Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

Chapitre XIX

Constance seul empereur. Élévation et mort de Gallus. Danger et élévation de Julien. Guerre contre les Perses et contre les Sarmates. Victoires de Julien dans les Gaules.

 

 

LES PROVINCES divisées de l’empire furent réunies par la victoire de Constance ; mais, comme ce prince faible n’avait de talents personnels ni pour la paix ni pour la guerre, comme il craignait ses généraux et se méfiait de ses ministres, le succès de ses armes ne servit qu’à établir l’autorité des eunuques sur le monde romain. Ces êtres disgraciés, ancienne production du despotisme[1] et de la jalousie orientale, furent introduits en Grèce et à Rome par la contagion du luxe asiatique[2]. Leur progrès fut rapide, et les eunuques, qui du temps d’Auguste avaient été abhorrés comme le cortége monstrueux d’une reine d’Égypte[3], s’introduisirent insensiblement dans les maisons des matrones ; des sénateurs, et même des empereurs[4]. Restreints par les sévères édits de Domitien et de Nerva[5], favorisés par l’orgueil de Dioclétien, réduits à un état obscur par la prudence de Constantin[6], ils se multiplièrent dans les palais de ses fils dégénérés, et acquirent peu à peu la connaissance et enfin là direction des conseils les plus secrets de Constance. Le mépris et l’aversion qu’on a toujours eus pour cette espèce dégradée, semblent les avoir rendus aussi incapables qu’on les en supposait, de toute action noble et de tout sentiment d’honneur et de générosité[7] ; mais les eunuques étaient instruits dans l’art de l’intrigue et de l’adulation ; et ils gouvernaient alternativement Constance par ses terreurs, par son indolence et par sa vanité[8]. Tandis qu’un miroir trompeur l’amusait d’une fausse apparence de prospérité publique, sa nonchalance leur permettait d’intercepter les plaintes des provinces opprimées, d’accumuler d’immenses trésors par la vente de la justice et des honneurs, d’avilir les plus importantes dignités par l’élévation des hommes obscurs qui achetaient d’eux les moyens d’oppression[9] ; et de satisfaire leur ressentiment contre quelques âmes fermes qui refusaient audacieusement de faire leur cour à des esclaves. Le plus distingué d’entre eux était le chambellan Eusèbe, qui dirigeait si despotiquement l’empereur et son palais, qu’on pouvait dire, d’après l’expression satirique d’un écrivain impartial, que Constance jouissait de quelque crédit auprès de cet impérieux favori[10].

Ce fut par ses intrigues artificieuses que ce prince souscrivit la sentence de l’infortuné Gallus, et ajouta ce crime à la longue liste des exécutions, barbares et dénaturées qui avaient déjà déshonoré la maison de Constantin.

Lorsque les deux neveux de Constantin, Gallus et Julien, furent sauvés de la fureur des soldats ; le premier avait environ douze ans, et Julien en avait à peu près six. Comme l’aîné passait pour être d’une santé faible et valétudinaire, ils obtinrent moins difficilement de la feinte pitié de Constance une existence obscure et précaire ; il sentait bien d’ailleurs que le meurtre de deux orphelins sans défense serait regardé du monde entier comme l’acte le plus odieux d’une cruauté réfléchie[11]. Différentes villes de la Bithynie furent successivement choisies pour le lieu de leur résidence, ou plutôt de leur exil, pendant le temps de leur éducation. Mais, dès que leur âge fut susceptible d’éveiller les soupçons de l’empereur, il jugea plus prudent de s’assurer de ces jeunes infortunés, en les renfermant dans la forteresse de Macellum, près de la ville de Césarée. La conduite que l’on tint avec eux, pendant une captivité de six ans, fut, à quelques égards, celle qu’aurait pu avoir un tuteur attentif, tandis que sur d’autres points ils éprouvaient, toute la rigueur d’un tyran soupçonneux[12]. Leur prison était un ancien palais autrefois la résidence des rois de Cappadoce. La situation en était riante, les bâtiments magnifiques et l’enceinte spacieuse. Ils firent leurs études et, tous leurs exercices sous la conduite des maîtres les plus célèbres ; et la nombreuse suite ou plutôt la garde qui composait la maison des neveux de Constantin, n’était pas indigne de leur naissance ; mais ils ne pouvaient se dissimuler que, dépouillés de leur fortune, privés de liberté et sans aucune défense qui garantit leur sûreté, éloignés de tous ceux auxquels ils auraient pu accorder leur estime ou leur confiance, ils étaient condamnés à passer leur triste vie avec des esclaves dévoués aux ordres d’un tyran que les traitements qu’ils en avaient soufferts rendaient leur irréconciliable ennemi. Les embarras de l’État obligèrent cependant l’empereur, ou plutôt les eunuques, à revêtir Gallus du titre de César dans la vingt-cinquième année de son âge [5 mars 351] ; et ils cimentèrent cette alliance politique en lui faisant épouser la princesse Constantina. Après la cérémonie d’une entrevue dans laquelle les deux princes firent le serment mutuel de ne jamais rien entreprendre au préjudice l’un de l’autre, ils se retirèrent chacun dans leur résidence ; Constance continua sa marche vers l’Occident, et Gallus se fixa dans la ville d’Antioche, d’où, avec une autorité subordonnée, il gouverna les cinq grands diocèses de la préfecture orientale[13]. Dans cet heureux changement de fortune, il n’oublia pas son frère Julien[14], qui obtint les honneurs de son rang, l’apparence de la liberté, et la restitution d’un ample patrimoine[15].

Les historiens les plus indulgents pour la mémoire de Gallus, et Julien lui-même qui désirait tirer un voile sur les faiblesses de son frère, avouent que ce César était incapable de régner. Transporté d’une prison sur un trône, il n’avait ni le génie, ni l’application, ni même la docilité nécessaires pour compenser le défaut de théorie et d’expérience. La solitude et l’adversité avaient plus aigri que corrigé son caractère sombre et violent, et le souvenir de ce qu’il avait souffert, disposait son âme à la vengeance plutôt qu’à la compassion. Les violents accès de sa fureur, extravagante furent souvent funestes à ceux qui approchaient sa personne ou qui dépendaient de son autorité[16]. Constantina, son épouse, que l’on dépeint non pas comme une femme, mais comme une furia toujours altérée de sang humain[17], au lieu d’employer l’influence, qu’elle avait, sur Gallus pour le contenir dans les bornes de la patience et de l’humanité, irritait sans cesse la férocité de ses passions. Quoiqu’elle eût renoncé, aux vertus de son sexe, elle en conservait la vanité. On lui vit accepter un collier de perles, comme le prix suffisant du meurtre d’un innocent ; distingué par sa naissance et par ses vertus[18]. Gallus, de son côté, manifestait quelquefois ouvertement sa cruauté par des exécutions militaires et des massacres populaires. Quelquefois il la déguisait sous le masque trompeur des formalités de la justice. Les endroits publics et les maisons des particuliers étaient assiégés par une troupe d’espions et de délateurs ; et le César lui-même, déguisé sous un habit plébéien, s’abaissait à jouer ce rôle odieux et méprisable. Tous les appartements du palais étaient ornés d’instruments de mort et de torture, et la consternation régnait sur toute la capitale de la Syrie. Comme s’il eût senti tout ce qu’il avait à craindre et combien il était peu digne de régner, le prince de l’Orient choisissait pour ses victimes, soit des habitants de la province, accusés de quelque crime imaginaire de lèse-majesté, soit ses propres courtisans qu’il soupçonnait, avec plus de raison, d’irriter contre lui par leur correspondance secrète, le timide et soupçonneux Constance. Mais il ne réfléchissait pas qu’en se faisant détester des peuples, il perdait sa seule ressource, en même temps, qu’il fournissait à la haine de ses ennemis les armes de la vérité ; et à l’empereur un prétexte équitable de le priver de la pourpre et de la vie[19].

Aussi longtemps que la guerre civile tint en suspens le sort du monde romain, Constance feignit d’ignorer les atrocités de la faible administration à laquelle, en choisissait Gallus, il avait assujetti les provinces de l’Orient. La découverte de quelques assassins que le tyran des Gaules avait envoyés secrètement, à Antioche, servit à persuader au public que l’empereur et le César étaient unis d’intérêt, et poursuivis par les mêmes ennemis[20]. Mais, dès que Constance eut obtenu la victoire, son collègue subordonné cessa de lui être utile, et de lui paraître formidable. On examina soigneusement et sévèrement sa conduite ; on pesa chacune de ses actions, et il fut résolu en secret de lui ôter la pourpre, ou de l’éloigner au moins de la molle oisiveté de l’Asie, en l’exposant aux fatigues et aux dangers de la guerre de Germanie. La mort de Théophile, consulaire de Syrie qui avait été massacré dans un moment de disette, par le peuple d’Antioche, de connivence avec Gallus, et presque à son instigation, fut représentée non seulement comme un trait de barbarie, mais comme une insulte dangereuse, pour la majesté suprême de Constance. Deux ministres d’un rang illustre, Domitien, préfet oriental, et Montius, questeur du palais, reçurent la commission de visiter les provinces de l’Orient, et d’en réformer l’administration. On leur recommanda de se conduire respectueusement avec Gallus, et de l’engager, par la persuasion, à céder aux désirs de son frère et de son collègue. La témérité du préfet dérangea ces mesures prudentes, et hâta en même temps sa propre ruine et celle de son ennemi. En arrivant à Antioche, Domitien passa dédaigneusement devant les portes du palais, et, sous le léger prétexte d’une indisposition, resta plusieurs jours enfermé pour composer un mémoire sanglant qu’il fit passer à la cour impériale. Cédant enfin aux pressantes sollicitations de Gallus, le préfet consentit à prendre sa place dans le conseil ; mais sa première démarche fut de signifier avec arrogance au César un ordre de partir sur-le-champ pour l’Italie, et une insolente menace de punir lui-même la résistance ou le délai en suspendant, le paiement de sa maison. Le neveu et la fille de Constantin pouvaient difficilement souffrir cette insolence d’un sujet. Enflammés de colère, ils firent arrêter par leurs gardes, le préfet Domitien. L’affaire était encore susceptible d’accommodement ; mais il devint impraticable par l’imprudence de Montius, à qui un caractère léger faisait perdre trop souvent l’avantage de ses talents et de  son expérience[21]. Le questeur témoigna sa surprise à Gallus, dans les termes les plus offensants, de ce qu’étant à peine autorisé à déposer un magistrat municipal, il avait la hardiesse de faire arrêter un préfet du prétoire ; et, ayant assemblé tous les officiers civils et militaires, il leur ordonna, au nom du souverain, de défendre la personne et la dignité de ses représentants. Cette imprudente déclaration de guerre, précipita l’impatient Gallus dans les démarches les plus désespérées. Il fit prendre les armes à sa garde, assembla le peuple d’Antioche, et lui confia le soin de sa vengeance et de sa sûreté. Ses ordres furent cruellement suivis ; la populace saisit le préfet et le questeur, et, après leur avoir lié les jambes avec des cordes, les traîna dans les rues, en accablant de coups et d’injures ces malheureuses victimes, dont elle précipita les corps morts et défigurés dans le fleuve de l’Oronte[22].

Après s’être porté à cette extrémité, quels que fussent les desseins de Gallus, ce n’était que dans un champ de bataille qu’il pouvait espérer de défendre avec succès son innocence. Mais l’âme de ce prince était un mélange de violence et de faiblesse. Au lieu de prendre le titre d’Auguste, et d’employer à sa défense les troupes et les trésors de l’Orient, il se laissa tremper par l’artificieuse tranquillité de Constance, qui, lui laissant le faste illusoire de sa cour, rappela insensiblement les vieilles légions des provinces d’Asie. Mais comme il pouvait être encore dangereux d’arrêter Gallus dans sa capitale, on se servit avec succès du moyen lent et sûr de la dissimulation. Constance lui écrivait souvent, et l’exhortait, par des expressions de confiance et d’amitié, à remplir les devoirs de son rang, à décharger son collègue d’une partie des soins publics, et à venir protéger l’Occident par sa présence, par ses conseils et par ses armes. Tant d’injures réciproques auraient dut éveiller les craintes et les soupçons de Gallus ; mais il avait négligé les occasions de la fuite et de la résistance, et il s’était laissé séduire par les discours flatteurs de Scudilo, tribun militaire, qui, sous l’apparente rudesse d’un soldat, cachait l’adresse la plus insinuante, Gallus comptait sur le crédit de son épouse Constantina, dont la mort fatale, dans la circonstance présente, consomma les malheurs où elle avait entraîné son mari par ses passions impétueuses[23].

Après, un long délai, le prince partit avec répugnance pour la cour impériale. Depuis Antioche jusqu’à Andrinople, il traversa la vaste étendue de ses États avec une suite nombreuse et brillante. Pour cacher ses craintes aux peuples, et se les dissimuler peut-être à lui-même, il fit célébrer les jeux du cirque à Constantinople. Le cours de son voyage aurait dû l’avertir du danger dont il était menacé : dans les villes principales de son passage, il trouvait des ministres de confiance envoyés exprès pour se saisir de l’administration, observer tous ses mouvements, et prévenir les accès de violence auxquels on craignait qu’il ne se livrât dans son désespoir. Les députés, chargé de s’emparer du gouvernement des provinces qu’il laissait derrière lui, le saluaient froidement à leur passage, quelquefois même avec l’air du dédain, et l’on éloignait soigneusement, avant son arrivée, les troupes qui se trouvaient placées sur sa route, de peur qu’elles ne fussent tentées de lui offrir leurs services pour commencer une guerre civile[24]. Gallus, après avoir obtenu la permission de se reposer pendant quelques jours à Andrinople, y reçut un mandat du style le plus impérieux et le plus absolu, qui lui ordonnait de laisser dans cette ville sa nombreuse escorte, et de se hâter d’arriver avec dix chariots de poste au plus à Milan, où était alors la résidence impériale. Dans cette course rapide, le respect dû au frère et au collègue de Constance se changea en une insolente familiarité. Gallus, qui apercevait à la contenance de ses serviteurs qu’ils se regardaient déjà comme ses gardes, et qu’ils seraient peut-être dans peu ses bourreaux, commençait à se reprocher, sa fatale imprudence ; et le souvenir de la conduite qui lui avait attiré son infortune excitait à la fois sa terreur et ses remords. Toute dissimulation cessa à Petovio en Pannonie ; il fût conduit à un palais dans les faubourgs, où le général Barbatio, suivi d’une troupe de soldats choisis, aussi inaccessibles aux récompenses qu’à la pitié, attendait l’arrivée de son illustre victime. On l’arrêta au commencement de la nuit, et, après l’avoir ignominieusement dépouillé des ornements de César, on le transporta à Pole en Istrie, dans la prison qui avait été si récemment teinte du sang royal. L’horreur dont il se sentait saisi fut bientôt augmentée par l’apparition de son implacable ennemi, l’eunuque Eusèbe, qui, en présence d’un notaire et d’un tribun, commença son interrogatoire relativement à l’administration de l’Orient. Le César, succombant sous le poids du crime et de la honte, confessa tontes les actions et tous les desseins criminels dont il était accusé. En les imputant aux conseils de la princesse son épouse, il augmenta l’indignation de Constance, qui examina avec une prévention défavorable la minute de son procès criminel. L’empereur se  laissa aisément convaincre que la vie de son cousin était incompatible avec le soin de sa propre sûreté. La sentence de mort fut signée, envoyée, exécutée, et le neveu de Constantin, les mains liées derrière le dos, fût décollé dans sa prison comme un vil malfaiteur[25]. Ceux qui sont portés, à excuser la cruauté de Constance assurent qu’il se repentit promptement et qu’il révoqua l’ordre sanglant, mais que les eunuques retinrent le courrier chargé de la grâce. Ils redoutaient le caractère implacable de Gallus, et désiraient de rejoindre à leur empire les provinces opulentes de l’Orient[26].

De toute la nombreuse postérité de Constance Chlore, il ne restait après l’empereur régnant que le seul Julien. Le malheur de la naissance royale l’avait enveloppé dans la disgrâce de Gallus. De sa retraite dans l’heureuse contrée de l’Ionie ; on le conduisit, sous une forte garde, à la cour de Milan, où il languit environ sept mois, dans l’attente d’un supplice ignominieux pareil à ceux que, presque sous ses yeux, on infligeait tous les jours aux  amis et aux adhérents de sa famille. Ses regards, ses gestes, et jusqu’à son silence, étaient examinés avec l’œil vigilant de la plus maligne curiosité. Il était sans cesse assiégé par des ennemis qu’il n’avait point offensés, et par des artifices auxquels il était étranger[27]. Mais, à l’école de l’adversité, Julien acquit peu à peu de la fermeté et de la discrétion. Il défendit son honneur et sa vie en évitant les piéges adroits des eunuques, qui mettaient tout en œuvre pour lui faire trahir ses sentiments. Il sut renfermer son ressentiment, et sa douleur, mais sans se dégrader jusqu’à flatter le tyran par une apparente approbation du meurtre de son frère. Julien attribue dévotement sa délivrance miraculeuse à la protection des dieux, qui avaient excepté son innocence de la sentence de destruction prononcée par leur justice contre la maison impie de Constantin[28]. Le moyen victorieux dont la Providence s’est servie est, dit-il, la ferme et généreuse amitié de l’impératrice Eusebia[29], princesse aussi distinguée par son mérite que par sa beauté, et, dont l’ascendant sur l’esprit de son mari contrebalançait en quelque sorte la puissante ligue des eunuques. Ce fut par son intercession que l’empereur consentit à voir Julien. Il plaida sa cause avec une noble assurance, et fût écouté favorablement. L’indulgence d’Eusebia prévalut, dans le conseil, sur les efforts des eunuques. Ils tâchaient de démontrer qu’il était dangereux de laisser un vengeur du sang de Gallus, et, craignant l’effet d’une seconde entrevue, ils engagèrent Julien à se retirer dans les environs de Milan ; jusqu’au moment où l’empereur lui assigna la ville d’Athènes pour le lieu honorable de son exil. Il avait montré, dès sa tendre jeunesse, un goût ou plutôt une passion pour la langue, les mœurs, les sciences et la religion des Grecs ; il obéit avec plaisir à un ordre si conforme à ses désirs. Loin du tumulte des armes et de la perfidie des cours, il passa six mois au milieu des bocages de l’académie, et dans la conversation familière des philosophes du siècle, qui travaillèrent à cultiver le génie, à exciter la vanité, et à enflammer la dévotion de leur auguste élève. Leurs soins furent couronnés de succès. Julien conserva inviolablement pour Athènes la tendresse qu’une âme généreuse éprouve toujours au souvenir de l’endroit où elle a senti naître et brille les premiers rayons de son génie. La douceur et l’affabilité qu’il tenait de la nature, et que lui imposait sa situation, lui gagnaient l’amitié, des étrangers et des citoyens qui conversaient avec lui. Quelques-uns de ses compagnons d’étude le virent peut-être d’un œil prévenu par l’inimitié ; mais Julien fit naître dans les écoles d’Athènes une estime générale pour ses talents et pour ses vertus, et il jouit bientôt, dans tout le monde romain, d’une honorable réputation[30].

Tandis que dans la retraite, Julien employait son temps à s’instruire, l’impératrice, résolue, d’achever sa généreuse entreprise, n’oubliait pas le soin de sa fortune. Par la mort du dernier César, Constance se trouvait chargé seul du commandement, et sentait accablé du poids de ce vaste et puissant empire. Les plaies faites par la guerre civile n’étaient pas encore guéries ; la Gaule se trouvait inondée d’un déluge de Barbares, et les Sarmates ne respectaient plus la barrière du Danube. Les sauvages isauriens, dont on avait laissé les ravages impunis, augmentaient de nombre et d’audace. Ces brigands descendaient de leurs montagnes escarpées, pour ravager les contrées adjacentes ; ils avaient eu l’insolence d’assiéger, mais sans succès, l’importante ville de Séleucie défendue par trois légions. D’un autre côté, le roi de Perse donnait en même temps dés inquiétudes plus sérieuses ; enorgueilli par ses victoires, il menaçait de nouveau les provinces de l’Asie, et la présence de l’empereur devenait également indispensable sur les frontières orientales et sur les confins de l’Occident. Pour la première fois Constance reconnut sincèrement que des soins si variés et si étendus étaient au-dessus de ses forces[31]. En vain la voix de ses flatteurs voulut se faire entendre et lui persuader que ses vertus toutes puissantes, sa fortune appuyée de la faveur du ciel, continueraient à triompher de tout obstacle ; il prêta l’oreille avec complaisance aux avis d’Eusebia, qui satisfaisaient son indolence sans. blesser sa vanité. S’apercevant que le souvenir de Gallus donnait des craintes à l’empereur, cette princesse lui présentait avec adresse les caractères opposés des deux frètes, qu’on avait comparés dès leur enfance à ceux de Titus et de Domitien[32]. Elle accoutumait son mari à considérer Julien comme un jeune prince modeste et sans ambition, dont la pourpre assurerait la reconnaissance et la fidélité, et que ses talents rendraient capable de remplir avec honneur une place au second rang, où il soulagerait l’empereur d’une infinité de soins, sans jamais prétendre à secouer l’autorité ou à obscurcir la gloire de son souverain et de son bienfaiteur. Après de longs et secrets efforts, l’ascendant de l’impératrice l’emporta sur l’opposition des eunuques favoris, et il fut résolu que Julien irait, avec le titre de César, gouverner les peuples au-delà des Alpes, dès qu’on aurait célébré son mariage avec la princesse Hélène, sœur de Constance[33].

Quoique l’ordre qui le rappelait à la cour fut sans doute accompagné de quelque avertissement sur sa prochaine grandeur, Julien prit le peuple d’Athènes pour témoin de sa douleur sincère et des larmes qu’il répandit quand on l’arracha, malgré lui, de sa retraite chérie[34]. Il craignait pour sa vie, pour sa gloire, et même pour sa vertu. Toute sa confiance était, dans la persuasion que Minerve dirigeait sans cesse sa conduite, et qu’il était sous la protection immédiate d’une légion d’anges invisibles, que cette déesse avait empruntée pour lui au soleil et à la lune. Il n’approcha qu’avec horreur du palais de Milan ; jeune et sincère, il ne put cacher son indignation  quand il reçut les respects perfides et serviles des assassins de sa famille. Eusebia était enchantée d’avoir réussi dans ses bienveillants projets. L’embrassant avec la tendresse d’une sœur, elle tâcha, par les caresses les plus flatteuses, de bannir ses craintes et de le réconcilier avec sa fortune. Mais la cérémonie de lui raser sa longue barbe, et son maintien emprunté quand il fallut troquer le manteau d’un philosophe grec pour l’habit militaire d’un prince romain, amusèrent pendant quelques jours la légèreté de la cour impériale[35].

Les empereurs du siècle de Constantin ne daignaient plus consulter le sénat sur le choix d’un collègue ; mais ils avaient soin de faire ratifier leur nomination par le consentement de l’armée. Dans cette occasion solennelle les gardes et toutes les troupes qui étaient aux environs de Milan parurent sous les armes ; Constance monta sur son tribunal, tenant par la main son cousin Julien, qui accomplissait ce jour-là sa vingt-cinquième année[36]. Dans un discours préparé, dont le style noble était soutenu par la dignité du débit, l’empereur représenta les différents dangers qui menaçaient la prospérité de la république, la nécessité de nommer un César pour gouverner et défendre l’Occident, et son intention de récompenser par la pourpre, s’ils y consentaient, les vertus qu’annonçait le neveu de Constantin. Les soldats témoignèrent leur approbation par un murmure respectueux : ils contemplèrent l’air mâle de Julien, et ils virent avec plaisir le feu de ses yeux tempéré par la modeste rougeur qui s’élevait sur son front, offert pour la première fois aux regards du monde. Dès que la cérémonie de son investiture fut terminée, Constance, s’adressant à lui du ton d’autorité que son âge et son rang lui permettaient de prendre, exhorta le nouveau César à mériter, par des exploits héroïques, ce nom immortel et sacré, et lui donna les plus fortes assurances d’une amitié, à laquelle ni le temps ni l’éloignement ne porteraient jamais atteinte. Après ce discours, les soldats frappèrent de leurs boucliers sur leurs genoux en signe d’applaudissements[37], et les officiers qui entouraient le tribunal exprimèrent avec une décence retenue leur estime pour le représentant de Constance.

Les deux princes retournèrent au palais dans le même char, et pendant la marche lente de ce cortége, Julien se répétait à lui-même un vers d’Homère, son poète favori, qui pouvait également s’appliquer à ses craintes et à sa fortune[38]. Les vingt-quatre jours qu’il passa dans le palais de Milan après son investiture, et les premiers mois de son règne dans les Gaules, ne furent autre chose qu’une pompeuse mais sévère captivité. Les  honneurs qu’il avait acquis ne compensaient pas la perte de sa liberté[39]. On surveillait ses pas, on interceptait sa correspondance, et il était obligé, par prudence, de refuser la visite de ses plus intimes amis. On ne lui laissa que quatre de ses anciens domestiques, deux pages, son médecin et son bibliothécaire ; ce dernier était le gardien d’une précieuse collection de livres reçus en présent de l’impératrice ; aussi attentive à satisfaire les inclinaisons de son ami, qu’à défendre ses intérêts. Au lieu de ses fidèles serviteurs, sa maison fut composée convenablement à sa dignité de César, mais remplie d’une foule d’esclaves dénués et peut-être incapables d’attachement pour leur nouveau maître, auquel ils étaient, pour la plupart, ou inconnus ou suspects. Son défaut d’expérience pouvait exiger un conseil d’hommes sages et intelligents ; mais l’étiquette minutieuse qui réglait le service de sa table et la distribution de ses heures convenait plus à un adolescent encore sous la discipline de ses instituteurs, qu’à un prince auquel on confiait la conduite d’une guerre importante. Aspirait-il à mériter l’estime des peuples, il était arrêté par la crainte de déplaire au souverain. Les fruits de son mariage périrent par les jaloux artifices d’Eusebia[40] elle-même, qui, en cette seule occasion, parût oublier la sensibilité de son sexe et sa générosité naturelle. Le souvenir de son père et de ses frères avertissait Julien de son propre danger, et ses craintes étaient encore augmentées par l’injuste et récente condamnation de Sylvanus. Pendant l’été qui avait précédé l’élévation de Julien, le général Sylvanus avait été choisi pour délivrer les Gaules de l’oppression des Barbares : il eût bientôt lieu de s’apercevoir que ses plus dangereux ennemis étaient restés à la cour impériale. Un délateur adroitement perfide, soutenu par plusieurs des principaux ministres, ayant obtenu de lui quelques lettres de recommandation, en effaça tout, excepté la signature, et remplit à son gré le parchemin des preuves d’un complot criminel de la plus haute importance. L’adresse et le courage des amis du général firent bientôt découvrir la fraude. Un conseil composé d’officiers civils et militaires reconnut publiquement l’innocence de Sylvanus, en présence de l’empereur. Mais la découverte arriva trop tard ; le bruit de la calomnie et la saisie de ses biens avaient déjà excité ce chef indigné à la révolte dont on l’avait si injustement accusé. Sylvanus prit la pourpre à Cologne, où était son quartier général. Son activité semblait menacer d’envahir l’Italie et d’assiéger Milan. Dans cette circonstance, Ursicinus, général du même rang regagna par une trahison la faveur qu’il avait perdue par d’éminents services rendus dans l’Orient. Feignant avec toute vraisemblance l’indignation que pouvaient lui inspirer des injures du genre de celle qu’on avait faite à Sylvanus, il se hâta de le joindre avec quelques cavaliers, et de trahir son crédule ami. Après un règne de vingt-huit jours, Sylvanus fut assassiné, et les soldats qui, sans aucune intention criminelle, avaient suivi aveuglément l’exemple de leur général, rentrèrent aussitôt dans l’obéissance[41]. Les flatteurs de Constance célébrèrent la sagesse et le bonheur du prince, qui venait d’éteindre une guerre civile sans courir le hasard d’une bataille.

La défense des frontières rhétiennes et la persécution de la foi catholique retinrent Constance en Italie plus de dix-huit mois après le départ de Julien. Avant de retourner dans l’Orient, l’empereur satisfit son orgueil et sa curiosité en visitant l’ancienne capitale[42]. Il alla de Milan à Rome par les voies Émilienne et Flaminienne ; et quand il en fut à quarante milles, ce prince, qui n’avait jamais vaincu un ennemi étranger, imita la pompe et tous les attributs d’une marche triomphale ; son brillant cortège était composé de tous les ministres de son luxe ; mais, quoi qu’en pleine paix, il  était environné de nombreux escadrons de ses gardes et de ses cuirassiers. Leurs étendards de soie embossés d’or et taillés en forme de dragons, flattaient autour de l’empereur. Constance était assis seul dans un char très élevé, incrusté d’or et de pierres précieuses. Excepté lorsqu’il baissait la tête pour passer sous la porte des, villes, il affectait dans son grave maintien une roideur inflexible qui même lui donnait, ainsi dire, l’apparence d’une insensibilité totale. Les eunuques avaient introduit dans le palais impérial la sévère discipline de  la jeunesse persane, et l’empereur s’était si bien conformé aux habitudes de patience, qui en résultent, que, pendant une marche lente, par une chaleur insupportable on ne le vit jamais porter ses mains à son visage, ni même tourner les yeux à droite et à gauche. Les magistrats et le sénat de Rome reçurent l’empereur, qui s’occupa avec beaucoup d’attention des différentes dignités conférées jadis par la république, et des portraits consulaires des familles distinguées. Les rues étaient bordées d’un peuple immense, des acclamations répétées annonçaient sa joie de posséder la personne sacrée du souverain, après en avoir été privé pendant trente-deux ans ; et Constance exprima, sur un ton de plaisanterie, son étonnement prétendu de ce que tout le genre humain se trouvait, disait-il, réuni en un instant dans le même lieu. Le fils de Constantin fut logé dans l’ancien palais d’Auguste ; il présida le sénat, harangua le peuple de la tribune où Cicéron était si souvent monté, assista aux Jeux du cirque avec une complaisance extraordinaire, et accepta les couronnes d’or et les panégyriques présentés par les députés des villes principales. Il ne resta à Rome que trente jours, qui furent employés à visiter les monuments de l’art et de la puissance répandus sur les sept collines et dans les vallées qui les séparent. Il admira l’imposante majesté du Capitole, la vaste étendue des bains de Caracalla et de Dioclétien, la sévère simplicité du Panthéon, la massive grandeur de l’amphithéâtre de Titus, l’architecture élégante du théâtre de Pompée et du temple de la Paix, et par dessus tout l’imposante structure du forum et de la colline de Trajan ; avouant que la renommée, si sujette à inventer et à amplifier, ne vantait point assez la métropole du monde. Le voyageur qui a contemplé les ruines de l’ancienne Rome, peut concevoir une idée imparfaite de l’impression que la vue de ses monuments devait faire éprouver quand ils élevaient leurs têtes superbes dans toute la splendeur de leur première beauté.

Constance fut si satisfait de ce voyage, qu’il eut l’ambition de faire aux Romains un présent qui perpétuât le souvenir de sa reconnaissance et de sa générosité. Sa première idée fut d’imiter la statue équestre et colossale qu’il avait vue dans le forum de Trajan ; mais quand il eut mûrement pesé les difficultés de l’exécution[43], il préféra d’embellir la ville par le don d’un obélisque d’Égypte. Dans les siècles reculés, mais déjà policés, qui semblent avoir précédé l’invention de l’écriture alphabétique, les anciens souverains d’Égypte élevèrent un grande nombre de ces obélisques dans les villes de Thèbes et d’Héliopolis. Ils espéraient, sans doute que la simplicité de leur structure et la dureté de leur substance les mettraient à l’abri des injures du temps et de la violence[44]. Plusieurs de ces extraordinaires colonnes avaient été transportées à Rome par Auguste et par ses successeurs, comme les monuments les plus durables de leur puissance, et de leur victoire[45]. Mais il restait un de ces obélisques qui, soit qu’il parût plus respectable ou plus difficile à transporter, avait échappé longtemps à l’orgueilleuse avidité des conquérants. Constantin, le destinant à embellir sa nouvelle cité[46], le fit déplacer de dessus son piédestal qui était posé devant le temple du Soleil, à Héliopolis, et descendre sur le Nil jusqu’à Alexandrie. La mort de Constantin suspendit l’exécution de ce projet et son fils, résolut de faire présent de cet obélisque à l’ancienne capitale de l’empire. On construisit un vaisseau d’une grandeur et d’une force convenables pour transporter des bords du Nil à ceux du Tibre cette masse énorme de granit, d’environ cent quinze pieds de longueur. L’obélisque de Constance fut débarquée à peu près à trois milles de la ville, et élevé, à force d’art et de travail, dans le grand cirque de Rome[47].

Constance, apprit une nouvelle alarmante qui lui fit quitter Rome avec précipitation. Les provinces d’Illyrie étaient dans le danger le plus pressant. Les déchirements de la guerre civile et la perte irréparable qu’avaient éprouvée les légions à la bataille de Mursa avaient exposé ces contrées presque sans défense aux courses de la cavalerie légère des Barbares, et particulièrement, aux incursions des Quades, nation puissante et féroce, qui semblaient avoir échangé les coutumes de la Germanie contre les armes et les connaissances militaires des Sarmates, leurs alliés[48]. Les garnisons de la frontière ne suffisaient pas pour les arrêter, et l’indolent monarque fut enfin obligé de rappeler des extrémités de ses États l’élite des troupes palatines, et de se mettre lui-même à leur tête. Cette guerre l’occupa sérieusement pendant une campagne entière, durant l’automne qui la précéda et le printemps dont elle fut suivie. L’empereur passa le Danube sur un pont de bateaux, tailla en pièces tout ce qui se présenta devant lui, pénétra dans le cœur du pays des Quades, et leur rendit avec usure les maux dont ils avaient affligé les provinces romaines. Les Barbares, épouvantés, furent bientôt forcés de demander la paix. En réparation du passé, ils offrirent la restitution de tous leurs prisonniers, et les plus distingués de leur nation pour otages et pour garants de leur conduite à l’avenir. La réception favorable et flatteuse qu’obtinrent les premiers d’entre leurs chefs qui implorèrent la clémence de l’empereur,  encouragea les plus timides ou les plus obstinés à suivre leur exemple : le camp impérial fut rempli d’une foule de princes et d’ambassadeurs des tribus les plus éloignées, qui occupaient les plaines de la petite Pologne, et qui auraient pu se croire en sûreté derrière la chaîne escarpée des montagnes Carpathiennes. En faisant la loi aux Barbares qui habitaient au-delà du Danube, Constance parût sensible au malheur de Sarmates, qui, chassés de leur pays par leurs esclaves révoltés, s’étaient réfugiés chez les Quades, dont ils avaient considérablement augmenté la puissance. L’empereur embrassant un système de politique adroit autant que généreux, tira les Sarmates de cet état de dépendance humiliante. Par un traité séparé, il les rétablit en corps de nation amie et allié de là république, sous le gouvernement d’un monarque ; il déclara qu’il avait résolu de soutenir la justice de leur cause, et d’assurer la paix de leurs provinces par la destruction ou du moins par le bannissement des Limigantes, qui conservaient tout les vices et toute la bassesse de leur méprisable origine. L’exécution de ce dessein offrait moins de gloire que de difficultés. Le territoire des Limigantes était défendu du côté des Romains par le Danube, et par la Theiss du coté des Barbares. Le terrain marécageux qui séparait ces deux rivières, fréquemment inondé de leurs eaux, présentait un labyrinthe dangereux et inabordable, excepté pour les habitants qui en connaissaient les passages secrets et les forteresses inaccessibles. A l’approche de Constance, les Limigantes eurent alternativement recours aux supplications, aux armes et à la perfidie. Il rejeta sévèrement leurs prières ; et après avoir éventé leurs grossiers stratagèmes, il repoussa les efforts irréguliers de leur valeur par une conduite prudente et courageuse. Une des plus guerrières de leurs tribus s’était fixée dans une petite île au confluent de la Theiss et du Danube. Elle avait consenti à passer la rivière sons le prétexte d’une conférence amicale, pendant laquelle ces Barbares projetaient de se saisir de l’empereur ; qu’ils ne croyaient pas sur ses gardes. Mais les traîtres furent victimes de leur entreprise ; environnés de toutes parts, écrasés par des chevaux de la cavalerie, hachés par les légions, et dédaignant de demander quartier, ils périrent les armes à la main, et conservèrent  jusqu’au dernier soupir leur maintien farouche et leur air de férocité. Après cette victoire, un corps considérable de Romains passa sur la rive opposée du Danube. Les Taifalæ, tribus des Goths, qui s’étaient engagés au service de l’empire, entourèrent les Limigantes de l’autre côté de la Theiss. Leurs anciens maîtres, les Sarmates libres, animés par l’espoir et la vengeance, gravirent les montagnes et pénétrèrent dans le cœur du pays qui leur avait appartenu. Un incendie général fit découvrir les huttes des Barbares qui s’étaient retirés dans le fond du désert, et le soldat combattit avec intrépidité sur un terrain marécageux, où l’on courait à chaque pas le danger d’être englouti. Les plus braves des Limigantes avaient résolu de se défendre jusqu’à la mort ; mais l’autorité des vieillards fit prévaloir un avis moins violent. Les suppliants en foule se rendirent au camp des Romains, suivis de leurs femmes et de leurs enfants, pour apprendre de la bouche de l’empereur le sort qu’il leur réservait. Après avoir fait l’éloge de sa propre clémence, qui le portait à pardonner leurs crimes multipliés, et à sauver les restes d’une nation coupable, Constance leur assigna pour exil un pays éloigné, où ils auraient pu jouir d’un repos honorable. Les Limigantes obéirent avec répugnance, et, avant d’avoir atteint à cette nouvelle patrie, ils revinrent sur les bords du Danube, déplorèrent le malheur de leur situation, et conjurèrent l’empereur en lui jurant une fidélité à toute épreuve, de leur accorder une habitation tranquille dans quelque canton d’une province romaine. Constance, oubliant les preuves récentes de leur perfidie, écouta ses flatteurs qui s’empressèrent de lui représenter l’avantage qu’il tirerait d’une colonie de soldats, dans un temps où les sujets de l’empire accordaient plus facilement des contributions d’argent que des services militaires. On permit aux Limigantes de passer le Danube, et l’empereur leur donna audience dans une vaste plaine près du lieu où est situé Bude. Ils entourèrent son tribunal ; et tandis qu’ils semblaient écouter avec respect un discours rempli de douceur et de dignité, un des Barbares, lançant en l’air une de ses sandales, cria d’une voix terrible : Marha ! marha ! cri de guerre et d’alerte qui fut le signal de la plus horrible confusion. Les Barbares s’élancèrent avec violence pour enlever l’empereur. Son trône et son lit d’or furent pillés par leurs mains grossières, mais la courageuse fidélité de ses gardes, qui reçurent la mort à ses pieds, lui donna le temps d’échapper de cette sanglante mêlée, et de s’éloigner rapidement sur un de ses meilleurs coursiers. Le nombre et la discipline des Romains tirèrent une prompte vengeance de l’affront que leur avait fait essuyer cette trahison ; le combat ne fut terminé que par l’extinction du nom et de la nation des Limigantes. On remit les Sarmates errants en possession de leurs anciennes terres. Constance, quoique leur caractère léger lui inspirât peu de confiance, espéra que le sentiment de là reconnaissance pourrait avoir quelque influence sur leur conduite future ; il avait remarqué la taille avantageuse et la conduite respectueuse de Zizais, un de leurs chefs les plus distingués, et il le fit roi des Sarmates. Zizais prouva par son inviolable attachement pour l’empereur qu’il était digne de son choix ; et Constance après ce succès, fut surnommé le Sarmatique, aux acclamations de son armée victorieuse[49].

Tandis que l’empereur romain et le monarque persan défendaient, à trois mille milles l’un de l’autre, les limites de leurs États contre les Barbares des rives du Danube et de l’Oxus, leurs confins intermédiaires étaient exposés aux vicissitudes d’une guerre languissante, et d’une trêve précaire. Deux des ministres orientaux de Constance, le préfet du prétoire Musonien, dont les talents étaient flétris par la fausseté et le défaut d’intégrité, et Cassien, duc de Mésopotamie, vétéran intrépide, entamèrent secrètement une négociation avec le satrape Tamsapor[50]. Ces ouvertures de paix traduites en langue persane, et rédigées dans le style flatteur et servile de l’Asie, furent portés dans le camp du grand roi, qui résolut de faire savoir aux romains, par un ambassadeur, les conditions qu’il daignait leur accorder. Narsès, qu’il revêtit de ce caractère, reçût toutes sortes d’honneurs dans le cours de son voyage depuis Antioche jusqu’à Constantinople. Arrivé à Sirmium après une longue route, il reçut sa première audience, et développa respectueusement le voile de soie qui couvrait la lettre hautaine de son souverain. Sapor, roi des rois, frère du Soleil et de la Lune (tels étaient les titres pompeux affectés par la vanité orientale), félicitait son frère Constance César de ce qu’il avait puisé de la sagesse dans l’adversité. Comme légitime successeur de Darius Hystaspes, Sapor déclarait que la rivière de Strymon en Macédoine était l’ancienne et véritable borne de son empire, mais que telle était sa modération, qu’il se contenterait des provinces d’Arménie et de Mésopotamie, qu’on avait frauduleusement enlevées à ses ancêtres : ajoutant que sans cette restitution il était impossible d’établir une paix solide entre les deux empires, et que, si son ambassadeur ne rapportait pas une réponse satisfaisante, il était préparé à soutenir, dès le printemps suivant, la justice de sa cause par la force de ses armes invincibles. Narsès, naturellement rempli de politesse et de grâces, tâcha d’adoucir, autant que son devoir le lui permettait, la hauteur de cette proposition[51]. Le conseil impérial, après avoir mûrement pesé le style et le contenu de la lettre, renvoya l’ambassadeur avec la réponse suivante : Quoique Constance pût légitimement désavouer des ministres qui avaient entamé une négociation sans ses ordres positifs, il était disposé à conclure un traité juste et honorable. Mais il regardait comme indécent et ridicule de proposer au seul et victorieux possesseur de tout l’empire romain, des conditions qu’il avait rejetées avec indignation dans un temps où sa puissance se renfermait dans les limites étroites de l’Orient. Le sort des armes était sans doute incertain ; mais Sapor ne devait pas oublier que si dans le cours de leurs nombreuses guerres, les Romains avaient perdu quelques batailles, ils les avaient cependant terminées toutes par la victoire. Peu de jours après le départ de Narsès, on envoya trois ambassadeurs à la cour de Sapor, qui était déjà revenu de son expédition de Syrie dans sa résidence ordinaire de Ctésiphon. Un comte, un notaire et un sophiste, furent chargés de cette importante commission ; et Constance, qui désirait seulement la conclusion de la paix, espéra que le rang du premier, l’adresse du second, et l’éloquence du troisième[52], obtiendraient de Sapor un adoucissement à ses prétentions. Mais leur négociation échoua par l’opposition et les manoeuvres d’Antoninus, sujet romain[53]. Forcé par l’oppression de fuir de la Syrie, il avait été admis dans les conseils de Sapor, et même à sa table royale, où, selon l’usage des Persans, se discutaient les affaires les plus importantes[54]. L’adroit réfugié satisfaisait par les mêmes moyens à son intérêt et à sa vengeance. Il excitait sans cesse l’ambition de son nouveau maître à profiter du moment où l’élite des troupes palatines était occupée avec l’empereur à combattre sur les bords éloignés du Danube, et où les provinces épuisées de l’Orient offraient une conquête facile à ses nombreuses armées de Persans ; maintenant fortifiées par l’alliance et la jonction des plus redoutables d’entre les Barbares. Les ambassadeurs romains  se retirèrent sans succès ; et ceux qui leur succédèrent, quoique d’un rang supérieur, furent enfermés dans une étroite prison, et menacés de la mort ou de l’exil.

L’historien militaire[55], envoyé pour observer l’armée des Persans tandis qu’ils construisaient un pont de bateaux sur le Tigre, monta sur une colline d’où il vit toute la plaine d’Assyrie, aussi loin que l’horizon lui permettait de l’apercevoir, couverte de soldats, d’armes et de chevaux, et Sapor à leur tête, vêtu d’un habit éclatant de pourpre. À sa gauche, la place d’honneur chez les Orientaux, Grumbates, roi des Chionites, présentait le maintien austère d’un guerrier vénérable par ses années, et célèbre par ses exploits. A la droite de Sapor était, dans un rang pareil, le roi d’Albanie, qui amenait des rives de la mer Caspienne ses tribus indépendantes. Les satrapes et les généraux étaient placés selon leur race, et en outre de la foule immense de femmes et d’esclaves qui suivent toujours les armées orientales, on comptait plus de cent mille combattants effectifs, tous exercés à la fatigue, et choisis parmi les plus braves nations de l’Asie. Le transfuge romain, qui dirigeait en grande partie le conseil de Sapor, lui avait sagement recommandé de ne pas perdre la belle saison à entreprendre des sièges longs et difficiles ; mais de marcher vers l’Euphrate, et de s’emparer sans délai de la faible et opulente capitale de la Syrie. Mais à peine entrés dans les plaines de la Mésopotamie, les Perses s’aperçurent qu’on avait pris toutes les précautions propres à retarder leurs progrès et à déconcerter leurs desseins. Les habitants et leurs troupeaux étaient retirés dans des forteresses ; les fourrages verts avaient été brûlés sur pied ; des pieux serrés et pointus défendaient les gués des rivières ; on avait garni la rive opposée de machines de guerre, et la crue favorable des eaux de l’Euphrate ne permit point aux Barbares de tenter le passage sur le pont de Thapsacus. L’habile Antoninus changea son plan d’opérations, et conduisit l’armée par un long détour, mais à travers des territoires fertiles, vers la source de l’Euphrate, où le peu de profondeur de ses eaux offre un passage facile. Sapor dédaigna prudemment de s’arrêter devant les murs de l’imprenable Nisibis ; mais en passant sous les murs d’Amida, il voulut essayer si la majesté de sa présence n’amènerait pas sur-le-champ à ses pieds la garnison pénétrée de respect et de terreur. L’insolence d’un dard sacrilège qui, lancé au hasard vint effleurer son royal diadème, le convainquit de son erreur ; et le monarque indigné n’écouta plus qu’avec impatience l’avis de ses ministres, qui le conjuraient de ne pas sacrifier à son ressentiment tout le succès de ses armes et de son ambition. Le lendemain, Grumbates s’avança sous la porte de la ville, avec un corps de troupes choisies, et somma la garnison de se rendre à l’instant, pour réparer de la seule manière qui fut en son pouvoir un semblable trait d’audace et d’insolence. On répondit à cette proposition par une grêle de traits, et un javelot lancé d’une baliste traversa le cœur du fils unique de Grumbates, jeune prince également remarquable par sa valeur et par sa beauté. Le fils du roi des Chiorites fut inhumé avec toutes les cérémonies d’usage chez cette nation ; et Sapor adoucit un peu la douleur du vieux guerrier en lui jurant que la coupable ville d’Amida serait le bûcher funèbre qui servirait à expier la mort et à perpétuer la mémoire de son fils.

L’ancienne ville d’Amid ou Amida[56] qu’on appelle quelquefois Diarbekir[57], du nom de la province, est située avantageusement dans une plaine fertile arrosée par le cours naturel du Tigre et par des canaux artificiels, dont le plus considérable forme un demi cercle autour de la partie orientale de la ville. L’empereur Constance lui avait récemment accordé l’honneur de porter son nom, et l’avait fortifiée de nouveaux murs défendus par de hautes tours. L’arsenal était muni de toutes les machines de guerre propres la défense ; et la garnison avait été nouvellement renforcée de sept légions, quand la plaine fût investie par les armées de Sapor[58]. Ce prince fondait sur un assaut général son premier et principal espoir. Les différentes nations qui suivaient ses drapeaux prirent les postes qui leur furent assignés ; la nation des Vertœ au midi : au nord les Albaniens ; à l’orient les Chionites, enflammés par la douleur et l’indignation ; et à l’occident les Ségestins, les plus braves de l’armée, dont le front de bataille était couvert d’une ligne formidable d’éléphants[59]. Les Persans de tous côtés secondaient leurs efforts et animaient. leur courage. Sapor lui-même, sans égards pour son rang hasardait sa propre vie, et pressait le siége avec l’impétuosité d’un jeune soldat. Après un combat opiniâtre, les Barbares furent repoussés. Ils revinrent à la charge, et furent repoussés encore avec un épouvantable carnage. Deux légions rebelles des Gaules, qui avaient été reléguées en Orient, signalèrent par une sortie leur courage indiscipliné, et pénétrèrent, à la faveur de la nuit, jusqu’au milieu du camp des Persans. Pendant la plus terrible de ces attaques répétées, Amida fut trahie par un déserteur qui indiqua aux Barbares un escalier secret, taillé dans le creux d’un rocher sur le bord du Tigre. Soixante-dix archers de la garde royale montèrent en silence au troisième étage d’une tour très élevée qui commandait le précipice, et attachèrent l’étendard royal, signal de confiance pour les assaillants, et de désespoir pour les assiégés. Si ces braves avaient pu se maintenir dans leur poste quelques instants de plus, peut-être, le sacrifice généreux qu’ils firent de leur vie aurait-il du moins assuré la réduction de la place. Après avoir essayé sans succès les assauts et les stratagèmes, Sapor eut recours aux opérations plus lentes, mais plus sûres, d’un siège régulier, dont les travaux furent dirigés par des déserteurs romains. On ouvrit la tranchée à une distance convenable, et les soldats destinés à ce service s’approchèrent, couverts de fortes claies, pour remplir le fossé et sapé le mur dans ses fondements. Des tours de bois, posées sur des roues, s’avancèrent, et mirent les soldats, qu’on avait, pourvus de toute sortes d’armes de trait, à portée de combattre, presque de plain pied, avec ceux qui défendaient les remparts. Tout ce que le courage et l’art pouvaient exécuter, fut employé à la défense d’Amida, et le feu des Romains détruisit souvent les ouvrages de Sapor, mais les ressources d’une ville assiégée ne sont pas inépuisables. Les Persans réparaient leurs pertes et, avançaient leurs travaux ; les béliers firent une large brèche, et la garnison réduite et épuisée ne put résister à l’impétuosité d’un nouvel assaut. Les soldats, les citoyens, leurs femmes et leur enfants, enfin tous ceux qui n’eurent pas le temps de fuir par la porte opposée, furent enveloppés par les vainqueurs dans un massacre général.

Mais la ruine d’Amida sauva les provinces romaines. Quand les premiers transports, que donne la victoire furent un peu calmés, Sapor dut réfléchir avec regret que, pour châtier une cité indocile, il avait perdu l’élite de ses troupes et la saison la plus favorable pour les conquêtes[60]. Un siége de soixante-treize jours lui avait enlevé trente mille de ses vétérans tombés sous les murs d’Amida. Trompé dans son espoir, le monarque retourna dans sa capitale ; en cachant son déplaisir secret sous un extérieur triomphant. Il est plus que probable qu’une guerre qui avait présenté des obstacles et des dangers inattendus, dégoûta l’inconstance de ses alliés barbares, et que le vieux roi des Chionites, rassasié de vengeance, s’empressa de quitter le pays funeste où il avait perdu l’espoir de sa famille et de sa nation. Les forces et le courage de l’armée avec laquelle Sapor entra en campagne le printemps suivant, ne pouvaient plus remplir ses vues ambitieuses. Au lieu d’entreprendre la conquête de l’Orient, il fallut se contenter de réduire deux places fortes de la Mésopotamie, Singara et Bezabde[61], situées l’une dans le milieu d’un désert de sables, et l’autre sur une petite péninsule entourée presque de tous côtés par le fleuve rapide et profond du Tigre. Cinq des légions romaines, réduites par Constantin à un nombre de soldats peu considérable, furent faites prisonnières, et envoyées en captivité sur les confins les plus reculés de la Perse. Après avoir démantelé Singara, le conquérant quitta cette ville éloignée et solitaire. Mais il répara soigneusement les fortifications de Bezabde, la pourvut abondamment de tous les moyens de défense, et mit dans cette place importante une garnison ou colonie de vétérans, dans l’honneur et la fidélité desquels il avait la plus grande confiance. Vers la fin de la campagne, il reçut un échec en essayant d’enlever Virtha ou Técrit, ville forte des Arabes indépendants, qui passa pour imprenable jusqu’au règne de Tamerlan[62].

La défense de l’Orient contre les armées de Sapor exigeait et aurait employé les talents du général le plus expérimenté. C’était un bonheur pour l’État que cette province se trouvât confiée, dans cette circonstance au brave Ursicinus, qui méritait seul la confiance des peuples et des soldats. Mais, au moment du danger[63], les intrigues des eunuques firent rappeler Ursicinus, et le commandement militaire de l’Orient fut donné, par la même influence, à Sabinien, riche et rusé vétéran, qui avait atteint l’âge des infirmités sans en acquérir l’expérience. Un second ordre émané de ces conseils inconstants et soupçonneux renvoya Ursicinus sur la frontière de Mésopotamie, et le condamna aux travaux d’une guerre dont les honneurs étaient réservés pour son indigne rival. Sabinien campa tranquillement, sous les murs d’Édesse ; et, tandis qu’il y récréait son indolence par une vaine parade d’exercices militaires, tandis qu’au son des flûtes il exécutait la danse pyrrhique, le soin de la défense publique était laissée aux talents et à l’activité de l’ancien général. Mais lorsque Ursicinus présentait un plan vigoureux d’opérations, quand il proposait de tourner autour des montagnes avec un corps de cavalerie et de troupes légères pour enlever les convois des ennemis, fatiguer par des attaques la vaste étendue de leurs lignes, et secourir ville d’Amida, le commandant, timide  et envieux, répondait qu’il avait des ordres positifs de ne point exposer les troupes. Amida fut prise ; ceux de ses braves défenseurs qui échappèrent au fer des Barbares, tombèrent dans le camp des Romains sous celui des bourreaux ; et Ursicinus lui-même, après une enquête humiliante et partiale, fut puni par la perte de son grade de la mauvaise conduite de Sabinien. Mais le général, injustement condamné osa dire à l’empereur que si de pareilles maximes continuaient à prévaloir dans les conseils, toute sa puissance suffirait difficilement à défendre ses provinces orientales des invasions de l’ennemi ; et Constance éprouva bientôt la vérité de cette prédiction. Lorsque l’empereur eut subjugué ou pacifié les Barbares du Danube, il avança à marches lentes vers l’Orient ; et, après avoir douloureusement contemplé les ruines encore fumantes d’Amida, il forma, avec une puissante armée le siége de Bezabde. L’effort des plus énormes béliers fut employé, contre ses murs, et la place fut réduite à la dernière extrémité : mais rien me pût vaincre le courage patient et intrépide de la garnison ; l’approche de la saison pluvieuse obligea enfin l’empereur à lever le siège, et à se retirer honteusement dans ses quartiers d’hiver à Antioche[64]. La vanité de Constance et toute l’imagination de ses courtisans étaient fort embarrassées à trouver dans la guerre de Perse la matière d’un panégyrique, tandis que Julien, à qui il avait confié les Gaules, remplissait l’univers de sa gloire, par le récit simple et abrégé de ses exploits.

Dans l’aveugle acharnement de la discorde civile, Constance avait abandonné aux Barbares de la Germanie les contrées de la Gaule qui obéissaient encore à son rival. Un nombreux essaim de Francs et d’Allemands furent invités à passer le Rhin, par des présents, des promesses, l’espoir du pillage et le don de toutes les terres qu’ils pourraient envahir[65]. Mais l’empereur, qui, dans un embarras momentané, avait eu l’imprudence d’exciter l’avidité de ces Barbares, sentit bientôt combien il était difficile de faire renoncer des alliés si dangereux à des contrées dont on leur avait fait connaître la richesse. Peu soigneux de distinguer les sujets fidèles des révoltés, ces brigands indisciplinés traitaient comme leurs ennemis naturels tous ceux des habitants de l’empire dont ils convoitaient les possessions. Quarante-cinq cités florissantes, Tongres, Cologne, Trèves, Worms, Spire, Strasbourg, etc., sans compter un beaucoup plus grand nombre d’autres villes et villages, furent ravagées et la plupart réduites en cendres. Les Barbares de la Germanie, fidèles aux usages de leurs ancêtres, ne pouvaient consentir à se voir renfermer entre des murs ; ils leur prodiguaient les noms odieux de sépulcres, de prisons, et, fixant leurs habitions indépendantes sur les bords des rivières du Rhin, de la Meuse, et de la Moselle, ne connaissaient d’autres fortifications, dans les moments de danger, que de grands arbres renversés et jetés à la hâte au travers des routes qu’ils voulaient fermer. Les Allemands s’étaient fixés dans les contrées qui forment actuellement l’Alsace et la Lorraine ; les Francs occupaient l’île des Bataves et une grande partie du Brabant, connue alors sous le nom de Toxandrie[66], et qu’on peut regarder comme le berceau de la monarchie française[67]. Des sources du Rhin jusqu’à son embouchure, les conquêtes des Germains s’étendaient vers l’occident de cette rivière environ sur quarante milles de pays occupé par des colonies de leur nation et portant le même nom ; mais les pays qu’ils avaient dévastés, étaient trois fois plus étendus que leurs conquêtes. Jusques à une distance beaucoup plus éloignée, toutes les villes ouvertes des Gaulois étaient désertes, et les habitants des villes fortes, qui, se confiant dans leurs remparts par leur vigilance, n’avaient pas abandonné leurs demeures, ne pouvaient plus recueillir de grains que sur les terres encloses dans l’enceinte de leurs murs. Les légions, diminuées, sans paye et sans vivres, sans armes et sans discipline, tremblaient à l’approche et même au seul nom des Babares.

Ce fut dans ces temps malheureux qu’on choisit un jeune prince sans expérience pour délivrer et gouverner les provinces de la Gaule, ou plutôt, comme Julien le dit lui-même, pour y étaler la vaine image de la grandeur impériale. Son éducation scolastique et solitaire l’avait beaucoup plus familiarisé avec les livres qu’avec les armes, avec les auteurs de l’antiquité qu’avec les mœurs des hommes de son siècle. Il ignorait parfaitement la science pratique de la guerre et du gouvernement. Quand il répétait gauchement quelque exercice militaire qu’il ne pouvait se dispenser d’apprendre, il s’écriait en soupirant : Ô Platon ! Platon ! quelle occupation pour un philosophe ! Cependant cette philosophie  spéculative, que sont trop disposés à mépriser les hommes livrés aux affaires, avait rempli l’imagination de Julien des exemples les plus respectables, et son âme des préceptes les plus généreux. Elle y avait empreint l’amour de la vertu, le désir de gloire et le mépris de la mort. L’habitude de la tempérance et de la frugalité, si recommandées dans les écoles, est bien plus essentielle encore dans la discipline sévère d’un camp. Julien ne prenait de la nourriture et du sommeil que ce qu’exigeaient les besoins de la nature. Rejetant avec dédain les mets délicats destinés pour sa table, il satisfaisait son appétit avec la ration grossière que recevait le moindre des soldats. Dans la plus grande rigueur des hivers de la Gaule, il ne souffrait jamais qu’on allumât du feu dans la chambre où il couchait. Après un sommeil court et interrompu, il se levait souvent au milieu de la nuit de dessus un tapis étendu sur le plancher, soit pour une dépêche pressée pour visiter ses rondes, ou pour ménager un moment à ses études favorites[68]. Les préceptes d’éloquence qu’il appliquait précédemment à des sujets de pure imagination, furent employés plus utilement à exciter ou à calmer les passions d’une multitude armée ; et quoique l’étude de la littérature et les habitudes de sa jeunesse l’eussent plus familiarisé avec les beautés de la langue grecque, il avait cependant acquis une connaissance suffisante de la langue latine[69]. Julien n’ayant jamais été destiné à occuper ni la place d’un juge ni celle d’un législateur, il est probable qu’il s’était peu attaché à l’étude de la jurisprudence romaine : mais ses études philosophiques lui avaient donné un respect inflexible pour la justice, que tempéraient ses dispositions à la clémence, la connaissance des principes généraux d’évidence et d’équité, et la faculté de démêler avec patience les questions les plus sèches et les plus embarrassantes. Le succès de ses desseins politiques et de ses opérations militaires dépendait des circonstances et du génie de ceux auxquels il avait à faire. L’homme instruit qui manque d’expérience est souvent embarrassé dans l’application de la meilleure théorie ; mais il acquit cette science indispensable par la vigueur active de son propre génie et par la sage expérience de Salluste, officier d’un rang distingué, qui bientôt s’attacha tendrement un prince si digne de son amitié et qui à la plus incorruptible intégrité joignait le talent de faire entendre les vérités les plus sévères sans jamais blesser la délicatesse de l’oreille d’un souverain[70].

Dès que Julien eut revêtu la pourpre à Milan, on l’envoya dans la Gaule avec une faible suite de trois cent soixante soldats. Durant l’hiver qu’il passa à Vienne dans une situation pénible et inquiétante, au milieu des ministres que Constance avait chargés de diriger la conduite de son cousin il apprit le siège et la délivrance d’Autin cette ville ancienne et vaste, avec des murs en ruine et une garnison sans courage, fut sauvée par l’intrépidité de quelques vétérans qui reprirent les armes pour défendre leurs foyers. En partant d’Autun pour traverser les provinces gauloises, Julien saisit la première occasion de signaler son courage. A la tête d’un petit corps d’archers et de cavalerie pesante, il choisit de deux routes la plus courte, mais la plus dangereuse et, tantôt en évitant, tantôt en poussant les Barbares qui étaient maîtres de la campagne, il atteignit, après une marche honorable autant qu’heureuse, le camp près de Reims où les troupes avaient ordre de s’assembler. La présence du jeune prince ranima le courage expirant des soldats et ils marchèrent de Reims à la poursuite de l’ennemi avec une confiance qui pensa leur être fatale. Les Allemands, qui connaissaient parfaitement le pays, rassemblèrent leurs forces dispersées, et, profitant d’une nuit obscure et pluvieuse, attaquèrent avec impétuosité l’arrière-garde des Romains. Avant d’avoir pu réparer le désordre inévitable dans cette surprise, Julien perdit deux légions qui furent taillées en pièces, et il apprit, par sa propre expérience, que la vigilance et la circonspection sont les deux plus importants préceptes de l’art de la guerre. Une seconde action plus heureuse rétablit et assura sa réputation militaire ; mais comme l’agilité des Barbares les mettait à l’abri de la poursuite, sa victoire ne fût ni sanglante ni décisive. Il s’avança cependant jusqu’aux bords du Rhin, contempla les ruines de Cologne, se convainquit des difficultés de cette guerre ; et, à l’approche de l’hiver, se retira mécontent de la cour, de son armée et de ses propres succès[71]. La puissance de l’ennemi était encore entière. A peine Julien avait-il séparé ses troupes et pris ses quartiers à Sens, dans le centre de la Gaule, qu’il fut environné et assiégé par une nombreuse armée de Germains. Réduit dans cette extrémité, aux ressources de son propre génie, il suppléa, par sa prudente intrépidité, à la faiblesse de la ville et de la garnison ; et, après trente jours de siége, les Barbares se retirèrent irrités de leur peu de succès.

Fier et satisfait de ne devoir sa délivrance qu’à son épée, Julien ne pouvait cependant sans amertume se voir abandonné, et trahi de ceux qui obligés par les lois de l’honneur et de la fidélité à le défendre, méditaient peut-être secrètement sa destruction. Marcellus, maître général de la cavalerie dans les Gaules, interprétait à la rigueur les ordres d’une cour ombrageuse. Indifférent à la dangereuse situation de Julien, il avait défendu aux troupes qu’il commandait de donner aucun secours à la ville de Sens. Si le César eût souffert en silence une insulte si dangereuse, sa personne et son autorité, seraient devenues l’objet du mépris général ; et si cette action criminelle n’eût pas été punie, l’empereur aurait confirmé des soupçons qu’avait trop autorisés sa conduite passée envers les princes de la maison Flavienne. On rappela Marcellus, sans user contre lui d’aucune autre mesure de sévérité[72], et le commandement de la cavalerie fut donné à Sévère, qui à la fidélité joignait la valeur et l’expérience. Capable également de conseiller avec respect et d’exécuter avec zèle, et sans répugnance à l’autorité suprême que, par les soins de sa protectrice Eusebia, Julien parvint enfin à obtenir sur les armées de la Gaule[73]. On adopta pour la campagne suivante un plan sage d’opérations. Julien lui-même, à la tête du reste des vétérans et de quelques nouvelles levées que la cour avait permises, pénétra hardiment dans les cantonnements des Germains ; il rétablit avec soin les fortifications de Saverne dont la position avantageuse pouvait également arrêter les incursions et intercepter la retraite de l’ennemi. D’un autre côté, Barbatio, général d’infanterie, s’avançait de Milan avec une armée de trente mille hommes, et, après avoir passé les montagnes, se préparait à jeter un pont sur le Rhin aux environs de Bâle. On devait s’attendre que les Allemands, serrés des deux côtes par les armées romaines, seraient bientôt forcés d’évacuer les provinces de la Gaule, et s’empresseraient de marcher au secours de leur pays natal ; mais l’espoir de la campagne fut perdu par l’incapacité, la jalousie, ou par  l’effet des instructions sécrètes qu’avait reçues Barbatio, qui se comporta comme s’il eût été l’ennemi du César et l’allié secret des Barbares. On peut attribuer à son manque d’intelligence militaire la facilité avec laquelle il laissa passer et repasser, une troupe de bandits presque devant les portes de son camp ; mais la perfidie lui fit brûler un grand nombre de bateaux et toutes ses provisions superflues, dont l’armée des Gaules avait le plus grand besoin, prouva évidemment ses criminelles intentions. Les Germains méprisèrent un ennemi qui semblait ne pas pouvoir ou ne pas vouloir les attaquer, et la retraite ignominieuse de Barbatio priva Julien d’un secours sur lequel il avait compté. Il se vit abandonné à lui-même dans une position où il ne pouvait rester sans danger, et dont il était difficile de sortir sans honte[74].

Les Allemands, délivrés de la crainte d’une invasion, se préparèrent à châtier le jeune Romain qui prétendait leur disputer la possession d’un pays auquel ils avaient droit par des traités précédés de la conquête. Ils employèrent trois jours et trois nuits à transporter leur armée sur le Rhin. Le féroce Chnodomar, agitant la pesante javeline dont il s’était victorieusement servi contre le frère de Magnence, conduisait l’avant-garde des Barbares, et modérait, par son expérience, l’ardeur martiale qu’il inspirait par son intrépidité[75]. Il était suivi de six autres rois, de dix princes d’extraction royale, d’une nombreuse troupe de vaillante noblesse, et de trente-cinq mille des plus braves soldats de la Germanie. La confiance qu’ils avaient en leurs propres forces, fut augmentée par la trahison d’un déserteur qui déclara que le César occupait, avec une faible armée de treize mille hommes, un poste environ à vingt et un milles de leur camp de Strasbourg. Avec ces forces inférieures, Julien résolut de chercher et d’attaquer les Barbares. Le hasard d’une action générale lui parut préférable à l’incertitude fatigante d’une multitude de combats séparés avec les différents corps de l’armée allemande. Les Romains marchèrent serrés sur deux colonnes, la cavalerie à droite, et l’infanterie à gauche. Le jour était si avancé quand ils aperçurent les ennemis, que Julien proposa de différer la bataille jusqu’au lendemain pour donner le temps aux soldats de réparer, par la nourriture et le repos, leurs forces épuisées. Cédant néanmoins avec répugnance à leurs clameurs, et même à l’avis de son conseil, il exhorta ses troupes à justifier par leur valeur l’indocilité de leur impatience, qui, si elles étaient vaincues, passerait pour de l’imprudence et de la présomption. Les trompettes sonnèrent ; le cri de guerre fit retentir la plaine, et les deux armées s’élancèrent l’une contre l’autre avec une égale impétuosité. Le César, qui conduisait lui-même l’aile droite, avait mis sa confiance dans l’adresse de ses archers et dans la force massive de ses cuirassiers ; mais ses rangs furent rompus par un mélange confus de cavalerie et d’infanterie légère, et il eut la douleur de voir fuir six cents de ses meilleurs cuirassiers[76]. Julien, oubliant le soin de sa propre vie, se jeta au devant d’eux, et, en leur rappelant leur ancienne gloire, en leur peignant l’infamie dont ils allaient se couvrir, il parvint à les rallier et à les ramener contre les ennemis victorieux. Le combat entre les deux lignes d’infanterie était sanglant et obstiné. Les Germains avaient la supériorité de la force et de  la taille ; les Romains celui de la discipline et du sang-froid : mais comme les Barbares qui combattaient sous les drapeaux de l’empire réunissaient tous ces avantages, leurs redoutables efforts, dirigés par un chef habile, décidèrent le succès à la journée. Les Romains perdirent quatre tribuns et deux cent quarante-trois soldats dans la mémorable bataille de Strasbourg, si glorieuse pour le jeune César[77], et si heureuse pour les provinces opprimées de la Gaule. Six mille Allemands perdirent la vie, sans compter ceux qui furent noyés dans le Rhin, ou percés de dards tandis qu’ils tachaient de le passer à la nage[78]. Chnodomar lui-même fut entouré et pris avec trois de ses braves compagnons d’armes qui avaient fait vœu de partager le sort de leur chef, et de ne pas lui survivre. Julien le reçut avec une pompe militaire au milieu du conseil composé de ses officiers, et, lui montrant une pitié généreuse, il dissimula le mépris intérieur que lui donnait la basse soumission de son captif. Au lieu de donner le roi vaincu des Allemands en spectacle aux villes de la Gaule, le jeune César fit un respectueux hommage à l’empereur de ce trophée de sa victoire. Chnodomar reçut un traitement honorable ; mais l’impatient Barbare ne put survivre longtemps à sa défaite, à sa captivité et à son exil[79].

Lorsque Julien eut repoussé les Allemands des provinces du Haut-Rhin, il tourna ses armes contre les Francs, situés plus près de l’Océan sur les confins de la Gaule et de la Germanie que leur nombre et plus encore leur valeur intrépide faisaient considérer, comme les plus formidables des Barbares[80]. Quoiqu’ils se laissassent aller volontiers à l’attrait du pillage, ils aimaient la guerre pour la guerre ; ils la regardaient comme l’honneur et la félicité suprême du genre humain. Leurs âmes et leurs corps étaient si parfaitement endurcis par une activité continuelle, que, selon la vive expression d’un orateur ; les neiges de l’hiver avaient autant de charmes pour eux que les fleurs du printemps. Dans le mois de décembre qui suivit la bataille de Strasbourg, Julien attaqua six cents guerriers de cette nation, qui s’étaient jetés dans deux châteaux sur la Meuse[81]. Au milieu de cette dure saison, ils soutinrent avec une constance indomptable un siége de cinquante-quatre jours. Epuisés par la faim, et convaincus que la vigilance avec laquelle l’ennemi rompait les glaces de la rivière ne leur laissait aucun espoir de s’échapper, les Francs consentirent, pour la première fois, à déroger à l’ancienne loi qui leur ordonnait de vaincre ou de mourir. Julien envoya immédiatement ses captifs à la cour de Constance ; l’empereur les accepta comme un présent précieux[82], et se réjouit de pouvoir ajouter cette troupe de héros à l’élite des gardes de son palais. La résistance opiniâtre de cette poignée de Francs fit prévoir à Julien les difficultés de l’expédition qu’il se proposait d’entreprendre, au commencement du printemps, contre le corps ennemi de la nation. Sa rapide diligence surprit et déconcerta l’activité des Barbares ; ordonnant à ses soldats de s’approvisionner de biscuit pour vingt jours, il vint soudainement placer son camp auprès de Tongres, tandis que les ennemis le croyaient encore à Paris, dans ses quartiers d’hiver, et dans l’attente des convois qui arrivaient lentement de l’Aquitaine. Sans donner aux Francs le temps de se réunir ni de délibérer, il étendit sagement ses légions depuis Cologne jusqu’à l’Océan ; et, par la terreur autant que par le succès de ses armes, il réduisit bientôt les tribus suppliantes à implorer la clémence et à subir la loi de leur vainqueur. Les Chamaviens se retirèrent docilement dans leurs anciennes habitations au-delà du Rhin ; mais on permit aux Salens de conserver leur nouvel établissement dans la Toxandrie, comme sujets et auxiliaires de l’empire romain[83]. Le traité fut ratifié par des serments solennels, et on nomma des inspecteurs pour résider parmi les Francs, et faire exécuter strictement les conditions. On rapporte une anecdote intéressante par elle-même, et qui ne dément pas le caractère que l’on donne à Julien. Il arrangea et conduisit ingénieusement jusqu’à la fin cette espèce de tragédie. Quand les Chamaviens demandèrent la paix, il exigea qu’on lui remît le fils de leur roi, comme le seul otage qu’il pût lui inspirer quelque confiance. Un silence lugubre, interrompu par des larmes et de longs gémissements, peignit d’une manière expressive la douleur et la perplexité des Barbares. Leur chef, vénérable par ses cheveux blancs, déclara que son fils n’existait plus, et déplora d’une manière pathétique sa perte personnelle qui devenait une calamité publique. Tandis que les Chamaviens demeuraient prosternés au pied du trône, le jeune prince captif, qu’ils croyaient avoir été tué, parut inopinément devant eux. Dès que les transports bruyants de la joie furent assez apaisés pour qu’il put se faire entendre, Julien leur tint le discours suivant : Contemplez le prince qui faisait couler vos larmes : c’est par votre faute que vous l’aviez perdu ; Dieu et les Romains vous le rendent. Je le garderai, j’élèverai sa jeunesse ; plutôt comme un monument de ma propre vertu, que comme un gage de votre sincérité. Si vous violez la foi que vous m’avez jurée, les armes de la république vengeront vôtre perfidie sur les coupables, et non pas sur l’innocent. Les Barbares se retirèrent pénétrés de reconnaissance et d’admiration[84].

Ce n’était pas assez pour Julien d’avoir chassé des Gaules les Barbares de la Germanie, il aspirait à égaler la gloire du premier et du plus illustre des empereurs. À son exemple, il composa ses commentaires de la guerre des Gaules[85]. César a raconté avec un sentiment d’orgueil la manière dont il passa deux fois le Rhin. Julien pouvait se vanter qu’avant de prendre le titre d’Auguste, il avait conduit les aigles romaines au-delà de ce fleuve, dans trois expéditions également couronnées du succès[86]. La consternation des Germains après la bataille de Strasbourg, encouragea sa première tentative ; et la répugnance des troupes céda bientôt à l’éloquence persuasive d’un commandant qui partageait les fatigues et les dangers qu’il imposait au moindre de ses soldats. Les villages des deux côtés du Mein, abondamment approvisionnés de grains et de troupeaux, essuyèrent tous les maux qui accompagnent l’invasion d’une armée. Les principales maisons construites, du moins en partie, à l’imitation de celles des Romains, furent la proie des flammes, et le César avança hardiment l’espace de dix milles ; il fut alors arrêté par une forêt sombre et impénétrable, minée de passages souterrains qui menaçaient à chaque pas l’assaillant d’embûches secrètes. La terre était déjà couverte de neige ; Julien, après avoir réparé un ancien château bâti par Trajan accorda aux Barbares consternés une trêve de six mois. À l’expiration de la trêve, Julien entreprit une seconde expédition au delà du Rhin, pour humilier l’orgueil de Surmar et d’Hortaire, deux rois des Allemands, qui avaient combattu à la bataille de Strasbourg. Ils s’engagèrent  à rendre tous les prisonniers romains encore existants, et Julien, s’était procuré dans les villes et dans les villages de la Gaule une liste exacte des habitants qu’ils avaient perdus, découvrit toutes les tentatives qu’on faisait pour le tromper avec une promptitude et une facilité qui lui donnèrent presque la réputation d’une intelligence surnaturelle. Sa troisième expédition fut encore plus brillante et plus importante que les deux précédentes. Les Germains avaient rassemblé toutes leurs forces, et longeaient le bord opposé de la rivière dans le dessein de détruire le pont, et de s’opposer au passage des Romains ; mais ce sage plan de défense fût déconcerté par une savante diversion. Trois cents soldats armés à la légère, partagés dans quarante petits bateaux, descendirent la rivière en silence et eurent ordre de débarquer à une petite distance des postes de l’ennemi. Ils exécutèrent cet ordre avec tant d’audace et de célérité, que les chefs des Barbares, plongés dans la sécurité de l’ivresse, furent sur le point d’être surpris au retour d’une fête nocturne. Sans reproduire les tableaux uniformes et rebutants du carnage et de la dévastation, il suffira de dire que Julien dicta comme il lui plut les conditions de la paix à six des plus puissants rois des Allemands. On permit à trois d’entre eux d’examiner la sévère discipline et la pompe martiale d’un camp romain. Suivi de vingt mille captifs délivrés de leurs chaînes, le César repassa le Rhin, après avoir terminé une guerre dont le succès a été comparé aux célèbres victoires remportées sur les Cimbres et sur les Carthaginois.

Dès que Julien, par sa valeur et par son intelligence, se fut assuré d’un intervalle de paix, il assura son loisir d’un ouvrage plus intéressant pour l’humanité et pour son caractère philosophe. Les villes de  la Gaule dévastées par les Barbares furent promptement réparées. On nomme particulièrement sept postes importants entre Metz et l’embouchure du Rhin, qui furent, dit-on, reconstruits et fortifiés par les ordres de Julien[87]. Les Germains vaincus s’étaient soumis à la juste mais humiliante condition de préparer et de transporter les matériaux. Le zèle actif de Julien pressa l’ouvrage ; et tel était l’esprit qu’il avait répand parmi ses troupes, que les auxiliaires, renonçant à l’exemption des travaux, disputaient d’activité avec les soldats romains pour l’exécution des services les plus pénibles. Les soins du jeune César ne se bornèrent point à la sûreté des peuples et des garnisons ; il fallut encore pourvoir leur subsistance. La désertion des uns et la révolte des autres auraient été la suite funeste et inévitable d’une famine. La culture des provinces gauloises avait été interrompue par les calamités de la guerre ; mais les soins paternels de Julien firent suppléer l’abondance de l’île voisine à la disette du continent. Six cents barques, construites dans la forêt des Ardennes, revinrent plusieurs fois des côtes de la Grande-Bretagne chargées de grains, et  remontant le Rhin, distribuèrent leur cargaison dans les villes et les forteresses situées sur ses rives[88]. Les victoires de Julien rendaient à la navigation la sûreté que Constance avait offert d’acheter par le tribut annuel et honteux de deux mille livres d’argent.  L’avarice de l’empereur refusait à ses soldats les sommes que sa main tremblante répandait avec profusion sur les Barbares ; et Julien eut besoin de toute son adresse et de toute sa fermeté quand il ouvrit la campagne avec une armée qui, pendant les deux dernières années, n’avait reçu ni paye ni gratification[89].

C’était à assurée le bonheur et la paix de ses sujets que tendait ou semblait tendre l’administration de Julien[90]. Il s’occupait, pendant ses quartiers d’hiver, du gouvernement civil et affectait de préférer aux fonctions d’un général celles d’un magistrat. Avant d’entrer en campagne, il remettait aux gouverneurs des provinces les causes publiques et particulières, qui avaient été portées à son tribunal ; mais, à son retour, il examinait soigneusement toutes leurs procédures, adoucissait la rigueur de la loi, et prononçait son jugement sur la conduite même des juges. Supérieur à la dernière faiblesse qui reste quelque fois aux hommes vertueux, ce zèle ardent pour la justice, trop souvent poussé jusqu’à l’indiscrétion, il réprima, par une réponse pleine de sagesse et de dignité, la chaleur d’un avocat qui accusait de concussion le président de la Gaule narbonnaise : S’il ne faut que nier, s’écria Delphidius avec véhémence, qui jamais sera trouvé coupable ?Et s’il suffit d’affirmer, répondit Julien, qui jamais sera déclaré innocent ? Dans l’administration générale de la paix et de la guerre, l’intérêt du souverain, et celui de ses peuples, est ordinairement le même ; mais Constance se serait cru violemment offensé, si les vertus de Julien l’avaient privé de la moindre partie du tribut qu’il arrachait à une province épuisée. Le prince qui portait les ornements de la royauté pouvait quelquefois prétendre à corriger l’insolente avidité des agents inférieurs, à éclairer leurs artifices, à introduire un mode de perception plus égal et plus facile ; mais, d’après les sentiments de Constance, l’administration des finances reposait bien plus sûrement entre les mains de Florentius, préfet du prétoire des Gaules, tyran efféminé, également incapable de remords et de compassion. Ce ministre orgueilleux se plaignait hautement de la réclamation la plus modeste, tandis que Julien se reprochait à lui-même la faiblesse de son opposition. Le César avait rejeté, avec horreur l’édit d’une taxe extraordinaire pour laquelle le préfet lui avait demandé sa signature ; et le tableau frappant de la misère publique, qu’il avait été forcé de faire pour justifier son refus, offensa la cour de Constance. On lira sans doute avec plaisir les sentiments de Julien, exprimés avec chaleur et liberté dans sa lettre adressée à un de ses intimes amis. Après lui avoir exposé sa conduite, il continue en ces termes : Était-il possible à un disciple d’Aristote et de Platon de se conduire autrement que je n’ai fait ? Pouvais-je abandonner les malheureux sujets confiés à mes soins ? N’étais-je pas obligé de les protéger contre les insultes répétées de ces voleurs impitoyables ? Un tribun qui déserte son poste est puni de mort et privé des honneurs de la sépulture : comment oserais-je prononcer sa sentence, si, au moment du danger, je négligeais un devoir plus sacré et plus important ? Dieu m’a placé dans ce poste élevé ; sa providence sera mon guide et mon soutien. Si je suis condamné à souffrir ; j’aurai pour me soutenir le sentiment d’une conscience pure et irréprochable. Plut au ciel que j’eusse encore un conseiller comme Salluste ! Si on juge à propos de m’envoyer un successeur, je me soumettrai sans regret ; et j’aime mieux profiter du peu d’instants où je pourrai faire le bien, que de faire longtemps le mal avec l’impunité[91]. L’autorité précaire et dépendante de Julien faisait briller ses vertus et cachait ses défauts. Le jeune héros, qui soutenait dans la Gaule le trône de Constance, n’était pas autorisé à réformer les vices du gouvernement ; mais il avait le courage de soulager ou de plaindre le malheur des peuples. La paix, ou même la conquête de la Germanie, ne pouvait pas lui donner un espoir raisonnable d’assurer la tranquillité publique, à moins qu’il ne parvint à ranimer l’esprit martial des  Romains, ou à policer les nations sauvages, et à introduire chez elles les arts et l’industrie. Cependant les victoires de Julien suspendirent un peu les invasions des Barbares, et retardèrent la chute de l’empire d’Occident.

Son influence salutaire se fit sentir aux villes de la Gaule accablée depuis si longtemps sous le poids des dissensions civiles, de la guerre des Barbares et de la tyrannie intérieure. On vit renaître l’esprit d’industrie avec l’espoir de la jouissance. L’agriculture, les manufactures et le commerce, commencèrent à refleurir sous  la protection des lois, et les curiæ ou corporations civiles se  remplirent de nouveau de membres utiles et respectables. La jeunesse cessa de rejeter le mariage, et les personnes mariées de craindre l’augmentation de leur famille. Les fêtes publiques et particulières se célébraient avec la pompe ordinaire, et la communication libre et fréquente rétablie entre les provinces présentait l’image du bonheur national[92]. Une âme comme celle de Julien devait jouir délicieusement de la prospérité dont il était l’auteur ; mais il jetait surtout les yeux avec complaisance et satisfaction sur la ville de Paris[93], le siége de sa résidence en hiver, et l’objet de son affection particulière. Cette superbe capitale, qui comprend aujourd’hui un terrain immense sur les deux rives de la Seine, n’occupait alors qu’une petite île au milieu de la rivière qui fournissait une eau pure et salutaire à ses habitants. La Seine battait le pied des murs, et on ne pouvait entrer dans la ville que par deux ponts de bois. Une épaisse forêt couvrait le nord de la rivière ; mais le sud, qui porte aujourd’hui le nom d’université, fut insensiblement bâti et orné d’un palais, d’un amphithéâtre, d’un aqueduc, de bains et d’un champ de Mars, pour exercer les troupes. La rigueur du climat était tempérée par le voisinage de l’Océan ; et, avec quelques précautions que l’expérience avait enseignées, la vigne et les figuiers se cultivaient avec succès. Mais dans les hivers très rigoureux, la Seine se glaçait profondément, et les énormes morceaux de glace qui flottaient sur ses eaux auraient pu être comparées, par un Asiatique, aux blocs de marbre blanc que l’on tirait des carrières de la Phrygie. La licence et la corruption d’Antioche rappelèrent depuis au souvenir de Julien les mœurs simples et austères de sa chère Lutèce[94], où les plaisirs du théâtre étaient inconnus ou méprisés. Il comparait avec indignation les Syriens efféminés à l’honnête et brave rusticité des Gaulois, auxquels il ne connaissait d’autre vice que l’intempérance, qu’il était tenté de leur pardonner[95]. Si Julien revenait aujourd’hui dans la capitale de la France, il trouverait des hommes savants et des génies capables d’entendre et d’instruire un disciple des Grecs. Il excuserait sans doute les vives, et agréables folies d’une nation en qui les jouissances du luxe n’ont jamais énervé l’esprit martial ; et il serait force d’applaudir à la perfection de cet art inestimable qui adoucit, épure et embellit le commerce de la société.

 

 

 



[1] Ammien (l. XIV, c. 6) prétend que l’origine de la castration remonte au règne de Sémiramis, qui inventa cette pratique odieuse plus de dix-neuf cents ans avant la naissance de Jésus-Christ. L’usage des eunuques a été connu en Égypte et en Asie, dans l’antiquité la plus reculée. On en parle dans la loi de Moïse, Deutéronome, XXIII, 1. Voyez Goguet, Origine des Lois, etc., part. I, l. I, c. 3.

[2] Eunuchrim dixti vielle te ;

Quia solœ utuntur his reginœ.

TÉRENCE., Eunuch., acte II, scène 2.

Cette comédie est traduite de Ménandre, et l’original doit avoir paru peu après les conquêtes orientales d’Alexandre.

[3] Miles ...... spadonibus

Servire rugosis potest.

HORACE, Carmen, v.9 et DACIER, ad loc.

Par le mot spado les Romains exprimaient fortement leur horreur pour cette espèce mutilée. Le nom d’eunuque, adopté par les Grecs, prévalait insensiblement ; il choquait moins l’oreille, et présentait un sens plus obscur.

[4] Il suffira de citer Posidès, affranchi et eunuque de Claude, auquel l’empereur prostitua quelques-unes des récompenses les plus honorables de la valeur militaire. Voyez Suétone, in Claudio, c. 28. Posidès dépensa une grande partie de ses richesses en bâtiments.

Ut spado vincebat capitolia, nostra

Posides. JUVÉNAL, Sat. XIV.

[5] Castrati mates vetuit. Suétone, in Domitian, c. 7. Voyez Dion Cassius, l. LXVII, p. 1107 ; l. LXVIII, p. 1119.

[6] Il y a un passage dans l’Histoire Auguste (p. 137) dans lequel Lampride, en louant Alexandre-Sévère et Constantin d’avoir mis des bornes à la tyrannie des eunuques, déplore les malheurs dont ils ont été la cause sous d’autres règnes. Huc accedit quod eunuchos nec in consiliis, nec in ministeriis habuit, qui soli principes perdunt, dam cosmore gentium aut regum Persarum volunt vivere ; qui à populo etiam amicissimum semovent ; qui internuncii sunt, aliud quum respondetur referentes ; claudentes principem suum, et agentes ante omnia, ne quid sciat.

[7] Xénophon (Cyropœdia, l. VIII, p. 540) a détaillé les motifs spécieux qui engagèrent Cyrus à confier la garde de sa personne à des eunuques. Il avait remarqué que la même mutilation, pratiquée sur les animaux, les rendait plus dociles, sans diminuer leur force ou même leur courage et il s’imagina qu’une espèce bâtarde, séparée de tout le reste du genre humain, serait plus inviolablement attachée à son bienfaiteur. Mais une longue expérience a démenti le jugement de Cyrus. Il peut se trouver quelques exemples bien rares d’eunuques qui se sont distingués par leur talent, par leur valeur et par leur fidélité ; mais, en examinant l’histoire générale de la Perse, de l’Inde et de la Chine, on remarque que la puissance des eunuques annonçait toujours le déclin et la chute de chaque dynastie.

[8] Voyez Ammien Marcellin, l. XXI, c. 16, l. XXII, c. 4. Tout le cours de cette histoire impartiale sert à justifier les invectives de Mamertin, de Libanius et de Julien lui-même, qui ont déclamé contre les vices de la cour de Constance.

[9] Aurelius-Victor blâme la négligence que son souverain a mise dans le choix de ses gouverneurs de provinces et dés généraux de ses armées, et finit son histoire par une observation très hardie, qu’il est moins dangereux, sous un règne faible, d’attaquer la personne du monarque que celle de ses ministres.

Uti verum absolvant brevi, ut imperatore ipso clarius ita apparitorum plerisque mages atrox nihil.

[10] Apud quem (si vere dici debeat) multum Constantius potuit. Ammien, l. XVIII, c. 4.

[11] Saint Grégoire de Nazianze (orat. 3, p. 90) reproche à l’apostat son ingratitude pour Marc, évêque d’Aréthuse qui avait aidé à lui sauver la vie ; et nous apprenons, quoique d’une autorité moins respectable (Tillemont, Hist. des Emper., t. IV, p. 916) que Julien fut caché dans le sanctuaire d’une église.

[12] L’histoire la plus authentique de l’éducation et des aventures de Julien, est contenue dans une épître ou manifeste qu’il adressa lui-même au sénat et au peuple d’Athènes. Libanius (orat. parentalis) du côté des païens, et Socrate (l. III, c. 1) du côté des chrétiens, ont conservé différentes circonstances fort intéressantes.

[13] Relativement à la promotion de Gallus, voyez Idatius, Zozime et les deux Victor. Selon, Philosforgius (l. IV, c. 1), Théophile, évêque arien, fut témoin, et en quelque façon garant de cet engagement solennel. Il soutint ce caractère avec fermeté ; mais Tillemont (Hist. des Emper., t. IV p. 1120) croit qu’il n’est point du tout probable qu’un hérétique ait eu de si grandes vertus.

[14] Gallus et Julien n’étaient pas fils de la même mère. Leur père, Julius Constantius, avait eu Gallus de sa première femme, nommée Galla ; Julien était le fils de Basilina, qu’il avait épousée en secondes noces. Tillemont, Hist. des Emper., vie de Constantin, art. 3. (Note de l’Éditeur.)

[15] Julien eut d’abord la liberté de suivre ses études à Constantinople ; mais la réputation qu’il acquit excita bientôt l’inquiétude de Constance, et on conseilla au jeune prince de se retirer dans les contrées moins en vue de l’Ionie ou de la Bithynie.

[16] Voyez Julien, ad. S.P.Q.A., p. 271 ; saint Jérôme, in Chron. ; Aurelius-Victor ; Eutrope, X, 14. Je copierai les expressions littérales d’Eutrope, qui a écrit son abrégé environ quinze ans après la mort de Gallus, lorsqu’il n’existait plus aucun motif de louer ou de blâmer son caractère : Multis incivilibus gestis Gallus cæsar... Vir naturâ ferox, et ad tyrcannidem pronior, si suo jure imperare licuisset.

[17] Megœra quidem mortalis, inflammatrix sœvientis assidua, humani cruoris avida, etc. Ammien Marcellin, l. XIV, c. 1. La sincérité d’Ammien ne lui aurait pas permis de déguiser les faits ou les caractères ; mais son goût, pour les ornements ambitieux du style lui a fait souvent hasarder des expressions d’une véhémence outrée.

[18] Il se nommait Clematius d’Alexandrie, et tout son crime fut de ne pas vouloir satisfaire, les désirs de sa belle-mère, qui sollicita sa mort par un dépit amoureux. Ammien, l. XIV, c. 1.

[19] Voyez dans Ammien (liv. XIV, ch. 1, p. 7) un ample détail des cruautés de Gallus. Son frère Julien (p. 272) insinue qu’il s’était formé secrètement une conspiration contre lui ; et Zozime nomme (l. II, p. 135) les personnages qui avaient conspiré : un ministre d’un rang distingué, et deux agents obscurs qui voulaient faire fortune.

[20] Zonare, t. II, l. XIII, p. 17, 18. Les assassins avaient séduit un grand nombre de légionnaires ; mais leur dessein fut découvert et révélé par une vieille femme dans la cabane de laquelle ils s’étaient retirés.

[21] Dans le texte d’Ammien, nous lisons, asper quidem, sed ad lenitatem propensior ; ce qui constitue une phrase contradictoire et ridicule. A l’aide d’un vieux manuscrit, Valois a rectifié première de ces fautes, et nous apercevons un rayon de lumière par la substitution du mot vafer. Si nous hasardons de changer lenitatem en levitatem, cette mutation d’une seule lettre rend tout le passage clair et conséquent.

[22] Au lieu d’être obligé de puiser çà et là dans des fragments imparfaits, nous avons à présent le secours de l’histoire suivie d’Ammien ; et nous pouvons renvoyer aux septième et neuvième chapitres de son quatorzième livre. Cependant Philostargius, quoiqu’un peu partial en faveur de Gallus, ne doit pas être tout à fait rejeté.

[23] Elle avait près de son mari ; mais elle mourut en route de la fièvre, dans une petite ville de Bithynie, nommée Cœnum Gallicanum.

[24] Les légions thébaines, qui étaient en quartier à Andrinople, envoyèrent une députation à Gallus pour lui offrir leurs services. Ammien, XIV, c. 11. La Notitia (s. 6, 20, 38, édit. Labb.) fait mention de trois légions portant le nom de légions thébaines. Le zèle de M. de Voltaire pour la description d’une légende méprisable, quoique célèbre, l’a engagé à nier, sûr les plus faibles autorités, l’existence d’une légion thébaine dans les armées romaines. Voyez les Œuvres de Voltaire, t. V, p. 114, édit. in-4°.

[25] Voyez le récit complet du voyage et de la mort de Gallus dans Ammien (XIV, c. 1), Julien se plaint que son frère a été exécuté sans avoir été jugé. Il tâche de justifier, ou, du moins d’excuser les vengeances cruelles qu’il avait exercées contre ses ennemis ; mais il semble convenir qu’on aurait pu le priver de la pourpre avec justice.

[26] Philostorgius, t. IV, c. 1 ; Zonare, XIII, t. II,. p. 19. Mais le premier était partial en faveur d’un monarque arien, et l’autre transcrivait sans choix et sans discernement tout ce qu’il trouvait dans les écrits des anciens.

[27] Voyez Ammien Marcellin, XV, c. 1 ; 3, 8. Julien lui-même, dans son épître aux Athéniens, fait un tableau frappant de son propre danger et de ses sentiments. Il montre cependant un penchant exagérer ce qu’il a souffert, en insinuant, quoiqu’en termes obscurs, que ses malheurs durèrent plus d’une année ; ce qu’il est impossible de concilier avec la vérité de la chronologie.

[28] Julien à peint les crimes et les malheurs de la famille de Constantin dans une fable allégorique, bien imaginée, et rendue avec grâce. Elle se trouve à la fin de la septième harangue, d’où elle a été détachée et traduite par l’abbé de La Bletterie, Vie de Jovien, tome II, p. 385-408.

[29] Elle était née à Thessalonique en Macédoine, d’une famille noble, fille et sœur de consuls. Elle épousa l’empereur dans l’année 352, dans un temps de faction. Les historiens de tous les partis ont rendu justice à son mérite. Voyez les témoignages rassemblés par Tillemont, Hist. des Empereurs, t. IV, p. 750-754.

[30] Libanius et saint Grégoire de Nazianze ont épuisé l’art, et la force de leur éloquence, pour représenter Julien comme le premier des héros ou le plus odieux des tyrans. Saint Grégoire fut son condisciple à Athènes, et les symptômes de la future perversité de l’apostat qu’il décrit d’une manière si tragique, se réduisent à quelques imperfections corporelles et à quelques singularités dans ses manières et dans sa façon de parler. Il proteste cependant qu’il prévit dès ce temps là tous les malheurs de l’Eglise et de l’empire. Saint Grégaire de Nazianze, Orat. IV, p. 121, 122.

[31] Succcumbere tot necessitatibus tamque crebris unum se quod nunquam fecerat aperte demonstrains. (Ammien, XV, c. 8.) Il rapporte ensuite dans leurs propres termes les assurances flatteuses des courtisans.

[32] Tantum a temperatis moribus Juliani differens fratris, quantum inter Vespasiani filios fuit, Domitianum et Titum. (Ammien, XIV., c. 11) Les épreuves et l’éducation des deux frères eurent une si grande ressemblance, qu’elles fournissent un exemple frappant de la différence innée des caractères.

[33] Ammien, XV, c. 8 ; Zozime, III, p. 137, 138.

[34] Julien, ad S. P. Q. A., p 275, 276 ; Libanius, orat. X, p. 268. Julien ne céda point que les dieux ne lui eussent fait connaître leur volonté par des visions et des présages. Sa piété lui défendit alors de leur résister.

[35] Julien représente lui-même (p. 274), d’une manière assez plaisante, les circonstances de cette métamorphose, ses regards baisés, et son maintien embarrassé, lorsqu’il se trouva transporté dans un monde nouveau, où tout lui paraissait étrange et dangereux.

[36] Voyez Ammien Marcellin, XV, c. 8 ; Zozime, III, p. 139 ; Aurelius-Victor ; Victor le Jeune, in Epitom. ; Eutrope, X, 14.

[37] Militares omnes horrendo fragore scuta genibus illidentes, quod est prosperitatis indicium plenum ; nam contra cum hastis clypei feriuntur, irœ documentum est et doloris.... Ammien ajoute par une subtile distinction : Eumque, ut potiori reverentia servaretur, nec supra modum nec infra quam decebat.

[38] Ελλαβε πορφυεος θανατος xαι μοιρα xραταιη.

Le mot pourpre, dont Homère fait usage comme d’une épithète vague, mais qui servait communément à désigner la mort, fut appliquée très justement par Julien à la nature et au motif de ses craintes.

[39] Il peint de la manière la plus pathétique (p. 277) les peines cruelles de sa nouvelle situation. Cependant sa table était servie avec tant de luxe et de profusion que le jeune philosophe la rejeta avec dédain.  Quum legeret libellum assidue, quem Constantius ut privignum ad studia mittens manu sua conspriserat, prœlicenter disponens, quid in convivio Cœsaris impendi deberet, phasianum, et vulvam et sumen exigi vetuit et inferri. Ammien Marcellin, XVI, c. 5.

[40] Si nous nous rappelons que Constantin, père d’Hélène, était mort plus de dix-huit ans au auparavant dans un âge très avancé, il paraîtra probable que la fille, quoique vierge, n’était pas fort jeune au moment son mariage. Elle accoucha bientôt d’un fils, qui mourut immédiatement après être venu au monde.  Quod obstetrix, corrupta mercede, mox natum, prœsecto plus quam convenerat umbilico, necavit. Elle accompagna l’empereur et l’impératrice dans leur voyage à Rome, et la dernière.... quœsitum venenum bibere per fraudem illexit, ut quotiescunque concepisset, immaturum abjiceret partum. (Ammien, XVI, c. 10) Nos médecins décideront si un tel poison existe. Quant à moi, j’incline à croire que la méchanceté du public imputait des accidents naturels aux  crimes supposés de l’impératrice Eusebia.

[41] Ammien (XV, 5) était parfaitement informé de la conduite et du sort de Sylvanus. Il fut lui-même un de ceux qui suivirent Ursicinus dans sa dangereuse entreprise.

[42] Relativement aux particularités de la visite que Constance fit à Rome, voyez Ammien, XVI, c. 10. Nous ajouterons seulement que Themistius fut nommé député de Constantinople, et que ce fut à l’occasion de cette cérémonie qu’il composa sa quatrième harangue.

[43] Hormisdas, prince réfugié de la Perse, fit observer à l’empereur que s’il faisait construire un pareil cheval, il lui faudrait aussi une semblable écurie, faisait allusion au forum de Trajan. On rapporte un autre bon mot d’Hormisdas. La seule chose qui lui avait déplu, disait-il, c’était de voir que les hommes mouraient à Rome tout comme ailleurs. Si nous adoptons dans le texte d’Ammien displicuisse, au lieu de placuisse, nous pouvons regarder cette plaisanterie comme un reproche qu’il faisait aux Romains de leur vanité. Le sens contraire serait la pensée d’un misanthrope.

[44] Lorsque Germanicus visita les anciens monuments de Thèbes, le plus ancien des prêtres lui expliqua le sens des hiéroglyphes (Tacite, Ann., II, c. 60). Mais il paraît probable qu’avant l’invention de l’alphabet ces signes arbitraires ou naturels servaient de caractères aux Égyptiens. Voyez Warburton, Législation divine de Moïse, tome III, p. 69, 243.

[45] Voyez Pline, Hist. nat., XXXVI, c. 14,  15.

[46] Ammien Marcellin c. 4. Il donne une interprétation grecque des hiéroglyphes, et Lindenbrogius, son commentateur, ajoute une inscription latine, qui en vingt vers du siècle de Constance, contient une histoire abrégée de l’obélisque.

[47] Voyez Donat. Roma antiqua, III, c. 14 ; IV, c. 12 ; et la dissertation savante, quoique obscure, de Bargæus sur les obélisques, insérée dans le quatrième volume de Grœvius, Antiquités romaines, p. 1897-1936. Cette dissertation est dédiée au pape Sixte-Quint, qui éleva l’obélisque de Constance dans la place, en face de l’église de Saint-Jean-de-Latran.

[48] Les évènements de la guerre des Sarmates et des Quades sont racontés  par Ammien, XVI, 10 ; XVII, 12, 13 ; XIX, 11.

[49] Genti Sarmatarum magno decori considens apud cos regem dedit. (Aurelius-Victor.) Dans une pompeuse harangue prononcée par Constance lui-même, il célèbre ses propres exploits avec beaucoup d’orgueil et quelque vérité.

[50] Ammien, XVI, 9.

[51] Ammien (XVII, 5) transcrit cette lettre hautaine. Themistius (oratio IV, p. 57, édit. Petav.) fait mention de l’enveloppe de soie. Idatius et Zonare parlent du voyage de l’ambassadeur, et Pierre Patrice rend compte de sa conduite conciliante, in Excerpt. Legat., p. 28.

[52] Ammien, XVII, 5, et Valois, ad loc. Le sophiste ou philosophe (dans ce siècle, ces deux noms étaient synonymes), le sophiste était Eustache de Cappadoce, disciple de Jamblique et l’ami de saint  Basile. Eunape (in vit. Edesii, p. 44-47 ) attribue à l’ambassadeur philosophe la gloire d’avoir enchanté le roi barbare par les charmes persuasifs de l’éloquence et de la raison. Voyez Tillemont, Hist. des Empereurs, t. IV, p. 828-1132.

[53] Ammien, XVIII, 5, 6, 8. La conduite décente et respectueuse d’Antoninus vis-à-vis du général Romain, le présente dans un jour très favorable ; et Ammien lui-même ne peut s’empêcher de parler du traître avec estime et compassion.

[54] Cette anecdote, telle qu’elle est rapportée par Ammien, sert à prouver la véracité d’Hérodote (I, c. 133), et la constance des Perses à conserver leurs usages. Dans tous les siècles les Perses ont été adonnés à l’intempérance, et les vins de Chiraz ont triomphé de la loi de Mahomet. Brisson, de Regno Pers., II, p. 462-472 ; et Chardin, Voyage en Perse, t. III, p. 90.

[55] Ammien, XVIII, 6, 7, 8, 10.

[56] Pour, la description d’Amida, voyez d’Herbelot, Bibliothèque orient., p. 108 ; Histoire de Timur-Bec, par Cheref-eddin-Ali, III, c. 41 ; Ahmed-Arabsiades, t. I, p. 331, c. 43 ; Voyages de Tavernier, t. I, p. 301 ; Voyages d’Otter, t. II, p. 273 ; et les Voyages de Niebuhr, t. II, p. 324-328. Le dernier de ces voyageurs, Danois savant et exact, a donné un plan d’Amida qui éclaircit les opérations du siége.

[57] Diarbekir, que les Turcs, dans leurs actes publics, nomment Kara-Amid, contient plus de seize mille maisons ; elle est la résidence d’un pacha à trois queues. L’épithète de Kara vient de la couleur noire de la pierre dont sont construits les solides et anciens murs d’Amida.

[58] Les opérations du siège d’Amida sont décrites dans le plus grand détail, par Ammien (XIX, 1-9), qui combattit honorablement pour sa défense, et s’échappa, avec peiné quand la ville fut emportée par les Persans.

[59] De ces quatre nations, les Albaniens sont trop bien connus pour exiger plus de détails ; les Ségestins habitaient un pays plat et vaste, qui porte encore leur nom, au sud du Khorasan, et à l’occident de l’Indostan. (Voyez Geographia nubiensis, p. 133 ; d’Herbelot, Bibliothèque orientale, p. 797.) Nonobstant la victoire si vantée de Bahram (tome I, p. 410), les Ségestins, plus de quatre-vingts ans après, paraissent encore être une nation libre et alliée de la Perse. Nous ignorons où habitaient les Vertœ et les Chionites, mais j’inclinerais à croire que ces deux nations, ou au moins la dernière, occupaient les confins de l’Inde et de la Scythie. Voyez Ammien, XVI, 9.

[60] Ammien a marqué la chronologie de cette année par trois signes, qui ne se rapportent pas très bien entre eux, ni avec le cours de l’histoire. 1° Le blé était mûr lorsque Sapor entra dans la Mésopotamie : cum jam stipula flavente turgerent. Cette circonstance dans la latitude d’Alep, nous rejetterait au mois d’avril ou de mai. Voyez les Observations de Harmer sur l’Écrit., V, I, p. 41 ; les Voyages de Shaw, p. 305, édit in-4°. 2° Les progrès de Sapor furent arrêtés par le débordement de l’Euphrate, qui arrive ordinairement dans les mois de juillet ou d’août. Pline, Hist. nat., V, 21 ; Viaggi di Pietro della Valle, tome I, p. 696. 3° Quand Sapor se fut rendu maître d’Amida, après un siége de soixante-treize jours, l’automne était fort avancé. Autumno prœcipiti hœdorumque improbo sidere exorto. Pour concilier ces contradictions frappantes, il faut supposer quelque délai du roi de Perse, quelques inexactitudes de l’historien, ou quelque désordre extraordinaire dans les saisons.

[61] Ammien (XX, 6, 7) fait le récit de ces siéges.

[62] Pour l’identité de Virtha et de Técrit, voyez d’Anville, Géographie ancienne, t. II, p. 201. Pour le siége de ce château par Timur-Bec ou Tamerlan ; voyez Cherefeddin, III, c. 33. Le biographe persan exagère le mérite et la difficulté de cette expédition, qui délivra les caravanes de Bagdad d’une troupe formidable de voleurs.

[63] Ammien (XVIII, 5, 6 ; XIX, 3, XX, 2) parle du mérite et de la disgrâce d’Ursicinus avec les détails et les sentiments de fidélité qui conviennent à un soldat relativement à son général. On peut le soupçonner d’un peu de partialité ; mais au total son récit paraît probable et conséquent.

[64] Ammien, XX, 11 : Omisso vano incepto, hiematurus Antiochiœ redit in Syriam œrumnosam, perpessus et ulcerum sed et atrocia, diuque deflenda. C’est ainsi que Jacques Gronovius a rétabli un passage obscur ; et il pense que cette seule correction aurait mérité une nouvelle édition de son auteur, dont on peut à présent deviner le sens. J’espérais trouver quelques nouveaux éclaircissements dans les recherches récentes du savant Ernesti. (Leipzig, 1773).

[65] On peut trouver dans les ouvrages de Julien lui-même (orat. ad S. P. Q. Athen., p. 277) le tableau des ravages des Germains et de la détresse des Gaules. Dans Ammien, XV, 11 ; Libanius, orat. 10 ; Zozime, III, p. 140 ; Sozomène, III, c. 1.

[66] Ammien (XVI, 8). Ce nom semble dérivé des Toxandri de Pline, et on le trouve fréquemment répété dans les histoires du moyen âge. La Toxandrie était un pays de bois et de marais, qui s’étendait depuis les environs de Tongres jusqu’au confluent du Vahal et du Rhin. Voyez Valois, Notit. Galliar., p. 558.

[67] Le paradoxe du père Daniel, qui prétendait que les Francs n’avaient jamais obtenu d’établissement fixe sur ce côté-ci du Rhin avant le règne de Clovis, est réfuté très savamment, et avec beaucoup de bon sens, par M. Biet, qui a démontré, par une longue suite d’autorités, que les Francs ont possédé sans interruption la Toxandrie pendant cent trente ans avant l’avènement de Clovis. La dissertation de M. Biet a été couronnée par l’académie de Soissons, en 1736, et semble avoir été préférée avec justice au discours de son célèbre concurrent, l’abbé Le Bœuf, antiquaire dont le nom exprime assez heureusement le genre de talent.

[68] La vie privée de Julien dans la Gaule et la discipline  sévère à laquelle il s’assujettit, sont rapportées par Julien lui-même et par Ammien (XVI, 5), qui professe une grande estime pour cette conduite, que Julien affecte de tourner en ridicule (Misopogon, p. 240), et qui effectivement, dans un prince de la maison de Constantin, avait droit de surprendre le monde.

[69] Aderat latine quoque disserenti sufficiens sermo. Ammien, XVI, 5. Mais Julien, élevé dans les écoles de la Grèce, ne regarda jamais le langage des Romains que comme un idiome vulgaire et étranger, dont seulement il pourrait être obligé de se servir en certaines occasions.

[70] Nous ignorons la place qu’occupait alors cet excellent ministre, à qui Julien donna depuis la préfecture de la Gaule. L’esprit soupçonneux de l’empereur l’engagea tôt à rappeler Salluste ; et nous avons encore un discours fait avec sensibilité, quoique d’une manière pédantesque (p. 240-252), dans lequel Julien déplore la perte d’un ami si précieux, auquel il se reconnaît redevable de sa réputation. Voyez La Bletterie, Préface de la vie de Jovien, p. 20.

[71] Ammien (XVI, 2, 3) paraît plus content des succès de cette première campagne de Julien lui-même, qui avoue naïvement qu’il n’a rien exécuté d’important ; et qu’il a été forcé de fuir devant les ennemis.

[72] Ammien, XVI, 7. Libanius parle en des termes plutôt avantageux que défavorables des talents militaires de Marcellus (orat. 10, p. 272), et Julien fait entendre que l’empereur ne l’aurait pas rappelé si légèrement, s’il n’y avait pas eu à la cour d’autres griefs contre lui (p. 278).

[73] Severus, non discors, non arrogans, sed longa militiæ frugalitate compertus, et cum recta prœeuntem secuturus, ut ductorem morigerus miles. Ammien, XVI, 11 ; Zozime, III, p. 140.

[74] Relativement à la jonction projetée et non exécutée de Barbatio avec Julien, et à la retraite de ce général, voyez Ammien, XVI, 11 ; et Libanius, orat. 10, p. 273.

[75] Ammien (XVI, 12) décrit avec son éloquence ampoulée la figure et le caractère de Chnodomar. Audax et fidens ingenti robore lacertorum, ubi ardor prœlii sperabatur immanis, equo spumante, sublimior, erectus in jaculum formidandœ, vastitatis, armorumque nitore conspicuus : antea strenuus et miles et utilis prœter cœteros ductor....... Decentium Cœsarem superavit œquo marte congressus.

[76] Après la bataille, Julien essaya de rétablir l’ancienne discipline dans toute sa rigueur, en exposant les fuyards aux risées du camp, habillés en femmes. Ces troupes relevèrent noblement leur honneur dans la campagne suivante. Zozime, III, p. 142.

[77] Julien lui-même (ad S. P. Q. Athen., p. 279) parle de la bataille de Strasbourg avec cette modestie que donne le sentiment intérieur du mérite. Zozime la compare à la victoire d’Alexandre sur Darius, et cependant nous n’avons pu découvrir aucun de ces traits frappants du génie militaire d’un général, qui fixent l’attention de la postérité sur la conduite et le succès d’une bataille.

[78] Ammien, XVI, 12. Libanius augmente de deux mille le nombre des morts (orat. 10, p. 274) ; mais ces faibles différences sont peu de chose en comparaison de soixante mille Barbares que Zozime sacrifie à la gloire de son héros (III, p. 141). Nous pourrions accuser de cette extravagante la négligence des copistes, si cet historien crédule ou partial n’avait pas converti l’armée des Allemands, qui n’était que de trente-cinq mille combattants, en une multitude innombrable de Barbares, πληθος απειρον Βαρβαρων. Nous serions coupables, d’après cette découverte, de donner trop légèrement notre confiance à de semblables récits.

[79] Ammien, XVI, 12 ; Libanius, orat. 10, p. 276.

[80] Libanius (orat. 3, p. 157) donne un tableau très piquant des mœurs des Francs.

[81] Ammien, XVII, 2 ; Libanius, orat. 10, p. 278. L’orateur grec, interprétant mal un passage de Julien, représente les Francs comme une troupe de mille combattants ; et comme il avait la tête remplie de la guerre du Péloponnèse, il les compare aux Lacédémoniens qui furent assiégés et pris dans l’île de Sphactérie.

[82] Julien, ad S. P. Q. Athèn., p. 280 ; Libanius, orat. 10, p. 280. Selon l’expression de Libanius, l’empereur δωρα ωνομαζε, ce que La Bletterie (Vie de Julien, p. 118) regarde comme un aveu généreux ; et Valois (ad. Ammian., XVII, 2), comme un vil détour pour obscurcir la vérité. Dom Bouquet (Hist. de France, t. I, p. 733), en substituant un mot ενομισε,  évite la difficulté en détruisant le sens du passage.

[83] Ammien, XVII, 8 ; Zozime, III, p. 146-150. Son récit est obscurci par un mélange de fables ; et Julien, ad S : P. Q. Athen., p. 280, dit : υπεδεξαμην μεν μοιραν του Σαλιων θενους, Χαμαβους δε εξηλασα. Cette différence sert à confirmer l’opinion que les Francs Saliens obtinrent la permission de conserver leur établissement dans la Toxandrie.

[84] Eunape (in Excerpt. legat., p. 15, 16, 17) raconte cette histoire intéressante que Zozime a abrégée, et il l’orne de toute l’amplification d’un rhéteur grec ; mais le silence de Libanius, d’Ammien et de Julien, lui-même, rend ce récit fort douteux.

[85] Libanius, ami de Julien, donne clairement à entendre (orat. 4, p. 178) que son héros a écrit une histoire de ses campagnes dans la Gaule ; mais Zozime (III, page 140) paraît n’avoir puisé sa relation que dans les harangues (λογοι) et dans les Épîtres de Julien. Le discours adressé aux Athéniens contient un récit exact, quoique peu circonstancié, de la guerre contre les Germains.

[86] Voyez Ammien, XVII, 1, 10 ; XVIII, 2 ; et Zozime, III, p. 144 ; Julien, ad S. P. Q. Athen., p. 208.

[87] Ammien, XVIII, 2 ; Libanius, orat. 10, p. 279, 280. De ces sept postes, quatre sont aujourd’hui des villes assez considérables, Bingen, Andernach, Bonn et Nuyss. Les trois autres, Tricesimæ, Quadriburgium et Castra Herculus ou Héraclée, ne subsistent plus ; mais il y a lieu de croire que sur le terrain de Quadriburgium les Hollandais ont construit le fort de Schenk, dont le nom blessait si violemment l’excessive délicatesse de Boileau. Voyez d’Anville, Notice de l’ancienne Gaule, p. 183 ; Boileau, épit. IV, et les notes.

[88] Nous pouvons en croire Julien lui-même, orat. ad S. P. Q. Athen., p. 280. Il fait un récit très circonstancié de cette expédition. Zozime ajoute deux cents vaisseaux de plus, III, p. 145. En évaluant le port de chacun des six cents vaisseaux de Julien à soixante-dix tonnes, ils pouvaient exporter cent vingt mille quarters. Voyez les Poids et Mesures d’Arbuthnot, p. 237. Le pays qui pouvait supporter une pareille exportation devait avoir atteint déjà un degré de culture bien florissant.

[89] Les troupes se mutinèrent une fois, immédiatement avant le second passage du Rhin. Ammien, XVII, 9.

[90] Ammien, XVI, 5 ; XVIII, 1 ; Mamertin, in Panegyr. vet., XI, 4.

[91] Ammien, XVII, 3 ; Julien., epist. 15, éd. Spanheim. Une telle conduite justifie presque ce magnifique éloge de Mamertin : Ita illi anni spatia divisa sunt, ut aut Barbaros dominet, aut civibus jura restituat, perpetuum professus, aut contra hostem ; aut contra vitia, certatem.

[92] Libanius, orat. parental. in imper. Julian., c. 38. ; in Fabricii græc. Bibliothec., t. VIII, p. 263, 264.

[93] Voyez Julien, in Misopogon, p. 340, 341. L’ancienne situation de Paris est décrété par Henri Valois (ad Ammian., XX, 4), par son frère Adrien Valois, et par M. d’Anville, dans leurs Notices sur l’ancienne Gaule ; par l’abbé de Longuerue, Description de la France, t. I, p. 12, 13 ; et M. Bonamy, dans les Mémoires de l’Académie des Inscript., t. XV, p. 656, 691.

[94] Την φιλην Δευxετιαν. Julien, in Misopogon., page 340. Leucetia ou Lutetcia était l’ancien nom de la cité qui selon l’usage du quatrième siècle, prit ensuite le nom territorial de Parisiis.

[95] Julien, in Misopogon., p. 359, 360.