
dispute subtile et frivole sur un point incompréhensible de la loi. Il blâme
également l’indiscrétion du prélat qui a élevé la question, et l’imprudence
du prêtre qui a voulu la résoudre. Il s’afflige que des chrétiens qui adorent
le même Dieu, qui ont la même religion et la même doctrine, puissent être
divisés par des distinctions de si peu d’importance ; et il recommande
sérieusement au clergé d’Alexandrie l’exemple des philosophes de Mais, comme si la conduite de Constantin eût été l’effet de sa colère plutôt que de ses principes, trois ans s’étaient à peine écoulés depuis le concile de Nicée, qu’il laissa apercevoir quelques symptômes de pitié, et même d’indulgence, pour la secte proscrite que protégeait en secret celle de ses sœurs qu’il aimait le plus ; il rappela les exilés ; et Eusèbe de Nicomédie, reprenant bientôt son ascendant sur l’esprit de Constantin, fut remis en possession du siège épiscopal dont il avait été ignominieusement chassé. Arius lui-même reçut à la cour les honneurs et les respects que l’on doit à l’innocence opprimée. Le synode de Jérusalem approuva sa doctrine, et l’empereur parut empressé de réparer son injustice, en le faisant admettre par un ordre absolu, à la communion publique dans la cathédrale de Constantinople. Arius mourut le jour même où il devait jouir de son triomphe. Les étonnantes et horribles circonstances de sa mort ont donné à penser que les saints orthodoxes avaient contribué par des moyens plus efficaces que leurs prières, à délivrer l’Église du plus formidable de ses ennemis[87]. D’après différentes accusations, saint Athanase d’Alexandrie, Eustache à Antioche et Paul de Constantinople, les principaux chefs du parti catholique, furent jugés et déposés sur les sentences de plusieurs conciles. Constantin les relégua dans les provinces les plus éloignées de sa cour ; et le premier des empereurs chrétiens, dans ses derniers moments, reçut le sacrement du baptême des mains de l’évêque arien de Nicomédie. On ne peut justifier le gouvernement ecclésiastique de Constantin, du reproché de faiblesse et de légèreté ; mais le monarque crédule et peu au fait des stratagèmes de l’esprit de parti, peut s’être laissé séduire par les protestations modestes et trompeuses des hérétiques, dont il ne comprit jamais parfaitement les opinions. Tandis qu’il protégeait Arius et qu’il persécutait saint Athanase, il n’en regardait pas moins le concile de Nicée comme, le rempart de la foi chrétienne et la gloire particulière de son règne[88]. Les fils de Constantin ont sans doute été admis dès leur
enfance au nombre des catéchumènes ; mais ils différèrent leur baptême, à
l’exemple de leur père, et prétendirent prononcer, comme lui, leur jugement
sur les mystères dans lesquels ils n’avaient jamais été régulièrement initiés[89]. Le sentiment de
Constance, qui hérita des provinces de l’Orient, et qui réunit enfin tout
l’empire sous un seul maître, décida, en quelque façon, du sort des
trinitaires. Le prêtre ou évêque arien qui avait dérobé pour lui le testament
de Constantin, profita de l’heureuse occasion qui l’avait introduit dans la
familiarité d’un prince dont les domestiques favoris dirigeaient les
conseils. Les eunuques et les esclaves répandaient le poison spirituel dans
le palais ; les femmes de l’impératrice le communiquaient aux gardes, et
l’empereur le recevait de l’impératrice, elle-même[90]. Le penchant que
Constance avait toujours témoigné pour la faction d’Eusèbe, fut cultivé avec
succès par l’habileté des chefs de ce parti ; et la victoire que l’empereur
remporta sur Magnence lui donna une nouvelle disposition et de nouvelles
facilités pour faire servir son pouvoir à protéger l’arianisme. Tandis que
les deux armées combattaient dans la plaine de Mursa et que le sort des
rivaux dépendait de la victoire, le fils de Constantin, prosterné au pied des
autels dans l’église des Martyrs, était en proie aux plus vives inquiétudes.
Son consolateur spirituel, Valens, évêque arien du diocèse, prenait des
précautions pour s’assurer sa faveur, en lui annonçant le premier son
triomphe, ou en lui ménageant les moyens de fuir s’il était vaincu. Une
chaîne secrète de messagers agiles et sûrs lui rendait compte à chaque
instant des vicissitudes du combat ; et, tandis que l’empereur tremblait au
milieu de ses pâles et mornes courtisans, l’évêque lui annonça que les
légions de Le sentiment d’un judicieux étranger qui a considéré impartialement les progrès de la discorde civile et religieuse, mérite ici notre attention. Quelques lignes d’Ammien, qui servait dans les armées de Constance, et qui avait étudié le caractère de l’empereur, nous instruiront plus que des pages. d’invectives scolastiques. Constance, dit cet historien modéré, a défiguré, par les rêveries de la superstition, la religion chrétienne, qui, en elle-même, est claire et simple. Au lieu d’employer son autorité à réconcilier les deux partis, il a encouragé et propagé, par des disputes de mots, les différends qu’avait excités sa vaine curiosité. Les grands chemins étaient constamment couverts d’une troupe d’évêques qui galopaient d’une province à une autre, pour se rendre à des assemblées qu’on appelle synodes, et ces orgueilleux prélats épuisaient l’établissement des postes par les courses rapides et multipliées qu’ils faisaient pour réduire toute la secte à leur opinion particulière[95]. La connaissance détachée que nous avons des événements de l’histoire ecclésiastique sous le règne de Constance, fournirait un ample commentaire à ce passage remarquable, qui justifie les inquiétudes trop fondées de saint Athanase. Il craignait, disait-ils, que l’activité turbulente d’un clergé parcourant tout l’empire en quête de la véritable foi, n’excitât le rire et le mépris des infidèles[96]. Dés que l’empereur se vit délivré des terreurs de la guerre civile, il consacra son loisir, dans ses quartiers d’hiver à Arles, à Milan, à Sirmium et Constantinople, aux passe-temps ou aux travaux de la controverse. Le glaive du magistrat et même du tyran appuya les arguments du théologien ; et comme Constance a condamné les décrets orthodoxes du concile de Nicée, il est généralement reconnu que son ignorance et son incapacité égalaient sa présomption[97]. Les eunuques, les femmes et les évêques qui gouvernaient cet esprit faible et vain, lui avaient inspiré une aversion invincible pour l’homoousion, mais sa conscience timide s’effrayait de l’impiété d’Ætius. La dangereuse faveur du malheureux Gallus avait aggravé le crime de cet athée, qu’on accusait même d’avoir contribué, par des suggestions et des sophismes, à faire massacrer à Antioche les ministres impériaux. L’esprit de Constance, incapable de se laisser fixer par la foi ou modérer par la prudence, égaré dans un abîme obscur, se précipitait aveuglément dans l’extrémité opposée à celle qui l’épouvantait. Il embrassait et condamnait successivement les mêmes opinons ; tantôt il exilait, et tantôt il rappelait les chefs des factions arienne et semi arienne[98]. Durant la saison des affaires et des fêtes publiques il passait les jours et même les nuits à choisir des mots et à peser des syllabes pour en composer les articles incertains de sa foi, qu’il méditait jusque dans son sommeil ; et l’on recevait ses songes incohérents comme des visions célestes. Constance acceptait avec complaisance le titre pompeux d’évêque des évêques, que lui conféraient des ecclésiastiques qui oubliaient les intérêts de leur ordre pour ceux de leurs passions. Le projet d’établir une uniformité de doctrine, pour laquelle il assembla tant de conciles dans les Gaules, dans l’Italie, dans l’Asie et dans l’Illyrie, fut sans cessé déconcerté par sa propre inconstance, par les dissensions des ariens, et par la résistance des catholiques. Il résolut enfin, par un dernier effort qu’il pensait devoir être décisif, d’assembler un concile général dont il dicterait impérieusement les décrets. Le terrible tremblement de terre de Nicomédie, la difficulté de trouver un lieu convenable ; et peut-être des motifs secrets de politique, firent changer les arrangements. Les évêques de l’Orient récurent ordre de s’assembler à Séleucie en Isaurie, et ceux de l’Occident tinrent leurs séances à Rimini, sur la côte de la mer Adriatique. Au lieu de ne demander à chaque province que deux ou trois députés, l’empereur convoqua le corps entier des évêques. Après quatre jours de débats violents, le concile d’Orient se sépara sans rien décider. Celui d’Occident continua pendant sept mois. Taurus préfet prétorien, avait ordre de ne laisser partir les prélats que quand ils auraient unanimement adopté la même opinion ; il était autorisé à exiler quinze des plus indociles, et avait la promesse du consulat en cas qu’il fit réussir cette difficile entreprise. Ses sollicitations et ses menaces, l’autorité du souverain, les sophismes de Valens et d’Ursace, le malaise, le froid, la faim, l’ennui profond d’un exil sans terme, arrachèrent enfin à la répugnance des évêques de Rimini le consentement qui leur était demandé (an 360). Les députés de l’Orient et de l’Occident se rendirent à Constantinople dans le palais de l’empereur, et il eut la satisfaction de donner à l’univers une profession de foi qui établissait la ressemblance sans exprimer la consubstantialité du fils de Dieu[99]. Mais le triomphé de l’arianisme avait été précédé de l’éloignement du clergé orthodoxe, qu’on ne put ni corrompre ni intimider ; et la persécution injuste et inutile du grand saint Athanase déshonora le règne de Constance. On a rarement occasion de remarquer, soit dans la vie
active, soit dans la vie spéculative, les effets que peut produire, et les
obstacles que peut surmonter le génie l’un seul homme quand il s’applique
invariablement à un seul objet. Le nom immortel d’Athanase[100] sera toujours
étroitement lié à la doctrine catholique de Mais comme le primat d’Égypte eut continuellement à combattre les passions et les préjugés des hommes de tous les états, depuis le moine jusqu’à l’empereur, la connaissance du cœur humain fut sa première étude et la plus importante de ses acquisitions. Il conservait, au milieu des différents aspects d’un théâtre continuellement changeant, un coup d’œil toujours également juste et sûr, et ne manquait jamais de saisir ces moments décisifs dont les génies médiocres ne sentent le prix que quand ils les ont irrévocablement perdus. L’archevêque d’Alexandrie savait distinguer quand il fallait déployer la hardiesse du commandement, ou suivre les voies de l’insinuation, combien de temps il pouvait combattre l’autorité, et quand il était prudent de fuir la persécution. Tandis qu’il dirigeait les foudres de l’Église contre l’hérésie et la rébellion, il conservait au milieu des siens la douceur indulgente et flexible d’un prudent chef de parti. L’élection d’Athanase n’a point échappé aux reproches de précipitation et d’irrégularité[103] ; mais la décence de sa conduite le rendit cher au peuple et au clergé. Les habitants d’Alexandrie voulaient prendre les armes pour la défense de leur éloquent et généreux prélat. L’attachement invariable de son clergé lui servit de soutien ou du moins de consolation dans ses malheurs ; et les cent évêques de l’Égypte défendirent toujours sa cause avec intrépidité. Ainsi qu’auraient pu le lui prescrire l’orgueil et la politique, Athanase visitait son diocèse, depuis les bouches du Nil jusqu’aux confins de l’Éthiopie : il conversait familièrement avec les derniers du peuple, et saluait avec humilité les ermites et les saints du désert[104]. Ce n’était pas seulement dans les assemblées ecclésiastiques, parmi ceux dont le rapprochaient une éducation et des habitudes semblables, qu’Athanase faisait sentir l’ascendant de son génie : il se présentait dans la cour des princes avec une aisance ferme et respectueuse ; et, dans les vicissitudes de sa bonne et de sa mauvaise fortune, il ne perdit jamais ni la confiance de ses amis ni l’estime de ses adversaires. Dans sa jeunesse, le primat d’Égypte résista à Constantin
le Grand, qui lui avait ordonné plusieurs fois d’admettre Arius à la
communion catholique[105]. L’empereur respecta
d’inflexible opposition d’Athanase, et semblait disposé à la lui
pardonner : la faction qui le regardait comme son plus formidable
ennemi, fut forcée de dissimuler sa haine, et de préparer de loin une attaque
indirecte. On répandit des soupçons et des bruits calomnieux ; on représenta
l’archevêque comme un tyran orgueilleux ; on l’accusa hautement d’avoir violé
le traité conclu dans le concile de Nicée avec les disciples schismatiques de
Mélèce[106].
Saint Athanase avait ouvertement désapprouvé cette paix ignominieuse ; et
l’empereur se laissa persuader que le primât abusait de son autorité civile
et ecclésiastique, pour persécuter des sectaires qui lui étaient
odieux ; qu’il avait brisé d’une main sacrilège un calice dans une de
leurs églises de Maræotis ; qu’il avait fait fouetter ou mettre en prison six
de leurs évêques, et qu’il avait poussé la cruauté jusqu’à assassiner ou
mutiler de sa propre main Arsène, autre prélat du même parti[107]. Ces
accusations attaquaient l’honneur et la vie d’Athanase ; Constantin les
remit à son frère Dalmatius le Censeur, qui résidait à Antioche. On assembla
successivement des synodes à Tyr et à Césarée, et les évêques de l’Orient
eurent ordre de juger le primat avant de procéder à la consécration de la
nouvelle église de Mais Athanase, loin de se soumettre à l’injuste arrêt de
ses juges, n’avait pas même voulu y donner quelque poids par sa présence ;
et, sans attendre sa sentence, l’intrépide primat, résolu d’apprendre, par
une dangereuse expérience, si le trône était inaccessible à la voix de la
vérité, se jeta dans une barque prête à partir pour la ville impériale.
Craignant que l’empereur ne refusât ou n’éludât une audience s’il la lui
demandait, il tint son arrivée secrète ; et, épiant le moment où Constantin,
revenant d’une maison de campagne voisine rentrait à cheval dans la ville,
l’archevêque, au milieu de la principale rue de Constantinople, se présenta
hardiment devant son souverain irrité. Surpris et indigné de cette étrange
apparition, Constantin donna ordre à ses gardes d’éloigner, l’importun ; mais
un respect involontaire arrêta son ressentiment, et la hauteur du monarque se
sentit subjuguée par le courage et l’éloquence d’un évêque qui réclamait sa
justice et réveillait sa conscience[111]. Constantin
écouta les plaintes d’Athanase avec une attention impartiale et même
bienveillante : il fit sommer les juges de lui rendre compte de leurs
procédés ; et les artifices de la faction d’Eusèbe auraient été confondus, si
une adroite calomnie ne fût venue aggraver les charges portées contre le
primat, en y ajoutant la supposition d’un crime impardonnable. On l’accusa du
coupable projet de retenir à Alexandrie la flotte chargée de grains pour
l’approvisionnement de Constantinople[112]. L’empereur
jugea qu’il était prudent d’assurer la paix de l’Égypte par l’absence d’un
chef factieux ; niais il refusa de nommer à son archevêché ; et la sentence
qu’il prononça, après avoir hésité longtemps, fût plutôt un ostracisme jaloux
qu’un exil ignominieux (an
336). Athanase passa vingt-huit mois dans la province reculée de La mort de ce prince exposa le primat d’Égypte à une
seconde persécution ; et le faible Constance, souverain de l’Orient, devint
bientôt le complice secret du parti d’Eusèbe. Quatre-vingt dix évêques de
cette secte, ou plutôt de cette faction, s’assemblèrent à Antioche, sous le
prétexte spécieux de dédier la cathédrale. Ils composèrent une profession de
foi en termes obscurs, mêlés d’une teinte de semi arianisme, et vingt-cinq
canons qui servent encore de règle à la discipline des Grecs orthodoxes[114]. On décida,
avec une apparence d’équité, qu’un évêque dépossédé par un synode ne pouvait
être remis en possession de son évêché que par un second synode composé du
même nombre d’ecclésiastiques ; et on appliqua immédiatement cette loi à la
cause d’Athanase. Le concile d’Antioche prononça ou plutôt confirma sa
dégradation : un étranger, nommé Grégoire, prit possession de son archevêché
; et Philagrius, préfet d’Égypte[115], eut ordre de
soutenir l’autorité du nouveau primat de toute la puissance civile et
militaire de la province. Victime de la conspiration des prélats de l’Asie,
Athanase se retira d’Alexandrie (an 341) ; et pendant trois ans, exilé et suppliant[116], il assiégea le
trône pontifical du Vatican. Par son ardente assiduité à s’instruire dans la
langue latine ; il se mit bientôt en état de négocier avec le clergé
d’Occident[117].
L’orgueilleux Jules se laissa séduire par ses flatteries délicates, et
diriger par ses conseils. Athanase persuada au pontife romain que la gloire
de son siège était intéressée à recevoir son appel. Son innocence fut
unanimement reconnue dans un concile composé de cinquante évêques d’Italie.
Au bout de trois ans, le primat fugitif revint à Milan, à la sollicitation de
Constans, qui conservait au milieu de ses dérèglements un zèle sincère pour
la foi orthodoxe. L’or vint à l’appui de l’équité[118], et les
ministres de Constans, conseillèrent à leur souverain de convoquer une
assemblée ecclésiastique qui pût agir comme représentant l’Église catholique (an 346).
Quatre-vingt-quatorze évêques de l’Occident et soixante-seize de l’Orient se
trouvèrent ensemble à Sardica, sur les confins des deux empires, mais dans
les États du protecteur d’Athanase. Leurs débats firent bientôt place à des
mesures hostiles. Les évêques d’Orient, se croyant en danger, cherchèrent
précipitamment leur sûreté à Philippopolis dans Durant son second exil en Occident, Athanase fut souvent
admis en présence de l’empereur dans les différentes villes de Capoue, Lodi,
Milan, Vérone, Padoue, Aquilée et Trèves. L’évêque du diocèse l’accompagnait
ordinairement dans ces entrevues, et le grand-maître des offices
restait toujours devant le voile ou rideau qui masquait l’appartement du
souverain. Le primat en appelle à ces témoins respectables de sa constante
modération dans ces entretiens[120]. La prudence
devait suffire pour lui faire conserver le respect et ce ton de douceur qui
convient à un sujet et à un évêque. Dans ces conversations familières avec le
monarque de l’Occident, Athanase se bornait sans doute à déplorer
l’aveuglement de Constance ; mais, ne ménageant ni les eunuques ni les
prélats ariens, qu’il chargeait hardiment de la division de l’Église et du danger
auquel la foi catholique se trouvait exposée, il excitait Constans à imiter
le zèle et à mériter la gloire de son père. L’empereur déclara qu’il était
résolu d’employer les forces militaires et les trésors de l’Europe à soutenir
la foi orthodoxe, et fit savoir à son frère Constance, dans une lettre courte
et impérative, que s’il ne consentait pas à remettre immédiatement Athanase
en possession de sa place et de ses droits, il irait lui-même, suivi d’une
flotte et d’une armée, l’installer sur son siége archiépiscopal d’Alexandrie[121]. Mais la
condescendance de Constance prévint cette guerre religieuse qui eût fait
horreur à la nature, et l’empereur d’Orient daigna faire des avancés de
réconciliation à un de ses sujets qu’il avait injustement persécuté. Athanase,
usant d’une noble fierté, ne se rendit qu’après trois lettres consécutives de
son souverain. Elles étaient remplies de protestations d’estime, d’assurances
de protection et de bienveillance, et l’invitaient à se rendre dans son
archevêché. Constance ajoutait l’humiliante précaution de faire attester par
ses ministres la sincérité de ses intentions ; il la manifesta d’une manière
plus éclatante par les ordres positifs qui furent envoyés en Égypte pour
rappeler tous les amis et les adhérents d’Athanase, leur rendre leurs
privilèges, publier leur innocence, et faire disparaître des registres
publics les arrêts illégaux arrachés par le crédit de la faction d’Eusèbe.
Après avoir obtenu toutes les sûretés et toutes les satisfactions que
pouvaient demander la justice et l’honneur, l’archevêque traversa lentement
les provinces de Mais le sujet qui force son souverain à dissimuler ne doit pas compter sur une réconciliation sincère et durable. La mort tragique de Constans priva bientôt Athanase d’un protecteur puissant et généreux. La guerre civile entre l’assassin et le dernier frère de Constans déchira pendant trois ans l’empire, et donna quelques instants de repos à l’Église catholique. Les deux rivaux ménagèrent l’amitié d’un prélat qui, par son autorité personnelle, pouvait fixer la résolution incertaine d’une province importante. Il donna audience aux ambassadeurs de Magnence, avec lequel on l’accusa depuis d’avoir conservé une correspondance secrète[124], et Constance assura le vénérable Athanase, son père chéri, que, malgré les faux bruits débités par leurs ennemis communs, il avait hérité des sentiments aussi bien que des États de son frère[125]. La reconnaissance et l’humanité auraient pu sans doute disposer l’archevêque à déplorer la fin prématurée de Constans, et à détester le crime de Magnence ; mais comme Athanase était convaincu que les craintes de Constance étaient son unique sauvegarde, cette idée refroidissait peut-être un peu la ferveur des prières qu’il adressait au ciel pour le succès de la cause la plus juste. En effet, Athanase dut bientôt attendre sa ruine, non plus des complots et de la haine obscure de quelques évêques superstitieux ou irrités, abusant de l’autorité d’un maître crédule, mais des efforts de l’empereur, qui, laissant éclater un ressentiment longtemps contenu, déclara la résolution de venger ses injures personnelles[126] ; et le premier hiver qu’il passa à Arles, après sa victoire, fut employé à assurer son triomphe sur un ennemi plus odieux que le tyran qu’il venait de vaincre. Si le caprice du souverain eût exigé la mort du citoyen le plus illustre et le plus vertueux de la république, la violence ouverte de ses satellites et la perfide complaisance des magistrats se seraient empressées à l’envi de le satisfaire. Les précautions, les lenteurs avec lesquelles il fut obligé de procéder à la condamnation et au châtiment d’un évêque aimé du peuple, les difficultés qu’il y trouva, apprirent à l’univers que les privilèges de l’Église avaient déjà ranimé dans le gouvernement romain, le sentiment de l’ordre et de la liberté. La sentence prononcée par le synode de Tyr, et souscrite par la majorité des évêques d’Orient, n’avait pas été formellement annulée, et l’autorité qu’Athanase exerçait dans son diocèse, quoique dégradé par ses confrères, pouvait être regardée comme illégale et même criminelle. Mais Constance voulut d’abord ôter au primat la ressource puissante qu’il avait trouvée dans l’attachement du clergé d’Occident, et s’assurer le consentement des évêques latins, avant de hasarder l’exécution de la sentence. Deux années se passèrent en négociations ecclésiastiques ; la cause de l’empereur contre un de ses sujets fut solennellement débattue dans le synode d’Arles et, peu de temps après, dans le concile de Milan[127], en présence de trois cents évêques. Leur probité se laissa séduire peu à peu par les arguments de la faction arienne, par les artifices des eunuques et par les pressantes sollicitations d’un souverain qui sacrifiait sa dignité à sa vengeance, et manifestait ses propres passions en dirigeant celles du clergé. Il employa avec succès la corruption, le plus sûr indice d’une liberté constitutionnelle, des présents, des honneurs et des privilèges, furent le prix offert et accepté des suffrages des évêques[128], et il représenta adroitement l’expulsion du primat, comme le seul moyen de pacifier et de réunir l’Église catholique. Les amis d’Athanase ne manquèrent cependant ni à leur chef, ni à la cause qu’ils avaient embrassée. Avec une véhémence que la sainteté de leur caractère rendait moins dangereuse, ils défendirent la cause de la justice et de la religion, dans les débats publics et dans leurs conférences particulières avec l’empereur. Ils lui déclarèrent que ni l’espoir de sa faveur ni la crainte de sa colère ne les feraient consentir à condamner un confrère absent, innocent et respectable[129]. Ils affirmaient, avec une apparence de raison, que le décret illégal du concile de Tyr était annulé depuis longtemps par les édits de l’empereur lui-même, par la réinstallation honorable de l’archevêque d’Alexandrie, et par la rétractation ou le silence de ses plus bruyants adversaires. Ils alléguaient que son innocence avait été unanimement attestée par tous les évêques de l’Égypte, et reconnue dans les conciles de Rome et de Sardica[130], par la sentence impartiale de l’Église latine ; et ils déploraient la destinée rigoureuse d’Athanase, qui, après avoir joui si longtemps de sa dignité, d’une grande réputation et de la confiance apparente de son souverain, se trouvait exposé de nouveau à se justifier d’accusations fausses et extravagantes. Leurs raisons paraissaient justes et leur conduite était respectable ; mais dans ce débat long et opiniâtre, qui fixait tous les yeux de l’empire sur un seul évêque, les deux factions ecclésiastiques étaient réciproquement disposées à sacrifier la justice et la vérité à leur principal objet, qui était d’écarter ou de soutenir l’intrépide défenseur du symbole de Nicée. Les ariens jugeaient prudent de déguiser encore, sous un langage ambigu, leurs vrais sentiments et leurs projets réels ; mais les évêques orthodoxes, soutenus de la faveur du peuple et du décret d’un concile général, insistèrent dans toutes les occasions, et particulièrement à Milan, sur la tache d’hérésie dont leurs adversaires devaient nécessairement se laver avant d’être reçus à juger la conduite de saint Athanase[131]. Mais la voix de la raison, en supposant qu’elle fût du
côté d’Athanase, fut réduite au silence par les clameurs d’une majorité
factieuse et vénale ; et les conciles d’Arles et de Milan ne se séparèrent
qu’après avoir solennellement condamné et déposé l’archevêque d’Alexandrie
par la double sentence du clergé d’Orient et de celui d’Occident. On requit
les évêques opposants de la souscrire et de s’uni en une seule communion
religieuse avec les chefs suspects de leurs adversaires. Des messagers d’État
portaient une formule de consentement aux évêques absents et l’empereur, sous
le prétexte d’exécuter les décrets de l’Église catholique, bannissait
immédiatement ceux qui refusaient de soumettre leur opinion particulière à la
sagesse inspirée des conciles d’Arles et de Milan. Parmi ces évêques
confesseurs qui subirent l’honorable peine de l’exil, on distingue
particulièrement Liberius de Rome, Osius de Cordoue, Paulin de Trèves, Denys
de Milan, Eusèbe de Vercelles, Lucifer de Cagliari et Hilaire de Poitiers. Le
rang distingué de Liberius, qui gouvernait la capitale de l’empire, le mérite
personnel et la longue expérience du vénérable Osius, l’ancien favori du
grand Constantin, et le père de la foi de Nicée, plaçaient ces évêques à la
tête de l’Église latine, et leur exemple, soit de résistance ou de
soumission, pouvait entraîner une foule de prélats. Mais toutes les
tentatives de l’empereur pour séduire ou pour intimider les évêques de Rome
et de Cordoue furent longtemps inutiles. L’Espagnol déclara qu’il était prêt
à souffrir sous Constance ce qu’il avait éprouvé soixante ans avant sous son
grand-père Maximien. Le Romain soutint, en présence de son souverain,
l’innocence d’Athanase, et la liberté de sa propre conscience. Lorsqu’on
l’exila à Bérée dans La faiblesse de Liberius et d’Osius donna encore plus
d’éclat à la fermeté des évêques qui restèrent fidèles à la cause d’Athanase
et de leur conscience. L’ingénieuse malveillance de leurs ennemis, pour les
priver des consolations et des conseils qu’ils pouvaient recevoir les uns des
autres avait dispersé ces illustres exilés dans les provinces les plus
éloignées. En les séparant les uns des autre, on avait eu soin de les placer
dans les cantons les plus inhabitables de ce grand empire[134]. Mais ils
éprouvèrent bientôt que les déserts de La disgrâce et l’exil des évêques orthodoxes de l’Occident
n’étaient que les moyens préparatoires de la chute d’Athanase[137]. Vingt-six mois
s’étaient écoulés durant lesquels la cour impériale avait mis en usage toutes
sortes d’artifices, pour l’éloigner d’Alexandrie et le priver des secours
qu’il recevait de la libéralité des citoyens. Mais quand le primat d’Égypte,
abandonné et condamné par le clergé latin, se trouva dépourvu de tout secours
étranger, Constance fit partir deux de ses secrétaires chargés verbalement
d’annoncer le bannissement d’Athanase, et de le faire exécuter. Comme la
justice de cette sentence était publiquement reconnue par tout le parti,
l’empereur ne pouvait avoir d’autre motif pour ne pas donner ses ordres par
écrit que la crainte de l’évènement, et le danger auquel la seconde ville de
l’empire et une de ses plus florissantes provinces pouvaient se trouver
opposées, si le peuple s’obstinait à défendre par la force des armes
l’innocence de son père spirituel.
Cette excessive précaution fournit au primat un prétexte spécieux pour
nier respectueusement la vérité d’un ordre qu’il ne pouvait accorder avec
l’équité, non plus qu’avec les précédentes déclarations de son bienveillant
souverain. Les magistrats ne purent lui persuader de quitter la ville ; et,
se trouvant trop faibles pour l’y contraindre, ils firent une convention avec
les chefs du peuple, par laquelle il fût stipulé que toute hostilité serait
suspendue jusqu’au moment où l’empereur ferait connaître plus évidemment sa
volonté. Cette apparence de modération plongea les catholiques dans une
fausse et fatale sécurité, tandis que, selon des ordres secrets, les légions
de Saint Athanase s’était mis à l’abri du danger le plus pressant ; et les aventures de cet homme extraordinaire méritent de fixer un instant notre attention. Dans la nuit fatale où Syrianus, à la tête de ses troupes, avait investi l’église de saint Athanase, l’archevêque, assis sur son siége, y attendait la mort avec une dignité calme et inébranlable. Tandis que des cris de rage et de terreur interrompaient les cérémonies de la dévotion publique, Athanase encourageait son clergé tremblant à exprimer sa pieuse confiance par le chant d’un psaume de David qui célèbre le triomphe du Dieu d’Israël sur le tyran impie de l’Égypte. Les portes furent enfin brisées, une grêle de traits vint fondre sur le peuple[140]. Les soldats s’élancèrent l’épée à la main jusque dans le sanctuaire. Leurs armes, frappées de la lumière des cierges qui brûlaient autour de l’autel, réfléchissaient une effrayante clarté. Les prêtres pressaient l’archevêque de sauver une vie qui leur était si précieuse ; mais le courageux prélat refusa de quitter son siège avant qu’ils se fussent tous mis en sûreté. Le tumulte et l’obscurité de la nuit favorisèrent sa fuite. Perçant avec peines une foule effrayée qui l’écrasait, jeté à terre, foulé aux pieds, et quelque temps privé de sentiment, il retrouva promptement son indomptable courage, et sut tromper l’ardente recherche des soldats, à qui leurs chefs ariens avaient persuadé que la tête d’Athanase serait le présent le plus agréable à l’empereur. Depuis ce moment, le primat de l’Égypte disparut aux yeux de ses ennemis et resta six ans couvert d’une obscurité impénétrable[141]. La puissance despotique de son implacable ennemi
s’étendait dans tout le monde romain, et le monarque furieux écrivit une
lettre pressante aux princes chrétiens d’Éthiopie, pour fermer à Athanase les
parties les plus reculées de la terre. Des comtes, des préfets, des tribuns
et des armées entières furent successivement employés à poursuivre un évêque
fugitif ; et de nombreux édits animèrent la vigilante activité des officiers
civils et militaires. On promit de fortes récompenses à ceux qui livrerait
Athanase mort ou vif, et l’on menaça des châtiments les plus sévères ceux qui
protégeraient l’ennemi public[142]. Mais les
déserts de La persécution de saint Athanase et de tant d’évêques respectables qui ont souffert pour la cause de la vérité, ou du moins pour les sentiments de leur conscience, enflammait de colère et d’indignation tous les chrétiens qui m’étaient pas aveuglément dévoués à la faction de l’arianisme. Les fidèles regrettaient la perte de leurs saints pasteurs, dont le bannissement était ordinairement suivi de l’intrusion d’un étranger dans la chaire pontificale[149]. Ils se plaignaient hautement de ce qu’on avait violé les droits d’élection, et de ce qu’on les obligeait d’obéir à des usurpateurs mercenaires, dont la personne leur édit inconnue et les principes suspects. Les catholiques avaient deux moyens de prouver qu’ils ne participaient pas à l’hérésie de leur chef ecclésiastique, en faisant une opposition publique, ou en se séparant absolument de sa communion. Antioche donna l’exemple du premier, et le succès en répandit l’usage dans toute la chrétienté. La doxologie ou hymne sacrée qui célèbre la gloire de la sainte Trinité, est susceptible de beaucoup d’inflexions très délicates ; mais très importantes, et la substance d’un symbole orthodoxe ou hérétique peut s’exprimer par la différence d’une particule copulative ou disjonctive. Flavius et Diodore, deux laïques dévots, actifs et très attachés à la foi de Nicée, introduisirent des réponses alternatives et une psalmodie plus régulière[150]. Sous leur conduite, un essaim de moines sortit du désert voisin ; des troupes de chanteurs bien instruits remplirent la cathédrale d’Antioche. La gloire DU PÈRE, DU FILS ET DU SAINT-ESPRIT fut célébrée par un chœur général de voix triomphantes[151] ; et les catholiques insultèrent, par la pureté de leur doctrine, l’évêque arien qui avait usurpé le siège du vénérable Eustathe. Le même zèle qui inspirait ces chants engagea les membres les plus scrupuleux de l’Église orthodoxe à former des assemblées particulières, qui furent gouvernées par des prêtres jusqu’à ce que la mort de leur pasteur exilé permit d’en élire et d’en consacrer un autre[152]. Les révolutions de la cour multipliaient le nombre des prétendants, et sous le règne de Constance, deux, trois ou quatre évêques se disputèrent souvent le gouvernement spirituel d’hune ville. Ils exerçaient leur juridiction religieuse sur leurs partisans, perdaient et regagnaient alternativement les possessions temporelles de l’Église. L’abus du christianisme fit naître dans l’empire romain de nouveaux sujets de tyrannie et de sédition. Les violences des factions religieuses rompirent tous les liens de la société civile ; et le citoyen obscur qui pouvait regarder avec indifférence la chute ou l’élévation des empereurs, imaginait et éprouvait que sa vie et sa fortune se trouvaient liées avec les intérêts du chef ecclésiastique et qu’il avait choisi. L’exemple des deux capitales, Rome et Constantinople, peut servir à nous donner une idée de l’état de l’empire, et du .caractère des hommes sous le régner des fils de Constantin. I. Les pontifes
romains, aussi longtemps qu’ils se tinrent à leur rang et conservèrent leurs
principes, furent gardés par le zèle et l’attachement d’un grand peuple, et
purent rejeter avec dédain les prières, les menaces et les offres d’un prince
hérétique. Quand les eunuques eurent secrètement ordonné l’exil de Liberius
les craintes fondées d’une révolte les obligèrent à n’entreprendre
l’exécution de cette sentence qu’avec les plus grandes précautions. On
investit la ville de tous côtés, et le préfet reçut ordre de se saisir de
l’évêque par force ou par adresse. Il obéit. Liberius, avec bien de la peine,
fut enlevé précipitamment à minuit, et éloigner des Romains avant que la
fureur eût succédé à leur consternation. Dès qu’ils eurent appris que leur
évêque était relégué au fond de II. Quoique les
chrétiens se fussent rapidement multipliés sous le gouvernement de la race
flavienne, Rome, Alexandrie et les autres grandes villes de l’empire
contenaient encore une nombreuse et puissante faction d’infidèles, qui
enviaient la prospérité de l’Église chrétienne, et se moquaient publiquement
sur leurs théâtres des questions théologiques. Constantinople jouissait seule
de l’avantage d’être née, dans le sein de l’Église, et de n’avoir jamais été
souillée par le culte des idoles ; tous ses habitants avaient fortement
embrassé les opinions, les vertus et les passions qui distinguaient les
chrétiens de ce siècle de tout le reste de l’univers. Après la mort
d’Alexandre, Paul et Macedonius se disputèrent le siége épiscopal. Ils en
étaient dignes l’un et l’autre par leur zèle et par leurs talents ; et
si Macedonius l’emportait par la pureté des mœurs, son concurrent avait sur
lui l’avantage d’une élection antérieure et d’une doctrine plus orthodoxe.
L’inviolable attachement à la foi de Nicée, qui l’a placé au rang des saints
et des martyrs, l’exposa au ressentiment des ariens. Dans l’espace de
quatorze ans, il fut cinq fois chassé de son siège, et réinstallé plus
souvent par la révolte du peuple que par la permission du souverain. La mort
de Paul pouvait seule assurer à Macedonius la possession tranquille de son
évêché. On traîna l’infortuné Paul, accablé sous le poids des chaînes, depuis
les déserts sablonneux de Constance, dont les inclinations cruelles et despotiques
n’attendaient pas toujours, pour se montrer, le crime ou la résistance, fut
justement irrité du tumulte de sa capitale et de l’audace d’une faction qui
insultait la religion et l’autorité de son souverain. Ce fut sur elle que
tombèrent les peines de mort, d’exil, de confiscation ; et les Grecs révèrent
encore la mémoire de deux clercs, d’un lecteur et d’un sous diacre qui,
accusés du meurtre d’Hermogènes, eurent la tête tranchée aux portes de
Constantinople. Par un édit contre les catholiques, qu’on n’a pas crû digne
de tenir une place dans le Code de Théodose, Constance condamna tous ceux qui
refuseraient de communier des mains d’un évêque arien et particulièrement de
Macedonius, à perdre les privilèges d’ecclésiastiques et les droits de
chrétiens. On les chassa de leurs églises, et on leur défendit sévèrement de
s’assembler dans la ville. Le soin de faire exécuter cette loi injuste dans Tandis que la fureur des disputes de l’arianisme déchirait
le cœur de l’empire, des ennemis particuliers désolaient les provinces de
l’Afrique, sous le nom de circoncellions. Ces fanatiques féroces étaient à la
fois la force et la honte du parti des donatistes[161]. L’exécution
sévère des lois de Constantin avait excitée l’esprit de mécontentement et de
révolte ; et la haine mutuelle,
première cause de la séparation, s’était envenimée par les efforts assidus de
son fils Constans pour opérer la réunion de l’Église. Les moyens de force et
de corruption employés par les commissaires impériaux, Paul et Macaire,
fournissaient aux schismatiques le prétexte d’un contraste odieux entre les
maximes des apôtres et la conduite de leurs prétendus successeurs[162]. Les villages
de Numidie et de Mauritanie étaient peuplés d’une race d’hommes féroces, peu
soumis à l’autorité des lois romaines et imparfaitement convertis à la foi
chrétienne, mais enflammés d’un zèle aveugle et d’un enthousiasme violent
pour la cause de leurs prédicateurs donatistes. Ils voyaient avec indignation
leurs évêques exilés, leurs églises démolies et leurs assemblées
interrompues. Les vexations des officiers de justice, soutenues le plus
souvent par une garde militaire, étaient quelquefois repoussées avec violence
; et la mort de plusieurs ecclésiastiques en possession de la faveur
populaire qui furent massacrés dans des émeutes, enflammait ces féroces
prosélytes du désir de venger leurs martyrs. Les ministres de la persécution
succombaient souvent victimes de leur propre imprudence et de leur cruauté,
et le crime d’un tumulte accidentel précipitait les coupables dans le
désespoir et dans la révolte. Chassés des villages où ils avaient pris
naissance, les paysans donatistes s’assemblèrent en troupes formidables sur
les confins des déserts de Gétulie. Ils abandonnèrent volontiers les travaux
d’une vie pénible pour se livrer à l’oisiveté et au brigandage qu’ils
exerçaient au nom de la religion, et que leurs docteurs condamnaient
faiblement. Les chefs des circoncellions prenaient le titre de capitaines
des saints. Peu fournis de lances et d’épées, ils se servaient
ordinairement d’une forte massue qu’ils appelaient une israélite ; et
leur cri de guerre bien connu, loué soit Dieu,
répandait la consternation dans toutes les provinces désarmées de l’Afrique.
Le manque de subsistances fut le prétexte de leurs premières déprédations ;
mais leurs dévastations excédèrent bientôt leurs besoins ; et,
s’abandonnant à la débauche et à la cupidité, ils incendièrent les villages
après les avoir pillés, et régnèrent en tyrans sur toute la campagne.
L’agriculture et l’administration de la justice étaient interrompues : comme
les circoncellions prétendaient rétablir l’égalité primitive du genre humain
et réformer les abus de la société civile, ils offraient un asile aux
esclaves et aux débiteurs qui accouraient en foule sous leurs drapeaux
sacrés. Lorsqu’on ne leur résistait pas, ils se contentaient ordinairement de
piller ; mais la moindre opposition était suivie de violences et de meurtres,
et ils firent souffrir les tortures les plus affreuses à quelques prêtres
catholiques qui avaient voulu signaler imprudemment leur zèle. Les
circoncellions n’avaient pas toujours affaire à des ennemis désarmés ; ils
attaquèrent souvent et mirent quelquefois en fuite les troupes militaires de
la province. A la sanglante affaire de Bagai, ils tombèrent avec impétuosité,
mais sans succès, au milieu d’une plaine, sur
un détachement de la cavalerie impériale. On traitait en bêtes féroces
les donatistes pris les armes à la main, et ils le méritèrent bientôt par
leurs forfaits ; on les faisait périr par l’épée, par la hache ou par le feu.
Ils mouraient sans pousser un murmure, et leurs sanglantes représailles, en
aggravant et multipliant les horreurs de la révolte, ne laissaient point
d’espoir de réconciliation. Au commencement de notre siècle, on a vu se
renouveler les scènes d’horreur de la guerre des circoncellions, dans la
persécution, l’intrépidité, les crimes et l’enthousiasme des camisards ; et
si les fanatiques du Languedoc surpassèrent ceux de De tels désordres sont les effets naturels de la tyrannie religieuse ; mais la fureur des donatistes était enflammée par une frénésie d’une espèce extraordinaire, et dont il n’y a jamais eu d’exemple dans aucun temps et dans aucun pays ; s’il est vrai qu’ils l’aient poussée au degré d’extravagance qu’on leur attribue. Une partie de ces fanatiques détestaient la vie et désiraient vivement de recevoir le martyre. Il leur importait peu par quel supplice ou par quelles mains ils périssaient, pourvu que leur mort fût sanctifiée par l’intention de se dévouer à la gloire de la vraie foi, et à l’espérance d’un bonheur éternel[164]. Ils allaient quelquefois insulter les païens au milieu de leurs fêtes et jusque dans leurs temples, dans l’espérance d’exciter les plus zélés idolâtres à venger l’honneur de leurs divinités. D’autres se précipitaient dans les lieux où se rendait la justice, et forçaient les juges effrayés à ordonner leur prompte exécution. Ils arrêtaient souvent les voyageurs sur les grands chemins, et les forçaient à leur infliger le martyre, en leur promettant une récompense s’ils consentaient à les immoler, et en les menaçant de leur donner la mort s’ils leur refusaient ce singulier service. Lorsque toutes ces ressources leur manquaient, ils annonçaient un jour où, en présence de leurs amis et de leurs parents, ils se précipiteraient du haut d’un rocher ; et on montrait plusieurs précipices devenus fameux par le nombre de ces suicides religieux. Dans la conduite furieuse de ces enthousiastes, admirés par un parti comme les martyrs de la foi, et abhorrés par l’autre comme les victimes de Satan, un philosophe impartial découvre aisément l’influence ou l’abus de l’inflexibilité d’esprit puisée dans le caractère et les principes de la nation juive. Le simple récit des divisions intestines qui troublèrent a paix de l’Église et déshonorèrent son triomphe, confirmera la remarque d’un historien païen, et justifiera les plaintes d’un respectable évêque. L’expérience avait convaincu Ammien que les chrétiens, dans leurs mutuelles animosités, surpassaient en fureur les bêtes féroces que doit le plus redouter l’homme[165] ; et saint Grégoire de Nazianze se plaint pathétiquement de ce que le royaume de Dieu, en proie à la discorde, présente l’image du chaos[166], d’une tempête nocturne, ou même de l’enfer. Les fougueux écrivains de ce temps, dont la partialité ne reconnaît que des vertus à leurs partisans et charge leurs adversaires de tous les crimes, semblent, dans leurs récits, peindre la guerre des anges contre les démons ; mais notre raison plus calme rejette également l’idée de ces prodiges de sainteté et de ces monstres de vice : nous demeurerons persuadés, en la consultant, que les factions qui s’accusaient mutuellement d’hérésie, et prétendaient chacune être la seule orthodoxe, ont également, ou dit moins indistinctement, déployé des vices et des vertus. Elles avaient été élevées dans la même religion, dans la même société civile, dans les mêmes craintes et les mêmes espérances pour cette vie et pour celle qui doit la suivre. De quelque côté que fût l’erreur, elle pouvait être innocente dans les deux opinions. La foi pouvait être sincère et la pratique vertueuse ou corrompue. Les passions des deux partis étaient excitées par les mêmes objets ; ils pouvaient alternativement abuser de la faveur de la cour ou de celle du peuple. Les opinions métaphysiques des disciples d’Arius ou de saint Athanase ne changeaient pas leur caractère moral, et étaient également animés par l’esprit d’intolérance que le fanatisme a su tirer des maximes pures et simples de l’Évangile. L’auteur moderne d’une histoire, qu’avec une juste
confiance il a honoré du titre de politique et philosophique[167], accuse
Montesquieu d’une réserve timide, parce qu’au nombre des causes qui ont
entraîné la décadence de l’empire, il n’a pas compris une loi de Constantin
qui supprimait absolument le culte des païens, et laissait une grande partie
de ses peuples sans prêtres, sans temples, et sans religion publique. Le zèle
de cet écrivain philosophe pour les droits de l’humanité, l’a fait acquiescée
au témoignage équivoque des ecclésiastiques qui ont trop légèrement attribué
à leur héros favori le mérite d’une persécution générale[168]. Au lieu de
donner foi à une loi imaginaire, qui, si elle eût existé, se placerait avec
orgueil en tête des codes impériaux, nous pouvons nous en rapporter à la
lettre originale de Constantin, que cet empereur adressait aux sectateurs de
l’ancienne religion dans un temps où il ne déguisait plus sa conversion, et
où son trône était affermi par la chute de tous ses rivaux. Il invite et
exhorte dans les termes les. plus pressants tous les sujets de l’empire
romain à imiter l’exemple de leur souverain ; mais il déclare que ceux dont
l’aveuglement résistera à la lumière céleste jouiront en paix de leurs
temples et du culte de leurs dieux imaginaires. La suppression totale des
cérémonies du paganisme est formellement démentie par l’empereur lui-même,
qui motive sagement sa modération sur ce qu’il croit devoir accorder à
l’empire invincible de l’habitude, des préjugés et de la superstition[169]. Sans violer sa
promesse, sans alarmer les païens, le monarque adroit minait lentement et
avec précaution le bizarre et ruineux édifice du polythéisme ; quoique son
zèle pour la foi chrétienne fût sans doute le motif secret de la sévérité
qu’il exerçait dans des occasions particulières, il avait soin de la colorer
d’un prétexte plausible de justice et d’utilité publique ; et il attaquait
secrètement les fondements de l’ancienne religion sous le prétexte d’en
réformer les abus. A l’exemple de ses plus sages prédécesseurs, il condamna à
des peines rigoureuses l’art impie de la divination, qui donnait des
espérances illusoires et encourageait quelquefois les entreprises criminelles
d’hommes inquiets ou mécontents de leur état. Il condamna à un silence
ignominieux les oracles, dont on avait reconnu publiquement la fraude et la
fausseté, et supprima les prêtres effémines du Nil. Constantin remplit les
devoirs d’un censeur romain, quand il fit démolir les temples de Phénicie,
dans lesquels on pratiquait dévotement, en plein jour, toutes les espèces de
prostitution en l’honneur de Vénus[170]. La ville
impériale de Constantinople s’éleva, en quelque façon, aux dépens des temples
de Les fils de Constantin suivirent, avec plus de zèle et moins de discrétion les traces de leur père et multiplièrent les prétextes de vexation, et de rapine[172]. Dans leurs procédés les plus illégaux, les chrétiens étaient toujours sûrs de l’indulgence ; le moindre doute servait de preuve contre les païens ; et l’on célébra la démolition de leurs temples comme un des événements les plus heureux du règne de Constance et de Constans[173]. Nous trouvons le nom de Constance à la tête d’une loi concise qui semblait devoir rendre superflue toute défense subséquente. Nous ordonnons expressément que dans toutes les villes et lieux de notre empire tous les temples soient immédiatement fermés et gardés avec soin ; afin qu’aucun de nos sujets n’ait l’occasion de s’y rendre coupable nous leur ordonnons également à tous de s’abstenir de sacrifices ; et si quelqu’un d’eux continuait à en faire malgré notre défense, nous voulons qu’il périsse par le glaive et que ses biens soient confisqués au profil du public. Nous condamnons aux mêmes peines les gouverneurs des provinces qui négligeront de punir les criminels[174]. Mais nous avons de fortes raisons pour croire que ce formidable édit n’a point été publié, ou du moins qu’il n’a pas eu d’exécution. Des faits connus et des monuments de cuivre et de marbre qui existent encore, prouvent que durant tout le règne des fils de Constantin la religion païenne eut son culte public. On laissa subsister un grand nombre de temples dans les villes et dans les campagnes de l’Orient et de l’Occident ; et la multitude dévote pût encore jouir de la pompe des sacrifices, des fêtes et des processions, sous la protection ou par l’indulgence du gouvernement civil. Quatre ans après la date supposée de ce sanglant édit, Constance visita les temples de Rome ; et un auteur païen célèbre la conduite décente du souverain dans cette occasion, comme un exemple digne d’être imité par ses successeurs. Cet empereur, dit Symmaque, respecta les privilèges des vestales. Il conféra les dignités sacerdotales aux nobles de Rome, accorda les sommes ordinaires pour les frais des fêtes et des sacrifices publics : et, quoiqu’il eût embrassé une nouvelle religion, il n’entreprit jamais de priver les sujets de l’empire du culte sacré de leurs ancêtres[175]. Le sénat conservait l’usage de consacrer, par des décrets publiés, la mémoire divine des empereurs ; et Constantin lui-même fut associé, après sa mort, aux dieux qu’il avait désavoués et insultés durant sa vie. Sept empereurs chrétiens occupèrent sans difficulté le titre, les décorations et les privilèges de l’office de grand pontife, institué par Numa, et adopté par Auguste. Ces princes eurent une autorité plus absolue sur la religion qu’ils avaient abandonnée que sur celle qu’ils professaient[176]. Les divisions des chrétiens suspendirent la ruine du
paganisme[177].
Les princes et les évêques, effrayés crimes et des révoltes de leur parti,
poussaient moins vigoureusement leur sainte guerre contre les infidèles. Les
principes d’intolérance établis alors eussent pu justifier la destruction de
l’idolâtrie[178],
mais les sectes ennemies, qui dominaient alternativement à la cour,
craignaient toujours d’aliéner et de pousser à bout une faction encore
puissante, quoique affaiblie. Tous les motifs de mode, de raison et d’intérêt
combattaient alors en faveur du christianisme ; mais deux ou trois
générations s’écoulèrent sans que leur influence victorieuse se fit généralement
sentir. Un peuple nombreux, plus attaché à ses anciennes habitudes qu’à des
opinions spéculatives révérait encore une religion depuis si longtemps
établie et si récemment encore dominante dans tout l’empire romain.
Constantin et Constance distribuèrent indifféremment à tous leurs sujets les
honneurs civils et militaires, et parmi ceux qui professaient le polythéisme,
il se trouvait beaucoup d’hommes savants, riches et courageux. Les
superstitions du sénateur et du paysan, du poète et du philosophe, avaient
une source différente ; mais ils se réunissaient tous avec une égale dévotion
dans les temples de leurs dieux. Le triomphe insultant d’une secte proscrite
enflamma peu à peu leur zèle et leur espoir se ranima par la confiance bien
fondée que l’héritier présomptif de l’empire, le jeune et vaillant héros qui
avait délivré |
[1] Eusèbe, in Vit. Constant., III, c. 63, 64, 65, 66.
[2] Après avoir comparé les opinions de Tillemont, de Beausobre, Lardner, etc., je suis convaincu que la secte de Manès ne se propagea pas même en Perse avant l’année 270. Il est étonnant qu’une hérésie philosophique et étrangère ait pénétré si rapidement dans les provinces d’Afrique. Cependant il est difficile de rejeter l’édit de Dioclétien contre les manichéens. On peut le trouver dans Baronius, Annal. ecclés., A. D. 287.
[3] Constantinus enim, cum limatiuis superstitionum quæreret sectas, manichœorum et similium, etc.. (Ammien, XV, 15.) Strategius, à qui cette commission valût le surnom de Musonien, était chrétien de la secte d’Arius. Il fut employé en qualité de comte au concile de Sardica. Libanius fait l’éloge de sa douceur et de sa prudence. Valois, ad locum Ammian.
[4] Cod. Theod., XVI, tit. 5, leg. 2. Comme la loi générale n’est point insérée dans le Code Théodosien, il est probable que dans l’année 438 les sectes qui avaient été condamnées étaient éteintes.
[5] Sozomène, I, c. 22 ; Socrate, I, c. 10. Ces historiens ont été soupçonnés, sans aucun motif, à ce qu’il me semble, d’être attachés à la doctrine des novatiens. L’empereur dit à l’évêque : Acesius, prenez une échelle, et montez tout seul au ciel. La plupart des sectes chrétiennes ont emprunté tour à tour l’échelle à Acesius.
[6] Les meilleurs matériaux relativement à cette partie de l’histoire ecclésiastique se trouvent dans l’édition d’Optat de Milève, publiée à Paris, en 1700, par M. Dupin, qui l’a enrichie de notes critiques, de discussions géographiques, d’actes authentiques, et d’un abrégé exact de toute cette controverse. M. de Tillemont a rempli la plus grande partie d’un de ses volumes de l’histoire des donatistes (t. VI, part. I), et je lui suis redevable d’une ample collection de passages de saint Augustin relativement à ces hérétiques.
[7] Schisma igitur illo tempore çonfusœ mulieris iracundia peperit ; ambitus nutrivit ; avaritia roboravit. (Optat, I, c. 19.) Le langage de Purpurius est celui d’un frénétique furieux : Dicitur te necasse filios sororis tuæ duos. Purpurius repondit : Putas me terreri a te... Occidi, et occido eos qui contra me faciunt. (Acta concil. Cirtensis, ad calc. Optat, p. 274.) Lorsque Cécilien fut invité à une assemblée d’évêques, Purpurius dit à ses confrères, ou plutôt à ses complices : Qu’il vienne ici recevoir l’imposition de nos mains, et, pour punition, nous lui casserons la tête en guise de pénitence. Optat., I, c. 19.
[8] Les conciles d’Arles, de Nicée et de Trente, confirmèrent la pratique sage et modérée de l’Eglise de Rome. Les donatistes toutefois eurent l’avantage, de maintenir le sentiment de saint Cyprien et d’une grande partie de la primitive Église. Vincentius-Lirinensis, (p. 332, ap. Tillemont, Mém. ecclésiastiques, t. VI, p. 138) a expliqué pourquoi les donatistes brûlent dans les enfers, tandis que saint. Cyprien est, dans le ciel avec Jésus-Christ.
[9] Voyez le sixième livre d’Optat de Milève, p. 91-100.
[10] Tillemont, Mém. ecclés., t. VI, part I, p. 253. Il plaisanté sur leur cruauté partiale. Tillemont a beaucoup de vénération pour saint Augustin, le grand docteur du système.
[11] Plato Egyptum peragravit, ut a sacerdotibus barbaris numeros et cœlestia acciperet. (Cicéron, de Finibus, v. 25.) Les Égyptiens conservaient peut-être encore la tradition de la religion des patriarches. Josèphe a persuadé à plusieurs pères de l’Église que Platon avait tiré des Juifs une grande partie de ses connaissances ; mais on ne peut guère considérer cette opinion avec l’obscurité et l’insociabilité du peuple juif, dont les Écritures ne furent accessibles à la curiosité des Grecs que plus de cent ans après la mort de Platon. Voyez Marsham, Canon. Chron., p. 144 ; Le Clerc, Épist. critic., VII, p. 177-194.
[12] Les modernes que j’ai pris pour guides dans la connaissance du système de Platon, sont Cudworth (Système intellectuel., p. 568-620) ; Basnage (Hist. des Juifs, IV, p. 53-86), ; Le Clerc (Épist. crit., VII, p. 194-209), et Brucker (Hist. philosoph., t. I, p. 675-706). Comme leur érudition était égale, et leur intention différente, un observateur attentif peut tirer quelques lumières de leurs disputes, et regarder comme constants les faits dont ils conviennent unanimement.
[13] Cet exposé de la doctrine de Platon me paraît contraire
au véritable sens des écrits de ce philosophe. La brillante imagination qu’il a
portée dans ses recherchés métaphysiques, son style plein d’allégories et de
figures, ont pu induire en erreur des interprètes qui ne cherchaient pas dans
l’ensemble de ses ouvrages et au-delà des images dont se servait l’écrivain, le
fond des idées du philosophe. Il n’y a point à mon avis de Trinité dans Platon
; il n’a établi aucune génération mystérieuse entré les trois prétendus
principes qu’on lui fait distinguer. Enfin, il n’a jamais conçu que comme des
attributs de
Selon Platon Dieu et la
matière existent de toute éternité. Avant la création du monde la matière avait
en elle un principe de mouvement., mais sans but et sans lois c’est ce principe
que Platon appelle l’âme irraisonnable du monde (αλογος
ψυχη) parce que, dans sa doctrine, tout principe
spontané et originaire de mouvement s’appelle âme. Dieu voulut imprimer la
forme à cette matière, c’est-à-dire, 1° travailler la matière et en former des
corps ; 2° régler son mouvement et l’assujettir à un but, à des lois.
Enfin, on ne trouve nulle
part dans ses écrits une véritable personnification des êtres prétendus dont on
a dit qu’il formait une Trinité ; et si cette personnification existait elle
s’appliquerait également à plusieurs autres idées, dont on pourrait former
plusieurs Trinités différentes.
Du reste, cette erreur dans
laquelle sont tombés la plupart des interprètes de Platon, tant anciens que
modernes, était assez naturelle. Outre les piéges que leur tendait son style
figuré, outre la nécessité d’embrasser en entier le système de osés idées, et
de ne pas expliquer les passages isolément, la nature même de sa doctrine
pouvait y conduire. Lorsque Platon parut l’incertitude des connaissances
humaines et les tromperies continuelles des sens étaient reconnues, et
donnaient lieu à un scepticisme, général. Socrate avait voulu mettre la morale
à l’abri de ce scepticisme ; Platon tenta d’en sauver la métaphysique en
cherchant dans l’entendement humain la source de la certitude que les sens ne
peuvent fournir. Il inventa le système des idées innées, dont l’ensemble
formait, selon lui, le monde idéal, et affirma que ces idées étaient les
véritables attributs attachés non seulement à nos représentations des objets,
mais encore à la nature des objets eux-mêmes ; nature que nous pouvions
connaître d’après elles. Il donnait donc à ces idées une existence positive
comme attributs ; ses commentateurs pouvaient aisément leur donner une
existence réelle comme substances d’autant que les termes dont il se servait
pour les désigner, αυτο το xαλον,
αύτο το αγαθον
(la beauté elle-même, la bonté elle-même),
se prêtaient à cette substantialisation
(hypostasis.)
(Note de l’Editeur.)
[14] Brucker., Hist. philosoph., tome I, page
[15] Josèphe, Antiquités, ; VII, c. 1, 3 ; Basnage, Hist. des Juifs, VII, c. 7.
[16] Relativement à l’origine de la philosophie juive, voyez Eusèbe, Prœparat. evangel., 8, 9, 10. Philon prétend que les Thérapeutes étudiaient la philosophie, et Brucker a prouvé (Hist. Philosoph., t. II, p. 787) qu’ils donnaient la préférence à celle de Platon.
[17] Voyez Calmet, Dissertations sur
[18] La philosophie de Platon n’était pas la seule source de
celle qu’on professait à l’école d’Alexandrie. Cette ville, où se réunirent des
lettrés grecs, juifs, égyptiens fut le théâtre d’un bizarre amalgame des
systèmes de ces trois peuples les Grecs y apportèrent un platonisme déjà altéré
; les juifs, qui avaient pris à Babylone un grand nombre d’idées orientales, et
dont les opinions théologiques ou philosophiques avaient subi de grands
changements par ces communications, s’efforcèrent de concilier le platonisme
avec leur nouvelle doctrine, et le défigurèrent entièrement ; enfin les
Égyptiens, qui ne voulaient pas abandonner des idées pour lesquelles les Grecs
eux-mêmes avaient du respect, travaillèrent de leur côté à les arranger avec
celles de leurs voisins. C’est dans l’Ecclésiastique et dans le livre de
[19] Le Clerc (Épîtres critiques, VIII, pages 211-228) a prouvé, d’une manière victorieuse, le platonisme de Philon, si fameux, qu’il était passé en proverbe. Basnage (Hist. des Juifs, IV, ch. 5) a démontré clairement que les œuvres théologiques de Philon furent composées avant la mort et très probablement avant la naissance de Jésus-Christ. Dans ce temps d’obscurité les connaissances de Philon sont plus étonnantes que ses erreurs. Bull., Defens. fid. nicen., s. I, c. I, p. 12.
[20] Mens agitat molem, et magno se corpori miscet.
En outre de cette âme matérielle, Cudworth a découvert (p. 562) dans Amelius, Porphyre, Plotin, et, selon lui, dans Platon lui-même, une âme spirituelle, supérieure, upercosmienne, de l’univers ; mais Brucker, Basnage et Le Clerc, prétendent que cette double âme est une invention oiseuse des derniers platoniciens.
[21] Petau, Dogmata theologica, t. II, l. VIII, c. 2, p. 791 ; Bull., Defens. fid. nicen., s. I, c. I, p. 8, 13. Cette opinion fut adoptée dans la théologie chrétienne, jusqu’au moment où les ariens en abusèrent. Tertullien (advers. Praxeam, c. 16) contient un passage remarquable et dangereux. Après avoir mis en opposition, d’une manière aussi indiscrète qu’ingénieuse, la nature de Dieu et les actions de Jéhovah, il conclut : Scilicet ut hœc de Filio Dei non credenda fuisse, si non scripta essent, fortasse non credenda de Patre, licet scripta.
[22] Les platoniciens admiraient le commencement de l’Évangile de saint Jean, comme contenant une imitation exacte de leurs principes. (Saint Augustin, de Civit. Dei, X, 29. ; Amelius, apud Cyril., advers. Julian, VIII, p. 283.) Mais dans les troisième et quatrième siècles, les platoniciens d’Alexandrie ont pu perfectionner leur Trinité par l’étude de la théologie chrétienne.
[23] Une courte discussion sur le sens dans lequel saint Jean
a pris le mot logos prouvera qu’il ne l’a point emprunté de la philosophie de
Platon.
L’évangéliste se sert de ce
mot sans explication préalable, comme d’un terme que ses contemporains
connaissaient déjà et devaient comprendre. Pour savoir le sens qu’il lui prête,
il faut donc chercher quel était celui qu’on lui prêtait de son temps : on en
trouve deux ; l’un était attaché au mot logos par les Juifs de
L’école d’Alexandrie, au
contraire, et Philon entre autres, mêlant les idées grecques aux idées
judaïques et orientales, et se livrant à un penchant vers le mysticisme,
personnifia le logos, et le représenta (voyez la note 18) comme un être
particulier, créé de Dieu, et intermédiaire entre Dieu et les hommes ; c’est le
second logos de Philon (λογος
προφοριxος), celui qui
agit lors de la naissance du monde, seul
de son espèce (μονογενης), créateur du monde sensible (xοσμος
αισθηπτος), que Dieu forma
d’après le monde idéal (xοσμος
νοητος) qu’il avait en lui, et qui était
le premier logos (ο
ανωτατω), le premier né (ο
πρεσβυτερος
νιος) de
Quel est celui de ces deux
sens que saint Jean a eu l’intention de prêter au mot logos dans le premier
chapitre de son Evangile et dans tout ce qu’il a écrit ?
Saint Jean était un Juif né
et élevé en Palestine ; il ne connaissait point, ou du moins très peu, la
philosophie des Grecs et celle des Juifs grécisants : il devait donc
naturellement attacher au mot logos le sens qu’y attachaient les Juifs de
Ce qu’il y a de
remarquable, c’est que les Juifs de
[24] Voyez Beausobre, Hist. critique du Manichéisme, tome I, p. 337. L’Évangile selon saint Jean est supposé avoir été publié environ soixante-dix ans après la mort de Jésus-Christ.
[25] Mosheim (p. 331) et Le Clerc (Hist. ecclés., p. 535) expliquent clairement les sentiments des ébionites. Les critiques attribuent à un de ces sectaires les Clémentines publiées par les pères apostoliques.
[26] Les polémistes opiniâtres comme Bull (Judicium. Eccles. cathol., c. 2) insistent sur l’orthodoxie des nazaréens, qui paraît moins pure et moins certaine aux yeux de Mosheim, p. 330.
[27] L’obscurité et les souffrances de Jésus ont toujours été le grand argument des Juifs. Deus contrariis coloribus Messiam depinxerat ; futurus erat rex, Judex, pastor, etc. Voyez Limborch et Orobio, amica Collat., p. 8, 19, 53, 76, 192, 234. Cette objection a obligé les chrétiens à élever leurs yeux vers un royaume spirituel et éternel.
[28] Saint Justin martyr, Dialog. cum Tryphonte, p. 143, 144. Voyez Le Clerc, Hist. ecclés., p. 615 ; Bull et Grabe son éditeur (Judicium Eccles. catholic., c. 7, et l’Appendice), essaient de défigurer les sentiments ou les paroles de saint Justin ; mais leur correction, qui fait violence au texte, a été rejetée même de l’édition des bénédictins.
[29] La plupart des docètes rejetaient la véritable divinité
de Jésus-Christ aussi bien que sa nature humaine : ils étaient du nombre des
gnostiques, dont quelques philosophes, au parti desquels se range Gibbon, ont
voulu faire dériver les opinions de celles de Platon. Ces philosophes ne
réfléchissaient pas que le platonisme avait subi des altérations continuelles,
et que celles qui lui donnaient quelques rapports avec les idées des
gnostiques, étaient postérieures à la naissance reconnue des sectes comprises
sous ce nom. Mosheim a prouvé (dans ses Instit.
histor. Eccles. major., sec. I, p. 136 sqq., et p. 339 sqq.), que la
philosophie orientale, combinée avec la philosophie cabalistique des Juifs,
avait donné naissance au gnosticisme. Les rapports qui existent entre cette
doctrine et les monuments qui nous restent de celle des Orientaux, comme les
Chaldéens et les Perses, sont évidents, et ont été la source des erreurs des
gnostiques chrétiens qui ont voulu concilier leurs anciennes idées avec leur
nouvelle croyance. C’est à cause de cela qu’en niant la nature humaine du
Christ, ils niaient aussi son union intime avec Dieu, et ne le prenaient que
pour une des substances (æones) créées de Dieu. Comme ils
croyaient à l’éternité de la matière, et la regardaient, comme le principe du
mal, par opposition à
[30] Les ariens
reprochaient au parti orthodoxe d’avoir pris ses sentiments sur
[31] Non dignum est utero credere Deum, ei Deum Christum... Non dignum est ut tanta majestas per sordes, et squalores mulieris transire credatur. Les gnostiques tenaient pour l’impureté de la matière et du mariage ; et ils étaient scandalisés des grossières interprétations des pères et de Saint Augustin lui-même. Voyez Beausobre, t. II, p. 523.
[32] Apostolis adhuc in
sœculo superstitibus apud Judœam Christi sanguine recente, et phantasma corpus
Domini asserebatur. Cotelier pense (Patres apostol., t. II, p. 24) que ceux qui refusent de croire que
les docètes parurent du temps des apôtres peuvent aussi nier qu’il fait jour à
(*) Le nom de docètes ne fut donné à ces sectaires que dans le cours du deuxième siècle : ce nom ne désignait pas une secte proprement dite, il s’appliquait à toutes les sectes qui enseignaient la non réalité du corps matériel de Jésus-Christ : de ce nombre étaient les valentiniens, les basilidiens, les ophites, les marcionites, contre qui Tertullien écrivit son livre de Carne Christi, et, d’autres gnostiques. A la vérité Clément d’Alexandrie (III, stromat., c. 13, p. 552) fait une mention expresse d’une secte de docètes, et nomme même comme un de ses chefs un certain Cassianus ; mais tout nous porte à croire que ce n’était point là une secte particulière. Philastrius (de Hœres, c. 31) reproche à Saturninus d’être un docète. Irénée (adversus Hœreses., c. 23) fait le même reproche à Basilide. Épiphane et Philastrius, qui ont traité avec détail de chaque hérésie particulière, ne nomment point spécialement celle des docètes : l’évêque d’Antioche Sérapion (Eusèbe, Hist. ecclés., VI, c. 12) et Clément d’Alexandrie (VII, stromat., p. 900) paraissent être les premiers qui se soient servis de ce nom générique, et on ne le retrouve dans aucun monument antérieur, quoique l’erreur qu’il indique existât déjà du temps des apôtres. Voyez Ch.-G.-Fr. Walch, Hist. des hérésies, t. I, p. 233 ; Tillemont, Mém. pour servir à l’Hist. ecclés., t. II, p. 50 ; Buddæus, de Eccl. apostol., c. 5, § 7. (Note de l’Éditeur.)
[33] On peut trouver
dans
[34] Doleo bona fide, Platonem omnium hœreticorum condimentarium factum. Tertullien, de Anima, c. 23. Petau, Dogm. theolog., t. III, proleg. 2) prouve que ce reproche était général. Beausobre (t. I, l. III, c. 9, 10) a présenté les erreurs des gnostiques comme une conséquence des principes de Platon et, comme dans l’école d’Alexandrie, ces principes se trouvaient mélangés avec la philosophie orientale (Brucker, t. X, p. 1356), le sentiment de Beausobre peut se concilier avec l’opinion de Mosheim (Hist. générale de l’Église, vol I, p. 37).
[35] Théophile, évêque d’Antioche, fut le premier qui employa le mot Triade, Trinité : ce terme abstrait, qui était déjà familier dans les écoles de la philosophie, ne doit avoir été introduit dans la théologie des chrétiens que passé le milieu du second siècle.
[36] Saint Athanase, t. I, page 808. Ses expressions sont infiniment énergiques ; et, comme il écrivait à des moines, rien ne l’obligeait à affecter un langage raisonnable.
[37] Nous devions
espérer de trouver
[38] Tertullien, in Apolog., c. 46. Voyez Bayle, son Dictionnaire au mot Simonide ; ses remarques sur la présomption de Tertullien sont profondes et intéressantes.
[39] Lactance, IV, 8. Cependant la probole ou prolatio que les ecclésiastiques les plus orthodoxes empruntaient sans scrupule des valentiniens, et qu’ils expliquaient par la comparaison d’une fontaine ou d’une source, du soleil et de ses rayons, etc., ou ne signifiait rien, ou favorisait l’idée matérielle de la génération divine. Voyez Beausobré, t. I, l. III, c 7, p. 548.
[40] Plusieurs des premiers écrivains ont avoué franchement que le fils devait son existence à la volonté du père. (Voyez Clarke, Trinité de l’Écriture, p.280-287.) D’un autre côté, saint Athanase et ses disciples ne semblent point disposés à accorder ce qu’ils craignent de nier. Les théologiens se tirèrent de cette difficulté par la distinction de deux volontés, l’une précédente et l’autre concomitante. (Pétau, Dogm. théolog., t. II, l. VI, c. 8, p587-603).
[41] Voyez Pétau, Dogm. théolog., t. II, l. II, c. 10, p. 159.
[42] Carmenque Christo, quasi Deo dicere secum invicem. Pline, Lettres, X, 97. Le sens de Deus, Θεος, Elohim dans les langues plus anciennes, est soigneusement examiné par Le Clerc (Ars critica, p. 150-156) ; et le socinien Emlyn soutient avec force la pratique d’adorer une créature douée de toute excellence. Voyez son Trinité, p. 29-36, 51-145.
[43] Voyez Daillé, de
Usu patrum ; et Le Clerc, Biblioth. univer., t. X, p. 409.
L’immense, ouvrage du père Pétau sur
[44] La rédaction des symboles les plus anciens laissait une grande latitude. Voyez Bull (Judicium Eccles. cathol.) qui tâche d’empêcher Episcopius de tirer parti de cette observation.
[45] Mosheim (p. 425, 680-714) explique clairement les hérésies de Praxeas, Sabellius, etc. Praxeas, qui vint à Rome à la fin du second siècle, abusa quelque temps de la bonhomie de l’évêque ; et fut réfuté par Tertullien.
[46] Socrate reconnaît que le désir de soutenir une opinion absolument opposée au sentiment de Sabellius, donna naissance à l’hérésie d’Arius.
[47] Saint Épiphane (tome I, Hæres., l. XIX, 3, p. 729) donne une peinture très intéressante de la personne et des mœurs d’Arius, du nombre et du caractère de ses premiers disciples ; l’on ne peut que regretter qu’il ait si promptement abandonné le personnage d’historien pour celui de controversiste.
[48] Voyez Philostorgius, l. I, c. 3, et le Commentaire de Godefroy. Cependant l’autorité de Philostorgius est affaiblie aux yeux des orthodoxes par ses opinions ariennes, et à ceux des critiques judicieux par sa partialité, ses préjugés et son innocence.
[49] Sozomène (l. I, c. 15) prétend qu’Alexandre ne prit aucune part au commencement de la controverse, dont il n’avait pas mérite connaissance ; et Socrate (l. I, c. 5) assure au contraire que la vaine subtilité de ses spéculations théologiques fut ce qui donna naissance à cette dispute. Le docteur Jortin, dans ses remarques sur l’histoire ecclésiastique, a blâmé la conduite d’Alexandre avec sa liberté ordinaire.
[50] Le feu de l’arianisme a pu couver quelque temps en secret ; mais il y a lieu de croire qu’il fit explosion dès l’année 319. Tillemont, Mém. ecclés., t. VII, p. 774-780.
[51] Quid credidit ? Certè, aut tria nomina audiens ires Deos esse credidit, et idolatra effectus est ; aut in tribus vocabulis trinominem eredens Deum ; in Sabellii hœresim incurrit : aut edoctus ab arianis, unum esse verum Deum patrem, filium et spiritum sanctum credidit creaturas. Aut extra hœc quid credere potuerit nescio (Saint Jérôme, advers. Luciferianos.) Saint Jérôme réserve pour le dernier le système orthodoxe, qui est plus compliqué et plus difficile.
[52] Comme la doctrine absolue d’une création faite de rien s’introduisit peu à peu parmi les chrétiens (Beausobre, t. II, p. 165-215), la dignité de l’ouvrier s’accrut naturellement en raison de celle de l’ouvrage.
[53]
[54] Plusieurs des premiers pères employèrent cette comparaison profane et absurde, particulièrement Athénagore, dans son apologie à l’empereur Marc-Aurèle et à son fils ; et Bull lui-même la cite sans la blâmer. (Voyez Defens. fid. nicen., c. 3 ; n° 5 ; n° 4.)
[55] Voyez Cudworth, Système intellectuel, p. 559-579. Cette dangereuse hypothèse fut soutenue par les deux Grégoire, de Nyse et de Nazianze, par saint Cyrille d’Alexandrie, et, par saint Jean de Damas, etc. Voyez Cudworth, p. 603 ; Le Clerc, Bibliothèque univers., t. XVIII, p. 97-105.
[56] Saint Augustin semble envier la liberté des philosophes. Liberis verbis loquuntur philosophi.... Nos autem non dicimus duo veltria principia, duos vel tres Deos. (De Civit. Dei, X, 23.)
[57] Boëce qui était
fort versé dans la philosophie de Platon et d’Aristote, explique l’unité de
[58] Les sabelliens se révoltaient contre cette conclusion, conduits alors dans un autre abîme, ils se trouvaient confesser que le père était né d’une vierge, qu’il avait souffert sur la croix, ce qui leur valut de la part de leurs adversaires le surnom odieux de patri-passians. Voyez les Satires de Tertullien contre Praxeas, et les Réflexions modérées de Mosheim, p. 423-681 ; et Beausobre, t. I, l. III, c. 6, p. 533.
[59] Les anciens rapportent les transactions du concile de Nicée d’une manière non seulement partiale, mais très imparfaite. On ne retrouve point de tableaux, tels qu’en aurait fait Fra Paolo ; mais on peut voir dans Tillemont (Mém. ecclés., t. VI, p. 669-759) et dans Le Clerc (Bibliothèque univers., t. X, p. 453-454) les ébauches grossières qu’en ont tracées la bigoterie et la raison.
[60] Nous sommes redevables à saint Ambroise (de Fide, l. III, c. ult.) de la connaissance de cette anecdote curieuse. Hoc verbum posuerunt patres, quod viderunt adversariis esse formidini ; ut tanquam evaginato ab ipsis gladio, ipsum nefandæ caput hœrescos amputarent.
[61] Voyez Bull, Defens fid. nicen., sect. II, c. 1, p. 25-36. Il pense que son devoir l’oblige à concilier les deux synodes orthodoxes.
[62] Selon Aristote, les étoiles étaient homoousiennes l’une à l’autre. Pétau a prouvé qu’homoousien signifie d’une même substance en genre. C’est aussi l’opinion de Curcellæus, Cudworth, Le Clerc, etc. ; et vouloir lé prouver serait actum agere. Cette remarque judicieuse est du docteur Jortin (vol. II, p. 212) qui examine la controverse arienne avec autant de candeur que d’érudition et de sagacité.
[63] Voyez Pétau, Dog. theolog., t. II, l. IV, c. 16, p. 453, etc. ; Cudworth, p. 559 ; Bull, sect. IV, p. 285-290, éd. Grab. La Περιχωρησις ou Circumincessio est peut-être l’endroit le plus profond et le plus obscur de l’abîme théologique.
[64] La troisième section de la défense de Bull pour la foi de Nicée, que quelques-uns de ses antagonistes traitent de galimatias, et d’autres d’hérésie, est consacrée à la suprématie du père.
[65] Saint Athanase et ses disciples avaient coutume de saluer les ariens du nom d’ariomanites.
[66] Saint Épiphane, t. I, Hœres., l. XXII, c. 4, p. 837. Voyez les aventures de Marcellus dans Tillemont, Mém. ecclés., t. VII, p. 890-899. Eusèbe répondit par trois livres qui existent encore, à son ouvrage en un seul livre, sur l’unité de Dieu. Après un examen long et soigné, Pétau (t. II, l. I, c. 14, p. 78) a prononcé à regret la condamnation de Marcellus.
[67] Saint Athanase, dans son Épître relative aux synodes de Séleucie et de Rimini (t. I, p. 886-905), a donné une ample liste de symboles ariens, qui a été augmentée et perfectionnée par les travaux de l’infatigable Tillemont, Mém. ecclés., t. VI, p. 477.
[68] Érasme a tracé avec beaucoup de justesse et de liberté le caractère de saint Hilaire. Les bénédictins se sont occupés, dans leur édition, à réviser le texte, à composer les annales de sa vie, et à justifier ses sentiments et sa conduite.
[69] Absque episcopo Eleusio et paucis cum eo, ex majore parte
Asianæ decem provinciæ, inter quas consisto vere Deum nesciunt. Atque utinam
penitus nescirent ! cum procliviore enim venia ignorarent, quam obtrectarent.
(S. Hilaire, de Synodis, sive de fine Orientalium, c. 63, p. 1186, édit.
benedict.) Dans le célèbre Parallèle entre l’Athéisme et
[70] Hilarius ad
Constantium, l. II, c. 4, 5, p.
[71] Dans Philostorgius (l. III, c. 15) le caractère et les aventures d’Ætius paraissent fort singuliers, quoique adoucis par une main amie. L’éditeur Godefroy (p. 153), qui était plus attaché à son sentiment qu’à son auteur, à rassemblé toutes les circonstances odieuses conservées ou inventées par ses ennemis.
[72] Au jugement d’un
homme qui faisait cas de ces deux sectaires, Ætius avait une tête plus forte,
et Eunome plus d’art et d’érudition (Philostorgius, l. VIII, c. 18).
[73] Cependant selon Estius et Bull, il y a un pouvoir, celui de la création, que Dieu ne peut communiquer à une créature. Estius, qui fixe si hardiment les limites de la toute-puissance, était Hollandais de naissance et théologien de son métier. (Dupin, Bibl. ecclés., t. t. XVII, p. 45.)
[74] Sabinus (ap. Socrat., l. II, c. 39) a rapporté les actes de ce synode arien ; saint Athanase et saint Hilaire en ont expliqué les divisions, Baronius et Tillemont ont soigneusement rassemblé toutes les autres circonstances qui y sont relatives.
[75] Fideli et pia intelligentia... De Synod., c. 77, p. 1193. Dans ses courtes remarques apologétiques (publiées pour la première fois par les bénédictins, d’après un manuscrit de Chartres), il observe qu’il se servait de cette expression mesurée, qui intelligerem et impiam (p. 1206 ; voyez p. 1146). Philostorgius, qui voyait les mêmes objets sous un autre jour, incline à oublier la différence de l’importante diphtongue. (Voyez VIII, 17 ; et Godefroy, p. 352.)
[76] Testor Deum cœli atque terræ mecum neutrum audissem, semper tamen utrunque sensisse :.. Regeneratus pridem et in episcopatu aliquantis per manens, fidem Nicenam nunquam nisi exulaturus audivi. (Saint Hilaire, de Synodis, c. 96, p. 1205.) Les bénédictins sont persuadés qu’il gouverna le diocèse de Poitiers plusieurs années avant son exil.
[77] Sénèque (epist. 58) se plaint de ce que le το ον des platoniciens (le ens des scolastiques plus hardis) ne pouvait s’exprimer par un mot latin.
[78] La préférence que le quatrième concile de Latran donna à la fin à une unité numérique sur l’unité générique, fut favorisée par l’idiome latin. Voyez Pétau, t. II, l. IV, c. 13 ; p. 424. Τρίας semble donner l’idée de substance, et trinitas celle de qualité.
[79] Ingemuit totus orbis, et arianum se esse miratus est. Saint Jérôme, advers. Lucifer., t. I, p. 145.
[80] Sulpice-Sévère (Hist. sacra, l. II, p. 419-430, éd. Lugd. Bat., 1647) raconte en style éloquent l’histoire du concile de Rimini. On la trouve aussi dans le Dialogue de saint Jérôme contre les lucifériens. Le dessein de ce dernier est d’excuser la conduite des évêques latins, qui se laissèrent tromper et s’en repentirent.
[81] Eusèbe, in Vit. Constant., l. II, c. 64-72. Baronius est fort offensé des principes de tolérance et d’indifférence religieuse contenus dans cette épître ; Tillemont n’en est pas moins scandalisé. Ils supposent que l’empereur avait autour de lui quelque conseiller pervers, ou Satan ou Eusèbe. Voyez les Remarques de Jortin, t. II, p. 183.
[82] Eusèbe, in Vit. Constant., l. III, c. 13.
[83] Théodoret (l. I, c. 20) a conservé une lettre de Constantin au peuple de Nicomédie, dans laquelle le monarque se déclare publiquement l’accusateur d’un de ses sujets. Il appelle Eusèbe ο τής τυραννιxης ωμοτητος συμμυστης, et se plaint de sa conduite hostile pendant la guerre civile.
[84] Voyez dans Socrate (l. I, c. 8), ou plutôt dans Théodoret (l. I, c. 12.), une lettre originale d’Eusèbe dé Césarée, dans laquelle il tâche de se justifier d’avoir acquiescé à l’homoousion. Le caractère d’Eusèbe a toujours été très problématique ; mais ceux qui ont lu la seconde lettre critique de Le Clerc (Ars critica, t. III, p. 30-69) doivent avoir fort mauvaise opinion de l’orthodoxie et de la sincérité de l’évêque de Césarée.
[85] Saint Athanase, t. I, p. 727 ; Philostorgius, l. I, c . 10, et les Commentaires de Godefroy, p. 41.
[86] Socrate, l. I, c. 9. Dans les lettres, circulaires qu’il adressa aux différentes villes, Constantin employa contre les Hérétiques les armes du ridicule et de la raillerie.
[87] Nous tenons cette histoire de saint Athanase, tome I, p. 670. Il laisse, apercevoir un peu de répugnance à jeter de l’odieux sur la mémoire des morts. Il est possible qu’il ait exagéré ; mais la correspondance continuelle entre Alexandrie et Constantinople ne lui aurait guère permis d’inventer. Ceux qui, croyant au récit littéral de la mort d’Arius, disent que ses boyaux lui sortirent du corps avec ses excréments, n’ont d’autre alternative que celle du miracle ou poison.
[88] On peut suivre le changement graduel des sentiments ou du moins de la conduite de Constantin dans Eusèbe, in Vit. Const., l. III, c. 23 ; l. IV, c. 41 ; dans Socrate, l. I, c. 23-39 ; Sozomène, l. II, c. 16-34 ; Théodoret, l. I, c. 14-34 ; et Philostorgius, l. II, c. 1-17. Mais le premier de ces écrivains était trop près de la scène de l’action, et les autres en étaient trop éloignés. Il est assez extraordinaire que la continuation de l’histoire de l’Église ait été abandonnée à deux laïques et à un hérétique.
[89] Quia etiam tum catechumenus sacramentum fidei merito videretur potuisse nescire. Sulpice Sévère., Hist. sacra, l. II, p. 410.
[90] Socrate, l. II, c. 2 ; Sozomène, l. III, c. 18 ; saint Athanase, t. I, p. 813-834. Il observe que les eunuques sont naturellement les ennemis du fils. Comparez les Remarques de Jortin sur l’Histoire ecclésiastique, vol. IV, p. 3, avec une certaine généalogie que l’on trouve dans Candide, c. 4, et qui finit avec un des premiers compagnons de Christophe Colomb.
[91] Sulpice-Sévère, in Hist. sacra, l. II, p. 405, 406.
[92] Cyrille (ap. Baron., A. D. 353, n° 26) observe que sous le règne de Constantin la croix avait été trouvée dans les entrailles de la terre, mais qu’elle parut sous le règne dé Constance au milieu des airs. Cette opposition prouve évidemment que Cyrille ignorait l’étonnant miracle auquel on attribue la conversion de Constantin ; et cette ignorance est d’autant plus surprenante, qu’il n’y avait que douze ans que ce prince était mort, lorsque Cyrille fut sacré évêque de Jérusalem par le successeur immédiat d’Eusèbe de Césarée. Voyez Tillemont, Mém. ecclés., t. VIII, p. 715.
[93] Il n’est pas aisé de déterminer jusqu’à quel point l’imagination de Cyrille peut avoir été secondée par l’apparition d’un cercle solaire.
[94] Philostorgius (l.
III, c. 26) est suivi par l’auteur de
[95] Un passage si curieux mérite d’être transcrit. Christianam religionem absolutam et simplicem, anili superstitione confundens ; in qua scrutenda perplexius, quam componenda graviis excitaret dissidia plurima ; quæ progressa fusitis aluit concertatione verborum, ut catervis antistitum jumentis publicis ultro citroque discurrentibus, per synodos, quas appellant, dum ritum omnem ad suum trahere conantur (Valois lit conatur), rei vehiculariæ concideret nervos. Ammien, XXI, 16.
[96] Saint Athanase, t. I, p. 870.
[97] Socrate, l. II, c. 45-47 ; Sozomène, l. IV, c. 12-30 ; Théodoret, l. II, c. 18-32 ; Philostorgius, l. IV, c. 1-5.
[98] Sozomène, l. IV, c. 23 ; saint Athanase, t. I, p. 831. Tillemont (Mém. ecclés., t. VII, p. 947) a tiré des traités détachés de Lucifer de Cagliari différents exemples du fanatisme impérieux de Constance. Le seul titre de ces traités respire le zèle et inspire la terreur : Moriendum pro Dei filio ; De regibus apostaticis ; De non conveniendo cum hœretico ; De non parcendo in Deum delinquentibus.
[99] Sulpice Sévère, Histor. Sacra, l. II, p. 418-430. Les historiens grecs étaient fort mal instruits des affaires de l’Occident.
[100] Nous pouvons, regretter que saint Grégoire de Nazianze ait composé le panégyrique et non pas la vie de saint Athanase ; mais nous pouvons tirer des matériaux authentiques de ses propres épures et de ses apologies, t. I, p. 670-951. Je n’imiterai pas l’exemple de Socrate (l. II, c. 1) qui publia la première édition de son Histoire sans consulter les écrits le saint Athanase. Cependant Socrate même, Sozomène, écrivain beaucoup plus actif dans ses recherches, et le savant Théodoret, lient la vie de saint Athanase à l’histoire ecclésiastique. Par les soins de Tillemont (t. VIII), et les éditeurs bénédictains, les faits ont été recueillis, et toutes les difficultés examinées.
[101] Sulpice Sévère (Hist. sacra, l. II, p. 396) le traite de chicaneur, de jurisconsulte. On ne découvre ce caractère ni dans la vie ni dans les écrits de saint Athanase.
[102] Dicebatur enim fatidicarum sortium fidem quœve augurales portenderent alites scientissime callens aliquoties prœdixisse futural. (Ammien, XV, 7.) Sozomène raconte une prophétie, ou plutôt une plaisanterie (l. IV, c. 10), qui prouve évidemment, si les corbeaux parlent latin, que saint Athanase comprenait le langage des corbeaux.
[103] Dans les conciles tenus contre saint Athanase, on relève légèrement l’irrégularité de son ordination. Voyez Philostorgius, l. II, c. 11 ; et Godefroy, p. 71. Mais on ne peut guère supposer que l’assemblée des évêques de l’Égypte ait attesté solennellement une fausseté reconnue. Saint Athanase, t. I, p. 726.
[104] Voyez l’Histoire des Pères du Désert, publiée par Rosweide ; et Tillemont (Mém. ecclés., t. VII), dans les vies de saint Antoine, saint Pachôme, etc. Saint Athanase, lui-même, qui ne dédaigna pas d’écrire la vie de son ami saint Antoine, a soigneusement observé que ce saint moine avait souvent annoncé et déploré les désordres de l’hérésie arienne.
[105] Constantin, dans les commencements, menaça de paroles ; mais dans ses lettres, il avait recours à la prière. Insensiblement elles prirent le ton menaçant. Mais en même temps qu’il exigeait que l’Église fût ouverte à tous, il évitait de spécifier le nom odieux d’Arius. Saint Athanase, en politique habile, indique soigneusement ces nuances (t. I, p. 788), qui lui fournirent quelques moyens d’excuse et de délai.
[106] Les mélétieins d’Égypte, de même que les donatistes d’Afrique, prirent naissance dans une querelle épiscopale, produite par l’esprit de persécution. Je n’ai pas le loisir de suivre une controverse obscure qui semble avoir été défigurée par la partialité de saint Athanase et l’ignorance de saint Épiphane. Voyez l’Histoire générale de l’Église, par Mosheim, vol. I, p. 201 (trad. angl.).
[107] Sozomène (l. II, c. 25) détaille la manière dont les six évêques furent traités. Mais saint Athanase, si abondant sur le sujet d’Arsène et du calice, ne fait pas la moindre réponse à cette grave accusation.
[108] Saint Athanase, t. I, p. 788 ; Socrate, l. I, c. 28 ; Sozomène, l. II, c. 25. L’empereur, dans sa lettre de convocation (Eusèbe, in Vit. Constant., l. IV, c. 42), semble juger d’avance quelques membres du clergé ; et il était plus que probable que les évêques du synode appliqueraient ces reproches à saint Athanase.
[109] Voyez particulièrement la seconde apologie de saint Athanase, tome I, p. 763-808 ; et ses Épîtres aux moines, p. 808-866. Elles sont appuyées sur des documents originaux et authentiques. Elles inspireraient cependant plus de confiance s’il s’y montrait moins innocent, et ses ennemis moins absurdes.
[110] Eusèbe, in Vit. Constant., l. IV, c. 41-47.
[111] Saint Athanase, t. I, p. 804. Dans une église dédiée à saint Athanase, le tableau de cette circonstance de sa vie aurait été plus intéressant que la plupart des miracles et des martyres.
[112] Saint Athanase,
t. I, p. 729. Eunape (in Vit. Sophist., p. 36-37, édit. Çommelin) a
raconté un singulier trait de la crédulité et de la cruauté de Constantin dans
une circonstance semblable. L’éloquent Sopater, philosophe syrien, était aimé
de l’empereur ; mais il eut, le malheur de déplaire à Ablavius, préfet du
prétoire. La flotte chargée de grains, faute d’un vent du
[113] En revenant, il
vit deux fois Constance à Viminiacum et à Césarée en Cappadoce. (Saint
Athanase, t. I, p. 676.) Tillemont prétend que Constantin le présenta à ses
deux frères dans
[114] Voyez Beveridge, Pandectes, t. I, p. 429-452, et t. II, Notes, p. 182 ; Tillemont, Mém. ecclés., t. VI, p. 310-324. Saint Hilaire de Poitiers a parlé de ce synode d’Antioche d’une manière beaucoup trop favorable et trop respectueuse. Il y compte quatre-vingt-dix-sept évêques.
[115] Saint Grégoire de Nazianze fait un grand éloge (t. I, orat. 21, p. 390, 391) de ce magistrat si odieux à saint Athanase :
Sœpe
premente Deo fert Deus alter opem.
J’aime à trouver, pour l’honneur du genre humain, quelques bonnes qualités chez les hommes que la faction opposée représentait comme des tyrans et des monstres.
[116] Valois (Observ. ad calcem, t. II ; Hist. ecclés., l. I, c. 1-5) et Tillemont (Mém. ecclés., t. VIII, p.674 ; etc.) ont discuté avec soin les doutes chronologiques qui obscurcissent la question de la résidence de saint Athanase à Rome. J’ai suivi l’hypothèse de Valois, qui n’admet qu’un seul voyage après l’intrusion de Grégoire.
[117] Je ne puis résister à l’envie de transcrire une observation judicieuse de Wetstein (Prolegomen N. T., p. 19). Si tamen Historiam ecclesiasticam velimus, consulere, patebit jam inde a seculo quarto, cum, ortis controversiis, Ecclesiœ Grœciœ doctores in duas partes seinderentur, ingenio, eloquentia, numero tantum non œquales, eam partem quœ vincere cupiebat Romam confugisse,, majestatemque pontificis comiter coluisse, eoque pacto oppréssis per pontificem et episcopos latinos adversariis prœvaluisse, atque orthodoxiam in conciliis stabilivisse. Eam ob causam Athanasius, non sine comitatu, Romam petiit, pluresque annos ibi hœsit.
[118] Philostorgius, l. III, c. 12. En supposant que saint Athanase ait employé des moyens de séduction en faveur de la religion, on pourrait justifier ou au moins excuser sa conduite par l’exemple de Caton et de Sidney, dont le premier est accusé d’avoir payé, et l’autre d’avoir été payé pour défendre la liberté publique.
[119] Le canon qui accorde l’appel aux pontifes romains, a presque élevé le synode de Sardica au rang des conciles généraux, et on a confondu, ou par adresse ou par ignorance, ses actes avec ceux du concile de Nicée. Voyez Tillemont, tome VIII, p. 689 ; et le Traité de Geddes, vol. II, P.419-460.
[120] Comme saint Athanase répandait secrètement des invectives contre Constance (voyez l’Épître aux moines), tandis qu’il l’assurait personnellement de son profond respect, nous pourrions raisonnablement nous défier des protestations de l’archevêque, t. I, p. 677.
[121] Malgré le silence de saint Athanase et la fausseté manifeste de la lettre insérée par Socrate, ces menaces se trouvent constatées par le témoignage de Lucifer de Cagliari et de Constance lui-même. Voyez Tillemont, t. VIII, p. 693.
[122] J’ai toujours eu des doutes sur la rétractation d’Ursace et de Valens (saint Athanase, t. I, p. 776) ; leurs épîtres à Julius, évêque de Rome, et à saint Athanase, ont une tournure et un style si différents, qu’elles ne peuvent sortir de la même source : l’une parle le langage de criminels qui confessent leur crime et leur infamie, et l’autre celui d’ennemis qui demandent à se réconcilier sous des conditions honorables.
[123] Les circonstances de ce second retour peuvent se tirer de saint Athanase lui-même, t. I, p. 769, 822, 843, Socrate, l. II, c. 18 ; Sozomène, l. III, c. 19 ; Théodoret, l. II, c. II, 12 ; Philostorgius, l. III, c. 10.
[124] Saint Athanase (t. I, p. 677, 678) défend son innocence par des plaintes pathétiques, des assertions solennelles et des arguments spécieux. Il convient qu’on a forgé des lettres en son nom ; mais il demande qu’on questionne ses secrétaires et ceux du tyran, et que l’on constate si les uns les ont écrites, et si les autres les ont reçues.
[125] Saint Athanase, tome I, p. 825-844.
[126] Saint Athanase, tome I, p. 861 ; Théodoret, l. II, c. 16 . L’empereur déclara qu’il avait plus à cœur de dompter saint Athanase, qu’il n’avait désiré de vaincre Magnence ou Sylvanus.
[127] Les écrivains grecs ont raconté avec si peu de clarté ou de fidélité les affaires du concile de Milan, que nous sommes fort heureux d’avoir pour ressource quelques lettres d’Eusèbe, tirées par Baronius des archives de l’Église de Vercelles, et une ancienne vie de Denys de Milan, publiée par Bollandus. Voyez Baronius, A. D. 355 ; et Tillemont, t. VII, p. 1415.
[128] Les honneurs, les présents et les fêtes qui séduisaient tant de prélats, sont mentionnés avec indignation par les évêques dont la probité ou la fierté n’avait point succombé à ces tentations. Nous combattrons, disait saint Hilaire, évêque de Poitiers, contre Constance l’antéchrist, qui caresse le ventre au lieu de flageller les épaules, qui non dorsa cœdit, sed ventrem palpat. (S. Hil., contra Constant., c. 5, p. 1240.)
[129] Ammien, qui n’avait qu’une connaissance très obscure et très superficielle de l’histoire ecclésiastique, dit quelque chose de cette opposition (XV, 7) : Liberius.... perseveranter renitebatur, nec visum hominem, nec auditum damnare nefas ultimum sœpe exclamans ; aperte scilicet recalcitrans imperatoris arbitrio. Id enim ille, Athanasio semper infestus, etc.
[130] Ou plutôt par le
parti orthodoxe du concile de Sardica. Si les évêques avaient donné de bonne
foi leurs suffrages, la division se serait trouvée de quatre-vingt-quatorze à
soixante-seize. M. de Tillemont (t. VIII, p.
[131] Sulpice Sévère, Hist. sacra, l. II, p. 412.
[132] Ammien (XV, 7) parle de l’exil de Liberius. Voyez Théodoret, l. II, c. 16 ; saint Athanase, t. I, p. 834-837 ; saint Hilaire, Fragment, I.
[133] Tillemont (tome VIII, p. 524-561) a recueilli la vie d’Osius. C’est avec des expressions également extravagantes qu’il commence par l’exalter et finit par le condamner. Dans leurs lamentations sur la chute de l’évêque de Cordoue, il faut distinguer la prudence de saint Athanase dit zèle aveugle et indiscret de saint Hilaire.
[134] Les confesseurs
de l’Occident furent successivement bannis dans les déserts de l’Arabie et de
[135] Voyez le traitement cruel qu’éprouva Eusèbe, et son étrange obstination, dans ses propres lettres, publiées par Baronius, A. D. 356, n° 92-102.
[136] Cœterum exules satis constat, totius orbis studiis celebratos, pecuniasque cis in sumptum affatim congestas, legationibus quoque eos plebis catholicœ ex omnibus fere provinciis frequentatos. Sulpice Sévère, Hist. sacra, p. 414 ; saint Athanase, t. I, p. 836-480.
[137] On peut trouver dans les ouvrages de saint Athanase lui-même d’amples matériaux pour l’histoire de cette nouvelle persécution. Voyez l’Apologie très bien faite qu’il adressa à Constance, t. I, p, 673 ; la première Apologie de sa fuite, p. 701 ; sa prolixe Épître aux solitaires, p. 808, et l’original des protestations des Alexandrins contre les violences commises par Syrianus, p. 866. Sozomène (l. IV, c. 9) a inséré dans son récit deux ou trois circonstances lumineuses et importantes.
[138] Saint Athanase
avait mandé récemment saint Antoine et quelques moines choisis de son couvent ;
ils descendirent de leurs montagnes, annoncèrent aux Alexandrins la sainteté
d’Athanase, et furent honorablement reconduits par l’archevêque jusqu’à la porte
de la ville. Saint Athanase, t. II, p. 491, 492. Voyez aussi Rufin, III,
[139] Saint Athanase,
t. I, p.
[140] Ces détails sont curieux, parce qu’ils sont transcrits littéralement, et tirés des protestations qui furent présentées publiquement, trois jours après, par les catholiques d’Alexandrie. Voyez saint Athanase, t. I, p. 867.
[141] Les jansénistes
ont souvent comparé saint. Athanase et Arnauld, et se sont étendes avec
satisfaction sur la foi, le zèle, le mérite et l’exil de ces célèbres docteurs.
L’abbé de
[142] Hinc jam toto orbe profugus Athanasius ; nec ullus et tutus ad latendum supererat locus. Tribuni, præfecti, comites, exercitus, quoque, ad pervestigandum eum moventur edictis imperiatibus : prœmia delatoribus proponuntur, si quis eum vivum, si id minus, caput certe Athanasii detulisset. Rufin, l. I, c. 16.
[143] Saint Grégoire de Nazianze, orat. 21, p. 384, 385. Voyez Tillemont, Mém. ecclés., t. VII, p. 176-410, 820-880.
[144] Et nulla tormentorum vis inveniri adhuc potuit, quæ obdurato illius tractus latroni invito clicere potuit, ut nomen proprium dicat. Ammien, XVII, 16, et Valois, ad. locum.
[145] Rufin, l. I, c. 8 ; Sozomène, l. IV, c. 10. Cette histoire et la suivante paraîtront impossibles si nous supposons que saint Athanase habita toujours l’asile qu’il avait ou choisi ou accepté par hasard.
[146] Palladius, Hist.
Lausiac., c.
[147] Saint Athanase, t. I, p. 869. Je crois avec Tillemont (t. VIII, p. 1197) que ces expressions annoncent qu’il visita les synodes, sans doute, secrètement.
[148] L’Épître de saint
Athanase aux moines est remplie de reproches dont le public doit sentir la
vérité (vol. I, p. 834-856) ; et, par égard pour ses lecteurs, il se sert de la
comparaison de Pharaon, d’Achab et de Belshassar, etc. La hardiesse de saint
Hilaire l’exposait à moins de dangers, s’il est vrai qu’il publia ses
invectives dans
[149] Saint Athanase (t. I, p. 811), blâme en général cette pratique, dont il cite ensuite un exemple (p. 861) dans la prétendue élection de Félix : trois eunuques représentaient le peuple romain, et trois prélats qui suivaient la cour firent les fonctions des évêques des provinces.
[150] Thomassin (Discipline de l’Église, t. I, l. II, c. 72, 73, p. 966-984) a rassemblé des faits curieux relatifs à l’origine et aux progrès du chant des églises dans l’Orient et dans l’Occident.
[151] Philostorgius, l. III, c. 13. Godefroy a examiné ce sujet avec beaucoup d’exactitude (page 147, etc.). Il y avait trois formules hétérodoxes : Au Père par le Fils, et dans le Saint-Esprit ; ... au Père et au Fils dans le Saint-Esprit ; ... au Père dans le Fils et le Saint-Esprit.
[152] Après l’exil
d’Eustathe, sous le règne de Constantin, le parti le plus rigide des orthodoxes
se sépara des autres, et forma enfin un schisme qui dura quatre-vingts ans.
(Voyez Tillemont, Mém. ecclés., tome VII, p.
[153] Voyez, pour la révolution ecclésiastique de Rome, Ammien, XV, 7 ; saint Athanase, t. I, p. 843-861 ; Sozomène, l. IV, c. 15 ; Théodoret, l. II, c. 17 ; Sulpice-Sévère, Hist. Sacra, l. II, p. 413 ; saint Jérôme Chronique ; Marcellin et Faustin, Libell., p. 3, 4 ; Tillemont, Mém. ecclés., t. VI, p. 336.
[154] Cucusus fut son
dernier séjour ; il y trouva la mort et la fin de ses souffrances. La position
de cette ville solitaire, sur les confins de
[155] Saint Athanase (t. I, p. 703, 813, 814) affirme que Paul fut assassiné, et en appelle non seulement à l’opinion publique, mais au témoignage irrécusable de Philagre, un des persécuteurs ariens. Cependant il avoue que les hérétiques prétendirent que l’évêque de Constantinople était mort de maladie. Socrate (l. II, c. 26) copie servilement saint Athanase ; mais Sozomène, d’un esprit plus indépendant (l. IV, c. 2), ose laisser percer quelques doutes.
[156] Ammien (XIV, 10) nous renvoie à son propre récit de cet événement tragique ; mais nous n’avons plus cette partie de son histoire.
[157] Voyez Socrate, l.
II, c. 6, 7, 12, 13, 15, 16, 26, 27, 38 ; et Sozomène, l. III, c. 3, 4, 7, 9 ;
l. IV, c. 11, 21. Les actes de saint Paul de Constantinople, dont Photius a
fait un extrait (Phot., Biblioth., p.
[158] Socrate, l. II, c. 27, 38 ; Sozomène, l. IV, c. 21. Macedonius eut pour principaux aides, dans les travaux de la persécution, les deux évêques de Nicomédie et de Cyzique, dont on estimait généralement les vertus, et surtout la charité. Je ne puis m’empêcher de rappeler au lecteur que la différence de l’homoousion à l’homoiousion est presque imperceptible, même aux yeux de la plus fine théologie.
[159] Nous ignorons la position exacte de Mantinium. En parlant de ces quatre troupes de légionnaires, Socrate, Sozomène et l’auteur des Actes de saint Paul, se servent des termes vagues de αριθμοι, φαλαγγες, ταγματα, que Nicéphore traduit, avec beaucoup de raison, par milliers. Valois, ad Socrat., l. II, c. 38.
[160] Julien, Epist., l. II, p. 436, édit. Spanheim.
[161] Voyez Optat de Milève, III, 4 et l’Hist. des Donatistes par Dupin, avec les pièces originales à la fin de l’édition. Les détails que saint Augustin donne sur la fureur des circoncellions contre les autres et contre eux-mêmes ont été recueillis par Tillemont. (Mém. ecclés., t. VI, p. 147-165) ; et il a souvent rapporté sans dessein les insultes qui enflammaient la colère de ces fanatiques.
[162] Il est assez amusant de comparer le langage des différentes factions, quand elles parlent du même homme ou des mêmes événements. Gratus, évêque de Carthage, commence ainsi les acclamations d’un synode orthodoxe : Gratias Deo omnipotenti et Christo Jesu.... qui imeravit religiosissimo Constanti imperatori, ut votum gereret unitatis, et mitteret ministros sancti operis, famulos Dei, Paulum et Macarium. Monument. Vet. ad calcem Optati, p. 313. Ecce subito (dit l’auteur donatiste de la passion Marculus) de Constantis regis tyrannica domo.... pollutum macarianæ, persecutionis murmur increpuit ; et duabus bestiis ad Africam missis, eodem scilicet Macario et Paulo, execrandum prorsus ac dirum Ecclesiœ certamen indictum est ; ut populus christianus ad unionem cum traditoribus faciendam ; nudatis militum gladiis et draconum prœsentibus signis, et tubarum vocibus cogeretur. Monument., p. 304.
[163] L’Histoire des Camisards (en trois volumes in-12, Villefranche, 1750) est exacte et impartiale. On a quelque peine à découvrir la religion de l’auteur.
[164] Les donatistes alléguaient pour justifier leurs suicides, l’exempte de Razias, qui est rapporté dans le quatorzième chapitre du deuxième livre des Macchabées.
[165] Nullas infestas hominibus bestias, ut sunt sibi ferales plerique christianorum expertus. Ammien, XXII, 5.
[166] Saint Grégoire de Nazianze, orat. I, p. 33. Voyez Tillemont, t. VI, p. 501, édit. in-4°.
[167] Histoire politique et philosophique des établissements des Européens dans les Deux Indes, t. I, p. 9.
[168] Selon Eusèbe (in Vit. Const., l. II, c. 45), l’empereur défendit dans les villes et dans les campagnes les pratiques abominables de l’idolâtrie. Socrate (l. I, c. 17) et Sozomène (l. II, c. 4, 5) ont représenté la conduite de Constantin avec la vérité qui convient à l’histoire ; mais elle a été fort négligée par Théodoret., l. V, c. 21, et par Orose, VIII, 28. Tum deinde, dit le dernier, primus Constantinus justo ordine et pio vicem vertit edicto ; siquidem statuit citra ullam hominum cœdem, paganorum templa claudi.
[169] Voyez Eusèbe, in Vit. Constant, l. II, c. 56-60. Dans le sermon que l’empereur prononça devant l’assemblée des saints, lorsque sa dévotion fut confirmée par les années, il déclare aux idolâtres (c. 11) qu’il leur permet d’offrir leurs sacrifices et d’exercer librement toutes les pratiques de leur religion.
[170] Voyez Eusèbe, in Vit. Constant., l. III, c. 54-58 ; et l. IV, c. 23, 25. Ces actes d’autorité peuvent se comparer à la suppression des Bacchanales, et à la démolition du temple d’Isis par les magistrats de Rome païenne.
[171] Eusèbe, in Vit. Constant., l. III, c. 54 ; et Libanius, Orat. pro templis, p. 9, 10, édit. Godefroy. Ils racontent tous deux le pieux sacrilège de Constantin, qu’ils voyaient sous un jour fort différent. Le dernier déclare positivement qu’il se saisit de l’argent et des richesses sacrées ; mais, qu’il ne toucha point au culte des temples, qui furent à la vérité appauvris ; mais où l’on ne célébrait pas moins les cérémonies ordinaires de l’ancienne religion. Témoignages juifs et païens. Lardner, vol. IV, p. 140.
[172] Ammien parle de quelques eunuques de cour qui furent spoliis templorum pasti. Libanius dit (Orat pro temp., p. 23) que l’empereur faisait souvent présent d’un temple comme il aurait pu faire d’un chien, d’un cheval, d’un esclave ou d’une coupe d’or ; mais, le pieux philosophe a grand soin d’observer que ces favoris sacrilèges finissaient presque toujours malheureusement.
[173] Voyez Godefroy, Code Theod., t. VI, p. 26 ; Liban., Orat. parental., c.
[174] Placuit omnibus
locis atque urbibus universis claudi protinus templa, et accessu vetitis
omnibus licentiam delinquendi perditis abnegari. Volumus etiam cunctos a
sacrificus abstinere. Quod siquis aliquid forte hujusmodi perpetraverit, gladio
sternatur : facultates etiam perempti fisco décernimus vindicari : et similiter
adfligi rectores provinciarum, si facinora vindicare neflexerint. (Cod. Theod., XVI, tit. 10, leg. 4). On a
découvert une contradiction chronologique dans la date de cette loi
extravagante, la seule peut-être qui ait jamais puni la négligence des
magistrats par la mort et la confiscation de leurs biens. M. de
[175] Symmaque, epist. X, 54.
[176] La quatrième
dissertation de M. de
[177] Comme je me suis servi librement, par anticipation, des mots de païens et de paganisme, je vais donner au lecteur un exposé des révolutions singulières qu’ont éprouvées dans leur signification des expressions si connues. 1° Παγη en dialecte dorique, familier aux Italiens, signifiait une fontaine ; et les campagnards du voisinage qui visitaient la fontaine en tiraient la dénomination générale de pagus et pagani. (Festus sub. vocc, et Servius ad Virgil. Georgic., II, 382.) 2° Par une extension du mot, païen et campagnard devinrent presque synonymes. (Pline, Hist. nat., XXVIII, 5.) On donna ce nom au bas peuple des campagnes, et il a été changé dans celui de paysans par les nations modernes de l’Europe. 3° L’augmentation excessive de l’ordre militaire amena la nécessité d’une dénomination corrélative (Essais de Hume, vol. I, p. 555.), et tous ceux qui ne s’enrôlaient point au service du prince étaient désignés par l’épithète dédaigneuse de païens (Tacite, Hist., III, 24, 43, 77 ; Juvénal, Satyres, XVI ; Tertullien, de Pallio, c. 4.) 4° Les chrétiens étaient les soldats de Jésus-Christ ; leurs adversaires, qui refusaient le sacrement ou le serment militaire du baptême pouvaient mériter la dénomination métaphorique de païens ; et cette expression populaire de reproche fut introduite, dès le règne de Valentinien, A. D. 365, dans les lois impériales (Cod. Theod., XVI, tit. II, leg. 48), et dans les écrits théologiques. 5° Les villes de l’empire furent peu à peu remplies de chrétiens. L’ancienne religion du temps de Prudence (adversus Symmachum, I, ad fin., et Orose, in Præfat hist.) se retirait et languissait dans les villages. Le mot de païen, avec sa nouvelle signification, retourna à sa première origine ; et les païens devinrent des paysans. 6° Depuis l’extinction du culte de Jupiter et de sa famille, on a donné le nom de païens à tous les idolâtres ou polythéistes anciens et modernes. 7° Les chrétiens latins le donnèrent sans scrupule à leurs ennemis mortels les mahométans, et ainsi les unitaires les plus purs n’échappèrent point au reproche injuste de paganisme et d’idolâtrie. Voyez Gérard-Vossius, Etymologicon linguœ latinœ, dans ses ouvrages, tome I, page 420 ; Commentaire de Godefroy sur le Code de Théodose, t. VI, p. 250 ; et Ducange, Mediœ et infimœ latinitatis Glossar.
[178] Dans le langage
pur de l’Ionie et d’Athènes, ειδωλον et λατρεια
étaient des mots anciens et familiers. Le premier signifiait une ressemblance,
une apparition (Odyssée d’Homère, XI,
601), une représentation, une image inventée par l’art ou par l’imagination. Le
second désignait toute espèce de service ou d’esclavage. Les Juifs de l’Égypte
qui traduisirent les écritures hébraïques, restreignirent l’usage de ces mots (Exode, XX, 4, 5) au culte religieux
d’une image. L’idiome particulier des hellénistes ou juifs grecs a été adopté
par les historiens ecclésiastiques et sacrés ; et le reproche d’idolâtrie (ειδωλολατρεια)
s’est attaché à cette sorte de superstition matérielle et grossière que
certaines sectes de chrétiens ne devraient pas trop se presser d’imputer aux
polythéistes de