Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

Chapitre XII

Conduite de l’armée et du sénat après la mort d’Aurélien. Règnes de Tacite, de Probus, de Carus et de ses fils.

 

 

TELLE était la triste condition des empereurs romains, que ces princes, quelle que put être leur conduite, éprouvaient ordinairement la même destinée. Une vie de plaisir ou de vertu, de douceur ou de sévérité, d’indolence ou de gloire, les conduisait également à une mort prématurée. Presque tous les règnes finissent par une catastrophe semblable : ce n’est qu’une répétition fatigante de massacres et de trahisons. Le meurtre d’Aurélien est cependant remarquable par les événements extraordinaires dont il fut suivi. Les légions respectaient leur chef victorieux ; elles le pleurèrent et vengèrent sa mort. L’artifice de son perfide secrétaire fut découvert et puni ; les conspirateurs eux-mêmes, reconnaissant l’erreur qui les avait armés contre un souverain innocent, assistèrent à ses funérailles avec un repentir sincère ou bien étudié ; et ils souscrivirent à la résolution unanime de l’ordre militaire, dont les sentiments sont exprimés dans la lettre suivante : Les braves et fortunées armées au sénat et au peuple de Rome. Le crime d’un seul et la méprise de plusieurs nous ont enlevé notre dernier empereur Aurélien : vous dont les soins paternels dirigent l’État, vénérables pères conscrits, veuillez mettre ce prince au rang des dieux, et désigner le successeur, que vous jugerez le plus digne de la pourpre impériale ; aucun de ceux dont le forfait ou le malheur a causé notre perte ne règnera, sur nous[1]. Les sénateurs romains n’avaient point été étonnés d’apprendre qu’un empereur encore venait d’être assassiné dans son camp ; ils se réjouirent en secret de la chute d’Aurélien. Mais lorsque la lettre modeste et respectueuse des légions eût été lue par le conseil en pleine assemblée, elle répandit parmi eux, la surprise la plus agréable. Ils prodiguèrent à la mémoire de leur dernier souverain tous les honneurs que la crainte, peut-être l’estime, pouvait arracher. Dans, les transports de leur reconnaissance, ils rendirent aux fidèles armées de la république les actions de grâce que méritaient leur zèle et la haute idée qu’elles avaient de l’autorité légale du sénat pour le choix d’un empereur. Malgré cet hommage flatteur les plus prudents de l’assemblée n’osaient exposer leur personne et leur dignité au caprice d’une multitude redoutable : à la vérité, la force des légions était le gage de leur sincérité, puisque ceux qui peuvent commander sont rarement réduits à la nécessité de dissimuler ; mais pouvait-on espérer qu’un repentir subir corrigerait des habitudes de révolte invétérées depuis quatre-vingts ans ? Si les soldats retombaient dans leurs séditions accoutumées, il était à craindre que leur insolence n’avait la majesté du sénat, et ne devînt fatale à l’objet de son choix. De pareils motifs dictèrent le décret [3 février 275] qui renvoyait l’élection d’un nouvel empereur au suffrage de l’ordre militaire.

La contestation qui suivit est un des événements les mieux attestés, mais les plus incroyables de l’histoire du genre humain[2]. Les troupes, comme si elles eussent été rassasiées, de l’exercice du pouvoir, conjurèrent de nouveau les sénateurs de donner à l’un d’entre eux la pourpre impériale. Le sénat persista dans son refus, l’armée dans sa demande. La proposition fut au moins trois fois offerte et rejetée de chaque côté. Tandis que la modestie opiniâtre de chacun des deux partis est déterminée à recevoir un maître des mains de l’autre, huit mois s’écoulent insensiblement[3] : période étonnante d’une anarchie tranquille, pendant laquelle l’univers romain resta sans maître, sans usurpateur, sans révolte ; les généraux et les magistrats nommés par Aurélien continuèrent à exercer leurs fonctions ordinaires. Un proconsul d’Asie fut le seul personnage considérable déposé de son emploi dans tout le cours de cet interrègne.

Un événement à peu prés semblable, mais bien moins authentique, avait eu lieu, à ce qu’on prétend, après la mort de Romulus, qui, par sa vie et son caractère, eut quelques rapports avec l’empereur Aurélien. Lorsque le fondateur de Rome disparut, le trône resta vacant pendant douze mois, jusqu’à l’élection d’un philosophe sabin, et la tranquillité générale se maintint de la même manière par l’union des différents ordres de l’État ; mais du temps de Numa et de Romulus, l’autorité des patriciens contenait les armes du peuple, et l’équilibre de la liberté se conservait aisément dans un État vertueux et borné[4]. Rome, bien différente de ce qu’elle avait été dans son enfance, commençait à pencher vers sa ruine ; tout semblait alors annoncer un interrègne orageux : la vaste étendue de l’empire, une capitale immense et tumultueuse, l’égalité servile du despotisme, une armée de quatre cent mille mercenaires, enfin l’expérience des révolutions fréquentes qui avaient déjà ébranlé la constitution. Cependant, malgré tant de causes de désordre, la mémoire d’Aurélien, sa discipline rigide, réprimèrent l’esprit séditieux des troupes aussi bien que la fatale ambition de leurs chefs. L’élite des légions resta campée sur les  rives du Bosphore, et le drapeau impérial imprima du respect aux camps moins formidables de Rome et des provinces. Un enthousiasme généreux, quoique momentané, semblait animer l’ordre militaire. Il faut croire qu’un petit nombre de zélés patriotes entretinrent la nouvelle amitié du sénat et de l’armée, comme le seul moyen de rétablir la vigueur du gouvernement et de rendre à la république son ancienne splendeur.

Le 25 septembre, huit mois environ après la mort d’Aurélien, le consul convoqua les sénateurs et leur exposa la situation incertaine et dangereuse de l’empire. Après avoir insinué légèrement que la fidélité précaire des légions dépendait d’un seul instant, du moindre accident, il peignit, avec l’éloquence la plus persuasive, les périls sans nombre qui suivraient un plus long délai pour le choix d’un empereur. On avait appris, disait-il, que les Germains avaient depuis peu passé le Rhin ; qu’ils s’étaient emparés des villes les plus opulentes et les plus fortes de la Gaule. L’ambition du roi de Perse tenait tout l’Orient dans de perpétuelles alarmes. L’Égypte, l’Afrique et l’Illyrie, se voyaient exposées aux armes des ennemis étrangers et domestiques ; et les inconstants Syriens étaient toujours prêts à préférer même le sceptre d’une femme à la sainteté des lois romaines. Le consul s’adressant alors à Tacite, le premier des sénateurs[5], lui demanda son avis sur le choix important d’un nouveau candidat à la dignité impériale.

Si le mérite personnel peut nous paraître au-dessus d’une grandeur empruntée, l’extraction de Tacite doit être à nos yeux plus véritablement noble que celle des souverains ; il descendait de l’historien philosophe dont les écrits immortels éclaireront la postérité la plus reculée[6]. Le sénateur Tacite était alors âgé de soixante-quinze ans[7]. Les richesses et les honneurs avaient embelli le cours de sa vie innocente ; il avait été revêtu deux fois de la dignité consulaire[8]. Possesseur d’un patrimoine de deux ou trois millions sterling, il vivait honorablement et sans faste[9]. L’expérience qu’il avait acquise sous tant de princes dont il avait estimé ou supporté la conduite, depuis les ridicules folies d’Héliogabale, jusqu’à la rigueur utile d’Aurélien, lui avait appris à se former une juste idée des devoirs, des dangers et des piéges qui environnaient un rang si élevé. Une étude assidue des immortels ouvrages de son aïeul, lui avait donné les notions les plus parfaites sur la nature humaine[10], et sur la constitution de l’État. La voix du peuple avait déjà nommé Tacite comme le plus digne de l’empire. Loin d’être flatté de ces bruits, il n’en fut pas plus tôt informé, qu’il se retira dans une de ses maisons de plaisance en Campanie. Il goûtait, depuis deux mois, à Bayes, les douceurs d’une vie tranquille, lorsqu’il se trouva forcé d’obéir au consul, qui lui ordonnait de reprendre la place honorable qu’il occupait dans le sénat, et d’assister la république de ses conseils.

Dès qu’il se leva pour parler, toute l’assemblée salua des noms d’Auguste et d’empereur. Tacite empereur, Auguste, les dieux te préservent ; nous te choisissons pour notre souverain, c’est à tes soins que nous confions Rome et l’univers. Accepte l’empire des mains du sénat ; il est dû à ton rang, à ta conduite, à tes moeurs. A peine le tumulte des acclamations fut-il apaisé, que Tacite, voulut refuser l’honneur dangereux qu’on lui offrait si solennellement. Il parut surpris de ce qu’on choisissait son âge et ses infirmités pour remplacer la vigueur martiale d’Aurélien. Ces bras, pères conscrits, sont-ils propres à soutenir le poids d’une armure, à pratiquer les exercices des camps ? La variété des climats, le fatigues d’une vie militaire détruiraient bientôt une constitution faible, qui ne se soutien que par les plus grands ménagements. Mes forces épuisées me permettent à peine de remplir les devoirs d’un sénateur ; me mettraient-elles en état de supporter les travaux pénibles de la guerre et du gouvernement ? Pouvez-vous croire que les légions respecteront un vieillard infirme, dont les jours ont coulé à l’ombre de la paix et de la retraite ? Pouvez-vous désirer que je ne trouve jamais forcé de regretter l’opinion favorable du sénat ? [Vopiscus, H. Aug.]

La répugnance de Tacite (et peut-être était-elle sincère) fut combattue par l’opiniâtreté affectueuse du sénat. Cinq cents voix répétèrent à la fois, avec une éloquence tumultueuse que les plus grands princes de Rome, Numa, Trajan, Adrien et les Antonins, avaient pris, les rênes de l’État dans un âge très avancé ; que la république, avait besoin d’une âme et non d’un corps, qu’elle avait fait choix d’un souverain, non d’un soldat ; et que tout ce qu’elle lui demandait était de diriger, par sa sagesse, la valeur des légions. Ces instances pressantes, qui exprimaient confusément le vœu général, furent appuyées d’un discours plus régulier, prononcé par Metius Falconius, le premier des consulaires après Tacite. Falconius rappela les maux que Rome avait soufferts lorsqu’elle avait été gouvernée par de jeunes princes, livrés à l’excès de leurs passions. Il félicita l’assemblée sur l’élection d’un sénateur vertueux et expérimenté. Enfin, avec une liberté courageuse, quoique peut-être elle eût pour principe, l’intérêt personnel, il exhorta Tacite à ne pas oublier les motifs de son élévation, et à chercher un successeur non dans sa famille, mais dans l’État. Ce discours fût généralement applaudi : l’empereur élu, cédant à l’autorité de la patrie, reçut l’hommage volontaire de ses égaux. Le consentement du peuple romain et des gardes prétoriennes confirma le jugement des sénateurs[11].

L’administration de Tacite fut conforme aux principes qu’il avait adoptés. Il conserva sur le trône le même respect pour l’assemblée auguste dont il avait été membre. Persuadé qu’en elle seule résidait le pouvoir législatif, il parut ne régner que pour obéir aux lois qui en émanaient[12]. Il s’appliqua surtout à guérir les plaies cruelles que l’orgueil impérial, les discordes civiles et la violence militaire, avaient faites à l’État ; du moins s’efforça-t-il de rétablir l’imagé de l’ancienne république, telle que l’avaient conservée la politique d’Auguste et les vertus de Trajan et des Antonins. Il ne sera pas inutile de récapituler ici quelques-unes des prérogatives dont l’élection de Tacite semble rendre au sénat la jouissance[13]. Les plus importantes furent le droit, 1° de revêtir un de ses membres sous le titre d’imperator, du commandement général des armées et du gouvernement des provinces frontières ; 2° de donner, par ses décrets, force de loi, et la validité nécessaire à ceux des édits du prince qu’il approuverait ; 3° de nommer les proconsuls et les présidents des provinces, et de conférer à tous les magistrats leur juridiction civile ; 4° de recevoir des appels de tous les tribunaux de l’empire, par l’office intermédiaire du préfet de la ville ; 5° de déterminer la liste, ou, comme on l’appelait alors, le collège des consuls : ils furent fixés à douze par année ; on en élisait deux alternativement tous les deux mois, et ils soutenaient ainsi à dignité de cette ancienne charge. Les sénateurs, qui s’étaient réservé le droit de les nommer, l’exercèrent avec une liberté si indépendante, qu’ils n’eurent aucun égard à une requête irrégulière de l’empereur pour son frère Floranus. Ils connaissent bien le caractère du prince qu’ils ont choisi, s’écria Tacite avec le transport généreux d’un patriote. 6° à ces différentes branches d’autorité nous pouvons ajouter quelque inspection sur les finances ; puisque, même, sous le règne du sévère Aurélien, ils avaient pu détourner une partie des fonds destinés au service public[14].

Aussitôt après l’avènement de Tacite, des lettres circulaires furent envoyées à toutes les principales villes de l’empire, Trèves, Milan, Aquilée, Thessalonique, Corinthe, Athènes, Antioche, Alexandrie et Carthage, pour exiger d’elles le serment de fidélité ; et pour leur apprendre l’heureuse révolution qui venait de rendre au sénat son antique splendeur. Deux de ces lettres existent encore. Il nous est aussi parvenu deux fragments curieux de la correspondance particulière des sénateurs à ce sujet. On voit que, dans l’excès de leur joie, ils avaient conçu les espérances les plus magnifiques. Sortez de votre indolence, c’est ainsi que s’exprime l’un d’entre eux en écrivant à son ami, arrachez-vous de votre retraite de Bayes et de Pouzzole. Livrez-vous à la ville, au sénat. Rome fleurit, la république entière fleurit. Rendons mille actions de grâce à l’armée romaine, à une armée véritablement romaine. Notre juste autorité, cet objet de tous nos désirs, est enfin rétablie. Nous recevons les appels, nous nommons les proconsuls, nous créons les empereurs. Ne pouvons-nous pas aussi mettre des bornes à leur puissance ? ……… A un bomme sage en mot suffit[15]. Ces images brillantes  disparurent bientôt. Il n’était réellement pas possible que les armées et les provinces consentissent à obéir longtemps à des notables plongés dans la mollesse, et dont les bras ne connaissaient plus l’usage des armes. A la première atteinte, on vit s’écrouler tout cet édifice d’une puissance et d’un orgueil sans fondement. L’autorité expirante du sénat répandit une lueur subite, brilla pour un moment, et fut éteinte à jamais.

Tout ce qui se passait à Rome n’était qu’une vaine représentation de théâtre. Il fallait que les décisions d’une faible assemblée fussent ratifiées par la force plus réelle des légions. Tandis que les sénateurs se laissaient éblouir par un fantôme d’ambition et de liberté, Tacite se rendit au camp de Thrace [en 276], où le préfet du prétoire le présenta aux troupes assemblées comme le souverain qu’elles avaient demandé, et que leur accordait le sénat. Dès que le préfet eut cessé de parler, l’empereur prononça un discours éloquent et convenable à  sa situation. Il satisfit l’avarice des soldats en leur distribuant des sommes considérables sous le nom de gratification et de paye ; et il sut gagner leur estime par la noble assurance que si son grand âge ne lui permettait pas de leur donner l’exemple, ses conseils ne seraient jamais indignes d’un général romain, successeur, du brave Aurélien [H. Aug., p. 228].

Dans le temps que le dernier empereur se préparait à porter une seconde fois ses armes en Orient, il avait négocié avec les Alains, peuple scythe, qui dressait ses tentes dans le voisinage des Palus-Motides. Séduits par des présents et par des subsides, ces Barbares avaient promis d’entrer en Perse avec un corps nombreux de cavalerie légère. Ils furent fidèles à leurs engagements ; mais lorsqu’ils arrivèrent sur la frontière romaine, Aurélien n’était plus, et sa mort avait au moins suspendu le projet de la guerre de Perse. Les généraux qui durant l’interrègne, n’exerçaient qu’une autorité douteuse, ne se trouvèrent point en état de recevoir ces nouveaux alliés, ni de leur résister. Les Alains, irrités d’une conduite dont les motifs leur paraissaient frivoles, accusèrent hautement les Romains de perfidie ; ils eurent recours à leur propre valeur pour se venger, et pour obtenir le paiement qu’on leur refusait. Comme ils marchaient avec la vitesse ordinaire des Tartares, ils se répandirent bientôt dans les provinces du Pont, de la Cappadoce, de la Cilicie et de la Galatie. Les légions qui, des rives opposées du Bosphore, pouvaient presque apercevoir les flammes des villes et des villages embrasés, sollicitaient vivement leur général de les mener contre l’ennemi. Tacite se conduisit comme il convenait à son âge et à sa dignité. Son but était de convaincre les Barbares de la bonne foi aussi bien que de la puissance de l’empire ; il acquitta d’abord les engagements que son prédécesseur avait contractés. Les Alains, pour la plupart, apaisés par cette démarche, abandonnèrent leurs prisonniers et leur butin, et se retirèrent tranquillement dans leurs déserts au-delà du Phase. L’empereur, en personne, termina heureusement la guerre contre ceux qui refusaient la paix. Secondé par une armée de vétérans braves et expérimentés, il délivra en peu de semaines les provinces de l’Asie des Scythes qui les dévastaient[16].

Mais la gloire et la vie de Tacite n’eurent qu’une courte durée, Transplanté tout a coup, dans le cœur de l’hiver, des douces retraites de la Campanie au pied du mont, Caucase, il ne put supporter les fatigues de la vie militaire, à laquelle il n’était pas accoutumé. Les peines du corps furent aggravées par celles de l’âme. L’enthousiasme du bien public avait suspendu pour un temps les passions que l’esprit de discorde et l’intérêt personnel avaient allumées dans le cœur des soldats. Elles reprirent bientôt leur cours avec une violence redoublée, et elles excitèrent un furieux orage dans le camp, dans la tente même du vieil empereur. Son caractère doux et aimable, ne servit qu’à inspirer du mépris pour sa personne. Tourmenté sans cesse par des factions qu’il ne pouvait étouffer, et par des demandes auxquelles il lui était impossible de satisfaire, il voyait disparaître les espérances magnifiques qu’il avait conçues en prenant les rênes du gouvernement. En vain s’était-il flatté de remédier aux désordres de l’État ; il ne tarda pas à s’apercevoir que la licence de l’armée dédaignait le frein impuissant de la loi. Le chagrin et le désespoir de réussir dans ses projets de reforme, hâtèrent ses derniers instants. On ne sait si les soldats trempèrent leurs mains dans le sang de ce vertueux prince[17]. Il paraît du moins certain que leur insolence fut la cause de sa mort [12 avril 276]. Il expira dans la ville de Tyane, en Cappadoce, après un règne de six mois et vingt jours seulement[18].

A peine Tacite eut-il les yeux fermés, que son frère Florianus, sans attendre le consentement du sénat, s’empara de la couronne, dont le rendait indigne son usurpation précipitée. Les camps et les provinces conservaient encore pour la constitution romaine un respect dont l’influence pouvait bien les engager à désapprouver l’ambition de Florianus,            mais non les déterminer à s’y opposer. Le mécontentement se serait dissipé en vains murmures, si le général de l’Orient, le brave Probus, ne se fût pas déclaré le vengeur du sénat. Les forces des deux prétendants paraissaient fort inégales. Le chef le plus habile, à la tête des troupes efféminées de l’Égypte, pouvait-il espérer de disputer la victoire aux légions invincibles de l’Europe, qui semblaient vouloir soutenir le frère de Tacite ? La fortune et l’activité de Probus surmontèrent tous les obstacles. Les intrépides vétérans de son rival, accoutumés à des climats froids furent incapables de supportée les chaleurs étouffantes de la Cilicie, où l’été fut singulièrement malsain. Aux maladies se joignirent de fréquentes désertions, qui diminuèrent leur  nombre. Les passages des montagnes n’étaient que faiblement gardés [juillet]. Tarse ouvrit ses portes. Enfin, les soldats de Florianus, après l’avoir laissé jouir environ trois mois de la dignité impériale, délivrèrent l’État des horreurs d’une guerre civile, en sacrifiant un prince qu’ils méprisaient[19].

Les révolutions perpétuelles du trône avaient tellement effacé toute notion de droit héréditaire, que la famille d’un infortuné souverain ne donnait aucun ombrage à ses successeurs. Les enfants de Tacite et de Florianus eurent la permission de descendre dans un rang privé, et de se mêler à la masse générale des sujets. Leur pauvreté devint, il est vrai, la sauvegarde de leur innocence. Tacite, en montant sur le trône, avait consacré son ample patrimoine au service public [H. Aug., p. 229] : acte spécieux de générosité, mais qui montrait évidemment l’intention qu’avait ce prince de transmettre l’empire à ses descendants. La seule consolation qu’ils goûtèrent après leur chute, fut le souvenir de leur grandeur passée, et la perspective brillante, quoique éloignée, que leur offrait la crédulité. Une prophétie annonçait qu’au bout de mille ans il s’élèverait un monarque du sang de Tacite, qui protégerait le sénat, rétablirait Rome, et soumettrait toute la terre[20].

Les paysans d’Illyrie avaient déjà sauvé la monarchie près de périr, en lui donnant Claude et Aurélien. L’élévation de Probus ajouta encore à leur gloire[21]. Plus de vingt ans avant cette époque, le mérite naissait du jeune soldat n’avait point échappé à la pénétration de Valérien, qui lui conféra le rang de tribun, quoiqu’il fût bien éloigné de l’âge prescrit par les règlements militaires. La conduite du tribun justifia bientôt un choix si flatteur. Il remporta sur un détachement considérable de Sarmates une victoire complète, dans laquelle il sauva la vie à un proche parent de l’empereur et, mérita de recevoir des mains du prince les bracelets, les colliers, les épées, les drapeaux, la couronne civique, la couronne murale, et toutes les marques honorables destinées par l’ancienne Rome à récompenser la valeur triomphante. On lui confia le commandement de la troisième légion, et ensuite de la dixième. Dans la carrière des honneurs, Probus se montra toujours supérieur au grade qu’il occupait. L’Afrique et le Pont, le Rhin, le Danube, le Nil et l’Euphrate, lui fournirent tour à tour les occasions les plus brillantes de développer son courage personnel et ses talents militaires. Aurélien lui dut la conquête de l’Égypte, et fut encore plus redevable à la fermeté  héroïque avec laquelle il réprima souvent la cruauté de son maître. Tacite, qui voulait suppléer à son peu d’expérience pour la guerre par l’habileté de ses généraux, nomma Probus, commandant en chef de toutes les provinces orientales, lui donna un revenu cinq fois plus considérable que les appointements attachés à cette place, lui promit le consulat, et lui fit espérer les honneurs du triomphe. Probus avait environ quarante-quatre ans[22] lorsqu’il monta sur le trône. Il jouissait alors de toute sa réputation, de l’amour des troupes, et de cette vigueur d’esprit et de corps propre aux plus grandes entreprises.

Son mérite reconnu et le succès de ses armes contre Florianus le laissaient sans ennemi ou sans rival. Cependant, si nous en croyons sa propre déclaration, bien loin d’avoir recherché la pourpre, il ne l’avait acceptée qu’avec la plus sincère répugnance. Mais il n’est déjà plus en mon pouvoir, dit-il dans une lettre particulière, de renoncer à un titre qui m’expose à l’envie et à tant de dangers. Je dois continuer de jouer le rôle que les troupes m’ont forcé de prendre[23]. Sa lettre respectueuse au sénat offre les sentiments, ou du moins le langage d’un  patriote romain. Lorsque vous avez choisi un de vos membres, pères conscrits, pour succéder à l’empereur Aurélien, vous vous êtes conduits conformément à votre justice et à votre sagesse ; car vous étés les souverains légitimes de l’univers, et la puissance que vous tenez de vos ancêtres sera transmise à votre postérité. Plût aux dieux que Florianus, au lieu de s’emparer de la pourpre de son frère comme d’un héritage particulier, eut attendu ce que votre autorité déciderait en sa faveur ; où pour quelque autre personne ! Les prudentes légions l’ont puni de sa témérité ; elles m’ont offert le titre d’Auguste, mais je soumets à votre clémence mes prétentions et mes services[24].

Lorsque cette lettre fut lue par le conseil [3 août 276], les sénateurs ne purent dissimuler leur satisfaction de ce que Probus daignait solliciter si humblement un sceptre qu’il possédait déjà. Ils célébrèrent avec la plus vive reconnaissance ses vertus, ses exploits, et surtout sa modération. Aussitôt un décret passé d’une voix unanime ratifia le choix des armées de l’Orient, et conféra solennellement à leur brave chef toutes les diverses branches de la dignité impériale, les noms de César et d’Auguste, le titre de père de la patrie, le droit de proposer le même jour trois décrets dans le sénat[25], l’office de souverain pontife, la puissance tribunitienne, et le commandement proconsulaire : forme d’investiture qui, en paraissant multiplier l’autorité du prince, retraçait la constitution de l’ancienne république. Le règne de Probus répondit à de si beaux commencements. Il permit au sénat de diriger l’administration civile. Se regardant comme son général, il se contentait de soutenir l’honneur des armes romaines. Souvent même il déposait à ses pieds les couronnes d’or et les dépouilles des Barbares, fruits de ses nombreuses victoires[26]. Mais, en flattant ainsi la vanité des sénateurs, ne devait-il pas intérieurement mépriser leur indolence et leur faiblesse ? Les successeurs des Scipions semblaient n’avoir hérité que de l’orgueil de leurs ancêtres. Quoiqu’il fût à tout moment en leur pouvoir de faire révoquer l’édit flétrissant de Gallien. Ils consentirent patiemment à rester exclus du service militaire. L’instant approchait où ils allaient éprouver que refuser l’épée c’est renoncer au sceptre.

La force d’Aurélien avait écrasé de tous côtés les ennemis de Rome. Après sa mort ils parurent renaître et même se multiplier. Ils furent de nouveau vaincus par la vigueur et par l’activité de Probus, qui, dans un règne de six ans[27] environ, égala les anciens héros, et rétablit l’ordre dans toute l’étendue  de l’univers romain. Il assura si bien les frontières de la Rhétie, province exposée depuis longtemps à toutes les horreurs de la guerre, qu’il en éloigna toute crainte d’hostilité. La terreur de ses armes dispersa les Sarmates. Les tribus errantes de ces Barbares, forcées d’abandonner leur butin, retournèrent dans leurs déserts. La nation des Goths rechercha l’alliance d’un prince si belliqueux[28]. Il attaqua les Isaures dans leurs montagnes[29], assiégea et prit un grand nombre de leurs fortes citadelles[30] et se flatta avoir détruit pour jamais un ennemi domestique, dont l’indépendance insultait si cruellement a la majesté de l’empire. Les troubles excités dans la Haute Égypte par l’usurpateur Firmus, n’avaient point été tout à fait apaisés. Le foyer de la rébellion existait encore dans les villes de Ptolémaïs et de Coptos soutenues par les Blemmyes[31]. On prétend que le châtiment de ces villes, et des sauvages du Midi, leurs auxiliaires, alarma la cour de Perse[32], et que le grand roi sollicita vainement l’amitié de l’empereur romain. Les entreprises mémorables qui distinguèrent le règne de Probus furent pour la plupart terminées par sa valeur et par sa conduite personnelle. L’historien de sa vie est étonné que dans un si court espace de temps, un seul homme ait pu se trouver présent a tant de guerres éloignées. Ce prince confia les autres expéditions au soin de ses lieutenants, dont le choix judicieux ne doit pas moins contribuer à sa gloire. Carus, Dioclétien, Maximien, Constance, Galère, Asclépiodate, Annibalien, et une foule d’autres chefs, qui par la suite montèrent sur le trône, ou qui le soutinrent, avaient appris le métier des armes à l’école sévère d’Aurélien et de Probus[33].

Mais le plus grand service que Probus rendit à la république fut la délivrance de la Gaule, et la prise de soixante-dix places florissantes opprimées par les Barbares de la Germanie, qui, depuis la mort d’Aurélien, ravageaient impunément cette grande province[34]. Au milieu de la multitude confuse de ces fiers conquérants, il n’est pas impossible de discerner trois grandes armées, ou plutôt trois nations défaites par l’empereur romain. Probus chassa les Francs dans leurs marais, d’où nous pouvons inférer que la confédération connue sous le nom glorieux d’hommes libres, occupait déjà le pays plat maritime, coupé et presque inondé par les eaux stagnantes du Rhin. Il paraît aussi que les Frisons et les Bataves avaient accédé à leur alliance. L’empereur vainquit les Bourguignons, peuple considérable de la race des  Vandales. Entraînés par le désir du pillage, ils s’étaient répandus des rives de l’Oder jusqu’aux bords de la Seine[35]. Ils se crurent d’abord trop heureux d’acheter par la restitution de tout leur butin la permission de se retirer tranquillement ; lorsqu’ils essayèrent ensuite d’éluder cet article du traité, leur punition fut prompte et terrible[36]. Mais de tous les peuples qui envahirent la Gaule, le plus formidable était les Lygiens, qui possédaient de vastes domaines sur les frontières de la Pologne et de la Silésie[37]. Parmi ces Barbares, les Aries tenaient le premier rang par leur nombre et par leur fierté. Les Aries (c’est ainsi qu’ils sont décrits dans le style énergique de Tacite) s’étudient à augmenter leur férocité naturelle par les secours de l’art et du stratagème. Ils noircissent leurs boucliers, leurs corps, leurs visages, et choisissent la nuit la plus sombre pour attaquer l’ennemi. La surprise, l’horreur des ténèbres, le seul aspect de cette armée épouvantable, qui semble sortir des enfers[38], glacent d’effroi les coeurs les plus intrépides ; car, dans un combat, les yeux sont toujours vaincus les premiers[39]. Cependant les armes et la discipline des Romains détruisirent facilement ces horribles fantômes. Les Lygiens furent taillés en pièces dans une action générale ; et Senno, le plus renommé de leurs chefs, tomba entre les mains dd Probus. Ce prudent empereur, ne voulant pas réduire au désespoir de si braves ennemis, leur accorda une capitulation honorable, et leur permit de retourner en sûreté dans leur patrie. Mais  les pertes qu’ils avaient essuyés dans la marche, dans la bataille, et celles qu’ils essuyèrent dans la retraite, anéantirent la nation. L’histoire de la Germanie ou de l’empire ne répète plus même le nom des Lygiens. Ces victoires, qui furent le salut de la Gaule, coûtèrent, dit-on, aux ennemis quatre cent mille hommes ; entreprise pénible pour les Romains, et dispendieuse pour l’empereur, qui payait une pièce d’or chaque tête de Barbare[40]. Cependant, comme la réputation des guerriers est fondée sur la destruction du genre humain, nous pouvons naturellement soupçonner que le nombre des morts fut exagéré par l’avarice des soldats, et que la vanité prodigue du prince ne se mit pas en peine d’en faire une recherche bien exacte.

Depuis l’expédition de Maximin, les généraux romains s’étaient bornés à une guerre défensive contre les nations germaniques qui pressaient continuellement les frontières de l’empire. Probus, plus entreprenant, résolut de profiter de ses victoires. Intimement persuadé que les Barbares ne consentiraient jamais à la paix tant que leur pays ne souffrirait pas des calamités de la guerre, il passa le Rhin, et fit briller ses aigles invincibles sur les rives de l’Elbe et du Necker. Sa présence étonna la Germanie épuisée par les mauvais succès de la dernière migration. Neuf des princes les plus considérables du pays se rendirent à son camp, et se prosternèrent à ses pieds ; ils reçurent humblement les conditions qu’il lui plut de dicter. Le vainqueur exigeait qu’on lui remît exactement les dépouilles et les prisonniers enlevés aux provinces. Il obligea leurs propres magistrats à sévir contre ceux qui retiendraient quelque partie du butin. Un tribut considérable, consistant en blé, en troupeaux et en chevaux, les seules richesses des Barbares, fût destiné à l’entretien des garnisons établies sur les limites de leur territoire. Probus avait même conçu le dessein de forcer les Germains à quitter l’usage des armes. Il voulait les engager à confier leurs différends à la justice de Rome, et leur sûreté à sa puissance. Ce plan, magnifique aurait exigé la résidence constante d’un gouverneur impérial, soutenu d’une armée nombreuse : aussi Probus jugea-t-il à propos de différer l’exécution d’un si grand projet, dont l’avantage était réellement plus spécieux que solide[41]. Que la Germanie eut été réduite en province avec des frais et des peines immenses, les Romains n’auraient eu qu’une frontière plus étendue à défendre contre les Scythes, Barbares plus redoutables par leur courage et par leur activité.

Au lieu de réduire au rang de sujets les belliqueux de la Germanie, Probus se borna au soin plus modeste d’élever un rempart contre leurs incursions. Le pays qui forme maintenant le cercle de Souabe, était devenu désert du temps d’Auguste par l’émigration de ses anciens habitants[42] ; la fertilité du sol attira bientôt une nouvelle colonie des provinces de la Gaule. Des bandes d’aventuriers, d’un caractère vagabond et sans fortune, s’emparèrent de cette contrée, dont les États voisins se disputaient la possession ; et ils reconnurent la majesté de l’empire en lui payant le dixième de leurs revenus[43]. Pour protéger ces nouveaux sujets, les Romains construisirent des postes qu’ils distribuèrent par degrés, depuis le Rhin jusqu’au Danube. Vers le règne d’Adrien, lorsqu’on imagina un pareil moyen de défense, ces postes furent couverts et communiquèrent l’un à l’autre par un fort retranchement d’arbre et de palissades. A des remparts si informes, l’empereur Probus substitua une muraille de pierres, d’une grande hauteur, fortifiée par des tours placées à des distances convenables. Elle commençait dans le voisinage de Neustadt et de Ratisbonne sur le Danube ; elle s’étendait à travers des collines, des vallées, des rivières et des marais, jusqu’à Wimpfen sur le Necker ; enfin elle se terminait aux bords du Rhin, après un circuit de deux cents milles environ[44]. Cette barrière importante unissant ainsi les deux grands fleuves qui défendaient les provinces de l’Europe, il paraît qu’elle remplissait l’espace vide par lequel les Barbares, et surtout les Allemands pouvaient pénétrer avec le plus de facilité dans le centre de l’empire. Mais l’expérience de l’univers, depuis la Chine jusque dans la Bretagne, prouve combien il est inutile de fortifier une grande étendue de pays[45]. Un ennemi actif, libre de varier l’attaque et de choisir le moment favorable, doit enfin découvrir quelque endroit faible où profiter d’un instant de négligence. Les forces, aussi bien que l’attention de ceux qui défendent cette chaîne de fortifications, se trouvent divisées ; et tels sont les effets d’une terreur aveugle sur les troupes les plus fermes, qu’une ligne rompue en un seul endroit est presque aussitôt abandonnée. Le sort qu’éprouva le mur de Probus peut confirmer l’observation générale : il fut renversé par les Allemands peu d’années après la mort de ce prince. Ses ruines éparses, que l’admiration stupide attribue universellement à la puissance du démon, ne servent maintenant qu’à exciter la surprise du paysan  de la Souabe.

Parmi les conditions qu’imposa l’empereur aux nations vaincues, une des plus utiles fut l’obligation de fournir à l’armée romaine seize mille hommes, les plus braves et les plus robustes de leur jeunesse. Probus les dispersa dans toutes les provinces, et distribua ce renfort dangereux en petites bandes de cinquante ou soixante Germains chacune, parmi les troupes nationales, observant judicieusement que les secours que la république tirait des Barbares devaient être sentis, mais non pas aperçus[46]. Ce secours paraissait alors nécessaire : amollis par le luxe, les faibles habitants de l’Italie et des provinces intérieures ne pouvaient supporter le poids des armes ; la nature donnait toujours aux peuples nés sur la frontière du Rhin et du Danube, des âmes et des corps capables de résister aux fatigues des camps. Mais une suite perpétuelle de guerres en avait insensiblement diminué le nombre. Les mariages devenaient plus rares, l’agriculture était entièrement négligée : ces causes, qui affectent les principes de la population, non seulement détruisaient la force actuelle de ces contrées, elles étouffaient encore l’espoir des générations futures. Le sage Probus conçut le projet grand et utile de ranimer les frontières épuisées, en y introduisant de nouvelles colonies de Barbares prisonniers ou fugitifs, auxquels il accorda des terres, des troupeaux, les instruments propres à la culture, et tous les encouragements capables de former une race de soldats pour le service de la république. Il transporta un corps considérable de Vandales en Bretagne, selon toutes les apparences, dans la province de Cambridge[47]. L’impossibilité de s’échapper accoutuma ces nouveaux habitants à leur situation ; et dans les troupes qui, par la suite, déchirèrent le sein de cette île, ils se montrèrent les plus zélés défenseurs de l’État[48]. Un grand nombre de Francs et de Gépides furent établis sur les rives du Rhin et du Danube ; cent mille Bastarnes, chassés de leur patrie; acceptèrent avec joie un établissement dans la Thrace : bientôt ils adoptèrent les sentiments et les mœurs des sujets romains[49]. Mais les espérances de Probus furent souvent trompées : des Barbares inquiets, élevés dans l’oisiveté, ne pouvaient se résoudre à mener une vie, sédentaire ; leurs bras se refusaient aux travaux lents de l’agriculture ; ils conservaient pour l’indépendance un amour indomptable. Cet esprit de liberté luttant sans cesse contre le despotisme, les précipita dans des révoltés également fatales à eux mêmes et aux provinces [H. Aug., p. 240]. Malgré les efforts des empereurs suivants, jamais ces moyens artificiels ne purent rendre à la frontière importante de la Gaule et de l’Illyrie cette ancienne vigueur qu’elle tenait de la nature.

De tous les Barbares qui abandonnèrent leurs nouveaux établissements et qui troublèrent la tranquillité publique quelques-uns, en très petit nombre, retournèrent dans leur pays natal. Ces fugitifs pouvaient bien errer pendant quelque temps, les armes à la main, au milieu de l’empire, mais ils succombaient à la fin sous la puissance d’un empereur belliqueux. La hardiesse heureuse d’un parti de Francs eût des suites si mémorables, qu’elle ne doit pas être passée sous silence. Probus les avait établis sur la côte maritime du Pont, dans la vue de défendre cette frontière contre les incursions des Alains. Des vaisseaux, qui mouillaient dans un des ports du Pont-Euxin, tombèrent entre les mains des Francs. Ils résolurent aussitôt de chercher une route  de l’embouchure du Phase à celle di Rhin. Les dangers d’une longue navigation sur des mers inconnues ne les effrayèrent pas. Ils passèrent aisément les détroits du Bosphore et de l’Hellespont ; et, croisant le long de la Méditerranée, ils satisfirent à la fois leur vengeance et leur cupidité, en ravageant les rivages de l’Asie, de la Grèce et de l’Afrique, dont les habitants se croyaient à l’abri de toute incursion. Syracuse, ville opulente qui avait vu autrefois les flottes d’Athènes et de Carthage englouties dans son port, fut saccagée par une poignée de Barbares, qui massacrèrent impitoyablement la plus grande partie des citoyens. De la Sicile, les Francs s’avancèrent jusqu’aux colonnes d’Hercule, bravèrent le redoutable Océan, côtoyèrent l’Espagne et la Gaule et, dirigeant leur course triomphante à travers la Manche, terminèrent leur étonnant voyage en abordant tranquillement sur les côtes des Frisons où des Bataves[50]. L’exemple de leurs succès enflamma leurs compatriotes. En leur apprenant à connaître les avantages de la mer et a en mépriser les périls, il ouvrit à ces esprits avides d’entreprises une nouvelle route aux honneurs et aux richesses.

Malgré la vigilance et l’activité de Probus, il lui était presque impossible de contenir dans l’obéissance toutes les parties de ses vastes domaines. Les Barbares, pour briser leurs chaînes, avaient profité de l’occasion favorable d’une guerre civile. L’empereur, avant de marcher au secours de la Gaule, avait donné le commandement de l’Orient à Saturnin. Ce général, homme de mérite et d’une grande expérience, leva l’étendard de la révolte. L’absence de son souverain, la légèreté du peuple d’Alexandrie, les sollicitations pressantes de ses amis, et ses propres alarmes, l’avaient entraîné dans cette démarche téméraire. Mais du moment qu’il fut revêtu de la pourpre, il perdit à jamais l’espoir de conserver l’empire et même la vie. Hélas ! dit-il, la république vient de perdre un citoyen utile. La précipitation d’un instant a détruit plusieurs années de service. — Vous ne savez pas, continuait-il, quels sont les maux attachés à la puissance suprême. L’épée est sans cesse suspendue sur notre tête ; nous redoutons nos propres gardes, nous n’osons nous fier à ceux qui nous entourent. Il ne nous est plus permis d’agir, ni de nous reposer à notre volonté. Ni l’âge, ni le caractère, ni la conduite, ne sauraient nous garantir des traits empoisonnés de l’envie. En m’élevant sur le trône, vous m’avez condamné à une vie de fatigue et à une mort prématurée. La seule consolation qui me reste, est l’assurance que je ne périrai pas seul[51]. La première partie de la prédiction fut vérifiée par la victoire de Probus ; mais la clémence de ce prince voulut empêcher l’effet de la dernière. Il essaya même d’arracher l’infortuné Saturnin à la fureur des soldats. Rempli d’estime pour l’usurpateur, Probus avait puni, comme un vil délateur, le premier qui lui avait apporté la nouvelle de sa révolte [Zonare, 12]. Il avait exhorté plus d’une fois ce général rebelle à prendre confiance en son maître [en 279]. Saturnin aurait peut-être accepté une offre si généreuse s’il n’eût pas été retenu par l’opiniâtreté de ses partisans. Plus coupables que leur chef, ils avaient plus à redouter le ressentiment de l’empereur, et ils s’étaient formé de plus grandes espérances sur le succès de leur révolte.

A peine le calme fut-il rétabli en Orient, que la rébellion de Proculus et de Bonosus excita de nouveaux troubles dans la Gaule [en 280]. Ces deux officiers s’étaient rendus fameux seulement, l’un par ses exploits de galanterie[52], l’autre par la faculté singulière de boire à l’excès sans perdre la raison. Ils ne manquaient cependant pas de courage ni de capacité, et ils soutinrent tous les deux avec dignité le caractère auguste que la crainte du châtiment les avait engagés à prendre, jusqu’à ce qu’enfin ils eurent terrassés par le génie supérieur de Probus. Ce prince usa de la victoire remportée sur les rebelles avec sa modération ordinaire : il épargna la vie aussi bien que la fortune de leurs familles innocentes[53].

Ses armes avaient triomphé de tous les ennemis étrangers et domestiques de l’État. Son administration douce, mais ferme ne contribua pas moins à rétablir la tranquillité publique. Il n’existait plus dans les provinces de Barbares ennemis, d’usurpateurs, de brigands même, qui rappelassent le souvenir des anciens désordres. Après de si grands exploits, l’empereur se rendit à Rome pour y célébrer sa propre gloire et la félicité générale. La pompe du triomphe, que méritait la valeur de Probus, fut dirigée avec une magnificence égale à la grandeur de sa fortune ; et le peuple, après avoir admiré les trophées d’Aurélien, contemplait avec le même plaisir ceux d héros qui lui avait succédé [H. Aug., p. 240]. Nous ne pouvons oublier à cette occasion le courage désespéré de quelques gladiateurs, dont, plus de six cents avaient été destinés aux jeux, cruels de l’amphithéâtre. Quatre-vingts d’entre eux environ, frémissant d’être forcés de répandre leur sang pour l’amusement de la populace, tuèrent leurs conducteurs, sortirent avec impétuosité de l’endroit où ils étaient gardés, et remplirent les rues de la capitale de sang et de confusion. Après une résistance opiniâtre, ils furent terrassés et mis en pièces par des troupes régulières ; mais ils obtinrent du moins une mort honorable et la satisfaction d’une juste vengeance [Zozime, I].

La discipline de Probus, moins cruelle que celle d’Aurélien, était observée avec la même rigidité et la même exactitude. Le vainqueur de Zénobie punissait sévèrement les désordres des soldats ; Probus les prévenait, en employant constamment les légions à des travaux utiles. Tandis qu’il avait commandé en Égypte, il avait exécuté plusieurs ouvrages considérables qui contribuèrent à la splendeur et à l’avantage de cette riche contrée. Il perfectionna la navigation du Nil, si importante à Rome elle-même. Des temples, des ponts, des portiques et des palais, furent construits par les mains des soldats devenus tour à tour architectes, ingénieurs et cultivateurs [H. Aug., p. 266]. On rapporte d’Annibal que, dans la vue de garantir ses troupes des suites funestes de l’oisiveté, il les força de planter un grand nombre d’oliviers le long des côtes de l’Afrique[54]. Guidé par le même principe, Probus exerça ses légions à couvrir de vignes les coteaux fertiles de la Gaule et de la Pannonie. Il s’efforça de mériter par ses bienfaits la reconnaissance de sa patrie, pour laquelle il conserva toujours une affection particulière. Un vaste terrain connu sous le nom de mont Almo, et situé aux environs de Sirmium, son pays natal, ne présentait de tous côtés que des marais infects ; il fut converti en de riches pâturages. On parle encore d’un autre endroit entièrement défriché par ses troupes[55]. Une pareille armée formait peut-être la portion la plus brave et la plus utile des sujets romains.

Fort de la droiture de ses intentions, l’homme le plus sage, en suivant un plan favori, sort souvent des bornes de la modération. Probus lui-même ne consulta point assez la patience et la disposition de ses fiers légionnaires[56]. Les périls attachés à la profession des armes, semblent n’être compensés que par une vie d’oisiveté et de plaisir. Mais si les travaux du paysan aggravent perpétuellement les devoirs du guerrier, le soldat succombera sous le fardeau, ou le rejettera avec indignation. Probus lui-même enflamma, dit-on, par une imprudence, le mécontentement des troupes. Plus occupé des intérêts du génie humain que de ceux de l’armée, et flatté de ce vain espoir qu’une paix perpétuelle lui épargnerait bientôt la nécessité d’avoir toujours sur pied une multitude de mercenaires dangereux, il avait eu l’imprudence de le manifester[57]. Ses paroles peu réservées lui devinrent fatales. Dans un des jours les plus chauds de l’été [août 282], comme il faisait dessécher les marais de Sirmium, et qu’il pressait les travaux avec beaucoup d’ardeur, les soldats irrités jettent tout à coin leurs outils, prennent les armes et se révoltent. Leurs cris séditieux, la fureur peinte dans leurs regards, annoncent à l’empereur le danger qui le menace. Il se réfugie dans une tour élevée, qu’il avait construite pour diriger les ouvrages[58]. La tour est à l’instant forcée, et mille épées sont plongées dans le sein de l’infortuné Probus. La rage des troupes s’apaisa, dès qu’elle eut été satisfaite. Elles déplorèrent alors leur funeste précipitation, oublièrent la sévérité du prince qu’elles venaient de massacrer, et se hâtèrent d’élever un monument honorable à sa mémoire, pour perpétuer le souvenir de ses vertus et de ses victoires[59].

Après les premiers mouvements de la douleur et du repentir, les légions proclamèrent, d’un consentement unanime, Carus, préfet du prétoire. Tout ce qui tient à ce prince paraît douteux et incertain. Il se glorifiait du titre de citoyen romain, et il affectait de comparer la pureté de son sang avec l’origine étrangère et même barbare de ses prédécesseurs. Cependant, loin d’admettre ses prétentions, ceux de ses contemporains qui ont fait le plus de recherches sur sa naissance ou sur celle de ses parents, la placent en Illyrie, dans la Gaule ou en Afrique[60]. Quoique soldat, son éducation avait été très cultivée ; quoique sénateur, il se trouvait revêtu de la première dignité de l’armée ; et dans un siècle où les professions civiles et militaires commençaient à être pour jamais séparées l’une de l’autre, elles étaient réunies dans la personne de Carus. Malgré la justice sévère qu’il exerça contre les assassins de Probus, dont l’estime et la frayeur lui avaient été si utiles, il fut soupçonné d’avoir participé à un crime qui lui frayait le chemin au trône. Il jouissait, du moins avant son élévation, d’une grande réputation de mérite et de vertu[61] ; mais l’austérité de son caractère dégénéra insensiblement en aigreur et en cruauté. Les historiens de sa vie sont presque disposés à le mettre au rang des tyrans de Rome[62]. Carus avait environ soixante ans lorsqu’il prit la pourpre ; et ses deux fils, Carin et Numérien, étaient déjà parvenus l’âge d’homme[63].

On vit expirer avec Probus l’autorité du sénat. A la mort de ce prince, le repentir des troupes ne les porta point aux mêmes égards qu’elles avaient eus pour la puissance civile après le meurtre d’Aurélien. Elles avaient donné la pourpre à Carus sans attendre l’approbation du sénat. Le nouvel empereur se contenta d’annoncer par une lettre froide et hautaine, qu’il était monté sur le trône vacant[64]. Une conduite si différente de celle de son vertueux prédécesseur ne prévenait pas en faveur du nouveau règne. Les Romains, sans pouvoir et sans liberté, eurent recours à des murmures [H. Aug., p. 242], seul privilège dont on ne leur eût pas ôté la jouissance. La flatterie éleva cependant la voix. Il existe encore une églogue composée à l’avènement de Carus. Quelque méprisable que soit le sujet de cette pièce, on peut la lire avec plaisir. Deux bergers, pour éviter la chaleur du midi, se retirent dans la grotte de Faune. Ils aperçoivent quelques caractères récemment tracés sur un hêtre. La divinité champêtre avait décrit en vers prophétiques la félicité promise à l’empire sous le règne d’un si grand prince. Faune salue le héros qui, prêtant ses épaules pour soutenir le poids de l’univers chancelant, doit étouffer les guerres, les factions, et rétablir, l’innocence et la sécurité de l’âge d’or[65].

Selon toutes les apparences, ces élégantes bagatelles ne parvinrent jamais aux oreilles d’un vieux général, qui, avec le consentement de ses légions, se préparait à exécuter le projet si longtemps suspendu de la guerre contre les Perses. Avant son départ pour cette expédition lointaine, il conféra le titre de César à ses deux fils, Carin et Numérien ; et, cédait au premier une portion presque égale de l’autorité souveraine, il lui ordonna d’apaiser d’abord quelques troubles élevés dans la Gaule, ensuite de fixer sa résidence à Rome, et de prendre le commandement des provinces occidentales[66]. Une victoire mémorable remportée sur les Sarmates assura la tranquillité de l’Illyrie. Les Barbares laissèrent seize mille hommes sur le champ de bataille, vingt mille d’entre eux furent faits prisonniers. Impatient de cueillir de nouveaux lauriers, le vieil empereur se mit en marche au milieu de l’hiver, traversa la Thrace et l’Asie-Mineure, et arriva sur les confins de la Perse avec Numérien, le plus jeune de ses fils. Ce fût là que, campé sur le sommet d’une haute montagne, il montra aux troupes l’opulence et le luxe de l’ennemi dont elles allaient bientôt envahir le territoire.

Le successeur d’Artaxerxés, Varanes ou Bahram, avait subjugué les Segestins, une des nations les plus belliqueuses de la Haute Asie[67]. Malgré cet exploit, l’approche des Romains l’alarma ; il résolut d’employer, pour retarder leurs progrès, la voie de la négociation. Ses ambassadeurs entrèrent dans le camp romain vers le coucher du soleil, au moment où les troupes apaisaient leur faim par un repas frugal. Les Perses demandèrent à paraître en présence de Carus. Ils parcoururent les rangs sans apercevoir l’empereur. On les conduisit enfin à un soldat assis sur le gazon, et qui, n’avait pour marque distinctive qu’un manteau de pourpre, fait d’une étoffe grossière. Un morceau, de lard rance et quelques vieux pois composaient son souper. La même simplicité régna dans la conférence. Carus, ôtant un bonnet qu’il portait  pour cacher sa tête chauve, assura les ambassadeurs que si le maître refusait de reconnaître la souveraineté de Rome[68], il rendrait bientôt la Perse aussi dépouillée d’arbres que sa tête l’était de cheveux. Quoiqu’il y eût peut-être de l’affectation dans cette scène, elle peut nous donner une idée des mœurs de Carus, et de la simplicité sévère qu’avaient déjà ramenée dans les camps les belliqueux successeurs de Gallien. Les ministres du grand roi tremblèrent, et se retirèrent.

Les menaces de Carus ne furent pas sans effet. Il ravagea la Mésopotamie, renversa tout ce qui s’opposait à son passage, se rendit maître de Séleucie et de Ctésiphon, places importantes, qui paraissent s’être rendues sans résistance : enfin, il porta ses armes victorieuses au-delà du Tigre[69]. Ce prince avait saisi le moment favorable pour une invasion. Les conseils de la Perse étaient agités par des factions domestiques. Cette monarchie avait envoyé la plus grande partie de ses forces sur les frontières de l’Inde. Rome et l’Orient reçurent avec transport la nouvelle d’un si grand succès. On se formait déjà les idées les plus magnifiques. La flatterie et l’espérance annonçaient la chute de la Perse, la conquête de l’Arabie, la soumission de l’Égypte, et la tranquillité de l’empire, à jamais délivré des incursions du peuple scythe[70]. Mais le règne de Carus semblait destiné à montrer la fausseté des prédictions. Elles étaient à peine proférées, que la mort du vainqueur vint les contredire [25 décembre 283]. On est fort incertain sur la manière dont périt ce prince. Ce qui nous est parvenu de plus authentique à ce sujet se trouve dans une lettre de son secrétaire au préfet de la ville. Carus, dit-il, notre cher empereur, était dans son lit, malade, lorsqu’il s’éleva dans le camp un furieux orage. Le ciel devint si obscur, que nous ne pouvions nous distinguer ; et les éclats continuels de la foudre nous ôtèrent la connaissance de ce qui se passait dans cette confusion générale. Immédiatement après le plus violent coup de tonnerre, nous entendons crier que l’empereur n’est plus. Il parait que les officiers de sa maison, dans les transports de leur douleur, ont mis le feu à la tente impériale ; ce qui a donné lieu au bruit que Carus avait été tué de la foudre : mais, autant qu’à nous a été possible d’approfondir la vérité, nous croyons que sa mort a été l’effet naturel de sa maladie[71].

Cet événement ne produisit aucun trouble. L’ambition des généraux qui auraient voulu s’emparé de la pourpre, était contenue par leurs craintes respectives. Le jeune Numérien et son frère Carin, alors absent, furent universellement reconnus. Les Romains espéraient que le successeur de Carus marcherait sur les traces de son père, et, que, sans laisser aux Perses le temps de revenir de leur consternation, il porterait le fer et le feu dans les palais de Suze et d’Ecbatane[72] ; mais les légions, si redoutables par leur nombre et par leur discipline, ne purent résister aux viles terreurs de la superstition. Malgré tous les artifices que l’on employa pour déguiser les circonstances de la mort du dernier empereur, il ne fut pas possible de détruire l’opinion de la multitude, et la force de l’opinion est irrésistible. Les lieux et les personnes frappés de la foudre paraissent singulièrement dévoués à la colère du ciel[73] ; les anciens ne les regardaient qu’avec une pieuse horreur. On parla d’un oracle qui désignait le Tigre comme la borne fatale des armes romaines. Les groupes, effrayées du sort de Carus et de leurs propres dangers, sommèrent hautement le jeune Numérien, d’obéir à la volonté des dieux, et de les tirer d’un pays où elles ne pouvaient combattre que sous les plus malheureux auspices. Le faible empereur se laissa entraîner parleurs préjugés, et les Perses ne purent voir sans étonnement la retraite subite d’un ennemi victorieux[74].

On apprit bientôt à Rome la mort mystérieuse de l’empereur. Le sénat et les provinces se félicitèrent de l’avènement des fils de Carus. Ces jeunes princes cependant n’avaient point ce sentiment d’une supériorité de naissance ou de mérite, qui seule peut rendre la possession d’un trône facile et presque naturelle. Nés dans une condition privée, ils avaient reçu l’éducation de leur état, lorsque l’élection de leur père les appela tout à coup au rang de princes ; sa mort, qui arriva seize mois après environ, leur assura l’héritage inattendu d’un empire immense. Pour soutenir avec modération une fortune si rapide, il eût fallu une prudence et une vertu extraordinaires, qualités dont Carin, l’aîné des deux frères, était, entièrement dépourvu. Il avait montré quelque courage dans la guerre de la Gaule[75] ; mais, dès qu’il fut arrivé à Rome, il s’abandonna, sans aucune retenue, au luxe de la ville et à l’abus de l’autorité. Il était faible et cependant cruel, livré aux plaisirs, mais dénué de goût ; et, quoique singulièrement susceptible de vanité, il paraissait insensible à l’estime publique. Dans le cours de quelques mois il épousa et répudia successivement neuf femmes qu’il laissa pour la plupart enceintes ; et, malgré tant d’engagements légitimes si souvent rompus, il trouvait le temps de satisfaire une foule d’autres passions qui le couvraient d’opprobre, et déshonoraient les premières familles de l’État. Rempli d’une haine implacable contre tous ceux qui pouvaient se rappeler son ancienne obscurité, ou désapprouver sa conduite présente, il eut la bassesse de persécuter les compagnons de son enfance qui n’avaient point assez respecté la majesté future de l’empereur ; et les sages conseillers que son père avait placés auprès de lui pour guider sa jeunesse sans expérience, furent condamnés à l’exil ou au dernier supplice. Carin traitait les sénateurs avec fierté ; il affectait de leur parler en maître, et il leur disait souvent qu’il avait intention de distribuer leurs biens à la populace de Rome. Ce fut d’entre les derniers de cette populace qu’il tira ses favoris et ses ministres. On voyait dans le palais, à la table même du prince, des chanteurs, des danseurs, des courtisanes, et tout le cortége du vice et de la folie. Un huissier[76] obtint le gouvernement de la ville à la place du préfet du prétoire, qui fut mis à mort, Carin substitua l’un des ministres de ses plaisirs les plus dissolus. Un autre, qui avait les mêmes droits à sa faveur, ou qui l’avait obtenue par un moyen encore plus infime, reçut les honneurs du consulat. Enfin, un secrétaire de confiante, très habile dans l’art de contrefaire les écritures, fût chargé par l’indolent empereur de le délivrer du devoir pénible de signer son nom.

Lorsque Carus avait entrepris la guerre de Perse, la politique et sa tendresse pour sa famille, dont il voulait assurer la fortune, l’avaient engagé à laisser entre les mains de l’aîné de ses fils, les armées et les provinces de l’Occident. La nouvelle qu’il reçut bientôt de la conduite de Carin lui causa les regrets les plus vifs. Pénétré de douleur et de honte, le vieil empereur ne cacha point la résolution où il était de satisfaire la république par un acte sévère de justice, d’éloigner du trône un fils indigne qui en dégradait la majesté, et d’adopter le brave et vertueux Constance, alors gouverneur de la Dalmatie[77]. Mais l’élévation de cet illustre général fut différée pour quelque temps ; et dès que Carin se trouva débarrassé, par la mort de son père, du frein de la crainte ou de la décence, Rome gémit sous la tyrannie d’un monarque qui joignait à la folie d’Élagabale la cruauté de Domitien[78].

Le seul mérite que l’histoire ou la poésie ait remarqué dans l’administration de Carin, fut la splendeur extraordinaire avec laquelle, en son nom et au nom de son frère, il célébra les jeux du cirque et de l’amphithéâtre. Plus de vingt ans après, lorsque les courtisans de Dioclétien lui représentaient la gloire et l’affection des peuples que son prédécesseur avait acquises par sa munificence, ce prince économe convenait que le règne de Carin avait été en effet un règne de plaisir[79]. Au reste, cette vaine prodigalité, que pouvait dédaigner la prudence de Dioclétien, excita la surprise et les transports du peuple. Les vieillards, se rappelant la pompe triomphale de Probus, celle d’Aurélien et les jeux séculaires de l’empereur Philippe, avouaient que ces fêtes brillantes étaient toutes surpassées par la magnificence du fils de Carus[80].

On peut se former une idée des spectacles de Carin, en considérant quelques particularités que l’on trouve dans l’histoire concernant les jeux donnés par ses prédécesseurs. Si nous nous bornons aux chasses de bêtes sauvages, quelque blâmable que nous paraisse la vanité du dessein, ou la cruauté de l’exécution, nous serons forcés de l’avouer, jamais, avant ni depuis les Romains, l’art n’a fait des efforts si prodigieux ; jamais on n’a dépensé des sommes si excessives pour l’amusement du peuple[81]. Sous le règne de Probus, de grands arbres transplantés au milieu du cirque, avec leurs racines, formèrent une vaste forêt, qui fut tout à coup remplie de mille autruches, de mille daims, de mille cerfs et de mille sangliers, et tout ce gibier fut abandonné à l’impétuosité tumultueuse de la multitude. La tragédie du jour suivant consista dans un massacre de cent lions, d’autant de lionnes, de deux cents léopards, et de trois cents ours[82]. Les animaux que le jeune Gordien avait destinés à son triomphe, et qui parurent aux jeux séculaires de son successeur, étaient moins remarquables par le nombre que par la singularité. Vingt zèbres déployèrent aux yeux du peuple romain leurs formes élégantes et la beauté de leur robe, brillante de différentes couleurs[83]. Dix élans et autant de girafes, les plus doux et les plus grands des animaux qui errent dans les plaines de la Sarmatie et dans celles de l’Éthiopie, contrastaient avec trente hyènes d’Afrique, et dix tigres de l’Inde, les créatures les plus féroces de la zone torride. La force peu dangereuse dont la nature a doué les plus grands des quadrupèdes, fut admirée dans le rhinocéros, dans l’hippopotame du Nil[84], et dans une troupe majestueuse de trente-deux éléphants[85]. Tandis que la populace contemplait avec une surprise stupide ce magnifique spectacle, le naturaliste pouvait observer la figure, et les caractères de tant d’espèces différentes, transportées de toutes les parties de l’ancien continent dans l’amphithéâtre de Rome. Mais cet avantage passager que la science tirait de la folie, ne saurait certainement justifier un emploi si extravagant des richesses de l’État. On trouvé pourtant dans l’histoire romaine une occasion, unique à la vérité, où le sénat de Rome lia prudemment les jeux de la multitude avec les intérêts de la république ; ce fut pendant la première guerre punique. Un petit nombre d’esclaves, qui n’avaient pour armes que des javelines émoussées[86], donna la chasse, au milieu du cirque, à une troupe considérable d’éléphants pris sur les Carthaginois. Ce divertissement utile servit à inspirer au soldat romain un juste mépris pour ces masses énormes, qu’il ne craignit bientôt plus de rencontrer sur le champ de bataille.

La chasse ou l’exposition des bêtes sauvages se faisait avec une magnificence digne d’un peuple qui s’appelait le maître de l’univers ; les édifices destinés à ces amusements ne répondaient pas moins à la grandeur romaine. La postérité admire et admirera longtemps les débris majestueux de l’amphithéâtre de Titus, qui méritait bien le nom de colossal[87]. C’était un bâtiment de forme elliptique, long de cinq cent soixante-quatre pieds, large de quatre cent soixante-sept, appuyé sur quatre-vingts arches, et s’élevant par quatre ordres d’architecture à la hauteur de cent quarante pieds[88]. L’extérieur était revêtu de marbre, et décoré de statues. Dans le contour de la vaste enceinte qui formait l’intérieur, on avait disposé soixante ou quatre-vingts rangs de sièges, aussi de marbre, couverts de coussins, et capables de recevoir commodément plus de quatre-vingt mille spectateurs[89]. La multitude arrivait en foule par soixante quatre entrées (en latin vomitoria, nom propre à désigner de pareilles portes). Les issues, les passages, les escaliers, avaient été si habilement construits, que chaque personne, sénateur, chevalier ou plébéien, se rendait sans contusion à la place qui lui était destinée[90] ; on m’avait rien omis de ce qui pouvait contribuer au plaisir ou a la commodité des spectateurs. Une vaste tente, déployée sur leur tête lorsque le temps l’exigeait, les garantissait du soleil et de la pluie. Le jeu des fontaines rafraîchissait continuellement l’air imprégné du parfum délicieux des aromates. Dans le centre de l’édifice, l’arène ou théâtre, parsemée du sable le plus fin, prenait successivement les formes les plus variées. Tantôt elle semblait s’élever de terre comme le jardin des Hespérides : elle présentait ensuite les cavernes et les rochers de la Thrace ; des canaux souterrains fournissaient une source d’eau inépuisable ; et ce qui venait de paraître une plaine unie, pouvait être tout à coup changé en un lac couvert de vaisseaux armés, et rempli des monstres de la mer[91].

Les empereurs romarins déployèrent leurs richesses et leur libéralité pour embellir ces magnifiques scènes. Nous lisons qu’en plusieurs occasions toutes les décorations de l’amphithéâtre furent d’or, d’argent ou d’ambre[92]. Selon le poète qui décrit les jeux de Carin, soirs le nom d’un berger attiré dans la capitale par leur magnificence ; les filets destinés à défendre le peuple contre les bêtes sauvages étaient de fils d’or ; les portiques avaient été dorés, et une précieuse mosaïque [Calph., VII], composée de pierres d’une grande beauté, enrichissait les degrés de l’amphithéâtre, qui servaient à séparer les rangs des spectateurs.

Au milieu de cette pompe éclatante [12 septembre 284], Carin, assuré de sa fortune, jouissait des acclamations du peuple et de la flatterie des courtisans. Il écoutait avec transport les chants des poètes qui se trouvaient réduits à célébrer, au défaut d’un mérite plus essentiel, les grâces divines de sa personne[93]. Dans le même moment, mais à huit cents milles de Rome, son frère rendait les derniers soupirs, et une révolution soudaine faisait passer entre les mains d’un étranger le sceptre de la maison de Carus[94].

Les fils de Carus ne se virent point depuis la mort de leur père. Les arrangements qu’exigeait leur nouvelle situation, avaient probablement été différés jusqu’au retour de Numérien dans la capitale, où l’on avait décerné aux jeunes princes les honneurs du triomphe pour le glorieux succès de la guerre de Perse[95]. On ne sait s’ils avaient le projet de diviser entre eux l’administration ou les provinces de l’empire ; mais il est vraisemblable que leur union n’eût point été de longue durée. La jalousie du pouvoir aurait été enflammée par l’opposition des caractères. Dans le plus corrompu des siècles, Carin. était indigne de vivre, Numérien méritait de régner dans des temps plus heureux. Ses manières affables et ses vertus aimables, lui assurèrent, dès qu’elles furent connues, l’estime et l’affection du public ; il possédait les qualités brillantes de poète et d’orateur, qui honorent et embellissent l’état le plus humble comme le plus élevé. Cependant, quoique son éloquence eût reçu les applaudissements du sénat, il avait moins pris pour modèle Cicéron que de modernes déclamateurs. Mais dans un siècle dont le mérite poétique n’est pas à dédaigner, il disputa le prix aux plus célèbres de ses contemporains ; et il resta toujours l’ami de ses rivaux ce qui montre évidemment la bonté de son cœur ou la supériorité de son génie[96]. Mais les talents de Numérien le portaient à la contemplation ; la nature ne l’avait point formé pour une vie active. Lorsque la grandeur soudaine de sa maison le força, malgré lui, de s’arracher aux charmes de la retraite, ni son caractère ni ses études ne l’avaient rendu propre au commandement des armées. Les fatigues de la guerre de Perse, détruisirent sa constitution ; et ses yeux, incapables de soutenir la chaleur du climat[97], avaient contracté une faiblesse qui l’obligea, pendant une longue marche, de se renfermer dans la solitude et dans l’obscurité d’une tente ou d’une litière. L’administration de toutes les affaires, tant militaires que civiles, fut remise au préfet du prétoire, Arius Aper, qui à l’importance de sa dignité ajoutait l’honneur d’avoir Numérien pour gendre : cet officier avait confié la gardé du pavillon impérial aux plus dévoués de ses partisans ; et ce fut lui qui, pendant plusieurs jours, communiqua aux troupes les ordres supposés de leur invisible souverain[98].

L’armée romaine avait quitté les bords du Tigre dès que Carus avait eu les yeux fermés : elle n’arriva qu’après huit mois d’une marche lente sur les rives du Bosphore de Thrace. Les légions s’arrêtèrent à Chalcédoine en Asie, tandis que la cour passait à Héraclée, ville d’Europe, baignée par la Propontide[99]. Tout à coup on parle de la mort de l’empereur, et de la présomption d’un ministre ambitieux, qui continuait à exercer le pouvoir souverain au nom d’un prince qui n’était plus. Ces bruits se répandirent d’abord secrètement ; bientôt ils éclatèrent dans tout le camp. L’impatience des soldats ne leur permet pas de rester plus longtemps incertains. Entraînés par la curiosité, ils forcent la tente impériale, où ils n’aperçoivent que le cadavre de Numérien[100]. L’affaiblissement graduel de sa santé aurait pu les porter à croire que sa mort était naturelle ; mais le soin que l’on avait pris de la cacher parut une preuve du crime, et les mesures d’Aper pour assurer son élection devinrent la cause immédiate de sa ruine. Cependant, même dans les transports de leur rage et de leur douleur, les troupes observèrent un ordre qui montre combien la discipline avait été fermement rétablie par les belliqueux successeurs de Gallien. L’armée tint à Chalcédoine une assemblée générale, où le préfet du prétoire fut amené chargé de fers comme un criminel. Un tribunal vide fut placé au milieu du camp, et les généraux formèrent, avec les tribuns  un grand conseil militaire. Ils annoncèrent bientôt à la multitude qu’ils avaient choisi Dioclétien, commandant des domestiques ou gardes du palais, comme la personne la plus capable de venger un prince chéri, et de lui succéder [27 septembre 284]. Ce moment était important pour le candidat, et sa fortune pouvait en quelque sorte dépendre de la conduite qu’il allait tenir. Persuadé que l’emploi dont il avait été chargé l’exposait à quelques soupçons, Dioclétien monte sur le tribunal, tourne les yeux vers le soleil, et, en présence de ce dieu qui voit tout[101], il proteste solennellement de son innocence. Prenant alors le ton d’un souverain et d’un juge, il fait amener Aper au pied du tribunal : Cet homme, dit-il, est le meurtrier de Numérien. Et, sans lui donner le temps d’entrer dans une justification dangereuse, il tire son épée, et la plonge dans le sein de l’infortuné préfet. Une accusation appuyée d’une preuve si décisive, est admise sans aucune contradiction ; et les troupes, avec des acclamations réitérées, reconnaissent l’autorité et la justice de l’empereur Dioclétien[102].

Avant de décrire le règne mémorable de ce prince, voyons quelle fut la destinée de l’indigne frère de Numérien. Les armes et les trésors de Carin le mettaient en état de soutenir ses droits au trône ; mais ses vices personnels détruisaient tous les avantages qu’il pouvait tirer de sa naissance et de sa situation.

Les plus fidèles serviteurs du père méprisaient la capacité du fils, et redoutaient sa cruelle arrogance. Son rival avait pour lui le cœur des peuples ; le sénat même, préférait un usurpateur à un tyran. Les artifices de Dioclétien en entretinrent le mécontentement général. L’hiver fut employé en intrigues secrètes, et en préparatifs ouverts pour une guerre civile. Au printemps [mai 285], les armées de l’Orient et de l’Occident se rencontrèrent dans les plaines de Margus, petite ville de Mœsie, non loin des rives du Danube[103]. Les troupes qui venaient de faire trembler le grand roi se trouvaient épuisées par les maladies et par les fatigues de leur dernière expédition ; elles ne pouvaient disputer la victoire aux légions d’Europe, dont la force n’avait éprouvé aucune altération. Les lignes de Dioclétien furent rompues, et ce prince désespéra pendant quelque temps de la pourpre et de la vie. Mais Carin perdit, par l’infidélité de ses officiers, l’avantage que lui avait procuré la valeur de ses soldats. Un tribun dont il avait séduit la femme, saisit l’occasion de se venger, et d’un seul coup il éteignit les discordes civiles dans le sang de l’adultère[104].

 

 

 



[1] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 222. Aurelius-Victor parle d’une députation formelle des troupes au sénat.

[2] Vopiscus, notre autorité principale, écrivait à Rome, seize ans seulement après la mort d’Aurélien. Outre la notoriété récente des faits, il tire constamment ses matériaux des registres du sénat et des papiers originaux de la bibliothèque Ulpienne. Zozime et Zonare paraissent aussi ignorants de ce fait qu’ils l’étaient en général de la constitution romaine.

[3] Cet interrègne fut tout au plus de sept mois : Aurélien fut assassiné vers le milieu de mars, l’an de Rome 1028 ; Tacite fut élu le 25 septembre de la même, année (Note de l’Éditeur).

[4] Tite-Live, I, 17 ; Denys d’Halicarnasse, II, p. 115 ; Plutarque, Vie de Numa, p. 60. Le premier de ces historiens rapporte ce fait comme un orateur, le second comme un homme de loi, le troisième comme un moraliste ; et aucun d’eux probablement n’en parle sans un mélange de fable.

[5] Vopiscus (Hist. Auguste, p. 227) l’appelle primœ sententiœ consularis, et bientôt après, princeps senatus. Il est naturel de supposer que les monarques de Rome, dédaignant cet humble titre, le cédaient au plus ancien des sénateurs.

[6] La seule objection que l’on puisse faire à cette généalogie, est que l’historien se nommait Cornélius ; et l’empereur Claudius ; mais dans le Bas-Empire les surnoms étaient extrêmement variés et incertains.

[7] Zonare, XII, p. 637. La Chronique d’Alexandrie, par une méprise évidente, attribue cet âge à l’empereur Aurélien.

[8] Il avait été consul ordinaire en 273 ;  mais il avait sûrement été suffectus plusieurs années auparavant, vraisemblablement sous Valérien.

[9] Bis millies octingenties. Vopiscus, Hist. Auguste, p. 229. Sur le pied où avait été mise la monnaie, cette somme équivalait à huit cent quarante mille livres romaines d’argent, chacune valant environ trois livres sterling mais dans le siècle de Tacite, la monnaie avait beaucoup perdu de son poids et de sa pureté.

[10] Après son avènement, il ordonna que l’on fit tous les ans dix copies des ouvrages de Tacite, et qu’on les plaçât dans les bibliothèques publiques. Il y a longtemps que les bibliothèques romaines ont péri. La partie la plus précieuse des ouvrages de Tacite a été conservée dans un seul manuscrit, et découverte dans un monastère de Westphalie. Voyez Bayle., Dictionn., article Tacite; et Juste-Lipse, ad Annal., II, 9.

[11] Hist. Auguste, p. 228. L’empereur Tacite, en parlant aux prétoriens, les appelle sanctissimi milites, et, en adressant la parole au peuple, il lui donne le nom de sacratissimi quirites.

[12] Dans tous ses affranchissements , il ne passa jamais le nombre de cent. Ce nombre avait été limité par la loi caninienne, établie sous Auguste et annulée par Justinien. Voyez Casaubon, ad locum Vopisci.

[13] Voyez les Vies de Tacite, de Florianus et de Probus, dans l’Histoire Auguste. Nous pouvons être bien assurés que tout ce que donna le soldat, le sénat l’avait déjà donné.

[14] Vopiscus, Hist.. Auguste, p. 216. Le passage est très clair ; cependant Casaubon et Saumaise voudraient le corriger.

[15] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 230, 232, 233. Les sénateurs célébrèrent cet heureux rétablissement par des hécatombes et par des réjouissances publiques.

[16] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 230 ; Zozime, I, p. 57 ; Zonare, XII, p. 637. Deux passages, dans la Vie de Probus, p. 236, 238, me prouvent que ces Scythes, qui envahirent le Pont, étaient Alains. Si nous pouvions en croire Zozime (I, p. 58), Florianus les poursuivit jusqu’au Bosphore Cimmérien ; mais ce prince eut à peine assez de temps pour une expédition si longue et si difficile.

[17] Eutrope et Aurelius-Victor disent simplement qu’il mourut ; Victor le jeune ajoute que ce fut d’une fièvre. Selon Zozime et Zonare, il fut tué par les soldats. Vopiscus rapporte ces différentes opinions et semble hésiter ; il est cependant bien aisé sans doute de concilier ces sentiments opposés.

[18] Selon les deux Victor, il régna exactement deux cents jours.

[19] Hist. Auguste, p. 231 ; Zozime, I, p. 58-59 ; Zonare, XII, p. 637. Aurelius-Victor avance que Probus prit la pourpre en Illyrie. Une pareille opinion, quoique adoptée par un homme très savant, jetterait cette période de l’histoire dans la plus grande confusion.

[20] Ce héros devait envoyer des juges aux Parthes, aux Perses et aux Sarmates, un président dans la Taprobane, et un proconsul dans l’île Romaine (que Casaubon et Saumaise supposent être la Bretagne). Une histoire telle que la mienne, (dit Vopiscus avec une juste modestie) ne subsistera plus dans mille ans pour faire connaître cette prédiction fausse ou vraie.

[21] Pour la vie privée de Probus, voyez Vopiscus, Hist. Auguste, p. 234-237.

[22] Selon la Chronique d’Alexandrie, il avait cinquante ans lorsqu’il mourut.

[23] La lettre était adressée au préfet du prétoire. Ce prince lui promet, s’il se conduit bien, de le conserver dans cette charge importante. Voyez l’Hist. Auguste, p. 237.

[24] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 237. La date de la lettre est assurément fausse : au lieu de non. februar., ou peut lire non. august.

[25] Hist. Auguste, p, -238. Il est singulier que le sénat ait traité Probus moins favorablement que Marc-Aurèle. Celui-ci avait reçu, même avant la mort d’Antonin le Pieux, jus quintœ relationis. Voyez Capitolin, Hist. Auguste, p. 24.

[26] Voyez la lettre respectueuse de Probus au sénat, après ses victoires sur les Germains. Hist. Auguste, p. 239.

[27] La date et la durée du règne de Probes sont fixés avec beaucoup d’exactitude par le cardinal Noris, dans son savant ouvrage de Epochis Syro-Macedonum, p. 96-105. Un passage d’Eusèbe lie la seconde année du règne de Probus avec les ères de plusieurs villes de Syrie.

[28] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 239.

[29] L’Isaurie est une petite province de l’Asie Mineur, entre la Pisidie et la Cilicie : les Isaures exercèrent longtemps le métier de voleurs et de pirates. Leur principale ville, Isaura, fut détruite par le consul Servilius, qui reçut le surnom d’Isauricus. D’Anville, Géogr. anc., t. II, p. 86 (Note de l’Éditeur).

[30] Zozime (I, p. 62-65) rapporte une histoire très longue et très peu intéressante de Lycius, voleur isaurien.

[31] Les Blemmyes habitaient le long du Nil près des grandes cataractes. D’Anville, Géogr. anc., t. III, p, 48 (Note de l’Éditeur).

[32] Zozime, I, p. 65 ; Vopiscus, Hist. Auguste, p. 239, 244. Mais il ne parait pas vraisemblable que la défaite des sauvages d’Ethiopie pût affecter- le monarque persan.

[33] Outre ces chefs bien connus, Vopiscus (Hist. Auguste, p. 241) en nomme plusieurs antres dont les actions ne nous sont pas parvenues.

[34] Voyez les Césars de Julien, et l’Hist. Auguste, p. 238, 240-241.

[35] Ce ne fut que sous les empereurs Dioclétien et Maximien que les Bourguignons , de concert avec les Allemands, firent une invasion dans l’intérieur de la Gaule : sous le règne de Probus, ils se bornèrent à passer le fleuve qui lés séparait de l’empire romain ; ils furent repoussés. Gatterer présume que ce fleuve était le Danube ; un passage de Zozime me paraît indiquer plutôt le Rhin. Zozime, I, p. 37 de l’édition d’Henri Étiennee, 1581 (Note de l’Éditeur).

[36] Zozime, I, p. 62. L’Histoire Auguste (p. 240) suppose que les Barbares furent châtiés du consentement de leurs rois : s’il en est ainsi, la punition fut partielle comme l’offense.

[37] Voyez Cluvier, Germ. ant., III. Ptolémée place dans leur pays la ville de Calisia, probablement Calish en Silésie.

[38] Feralis umbra, qu’on lit dans Tacite, est, à coup sûr, une expression bien hardie.

[39] Tacite, Germ., 43, traduction de l’abbé de La Bletterie.

[40] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 238.

[41] Hist. Auguste, p. 238, 239. Vopiscus cite une lettre de l’empereur au sénat, dans laquelle ce prince parle du projet de réduire la Germanie en province.

[42] Strabon, VII. Selon Velleius Paterculus (II, 108), Maroboduus mena ses Marcomans en Bohême. Cluvier (Germ. ant., III, 8) prouve qu’il partit de la Souabe.

[43] Le paiement du dixième fit donner à ces colons le nom de Décumates. Tacite, Germ., 29.

[44] Voyez les notes de l’abbé de La Betterie à la Germanie de Tacite, p. 183. Ce qu’il dit de la muraille est principalement tiré (comme il l’écrit lui-même) de l’ouvrage de M. Schœpflin, intitulé Alsatia illustrata.

[45] Voyez les Recherches sur les Égyptiens et les Chinois, tome II, p. 81-102. L’auteur anonyme de cet ouvrage connaît très bien le globe en général, et l’Allemagne en particulier. A l’égard de ce pays, il cite un ouvrage de M. Hanselman mais il paraît confondre la muraille de Probus, bâtie contre les Allemands, avec la fortification des Mattiaces, construite dans le voisinage de Francfort, contre les Cattes.

[46] Il plaça cinquante ou soixante Barbares environ dans un numerus, comme on l’appelait alors. Nous ne connaissons pas exactement le nombre fixé de ceux qui composaient un pareil corps.

[47] Britannia, de Cainbden, introduction, p. 136 ; mais il est appuyé sur une conjecture bien douteuse.

[48] Zozime, I, p. 62. Selon Vopiscus, un autre corps de Vandales fut moins fidèle.

[49] Hist. Auguste, p. 240. Ils furent probablement chassés par les Goths. Zozime, I, p. 66.

[50] Panegyr. Vet., v. 18 ; Zozime, I, p. 66.

[51] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 245-246. Cet orateur infortuné avait étudié la rhétorique à Carthage, et nous sommes portés à croire qu’il était Maure (Zozime, I, p. 60) plutôt que Gaulois, comme le dit Vopiscus.

[52] On rapporte un exemple fort surprenant des prouesses de Proculus. Cet officier avait pris cent vierges sarmates. Il vaut mieux l’entendre raconter dans sa langue le reste de l’histoire. Ex his unâ nocte decem inivi : omnes tamen, quod in me erat ; mulieres infra dies quindecim reddidi, Vopiscus, Hist. Auguste, p. 246.

[53] Proculus, qui était natif d’Albenga, sur la côte de Gênes, arma deux mille de ses esclaves. Il avait acquis de grandes richesses ; mais il les devait à ses brigandages. Par la suite sa famille avait coutume de dire Nec latrones esse nec principes sibi placere. Vopiscus., Hist. Auguste, p. 247.

[54] Aurelius-Victor, in Prob. Mais la politique d’Annibal, dont aucun auteur plus ancien n’a parlé, ne s’accorde pas avec l’histoire de sa vie. Il quitta l’Afrique à l’âge de neuf ans ; il en avait quarante-cinq lorsqu’il y retourna ; et, immédiatement après, il perdit son armée dans la bataille décisive de Zama. Tite-Live, XXX, 37.

[55] Hist. Auguste, p. 240 ; Eutrope, IX, 17 ; Aurelius-Victor, in Prob. ; Victor le jeune. Ce prince révoqua la défense de Domitien, et il accorda aux Gaulois, aux Bretons et aux Pannoniens, une permission générale de planter des vignes.

[56] Julien blâme avec trop de sévérité la rigueur de Probus, qui, selon lui, mérita presque sa malheureuse destinée.

[57] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 241. II fait sur ce vain espoir un grand et ridicule étalage d’éloquence.

[58] Turris ferrata. Il paraît que cette tour était mobile et armée de fer.

[59] Probus, et vere probus situs est : Victor, ornnium gentium barbararum : Victôr etiam tyrannorum. Probus, homme probe s’il en fût : Vainqueur de toutes les nations Barbares : Vainqueur des tyrans.

[60] Tout ceci cependant peut être concilié Il était né à Narbonne en Illyrie, qu’Eutrope a confondue avec la ville plus fameuse de ce nom, située dans la Gaule. Son père pouvait être Africain, et sa mère une noble Romaine. Carus lui-même fut élevé dans la capitale. Voyez Scaliger, Animad. ad Euseb. Chron., p. 241.

[61] Probus avait demandé au sénat que l’on élevât à Carus, aux dépens du public, une statue équestre et un palais de marbre, comme une juste récompense de son mérite extraordinaire. Vopiscus, Hist. Auguste, p. 249.

[62] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 242, 249. Julien exclut l’empereur Carus et ses fils du banquet des Césars.

[63] Jean Malala, tome I, p. 401. Mais l’autorité de ce Grec ignorant est très faible : il fait venir ridiculement de Carus la ville de Carrhes et la Carie, province dont Homère a parlé.

[64] Hist. Auguste, p. 249. Carus félicite le sénat de ce qu’un de ses membres est fait empereur.

[65] Voyez la première églogue de Calphurnius, dont M. de Fontenelle préfère le plan à celui du Pollion de Virgile. Voyez tome III, p. 118.

[66] Hist. Auguste, p. 353 ;  Eutrope, IX, 18 ; Pagi, Annal.

[67] Agathias, IV, p. 135. On trouve une de ses maximes dans la Bibliothèque orientale de d’Herbelot. La définition de l’humanité renferme toutes les autres vertus.

[68] Synesius attribue cette histoire à Carin : il est bien plus naturel de la donner à Carus qu’à l’empereur Probus, comme l’ont fait Tillemont et Petau.

[69] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 250 ; Eutrope, IX, 18 ; les deux Victor.

[70] C’est à la victoire de Carus sur les Perses que je rapporte le dialogue du Philopatris, qui a été si longtemps un objet de dispute parmi les savants ; mais il faudrait une dissertation pour expliquer et pour justifier mon opinion.

[71] Hist. Auguste, p. 250. Cependant Eutrope, Festus, Rufus, les deux Victor, saint Jérôme, Sidoine Apollinaire, George Syncelle et Zonare, prétendent tous que Carus fut tué de la foudre.

[72] Voyez Némésien, Cynegeticon, v. 71, etc.

[73] Voyez Festus et ses commentateurs sur le mot scribonianum. Les lieux frappés de la foudre étaient entourés d’un mur, les choses étaient enterrées avec des cérémonies mystérieuses.

[74] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 250. Aurelius-Victor semble croire à la prédiction et approuver la retraite.

[75] Némésien, Cynegeticon, v. 69. Il était contemporain, mais poète.

[76] Cancellarius. Ce mot, si humble dans son origine est devenu, par un hasard singulier, le titré de la première place de l’État dans les monarchies de l’Europe. Voyez Casaubon et Saumaise, ad Hist. Aug., p. 253.

[77] Carus se désolait de ce que son fils Numérien était encore trop jeune pour qu’il pût lui confier, à la place de son fière Carin , le gouvernement des provinces occidentales. Vopiscus, in Caro. (Note de l’Éditeur).

[78] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 253-254 ; Eutrope, IX, 19 ; Victor le jeune. A la vérité, le règne de Dioclétien frit si long et si florissant, qu’il a dû nuire beaucoup à la réputation de Carin.

[79] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 254. Il l’appelle Carus, mais le sens paraît d’une manière assez claire : d’ailleurs les noms du père et du fils étaient souvent confondus.

[80] Voyez Calphurnius, eclog., VII, 43. Nous pouvons observer que les spectacles de Probus étaient encore récents, et que le poète est secondé par l’historien.

[81] Le philosophe Montaigne (Essais, III, c. 6) donne une idée très juste et très agréable de la magnificence romaine dans ces spectacles.

[82] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 240.

[83] On leur donna le nom d’onagri ; mais le nombre est trop petit pour qu’il ne soit question que d’ânes sauvages. Cuper (de Elephantis exercitat., II, 7) a prouvé, d’après Oppien, Dion et un Grec anonyme, que l’on avait vu des zèbres à Rome. Ces animaux venaient de quelque île de l’Océan, peut-être de Madagascar.

[84] Carin donna un hippopotame (Voyez Calphurnius, eclog., VII, 66). Auguste avait autrefois exposé trente-six crocodiles ; je ne vois pas qu’il en ait paru dans les spectacles donnés depuis ce prince. Dion Cassius, LV, p. 781.

[85] Capilotin, Hist. Auguste, p. 164-165. Nous ne connaissons pas les animaux qu’il appelle archeleontes ; quelques-uns disent argolcontes, d’autres agrioleontes. Ces deux corrections sont ridicules.

[86] Pline, Hist. nat., VIII, 6. Cette particularité est tirée des Annales de Pison.

[87] Voyez Maffei, Verona illustrata, p. IV, l. I, c. 2.

[88] Maffei, l. II, c. 2. La hauteur a été beaucoup trop exagérée par les anciens. Elle touchait presque les cieux, selon Calphurnius (eclog., VII, 23), et elle surpassait la portée de la vue de l’homme, selon Ammien Marcellin (XVI, 10). Mais que cette hauteur était peu considérable, si on la compare avec celle de la grande pyramide d’Égypte, qui s’élevait à cinq cents pieds en ligne perpendiculaire !

[89] Selon les différentes copies de Victor, nous lisons soixante-dix-sept mille ou quatre-vingt-sept mille spectateurs ; mais Maffei (l. III, c. 12) ne trouve place sur les sièges découverts que pour trente-quatre mille ; le reste se tenait dans les galeries couvertes du haut.

[90] Voyez Maffei, l. II, c. 5-12. Il traite un sujet si difficile avec toute la clarté possible, et en architecte aussi bien qu’en antiquaire.

[91] Calphurnius, eclog., VII, 64, 73. Ces vers sont curieux, et toute l’églogue a été d’un très grand secours à Maffei. Calphurnius et Martial (voyez son premier livre) étaient poètes ; mais lorsqu’ils ont décrit l’amphithéâtre, ils ont peint ce qu’ils voyaient, et ils voulaient parler aux sens des Romains.

[92] Voyez Pline, Hist. nat., XXXIII, 16 ; XXXVII, 11.

[93] Et Martis vultus et Apollinis esse putavi, dit Calphurnius ; mais Jean Malala, qui avait peut-être vu des portraits de Carin, dit que ce prince était petit, épais et blanc (tome I, p. 403).

[94] Par rapport au temps où ces jeux romains furent célébrés, Scaliger, Saumaise et Cuper, se sont donné bien de la peine pour embrouiller un sujet très clair.

[95] Némésien (Cynegeticon) paraît anticiper dans son imagination cet heureux jour.

[96] Il gagna toutes les couronnes sur Némésien, son rival, dans la poésie didactique. Le sénat éleva une statue au fils de Carus, avec une inscription très équivoque : Au plus puissant des orateurs. Voyez Vopiscus, Hist. Auguste, p. 251.

[97] Cause plus naturelle au moins que celle dont parle Vopiscus (Hist. Auguste, p. 251). Cet historien attribue la faiblesse de ses yeux aux pleurs qu’il ne cessa de verser sur la mort de son père.

[98] Dans la guerre de Perse, Aper fut soupçonné d’avoir eu le projet de trahir Carus. Hist. Auguste, p. 250.

[99] Nous devons à la Chronique d’Alexandrie, p. 274, la connaissance du temps et du dieu où Dioclétien fut nommé empereur.

[100] Hist. Auguste, p. 251 ; Eutrope, IX, 18 ; saint Jérôme, in Chron. Selon ces judicieux écrivains, la mort de Numérien fut découverte par l’infection de son cadavre. Ne pouvait-on pas trouver d’aromates dans la maison de l’empereur ?

[101] Aurelius-Victor ; Eutrope, IX, 20; saint Jérôme, in Chron.

[102] Vopiscus, Hist. Auguste, p. 252. Ce qui engagea Dioclétien à tuer Aper (en latin un sanglier), ce furent une prédiction et une pointe aussi ridicules que connues.

[103] Eutrope marque sa situation avec beaucoup d’exactitude. Cette ville était entre le Mons Aureus et Viminiacum. M. d’Anville (Géogr. anc., t. I, p. 304) place Margus à Kastolatz en Servie, un peu au-dessous de Belgrade et de Semendrie.

[104] Hist. Auguste, p. 254 ; Eutrope, IX, 20 ; Aurelius Victor ; Victor, in Epit.