Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

Chapitre XIII

Règne de Dioclétien et de ses trois associés, Maximien, Galère et Constance. Rétablissement général de l’ordre et de la tranquillité. Guerre de Perse. Victoire et triomphe des empereurs romains. Nouvelle forme d’administration. Abdication de Dioclétien et de Maximien.

 

 

AUTANT le règne de Dioclétien fut plus illustre que celui de ses prédécesseurs, autant sa naissance était plus basse et plus obscure. Les droits puissants du mérite et de la violence avaient souvent renversé les prérogatives idéales de la noblesse ; mais il existait toujours une ligne de séparation entre les hommes libres et ceux qui vivaient dans la servitude. Les parents du prince qui succéda aux fils de Carus avaient été esclaves dans la maison d’Anulinus, sénateur romain. Le nom qui servait à distinguer Dioclétien lui venait d’une petite ville de Dalmatie d’où sa mère tirait son origine[1]. Il parait cependant que son père, après avoir obtenu la liberté, exerça le métier de scribe, emploi réservé communément aux personnes de son état[2]. Des oracles favorables, ou plutôt l’impulsion d’un mérite supérieur, éveillèrent l’ambition du fils, l’engagement à suivre la profession des armes, et lui annoncèrent une fortune brillante. Le hasard et son propre génie, contribuèrent à son élévation. Ce serait un spectacle très curieux que d’observer l’enchaînement des circonstances qui lui fournirent les moyens de remplir ses hautes destinées, et de développer aux yeux de l’univers les talents qu’il avait reçus de la nature. Dioclétien obtint successivement le gouvernement de la Mœsie, les honneurs du consulat, et le commandement important des gardes du palais. Il se distingua par son habileté dans la guerre de Perse. Enfin, après la mort de Numérien, au jugement et de l’aveu de ses rivaux, l’esclave fut déclaré le plus digne du trône impérial. La malignité du zèle religieux, qui n’a pas épargné la férocité sauvage de Maximien son collègue, s’est efforcée de jeter des soupçons sur le courage personnel de l’empereur Dioclétien[3]. Nous croirons difficilement à la lâcheté d’un soldat de fortune qui mérita et qui sut conserver l’estime des légions ; aussi bien que la faveur de tant de princes belliqueux. Cependant la calomnie ne mangue pas de sagacité pour découvrir et pour attaquer le côté le plus faible. Dioclétien eut toujours le courage que son pouvoir ou l’occasion exigeait ; mais on ne voit point en lui cet esprit entreprenant, cette intrépidité d’un héros qui, brûlant du désir de se faire un nom, brave les dangers, dédaigne l’artifice, et force ses égaux à reconnaître sa supériorité. Des qualités moins brillantes qu’utiles, une tête forte, éclairée par l’expérience et par une étude approfondie de l’humanité ; de la dextérité et de l’application dans les affaires ; un mélange judicieux d’économie et de libéralité, de sévérité et de douceur ; une dissimulation profonde, cachée sous le voile de la franchise militaire ; de la constance pour parvenir à son but, de la flexibilité pour varier ses moyens, et, par-dessus tout, le grand art de soumettre ses passions et celles des autres à l’intérêt de son ambition, de colorer cette ambition des prétextes les plus spécieux de justice et de bien public, tels sont les traits qui forment le caractère de Dioclétien. Comme Auguste, il jeta en quelque sorte les fondements d’un nouvel empire. Semblable au fils adoptif de César, il se distingua plutôt par les talents de l’homme d’État que par ceux du guerrier ; et jamais ces princes n’employèrent la force toutes les fois qu’ils purent réussir par a voie de la politique.

Dioclétien usa de sa victoire avec une douceur singulière. Depuis longtemps les Romains applaudissaient à la clémence du vainqueur lorsque les peines ordinaires de mort, d’exil et de confiscation, étaient infligées avec quelque degré de modération et de justice : ils furent  agréablement surpris de l’issue d’une guerre civile dont la rage ne s’étendit pas au delà du champ de bataille. L’empereur donna sa confiance au principal ministre de la maison de Carus, Aristobule. Il respecta la vie, la fortune, la dignité de ses adversaires ; et même les serviteurs de Carin[4] conservèrent, pour la plupart, leurs emplois. La prudence contribua vraisemblablement à l’humanité de l’artificieux Dalmate. Parmi tous ces officiers, les uns avaient acheté sa faveur par une trahison secrète ; il estimait dans les autres les sentiments de fidélité et de reconnaissance qu’ils avaient montrés pour un maître infortuné. Aurélien, Probus et Carus, princes habiles, avaient placé dans les différents départements de l’État et de l’armée des sujets d’un mérite reconnu, dont l’éloignement serait devenu nuisible au service public, sans servir à l’intérêt du prince. D’ailleurs, une pareille conduite donnait à l’univers romain les plus magnifiques espérances. L’empereur eut soin de fortifier ces impressions favorables, en déclarant que de toutes les vertus de ses prédécesseurs, il se proposait surtout d’imiter la philosophie pleine d’humanité de Marc-Aurèle[5].

La première action considérable de son règne, parut un garant de sa modération et de sa sincérité. Il prit pour collègue Maximien, et lui accorda d’abord le titre de César [1er avril 286], ensuite celui d’Auguste[6]. Marc-Aurèle avait déjà  donné un pareil exemple ; mais, en couronnant un jeune prince livré à ses passions, il avait sacrifié le bonheur de l’État pour acquitter une dette de reconnaissance particulière. Les motifs de Dioclétien et l’objet de son choix furent d’une nature entièrement différente. En associant aux travaux du gouvernement un ami, un compagnon d’armes, il s’assurait, en cas de danger, les moyens de pouvoir défendre à la fois l’Orient et l’Occident. Maximien, né paysan, et, de même qu’Aurélien, dans le territoire de Sirmium, n’avait reçu aucune éducation. Sans lettres[7], sans égard pour les lois, la rusticité de ses manières décela toujours, dans le rang le plus élevé, la bassesse de son extraction. Il ne connaissait d’autre science que celle de la guerre. Il s’était distingué pendant plusieurs années de service sur toutes les frontières de l’empire ; et, quoique ses talents militaires le rendissent plus propre à obéir qu’à commander, quoique peut-être il ne soit jamais parvenu à acquérir l’habileté d’un général consommé, sa valeur, sa fermeté et son expérience, le mirent en état d’exécuter les entreprises les plus difficiles. Ses vices même ne furent pas inutiles à son bienfaiteur, insensible à la pitié, prêt à se porter aux actions les plus violentes sans en redouter les suites, Maximien était toujours l’instrument des cruautés que son rusé collègue savait à la fois suggérer et désavouer. Dès qu’un sacrifice sanglant avait été offert à la nécessité ou à la vengeance, Dioclétien, par une prudente intercession, sauvait le petit nombre de ceux qu’il n’avait jamais eu l’intention de punir : il reprenait avec douceur la sévérité de son impitoyable associé ; et il jouissait de l’amour des peuples, qui ne cessaient de comparer à l’âge d’or et au siècle de fer des maximes de gouvernement si opposées. Malgré la différence des caractères, les deux empereurs conservèrent sur le trône l’amitié qu’ils avaient contractée dans une condition privée. Maximien, dont l’esprit altier et turbulent lui devint par la suite si fatal, et troubla la tranquillité publique, était accoutumé à respecter le génie de Dioclétien, et il avouait l’ascendant de la raison sur une violence brutale[8]. La superstition ou l’orgueil engagea ces princes à prendre les titres, l’un de Jovius, l’autre d’Herculius. Tandis que, selon le langage des mercenaires orateurs de ce siècle, la sagesse clairvoyante de Jupiter imprimait le mouvement à l’univers, le bras invincible d’Hercule purgeait la terre des monstres et des tyrans[9].

Mais la toute puissance même de Jovius et d’Herculius ne suffisait pas à supporter le fardeau de l’administration publique. Le sage Dioclétien s’aperçut que l’empire, assailli de tous côtés par les Barbares, exigeait de tous côtés la présence d’une armée et d’un empereur. Il prit donc la résolution de diviser encore une fois cette masse énorme de pouvoir, et de donner, avec le titre inférieur de César, une portion égale d’autorité souveraine à deux généraux d’un mérite reconnu[10]. Son choix tomba sur Galère, dont le nom d’Armentarius rappelait l’état de pâtre qu’il avait d’abord exercé, et sur Constance, nommé Chlore[11], par allusion à la pâleur de son teint. Tout ce que nous avons dit de la patrie, de l’extraction et des mœurs d’Herculius, s’applique exactement à Galère, qui fut souvent, et avec raison, appelé Maximien le jeune, quoique dans plusieurs occasions il ait montré plus de talents et de vertus que le prince de ce nom. L’origine de Constance était moins obscure que celle de ses collègues. Eutrope, son père, tenait un rang considérable parmi les nobles de Dardanie, et sa mère était nièce de l’empereur Claude[12]. Quoique Constance eût passé sa jeunesse dans les armées, son caractère était doux et aimable. Depuis longtemps la voix du peuple le jugeait digne du rang qu’il avait enfin obtenu. Pour resserrer les liens de la politique par ceux de l’union domestique, les empereurs adoptèrent les Césars, et leur donnèrent leurs filles en mariage[13], après les avoir obligés de répudier leurs femmes. Dioclétien fut père de Galère ; Maximien, de Constance. Ces quatre princes se distribuèrent entre eux la vaste étendue de l’empire romain. La défense de la Gaule, de l’Espagne[14] et de la Bretagne, fut confiée à Constance. Galère resta campé sur les rives du Danube, pour veiller à la sûreté des provinces d’Illyrie. L’Italie et l’Afrique formèrent le département de Maximien. Dioclétien se réserva la Thrace, l’Égypte et les contrées opulentes de l’Asie. Chacun régnait en souverain dans les provinces qui lui avaient été assignées ; mais leur puissance réunie s’étendait sur tout l’empire. Ils se tenaient tous préparés à voler au secours d’un collègue, ou à l’aider de leurs conseils. Les Césars, dans le poste élevé qu’ils occupaient, révélaient la majesté des empereurs ; et les trois princes, qui devaient leur fortune à Dioclétien, conservèrent toujours le souvenir de ses bienfaits, et lui restèrent invariablement attachés. La jalousie du pouvoir n’altérait point une union si parfaite. On comparait cet accord singulier à un chœur de musique dont la main habile du premier artiste règle et entretient l’harmonie[15].

L’élection des deux Césars n’eut lieu que six ans environ après l’association de Maximien. Dans cet intervalle, il se passa plusieurs événements mémorables ; mais, pour mettre de la clarté dans notre narration, nous  avons préféré d’exposer d’abord clans son ensemble la forme du gouvernement établi par Dioclétien, et de rapporter ensuite les événements de son règne, en suivant plutôt l’ordre naturel des faits que les dates d’une chronologie fort incertaine.

Le premier exploit de Maximien [en 287], dont les monuments imparfaits de ce siècle ne parlent qu’en peu de mots, mérite, par sa singularité, de trouver place dans une histoire destinée à peindre les mœurs du genre humain. Il réprima les paysans de la Gaule, qui, sous le nom de Bagaudes[16], désolaient cette province : ce soulèvement général peut être comparé à ceux qui, dans le quatorzième siècle, troublèrent successivement la France  et l’Angleterre[17]. Plusieurs des institutions que nous avons coutume de rapporter au système féodal, paraissent venir originairement des Barbares celtes. Lorsque César subjugua les Gaulois, cette grande nation se trouvait déjà divisée en trois ordres : le clergé, la noblesse et le peuple. Le premier gouvernait par la superstition ; le second, par les armes ; le troisième, entièrement oublié, n’avait aucune influence dans les conseils publics. Des plébéiens, accablés de dettes ou exposés à des injures continuelles, devaient naturellement implorer la protection de quelque chef puissant qui disposât de leurs personnes et de leurs propriétés avec une autorité semblable à celle que, parmi les Grecs et  les Romains, un maître exerçait sur ses esclaves[18]. La plus grande partie de la nation, insensiblement réduite en esclavage, et condamnée à des travaux perpétuels dans les terres des nobles, éprouva la servitude de la glèbe, et gémit sous le poids réel des chaînes ou sous le joug puissant et non moins cruel des lois. Durant les troubles qui agitèrent la Gaule depuis le règne de Gallien, jusqu’à celui de Dioclétien, la condition de ces paysans esclaves avait été singulièrement misérable ; ils subirent à la fois la tyrannie de leurs maîtres, celle des Barbares, des soldats et des officiers du fisc[19].

Ces vexations les jetèrent enfin dans le désespoir. De tous cotés ils s’élevèrent en foule, armés des instruments de leurs professions, et guidés par une fureur capable de tout renverser. Le laboureur devint un fantassin. Les bergers montèrent à cheval. Les villages abandonnés, les villes ouvertes, furent livrés aux flammes, et les paysans commirent autant de ravages que le plus terrible ennemi[20]. Ils réclamaient les droits naturels de l’homme, mais ils réclamaient ces droits avec la cruauté la plus farouche. Les nobles Gaulois, redoutant à juste titre leur vengeance, cherchèrent un abri dans les villes fortifiées, ou s’éloignèrent d’un pays devenu le théâtre de l’anarchie. Les paysans régnèrent sans obstacle. Deux de leurs chefs eurent même la folie, et la témérité de prendre les ornements impériaux[21]. Leur puissance expira bientôt à l’approche des légions. La force unie à la discipline obtint une victoire facile sur une multitude confuse et licencieuse [Eutrope, IX, 20].

On punit sévèrement les paysans qui furent trouvés les armes à la main. Les autres, effrayés, retournèrent à leurs habitations, et leurs efforts inutiles pour la liberté, ne servirent qu’à appesantir leurs chaînes. Le cours des passions populaires est si impétueux et en même temps si uniforme, que, malgré la disette des matériaux, nous aurions pu décrire les particularités de cette guerre. Mais nous ne sommes pas disposé à croire que les principaux chefs de la révolte, Ælianus et Amandus, aient été chrétiens[22], ni que leur rébellion, ainsi qu’il arriva du temps de Luther, ait été occasionnée par l’abus des principes bienfaisants du christianisme, qui tendent à établir la liberté naturelle de l’homme.

Maximien n’eut pas plus tôt arraché la Gaule aux paysans de cette province, que l’usurpation de Carausius lui enleva la Bretagne. Depuis l’heureuse témérité des Francs sous le règne de Probus, leurs hardis compatriotes avaient construit de légers brigantins, et ravageaient continuellement les contrées voisines baignées par l’Océan[23]. Pour repousser leurs incursions, il parut nécessaire de créer une marine ; ce sage projet fut exécuté avec vigueur et avec prudence. L’empereur fit équiper une flotte à Gessoriacum ou Boulogne, située sur le détroit qui sépare la Gaule de la Bretagne. Il en confia le commandement, à Carausius, Ménapien[24] de la plus basse origine[25] qui avait longtemps signalé son habileté comme pilote, et son courage comme soldat. L’intégrité du nouvel amiral ne répondit pas à ses talents. Lorsque les pirates de la Germante sortaient de leurs ports, il favorisait leur passage, mais il avait souci d’intercepter leur retour, dans la vue de s’approprier une partie considérable des dépouillés qu’ils avaient enlevées. Les richesses que Carausius amassa par ce moyen parurent avec raison, la preuve de son crime. Déjà Maximien avait ordonné sa mort. Le rusé Ménapien avait prévu l’orage ; il sut se dérober à la sévérité de son maître. Les officiers de la flotte, séduits par la libéralité de leur commandant lui étaient entièrement dévoués. S’étant assuré, des Barbares, il partit de Boulogne pour se rendre en Bretagne, gagna la légion et les auxiliaires qui défendaient l’île ; et, prenant audacieusement avec la pourpre impériale le titre d’Auguste, il défia la justice et les armes de son souverain irrité[26].

Lorsque la Bretagne eu été démembrée de l’empire, son importance fut plus vivement sentie, et sa perte sincèrement déplorée. Les Romains célébrèrent et exagérèrent peut-être l’étendue de cette île florissante, pourvue de tous côtés de ports commodes, la température du climat et la fertilité du sol, également propre à produire du blé ou du vin, les minéraux précieux dont le pays est rempli, ses riches pâturages couverts de troupeaux innombrables, et ses bois où l’on n’avait point à redouter la bête sauvage ni le serpent venimeux. Ils regrettaient surtout le revenu considérable de la Bretagne, et ils avouaient cependant qu’une pareille province méritait bien de devenir le siège d’un royaume indépendant[27]. Elle fut, pendant sept ans, entre les mains de Carausius ; et, pendant sept ans la fortune favorisa une rébellion, soutenue par le courage et par l’habileté. Le souverain de la Bretagne défendit les frontières de ses domaines contre les Calédoniens du nord ; il attira du continent un grand nombre d’excellents artistes. Plusieurs médailles, qui nous sont parvenues, attestent encore son goût et ‘opulence. Né sur les confins de la patrie des Francs, il rechercha l’amitié de ce peuple formidable, en imitant leur habilement et leurs manières : il enrôla les plus braves de leur jeunesse dans ses troupes de terre et de mer ; et, pour reconnaître les services que lui procurait une alliance si utile, il leur enseigna la science dangereuse de l’art militaire et de la navigation. Carausius resta toujours en possession de Boulogne et de son territoire.  Ses flottes triomphantes couvraient le détroit, commandaient les bouches du Rhin et de la Seine, ravageaient les côtes de l’Océan, et répandaient la terreur de son nom au-delà des colonnes d’Hercule. Sous son administration, la Bretagne, destinée à posséder l’empire des mers, avait déjà pris son rang naturel de puissance maritime, qui devait un jour la rendre si respectable[28].

En s’emparant de la flotte de Boulogne, Carausius avait enlevé à l’empereur les moyens de le poursuivre et de se venger. Lorsque après un temps considérable et des travaux immenses, on mit en mer une nouvelle flotte[29], les troupes impériales, qui n’avaient jamais porté les armes sur cet élément, furent bientôt défaites par les matelots expérimentés de l’usurpateur. Cet effort inutile amena un traité de paix. Dioclétien et son collègue, qui redoutaient avec raison, l’esprit entreprenant de Carausius, lui cédèrent la souveraineté de la Bretagne, et admirent, quoique avec répugnance, un sujet rebelle aux honneurs de la pourpre[30]. Mais l’adoption des Césars rendit une nouvelle vigueur aux armes romaines. Tandis que Maximien assurait par sa présence les frontières du Rhin, son brave associé Constance prit la conduite de la guerre de Bretagne. Sa première entreprise fut le siège de l’importante place de Boulogne. Un môle d’une prodigieuse grandeur, construit à l’entrée du port, ôta à la ville tout espoir de secours. Elle se rendit après une résistance opiniâtre, et la plupart des vaisseaux de Carausius tombèrent entre les mains des assiégeants. Constance se disposa ensuite à la conquête de la Bretagne [en 292]. Pendant les trois années qui furent employées à la construction d’une flotte, il s’assura des côtes de la Gaule, envahit le pays des Francs, et priva l’usurpateur de l’assistance de ces puissants alliés.

Les préparatifs n’étaient point encore terminés, lorsque Constance apprit la mort du tyran [en 294]. Cet événement parut un présage certain des victoires du César. Les sujets de Carausius imitèrent l’exemple de trahison qu’il avait donné ; il fut tué par Allectus, son premier ministre, qui hérita de sa puissance et de ses dangers. Mais l’assassin n’avait pas assez de talents pour exercer l’autorité souveraine ni pour la défendre. Il vit avec effroi sur le continent la rive opposée déjà couverte d’armes, de troupes et de vaisseaux. En effet, Constance avait prudemment divisé ses forces, afin de diviser pareillement l’attention et la résistance de l’ennemi. Enfin, l’attaque fut faite par la principale escadre, qui, sous le commandement du préfet Asclépiodate, officier d’un mérite distingué, avait été assemblée à l’embouchure de la Seine. L’art de la navigation était alors si imparfait, que les orateurs ont célébré le courage intrépide des Romains, qui osèrent mettre à la voile un jour d’orage et avec le vent de côté. Le temps concourut au succès de leur entreprise. A la faveur d’un brouillard épais, ils, échappèrent à la flotte placée par Allectus à l’île de Wight pour les arrêter descendirent en sûreté sur la côte occidentale, et montrèrent aux Bretons que la supériorité des forces navales ne défendrait pas toujours leur patrie d’une invasion étrangère. A peine Asclépiodate fut-il débarqué, qu’il brûla, ses vaisseaux ; et comme la fortune seconda son expédition, cette action héroïque fut universellement admirée. L’usurpateur attendait aux environs de Londres l’attaque formidable de Constance, qui commandait en personne la flotte de Boulogne. Mais la descente d’un nouvel ennemi demandait la présence d’Allectus dans la partie occidentale de l’île. Sa marche fut si précipitée, qu’il parut devant le préfet avec un petit nombre de troupes harassées et découragées. Le combat fut bientôt terminé par la défaite totale et par la mort d’Allectus. Une seule bataille, comme il est souvent arrivé, décida du sort de cette île importante. Lorsque Constance débarqua sur la côte de Kent, il la trouva couverte de sujets soumis. Le rivage retentissait des acclamations unanimes des habitants. Les vertus du vainqueur nous portent  à croire que leur joie fut sincère : ils se félicitaient d’une révolution qui, après dix ans, réunissait la Bretagne à la monarchie romaine[31].

L’île n’avait plus à redouter que des ennemis domestiques. Tant que les gouverneurs restaient fidèles et les troupes disciplinées les incursions des sauvages à demi nus de l’Écosse et de l’Irlande, ne pouvaient inquiéter la sûreté de la province. La paix du continent et la défense des grands fleuves qui servaient de limites à l’empire, étaient des objets beaucoup plus difficiles, et d’une plus grande importance. La politique de Dioclétien, qui dirigeait les conseils de ses associés, pourvut à la sûreté de l’État en semant la discorde parmi les Barbares, et en augmentant les fortifications des frontières romaines.

En Orient, il traça une ligne de camps depuis l’Égypte jusqu’aux domaines des Perses. Chaque camp fut rempli d’un certain. nombre de troupes stationnaires, commandées par leurs officiers respectifs, et fournies de toutes sortes d’armes qu’elles tiraient des arsenaux nouvellement établis dans les villes d’Antioche, d’Émèse et de Damas[32]. L’empereur ne prit pas moins de précautions coutre la valeur si souvent éprouvée des Barbares de l’Europe. De l’embouchure du Rhin à celle du Danube, les anciens camps, les villes et les citadelles, furent réparés avec soin, et l’on construisit de nouvelles forteresses dans les lieux les plus exposés. La  plus exacte vigilance fut introduite parmi les garnisons des frontières. Enfin, on n’oublia rien pour assurer et pour mettre à l’abri de toute insulte cette longue chaîne de fortifications[33]. Une barrière si respectable fut rarement forcée, et les nations ennemies, contenues de toutes parts, tournèrent souvent leur rage les uns contre les autres. Les Goths, les Vandales, les Gépides, les Bourguignons, les Allemands, détruisaient leur propre force par de cruelles hostilités : quelque fût le vainqueur, le vaincu était un ennemi de Rome. Les sujets de Dioclétien jouissaient de ce spectacle sanglant, et ils voyaient avec joie les Barbares exposés seuls alors à toutes les horreurs de la guerre civile[34].    

Malgré la politique de Dioclétien, il ne lui fut pas toujours possible, pendant son règne de vingt ans, de maintenir la paix le long d’une frontière de plusieurs centaines de milles. Quelquefois les Barbares suspendaient leurs animosités domestiques. La vigilance des garnisons cédait quelquefois à l’adresse ou à la force. Lorsque les provinces étaient envahies, Dioclétien se conduisait avec cette dignité calme qu’il affecta toujours ou qu’il possédait réellement. Se réservant pour les occasions dignes de sa présence, il n’exposait jamais sa personne ni sa réputation à d’inutiles dangers. Après avoir employé tous les moyens que dictait la prudence pour assurer ses succès, il usait avec ostentation de sa victoire. Dans les guerres plus difficiles, et dont l’événement paraissait plus douteux, il se servait du bras de Maximien; et ce soldat fidèle attribuait modestement ses exploits aux sages conseils et à l’heureuse influence de son bienfaiteur. Mais après l’adoption des deux Césars, les empereurs, préférant un théâtre moins agité, confièrent à leurs fils  adoptifs la défense du Rhin et du Danube. Le vigilant Galère ne fut jamais réduit à la nécessité de combattre les Barbares sur le territoire de l’empire[35]. Le brave et infatigable Constance délivra la Gaule d’une terrible invasion des Allemands. Vainqueur à Vindonesse et à Langres, où il courut un grand danger, il y développa les talents d’un général habile. Comme il traversait le pays avec une faible escorte, il se trouva tout à coup environné d’une troupe d’ennemis supérieurs en nombre ; et ce ne fut qu’avec peine qu’il gagna Langres. Les habitants, dans la consternation générale, refusèrent d’ouvrir leurs portes, et le prince blessé fût, à l’aide d’une corde, tiré au-dessus des murs. A cette nouvelle, les troupes romaines volèrent de toutes parts à son secours avant la fin de la journée, Constance satisfit à la fois sa vengeance et son honneur par le massacre de six mille Allemands[36]. Les monuments de ce siècle nous feraient peut-être connaître plusieurs autres victoires remportées sur les Germains et sur les Sarmates ; mais le récit de ces exploits exigerait des recherches dont l’ennui ne saurait être compensé par le plaisir ni par l’instruction.

Dioclétien et ses collègues suivirent, dans la manière dont ils disposèrent des vaincus, la conduite qu’avait adoptée l’empereur Probus. Les Barbares captifs, échangeant la mort contre l’esclavage, furent distribués parmi les habitants des provinces, et fixés dans les pays qu’avaient dépeuplés les calamités de la guerre. On spécifie particulièrement dans la Gaule les territoires d’Amiens, de Beauvais, de Cambrai, de Trêves, de Langres et de Troyes [Pan., ver., 7, 21]. Ces esclaves furent employés utilement à garder les troupeaux et à cultiver les campagnes. Ils n’avaient la permission de porter les armes que lorsqu’on jugeait à propos de les faire entrer au service militaire. Les Barbares qui sollicitèrent la protection de Rome, obtinrent des terres à des conditions moins serviles. Les empereurs accordèrent un établissement à différentes colonies de Carpiens, de Bastarnes et de Sarmates ; et ils eurent l’imprudence de les laisser en quelque sorte conserver leurs mœurs et leur indépendance naturelle[37]. Cependant les campagnes prirent bientôt un aspect riant. Quel triomphe pour les habitants des provinces de voir le sauvage du Nord, si longtemps un objet de terreur, défricher leurs terres, mener leurs troupeaux dans les marchés publics, et contribuer, par ses travaux, à l’abondance générale ! Ils félicitaient leur maître d’un accroissement si utile de sujets et de soldats ; mais ils ne réfléchissaient pas que l’empire nourrissait dans son sein une foule d’ennemis secrets, dont les uns étaient devenus insolents par la faveur, tandis que l’oppression pouvait précipiter les autres dans un désespoir funeste[38].

Pendant que les Césars exerçaient leur valeur sur les rives du Rhin et du Danube, l’Afrique exigeait la présence des empereurs. Du Nil au mont Atlas tout était en armes. Cinq nations maures[39], sorties de leurs déserts, avaient réuni leurs forces pour envahir des provinces tranquilles. Julien avait pris la pourpre à Carthage[40], Achille dans Alexandrie. Les Blemmyes même renouvelaient ou plutôt continuaient leurs hostilités dans la Haute Égypte. Il reste a peine quelques détails des exploits de Maximien dans l’occident de l’Afrique. Il paraît, par l’événement, que les progrès de ses armes furent rapides et décisifs, qu’il vainquit les plus fiers Barbares de la Mauritanie, et qu’il les chassa de leurs montagnes, dont la force inaccessible leur inspirait une confiance sans bornes, et les accoutumait à une vie de rapine et de violence [Pan., ver., 6, 8]. De son côté, Dioclétien ouvrit la campagne en Égypte par le siège d’Alexandrie [en 296]. Lorsqu’il eut coupé les aqueducs destinés à porter les eaux du Nil dans toutes les parties de cette ville immense[41], et qu’il eut mis son camp en état de résister aux sorties des assiégés, il pressa les attaques avec précaution et avec vigueur. Après un siége de huit mois, Alexandrie, ruinée par le fer, et par le feu, implora la clémence du vainqueur ; mais elle éprouva toute sa sévérité. Plusieurs milliers de citoyens furent massacrés, et presque tous les coupables en Égypte subirent la peine de mort, ou du moins l’exil[42]. Le sort de Busiris et de Coptos fut encore plus déplorable que celui d’Alexandrie. Les armes et l’ordre sévère de Dioclétien détruisirent entièrement ces villes[43], la première, fameuse par son antiquité ; l’autre, enrichie par le passage des marchandises de l’Inde. Le caractère de la nation égyptienne, insensible à l douceur, mais extrêmement susceptible de crainte, peut seul justifier cette rigueur excessive. Les séditions d’Alexandrie avaient souvent altéré la tranquillité de Rome elle-même, qui tirait sa subsistance des fertiles contrées arrosées par le Nil. Depuis l’usurpation de Firmus, la Haute Égypte, en proie à des factions continuelles, avait embrassé l’alliance des sauvages de l’Éthiopie. Les Blemmyes, répandus entre l’île de Méroé et la mer Rouge, étaient en très petit nombre. Sans inclination pour la guerre, ils se servaient d’armes grossières et peu redoutables[44]. Cependant, au milieu des désordres publics, ces peuples, que l’antiquité, choquée de la difformité de leur figure, avait presque exclus de l’espèce humaine, osèrent se mettre au nombre des ennemis de Rome. Tels étaient les indignes alliés des rebelles de l’Égypte ; et leurs incommodes incursions pouvaient troubler le repos de la province, pendant que l’État se trouvait engagé dans des guerres plus sérieuses. Dans la vue d’opposer aux Blemmyes un adversaire convenable Dioclétien engagea les Nobates, ou peuples de Nubie, à quitter leurs anciennes habitations dans les déserts de la Libye ; et il leur céda un pays considérable, mais inutile, situé au-delà de Syène et des cataractes du Nil, en exigeant d’eux qu’ils respectassent et défendissent à jamais la frontière de l’empire. Le traité subsista longtemps ; et, jusqu’à ce que l’établissement du christianisme eût introduit des notions plus rigides de culte religieux on ratifiait tous les ans ce traité par un sacrifice solennel offert dans l’île Éléphantine, où les Romains et les Barbares se rassemblaient pour adorer les mêmes puissances visibles ou invisibles de l’univers[45].

Dans le temps que Dioclétien punissait les crimes de l’Égypte, il assurait le repos et le bonheur futur de cette province par de sages règlements, qui furent confirmés et perfectionnés sous le règne de ses successeurs[46]. Un édit très remarquable de ce prince, loin de paraître l’effet d’une tyrannie jalouse, doit être applaudi comme un acte de prudence et d’humanité. On rechercha soigneusement, par ses ordres, tous les anciens livres qui traitaient de l’art admirable de faire de l’or et de l’argent. Dioclétien les livra sans pitié aux flammes, craignant, comme on nous l’assure, que l’opulence des Égyptiens ne leur inspirât l’audace de se révolter contre l’empire[47]. Mais s’il eût été convaincu de la réalité de ce secret inestimable, au lieu de l’ensevelir dans un éternel oubli, il s’en serait servi pour augmenter les revenus publics. Il est bien plus vraisemblable que ce prince sensé connaissait l’extravagance de ces prétentions magnifiques ; et qu’il voulut préserver la raison et la fortune de ses sujets d’une occupation funeste. On peut remarquer que ces ouvrages anciens, attribués si libéralement à Pythagore, à Salomon ou au fameux Hermès, n’étaient cependant qu’un funeste présent de quelques adeptes plus modernes. Les Grecs ne s’attachèrent ni à l’abus ni à l’usage de la chimie. Dans ce recueil immense, où Pline a consigné les découvertes, les arts et les erreurs -e l’esprit humain, il n’est point parlé de la transmutation des métaux. La persécution de Dioclétien est le premier événement authentique dans l’histoire de l’alchimie. La conquête de l’Égypte par les Arabes répandit cette vaine science sur tout le globe. Née de la cupidité, l’alchimie fut étudiée à la Chine comme en Europe, avec la même ardeur et avec un succès égal. L’ignorance du moyen âge favorisait toute espèce de chimère. La renaissance des lettres ouvrit de nouvelles espérances la crédulité, et lui fournit des moyens plus spécieux. Enfin la philosophie, aidée de l’expérience, a banni l’étude de l’alchimie ; et le siècle présent, quoique avide de richesses, se contente de les chercher par les voies moins merveilleuses du commerce et de l’industrie[48].

La réduction de l’Égypte fut immédiatement suivie de la guerre de Perse. La fortune avait réservé au règne de Dioclétien la gloire de vaincre cette puissante nation, et de forcer les successeurs d’Artaxerxés à reconnaître la supériorité de l’empire romain.

Nous avons déjà dit que sous le règne de Valérien les armes et la perfidie des Perses avaient subjugué l’Arménie, et qu’après l’assassinat de Chosroês, Tiridate son fils encore enfant, sauvé par des amis fidèles, avait été élevé sous la protection des empereurs. Tiridate tira de son exil des avantages qu’il n’aurait jamais pu se procurer sur le trône de ses pères. Il apprit de bonne heure à connaître l’adversité, le genre humain et la discipline romaine. Ce prince signala sa jeunesse par des actions de bravoure ; il déploya une force et une adresse peu communes dans tous les exercices militaires, et même dans les combats moins glorieux des jeux olympiques[49]. Ces qualités furent plus noblement employées à la défense de son bienfaiteur Licinius[50]. Cet officier, dans la sédition qui causa la mort de Probus, avait couru les plus grands dangers. Les soldats furieux étaient sur le point de forcer sa tente, le bras seul du prince d’Arménie les arrêta. La reconnaissance de Tiridate contribua bientôt après à son rétablissement. Licinius avait toujours été l’ami et le compagnon de Galère et le mérite de celui-ci, longtemps avant qu’il parvint au rang de César, lui avait attiré l’estime de Dioclétien. La troisième année du règne de cet empereur, Tiridate obtint l’investiture du royaume d’Arménie. Cette démarche, fondée sur la justice, ne semblait pas moins avantageuse à l’intérêt de Rome. Il était temps d’arracher à la domination des Perses une contrée importante, qui, depuis le règne de Néron, avait toujours été gouvernée, sous la protection de l’empire, par la branche cadette de la maison des Arsacides[51].

Lorsque Tiridate parut sur les frontières de l’Arménie, il fut reçu avec des protestations sincères de joie et de fidélité. Durant vingt-six ans ce royaume avait éprouvé les malheurs réels et imaginaires d’un joug étranger.  Les monarques persans avaient orné leur nouvelle conquête de bâtiments magnifiques ; mais le peuple contemplait avec horreur ces monuments élevés à ses frais, et qui attestaient la servitude de la patrie. L’appréhension d’une révolte avait inspiré les précautions les plus rigoureuses. L’insulte aggravait l’oppression ; et le vainqueur, chargé de la haine publique, prenait, pour en prévenir l’effet, toutes les mesures qui pouvaient la rendre encore plus implacable. Nous avons déjà remarqué l’esprit intolérant de la religion des mages. Les statues des souverains de l’Arménie placés au rang des dieux, et les images sacrées du soleil et de la lune, furent mises en pièces par le zèle des Perses. Ils érigèrent sur la cime du mont Baghavan[52] un autel, où brûla le feu perpétuel d’Ormuzd. Une nation irritée par tant d’injures devait naturellement s’armer avec ardeur pour la défense de sa liberté, de sa religion et de la souveraineté de ses monarques héréditaires. Le torrent renversa tous les obstacles ; et les Perses, incapables de résister à son impétuosité, prirent la fuite avec précipitation. Les nobles d’Arménie accoururent sous les étendards de Tiridate, tous vantant leurs mérites passés, offrant leurs services pour l’avenir, et demandant au nouveau roi les honneurs et les récompenses qu’on leur avait dédaigneusement refusés sous un gouvernement étranger[53]. On nomma pour commander l’armée Artavasdès, fils de ce sénateur fidèle qui avait sauvé Tiridate dans son enfance, et dont la famille avait été victime de cette action généreuse. Le frère d’Artavasdès obtint le gouvernement d’une province. Un des premiers grades militaires fut donné, au satrape Otas, homme d’un courage et d’une tempérance singuliers. Il offrit au roi sa sœur[54] et un trésor considérable, qui, renfermés dans une citadelle, avaient échappé l’un et l’autre à la cupidité des Perses. Parmi les seigneurs d’Arménie parut un allié dont la destinée est trop remarquable pour être passée sous silence. Il se nommait Mamgo, et il avait pris naissance en Scythie. Fort peu d’années auparavant, la horde qui lui obéissait campait sur les confins de l’empire chinois[55] ; qui s’étendait alors jusqu’au voisinage de la Sogdiane[56]. Ayant  encouru la disgrâce de son maître, Mamgo, suivi de ses partisans, se retira sur les rives de l’Oxus, et implora la protection de Sapor. L’empereur chinois réclama le fugitif, en faisant valoir les droits de souveraineté. Le monarque persan allégua les lois de l’hospitalité ; mais ce ne fut pas sans quelque difficulté qu’il évita la guerre, en promettant de bannir Mamgo à l’extrémité de l’Occident ; punition, disait-il, non moins terrible que la mort même. L’Arménie fut choisie pour le lieu de l’exil, et on assigna aux Scythes un territoire considérable où ils pussent nourrir leurs troupeaux, et transporter leurs tentes d’un lieu à l’autre, selon les différentes saisons de l’année. Ils eurent ordre de repousser l’invasion de Tiridate ; mais leur chef, après avoir pesé les services, et les injures qu’il avait reçues du monarque persan résolus d’abandonner son parti. Le prince arménien, qui connaissait le mérite et la puissance d’un pareil allié traita Mamgo avec distinction; et, en l’admettant à sa confiance, acquit un brave et fidèle serviteur, qui contribua très efficacement à le faire remonter sur le trône de ses ancêtres [H. Arm., 2, 81].

La fortune sembla favoriser pendant quelque temps la valeur entreprenante de Tiridate. Non seulement il chassa de l’Arménie les ennemis de sa famille et de son peuple, mais encore animé du désir de se venger, il porta ses armes, ou du moins fit des incursions dans le cœur de l’Assyrie. L’historien qui a sauvé de l’oubli le nom de Tiridate, célèbre avec l’enthousiasme national sa valeur personnelle ; et, suivant le véritable esprit des romans orientaux, il décrit les géants et les éléphants qui tombèrent sous son bras invincible. D’autres monuments nous apprennent que le prince arménien dut une partie de ses avantages aux troubles qui déchiraient la monarchie persane. Des frères rivaux se disputaient alors le trône. Hormuz, après avoir épuisé sans succès toutes les ressources de son parti, implora le secours dangereux des Barbares qui habitaient les bords de la mer Caspienne[57]. Au reste, la guerre civile fut bientôt terminée, soit par la défaite d’un des deux partis, soit par un accommodement ; et Narsès, universellement reconnu roi de Perse, tourna toutes ses forces contre l’ennemi étranger. La victoire ne pouvait être disputée ; la valeur du héros fut incapable de résister à la puissance du monarque. Tiridate, obligé de descendre une seconde fois  du trône d’Arménie, vint encore se réfugier à la cour  des empereurs. Narsès rétablit bientôt son autorité dans la province rebelle, et, se plaignant hautement de la protection accordée par les Romains à des séditieux et à des fugitifs, il médita la conquête de l’Orient[58].

Ni la prudence ni l’honneur ne permettaient aux souverains de Rome d’abandonner la cause du roi d’Arménie. La guerre de Perse fut résolue. Dioclétien, avec cette dignité calme qui se montrait toujours dans sa conduite, fixa sa résidence à Antioche, d’où il préparait et dirigeait les opérations militaires[59]. Le commandement fut donne à l’intrépide valeur de Galère, qui, pour cet objet se transporta des rives du Danube à celles de l’Euphrate. Les armées se rencontrèrent bientôt dans les plaines de Mésopotamie et se livrèrent deux combats où les succès furent douteux et balancés. La troisième bataille fut plus décisive. Les troupes romaines essuyèrent une défaite totale, attribuée généralement à la témérité de Galère, qui osa attaquer avec un petit corps de troupes l’armée innombrable des Perses[60]. Mais, en examinant le théâtre de l’action, il est aisé de découvrir à cet échec une cause différente. Le même terrain où Galère fut vaincu avait été célèbre par la mort de Crassus, et par le massacre de dix légions. C’était une plaine de plus de soixante milles, qui s’étendant depuis la hauteur de Carrhes jusqu’à l’Euphrate, présentait une surface unie et stérile de déserts sablonneux, sans une seule éminence, sans un seul arbre, sans une source d’eau fraîche[61]. L’infanterie pesante des Romains, accablée par la chaleur, et cruellement tourmentée de la soif ne pouvait espérer de vaincre en conservant ses rangs, ni rompre ses rangs sans s’exposer aux plus grands périls. Dans cette extrémité, elle fut successivement environnée de troupes supérieures en nombre, harassée par les évolutions rapides de la cavalerie des Barbares, et détruite par leurs fléchés redoutables. Le roi d’Arménie avait signalé sa valeur sur le champ de bataille, et s’était couvert de gloire au milieu des malheurs publics. Il fut poursuivi jusqu’aux bords de l’Euphrate. Son cheval était blessé et il ne paraissait pas pouvoir échapper à un ennemi victorieux. Aussitôt Tiridate, embrasse le seul parti qui lui reste à prendre il met pied à terre, et s’élance dans le fleuve. Son armure était pesante, l’Euphrate très profond, car il avait en cet endroit au moins quatre cents toises de large[62] : cependant la force et l’adresse du prince le servirent si heureusement, qu’il arriva en sûreté sur la rive opposée[63]. Pour le général romain, nous ignorons comment il se sauva. Lorsqu’il retourna dans la ville d’Antioche Dioclétien le reçut non avec la tendresse d’un ami et d’un collègue ; mais avec l’indignation d’un souverain irrité. Vêtu de la pourpre impériale, humilié par le souvenir de sa faute et de son malheur, le plus orgueilleux des hommes fut obligé de suivre à pied le char de l’empereur l’espace d’un mille environ, et d’étaler devant toute la cour le spectacle de sa disgrâce[64].

Dès que Dioclétien eut satisfait son ressentiment particulier, et qu’il eut soutenu la majesté de la puissance impériale ; ce prince, cédant aux instances du César, lui permit de réparer son honneur et celui des armes romaines. Aux troupes efféminées de l’Asie, qui avaient probablement été employées dans la première expédition, on substitua des vétérans et de nouvelles levées tirées des frontières de l’Illyrie ; et le prince prit à son service un corps considérable de Goths auxiliaires[65]. Galère repassa l’Euphrate à la tête d’une armée choisie de vingt-cinq mille hommes ; mais, au lieu d’exposer ses légions dans les plaines découvertes de la Mésopotamie, il s’ouvrit une route à travers les montagnes de l’Arménie, dont il trouva les habitants dévoués à sa cause, et dont le terrain était aussi favorable aux opérations de l’infanterie que peu propre aux mouvements de la cavalerie[66]. L’adversité avait affermi la discipline des Romains, tandis que les Barbares, enflés de leur succès, étaient tombés dans une telle négligence et un tel relâchement, qu’au moment où ils s’y attendaient le moins, ils furent surpris par l’activité de Galère. Ce prince, accompagné seulement de deux cavaliers, avait examiné lui-même secrètement l’état et la position de leur camp. Il le fit attaquer au milieu de la nuit. Une pareille surprise était presque toujours fatale aux soldats perses. Ils liaient leurs chevaux, et leur mettaient des entraves aux pieds pour les empêcher de s’échapper. En cas d’alarme, le Persan avait son cheval à brider, sa housse à poser et sa cuirasse à mettre, avant d’être en état de combattre[67]. L’impétuosité de Galère porta le désordre et le découragement parmi les Barbares. Une faible résistance fait suivie d’un horrible carnage. Au milieu de la confusion générale, le monarque blessé (car Narsès commandait ses armées en personne) prit la fuite vers les déserts de la Médie. Le vainqueur trouva des richesses immenses, dans la tente magnifique de ce prince et dans celles de ses satrapes. On rapporte un trait curieux de l’ignorance rustique, mais martiale des légions, qui prouve combien elles connaissaient peu les élégantes superfluités de la vie. Une bourse faite d’une peau luisante, et remplie de perles tomba entre les mains d’un simple soldat. Il garda soigneusement la bourse, mais il jeta ce qu’elle contenait, jugeant que ce qui ne servait à aucun usage ne pouvait être d’aucun prix[68]. La perte principale de Narsès était d’une nature infiniment plus sensible. Plusieurs de ses femmes, ses sœurs, ses enfants, qui accompagnaient l’armée, avaient été pris dans la déroute. Mais quoique le caractère de Galère eût en général peu de rapport avec celui d’Alexandre, le César, après sa victoire, imita la belle conduite du héros macédonien envers la famille de Darius. Les femmes et les enfants de Narsès furent mis à d’abri de toute violence, menés en lieu de sûreté, et traités avec le respect et les tendres égards qu’un ennemi généreux devait à leur âge, à leur sexe et à leur dignité[69].

Dans le temps que l’Asie attendait avec inquiétude la décision de la fortune, Dioclétien, ayant levé en Syrie une forte armée d’observation, déployait à quelque distance du théâtre de la guerre les ressources de la puissance romaine, et se réservait pour les événements importants. A la nouvelle de la victoire remportée sur les Perses, il s’avança sur la frontière, dans la vue de modérer, par sa présence et par ses conseils, l’orgueil de Galère. Les princes romains se virent à Nisibis, où ils se donnèrent les témoignages les plus signalés, l’un de respect, l’autre d’estime. Ce fut dans cette ville qu’ils reçurent bientôt après l’ambassadeur du grand roi[70]. La force ou du moins l’ambition de Narsès avait été abattue par sa dernière défaite. La paix lui parut le seul moyen d’arrêter le progrès des armes romaines. Il députa Apharban, qui possédait sa faveur et sa confiance, pour négocier un traité, ou plutôt, pour recevoir les conditions qu’il plairait au vainqueur d’imposer. Apharban commença par exprimer combien son maître était reconnaissant du traitement généreux qu’éprouvait sa famille ; il demanda ensuite la liberté de ces illustres captifs. Il célébra la valeur de Galère, sans dégrader la réputation de Narsès, et il ne rougit pas d’avouer la supériorité du César victorieux sur un monarque qui surpassait, par l’état de sa gloire, tous les princes de sa race. Malgré la justice de la cause des Perses, il était chargé de soumettre les différends actuels à la décision des empereurs romains, persuadé qu’au milieu de leur prospérité ces princes n’oublieraient pas les vicissitudes de la fortune. Apharban termina son discours par une allégorie dans le goût oriental. Les monarchies persane et romaine, disait-il, étaient les deux yeux de l’univers, qui resterait imparfait et mutilé, si l’on arrachait l’un des deux.

Il convient bien aux Persans, répliqua Galère, dans un transport de rage qui semblait agiter tous ses membres, il convient bien aux Persans de s’étendre sur les vicissitudes de la fortune, et de nous étaler froidement des préceptes de vertu ! Qu’ils se rappellent leur modération envers l’infortuné Valérien après avoir vaincu ce prince par trahison, ils l’ont traité avec indignité ; ils l’ont retenu jusqu’au dernier moment de sa vie dans une honteuse captivité, et après sa mort ils ont exposé son corps a une ignominie perpétuelle. Prenant ensuite un ton plus adouci, Galère insinua que la pratique des Romains n’avait jamais été de fouler aux pieds un ennemi vaincu ; que, dans la circonstance présente, ils consulteraient plutôt ce qu’ils devaient à leur dignité que ce que méritait la conduite des Perses. En congédiant Apharban, il lui fit espérer que Narsès apprendrait bientôt à quelles conditions il obtiendrait de la clémence des empereurs une paix durable et la liberté de sa famille. On peut apercevoir dans cette conférence les passions violentes de Galère, en même temps que sa déférence pour l’autorité et pour la sagesse supérieure de Dioclétien. Le premier de ces princes aspira à la conquête de l’Orient ; il avait même proposé de réduire la Perse en province ; l’autre, plus prudent, qui avait adopté la politique modérée d’Auguste et des Antonins, saisit l’occasion favorable de terminer une guerre heureuse par une paix honorable et utile.

Pour remplir leur promesse, les empereurs envoyèrent à la cour de Narsès Sicorius-Probes, un de leurs secrétaires, qui lui communiqua leur dernière résolution. Comme ministre de paix, il fut reçu avec la plus grande politesse et avec les marques de la plus sincère amitié ; mais, sous prétexte de lui accorder un repos nécessaire, après un si long voyage, on remit son audience de jour en jour, et il fut obligé de suivre le roi dans plusieurs marches très lentes. Il fut enfin admis en présence de ce monarque, près de l’Asprudus, rivière de la Médie. Quoique Narsès désirât sincèrement la paix, le motif secret de ce prince, dans un pareil délai, avait été de rassembler des forces qui le missent en état de négocier avec plus de dignité, et de rétablir en quelque sorte l’équilibre. Trois personnes seulement assistèrent à cette conférence importante, le ministre Apharban, le capitaine des gardés, et un officier qui avait commandé sur les frontières d’Arménie[71]. La première proposition de l’ambassadeur romain n’est pas maintenant de nature à être bien entendue : il demandait que Nisibis fût l’entrepôt des marchandises des deux empires. On conçoit facilement l’intention des princes romains, qui voulaient augmenter leur revenus en soumettant le commerce à quelques règlements prohibitifs ; mais comme Nisibis leur appartenait, et qu’ils étaient les maîtres de l’importation et de l’exportation, de pareils droits semblaient devoir être plutôt l’objet d’une loi intérieure que d’un traité étranger. Pour les rendre plus effectifs, on exigeait peut-être du roi de Perse quelques conditions qui lui parurent si contraire à son intérêt et à sa dignité, qu’il ne put se résoudre à les accepter. Cet article était le seul auquel il refusât de consentir ; aussi les empereurs n’insistèrent pas davantage ; ils laissèrent le commerce prendre son cours naturel, ou ils se contentèrent des règlements qu’ils étaient maîtres d’établir.

Dès que cette difficulté eut été levée, une paix solennelle fut conclue et ratifiée entre les deux nations. Les conditions d’un traité si glorieux pour l’empire, et devenu si nécessaire aux Perses, méritent une attention d’autant plus particulière, que l’histoire de Rome présente rarement de pareils actes : en effet, la plupart de ses guerres ont été terminées par une conquête absolue, ou entreprises contre des Barbares qui ignoraient l’usage des lettres. 1° L’Aboras, appelé l’Araxe dans Xénophon fut désigné comme la limite la limite des deux monarchies[72]. Cette rivière, qui prend sa source près du Tigre, recevait à quelques milles au dessous de Nisibis les eaux du Mygdonius ; elle passait ensuite sous les murs de Singara, et tombait dans l’Euphrate à Circesium[73], ville frontière que Dioclétien avait singulièrement fortifiée[74]. La Mésopotamie, si longtemps disputée, fut cédée à l’empire, et par le traité les Perses renoncèrent à toute prétention sur cette grande contrée. 2° Ils abandonnèrent aux Romains cinq provinces au-delà du Tigre[75], qui formaient une barrière très utile, et dont la force naturelle fut bientôt augmentée par l’art et par la science militaire. Il y en avait quatre de peu d’étendue, l’Intiline, la Zabdicène, l’Arzanène et la Moxoène, noms d’ailleurs peu connus, mais, à l’orient du Tigre, l’empire acquit le pays montueux et considérable de la Carduène, l’ancienne patrie des Carduques, qui, placés dans le centre du despotisme de l’Asie, conservèrent, pendant plusieurs siècles, leur mâle indépendance. Les dix mille Grecs traversèrent leur contrée après sept jours d’une marche pénible ou plutôt d’un combat perpétuel. Le chef de cette fameuse entreprise avoue, dans son admirable relation, que ses concitoyens eurent plus à souffrir des flèches des Carduques que de toutes les forces du grand roi[76]. La postérité de ces Barbares les Curdes, qui, ont conservé presque en entier le nom et les mœurs de leurs ancêtres, vivent indépendants sous la protection du sultan des Turcs. 3° Il est presque inutile de dire que Tiridate, ce fidèle allié de Rome, occupa le trône de ses pères. Les empereurs soutinrent et assurèrent d’une manière irrévocable leurs droits de souveraineté sur l’Arménie. Les limites de ce royaume s’étendirent jusqu’à la forteresse de Sintha dans la Médie. Une pareille augmentation de domaine était moins un acte de libéralité que de justice. Des cinq provinces au-delà du Tibre, dont nous avons déjà parlé, les Parthes avaient démembré les quatre premières de la couronne d’Arménie[77]. Les Romains, lorsqu’elles leur furent cédées, obligèrent l’usurpateur à donner l’Atropatène en dédommagement à leur allié. La ville principale de cette grande et fertile contrée fut souvent honorée de la présence du monarque arménien ; et comme cette place, dont la situation est peut-être la même que celle de Tauris, porta quelquefois le nom d’Ecbatane, Tiridate y fit construire des édifices et des fortifications sur le modèle de la superbe capitale des Mèdes[78]. 4° L’Ibérie, pays stérile, avait pour habitants des peuples grossiers et sauvages ; mais ils étaient accoutumés à l’usage des armes, et ils séparaient l’empire d’avec des Barbares plus féroces et plus formidables. Maîtres des défilés étroits du mont Caucase, les Ibériens pouvaient à leur gré admettre ou exclure les tribus errantes des Sarmates, toutes les fois qu’entraînées par l’esprit de rapine elles voulaient pénétrer dans les climats opulents du Midi [Stab., Géog., XI]. La nomination des rois d’Ibérie, que les monarques persans cédèrent aux empereurs, contribua beaucoup à la force et à la sûreté de la puissance romaine en Asie[79]. L’Orient goûta pendant quarante années les douceurs d’une tranquillité profonde ; le traité conclu entre les deux monarchies rivales fut régulièrement observé jusqu’à la mort de Tiridate. A cette époque, le gouvernement de l’univers se trouva entre les mains d’une nouvelle génération, dirigée par des intérêts opposés et par des passions différentes. Ce fut alors que le petit-fils de Narsès entreprit une guerre longue et mémorable contre les princes de la maison de Constantin.

L’empire venait d’être délivré des tyrans et des Barbares; cet ouvrage difficile avait été entièrement achevé par une succession de paysans d’Illyrie. Dès que Dioclétien fut entré dans la vingtième année de son règne, il se rendit à Rome pour y célébrer, par la pompe d’un triomphe [20 novembre 303], cette ère fameuse et le succès de ses armes[80]. Maximien, qui l’égalait en pouvoir, partagea seul la gloire de cette journée. Les deux Césars avaient combattu et remporté des victoires ; mais le mérité de leurs exploits fut attribué, selon la rigueur des anciennes maximes, à l’heureuse influence de leurs pères et de leurs empereurs[81]. Le triomphe de Dioclétien et de Maximien, moins magnifique peut-être que ceux d’Aurélien et de Probus, brillait de l’éclat d’une renommée et d’une fortune supérieures à plusieurs égards. L’Afrique et la Bretagne, le Rhin, le Danube et le Nil, fournissaient chacun leurs trophées ; mais ce qui faisait le plus bel ornement de cette fête, était une victoire remportée sur les Perses, et suivie d’une conquête importante. On portait devant le char impérial les représentations des rivières, des montagnes et des provinces. Les images[82] des femmes, des sœurs et des enfants du grand roi, formaient un spectacle nouveau, et flattaient la vanité du peuple. Une considération d’une nature moins brillante rend ce triomphe remarquable aux yeux de la postérité : c’est le dernier qu’ait jamais vu Rome., Bientôt après les empereurs cessèrent de vaincre, et Rome cessa d’être la capitale de l’empire.

Le terrain sur lequel Rome était bâtie avait été consacré par d’anciennes cérémonies et des miracles imaginaires. La présence de quelque dieu ou la mémoire de quelque héros semblait animer toutes les parties de la ville, et le sceptre de l’univers avait été promis au Capitole[83]. L’habitant de Rome sentait et reconnaissait l’empire de cette agréable illusion, qui lui venait de ses ancêtres, et qui, fortifiée par l’éducation, était en quelque sorte soutenue par l’idée qu’on avait de son utilité politique. La forme du gouvernement et le siège de l’empire semblaient inséparables, et l’on ne croyait pas pouvoir transporter l’un sans anéantir l’autre[84]. Mais la souveraineté de la capitale se perdit insensiblement dans l’étendue de la conquête. Les provinces s’élevèrent au même niveau ; et les nations vaincues acquirent le nom et les privilèges des Romains, sans adopter leurs préjugés. Cependant les gestes de l’ancienne constitution et la force de l’habitude maintinrent pendant longtemps la dignité de Rome. Les empereurs, quoique nés en Afrique ou en Illyrie, respectaient leur patrie adoptive, comme le siège de leur grandeur et comme le centre de leurs vastes domaines. La guerre exigeait souvent leur présence sur les frontières. Mais Dioclétien et Maximien furent les premiers princes qui, en temps de paix, fixèrent leur résidence ordinaire dans les provinces. Leur conduite, quel qu’en ait été le motif particulier, pouvait être justifiée par des vues spécieuses de politique. L’empereur de l’Occident tenait ordinairement sa cour à Milan, dont la situation au pied des Alpes le mettait bien plus à portée de veiller aux mouvements des Barbares de la Germanie, que s’il eût fixé son séjour à Rome. Milan eut bientôt la splendeur d’une ville impériale ; ses maisons étaient aussi nombreuses et aussi bien bâties ; le même goût et la même politesse régnaient parmi les habitants. Un cirque, un palais, un théâtre, une cour des monnaies, des bains qui portaient le nom de Maximien, leur fondateur, des portiques ornés de statues, une double enceinte de murs, tout contribuait à la beauté de la nouvelle capitale, qui ne paraissait pas éclipsée par la proximité de l’ancienne[85]. Dioclétien voulut aussi que le lieu de à résidence égalât la majesté de Rome. Il employa son loisir et les richesses de l’Orient à décorer Nicomédie, qui, placée sur les bords de l’Asie et de l’Europe, se trouvait à une distance presque égale de l’Euphrate et du Danube. En peu d’années Nicomédie s’éleva, par les soins du monarque et aux dépens du peuple, à un degré de magnificence qui semblait avoir exigé des siècles de travaux. Elle ne le cédait qu’aux villes de Rome, d’Alexandrie et d’Antioche, pour l’étendue et pour la population[86]. La vie de Dioclétien et de Maximien fût très active ; ils en passèrent la plus grande partie dans les camps ou dans des marches longues et fréquentes ; mais toutes les fois que les affaires publiques leur permettaient de prendre du repos ; ils se retiraient avec plaisir à Milan et à Nicomédie, leurs résidences favorites. Jusqu’au moment où Dioclétien célébra son triomphe dans la vingtième année de son règne, il est fort douteux qu’il ait jamais visité l’ancienne capitale de l’empire ; et même, dans cette circonstance mémorable, il n’y resta pas plus de deux mois. On croyait qu’il paraîtrait devant le sénat avec les marques de la dignité consulaire, mais, blessé de l’excessive familiarité au peuple, il quitte Rome avec précipitation treize jours avant celui où devait avoir lieu cette cérémonie[87].

Le dégoût qu’il montra pour Rome et pour le ton de liberté qui régnait, parmi ses habitants, ne fut point l’effet d’un caprice momentané ; toutes ses démarches étaient le résultat de la politique la plus artificieuse. Ce prince habile avait adopté un nouveau système d’administration, qui fut entièrement exécuté dans la suite par la famille de Constantin. Comme le sénat conservait religieusement l’image de l’ancien gouvernement, Dioclétien résolut d’enlever à cet ordre le peu de pouvoir et de considération qui lui restait. Rappelons-nous quelles furent la grandeur passagère et les espérances ambitieuses des sénateurs huit ans environ avant l’avènement de ce monarque. Tant que l’enthousiasme subsista, quelques nobles eurent l’imprudence de déployer leur zèle pour la cause de la liberté ; et, lorsque les successeurs de Probus eurent abandonné le parti de la république, ces fiers patriciens furent incapables de déguiser leur inutile ressentiment. Comme souverain de l’Italie, Maximien fut chargé d’anéantir cet esprit d’indépendance, plus incommode que dangereux. Une pareille commission convenait parfaitement au caractère  cruel de ce prince ; les plus illustres du sénat, que Dioclétien affectait toujours d’estime, furent enveloppés, par son impitoyable collègue, dans des accusations de complots imaginaires ; la possession d’une belle maison de campagne ou d’une terre bien cultivée les rendait évidemment coupables[88]. Les prétoriens, qui avaient opprimé si longtemps la majesté de Rome, commençaient à la protéger. Ces troupes hautaines, voyant que leur puissance, autrefois si formidable, leur échappait, étaient disposées à réunir leurs forces avec l’autorité du sénat. Dioclétien, par de prudentes mesures, diminua insensiblement le nombre des prétoriens, abolit leurs privilèges[89], et leur substitua deux fidèles légions d’Illyrie, qui, sous les nouveaux titres de Joviens et d’Herculiens, firent le service des gardes impériales[90]. Mais le coup le plus terrible que Dioclétien et Maximien portèrent au sénat, fut la révolution que, sans bruit et sans éclat, devait nécessairement amener leur longue absence. Tant que les empereurs résidèrent à Rome, cette assemblée, souvent opprimée, ne pouvait être négligée. Les successeurs d’Auguste avaient établi toutes les lois que leur dictait leur sagesse ou leur caprice ; mais ces lois avaient été ratifiées par la sanction du sénat, dont les délibérations et les décrets présentaient toujours l’image de l’ancienne liberté. Les sages monarques qui respectèrent les préjugés du peuple romain, avaient été en quelque sorte obligés de prendre le langage et la conduite convenables au général et au premier magistrat de la république. Dans les camps et dans les provinces ils déployèrent la dignité de souverain ; et, dès qu’ils eurent fixé leur résidence loin de la capitale, ils abandonnèrent à jamais la dissimulation qu’Auguste avait recommandée à ses successeurs. En exerçant la puissance exécutive et législative de l’État, le prince prenait l’avis de ses ministres, au lieu de consulter le grand conseil de la nation. Le nom du sénat fut cependant cité avec honneur jusqu’à la destruction totale de l’empire : ses membres jouissaient de plusieurs distinctions honorables qui flattaient leur vanité[91]. Mais on laissa respectueusement tomber dans l’oubli l’assemblée auguste qui, pendant si longtemps, avait d’abord été la source et ensuite l’instrument du pouvoir. Le sénat, n’ayant plus de liaison avec la nouvelle constitution ni avec la cour impériale, resta sur le mont Capitolin comme un monument vénérable, mais inutile, d’antiquité.

Lorsque les souverains de Rome eurent perdu de vue le sénat et leur ancienne capitale, ils oublièrent aisément l’origine et la nature du pouvoir qui leur était confié. Les emplois civils de consul, de proconsul, de censeur et de tribun, dont la réunion y avait formé l’autorité des princes, rappelaient encore au peuple une origine républicaine. Ces titres modestes disparurent[92] ; et si le souverain se fit toujours appeler, empereur ou imperator, ce mot fût pris dans un sens nouveau et plus relevé. Au lieu de signifier le général des armées romaines, il désigna le maître de l’univers. Au nom d’empereur, dont l’origine tenait aux institutions militaires on en joignit un autre qui marquait davantage l’esprit de servitude. La dénomination de seigneur ou dominus exprimait originairement, non l’autorité d’un prince sur ses sujets, ou celle d’un commandant sur ses soldats, mais le pouvoir arbitraire d’un maître sur des esclaves domestiques[93]. Considéré sous cet odieux aspect, il fut rejeté avec horreur par les premiers Césars. Leur résistance devint insensiblement plus faible et le nom moins odieux. Enfin la formule de notre seigneur et empereur fut non seulement adoptée par la flatterie, mais encore régulièrement admise dans les lois et dans les monuments publics. Ces expressions pompeuses devaient satisfaire la vanité la plus excessive ; et, si les successeurs de Dioclétien refusèrent le nom de roi,  ce fût moins l’effet de leur modération que de leur délicatesse. Parmi les peuples qui parlaient latin (et cette langue était celle du gouvernement dans tout l’empire), le titre d’empereur, particulièrement réservé aux monarques de Rome, imprimait plus de vénération que celui de roi. Ces princes auraient été forcés de partager ce dernier nom avec une foule de chefs barbares, et ils n’auraient pu le tirer que de Romulus ou de Tarquin. Mais l’Orient avait des principes bien différents. Dès les premiers âges dont l’histoire fasse mention, les souverains de l’Asie avaient été nommés en grec basileus ou roi ; et, comme cette dénomination désignait dans ces contrées le rang le plus élevé, les habitants s’en servirent bientôt dans les humbles requêtes qu’ils portaient au pied du trône romain[94]. Les attributs même ou du moins les titres de la divinité furent usurpés par Dioclétien et par Maximien, qui les transmirent aux princes chrétiens, leurs successeurs[95]. Au reste, ces expressions extravagantes perdirent leur impiété en perdant leur signification primitive. Dès qu’une fois l’oreille est accoutumée au son, un pareil langage n’excite que l’indifférence, et est reçu comme une protestation de respect aussi vague qu’exagérée.

Depuis le temps d’Auguste jusqu’au règne de Dioclétien, les Romains n’avaient eu pour leurs princes que les égards dus aux simples magistrats. L’empereur conversait familièrement avec ses concitoyens. Le manteau impérial ou robe militaire, entièrement de pourpre, était leur principale marque de distinction ; la toge des sénateurs était simplement bordée d’une large bande aussi de pourpre, et les chevaliers en portaient une plus étroite, sur leurs habits[96]. L’orgueil, ou plutôt la politique engagea Dioclétien à introduire dans sa cour, la magnificence des monarques persans[97]. Il osa ceindre le diadème, cette marque odieuse de la royauté dont les Romains avaient reproché l’usage à Caligula comme l’acte de la plus insigne folie. Le diadème était un large bandeau blanc et brodé de perles, qui entourait la tête de l’empereur. Dioclétien et ses successeurs portèrent de superbes robes d’or et de soie, et l’on ne vit qu’avec indignation leurs souliers même couverts de pierres précieuses. De nouvelles formes et de nouvelles cérémonies rendaient tous les jours plus difficile l’abord de leurs personnes sacrées. Les avenues du palais étaient sévèrement gardées par des officiers de différentes écoles (ainsi qu’on commençait à les nommer alors). Les appartements intérieurs étaient confiés à la vigilance des eunuques dont le nombre et l’influence, augmentant sans cesse, marquaient visiblement les progrès du despotisme. Lorsqu’un sujet obtenait enfin la permission de paraître en présence de l’empereur, il était obligé, quel que fût son rang, de se prosterner contre terre et d’adorer, selon la coutume des Orientaux la divinité de son seigneur et maître[98]. Dioclétien avait l’esprit éclairé avant de monter sur le trône. Dans le cours d’un long règne ce prince avait appris à se connaître, et il avait apprécié les hommes. Il est difficile de croire qu’en substituant les manières de la Perse à celles de Rome, il ait été dirigé par un motif aussi bas que la vanité. Il se flattait qu’une ostentation de splendeur et de luxe subjuguerait l’imagination de la multitude ; que le monarque serait moins exposé à la licence grossière des soldats et du peuple, tant qu’il se déroberait aux regards publics ; et que l’habitude de la soumission produirait insensiblement des sentiments de respect. Semblable à la modestie affectée d’Auguste, le faste de Dioclétien fut une représentation de théâtre. Mais, il faut l’avouer, de ces deux comédies la première renfermait plus de noblesse et de véritable grandeur que la dernière : l’une avait pour but de cacher, et l’autre de développer le pouvoir immense que les empereurs exerçaient sur leurs vastes domaines.

L’ostentation avait été le premier principe du système de Dioclétien ; la division en fût le second. Il divisa l’empire, les provinces et toutes les branches de l’administration civile et militaire. Il multiplia les roues de la machine politique ; et, si ses opérations. furent moins rapides elles devinrent plus sûres. Tous les avantages et tous les défauts que l’on a pu remarquer dans le nouveau système doivent être attribués, en grande partie, à son premier inventeur. Mais, comme ce plan d’administration fut perfectionné par degrés, et qu’il ne fut achevé que sous les princes suivants, nous examinerons l’édifice lorsque nous serons arrivés au temps où il fut entièrement fini[99]. Réservant donc pour le règne de Constantin une description plus exacte du nouvel empire, nous nous contenterons de tracer les traits principaux et caractéristiques du tableau dessiné par la main de Dioclétien. Ce prince avait associé trois collègues au pouvoir suprême. Persuadé que les talents d’un seul homme ne suffisaient pas pour défendre de si vastes domaines, il ne considéra pas seulement l’administration réunie de quatre souverains comme un expédient momentané, Dioclétien en fit une loi fondamentale de la constitution. Il décida que les deux premiers princes seraient distingués par le diadème et par le titre d’Auguste ; qu’ils choisiraient, selon les mouvements de leur affection ou de leur estime, deux collègues subordonnés qui les aideraient à supporter le poids du gouvernement, et que les Césars, élevés à leur tour à la première dignité, fourniraient une succession non interrompue d’empereurs. La monarchie fut divisée en quatre parties. Les départements honorables de l’Orient et de l’Italie jouissaient de la présence des Augustes ; la garde pénible du Rhin et du Danube était confiée aux Césars. Les quatre souverains disposaient de la force des légions ; et l’extrême difficulté de vaincre successivement quatre rivaux formidables devait intimider l’ambition d’un général entreprenant. Dans le gouvernement civil, les empereurs étaient supposés exercer en commun le pouvoir indivisible de la monarchie ; les édits signés de leurs noms avaient force de loi dans toutes les provinces, et paraissaient émanés de leurs conseils et de leur autorité. Malgré toutes ces précautions, l’on vit se dissoudre par degrés l’union politique de l’univers romain, et il s’introduisit un principe de division qui, au bout d’un petit nombre d’années, causa la séparation perpétuelle des empires d’0rient et d’Occident.

Le système de Dioclétien renfermait un autre inconvénient très essentiel, qui, même à présent, n’est pas indigne de notre attention. Un établissement plus dispendieux entraîna nécessairement une augmentation de taxes et l’oppression du peuple. Au lieu de la suite modeste d’esclaves et d’affranchis dont s’était contentée la noble simplicité d’Auguste et de Trajan, trois ou quatre cours magnifiques furent établies dans les différentes parties de l’empire, et autant de rois romains cherchèrent à se surpasser par leur somptuosité, et à éclipser le faste du monarque persan. Le nombre des magistrats, des ministres et des officiers qui remplissaient les charges de l’État, n’avait jamais été si considérable, et (si nous pouvons emprunter la vive expression d’un auteur contemporain) lorsque la proportion de ceux qui recevaient excéda la proportion de ceux qui contribuaient, les provinces furent opprimées par le poids des tributs[100]. Depuis cette époque jusqu’à là ruine de l’empire, il serait aisé de former une suite de clameurs et de plaintes ; chaque écrivain, suivant sa religion ou sa situation, choisit Dioclétien, Constantin, Valens ou Théodose, pour l’objet de ses invectives. Mais ils s’accordent tous à représenter le fardeau des impositions publiques, principalement de la capitation et de la taxe sur les terres, comme une calamité intolérable et toujours croissante, particulière au temps où ils vivent. D’après cette conformité, un historien impartial, obligé de tirer la vérité de la satire aussi bien que du panégyrique, sera disposé à distribuer le blâme entre tous ces princes ; il attribuera leurs exactions bien moins à leurs vices personnels qu’au système uniforme de leur gouvernement. A la vérité, Dioclétien est l’auteur de ce système ; mais pendant son règne le mal naissant fut contenu dans les bornes de la discrétion et de la modération, et il mérite le reproche d’avoir donné un exemple pernicieux plutôt que celui d’avoir opprimé ses sujets[101]. On peut ajouter que ses revenus furent administrés avec une prudente économie et qu’après avoir fourni à toutes les dépenses courantes, il restait toujours dans le trésor impérial des sommes considérables pour satisfaire à une sage libéralité ou aux besoins imprévus de l’État.

Ce fut la vingt et unième année de son règne que Dioclétien exécuta le projet de descendre du trône : résolution mémorable, plus conforme au caractère d’Antonin ou de Marc-Aurèle qu’à celui d’un prince qui, dans, l’acquisition et dans l’exercice du pouvoir suprême, n’avait jamais pratiqué les leçons de la philosophie. Dioclétien eut la gloire de donner le premier à l’univers un exemple[102] que les monarques imitèrent rarement dans la suite. Si pour nous Charles-Quint vient ici se présenter naturellement en parallèle, ce n’est pas seulement parce, que l’éloquence d’un historien moderne a rendu ce nom familier à tout lecteur anglais, c’est aussi un effet de la ressemblance frappante qui a existé entre le caractère de ces deux princes, dont l’habileté politique surpassa les talents militaires, et dont les qualités spécieuses furent moins l’effet de la nature que celui de l’art. L’abdication de Charles paraît avoir été déterminée par les vicissitudes de la fortune. Le chagrin de voir échouer ses projets favoris lui fit prendre le parti de résigner une puissance qu’il ne trouvait pas proportionnée à son ambition. Le règne de Dioclétien, au contraire, avait été marqué par des succès continuels. Ce ne fut qu’après avoir triomphé de tous ses ennemis, et accompli tous ses desseins, qu’il paraît s’être occupé sérieusement de quitter l’empire. Ni Charles ni Dioclétien n’avaient atteint un âge bien avancé lorsqu’ils descendirent du trône, puisque l’un n’avait encore que cinquante-cinq ans, et l’autre cinquante-neuf seulement. Mais la vie active de ces princes, leurs guerres, leurs voyages, les soins de la royauté, et leur application aux affaires avaient affaibli leur constitution ; ils ressentaient déjà les infirmités d’une vieillesse prématurée[103].

Malgré la rigueur d’un hiver pluvieux et très froid, Dioclétien quitta l’Italie fort peu de temps après la cérémonie de son triomphe. Il prit sa route par la province de l’Illyrie pour se rendre en Orient. L’inclémence de la saison et les fatigues du voyage lui causèrent bientôt une maladie de langueur. Quoiqu’il ne marchât qu’à petites journées, et qu’il fût porté dans une litière fermée, son état était devenu très alarmant, lorsqu’il arriva vers la fin de l’été à Nicomédie. Il ne sortit, point de son palais durant tout l’hiver. Le danger de ce prince inspirait un intérêt général et sincère ; mais le peuple ne pouvait juger des variations de sa santé que par la consternation ou par la joie peintes tour à tour sur le visage des courtisans. Le bruit se répandit, pendant quelque temps, qu’il avait rendu les derniers soupirs. L’opinion générale était qu’on cachait sa mort pour prévenir les troubles en l’absence du César Galère. A la fin cependant Dioclétien parut encore une fois en public le 1er mars, mais si pâle et si exténué, que ceux avec lesquels il avait vécu le plus familièrement auraient eu de la peine à le reconnaître. Il était temps de finir le combat pénible qu’il avait soutenu pendant plus d’une année pour accorder le soin de sa conservation avec les devoirs de son rang. Sa santé exigeait qu’il suspendît ses travaux ; sa dignité lui imposait la loi de veiller du sein de la maladie à l’administration d’un grand empire. Il résolut de finir ses jours dans un repos honorable, de placer sa gloire hors de la portée des traits de la fortune, et de laisser le théâtre du monde à des princes plus jeunes et plus actifs[104].

La cérémonie de son abdication eut lieu dans une grande plaine, à trois milles environ de Nicomédie, où s’étaient assemblés les soldats et le peuple. L’empereur, monté sur un tribunal élevé, leur déclara son intention dans un discours rempli de raison et de noblesse. Dès qu’il eut ôté le manteau de pourpre, il se déroba aux regards de la multitude frappée d’étonnement ; et, traversant la ville dans un chariot couvert, il prit aussitôt la route de Salone, sa patrie, qu’il avait choisie pour sa retraite. Le même jour, qui était le 1er de mai[105] [305], Maximien, comme ils en étaient convenus, résigna la dignité impériale dans la ville de Milan. C’était au milieu de son triomphe que Dioclétien avait formé le projet d’abdiquer le gouvernement. Voulant dès lors s’assurer de l’obéissance de Maximien, il en avait exigé une assurance générale qu’il soumettrait toutes ses actions à l’autorité de son bienfaiteur, ou une promesse particulière qu’il descendrait du trône au premier signal, et lorsqu’on lui en donnerait l’exemple. Un pareil engagement, quoique confirmé par un serment solennel devant l’autel de Jupiter Capitolin[106], n’aurait point eu assez de force pour contenir le caractère violent d’un prince dont la passion était l’amour du pouvoir, et qui n’ambitionnait ni le repos pour la fin de sa vie, ni la gloire après sa mort; mais il céda quoique avec répugnance, à l’ascendant qu’avait pris sur lui un collègue plus sage ; et il se retira immédiatement après son abdication, dans une maison de campagne en Lucanie, où il était presque impossible à cet esprit turbulent de trouver aucune tranquillité durable.

Dioclétien, qui de l’esclavage était monté sur le trône, passa les neuf dernières années de sa vie dans une condition privée. La raison lui avait conseillé de renoncer aux grandeurs ; le contentement semble l’avoir accompagné dans sa retraite. Il s’attira jusqu’au dernier moment la vénération des princes entre les mains desquels il avait remis le sceptre de l’univers[107]. Il est rare qu’un homme chargé pendant longtemps de la direction des affaires publiques se soit formé l’habitude de converser avec lui-même. Lorsqu’il a perdu le pouvoir, son malheur principal est le défaut d’occupation. La dévotion et les lettres, qui offrent tant de ressources dans la solitude, ne pouvaient fixer l’attention de Dioclétien ; mais il avait conservé, ou du moins il reprit bientôt du goût pour les plaisirs les plus purs et les plus naturels. Il passait son temps à bâtir, à planter, et cultiver son jardin ; ces amusements innocents occupaient suffisamment son loisir. On a justement vanté sa réponse à Maximien. Ce vieillard inquiet le sollicitait de reprendre la pourpre impériale et les rênes du gouvernement. Dioclétien rejeta cette proposition avec un sourire de pitié, en disant que s’il pouvait montrer à Maximien les beaux choux qu’il avait plantés de ses mains à Salone, celui-ci ne le presserait plus d’abandonner la jouissance du bonheur pour courir après le pouvoir[108]. Dans ses entretiens familiers, il avouait fréquemment que de tous les arts, le plus difficile est celui de régner ; et il avait coutume de s’exprimer sur ce sujet avec une chaleur que l’expérience seule peut donner. Qu’il arrive souvent, disait-il, que l’intérêt de quatre ou cinq ministres les porte à se concerter, pour tromper leur maître ! Séparé du génie humain par son rang élevé, la vérité ne peut trouver accès auprès de lui. Il est réduit à voir par les yeux de ses courtisans ; rien n’arrive jusqu’à lui que défiguré par eux. Le souverain confère les dignités les plus importantes au vice et à la faiblesse ; il écarte le talent et la vertu. C’est par ces indignes moyens, ajoutait-il, que les princes les meilleurs et les plus sages sont vendus à la corruption vénale de leurs flatteurs[109]. Une juste appréciation des grandeurs et l’assurance d’une réputation immortelle nous rendent plus chers les plaisirs de la solitude ; mais l’empereur roman avait joué sur la scène du monde un rôle trop important, pour qu’il lui fut possible de goûter sans mélange les douceurs et la sécurité d’une condition privée. Il ne pouvait ignorer les troubles qui déchirèrent l’empire après son abdication, ni rester indifférent sur leurs tristes conséquences. La crainte, le chagrin et l’inquiétude, le poursuivirent quelquefois dans sa retraite. Les malheurs de sa femme et de sa fille blessèrent cruellement sa tendresse, ou du moins son orgueil. Enfin, des affronts que Constantin et Licinius auraient dû épargner au père de tant d’empereurs, au premier auteur de leur fortune, répandirent l’amertume sur les derniers moments de Dioclétien. On a prétendu, quoique sans aucune preuve certaine, qu’il se déroba prudemment à leur pouvoir par une mort volontaire[110].

Avant de perdre entièrement de vue le tableau de la vie et du caractère de ce prince jetons nos regards sur le lieu de sa retraite. Salone, capitale de la Dalmatie, son pays natal, était, selon la mesuré des grands chemins de l’empire, à deux cents milles romains d’Aquilée et des confins d’Italie, et à deux cent soixante-dix environ de Sirmium résidence ordinaire des empereurs lorsqu’ils visitaient la frontière d’Illyrie[111]. C’est un misérable village qui porte aujourd’hui le nom de Salone ; mais encore dans le seizième siècle les restes d’un théâtre et des débris d’arches rompues et de colonnes de marbre attestaient son ancienne splendeur[112]. Ce fut à six ou sept milles de la ville que Dioclétien construisit un palais magnifique. La grandeur de l’ouvrage doit nous faire juger combien il avait médité longtemps le projet d’abdiquer l’empire. L’attachement de ce prince pour sa patrie n’était pas nécessaire pour le déterminer au choix d’un séjour où se trouvait réuni tout ce qui servait au luxe et à la santé. Le sol est sec et fertile ; l’air pur et salubre. Quoique extrêmement chaud pendant l’été, le pays éprouve rarement ces vapeurs étouffantes et nuisibles que les vents amènent sur la côte de l’Istrie et dans quelques parties de l’Italie. Les superbes vues du palais ne contribuent pas moins que la beauté du climat à rendre ce séjour agréable. Du côté de l’occident on découvre le fertile rivage qui s’étend le long du golfe Adriatique. Les petites îles dont cette partie de la mer est parsemée, lui donnent l’air d’un grand lac. Au nord du bâtiment est située la baie qui menait à l’ancienne ville de Salone. La contée que l’on aperçoit au-delà, forme un heureux contraste avec cette immense perspective qui s’ouvre à l’orient et au midi sur les eaux de la mer Adriatique. La vue est terminée vers le nord par de hautes montagnes placées à une distance avantageuse, et couvertes en quelques endroits de vignes, de bois et de villages[113].

Quoique Constantin, par un motif facile à pénétrer, ait affecté de mépriser le palais de Dioclétien[114], cependant un de ses successeurs qui n’a pu le voir que dans un état de décadence, en parle avec la plus grande admiration[115]. Ce palais renfermait un espace de neuf à dix acres anglaises. Il était de forme quadrangulaire et flanqué de seize tours. Deux des côtés avaient prés de six cents pieds de longueur, et les deux autres environ sept cents. Tout l’édifice avait été construit en pierres de taille tirées des carrières voisines de Trau ou Tragutium, et presque aussi belles que le marbre. Quatre rues, qui se coupaient à angles droits, divisaient les différentes parties de ce vaste bâtiment. L’appartement principal s’annonçait par une entrée magnifique, que l’on appelle encore la porte dorée. Le vestibule menait à un péristyle de colonnes de granit, où l’on voyait d’un côté le temple carré d’Esculape, et de l’autre le temple octogone de Jupiter. Dioclétien adorait le dernier de ces dieux comme l’auteur de sa fortune, et le premier comme le protecteur de sa santé. En comparant les restes de ce palais avec les préceptes de Vitruve, il paraît que les différentes parties de l’édifice, les bains, la chambre à coucher, le vestibule, la basilique, les salles cyzicène, égyptienne et corinthienne, ont été décrites avec précision, ou du moins d’une manière vraisemblable. Les formes de ces édifices étaient variées, les proportions justes ; mais il existait dans leur construction particulière deux défauts qui choquent singulièrement nos idées de goût et de convenance. Ces salles magnifiques n’avaient ni fenêtres ni cheminées. Elles recevaient le jour d’en haut (car le bâtiment semble n’avoir eu qu’un étage), et des tuyaux placés le long des murs servaient à les échauffer. Les principaux appartements étaient garantis du côté du sud-ouest par un portique long de cinq cent dix-sept pieds et qui devait former une superbe promenade, lorsque les beautés de la vue se trouvaient jointes à celles de la peinture et de la sculpture.

Si ce magnifique édifice eût été construit dans un pays solitaire, il aurait été exposé au ravage du temps ; mais peut-être aurait-il échappé à l’industrie destructive de l’homme. Ses débris ont servi à bâtir le village d’Aspalathe[116] et, longtemps après, la ville de Spalatro. La porte dorée conduit maintenant dans le marché public. Saint Jean-Baptiste a usurpé les honneurs d’Esculape, et le temple de Jupiter est converti en église cathédrale, sous l’invocation de la Vierge. Nous sommes principalement redevables de la  description du palais de Dioclétien à un artiste anglais de notre siècle, qu’une curiosité bien louable a transporté dans le cœur, de la Dalmatie[117]. Cependant nous nous avons lieu de croire que l’élégance de ses dessins et de ses gravures a un peu flatté les objets qu’il avait intention de représenter. Un voyageur plus moderne et très judicieux nous assure que les ruines majestueuses de Spalatro n’attestent pas moins la décadence des arts que la grandeur romaine sous le règne de Dioclétien[118]. Si l’architecture éprouvait ces symptômes de décadence, nous devons naturellement imaginer que la peinture et la sculpture se ressentaient encore plus de la corruption du siècle. L’architecture est subordonnée à quelques règles générales et même mécaniques ; la sculpture et la peinture surtout se proposent d’imiter non seulement les formes de la nature, mais encore les caractères et les passions de l’esprit humain. Dans ces arts sublimes, la dextérité de la main ne suffit pas ; il faut que l’imagination anime l’artiste, et que son pinceau soit guidé par le goût le plus correct et par l’observation la plus exacte.

Il est presque inutile de remarquer que les discordes civiles de l’empire, la licence des soldats, les incursions des Barbares, et les progrès du despotisme, avaient été funestes au génie et même au savoir. Les paysans d’Illyrie qui montèrent successivement sur le trône, rétablirent la monarchie sans rétablir les sciences. Leur éducation militaire ne tendait pas à leur inspirer l’amour des lettres. L’esprit même de ce Dioclétien, si actif, si propre aux affaires, n’avait point été cultivé par l’étude ni par la méditation. L’usage de la jurisprudence et de la médecine est si universel, l’exercice de ces professions est si avantageux, qu’elles seront toujours embrassées par un nombre suffisant, de personnes assez instruites et douées de quelques talents. Mais cette période paraît voir produit dans ces deux arts aucun maître célèbre dont les ouvrages méritent d’être étudiés. La poésie ne faisait plus entendre sa voix ; l’histoire était réduite à des abrégés secs et informes également dénués d’agréments et d’instruction. L’éloquence, sans force à vouer à l’affectation, était d’ailleurs vendue aux empereurs, dont la munificence n’encourageait que les arts qui pouvaient satisfaire leur orgueil, ou servir à la défense de leur autorité[119].

Ce siècle, si funeste aux sciences, est cependant marqué par l’élévation et par les progrès rapides des nouveaux platoniciens. L’école d’Alexandrie imposa silence à celle d’Athènes. Les anciennes sectes s’enrôlèrent sous les étendards de quelques enthousiastes, dont les opinions étaient plus goûtées, et qui appuyaient leur système par une nouvelle méthode et par l’austérité de leurs mœurs. Plusieurs de ces philosophes, Ammonius, Plotin, Amelius et Porphyre[120], étaient des hommes singulièrement appliqués, et absorbés dans de profondes méditations. Mais comme ils ne connurent point le véritable objet de la philosophie, leurs travaux servirent bien moins à perfectionner qu’à corrompre l’esprit humain. Ils négligèrent la morale, les mathématiques et l’étude de la nature, les connaissances qui conviennent le mieux à notre situation et à nos facultés. Les nouveaux platoniciens s’épuisaient en disputes de mots sur la métaphysique. Occupés à découvrir les secrets du monde invisible, ils s’appliquaient à concilier Platon avec Aristote sur des matières. aussi peu connues. de ces philosophes que du reste des mortels; et, tandis qu’ils consumaient leur raison dans des méditations profondes, mais illusoires, leur esprit demeurait exposé à toutes les chimères de l’imagination. Ils prétendaient posséder l’art de dégager l’âme de sa prison corporelle ; ils se vantaient d’avoir un commerce familier avec les esprits et avec les démons ; et, par une révolution bien étrange, l’étude de la philosophie était devenue l’étude de la magie. Les anciens sages avaient méprisé la superstition du peuple : après en avoir déguisé l’extravagance sous le voile léger de l’allégorie, les disciples de Plotin et de Porphyre s’en montrèrent les plus zélés défenseurs. Comme ils s’accordaient avec les chrétiens sur quelques points mystérieux de la foi, ils attaquèrent les autres parties de leur système théologique avec toute la fureur des guerres civiles. Les nouveaux platoniciens méritent à peine d’occuper une place dans l’histoire des sciences ; mais on les voit très souvent paraître dans celle de l’Église.

 

 

 



[1] Eutrope, IX, 19 ; Victor, in Epit. La ville paraît avoir été nommée Doclia, d’une petite tribu d’Illyriens. Voyez Cellarius, Géogr. anc., t. I, p. 393. Le premier nom de l’heureux esclave fut probablement Doclès ; il l’allongea ensuite pour lui donner un son convenable à l’harmonie grecque, et il s’appela Dioclès ; enfin il en fit Diocletianus (Dioclétien), qui répondait mieux à la majesté romaine. Il prit le nom patricien de Valerius, et c’est ainsi qu’Aurelius-Victor à coutume de le désigner.

[2] Voyez Dacier, sur la VIe satire du IIe livre d’Horace ; Cornélius Nepos, Vie d’Eumène, c. I.

[3] Lactance (ou l’auteur, quel qu’il soit, du petit traité de Mortibus persceutorum) accuse en deux endroits Dioclétien de timidité. Dans le chapitre 9, il dit de lui : Erat in omni tumultu meticulosus et animi disjectus.

[4] Dans cet éloge, Aurelius-Victor paraît censurer avec raison, quoique d’une manière indirecte, la cruauté de Constance. On voit, par les Fastes, qu’Aristobule demeura préfet de la ville, et qu’il finit avec Dioclétien le consulat qu’il avait commencer avec Carin.

[5] Aurelius-Victor appelle Dioclétien parentem potius quàm dominum. Voyez Hist. Auguste, p. 30.

[6] Les critiques modernes ne s’accordent pas sur le temps où Maximien reçut les honneurs de César et d’Auguste, et cette question a donné lieu à un grand nombre de savantes querelles. J’ai suivi M. de Tillemont (Hist. des Empereurs, tome IV, p. 500-505), qui a pesé les difficultés et les différentes raisons avec l’exactitude scrupuleuse qui lui est propre.

[7] Dans un discours, prononcé devant lui (Paneg. vet., II, 8), Mamertin doute si son héros, en imitant la conduite d’Annibal et de Scipion, a jamais entendu prononcer leurs noms ; d’où nous pouvons conclure que Maximien ambitionnait plus la réputation de soldat que celle d’homme lettré. C’est ainsi que l’on peut souvent tirer la vérité du langage même de la flatterie.

[8] Lactance, de Mort. persecut., c. 8 ; Aurelius-Victor. Comme parmi les panégyriques nous trouvons des discours prononcés à la louange de Maximien et d’autres qui flattent ses adversaires à ses dépens, ce contraste sert à nous donner quelque connaissance du caractère de ce prince.

[9] Voyez le second et le troisième panégyriques, et particulièrement III, 3, 10, 14 ; mais il serait ennuyeux de copier les expressions diffuses et affectées de cette fausse éloquence. Au sujet des titres, voyez Aurelius-Victor ; Lactance, de Mort. persec., c. 52 ; Spanheim, de Usu numismatum, etc., dissert. XII, 8.

[10] Aurelius-Victor ; Victor, in Epit. ; Eutrope, IX, 22 ; Lactance, de Mort. persec., c. 8 ; saint Jérôme, in Chron.

[11] C’est seulement parmi les Grecs modernes que M. de Tillemont a découvert ce surnom de Chlore : le moindre degré remarquable de pâleur semble ne pouvoir s’allier avec la rougeur dont il est question dans les Panégyriques, V, 19.

[12] Julien, petit-fils de Constance, se glorifie de tirer son origine des belliqueux Mœsiens. Misopogon, p. 348. Les Dardaniens habitaient sur la lisière de la Mœsie.

[13] Galère épousa Valérie, fille de Dioclétien. Pour parler avec exactitude, Théodora, femme de Constance, était fille seulement de la femme de Maximien. Spanheim, Dissert. XI, 2.

[14] Cette division s’accorde avec celle des quatre préfectures : il y a cependant quelque raison de douter si l’Espagne n’était pas une des provinces de Maximien. Voyez Tillemont, tome IV, p. 517.

[15] Julien, in Cœsarib., p. 315. Notes de Spanheim à la traduction française, p. 122.

[16] Le nom général de Bagaudes, pour signifier rebelles, fut employé en Gaule jusque dans le cinquième siècle. Quelques-uns le tirent du mot celtique Bagad, assemblée tumultueuse. Scaliger, ad Euseb. ; Ducange, Glossaire.

[17] Chronique de Froissard, t. I, c. 182 ; II, 73-79. La naïveté de cette histoire se perd dans nos meilleurs ouvrages modernes.

[18] César, de Bell. gall., VI, 13. Orgetorix, de la nation helvétienne, pouvait armer pour sa défense un corps de dix mille esclaves.

[19] Eumène convient de leur oppression et de leur misère (Panegyr., VI, 8). Gallias efferatas injurüs.

[20] Panegyr. vet., II, 4 ; Aurelius-Victor.

[21] Ælianus et Amandus. Nous avons les médailles qu’ils ont fait frapper. Goltzius, in Thes. R. A., p. 117, 121.

[22] Ce fait n’est appuyé que sur une faible autorité, une Vie de saint Babolin, qui est probablement du septième siècle. Voyez Duchesne, Scriptores rer. Francicar., t. I, p. 662.

[23] Aurelius-Victor les appelle Germains, Eutrope (IX, 21) leur donne le nom de Saxons ; mais Eutrope vivait dans le siècle suivant, et paraît avoir employé le langage de son temps.

[24] Les Ménapiens habitaient entre l’Escaut et la Meuse, dans la partie septentrionale du Brabant. D’Anville, Géogr. anc., t. I, p. 93 (Note de l’Éditeur).

[25] Les trois expressions d’Eutrope, d’Aurelius-Victor et d’Eumène, vilissime natus, Bataviœ alamnus, Menapiœ civis, nous font connaître d’une manière fort incertaine la naissance de Carausius. Le docteur Stukely cependant (Hist. de Carausius, p. 62) prétend qu’il était né à Saint-David , et qu’il était prince du sang royal de Bretagne. Il en a trouvé la première idée dans Richard de Cirencester, p. 44.

[26] La Bretagne alors était tranquille, et faiblement gardée. Panegyr., V, 12.

[27] Panegyr. vet., V, II, VII, 9. Eumène voudrait élever la gloire du héros (Constance), en vantant l’importance de la conquête. Malgré notre louable partialité pour notre pays natal, il est difficile de concevoir qu’au commencement du quatrième siècle, l’Angleterre méritât tous ces éloges ; un siècle et demi avant cette époque, les revenus de cette île avaient à peine suffi pour l’entretien des troupes qui y étaient en garnison. Voyez Appien, in Proœm.

[28] Comme il nous est parvenir un grand nombre de médailles frappées par Carausius, cet usurpateur est devenu l’objet favori de la curiosité des antiquaires ; les moindres particularités de sa vie et de ses actions ont été recherchées avec le soin le plus exact. Le docteur Stukely, en particulier, a consacré un volume considérable à l’histoire de l’empereur breton. J’ai fait usage de ses matériaux, et j’ai rejeté la plupart de ses conjectures imaginaires.

[29] Lorsque Mamertin prononça son premier panégyrique, les préparatifs de Maximien pour son expédition navale étaient achevés, et l’orateur annonçait une victoire certaine ; son silence, dans le second panégyrique, aurait pu seul nous apprendre que l’expédition n’avait pas réussi.

[30] Aurelius-Victor, Eutrope et les médailles (Pax augg.) nous font connaître cette réconciliation momentanée ; mais je ne me hasarderai pas à rapporter textuellement les articles du traité, comme l’a fait le docteur Stukely, dans son Histoire numismatique de Carausius, p. 86, etc.

[31] Au sujet de la soumission de la Bretagne, Aurelius-Victor et Eutrope nous fournissent quelques lumières.

[32] Jean Malala, Chron. Antioche, t. V, p. 408-409.

[33] Zozime, I, p. 3. Cet historien partial semble célébrer la vigilance de Dioclétien, dans la vue de mettre au jour la négligence de Constantin. Voici cependant les expressions d’un orateur : Nam quid ego alarum et cohortium castra percenseam ; toto Rheni, et Istri, et Euphratis limite restituta ? Paneg. vet., IV, 18.

[34] Ruunt omnes in sanguinem suum populi, quibus non contigit esse Romanis, obstinatœque feritates pœnas nunc sponte persolvunt. Panegyr. vet., III, 16. Mamertin appuie ce fait de l’exemple de presque toutes les nations du monde.

[35] Il se plaint, quoique avec peu d’exactitude, jam fluxisse annos quindecim in quibus in Illyrico, ad ripam Danubii relegatus, cum gentibus barbaris luctaret. Lactance, de Morte persecut., c. 18.

[36] Dans le texte grec d’Eusèbe, on lit six mille ; j’ai préféré ce nombre à celui de soixante mille, qui se trouve dans saint Jérôme, Orose, Eutrope et son traducteur grec Pæan.

[37] Les Sarmates avaient dans le voisinage de Trèves un établissement que ces Barbares fainéants paraissent avoir abandonné : Ausone en parle dans son poème sur la Moselle.

Unde iter ingrediens nemorosa per avia solum,

Et nulla humani spectans vestigia cultus.

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Arvâque Sauromatum nuper metala colonis.

Il y avait une ville de Carpiens dans la Basse Mœsie.

[38] Voyez les félicitations d’Eumène, écrites en style de rhéteur. Panegyr., VII, 9.

[39] Scaliger (animad. ad Eusèbe, p. 243) décide, à sa manière ordinaire, que les quinque geritiani, ou cinq nations africaines, étaient les cinq grandes villes, la pentapole de la faible province de Cyrène.

[40] Après sa défaite, Julien se perça d’un poignard, et se jeta aussitôt dans les flammes. Victor, in Epit.

[41] Voyez la description d’Alexandrie, dans Hirtius, de Bell. Alex., c. 5.

[42] Eutrope, IX, 24 ; Orose, VII, 25 ; Jean Malala , in Chron. ant., p. 409-410. Cependant Eumène nous assure que l’Égypte fut pacifiée par la clémence de Dioclétien.

[43] Eusèbe (in Chron.) place leur destruction quelques années plus tôt, et dans un temps où l’Égypte elle-même était révoltée contre les Romains.

[44] Strabon, XVII, p. 1, 172 ; Pomponius Mela, I, c. 4. Ses mots sont curieux : Intra, si credere libet, vix homines, magisque semiferi ; Ægipanes, et Blemmyes, et Satyri.

[45] Voyez Procope, de Bell. pers., I, c. 19.

[46] Il fixa la distribution de blé faite au peuplé d’Alexandrie à deux millions de medimni, environ trois millions deux cent mille boisseaux. Chronicon Paschale, p. 276 ; Procope, Hist. arcan., c. 26.

[47] Jean d’Antioche, in Excerp. ; Val., p. 834 ; Suidas, dans Dioclétien.

[48] Voyez une petite histoire et une réfutation de l’alchimie dans les ouvrages du compilateur philosophe La Mothe-le-Vayer, t. I, p. 327-353.

[49] Voyez l’éducation et la force de Tiridate, dans l’Histoire d’Arménie, de Moïse de Chorène, II, c. 76. Il pouvait saisir deux taureaux sauvages par les cornes, qu’il cassait de ses mains.

[50] Si nous nous en rapportions à Victor le jeune, Licinius, qui, selon lui était seulement âgé de soixante ans en 323, pourrait à peine être la même personne que le protecteur de Tiridate ; mais une meilleure autorité (Eusèbe, Hist. ecclés., X, c. 8) nous apprend que Licinius avait alors atteint le dernier période de la vieillesse : seize ans avant, il est représenté avec des cheveux gris, et comme contemporain de Galère. Voyez Lactance, c. 32. Licinius était né probablement vers l’année 250.

[51] Voyez Dion Cassius, LXII et LXIII.

[52] Moïse de Chorène, Hist. d’Arménie, II, c. 74. Les statues avaient été érigées par Valarsaces, qui régnait en Arménie environ cent trente ans avant Jésus-Christ. Il fut le premier roi de la famille d’Arsaces. Voyez Moïse, Hist. d’Arménie, II, 2-3. Justin (XLI, 5) et Ammien Marcellin (XXIII) ont parlé de la déification des Arsacides.

[53] La noblesse d’Arménie était nombreuse et puissante Moïse parle de plusieurs familles qui se distinguèrent sous le règne de Valarsaces, II, 7, et qui subsistaient encore de son temps, vers le milieu du cinquième siècle. Voyez la préface de ses éditeurs.

[54] Elle s’appelait Chosroiduchta, et elle n’avait point l’os patulum comme les autres femmes (Hist. d’Arménie, II, c. 79) Je n’entends pas cette expression.

Os patulum signifie tout simplement une bouche grande et largement ouverte. Ovide (Métamorphoses, XV, v. 513) dit, en parlant du monstre qui attaqua Hippolyte :

… Patulo partem maris evomit ore.

Probablement qu’une grande bouche était un défaut commun chez les Arméniennes (Note de l’Éditeur).

[55] Dans l’Histoire d’Arménie (II, 78) aussi bien que dans la Géographie (p. 367) ; la Chine est appelée Zenia ou Zenastan. Ce pays est caractérisé par la production de la soie, par l’opulence de ses habitants, et par leur amour pour la paix, en quoi ils surpassent toutes les autres nations de la terre.

[56] Vou-ti, le premier empereur de la septième dynastie, qui régnait alors en Chine, avait des relations politiques avec Fergana, province de la Sogdiane, et l’on prétend qu’il reçut une ambassade romaine (Hist. des Huns, t. I, p. 38). Dans ce temps, les Chinois avaient une garnison à Kasgar ; et sous Trajan, un de leurs généraux s’avança jusqu’à la mer Caspienne. Au sujet des liaisons de la  Chine avec les contrées occidentales, on peut voir un mémoire très curieux de M. de Guignes, dans l’Acad. des Inscript., t. XXXII, p. 355.

[57] Panegyr. vet., III, 1. Les Saces étaient une nation de Scythes vagabonds qui campaient vers les sources de l’Oxus et du Jaxartes. Les Gelli étaient les habitants du Ghilan, le long de la mer Caspienne. Ce furent eux qui, sous le nom de Dilemites, infestèrent si longtemps la monarchie persane. Voyez d’Herbelot, Bibl. orient.

[58] Moïse de Chorène passe sous silence cette seconde révolution, que j’ai été obligé de tirer d’un passage d’Ammien Marcellin (XXIII, 5). Lactance parle de l’ambition de Narsès, de Mortibus persecutorum, c. 9.

[59] Nous pouvons croire, sans difficulté que Lactance attribue à la timidité la conduite de Dioclétien. Julien, dans son discours dit, que ce prince resta avec toutes les forces de l’empire expression très hyperbolique.

[60] Nos cinq abréviateurs, Eutrope, Festus, les deux Victor et Orose, rapportent tous cette dernière et grande bataille ; mais Orose est le seul qui parle des deux premières.

[61] On voit une belle description de la nature du pays dans Plutarque, Vie de Crassus, et dans Xénophon, au premier livre de la Retraite des dix mille.

[62] Voyez la dissertation de Forster, dans le second volume de la traduction de la Retraite des dix mille, par Spelman, que je crois pouvoir recommander comme une des meilleures versions qui existent.

[63] Hist. d’Arménie, II, c. 76. Au lieu de rapporter cet exploit de Tiridate à une défaite imaginaire, je l’ai transféré à la défaite réelle de Galère.

[64] Ammien Marcellin, XIV. Entre les mains d’Eutrope (IX, 24), de Festus (c. 25), et d’Orose (VII, 25), le mille s’augmente aisément jusqu’au nombre de plusieurs milles.

[65] Aurelius-Victor ;  Jornandès, de Reb. geticis, c. 21.

[66] Aurelius-Victor dit : Per Armeniam in hostes contendit, quœ ferme sola, seu facilior vincendi via est. Galère suivit la conduite de Trajan et l’idée de Jules César.

[67] Xénophon, Retraite des dix mille, III. C’est pour cette raison que la cavalerie persane campait à soixante stades de l’ennemi.

[68] Ce trait est rapporté par Ammien, XII. Au lieu de saccum, quelques-uns lisent scutum.

[69] Les Perses avouèrent la supériorité des Romains dans la morale aussi bien que dans les armes (Eutrope, IX,  24). Mais ces expressions du respect et de la gratitude d’un ennemi se trouvent rarement dans sa propre relation.

[70] Le détail de cette négociation est tiré des fragments de Pierre Patrice, dans les Excerpta legationum, publiés dans la collection byzantine. Pierre vivait sous Justinien, mais il est évident, par la nature de ses matériaux, qu’ils sont pris des écrivains les plus authentiques et les plus respectables.

[71] Il avait été gouverneur du Sumium, (Pierre Patrice, Excerpta leg., p. 30). Cette province, dont il paraît que Moïse de Chorène a fait mention (Géogr., p. 360), était située à l’orient du mont Ararat.

[72] Par une erreur du géographe Ptolémée, la position de Singara est transportée de l’Aboras au Tigre ; ce qui a peut-être occasionné la méprise de Pierre Patrice, qui assigne la dernière rivière comme la limite de l’empire, au lieu de la première. La ligne de la frontière romaine traversait le cours du Tigre, mais elle ne le suivit jamais.

[73] Il y a ici plusieurs erreurs. Gibbon a confondu les fleuves et les villes qu’ils arrosent. L’Aboras, ou plutôt le Chaboras, l’Araxe de Xénophon, prend sa source au-dessus du Ras-Aïn ou Re-Saina (Theodosiopolis), environ à 27 lieues du Tigre ; il reçoit les eaux du Mygdonius ou Saocoras à 33 lieues environ au-dessous de Nisibis, à un bourg appelé aujourd’hui Al-Nahraïm et il ne passe point sous les murs de Singara ; c’est le Saocoras qui arrose cette ville : ce dernier fleuve prend sa source près de Nisibis, à 5 lieues du Tigre. Voyez d’Anville, l’Euphrate et le Tigre, p. 46, 49, 50 et la carte.

A l’orient du Tigre se trouve un autre fleuve moins considérable, nommé aussi le Chaboras, et que d’Anville appelle le Centrites, Khabour, Nicephorius, sans citer les autorités d’après lesquelles il lui donne ces noms. Gibbon a pu vouloir parler de ce dernier fleuve, qui ne passe point à Singara, et ne tombe point dans l’Euphrate. Voyez Michaëlis, Supplem. ad .lexica hebraïca, 3e part., p. 664 et 665 (Note de l’Éditeur).

[74] Procope, de Ædificiis, II, c. 6.

[75] Tous les auteurs conviennent que la Zabdicène, l’Arzanène et la Carduène, furent au nombre des provinces cédées ; mais au lieu des deux autres, Pierre (Excerpta leg., p. 30) ajoute la Rehimène et la Sophène. J’ai préféré Ammien (XXV, 7), parce qu’on peut prouver que la Sophène ne fut jamais entre les mains des Perses avant le règne de Dioclétien, ni après celui de Jovien. Le défaut de cartes exactes, telles que celles de M. d’Anville, a fait supposer à presque tous les modernes, Tillemont et Valois à leur tête, que les cinq provinces étaient situées au-delà du Tigre par rapport à la Perse, et non par rapport à l’empire romain.

[76] Xénophon, Retraite des dix mille, IV. Leurs arcs avaient trois coudées de long, leurs flèches deux. Ils faisaient rouler des hauteurs des pierres dont chacune aurait pu faire la charge d’un chariot. Les Grecs trouvèrent un grand nombre de villages dans cette contrée barbare.

[77] Selon Eutrope (VI, 9, tel que le porte le texte des meilleurs manuscrits), la ville de Tigranocerte était dans l’Arzanène. On pourrait retrouver, quoique assez imparfaitement, le nom et la position des trois autres.

[78] Comparez Hérodote, I, c. 9, avec Moise de Chorène, Hist. d’Arménie, II, c. 84, et la carte d’Arménie donnée par ses éditeurs.

[79] Pierre Patrice (Excerpta leg., p. 30) est le seul écrivain qui parle de l’article du traité concernant l’Ibérie.

[80] Eusèbe, in Chron. ; Pagi, ad annum. Jusqu’à la découverte du traité de Mort. pers., il n’était pas certain que le triomphe et les vicennales eussent été célébrés en même temps.

[81] Durant le temps des vicennales, Galère paraît avoir gardé son poste sur le Danube. Voyez Lactance, de Mort. pers., c. 38.

[82] Eutrope (IX, 27) parle de cette famille comme si elle eût fait partie du triomphe ; mais les personnes avaient été rendues à Narsès ; on ne pouvait donc exposer que leurs images.

[83] On voit dans Tite-Live (V, 51-55) un discours de Camille, rempli d’éloquence et de sensibilité, que ce grand homme prononça pour s’opposer au projet de transporter à Véies le siège du gouvernement.

[84] On reproche à Jules César d’avoir voulu transférer l’empire dans la ville d’Ilium ou dans celle d’Alexandrie. Selon la conjecture ingénieuse de Le Fèvre et de Dacier, la troisième ode du troisième livre d’Horace a été composée pour  détourner Auguste de l’exécution d’un semblable dessein.

[85] Voyez Aurelius-Victor, qui parle aussi des bâtiments élevés par Maximien à Carthage, probablement durant la guerre des Maures. Nous rapporterons quelques vers d’Ausone, de clar. Urb., V.

Et Mediolani mira omnia : copia rerum,

Innumerœ cultœgue domus ; facunda virorum

Ingenia, et mores lœti, tum duplice muro.

Amplificata loci species ; populique voluptas

Circus ; et, inclusi moles cuneata theatri

Templa, palatinœque arces, opulensque rnoneta,

Et regio Herculei celebris sub honore lavacri.

Cunctaque marmoreis ornata peristyla signis ;

Mœniaque in valli formam circumdata labro,

Omnta quœ magnis operum velut œmula formis

Excellunt : nec juncta premit vicinia Romœ.

[86] Lactance, de Mort. pers., c. 17 ; Libanius, orat., VIII, p. 203.

[87] Lactance, de Mort. pers., c. 17. Ammien Marcellin dit, dans une occasion semblable, que dicacitas plebis n’est pas fort agréable à une oreille impériale. Voyez XVI, c. 10.

[88] Lactance accuse Maximien d’avoir détruit fictis criminationibus lumina senatûs (de Mort. pers., c. 8). Aurelius-Victor parle d’une manière très douteuse de la bonne foi de Dioclétien envers ses amis.

[89] Truncatœ vires urbis, imminuto prœtoriarum cohortium atque in armis vulgi numero (Aurelius-Victor). Selon Lactance (c. 26), ce fut Galère qui poursuivit le même plan.

[90] C’étaient de vieilles troupes campées en Illyrie ; et, selon l’ancien établissement, chaque corps consistait en six mille hommes., Ils avaient acquis beaucoup de réputation par l’usage des plumbatœ ou dards chargés de plomb. Chaque soldat en portait cinq, qu’il lançait à une distance considérable avec autant de force que d’adresse. Voyez Vegèce, I, 17.

[91] Voyez le Code Théodosien, VI, tit. II, avec le commentaire de Godefroi.

[92] Voyez la XIIe dissertation dans l’excellent, ouvrage de Spanheim, de Usu num. A l’aide des médailles, des inscriptions et des historiens, il examine chaque titre séparément, et il le suit depuis Auguste jusqu’au moment où il disparaît.

[93] Pline (Panégyr., 55, etc.) parle avec horreur de dominus, comme synonyme de tyran, et comme opposé à prince ; et le même Pline donne régulièrement ce titre (dans le dixième livre de ses Lettres) au vertueux Trajan, son ami plutôt que son maître. Cette étrange expression embarrasse les commentateurs qui savent penser, et les traducteurs qui savent écrire.

[94] Synesius, de Regno, édit. de Pétau, p. 15. Je dois cette citation à l’abbé de La Bletterie.

[95] Voyez Van-Dale, de Consecratione, p. 354, etc. Les empereurs avaient coutume de faire mention, dans le préambule des lois, de leur divinité, sacrée majesté, divins oracles, etc. Selon M. de Tillemont, Grégoire de Nazianze se plaint très amèrement d’une pareille profanation, surtout lorsqu’un empereur arien emploie ces titres.

[96] Dans le temps de la république, dit Hegewisch, lorsque les consuls, les préteurs et les autres magistrats, paraissaient en public pour vaquer aux devoirs de leur charge, leur dignité s’annonçait, et par les marques qu’avait consacrées l’usage, et par le brillant cortége dont ils étaient accompagnés. Mais cette dignité était attachée à la charge et non à l’individu ; cette pompe appartenait au magistrat et non à l’homme… Le consul, suivi, dans les comices, de tout le sénat , des préteurs, des questeurs, des édiles, des licteurs, des appariteurs et des hérauts, n’était servi, en rentrant dans sa maison, que par des affranchis et par ses esclaves. Les premiers empereurs n’allèrent pas plus loin. Tibère n’avait, pour son service personnel, qu’un nombre modéré d’esclaves et quelques affranchis (Tacite, Ann., IV, 7)… Mais, à mesure que les formes républicaines s’évanouirent l’une après l’autre, le penchant des empereurs à s’entourer d’une pompe personnelle se manifesta de plus en plus… La magnificence et le cérémonial de l’Orient s’introduisirent tout à fait chez Dioclétien, et Constantin acheva de les consacrer. Les palais, les garde-meubles, la table, tout l’entourage personnel, distinguèrent alors l’empereur de ses sujets, plus encore que sa haute dignité… L’organisation que Dioclétien donna à sa nouvelle cour attacha moins d’honneurs et de distinctions aux états qu’aux services rendus aux membres de la famille impériale. Essai hist. sur les finances romaines (en allem.), p. 249.

Peu d’historiens ont caractérisé d’une manière plus philosophique l’influence d’une nouvelle institution (Note de l’Editeur).

[97] Voyez Spanheim, de Usu numism., dissert. XII.

[98] Aurelius-Victor ; Eutrope, IX, 26. Il paraît, d’après les panégyristes, que les Romains s’accoutumèrent bientôt au nom et à la cérémonie de l’adoration.

[99] Les innovations introduites par Dioclétien sont principalement déduites, 1° de quelques passages de Lactance, très expressifs ; 2° des nouvelles charges de plusieurs espèces, qui, dans le code Théodosien, paraissent déjà établies dans le commencement du règne de Constantin.

[100] Lactance, de Mort. pers., c. 7.

[101] Indicta lex nova, quæ sanè illorum temporum modestiâ tolerabilis, in perniciem processit. Aurelius-Victor, qui a traité le caractère de Dioclétien en homme de bon sens, quoiqu’en mauvais latin.

[102] Solus omnium, post conditum Romanum imperium, qui ex tanto fastigio sponte ad privatœ vitœ statum civilitatemque remearet. Eutrope, IX, 18.

[103] Les particularités du voyage et de la maladie sont prises de Lactance (c. 17), qui peut quelquefois servir d’autorité pour les faits publics, quoique très rarement pour les anecdotes particulières.

[104] Cette abdication, qui a été si diversement interprétée, est attribuée par Aurelius-Victor a deux causes, dont la première est le mépris de Dioclétien pour l’ambition ; la seconde, son appréhension des troubles qui menaçaient l’Etat. Un des panégyristes (VI, 9) parle de l’âge et des infirmités de Dioclétien comme de la cause naturelle de sa retraite.

[105] Les difficultés et les méprises sur les dates de l’année et du jour de l’abdication de Dioclétien sont parfaitement éclaircies par Tillemont (Hist. des Empereurs, t. IV, p. 525, notre 19) et par Pagi, ad Annum.

[106] Voyez Panegyr. vet., 9. Le discours fut prononcé après que Maximien eut repris la pourpre.

[107] Eumène en fait le plus bel éloge, Panégyr. vet., VII, 15.

[108] C’est à Victor le jeune que nous devons ce mot fameux. Eutrope parle du fait d’une manière plus générale.

[109] Histoire Auguste, p. 223-224. Vopiscus avait appris de son père cette conversation.

[110] Victor le jeune parle légèrement de ce bruit ; mais comme Dioclétien avait déplu à un parti puissant et triomphant, sa mémoire a été chargée de toutes sortes de crimes et de malheurs. On a prétendu qu’il était mort dans les accès d’une folie furieuse, qu’il avait été condamné comme criminel par le sénat de Rome, etc.

[111] Voyez les Itinéraires, p. 269, 272, édit. de Wesseling.

[112] L’abbé de Fortis, dans son Voyage en Dalmatie, p. 43 (imprimé à Venise en 1774, deux petits vol. in-4°), cite une description manuscrite des antiquités de Salone, composée par Giambattista Giustiniani, vers le milieu du seizième siècle.

[113] Adam, Antiquités du palais de Dioclétien à Spalatro, p. 6. Nous pouvons ajouter une circonstance ou deux tirées du Voyage de l’abbé de Fortis. L’Hyader, petite rivière dont parle Lucain, produit des truites excellentes, qui, selon la remarque d’un écrivain très judicieux, moine peut-être, déterminèrent Dioclétien sur le choix de sa retraite (Fortis, p. 45) Le même auteur (p. 38) observe qu’on voit renaître à Spalatro du goût pour l’agriculture, et qu’une société vient d’établir une ferme près de la ville, pour y faire des expériences.

[114] Constantin, Orat. ad cœtum sanct., c. 25. Dans ce discours, l’empereur, ou l’évêque qui le composa pour lui, affecte de rapporter la fin malheureuse de tous les persécuteurs de l’Église.

[115] Constant. Porphyre, de Statu imper., p. 86.

[116] D’Anville, Géogr. anc., tome I, p. 162.

[117] MM. Adam et Clérisseau, accompagnés de deux dessinateurs, visitèrent Spalatro au mois de juillet 1757. Le magnifique ouvrage que leur voyage a produit, a été publié à Londres sept ans après.

[118] M. l’abbé de Fortis, Voyage en Dalmatie, p. 40.

[119] L’orateur Eumène fut secrétaire des empereurs Maximien et Constance, et professeur de rhétorique dans le collège d’Autun. Ses appointements étaient de six cent mille sesterces, qui, selon la moindre estimation de ce siècle, devaient valoir plus de trois mille livres sterling. Il demanda généreusement la permission d’employer ce revenu à rebâtir le collège. Voyez son discours, de restaur. Scholis. Cet ouvrage,  quoiqu’il ne soit pas exempt de vanité, peut lui faire pardonner ses panégyriques.

[120] Porphyre mourut vers le temps de l’abdication de l’empereur Dioclétien. La vie de son maître Plotin, qu’il composa, donne l’idée la plus complète du génie de la secte, et des mœurs de ceux qui la composaient. Ce morceau curieux se trouve dans la Bibliothèque grecque de Fabricius, tome IV, p. 88-148.