Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

Chapitre X

Les empereurs Dèce, Gallus, Émilien, Valérien et Gallien. Irruption générale des Barbares. Les trente tyrans.

 

 

DEPUIS les jeux séculaires célébrés avec tant de pompe par Philippe, jusqu’à la mort de l’empereur Gallien, vingt ans de calamites désolèrent et déshonorèrent l’univers romain. Durant cette période désastreuse, dont tous les instants furent marqués par la honte et par le malheur, les provinces restèrent exposées aux invasions des Barbares, et gémirent sous le despotisme des tyrans militaires : l’empire s’affaissait de tous côtés ; ce grand corps semblait toucher au moment de sa ruine. La confusion des temps et le manque de matériaux présentent d’égales difficultés à l’historien qui voudrait mettre un ordre suivi dans sa narration. Entouré de fragments imparfaits, toujours, concis, souvent obscurs, quelquefois contradictoires, il est réduit à recueillir, à comparer, à conjecturer ; et quoiqu’il ne lui soit pas permis de ranger ses conjectures dans la classe des faits, il peut suppléer au défaut des monuments historiques par la connaissance générale de l’homme et du jeu des passions, lorsque n’étant retenues par aucun frein, elles exercent toute leur violence.

Ainsi l’on concevra, sans difficulté, que les massacres successifs de tant d’empereurs durent relâcher tous les liens de fidélité entre les princes et les sujets ; que les généraux de Philippe étaient disposés à imiter l’exemple de leur maître ; et que le caprice des armées, accoutumées depuis longtemps à de fréquentes et violentes évolutions, pouvait élever sur le trône le dernier des soldats. L’histoire se contente d’ajouter que la première rébellion contre l’empereur Philippe éclata parmi les légions de Mœsie, dans l’été de l’année 249. Le choix de ces troupes séditieuses tomba sur Marinus, officier subalterne[1]. Philippe prit l’alarme : il craignit que ces premières étincelles ne causassent un embrasement général. Déchiré par les remords d’une conscience coupable, et tremblant à la vue du danger qui le menaçait, il fit part au sénat de la révolte des légions. Le morne silence qui régna d’abord dans l’assemblée attestait la crainte, et peut-être le mécontentement  général, jusqu’à ce qu’enfin Dèce, l’un des sénateurs, prenant un caractère conforme à la noblesse de son extraction, osât montrer plus de fermeté que le prince. Il parla de la conspiration comme d’un soulèvement passager et digne de mépris, et il traita Marinus de vain fantôme, qui serait détruit en peu de jours par la même inconstance qui l’avait créé. Le prompt accomplissement de la prophétie frappa l’empereur. Rempli d’une juste estime pour celui dont les conseils avaient été si utiles, il le crut seul capable de rétablir l’harmonie et la discipline dans une armée dont l’esprit inquiet n’avait pas été entièrement calmé après la mort du rival de Philippe. Dèce refusa longtemps d’accepter cet emploi ; il voulait faire entende au prince, combien il était dangereux de présenter un chef habile à des soldats animés par le ressentiment et par la crainte. L’événement justifia encore sa prédiction : les légions de Mœsie forcèrent leur juge à devenir leur complice ; elles ne lui laissèrent que l’alternative de la mort ou de la pourpre. Après une démarche si décisive, il n’avait plus à balancer ; il mena ou fait obligé de suivre son armée jusqu’aux confins de l’Italie, tandis que Philippe, rassemblant toutes ses forces pour repousser le compétiteur redoutable qu’il avait lui-même élevé, marchait à sa rencontre. Les troupes impériales étaient supérieures en nombre ; mais les rebelles formaient une armée de vétérans, commandés par un général habile et expérimenté[2]. Philippe fut ou tué dans le combat, ou mis à mort quelques jours après à Vérone. Les prétoriens massacrèrent à Rome son fils, qu’il avait associé à l’empire. L’heureux Dèce, moins criminel, que la plupart des usurpateurs de ce siècle, fut universellement reconnu par les provinces et par le sénat. On dit qu’immédiatement après avoir été forcé d’accepter le titre d’Auguste, il avait, par un message particulier, assuré Philippe de sa fidélité et de son innocence, déclarant solennellement qu’à son arrivée en Italie il quitterait les ornements impériaux, et reprendrait le rang d’un sujet soumis. Ses protestations pouvaient être sincères ; mais, dans la situation où la fortune l’avait placé, il lui aurait été difficile de recevoir ou d’accorder le pardon[3].

Le nouvel empereur avait à peine employé quelques mois au rétablissement de la paix et à l’administration de la justice, lorsqu’il fut tout à coup appelé sur les rivés du Danube par des cris de guerre et par l’invasion des Goths. C’est ici la première occasion importante où l’histoire fasse mention de ce grand peuple qui, bientôt après, renversa la monarchie romaine, saccagea le Capitole, et donna des lois à la Gaule, à l’Espagne et à l’Italie. Ses conquêtes en Occident ont laissé des traces si profondes, que même encore aujourd’hui on se sert, quoique fort improprement, du nom de Goths pour désigner tous les Barbares grossiers et belliqueux.

Dans le commencement du sixième siècle, les Goths, maîtres de l’Italie, et devenus souverains d’un puissant empire, se livrèrent au plaisir de contempler leur ancienne gloire et l’avenir brillant qui s’offrait à leurs yeux. Ils désirèrent de perpétuer le souvenir de leurs ancêtres, et de transmettre leurs exploits aux siècles futurs. Le savant Cassiodore, principal ministre de la cour de Ravenne, remplit les vœux des conquérants. Son histoire des Goths consistait en douze livres ; elle est maintenant réduite à l’abrégé imparfait de Jornandès[4]. Ces écrivains ont en l’art de passer avec rapidité sur les malheurs de leur nation, de célébrer son courage lorsqu’il était secondé par la fortune, et d’orner ses triomphes de plusieurs trophées érigés en Asie par les Scythes. Sur la foi incertaine de quelques poésies, les seules archives des Barbares, ils font venir originairement les Goths[5] de la Scandinavie[6]. Cette vaste péninsule, située à l’extrémité septentrionale de l’ancien continent, n’était pas inconnue aux conquérants de Rome. De nouveaux liens d’amitié avaient resserré les premiers nœuds du sang. On avait vu un roi scandinave abdiquer volontairement sa sauvage dignité, et se rendre à Ravenne pour y passer le reste de ses jours au milieu d’une cour tranquille et polie [Jornandès, 3]. Des vestiges, qui ne peuvent être attribués à la vanité nationale, attestent l’ancienne résidence des Goths dans les contrées au nord de la Baltique. Depuis le géographe Ptolémée, le midi de la Suède semble avoir toujours appartenu à la partie la moins entreprenante de la nation, et même aujourd’hui un pays considérable est divisé en Gothie orientale et occidentale. Depuis le neuvième siècle jusqu’au douzième, tandis que le christianisme s’avançait à pas lents dans le Septentrion, les Goths et les Suédois formaient, sous la même domination, deux nations différentes, et quelquefois ennemies[7]. Le dernier de ces deux noms a prévalu, sans anéantir le premier. Les Suédois, assez grands par eux-mêmes pour se contenter de leur réputation dans les armes, ont toujours réclamé l’ancienne gloire des Goths. Dans un moment de ressentiment contre la cour de Rome, Charles XII fit entendre que ses troupes victorieuses n’avaient pas dégénéré de leurs braves ancêtres, dont la valeur avait autrefois subjugué la reine du monde[8].

Le célèbre temple d’Upsal subsistait encore à la fin du onzième siècle dans cette ville, la plus considérable de celles des Goths et des Suédois. L’or enlevé par les Scandinaves, dans leurs expéditions maritimes, en faisait le principal ornement ; et la superstition y avait consacré, sous des formes grossières, les trois principales divinités, le dieu de la guerre, la déesse de la génération et le dieu du tonnerre. Dans la fête générale que l’on célébrait chaque neuvième année, deux animaux de toute espèce, sans en excepter l’espèce humaine, étaient immolés avec la plus grande cérémonie, et leurs corps ensanglantés suspendus dans le bois sacré qui tenait au temple[9]. Les seules traces qui subsistent maintenant de ce culte barbare sont contenues dans l’Edda, système de mythologie compilé en Islande vers le treizième siècle, et que les savants de Suède et de Danemark ont étudié comme le geste le plus précieux de leurs anciennes traditions.

Malgré l’obscurité mystérieuse de l’Edda, il est facile de distinguer deux personnages confondus sous le nom d’Odin le dieu de la guerre et le grand législateur de la Scandinavie. Celui-ci est le Mahomet du Nord ; ce fut lui qui institua une religion adaptée au climat et au peuple. De nombreuses tribus, sur les deux rives de la Baltique, furent subjuguées par la valeur invincible d’Odin, par son éloquence persuasive et par sa réputation d’habile magicien. Pendant le cours d’une vie longue et heureuse, il ne s’était occupé qu’à propager sa religion : il y mit le sceau par une mort volontaire. Redoutant les approches ignominieuses des maladies et des infirmités, il résolut d’expirer comme il convenait à un guerrier. Dans une assemblée solennelle des Suédois et des Goths, il se fit neuf blessures mortelles. Je cours, disait-il en rendant le dernier soupir, préparer le festin des héros dans le palais du dieu de la guerre[10].

Le lieu de la naissance d’Odin et de sa résidence habituelle est désigné sous le nom d’As-gard. L’heureuse conformité de ce nom avec As-bourg ou As-of[11], mots dont la signification est la même, sert de base à un système historique si ingénieux, que nous souhaiterions qu’il fût vrai[12]. On suppose qu’Odin était le chef d’une tribu de Barbares qui habitèrent les bords des Palus-Méotides, jusqu’à ce que la chute de Mithridate et les armes victorieuses de Pompée fissent trembler le Nord pour sa liberté. Odin, trop faible pour résister à un pouvoir si formidable, ne céda qu’en frémissant : forcé de quitter son pays natal, il conduisit sa tribu depuis les frontières de la Sarmatie asiatique jusqu’en Suède, avec le projet véritablement grand de former, dans des retraites inaccessibles à la servitude, une religion et un peuple qui pussent servir un jour sa vengeance immortelle, lorsque ses invincibles Goths, animés par l’enthousiasme de la gloire, sortiraient en nombreux essaims des environs du pôle pour châtier les oppresseurs du genre humain[13].

Quand même tant de générations successives du peuple goth auraient été capables de conserver quelques faibles traces de leur origine des Scandinaves, ce n’est pas à des Barbares sans lettres que nous pourrions demander un détail exact des temps et des circonstances de leurs migrations. Le passage de la Baltique était une entreprise facile et naturelle. Les habitants de la Suède avaient un nombre suffisant de vaisseaux à rames [Tacite, Germ., 44] ; et depuis Carlscroon jusqu’aux ports les plus voisins de la Prusse et de la Poméranie, la distance n’est que d’environ cent milles. Ici enfin nous marchons à la lueur de l’histoire sur un terrain solide. Du moins, en remontant jusqu’à l’ère chrétienne[14], au plus tard jusqu’au siècle des Antonins [Ptolémée, II], nous voyons les Goths établis à l’embouchure de la Vistule, et dans cette fertile province où longtemps après furent bâties les villes commerçantes de Thorn, d’Elbing, de Königsberg et de Dantzig[15]. A l’occident de ces contrées, les nombreuses tribus des Vandales se répandirent le long des rives de l’Oder, et des côtes maritimes du Mecklembourg et de la Poméranie. Une ressemblance frappante de mœurs, de traits, de religion, et de langage, semble indiquer que les Vandales et les Goths étaient originairement une grande et même nation[16]. Ceux-ci paraissent avoir, été subdivisés en  Ostrogoths, Visigoths et Gépides[17]. La distinction des diverses tribus vandales fut plus fortement marquée par les noms indépendants d’Hérules, de Bourguignons, de Lombards, et d’une foule d’autres petits États, qui formèrent, pour la plupart, dans les siècles, suivants, de puissantes monarchies.

Dans le siècle des Antonins, les Goths habitaient encore la Prusse. Déjà, sous le règne d’Alexandre Sévère, leurs hostilités et leurs incursions fréquentes avaient annoncé leur voisinage aux Romains de la Dacie[18]. Cet intervalle, qui est d’environ soixante-dix ans, est donc la période où nous devons placer la seconde migration des Goths, lorsqu’ils se portèrent de la Baltique au Pont-Euxin ; mais il est impossible d’en démêler la cause au milieu des différents ressorts qui faisaient mouvoir des Barbares errants. La peste ou la famine, une victoire ou une défaite, un oracle des dieux ou l’éloquence d’un chef entreprenant, suffisaient pour les attirer dans les climats plus tempérés du Midi. Outre l’influence d’une religion guerrière, leur nombre et leur intrépidité les mettaient en état d’affronter les plus grands dangers. Leurs boucliers ronds et leurs épées courtes les rendaient formidables, lorsqu’ils en venaient aux mains. Leur noble soumission à des rois héréditaires donnait à leurs conseils une union et une stabilisé peu communes[19]. Amala, le héros de ce siècle, le dixième aïeul de Théodoric, roi d’Italie, était digne de les commander. Ce chef illustre soutenait par l’ascendant du mérite personnel, la noblesse de son origine qu’il attribuait aux Anses ou demi-dieux de la nation [Jornandès,13-14].

Le bruit d’une grande entreprise, répandu dans la Germanie, excita le courage des plus braves guerriers de plusieurs nations vandales, que nous voyons, un petit nombre d’années après, prendre part à la guerre sous le nom générique de Goths[20]. Les conquérants se rendirent d’abord sur les rives du Prypek, rivière que les anciens ont universellement regardée comme la branche méridionale du Borysthène[21]. Ce grand fleuve, qui arrose les plaines de la Pologne et de la Russie, servit de direction aux Barbares, et leur procura pendant toute leur marche une provision constante d’eau, et d’excellents pâturages pour les nombreux troupeaux qui les accompagnaient. Pleins de confiance en leur propre bravoure, ils pénétrèrent dans des contrées inconnues sans songer aux puissances qui auraient pu s’opposer à leurs progrès. Les Bastarnes et les Vénèdes furent les premiers qui se présentèrent. La fleur de leur jeunesse prit parti, de gré ou de force, dans l’armée des Goths. Les Bastarnes occupaient le nord des monts Krapacks. L’immense contrée qui séparait ces peuples des sauvages de Finlande était habitée, ou plutôt dévastée, par les Vénèdes [Tacite, Germ., 46]. On a quelques raisons de croire que les Bastarnes, qui se distinguèrent dans la guerre de Macédoine [Cluvier, Germ. ant., III, 43], et qui formèrent, ensuite ces tribus redoutables de Peucins, de Borans, de Carpiens, etc., tiraient leur origine de la Germanie[22]. Nous sommes encore mieux fondés à placer dans la Sarmatie le berceau des Vénèdes, qui devinrent si fameux dans le moyen âge[23] ; mais le mélange du sang et des mœurs sur la frontière douteuse de ces deux vastes régions embarrasse souvent l’observateur le plus exact[24]. En s’avançant plus près du Pont-Euxin, les Goths rencontrèrent des races plus pures de Sarmates, les Jaziges, les Alains[25] et les Roxolans. Les Goths furent vraisemblablement les premiers Germains qui aperçurent les bouches du Tanaïs et du Borysthène. Il est facile de connaître ce qui distinguait particulièrement les peuples de la Germanie et de la Sarmatie. Des cabanes fixes ou des tentes mobiles, les lois du mariage, qui permettaient d’épouser une ou plusieurs femmes, un habit serré ou des robes flottantes, une force militaire qui consistait principalement en infanterie ou en cavalerie ; telles sont les marques caractéristiques de ces deux grandes portions du genre humain. Il ne faut pas surtout oublier l’usage des langues teutonique et esclavonne, dont la dernière s’est répandue, par la voie des armes, des confins de l’Italie au voisinage du Japon.

Avant d’attaquer les provinces romaines, les Goths possédaient déjà l’Ukraine, pays d’une grande étendue et d’une rare fertilité. Il est partagé presque également par le Borysthène, qui reçoit des deux côtés les eaux de plusieurs rivières navigables. Cette vaste contrée renfermait en quelques endroits des bois immenses de chênes antiques et très élevés. L’abondance du gibier et du poisson, les ruches innombrables que l’on trouvait dans les cavités des rocs ou dans le creux des vieux arbres, et qui, même en ces temps grossiers, formaient une branche considérable du commerce, la beauté du bétail, la température de l’air, un sol propice à toute espèce de grains, la richesse de la végétation, tout attestait la libéralité de la nature, et invitait l’industrie de l’homme[26]. Les Goths dédaignèrent ces avantages : une vie de paresse, de pauvreté et de rapine, leur parut toujours préférable.

Les hordes des Scythes, qui bordaient leurs nouveaux établissements, du côté de l’Orient, ne leur offraient que le hasard incertain d’une victoire inutile : l’aspect brillant des campagnes romaines avait bien plus d’attraits pour eux. Les champs de la Dacie, cultivés par des habitants industrieux, pouvaient être moissonnés par un peuple guerrier. Les successeurs de Trajan consultèrent moins les véritables intérêts de l’État que de fausses idées de grandeur, lorsqu’ils conservèrent les conquêtes de ce prince au-delà du Danube. Il est probable que leur politique affaiblit l’empire du côté de ce fleuve. La Dacie, province nouvelle et à peine soumise, n’était ni assez forte pour résister aux Barbares, ni assez opulente pour assouvir leur cupidité. Tant que les rives éloignées du Niester servirent de bornes à l’empire, les fortifications du bas Danube furent gardées avec moins de précautions : ensevelis dans une fatale sécurité, les habitants de la Mœsie se persuadèrent qu’une distance trop vaste pour être franchie les mettait à l’abri de tout danger de la part des Barbares. L’irruption des Goths, sous le règne de Philippe, les tira de leur funeste erreur. Le roi ou chef de cette fière nation traversa avec mépris la province de la Dacie, et passa le Niester et le Danube, sans rencontrer aucun obstacle. Les troupes romaines ne connaissaient déjà plus de discipline ; elles livrèrent à l’ennemi les postes importants qui leur avaient été confiés et la crainte d’un juste châtiment en fit passer un grand nombre sous lés étendards  des Goths. Tous ces Barbares parurent enfin devant Marcianopolis[27], ville bâtie par Trajan en l’honneur de sa sœur, et qui servait alors de capitale à la seconde Mœsie[28]. Les habitants se crurent trop heureux de racheter à prix d’argent leurs biens et leurs personnes ; et les conquérants retournèrent dans leurs déserts, plutôt encouragés que satisfaits par ce premier succès de leurs armes contre un État faible, mais opulent. Dèce fut bientôt informé que Cniva, roi des Goths, avait passé une seconde fois le Danube avec des troupes plus nombreuses ; que ses détachements répandaient de tous côtés la désolation en Mœsie ; et que le principal corps d’armée composé de soixante-dix mille Germains et Sarmates pouvait se porter aux entreprises les plus audacieuses. Une invasion si formidable exigeait la présence du monarque, et le développement de toutes ses forces.

Dèce trouva les Goths occupés au siège de Nicopolis [en 250], sur le Jatrus, un de ces monuments qui devaient perpétuer le souvenir des exploits de Trajan[29]. A son approche ils se retirèrent ; mais avec le projet de voler à une conquête plus importante, et d’attaquer Philippopolis[30], ville de Thrace bâtie par le père d’Alexandre, presque au pied du Mont Hémus[31]. L’empereur les suivit par des marches forcée dans un pays difficile ; mais lorsqu’il se croyait encore à une distance considérable de leur arrière garde, Cniva se tourna contre lui avec une violente impétuosité. Le camp des Romains fut pillé ; et, pour la première fois, leur souverain prit la fuite devant une troupe de Barbares à peine armés. Après, une grande résistance Philippopolis, privée de secours, fût emportée d’assaut. On assure que cent mille personnes perdirent la vie dans le sac de cette ville [Ammien, 31, 5].

Plusieurs prisonniers de marque ajoutèrent à l’importance du butin, et Priscus, frère du dernier empereur Philippe, ne rougit point de prendre la pourpre, sous la protection des plus cruels, ennemis de Rome [Aurelius Victor, 29]. Cependant la longueur du siège avait donné le temps à Dèce de ranimer le courage, de rétablir la discipline, et d’augmenter le nombre de ses troupes. Il intercepta différents partis de Barbares, qui accouraient de la Germanie pour venir partager la victoire de leurs compatriotes[32]. Des officiers d’une fidélité et d’une valeur éprouvées[33] eurent ordre de garder les passages des montagnes ; les fortifications du Danube furent réparées et mises en état de défense ; enfin le prince employa les plus grands efforts pour s’opposer aux progrès ou à la retraite des Goths. Encouragé par le retour de la fortune, il se préparait à frapper de plus grands coups, et il attendait avec inquiétude le moment de venger sa propre gloire et celle des armes romaines[34].

Dans le temps qu’il luttait contre la violence de la tempête, son esprit calme et réfléchi, au milieu du tumulte de la guerre, méditait sur les causes plus générales qui, depuis le siècle des Antonins, avaient précipité si impétueusement la décadence de la grandeur romaine. Il découvrit bientôt qu’il était impossible de replacer cette grandeur sur une base solide, sans rétablir la vertu publique, les principes fondamentaux de la constitution, les mœurs antiques de l’État, et la majesté opprimée des lois. Pour exécuter un projet si beau, mais si difficile, il résolut de faire revivre l’ancien office de censeur, magistrature importante qui avait beaucoup contribué à maintenir le gouvernement[35], jusqu’à ce qu’usurpée par les Césars, elle eût perdu son intégrité primitive, et fût tombée insensiblement en oubli[36]. Persuadé que la faveur, du souverain peut donner la puissance, mais que l’estime du peuple confère seule l’autorité, Dèce abandonna le choix d’un censeur au libre suffrage du sénat. Les voix unanimes, ou plutôt les acclamations de l’assemblée, nommèrent Valérien comme le plus digne de remplir cet auguste emploi [27 octobre 251]. Ce vertueux citoyen, qui fut depuis revêtu de la pourpre, servait alors avec distinction dans les troupes. Dès que l’empereur eut appris son élection, il assembla dans son camp un conseil général, et, avant de donner l’investiture au nouveau censeur, il crut devoir lui rappeler la difficulté et l’importance de sa charge. Heureux Valérien, dit le prince à son illustre sujet, heureux d’avoir mérité l’approbation du sénat et de la république ! acceptez la censure, et réformez les mœurs du genre humain. Vous choisirez parmi les sénateurs ceux qui méritent de conserver leur rang dans cette auguste assemblée. L’ordre équestre vous devra rétablissement de son ancienne splendeur. En augmentant les revenus de l’État, songez à diminuer les charges publiques. Partagez en plusieurs classes régulières la multitude confuse des citoyens. Que la puissance militaire, les richesses, les vertus et les ressources de Rome, soient l’objet constant, de votre attention. Vos décisions auront force de loi. L’armée, le palais, les ministres de la justice, les grands officiers de l’empire, sont soumis à votre tribunal : nul n’est excepté que les consuls ordinaires[37], le préfet de la ville, le roi des sacrifices et la première des vestales, aussi longtemps que cette vierge conservera sa chasteté ; et même ce petit nombre, qui peut ne pas redouter la sévérité du censeur romain, s’efforcera de gagner son estime[38].

Un magistrat revêtu d’un pouvoir si étendu aurait été moins le ministre que le collègue de son maître[39]. Valérien redoutait, avec raison, une place qui devait l’exposer aux soupçons et à l’envie. Sa modestie parut alarmée de la grandeur du poste où on voulait le placer. Après avoir insisté sur sa propre insuffisance et sur la corruption du siècle il représenta fort adroitement que l’office de censeur ne pouvait être séparé de la dignité impériale, et que les mains d’un sujet étaient trop faibles pour supporter l’énorme fardeau d’une telle administration[40]. Les événements de la guerre arrêtèrent bientôt l’exécution d’un projet séduisant, mais impraticable, mirent Valérien à l’abri du danger, et épargnèrent probablement au prince la honte de ne pas réussir. Un censeur peut maintenir les mœurs d’un État ; il ne saura jamais les rétablir. Il est impossible que l’autorité d’un pareil magistrat soit avantageuse, qu’elle produise même aucun effet, à moins qu’il ne trouve dans le cœur du peuple un sentiment vif d’honneur et de vertu, et qu’il ne soit soutenu par un respect religieux pour l’opinion publique, et par une foule de préjugés utiles favorisant les mœurs nationales. Dans un temps où ces principes sont anéantis, l’office de censeur doit dégénérer en vaine représentation, ou devenir un instrument d’oppression[41] et de despotisme. Il était plus aisé de vaincre les Goths que de déraciner les vices de l’État, et cependant la première de ces entreprises coûta à l’empereur son armée et la vie.

Environnés des troupes romaines, les Goths se trouvaient exposés à des attaques continuelles. Le siège de Philippopolis leur avait coûté leurs meilleurs soldats, et le pays dévasté n’offrait plus de subsistance à ce qui restait de cette multitude de Barbares indisciplinés. Dans cette extrémité, ils auraient volontiers rendu leur butin et leurs prisonniers pour avoir la permission de se retirer paisiblement ; mais l’empereur se croyait sûr de la victoire, et résolu de répandre une terreur salutaire parmi toutes les nations du Nord, il refusa d’écouter aucun accommodement. Les Barbares intrépides préférèrent, la mort à l’esclavage. La bataille se donna sous les murs d’une ville obscure de la Mœsie, appelée Forum Terebronii[42]. L’armée des Goths était rangée sur trois lignes, et, par un effet du hasard ou d’une sage disposition, un marais couvrait le front de leur troisième ligne. Au commencement de l’action, le fils de Dèce, jeune prince de la plus belle espérance, et déjà revêtu de la pourpre, fut percé d’une flèche, et tomba mort à la vue d’un père affligé, qui, rassemblant toute sa fermeté, rappela à son armée, consternée que la perte d’un soldat importait peu à la république[43]. Le choc fut terrible ; c’était le combat du désespoir contre la douleur et la rage. Enfin la première, ligue des Goths fut enfoncée ; la seconde, qui s’avançait pour la soutenir, eut le même sort. La troisième seulement restait entière, disposée à disputer le passage du marais que l’ennemi présomptueux eut l’imprudence de vouloir forcer. La fortune change tout à coup. Tout est contre les Romains, la profondeur du marécage, un terrain où l’on enfonce pour peu qu’on s’arrête, où l’on glisse quand on fait un pas ; la pesanteur de la cuirasse, la hauteur des eaux, qui ne permet pas de lancer le javelot. Au contraire, les Barbares, habitués à combattre dans les terrains marécageux, outre l’avantage de la taille, avaient encore celui des longues piques, dont ils atteignaient de loin[44]. Après d’inutiles efforts, l’armée romaine fut ensevelie dans ce marais, et jamais on ne put retrouver le corps de l’empereur[45]. Tel fut le destin de Dèce, âgé pour lors de cinquante ans ; monarque accompli, actif dans la guerre, affable au sein de la paix[46]. Son fils aurait été digne de lui succéder. La vie et la mort de ces deux princes les ont fait comparer aux plus brillants modèles de la vertu républicaine[47].

Ce coup funeste abattit pour quelque temps l’insolence des légions. Il parait qu’elles attendirent patiemment et reçurent avec soumission le décret du sénat qui réglait la succession à l’empire. Un juste respect pour la mémoire de Dèce éleva sur le trône le seul fils qui lui survécut. Hostilien eut le titre d’empereur; mais, avec un rang égal, on donna une autorité plus réelle à Gallus, dont l’expérience et l’habileté parurent, proportionnées à l’importance des soins qui lui étaient confiés : la tutelle d’un jeune prince, et le gouvernement de l’empire en danger[48]. Le premier soin du nouvel empereur fut de délivrer les provinces illyriennes de l’oppression cruelle d’un ennemi victorieux. Il consentit à laisser entre les mains des Goths un butin immense, fruit de leur invasion ; et, ce qui ajoutait à la honte de l’État, il leur abandonna un grand nombre de prisonniers d’une naissance et d’un mérite distingués. Sacrifiant tout au désir d’apaiser le ressentiment de ces fiers vainqueurs, et de faciliter leur départ, il fournit abondamment leur camp de toutes les provisions qu’ils pouvaient désirer. Il s’engagea même à leur payer tous les ans une somme considérable, à condition qu’ils n’infesteraient plus les provinces romaines [Zonare, XII, p. 628].

Dans le siècle des Scipions, les rois, qui recherchaient la protection de la république ne dédaignaient pas de recevoir des présents de peu de valeur, mais auxquels la main d’un allié puissant attachait le plus grand prix. Une chaise d’ivoire, un simple manteau de pourpre, une coupe d’argent, ou quelques pièces de cuivre[49], satisfaisaient les souverains les plus opulents de la terre. Lorsque Rome eut englouti les trésors des nations, les Césars crurent qu’il était de  leur grandeur, et même de leur politique, d’exercer envers les alliés de l’État une libéralité constante et réglée par une sage modération : ils secouraient la pauvreté des Barbares, honoraient leur mérite, et récompensaient leur fidélité. Ces marques volontaires de bonté ne paraissaient pas arrachées par la crainte ; elles venaient seulement de la générosité ou de la gratitude des Romains. Les amis et les suppliants avaient des droits aux présents et aux subsides de l’empereur : ceux qui les réclamaient comme une dette[50] essuyaient un dur refus. Mais la clause d’un paiement annuel à un ennemi vainqueur ne peut être regardée que comme un tribut ignominieux : les Romains, jusque-là maîtres du monde, n’avaient point encore été accoutumés à recevoir la loi d’une troupe de Barbares. Le prince qui, par une concession nécessaire,  avait probablement sauvé sa patrie, devint l’objet du mépris et de l’aversion générale. Hostilien avait été enlevé au milieu des ravages de la peste ; on imputa sa mort à Gallus[51] ; le cri de la haine attribua même la défaite de Dèce aux conseils perfides de son odieux successeur[52]. La tranquillité que Rome goûta la première année de son administration[53] servit plus à enflammer qu’à apaiser le mécontentement public ; et, dès que le danger de la guerre eut été éloigné, on sentit plus fortement, et d’une manière bien plus vive l’infamie de la paix.

Mais quel dût être, le ressentiment des Romains lorsqu’ils découvrirent qu’ils n’avaient point assuré leur repos, même au prix de leur honneur ? Le fatal secret de l’opulence et de la faiblesse de l’empire avait été révélé à l’univers. De nouveaux essaims de Barbares, enhardis par le succès de leurs compatriotes, et ne se croyant pas enchaînés par les mêmes traités, répandirent la désolation dans les provinces de l’Illyrie, et portèrent la terreur jusqu’au pied du Capitole. Un gouverneur de Pannonie et de Mœsie entreprit la défense de l’État, que paraissait abandonner le timide Gallus. Émilien rallia les troupes dispersées et ranima leur courage abattu. Tout à coup les Barbares sont attaqués, mis en déroute, chassés et poursuivis au delà du Danube. Le général victorieux distribua aux compagnons de ses exploits l’argent destiné pour le tribut, et les acclamations de l’armée le proclamèrent empereur sur le champ de bataille [Zozime, I, 25-26]. Gallus semblait avoir oublié les intérêts de l’État au milieu des plaisirs de l’Italie ; informé presque dans le même instant des succès, de la révolte et de la marche rapide de son ambitieux lieutenant, il s’avança au devant de lui jusqu’aux plaines de Spolète. Lorsque les armées furent en présence, les soldats de Gallus comparèrent la conduite ignominieuse de leur souverain avec la gloire de son rival : ils admiraient la valeur d’Émilien ; ils étaient attirés par la libéralité avec laquelle il offrait à tous les déserteurs une augmentation de paye considérable [Victor, in Cœsaribus]. Le meurtre de Gallus et de son fils. Volusien termina la guerre civile [mai 253] ; le sénat donna une sanction légale aux droits de la conquête. Les lettres d’Émilien  à cette assemblée sont un mélange de modération et de vanité : il l’assurait qu’il remettrait à sa sagesse l’administration civile, et que, content de la qualité de général, il maintiendrait la gloire de la république, et délivrerait l’empire en peu de temps des Barbares de l’Orient, et du Nord [Zonare, XII]. Son orgueil eut lieu d’être satisfait des louanges des sénateurs. Il existe encore des médailles où il est représenté avec le nom et les attributs d’Hercule le victorieux et de Mars Vengeur [Banduri numismata, p. 94].

Si le nouveau monarque possédait les talents nécessaires pour remplir ses magnifiques promesses, il n’en eut pas du moins le temps ; moins, de quatre mois s’écoulèrent entre son élévation et sa chute[54]. Il avait vaincu Gallus, et succomba sous un compétiteur plus formidable que Gallus. Cet infortuné, prince avait chargé Valérien, déjà revêtu du titre honorable de censeur, d’amener à son secours les légions de la Gaule et de la Germanie[55]. Valérien exécuta cette  commission avec zèle et avec fidélité ; arrivé trop tard pour sauver son souverain, il résolut de le venger. La sainteté de son caractère et plus encore la supériorité de son armée, imprimèrent du respect aux troupes d’Émilien, qui restaient toujours campées dans les plaines de Spolète. Ces soldats indisciplinés n’avaient jamais, été dirigés par aucun principe ; devenus alors incapables d’attachement personnel, ils ne balancèrent pas à tremper leurs mains dans le sang d’un prince, qui venait d’être l’objet de leur choix. Ils commirent seuls le crime[56] [août 253] ; Valérien, en recueillit le fruit. A la vérité, la guerre civile porta ce sage citoyen sur le trône ; mais il en monta les degrés avec une innocence rare dans ce siècle de révolutions, puisqu’il ne devait ni reconnaissance ni fidélité au souverain dont il prenait la place.

Valérien avait environ soixante ans[57] lorsqu’il commença son règne. Ce ne furent ni le caprice de la populace ni les clameurs de l’armée qui lui mirent la couronne sur la tête ; il semblait obéir à la voix unanime de l’univers. romain. Dans la carrière des honneurs qu’il avait successivement obtenus, il avait mérité la faveur des princes vertueux, et s’était montré l’ennemi des tyrans[58]. La noblesse de son extraction, la douceur et la pureté de ses mœurs, l’étendue de ses connaissances et la grande expérience qu’il avait acquise, lui attiraient la vénération du sénat et du peuple. Si le genre humain, selon la remarque d’un  ancien auteur, eût été libre de se donner un maître, son choix serait tombe sur Valérien[59]. Peut-être le mérite de cet empereur ne répondait-il pas à sa réputation : son habileté ou du moins son courage se ressentait peut-être de la langueur et du refroidissement de l’âge. La conviction de sa propre faiblesse engagea Valérien à partager le trône avec un associé plus jeune et plus actif. Les circonstances ne demandaient pas moins un général qu’un monarque, et l’expérience du censeur romain aurait dû lui désigner le collègue le plus digne par ses talents militaires de recevoir la pourpre comme la récompense de son mérite. Au lieu de faire un choix judicieux, qui, en affermissant son règne, aurait rendu sa mémoire chère à la postérité, Valérien ne consulta que les mouvements de sa tendresse ou de sa vanité ; il conféra les honneurs suprêmes à son fils Gallien, jeune prince dont les vices efféminés avaient été jusqu’alors cachés dans l’obscurité d’une condition privée[60]. Le père et le fils gouvernèrent ensemble l’univers durant sept ans environ. Gallien régna seul pendant huit autres années ; mais toute cette période ne présente qu’une suite non interrompue de calamités et de confusion. L’empire romain attaqué de tous cotés, éprouva à la fois la fureur aveugle des Barbares du dehors, et l’ambition cruelle des usurpateurs domestiques. Pour mettre de l’ordre et de la clarté dans notre narration, nous suivrons moins la succession incertaine des dates, que la division plus naturelle des sujets. Les plus dangereux ennemis de Rome furent alors : 1° les Francs, 2° les Allemands, 3° les Goths, 4° les Perses. Sous ces dénominations générales nous comprendrons des tribus moins considérables, qui se sont aussi rendues célèbres par leurs exploits, mais dont les noms rudes et obscurs ne serviraient qu’à surcharger la mémoire et à fatiguer l’attention du lecteur.

I. Comme la postérité des Francs forme une des nations les plus grandes et les plus éclairées de l’Europe, l’érudition et le génie se sont épuisés pour découvrir l’état primitif de ses barbares ancêtres. Aux contes de la crédulité ont succédé les systèmes de l’imagination. L’esprit de recherche a scrupuleusement examiné tous les passages qui pouvaient éclaircir cette matière, et s’est porté sur tous les lieux où il a cru apercevoir de faibles traces d’une origine obscure. On a placé dans la Pannonie[61], dans la Gaule, dans le nord de la Germanie[62], l’origine de cette fameuse colonie de guerriers. Enfin les critiques les plus sensés, rejetant les fausses migrations de conquérants imaginaires, ont embrassé une opinion qui, par sa simplicité même, nous paraît être la seule vraie[63]. Selon leurs savantes conjectures, les anciens habitants du Weser et du Bas-Rhin se réunirent vers l’an 240[64], et formèrent une nouvelle confédération sous le nom de Francs. Le cercle de Westphalie, la landgraviat de Hesse, les duchés de Brunswick, et de Lunebourg, étaient autrefois la patrie des Chauques, qui, dans leurs marais inaccessibles, défiaient les armes romaines[65], des Chérusques, fiers du nom d’Arminius, des Caltes, redoutables par la force et par l’intrépidité de leur infanterie, et de plusieurs autres tribus[66] moins puissantes et moins célèbres [Tacite, Germ., 30, 37]. L’amour de la liberté était la passion dominante de ces Germains ; la jouissance de cette liberté, leur plus précieux trésor ; et le mot qui désignait cette jouissance, l’expression la plus agréable à leur oreille. Ils méritaient, ils prirent, ils conservèrent la dénomination de Francs ou hommes libres : titre honorable qui cachait, mais qui ne détruisait pas les noms particuliers des différents peuples de la confédération[67]. Un consentement tacite, et un avantage réciproque dictèrent les premières lois de l’union ; l’expérience et l’habitude la cimentèrent par degrés. La ligue des Francs pourrait être en quelque sorte comparée avec le corps helvétique, où chaque canton, retenant sa souveraineté indépendante, concourt avec les autres, dans la cause commune, sans reconnaître de chef suprême ni d’assemblée représentative[68]. Mais le principe des deux confédérations est extrêmement différent : une paix de deux cents ans a compensé la politique sage et vertueuse des Suisses. L’inconstance, la soif du pillage et la violation des traités les plus solennels, ont déshonoré le caractère des Francs.

Depuis longtemps les Romains éprouvaient la valeur entreprenante des habitants de la Basse Germanie ; tout à coup les forces réunies de ces Barbares menacèrent la Gaule d’une invasion plus formidable, et exigèrent la présence de Gallien, l’héritier et le collègue de l’empereur [Zozime, I]. Tandis que ce prince et Salonin, son fils, encore enfant, déployaient dans la cour de Trèves toute la majesté du trône, les armées se signalèrent sous le commandement de Posthume. Quoique cet habile général trahît par la suite la famille de Valérien, il fut toujours fidèle à la cause importante de la monarchie. Le langage perfide des panégyriques et des médailles parle obscurément d’une longue suite de victoires ; des titres, des trophées attestent, si l’on peut ajouter foi à un pareil témoignage, la réputation de Posthume, qui est souvent appelé le vainqueur des Germains et le libérateur de la Gaule[69].

Mais un simple fait, le seul à la vérité dont nous ayons une connaissance certaine, renverse en grande partie ces monuments de la vanité et de l’adulation. Le Rhin, quoique décoré du titre de sauvegarde des provinces, fut une bien faible barrière contre l’esprit de conquête qui animait les Francs. Leurs dévastations rapides s’étendirent depuis ce fleuve jusqu’au pied des Pyrénées. Ils franchirent bientôt ces hautes montagnes que la nature semblait leur opposer. L’Espagne n’avait jamais redouté les incursions des Germains ; elle fut incapable de leur résister. Pendant  douze ans, la plus grande partie du règne de Gallien, cette contrée opulente devint le théâtre des hostilités destructives auxquelles se livraient des ennemis inégaux en force. Tarragone, capitale florissante d’une province tranquille, fut saccagée et presque détruite[70] ; et du temps d’Orose, qui écrivait dans le cinquième siècle, de misérables cabanes, éparses au milieu des ruines d’un grand nombre de villes magnifiques, rappelaient encore la rage des Barbares[71]. Lorsque le pays épuisé n’offrit plus aucune espèce de butin,  les Francs s’emparèrent de quelques vaisseaux dans les ports d’Espagne[72], et passèrent en Mauritanie. Quel dut être, à la vue de ces peuples féroces, l’étonnement d’une région si éloignée ? Lorsqu’ils abordèrent sur la côte d’Afrique, où l’on ne connaissait ni leur nom, ni leurs mœurs, ni leurs traits, ils parurent sans doute tomber tout à coup d’un nouveau monde [Aurelius Victor ; Eutrope, IX, 6].    

II. Au-delà de l’Elbe, dans cette partie de la Haute Saxe que l’on appelle aujourd’hui le marquisat de Lusace, il existait anciennement un bois révéré, siége formidable de la religion des Suèves. Personne ne pouvait pénétrer dans son enceinte sacrée sans être lié et sans reconnaître, par cette humiliante cérémonie et par des prosternations, la présence immédiate de la divinité souveraine [Tacite, Germ., 38]. Le patriotisme ne contribuait pas moins que la superstition à consacrer le Sonnenwald, ou bois des Semnones [Cluvier, Germ. ant., III, 25]. Selon la croyance universelle, la nation avait reçu sa première existence sur ce lieu sacré. Les nombreuses tribus qui se glorifiaient d’être du sang des Suèves, y envoyaient en certains temps des ambassadeurs ; la mémoire de leur extraction commune se perpétuait par des rites barbares et des sacrifices humains. Les habitants des contrées intérieures de la Germanie, depuis les bords de l’Oder jusqu’à ceux du Danube, portaient le nom général de Suèves. Ces peuples étaient distingués des autres Germains par une mode particulière d’arranger leurs longs cheveux, qu’ils rassemblaient en forme de noeud sur le haut de la tête. Ils tenaient beaucoup à un ornement qui faisait paraître leurs rangs plus élevés et plus terribles sur le champ de bataille[73]. Les Germains si jaloux de la gloire militaire reconnaissaient tous la supériorité des Suèves ; ils ne croyaient pas que ce fût une honte de finir devant une nation à laquelle les dieux immortels eux-mêmes n’auraient pas résisté ; c’est ainsi que s’exprimèrent les tribus des Tenctères et des Usipètes, qui marchèrent avec une grande armée au devant du dictateur César [César, in Bell. gall., IV, 7].

Sous le règne de Caracalla, un nombreux essaim de Suèves, partit sur les rives du Mein et dans le voisinage des provinces romaines, attirés par l’espoir de trouver des vivres, du butin ou de la gloire[74]. Cette armée de volontaires levés à la hâte, forma par degrés une grande nation, et comme elle était composée d’une foule de tribus différentes, elle prit le nom d’Allemands (ou All-men, tous hommes)[75], pour désigner à la fois leurs différentes races et la bravoure qui leur était commune[76]. Ils se rendirent bientôt formidables aux Romains par leurs incursions. Les Allemands combattaient principalement à cheval ; et leur cavalerie tirait encore une nouvelle force d’un mélange d’infanterie légère, choisie parmi les jeunes guerriers les plus braves et les plus actifs, et accoutumés par de fréquents exercices à suivre les cavaliers dans les marches les plus longues, dans les chocs les plus furieux et dans les retraites les plus précipitées[77].

Ces fiers Germains, étonnés d’abord des préparatifs immenses d’Alexandre Sévère, tremblèrent devant son successeur, Barbare qui les égalait en courage et en férocité ; mais, toujours prêts à fondre sur les frontières de l’empire, ils augmentèrent le désordre général qui le déchira après la mort de Dèce. Les riches provinces de la Gaule éprouvèrent leur fureur, et ce peuple  arracha le premier le voile qui dérobait à l’univers la faible majesté de l’Italie. Un nombreux corps d’Allemands traversa le Danube, pénétra par les Alpes rhétiennes dans les plaines de la Lombardie, s’avança jusqu’à Ravenne, et déploya ses étendards victorieux presque à la vue de la capitale[78]. Cette insulte et le danger de l’État rallumèrent dans l’esprit des sénateurs quelque étincelle de leur ancienne vertu. Les empereurs se trouvaient alors engagés dans des guerres très éloignées ; Valérien en Orient, et Gallien sur les bords du Rhin : toutes les espérances, toutes les ressources des Romains étaient en eux-mêmes. Dans cette extrémité, le sénat prit la défense de la république ; il mit en ordre de bataille les gardes prétoriennes qui avaient été laissées dans la ville ; et, pour compléter leur nombre, il enrôla les plus forts et les plus zélés des plébéiens. Les Allemands, surpris de voir tout à coup une armée plus nombreuse que la leur, repassèrent en Germanie chargés de butin ; et le timide Romain prit pour une victoire la retraite des ennemis [Zozime, I, 34].

Lorsque Gallien eut appris que les Barbares avaient été forcés d’abandonner les murs de Rome, loin d’approuver la conduite du sénat il craignit que son courage ne le portât un jour à délivrer Rome de la tyrannie domestique, aussi bien que des invasions étrangères. Sa lâche ingratitude parut visiblement dans un édit qui défendait aux sénateurs d’exercer aucun emploi militaire, et même d’approcher du camp des légions : mais ces alarmes n’étaient pas fondées. Les patriciens, énervés par le luxe et par les richesses retombèrent bientôt dans leur caractère naturel ; ils acceptèrent comme une faveur cette exemption flétrissante de service ; et, contents pourvu qu’on les laissât jouir de leurs théâtres, de leurs bains et de leurs maisons de campagne, ils abandonnèrent avec joie les soins dangereux du gouvernement aux mains grossières des paysans et des soldats[79].

Un écrivain du Bas-Empire parle d’une autre invasion des Allemands, plus formidable, mais dont l’événement fut plus glorieux pour Rome. Trois cent mille de ces Barbares furent défaits, dit-on, prés de Milan, dans une bataille où Gallien combattit en personne avec dix mille Romains seulement [Zonare, XII]. Mais, selon toute probabilité, ce qu’il faut voir dans le récit de cette étonnante victoire, c’est la crédulité de l’historien, ou peut-être les exploits exagérés de quelque lieutenant de l’empereur. Gallien employa des armes d’une nature bien différente pour défendre l’Italie de la fureur des Germains. Il épousa Pipa, fille d’un roi des Marcomans, tribu suève souvent confondue avec les Allemands dans leurs guerres et dans leurs conquêtes[80] ; et il accorda au père, pour prix de son alliance, un établissement considérable en Pannonie. Il paraît que les charmes naturels d’une beauté sauvage fixèrent l’inconstance de l’empereur, et que les liens de la politique furent resserrés par ceux de l’amour. Mais l’orgueilleuse Rome conservait encore ses préjugés : elle refusa le nom de mariage à l’alliance profane d’un citoyen avec une Barbare, et l’épouse de Gallien ne fut jamais désignée que sous le titre flétrissant de sa concubine[81].

III. Nous avons déjà tracé la marche des Goths, depuis la Scandinavie, au- moins depuis la Prusse, jusqu’à l’embouchure du Borysthène ; et nous les avons vus porter ensuite leurs armes victorieuses sur les bords du Danube. Les provinces romaines que ce fleuve séparait de leurs établissements furent perpétuellement infestées par les Germains et par les Sarmates, sous les règnes de Valérien et de Gallien ; mais les habitants se défendirent avec une fermeté et un bonheur extraordinaires. Les pays qui étaient le théâtre de la guerre fournissaient aux légions un secours inépuisable d’excellents soldats : parmi ces paysans d’Illyrie, il y en eut plus d’un qui, parvenu au commandement des armées, déploya les talents d’un général habile. Les ennemis, campés sur les bords du Danube, menaçaient sans cesse les frontières, quoique leurs détachements pénétrassent quelquefois jusqu’aux confins de la Macédoine et de l’Italie, les lieutenants de l’empereur arrêtaient leur progrès, ou les coupaient dans leurs retraites[82]. Une nouvelle route vint s’offrir alors aux Barbares, et l’inondation couvrit d’autres contrées. Après avoir conquis l’Ukraine, les Goths devinrent bientôt maîtres de la côté septentrionale du Pont-Euxin : cette mer baignait au midi les provinces opulentes et amollies de l’Asie-Mineure, où l’on trouvait tout ce que pouvait attirer un peuple barbare et conquérant, et rien de ce qui aurait pu lui résister.

Les rives du Borysthène ne sont qu’à vingt lieues du passage étroit[83] qui communique à la Tartarie Crimée, péninsule connue chez les anciens sous le nom de Chersonèse Taurique[84]. C’est sur ce rivage affreux, qu’Euripide a placé la scène d’une de ses plus intéressantes tragédies[85]. L’imagination de ce poète savait embellir des plus brillantes couleurs les traditions de l’antiquité. Les sacrifices sanglants offerts à Diane, l’arrivée d’Oreste et de Pylade, le triomphe de la religion et de la vertu sur la férocité sauvage, sont l’emblème d’une vérité historique. Les Tauris, premiers habitants de la péninsule, avaient des mœurs cruelles ; elles s’adoucirent insensiblement par leur commerce avec les Grecs qui s’établirent le long des côtes maritimes. Ces colons dégénérés et des Barbares a peine civilisés formèrent le petit royaume du Bosphore, dont la capitale avait été bâtie sur le détroit par où les eaux des Palus-Méotides tombent dans le Pont-Euxin. A compter de la guerre du Péloponnèse, le Bosphore fut un État indépendant[86] ; ensuite il fut subjugué par l’ambitieux Mithridate [Appien, in Mithrid.] ; il céda plus fard, comme le reste des États de ce prince, à la force des armes romaines. Après la chute de la république[87], les rois du Bosphore obéirent à l’empire ; leur alliance ne lui fut point inutile. Leurs armes leurs présents, et quelques fortifications élevées le long de l’isthme, fermèrent aux Sarmates l’entrée d’un pays qui, par sa situation particulière et par la bonté de ses ports, dominait le Pont-Euxin et l’Asie-Mineure[88]. Tant que le sceptre fut entre les mains d’une famille de rois héréditaires, ces monarques s’acquittèrent de leurs fonctions importantes avec vigilance et avec succès ; des factions domestiques, et les craintes que l’intérêt des usurpateurs obscurs qui s’étaient emparés du trône vacant, introduisirent les Goths dans le centre du Bosphore. Outre l’acquisition d’un pays fertile, les conquérants obtinrent assez de vaisseaux pour transporter leurs armées sur les côtes de l’Asie [Zozime, I]. Les bâtiments du Pont-Euxin étaient d’une forme singulière : on ne se servait, pour naviguer sur cette mer que de légers bateaux plats, construits en bois seulement sans aucun mélange de fer, et sur lesquels, dès que la tempête approchait, on disposait un petit toit incliné[89]. Tranquilles dans ces cabanes flottantes, les Goths bravaient une mer inconnue, et abandonnaient à des matelots que  la force seule avait contraints à les servir, et dont l’adresse ne devait pas leur être moins suspecte que la fidélité. Mais l’espoir du butin bannissait toute idée de danger, et une intrépidité naturelle suppléait à la confiance plus raisonnable qu’inspirent la science et l’expérience. Sans doute des guerriers si audacieux murmuraient souvent contre des guides timides qui, n’osant se livrer à la merci des flots sans les assurances les plus fortes d’un calme constant, pouvaient à peine se résoudre à perdre les côtes de vue. Telle est du moins aujourd’hui la pratique des Turcs[90] ; et ces peuples ne sont vraisemblablement pas inférieurs dans l’art de la navigation aux anciens habitants du Bosphore.

La flotte des Goths laissa la Circassie à gauche, et parut d’abord vers Pityus[91], la dernière limite des provinces romaines, ville pourvue d’un bon port[92], et défendue par une forte muraille. Ils y trouvèrent une résistance qu’ils n’attendaient pas de la faible garnison d’une forteresse éloignée. Les Barbares furent repoussés : cet échec sembla diminuer la ferveur de leur nom. Tous leurs efforts devinrent inutiles, tant que la garde de cette frontière fût confiée à Successianus, officier d’un rang et d’un mérite supérieurs. Mais aussitôt que Valérien l’eut élevé à un poste plus honorable et moins important, ils renouvelèrent leurs attaques, et la destruction de Pityus effaça le souvenir de leur premier revers [Zozime, I].

En suivant le contour de l’extrémité orientale du Pont-Euxin, la navigation est d’environ trois cent milles[93] depuis Pityus jusqu’à Trébisonde. Les Goths se portèrent à la vue de la Colchide, si fameuse par l’expédition des Argonautes ; ils entreprirent même, mais sans succès, de piller un riche temple à l’embouchure du Phase. Trébisonde, célébrée dans la Retraite des dix mille comme une ancienne colonie grecque[94], devait sa splendeur et ses richesses à la magnificence de l’empereur Adrien, qui avait construit un port artificiel sur une côte où la nature n’a creusé aucun havre assuré[95]. La ville était grande et fort peuplée ; une double enceinte de murs semblait défier la fureur des Barbares, et la garnison venait d’être renforcée de dix mille hommes. Mais quels avantages peuvent suppléer à la vigilance et la discipline ? Énervées par le luxe et ensevelies dans la débauche, les nombreuses troupes de Trébisonde dédaignaient de garder des fortifications qu’elles jugeaient imprenables. Les Goths ne tardèrent pas à découvrir l’extrême négligence des assiégés : aussitôt ils préparent un grand amas de fascines, escaladent les murs dans le silence de la nuit, et parcourent la ville l’épée à la main. Les malheureux habitants périrent sous la fer du vainqueur, tandis que leurs lâches défenseurs se sauvèrent par les portes opposées à l’attaque. Les temples les plus sacrés et  les plus beaux édifices furent enveloppés dans une destruction commune. Les Goths se trouvèrent en possession d’un butin immense. Les contrées voisines avaient déposé leurs trésors dans Trébisonde comme dans un lieu de sûreté. Les superbes dépouilles de cette ville remplirent une grande flotte qui mouillait alors dans son port. Les Barbares, libres de dévaster toute la province du Pont[96], emmenèrent avec eux une quantité prodigieuse de captifs ; ils enchaînèrent aux rames de leurs vaisseaux les plus robustes d’entre ces malheureuses victimes ; enfin, fiers du succès de leur première expédition navale ils retournèrent en triomphe dans leurs nouveaux établissements du royaume du Bosphore [Zozime, I].

Lorsque les Goths se mirent une seconde fois en mer, ils rassemblèrent des forces plus considérables en hommes et en bâtiments ; mais ils prirent une route tout à fait différente ; et, dédaignant les provinces épuisées du Pont, ils suivirent la côte occidentale de la mer Noire, passèrent devant les bouches du Borysthène, du Niester et du Danube, prirent dans leurs courses un grand nombre de bateaux de pécheurs, et s’approchèrent du canal resserré où le Pont-Euxin verse ses eaux dans la Méditerranée, et sépare l’Europe de l’Asie. La garnison de Chalcédoine campait alors près du temple de Jupiter Urius, sur un promontoire qui commandait l’entrée du détroit. Ce petit corps de troupes était supérieur aux Barbares, tant leurs invasions répondaient à l’effroi qu’elles inspiraient. Mais c’était en nombre seulement que les Romains surpassaient l’ennemi ; ils abandonnèrent avec précipitation un poste avantageux, et livrèrent à la discrétion des Goths la ville de Chalcédoine, abondamment fournie d’armes et d’argent. Les conquérants, prêts à se transporter par mer ou par terre dans les provinces intérieures de l’empire, menaçaient à la fois l’Europe et l’Asie. Tandis qu’ils balançaient sur la route qu’ils devaient prendre, Nicomédie[97], éloignée seulement de soixante milles du camp de Chalcédoine[98] leur fut montrée comme une conquête facile. Incapable de soutenir un siège, cette ancienne capitale des rois de Bithynie renfermait de grandes richesses. Un perfide transfuge, conduisit la marche, dirigea les attaques, et partagea le butin ; car les Goths avaient appris assez de politique pour récompenser le traître qu’ils détestaient. Nicée, Pruse, Apamée, Cios[99], villes qui, rivales de Nicomédie, en avaient quelquefois imité la splendeur, eurent le même sort et bientôt toute la Bithynie éprouva les plus cruelles calamités. Depuis longtemps les faibles habitants, de l’Asie ne connaissaient plus l’usage des armes : trois cents ans de paix avaient éloigné toute idée de danger. Les anciennes murailles tombaient en ruines, et les revenus des cités les plus opulentes servaient à la construction des bains, des temples et des théâtres [Zozime, I].

Lorsque Cyzique résista aux efforts de Mithridate[100], on y voyait trois arsenaux remplis de blé, d’armes et de machines de guerre [Strabon, XII] ; deux cents galères défendaient son port, et des lois sages veillaient à sa conservation. Cette place n’avait rien perdu de son état florissant ; mais il ne lui restait de son ancienne force qu’une situation avantageuse dans une petite île de la Propontide, qui tenait par deux ponts seulement au continent de L’Asie. Après avoir saccagé Pruse, les Goths s’avancèrent à dix-huit milles[101] de Cyzique, avec l’intention de la détruire. Un heureux accident retarda la ruine de cette ville. La saison était pluvieuse, et les eaux du lac Apolloniates, réservoir de toutes les sources du mont Olympe, s’élevèrent à une hauteur extraordinaire. La petite rivière de Rhindacus, qui en sort, devint tout à coup un torrent large et rapide, qui arrêta, les progrès des Goths. Ils avaient probablement laissé leur flotte à Héraclée : ce fut dans cette  ville qu’ils se rendirent avec une longue suite de chariots chargés des dépouilles de la Bithynie ; et ils traversèrent cette malheureuse province à la lueur des flammes de Nicée et de Nicomédie, qu’ils brûlèrent par caprice [Zozime, I]. On parle obscurément d’un combat douteux qui assura leur retraite[102] ; mais une victoire même complète ne leur aurait été que fort peu avantageuse, puisque l’approche de l’équinoxe d’automne les avertissait de hâter leur retour. Naviguer sur le Pont-Euxin avant le mois de mai ou après celui de septembre, est, aux yeux des Turcs modernes, le comble de l’imprudence et de la folie[103].

Lorsque nous apprenons que la troisième flotte équipée par les Goths, dans les ports de la Chersonèse Taurique, consistait en cinq cents voiles[104], aussitôt notre imagination multiplie leurs forces, et se représente un armement formidable, mais, selon le témoignage du judicieux Strabon [XI], les bâtiments de corsaires, dont faisaient usage les Barbares du Pont et de la petite Scythie, ne pouvaient contenir que vingt-cinq ou trente hommes ; ainsi, nous ne craindrons pas d’assurer que quinze mille guerriers au plus s’embarquèrent pour cette grande expédition. Impatients de franchir les limites du Pont-Euxin, ils dirigèrent leur course destructive du Bosphore Cimmérien au Bosphore de Thrace. A peine avaient-ils gagné le milieu du détroit, qu’ils furent rejetés tout à coup à l’entrée. Un vent favorable les porta le lendemain en peu d’heures dans la mer Tranquille, ou plutôt dans le lac de la Propontide. Ils s’embarquèrent de la petite île de Cyzique, et détruisirent cette ville célèbre depuis plusieurs siècles. De là, sortant par le passage étroit de l’Hellespont, ils tournèrent toutes ces îles répandues sur l’Archipel ou la mer Égée. Les captifs et les déserteurs durent alors leur être absolument nécessaires pour leurs vaisseaux, et pour les guider dans leurs différentes incursions sur les côtes de la Grèce et de l’Asie. Enfin ils abordèrent au Pirée, cet ancien monument de la grandeur d’Athènes, dont il était éloigné de cinq milles [Pline, H.N., III, 7]. Les habitants de cette ville semblaient déterminés à une vigoureuse défense. Ils avaient essayé quelques préparatifs, et Cléodame, l’un des ingénieurs nommés par l’empereur pour fortifier les villes maritimes contre les Goths, avait déjà commencé à relever les murailles, qui n’avaient point été réparées depuis Sylla. Les efforts de son art furent inutiles ; et les Barbares devinrent maîtres de la patrie des Muses. Tandis qu’ils s’abandonnaient au pillage et à des désordres de tout genre, leur flotte, qu’ils avaient laissée dans le port sous une faible garde, fût tout à coup attaque par Dexippus. Ce brave citoyen s’était échappé du sac d’Athènes avec l’ingénieur Cléodame ; et, rassemblant à la hâte une bande de volontaires, tant paysans que soldats, il vengea en quelque sorte les malheurs de sa patrie[105].

Cet exploit, quelque éclat qu’il ait pu jeter au milieu des ténèbres qui couvraient alors la gloire d’Athènes, servit plutôt à irriter qu’a abattre le caractère indomptable des conquérants du Nord. Un incendie général ravagea dans le même temps toute la Grèce, Thèbes et Argos, Corinthe et Sparte, ces républiques si longtemps rivales, et qui s’étaient illustrées par tant d’actions mémorables les unes contre-les autres, ne purent mettre une armée en campagne, ni même défendre leurs fortifications ruinées. Le feu de la guerre se répandit par mer et par terre depuis la pointe de Sunium jusqu’à la côte occidentale de l’Epire. Déjà les Goths se montraient presque à la vue de l’Italie, lorsque l’approche d’un danger si imminent réveilla l’indolent Gallien. Sorti tout à coup de l’ivresse du plaisir, l’empereur prit les armes. Il parait que sa présence réprima l’audace et divisa les forces de l’ennemi. Naulobatus, chef des Hérules, accepta une capitulation honorable, entra au service de Rome avec un détachement considérable de ses compatriotes, et fut revêtu des ornements de la dignité consulaire, qui jusque-là n’avait jamais été profanée par la main d’un Barbare[106]. Un grand nombre de Goths, dégoûtés des périls et des fatigues d’un voyage ennuyeux, s’enfoncèrent dans la Mœsie avec le projet de gagner, par le Danube, leurs établissements en Ukraine. L’exécution d’une entreprise si téméraire devait causer leur ruine totale : le peu d’union qui régnait entre les généraux romains procura aux Barbares les moyens de s’échapper[107]. Ceux d’entre eux qui infestaient encore les terres de l’empire, se retirèrent enfin sur leurs vaisseaux ; et, prenant leur route à travers l’Hellespont et le Bosphore, ils ravagèrent les rives de Troie, dont le nom, immortalisé par Homère, survivra probablement au souvenir des conquêtes d’un peuple féroce. Dès qu’ils furent en sûreté dans le bassin de la mer Noire, ils descendirent à Anchialus, ville de Thrace, bâtie au pied du mont Hœmus. Ce pays, célèbre par la salubrité de ses bains chauds, leur offrait, après tant de fatigues, un asile agréable ; ils y goûtèrent pendant quelque temps les douceurs du repos. La navigation qui leur restait à faire, pour terminer leur voyage, était courte et facile [Jornandès, 20]. Tels furent les divers événements de cette troisième et fameuse entreprise navale. On aura peut-être de la peine à concevoir comment une armée, composée d’abord de quinze mille hommes, a pu soutenir les pertes d’une expédition si hasardeuse, et former tant de corps séparés. Mais à mesure que le fer, les naufrages et la chaleur du climat diminuaient le nombre de ces guerriers, il était sans cesse renouvelé par des troupes de brigands et de déserteurs qui accouraient de toutes parts pour piller les provinces de l’empire ; et par une foule d’esclaves fugitifs, souvent originaires de la Germanie ou de la Sarmatie, qui saisissaient avec empressement l’occasion glorieuse de briser leurs chaînes et de se venger. Dans toutes ces guerres, la portion la plus considérable de danger et d’honneur appartient à la nation des Goths. Les annales imparfaites de ce siècle distinguent quelquefois et le plus souvent confondent les tribus qui combattirent sous leurs étendards ; et, comme les flottes des Barbares parurent sortir de l’embouchure du Tanaïs, on désigna fréquemment ces différents peuples réunis par le nom vague, mais plus connu, de Scythes[108].

Au milieu des calamités générales qui affligent le genre humain, la mort d’un individu, quelque grand qu’il soit, est un événement peu remarquable, et la destruction du plus superbe édifice semble ne devoir pas mériter la moindre attention. Nous ne pouvons cependant oublier le sort du temple de Diane à Éphèse, qui, après être sorti sept fois de ses ruines avec un nouvel éclat[109], fût enfin brûlé par les Goths, dans leur troisième invasion navale. Les arts de la Grèce et les richesses de l’Asie avaient, contribué à la construction de ce magnifique monument. Il s’élevait sur cent vingt-sept colonnes d’ordre ionique ; ces colonnes, toutes d’un marbre de grand prix, avaient été données par des monarques religieux, et chacune avait soixante pieds de haut. Les sculptures admirables, ouvrages de Praxitèle, qui ornaient l’autel, représentaient la naissance des divins enfants de Latone, la retraite d’Apollon après le meurtre des Cyclopes, et la clémence de Bacchus, qui pardonnait aux Amazones vaincues[110]. Peut-être le sculpteur avait-il tiré ces sujets des légendes et des traditions favorites du pays. Le temple d’Ephèse n’avait que quatre cent vingt-cinq pieds de diamètre, les deux tiers environ de la longueur sur laquelle a été bâtie l’église de Saint-Pierre de Rome[111]. Dans ses autres dimensions, il était encore plus inférieur à ce chef d’œuvre de l’architecture moderne. Les bras spacieux d’une croix chrétienne exigent une largeur bien plus grande que les temples oblongs des païens. Les artistes les plus hardis de l’antiquité, auraient été effrayés, si on leur eût proposé d’élever en l’air un dôme sur les proportions du Panthéon. Au reste, le temple de Diane était admiré comme une des merveilles du monde. Les Perses, les Macédoniens et les Romains en avaient tour à tour révéré la sainteté et augmenté la magnificence[112]. Mais les sauvages grossiers de la Baltique étaient dépourvus de goût pour les arts, et méprisaient les terreurs idéales d’une superstition étrangère[113].

On rapporte à cette époque une autre circonstance qui serait digne d’être remarquée, si nous n’étions fondés à croire qu’elle n’a jamais existé que dans l’imagination d’un sophiste. Lorsque les Goths saccagèrent Athènes, ils rassemblèrent, dit-on, toutes les bibliothèques de cette ville, et se disposèrent à livrer aux flammes tant de dépôts précieux des connaissances humaines. Ce qui les sauva du feu, ce fut cette opinion semée par un de leurs chefs, qu’il fallait laisser aux Grecs des meubles si propres à les détourner de l’exercice des armes, et à les amuser à des occupations oisives et sédentaires[114]. En admettant la vérité du fait, l’habile conseiller, quoique d’une politique plus raffinée que ses compatriotes, raisonnait comme un Barbare ignorant. Chez les nations, les plus puissantes et les plus civilisées, le génie s’est développé presque en même temps dans tous les genres, et le siècle des arts a généralement été le siècle de la gloire et de la vertu militaire.

IV. Les nouveaux souverains de la Perse, Artaxerxés et son fils Sapor, avaient triomphé, comme nous avons déjà vu, de la maison d’Arsace. Parmi tant de princes de cette ancienne famille, Chosroes, roi d’Arménie, avait seul conservé sa vie et son indépendance. La force naturelle de son pays, le secours des déserteurs et des mécontents qui se rendaient perpétuellement à sa cour, l’alliance des Romains, et, par-dessus tout, son propre courage, le rendirent invincible. Après s’être défendu avec succès durant une guerre de trente ans, il fut assassiné par les émissaires de Sapor, roi de Perse. Les satrapes d’Arménie, qui, fidèles à l’État, voulaient en assurer la gloire et la liberté, implorèrent la protection des Romains en faveur de Tiridate, l’héritier légitime de la couronne. Mais, le fils de Chosroes sortait à peine de la plus tendre enfance, les alliés étaient éloignés, et le monarque persan s’avançait vers la frontière à la tête d’une armée formidable. Un  serviteur zélé sauva le jeune Tiridate qui devait être la ressource de sa patrie. L’Arménie, devenue province d’un grand royaume, demeura pendant plus de vingt-sept ans sous le joug des Perses[115]. Ébloui par l’éclat d’une conquête facile et comptant sur la faiblesse ou sur les malheurs des Romains, Sapor obligea les fortes garnisons de Carrhes et de Nisibis à évacuer ces places, et il répandit la terreur et la désolation le long des rives de l’Euphrate.

La perte d’une frontière importante, la ruine d’un allié naturel et fidèle, et les succès rapides de l’ambitieux Sapor, remplirent Rome d’indignation pour l’insulte faite à sa grandeur, et de crainte sur le danger qui la menaçait. Valérien, persuadé que la vigilance de ses lieutenants suffisait pour garder le Rhin et le Danube, résolut, malgré son âge avancé, de marcher en personne à la défense de l’Euphrate. Son passage dans l’Asie-Mineure suspendit les entreprises navales des Goths, et fit jouir cette province infortunée d’un calme passager et trompeur. L’empereur traversa l’Euphrate, rencontra les Perses près des murs d’Édesse, fût vaincu et fait prisonnier par Sapor. Les particularités de ce grand événement nous sont représentées d’une manière obscure et imparfaite : cependant, éclairés par une faible lueur, nous sommes en état d’apercevoir du côté de l’empereur romain une longue suite d’imprudences, de fautes et de malheurs mérités. Il se confiait aveuglément en Macrien, son préfet du prétoire[116]. Cet indigne ministre rendit son maître l’effroi des sujets opprimés, et le mépris des ennemis de Rome [Zozime, I]. Conduite par les conseils faibles ou perfides de Macrien, l’armée impériale se trouva dans une situation où la valeur et la science militaire devenaient également inutiles [Hist. Aug., p. 174]. En vain les Romains firent-ils les plus grands efforts pour s’ouvrir un chemin à travers l’armée persane ; ils furent repoussés avec une perte considérable[117]. Sapor, dont les troupes supérieures en nombre tenaient assiégé le camp de l’ennemi, attendit patiemment que les horreurs de la peste et de la famine eussent assuré sa victoire. Bientôt les légions murmurèrent hautement contre Valérien, et lui imputèrent les maux qu’elles éprouvaient ; leurs clameurs séditieuses demandaient une prompte capitulation. On offrait aux Perses des sommes immenses pour acheter la permission de faire une retraite honteuse : mais Sapor, sûr de vaincre, refusa l’argent avec dédain ; il retint même les députés, et, s’avançant en ordre de bataille jusqu’au pied du rempart des Romains, il insista pour avoir une conférence personnelle avec leur monarque. Valérien fut réduit à la nécessité de commettre sa dignité et sa vie à la foi du vainqueur. L’entrevue se termina comme on devait naturellement s’y attendre : l’empereur fut mis aux fers, et les troupes consternées, déposèrent leurs armes[118]. Dans ce moment de triomphe, l’orgueil et la politique engagèrent Sapor à placer sur le trône vacant de Rome un souverain dont il pût entièrement disposer. Un obscur fugitif d’Antioche, Cyriades, livré à toutes sortes de vices, fut choisi pour déshonorer la pourpre romaine. Les troupes captives obéirent aux ordres du superbe Persan, et ratifièrent, par des acclamations forcées, l’élection de leur indigne souverain[119].

L’esclave couronné s’empressa de gagner la faveur de son maître, en trahissant son pays natal. Il conduisit Sapor à la capitale de l’Orient : les Perses traversèrent l’Euphrate, prirent le chemin de Chalcis, et leur cavalerie se porta vers Antioche avec une telle rapidité, que, si nous en croyons un historien très judicieux[120], cette ville fut surprise au moment où la multitude oisive assistait aux jeux du cirque. Les magnifiques édifices d’Antioche, monuments publics et maisons particulières, furent pillés ou détruits, et ses nombreux habitants mis à mort ou menés en captivité [Zozime, I]. La fermeté du grand-prêtre d’Émèse arrêta pour un instant l’impétuosité de ce torrent qui désolait toutes les provinces de l’Asie.  Revêtu de ses habits sacerdotaux, et suivi d’une troupe considérable de paysans fanatiques, armés seulement de frondes, il sauva son dieu et ses domaines des mains sacrilèges des disciples de Zoroastre[121] : mais la destruction de Tarse et de plusieurs autres villes prouve qu’excepté, dans cette seule circonstance, la conquête de la Syrie et celle de la Cilicie coûtèrent à peine à l’armée des Perses quelques instants de  retard. Les Romains renoncèrent aux avantages que leur offraient les défilés du mont Taurus contre un ennemi dont la principale force consistait en cavalerie, et qui aurait eu à soutenir un combat très inégal dans les gorges étroites des montagnes. Sapor, ne trouvant aucune résistance, forma le siége de Césarée, capitale de la Cappadoce. Quoique du second rang, cette ville pouvait contenir quatre cent mille âmes : Démosthène y commandait, moins par le choix de l’empereur que par le mouvement qui l’avait porté à s’offrir volontairement pour la défense de sa patrie : il suspendit pendant longtemps la ruine de la place ; enfin, lorsque Césarée eut succombé par la perfidie d’un médecin, Démosthène se fit jour, au milieu des Perses, qui avaient ordre de ne rien négliger pour s’emparer de sa personne. Tandis qu’il échappait à un ennemi qui aurait pu honorer ou punir sa valeur opiniâtre, plusieurs milliers de ses concitoyens furent enveloppés dans un massacre général. Sapor est accusé d’avoir exercé envers ses prisonniers des cruautés inouïes[122]. Ces imputations ont sans doute été dictées, en grande partie, par l’animosité nationale : ce sont les derniers cris de l’orgueil humilié et de la vengeance impuissante. Cependant, il faut l’avouer, le même prince qui avait déployé en Arménie la bienfaisance d’un législateur, ne se montra aux Romains qu’avec la férocité d’un conquérant. Il désespérait de pouvoir former aucun établissement permanent dans l’empire ; et, occupé seulement à laisser derrière lui d’affreux déserts, il transportait dans ses États les habitants et les trésors des provinces[123].

Dans le temps que l’Asie tremblait au nom de Sapor, ce prince reçut en présent un grand nombre de chameaux chargés des marchandises les plus précieuses et les plus rares ; ces richesses, dignes d’être offertes aux plus grands rois, étaient accompagnées d’une lettre noble à la fois et respectueuse de la part d’Odenat, l’un des plus illustres et des plus opulents sénateurs de Palmyre. Quel est cet Odenat ? dit le fier vainqueur, en faisant jeter ses présents dans l’Euphrate ; quel est ce vil esclave qui osé écrire si insolemment à son maître ? S’il veut conserver l’espoir d’adoucir son châtiment, qu’il vienne se prosterner au pied de nôtre trône, qu’il paraisse devant nous les mains liées derrière le dos : s’il hésite, une prompte destruction écrasera sa tête, sa race et son pays[124]. L’extrémité cruelle où le Palmyrénien se trouvait réduit développa les sentiments généreux cachés dans son âme. Odenat se rendit devant Sapor, mais il s’y rendit en armes, inspirant son courage à la petite armée qu’il avait levée dans les villages de la Syrie[125] et dans les tentes du désert[126]. Il voltigea autour des Perses, les harassa dans leur retraite, s’empara d’une partie de leurs richesses ; et, ce qui était infiniment plus précieux qu’aucun trésor, il enleva plusieurs des femmes du grand roi, qui fût enfin obligé de repasser l’Euphrate à la hâte, avec quelques marques de confusion [Pierre Patrice, p. 25]. Par cet exploit, Odenat jeta les fondements de la gloire et de la fortune dont il devait jouir dans la suite. La majesté de Rome, avilie par un Persan, fût vengée par un Syrien ou un Arabe de Palmyre.

La voix de l’histoire, qui n’est souvent que l’organe de la haine ou de la flatterie, reproche à Sapor d’avoir indignement abusé des droits de la victoire. On prétend que le malheureux Valérien, chargé de fers et couvert des ornements de la pourpre impériale, offrit longtemps aux regards de la multitude le triste spectacle de la grandeur renversée. Toutes les fois que le monarque persan montait à cheval, il plaçait son pied sur le cou d’un empereur romain. Malgré toutes les remontrances de ses alliés, qui ne cessaient de lui rappeler les vicissitudes de la fortune, qui lui peignaient la puissance encore formidable de Rome, et qui l’exhortaient à faire de son illustre captif le gage de la paix et non un objet d’insulte, Sapor demeura toujours inflexible. Lorsque Valérien succomba sous le poids de la honte et de la douleur, sa peau, garnie de paille, et conservant une forme humaine, resta suspendue pendant plusieurs siècles dans le temple le plus célèbre de la Perse : monument de triomphe plus réel que tous ces simulacres de cuivre ou d’airain érigés si souvent par la vanité romaine[127]. Cette histoire est touchante, et renferme une grande morale ; mais il est permis de la révoquer en doute. Les lettres encore existantes des princes de l’Orient à Sapor sont évidemment fausses[128] ; d’ailleurs, est-il naturel de supposer qu’un monarque si jaloux de sa dignité ait ainsi dégradé, même dans la personne d’un rival, la majesté des rois ? Quelque traitement que l’infortuné Valérien ait éprouvé en Persée, il est du moins certain que ce prince, le premier empereur de Rome qui soit tombé entre les mains de l’ennemi, passa ses tristes jours dans une captivité sans espérance.

Depuis longtemps Gallien supportait avec peine la censure sévère d’un père et d’un collègue : il reçut la nouvelle de ses malheurs avec un plaisir secret, et avec une indifférence marquée. Je savais, dit-il, que mon père était homme ; et puisqu’il s’est conduit avec courage, je suis satisfait. Tandis que Rome consternée déplorait le sort de son souverain, de vils courtisans applaudissaient à la dure insensibilité du fils de ce malheureux prince, et le louaient d’être parvenu à la fermeté parfaite d’un héros et d’un philosophe[129]. Il serait difficile de saisir les traits du caractère léger, variable et inconstant, que développât Gallien dès que devenu seul maître de l’empire, il ne fut plus retenu par aucune contrainte. La vivacité de son esprit le rendait propre à réussir dans tout ce qu’il entreprenait ; et, comme il manquait de jugement, il embrassa tous les arts excepté les seuls dignes d’un souverain, ceux de la guerre et du gouvernement. Il possédait plusieurs sciences curieuses, mais inutiles : orateur facile, poète élégant[130], habile jardinier, excellent cuisinier, il était le plus méprisable de tous les princes. Tandis que les affaires les plus importantes de l’État exigeaient ses soins et sa présence, il s’occupait à converser avec le philosophe Plotin[131], ou, plus souvent encore, il passait son temps dans la débauche ou dans des amusements frivoles, tantôt il se préparait à être initié aux mystères de la Grèce, tantôt il sollicitait une place à l’aréopage d’Athènes. Sa magnificence prodigue insultait à la misère générale, et la pompe ridicule de ses triomphes aggravait le poids des calamités, publiques[132]. On venait perpétuellement lui annoncer des invasions, des défaites et des révoltes ; ces tristes nouvelles n’excitaient en lui qu’un sourire d’indifférence. Choisissant, avec un mépris affecté, quelque production particulière d’une province perdue, il demandait froidement si Rome ne pouvait subsister sans le lin d’Égypte ou sans les étoffes d’Arras. La vie de Gallien présente cependant de courts intervalles où ce prince, irrité par quelque injure récente, déploya tout à coup l’intrépidité d’un soldat et la cruauté d’un tyran ; mais bientôt, rassasié de sang ou fatigué de la résistance, il reprenait insensiblement la mollesse naturelle et l’indolence de son caractère[133].

Tandis que les rênes de l’État flottaient en de si faibles mains, il n’est pas étonnant que toutes les provinces de l’empire aient vu s’élever contre le fils de Valérien une foule d’usurpateurs. Les écrivains de l’Histoire Auguste ont cru jeter plus d’intérêt dans leur récit en comparant les trente tyrans de Rome avec les trente tyrans d’Athènes : cette idée est probablement ce qui les a engagés à choisir ce nombre célèbre et connu[134]. Dans tous les points, le parallèle est imparfait et ridicule. Quelle ressemblance pouvons-nous apercevoir entre un conseil de trente personnes réunies pour opprimer une seule ville, et une liste incertaine de rivaux indépendants, dont l’élévation et la chute se succédaient sans aucun ordre dans l’étendue d’une vaste monarchie ? Le nombre même de trente ne peut être complet qu’en comprenant parmi ces tyrans les enfants et les femmes qui furent honorés du titre impérial. Le règne de Gallien, au milieu des troubles qui le déchirement ne produisit que dix-neuf prétendants au trône : Cyriades, Macrien, Baliste, Odenat et Zénobie en Orient ; dans la Gaule et dans les provinces occidentales, Posthume, Lolien, Victorin et sa mère Victoria, Marius et Tetricus ; en Illyrie et sur les confins du Danube, lngenuus, Régilien et Auréole ; dans le Pont, Saturnin[135] ; Trébellien, en Isaurie ; dans la Thessalie, Pison ; Valens en Achaïe ; Émilien en Égypte, et Celsus en Afrique. Les monuments de la vie et de la mort de tous ses prétendants sont ensevelis dans l’obscurité ; nous ne pourrions les éclaircir qu’en entrant dans des détails dont la sécheresse rebuterait le lecteur sans lui rien apprendre d’utile. Bornons-nous, donc à quelques traits généraux qui marquent fortement la condition des temps et les caractères de ces usurpateurs, et qui fassent connaître leurs prétentions, leurs motifs, leurs destinées et les suites funestes de leur rébellion[136].

On sait que les anciens employaient souvent le nom de tyran pour désigner ceux qui s’emparaient de l’autorité suprême par des voies illégitimes. Cette dénomination odieuse n’avait alors aucun rapport avec l’abus du pouvoir. Plusieurs des prétendants qui levèrent l’étendard de la révolte contre l’empereur Gallien, étaient de brillants modèles de vertu ; ils possédaient presque tous beaucoup de talents et de fermeté. Leur mérite leur avait attiré la faveur de Valérien, et les avait insensiblement élevés aux premières dignités de l’État. Les généraux, qui prirent le titre d’Auguste, s’étaient concilié le respect de leur armée, par leur habileté à maintenir la discipline, ou son admiration par leur bravoure et leurs exploits, ou son affection par leur générosité et leur franchise : ils furent souvent proclamés sur le champ de la victoire. L’armurier Marius lui-même, le moins illustre de ces candidats, se distingua par l’intrépidité de son courage, par une force de corps extraordinaire et par l’honnêteté de ses mœurs grossières[137]. La médiocrité de la profession qu’il venait d’exercer jette, il est vrai, un air de ridicule sur son élévation soudaine ; mais sa naissance ne pouvait pas être plus obscure que celle de la plupart de ses rivaux, qui nés de paysans, étaient d’abord entrés au service comme simples soldats[138]. Dans les siècles de confusion, un génie actif trouve la place qui lui a été assignée par la nature : au milieu des troubles qu’enfante la guerre, le mérite militaire et la route qui mène à la gloire et à la grandeur. Parmi les dix-neuf tyrans, on ne voyait de sénateur que Tetricus ; Pison seul était noble. Le sang de Numa coulait, après vingt-huit générations successives dans les veines de Calphurnius Pison[139], qui, lié par les femmes aux plus illustres citoyens, avait le droit de décorer sa maison des images de Crassus et du grand Pompée[140]. Ses ancêtres avaient été constamment revêtus de tous les honneurs que pouvait accorder la république ; et les Calphurniens, seuls des anciennes familles de Rome, avaient échappé à la tyrannie cruelle des Césars. Les qualités personnelles de Pison ajoutaient un nouveau lustre à sa race. L’usurpateur Valens, qui le fit périr, avouait, avec de profonds remords, qu’un ennemi même aurait du respecter en Pison la sainte image de la vertu. Quoique Pison eût perdu la vie en portant les armes contre Gallien, le sénat, avec la généreuse permission de l’empereur, décerna les ornements du triomphe à la mémoire d’un si vertueux rebelle[141].

Les lieutenants de Valérien, sincèrement attachés à un prince qu’ils estimaient, ne pouvaient se résoudre à servir la molle indolence de son indigne fils. Le trône de l’univers romain n’était soutenu par aucun principe de fidélité, et la trahison paraissait, en quelque sorte, justifiée par le patriotisme. Cependant, si nous examinons attentivement la conduite de ces usurpateurs, nous verrons que la crainte a été plus souvent que l’ambition le motif qui les a poussés à la révolte. Ils redoutaient les soupçons cruels de Gallien ; la capricieuse violence de leurs troupes ne leur causait pas moins d’alarmes. Si la faveur dangereuse de l’armée les déclarait dignes de la pourpre, c’étaient autant de victimes condamnées à une mort certaine. La prudence même leur aurait conseillé de s’assurer pendant quelques instants la jouissance de l’empire, et de tenter la fortune des  armes, plutôt que d’attendre la main d’un bourreau. Lorsque les clameurs des soldats forçaient un chef à prendre les marques de l’autorité souveraine, il déplorait quelquefois sa malheureuse destinée. Vous avez perdu, dit Saturnin à ses troupes le jour de son élévation, vous avez perdu un commandant utile, et vous avez fait un bien malheureux empereur [Hist. Aug., p. 196].

Les révolutions sans nombre dont il avait été témoin, justifiaient ses appréhensions. Des dix-neuf tyrans qui prirent les armes sous le règne de Gallien, il n’y en a aucun dont la vie ait été tranquille, ou la mort naturelle. Dès qu’ils avaient été revêtus de la pourpre ensanglantée, ils inspiraient à leurs partisans les mêmes craintes ou la même ambition qui avait occasionné leur révolte. Environnés de conspirations domestiques, de séditions militaires et de guerres civiles, ils tremblaient sur le  bord de l’abîme dans lequel, après les anxiétés les plus cruelles, ils se voyaient tôt ou tard précipités. Ces monarques précaires recevaient cependant les honneurs dont pouvait disposer la flatterie des armées et des provinces qui leur obéissaient ; mais leurs droits, fondés sur la rébellion, n’ont jamais pu obtenir la sanction de la loi, ni être consignés dans l’histoire. L’Italie, Rome et le sénat embrassèrent constamment la cause de Gallien, qui, seul fut regardé comme le souverain de l’empire. A la vérité ce prince ne dédaigna point de reconnaître les armes victorieuses d’Odenat, qui méritait cette honorable distinction, par sa conduite respectueuse envers le fils de Valérien. Le sénat, avec l’approbation générale des Romains, et du consentement de l’empereur, conféra le titre d’Auguste au brave Palmyrénien et le gouvernement de l’Orient, qu’il possédait déjà, semble lui avoir été confié d’une manière si indépendante, qu’il le laissa comme une succession particulière à son illustre veuve Zénobie[142].

Le spectacle de ce passage rapide et continuel de la chaumière du trône et du trône au tombeau eût pu amuser un philosophe indifférent, s’il était possible à un philosophe de rester indifférent au milieu des calamités générales du genre humain. L’élévation de tant d’empereurs, leur puissance leur mort, devinrent également funestes à leurs sujets et à leurs partisans. Le peuple, écrasé par d’horribles exactions, leur fournissait les largesses immenses qu’ils distribuaient aux troupes pour prix de leur fatale grandeur. Quelque vertueux que fût leur caractère, quelle que pût être la pureté,de leurs intentions, ils se trouvèrent obligés de soutenir leur usurpation par des actes fréquents de rapines et d’inhumanité. Lorsqu’ils tombaient, ils enveloppaient des armées et des provinces dans leur chute : il existe encore un ordre affreux de Gallien à l’un de ses ministres après la perte d’Ingenuus, qui avait pris la pourpre en Illyrie. On ne peut lire sans frémir d’horreur la lettre de ce prince, qui joignait à la mollesse la férocité d’un tyran cruel. Il ne suffit pas, dit-il, d’exterminer ceux qui ont porté les armes ; le hasard de la guerre aurait pu m’être aussi utile. Que tous les mâles, sans respect pour l’âge, périssent ; pourvu que dans l’exécution des enfants et des vieillards vous trouviez le moyen de sauver notre réputation. Faites mourir quiconque a laissé échapper une expression, s’est permis une pensée contre moi ; contre moi, le fils de Valérien, le frère et le père de tant de princes[143]. Songez qu’Ingenuus fut empereur. Déchirez, tuez, mettez en pièces. Je vous écris de ma propre main : je voudrais vous inspirer mes propres sentiments [H. Aug., p.188]. Tandis que les forces de l’État se dissipaient en querelles particulières, les provinces sans défense restaient exposées aux attaques de quiconque voulait les envahir. Les plus courageux d’entre les usurpateurs, luttant sans cesse contre les dangers de leur situation, se trouvaient obligés de conclure avec l’ennemi commun des traités ignominieux, de payer aux Barbares des tributs oppressifs pour acheter leur neutralité ou leurs services, et d’introduire des nations guerrières et indépendantes jusque dans le centre de la monarchie romaine[144].

Tels étaient les Barbares ; tels les tyrans qui, sous les règnes de Valérien et de Gallien, démembrèrent les provinces, et réduisirent l’empire à un état d’abaissement et de désolation d’où il semblait ne pouvoir jamais se relever. Autant que nous l’a permis la disette des matériaux, nous avons essayé de tracer avec ordre et avec clarté les événements généraux de cette période désastreuse ; il nous reste encore à parler des désordres de la Sicile, des tumultes d’Alexandrie et de la rébellion des Isauriens : ces faits particuliers peuvent servir à jeter une vive lumière sur l’affreux tableau que nous venons de présenter.

I. Toutes les fois que de nombreuses troupes de brigands, multipliées par le succès et par l’impunité, osent braver publiquement les lois de leur pays, au lieu de chercher à s’y soustraire, c’est une preuve certaine que la dernière classe de la société s’aperçoit et abuse de la faiblesse du gouvernement. La situation de la Sicile la mettait à l’abri des Barbares, et la province désarmée ne pouvait soutenir un usurpateur ; elle fut déchirée par de plus viles mains. Après avoir pillé cette île, autrefois florissante et toujours  fertile, une troupe séditieuse de paysans et d’esclaves y régna pendant quelque temps, et rappela le souvenir de ces guerres honteuses que Rome avait eu à soutenir dans ses plus beaux jours[145]. Les dévastations dont le laboureur était victime ou complice, ruinaient l’agriculture en Sicile ; et comme les principales terres appartenaient à de riches sénateurs, dont une des fermés comprenait souvent tout le territoire d’une ancienne république, ces troubles affectèrent peut-être la capitale de l’empire plus vivement que toutes les conquêtes des Goths et des Perses.

II. La fondation d’Alexandrie, projet noble, conçu et exécuté par le fils de Philippe, était un monument de son génie. Bâtie sur un plan magnifique et régulier, cette grande ville, qui ne le cédait qu’à Rome elle-même, avait quinze milles de circonférence [Pline, H. N., 10]. On y comptait trois cent mille habitants libres, outre un nombre au moins égal d’esclaves [Diod. Sic., XVII]. Son port servait d’entrepôt aux riches marchandises de l’Arabie et de l’Inde, qui affluaient dans la capitale et dans les provinces de l’empire. L’oisiveté y était inconnu ; les différentes manufactures de verre, de lin et de papyrus, employaient une quantité prodigieuse de bras. Hommes, femmes, vieillards enfants, tous subsistaient par leur industrie ; le boiteux même ou l’aveugle ne manquait pas d’occupations convenables à son état[146]. Mais le peuple d’Alexandrie, composé de plusieurs nations, réunissait à la vanité et à l’inconstance des Grecs, l’opiniâtreté et la superstition des Égyptiens. Le plus léger motif, une disette momentanée de poisson ou de lentilles, l’oubli  d’un salut accoutumé, une méprise pour quelque préséance dans les bains publics, quelquefois même une dispute de religion[147], suffisait, en tout temps, pour exciter des orages au milieu de cette grande multitude, et y élever des ressentiments furieux et implacables[148]. Lorsque la captivité de Valérien et l’indolence de son fils eurent relâché l’autorité des lois, les Alexandrins s’abandonnèrent à la rage effrénée de leurs passions ; leur malheureuse patrie devint le théâtre d’une guerre civile qui, pendant près de douze ans, fut à peine suspendue[149] par un petit nombre de trêves courtes, et mal observées. On avait coupé toute communication entre les différents quartiers de la ville ; toutes les rues étaient teintes de sang ; tous les édifices considérables avaient été convertis en autant de citadelles ; enfin, le tumulte ne s’apaisa que lorsqu’une grande partie d’Alexandrie eut été entièrement détruite. Cent ans après, la vaste et magnifique enceinte du Bruchion[150], avec ses palais et son muséum, résidence des rois et des philosophes, présentait déjà, compte aujourd’hui, une affreuse solitude[151].

III. La rébellion obscure de Trebellianus, proclamé en Isaurie, petite province de l’Asie-Mineure, eut des suites singulières et mémorables. Un officier de Gallien détruisit bientôt ce fantôme de roi ; mais ses partisans, désespérant d’obtenir leur pardon, résolurent de se soustraire à l’obéissance non seulement de l’empereur, mais encore de l’empire ; et ils reprirent tout à coup leurs mœurs sauvages, dont les traits primitifs n’avaient jamais été entièrement effacés. Ils trouvèrent une retraite inaccessible dans leurs rochers escarpés, branche de cette grande chaîne de montagnes  connue sous le nom de mont Taurus. La culture de quelques vallées fertiles [Strabon, XII] leur procura les nécessités de la vie, et leur brigandage les objets de luxe. Situés au centre de la monarchie romaine, ils restèrent longtemps dans la barbarie. Les successeurs de Gallien, incapables de les soumettre par la force ou par la politique, élevèrent des forteresses autour de leur pays [H. Aug., p. 197]. Ces précautions, qui décelaient la faiblesse de l’État, ne furent pas toujours suffisantes pour réprimer les incursions de ces ennemis domestiques : les Isauriens, étendant par degrés leur territoire jusqu’au rivage de la mer, s’emparèrent de l’occident de la Cilicie, pays montagneux, autrefois la retraite de ces hardis pirates contre lesquels la république avait été obligée d’employer toutes ses forces sous la conduite du grand Pompée[152].

Nos  préjugés lient si étroitement l’ordre de l’univers avec le destin de l’homme, que cette sombre période de l’histoire a été ornée d’inondations, de tremblements de terre, de météores, de ténèbres surnaturelles et  d’une foule de prodiges faux ou de faits exagéré [H. Aug., p. 177]. Une famine longue et générale offrit une calamité d’un genre plus sérieux. Celle qui se fit sentir alors était une suite inévitable de la tyrannie et de l’oppression qui, en détruisant les moissons, enlevaient les productions présentes et l’espoir d’une nouvelle récolte. La famine est presque toujours accompagnée de maladies épidémiques, effet ordinaire d’une nourriture peu abondante et malsaine. D’autres causes doivent cependant avoir contribué à cette peste cruelle, qui, depuis 250 jusqu’en 265, ravagea sans interruption toutes les provinces, toutes les villes et presque toutes les familles de l’empire romain. Pendant quelque temps on vit mourir, à Rome cinq mille personnes par jour, et plusieurs villes qui avaient échappé aux mains des Barbares furent entièrement dépeuplées[153].

Il nous est parvenu une circonstance très curieuse, qui n’est peut-être pas inutile à remarquer dans le triste calcul des calamités humaines. On conservait dans la ville d’Alexandrie un registre exact des citoyens qui avaient droit à une distribution de blé. On trouva que, sous le règne de Gallien, le nombre des individus de quatorze à quatre-vingts ans qui avaient part à cette rétribution, ne s’éleva pas au-dessus de celui des hommes de quarante à soixante-dix ans, qui la recevaient dans des temps antérieurs[154]. Ce fait authentique, en y appliquant les meilleures tables de mortalité, prouve évidemment qu’Alexandrie avait perdu plus de la moitié de ses habitants. Si nous osions étendre l’analogie aux autres provinces, nous pourrions soupçonner que la guerre, la peste et la famine avaient emporté en peu d’années la moitié de l’espèce humaine[155].

 

 

 



[1] L’expression dont se servent Zozime et Zonare peut signifier également que Marinus commandait une centurie, une cohorte ou une légion.

[2] Il naquit à Bubalie, petit village de la Pannonie (Eutrope, IX ; Victor, in Cæsarib. et epit.). Cette circonstance, à moins qu’elle ne soit purement accidentelle, semble détruire l’opinion qui faisait remonter l’origine de ce prince aux Decius. Six cents ans d’illustration avaient anobli cette famille ; mais les Decius n’avaient d’abord été que des plébéiens d’un mérite distingué : on les voit paraître parmi les premiers qui partagèrent le consulat avec les superbes patriciens. Plebeiœ Deciorum animœ, etc. Juvénal, sat. VIII, 254. Voyez le beau discours de Decius, dans Tite-Live, X, 9, 10.

[3] Zozime, I, p. 20 ; Zonare, XII, p. 624, édition du Louvre.

[4] Voyez les préfaces de Cassiodore et de Jornandès. Il est surprenant que la dernière ait été omise dans l’excellente édition des écrivains goths, donnée par Grotius.

[5] Les Goths ont habité la Scandinavie, mais n’en sont point originaires. Cette grande nation était anciennement de la race des Suèves ; elle occupait, du temps de Tacite et longtemps auparavant, le Mecklenbourg, la Poméranie, la Prusse méridionale et le nord-ouest de la Pologne. Peu avant la naissance de Jésus-Christ, et dans les premières années qui la suivirent, ils appartenaient à la monarchie de Marbod, roi des Marcomans ; mais Cotualda, jeune prince goth, les délivra de cette tyrannie, et établit lui-même son pouvoir sur le royaume des Marcomans, déjà très affaibli par les victoires de Tibère. La puissance des Goths, à cette époque, doit avoir été assez grande ; ce fut probablement d’eux que le Sinus Codanus (mer Baltique) prit ce nom, comme il prit celui de mare Sucvicum et de mare Venedicum lors de la supériorité des Suèves proprement dits et des Vénèdes. L’époque à laquelle les Goths ont passé en Scandinavie est inconnue. Voyez Adel., Hist. anc. des Allem., p. 200 ; Gatterer, Essai d’une Histoire universelle, p. 458 (Note de l’Éditeur).

[6] Jornandès cite, d’après l’autorité d’Ablavius, quelques anciennes chroniques des Goths composées en vers. De Rb. geticus, c. 4.

[7] Voyez les extraits assez étendus des ouvrages d’Adam de Brème, et de Saxon le Grammairien, qui se trouvent dans les Prolégomènes de Grotius. Adam de Brème écrivait en 1077 ; et Saxon le Grammairien vers l’année 1200.

[8] Voltaire, Histoire de Charles XII, III. Lorsque les Autrichiens demandaient du secours à Rome contre Gustave-Adolphe, ils ne manquaient jamais, de représenter ce conquérant comme le successeur; direct d’Alaric. Harte, Hist. de Gustave, vol. II, p, 123.

[9] Voyez Adam de Brême, dans les Prolégomènes de Grotius, p. 10. Le temple d’Upsal fut détruit par Ingo, roi de Suède, qui monta sur le trône en 1075 ; et environ quatre-vingts ans après, on éleva sur ses ruines une cathédrale chrétienne. Voyez l’Histoire de Suède, par Dalin, dans la Bibliothèque raisonnée.

[10] Mallet, Introduction à l’Histoire du Danemark.

[11] Mallet, IV, p. 55, a tiré de Strabon, de Pline, de Ptolémée et d’Etienne de Byzance, les vestiges de ce peuple et de cette ville.

[12] Il ne peut l’être : Bayer a prouvé que la ville d’Asof ne paraissait que dans le douzième siècle de l’histoire. Voyez sa dissertation sur l’histoire d’Asof, dans le deuxième volume de la collection de l’Histoire russe (Note de l’Éditeur).

[13] Il est difficile d’admettre comme un fait authentique l’expédition merveilleuse d’Odin, qui pourrait fournir le sujet d’un beau poème épique, en faisant remonter à une époque si mémorable l’inimitié des Goths et des Romains. Selon le sens le plus naturel de l’Edda, et l’interprétation des plus habiles critiques, As-gard n’est point réellement une ville de la Sarmatie asiatique : c’est le nom du séjour Mystérieux des dieux ; c’est l’Olympe de la Scandinavie. Le prophète était supposé en descendre lorsqu’il vint annoncer sa nouvelle religion à la nation des Goths qui étaient déjà établis dans la partie méridionale de la Suède.

On peut consulter sur ce sujet une lettre curieuse du Suédois Ihre, conseiller de chancellerie à Upsal, imprimée à Upsal, chez Edmau, en 1772, et traduite en allemand par M. Schlœzer ; à Gœttingue, chez Dieterichs, 1773 (Note de l’Éditeur).

[14] Tacite, Ann., II, 62. Si l’on pouvait ajouter foi aux voyages de Pythéas de Marseille, il faudrait convenir que les Goths avaient passé la mer Baltique au moins trois cents ans avant Jésus-Christ.

[15] Par les colonies allemandes qui suivirent les armes des chevaliers teutoniques. Ces aventuriers terminèrent, dans le treizième siècle, la conquête et la conversion de la Prusse.

[16] Pline (Hist. nat., IV, 14) et Procope (in Bell. vand., I, 1) ont suivi la même opinion. Ces deux auteurs vivaient dans des siècles éloignés, et ils employèrent différentes voies pour chercher la vérité.

Cette opinion est peu vraisemblable. Les Vandales et les Goths appartenaient également à la grande division des Suives, mais ces deux tribus étaient très différentes. Ceux qui ont traité cette partie de l’histoire me paraissent avoir négligé de remarquer que les anciens donnaient presque toujours le nom du peuple puissant et vainqueur à toutes les tribus faibles et vaincues ; ainsi Pline appelle Vindili, Vandales, tous les peuples du nord-est de l’Europe, parce qu’à cette époque les Vandales étaient sans doute la tribu conquérante. César, au contraire, rangeait sous le nom de Suèves plusieurs des tribus que Pline met sous celui de Vandales, parce que les Suèves proprement dits étaient alors la tribu la plus puissante de la Germanie. Quand les Goths, devenus à leur tour conquérants, eurent soumis les peuplades qui se trouvaient sur leur chemin, ces peuplades perdirent leur nom en perdant leur liberté, et devinrent d’origine gothique. Les Vandales eux-mêmes furent considérés alors comme des Goths ; les Hérules, les Gépides, etc., eurent le même sort. Une origine commune fut ainsi attribuée à des peuples qui n’avaient été réunis que par les conquêtes d’une nation, et cette confusion a causé une foule d’erreurs en histoire (Note de l’Éditeur).

[17] Les Ostrogoths et les Visigoths, ou les Goths orientaux et occidentaux, avaient été ainsi désignés lorsqu’ils habitaient la Scandinavie (*). Par suite, dans toutes leurs marches et dans tous leurs établissements, ils conservèrent avec leurs noms la même situation respective qui les leur avait fait donner. La première fois qu’ils sortirent de Suède, la colonie, dans son enfance, était contenue dans trois vaisseaux, un de ces bâtiments, qui n’était pas si bon voilier que les deux autres, fut retardé dans sa route ; et l’équipage, qui forma ensuite, une grande nation, reçut le nom de Gépides ou Traîneurs. Jornandès, c. 17.

(*) Ce n’est point en Scandinavie que les Goths ont été divisés en Ostrogoths et Visigoths ; cette division eut lieu après leur irruption en Dacie, au troisième siècle : ceux qui venaient du Mecklembourg et de la Poméranie furent appelés Visigoths ; ceux qui venaient du midi de la Prusse et du nord-ouest de la Pologne se nommaient Ostrogoths. Adel., Hist. anc. des Allem., p. 202 ; Gatt., Hist. univ., p. 431 (Note de l’Éditeur).

[18] Voyez un fragment de Pierre Patrice, dans l’ouvrage intitulé, Excerpta legationum ; et pour la date la plus probable, voyez Tillemont, Histoire des Empereurs, t. III, p. 346.

[19] Omnium harum gentium insigne, rotunda scuta, breves gladii, et erga reges obsequium. Tacite, Germ., 43. Le commerce de l’ambre procura vraisemblablement du fer à la nation des Goths.

[20] Les Hérules et les Bourguignons sont particulièrement nommés. Voyez l’Histoire des Germains, par Mascou, V. Un passage de l’Histoire Auguste, p. 28, parait faire allusion à cette grande migration. La guerre des Marcomans fut occasionnée en partie par la pression des tribus barbares, qui fuyaient, devant les armes de Barbares plus septentrionaux.

[21] D’Anville, Géographie ancienne, et la troisième partie de son incomparable carte d’Europe.

[22] Les Bastarnes ne sauraient être regardés comme originaires de la Germanie : Strabon et Tacite paraissent en douter ; Pline est le seul qui les appelle positivement Germains ; Ptolémée et Dion les traitent de Scythes, dénomination vague à cette époque de l’histoire ; Tite-Live, Plutarque et Diodore de Sicile les nomment Gaulois, et cette opinion est la plus vraisemblable. Ils descendaient des Gaulois venus en Germanie sous la conduite de Sigovèse. On les trouve toujours associés à des tribus gauloises, telles que les Boïens, les Taurisques, etc., et non aux tribus germaniques : les noms de leurs chefs ou princes, Chlonix, Chlondicus, Deldon, ne sont pas des noms germains. Ceux qui s’étaient établis dans l’île Peuce, sur le Danube, prirent le nom de Peucins.

Les Carpiens paraissent en 237 comme une tribu suève qui fit une irruption dans la Mœsie. Dans la suite ils reparaissent sous les Ostrogoths, avec lesquels ils se sont probablement amalgamés. Voyez Adel., Hist. anc. des All., p. 236 et 278 (Note de l’Éditeur).

[23] Les Vénèdes, les Slaves et les Antes étaient trois grandes tribus du même peuple. Jornandès, 24.

Ces trois tribus formaient la grande nation ces Slaves (Note de l’Éditeur).

[24] Tacite mérite certainement ce titre, et même sa prudente incertitude prouve l’exactitude de ses recherches.

[25] Jac. Reineggs croit avoir trouvé dans les montagnes du Caucase quelques descendants de la nation des Alains ; les Tartares les appellent Edeki-Alan : ils parlent un dialecte particulier de l’ancienne langue des Tartares du Caucase. V. J. Reineegs, Descr. du Caucase (en allemand) p. II, p. 15 (Note de l’Éditeur).

[26] Histoire généalogique des Tartares, p. 593. M. Bell (vol. II, p. 379) traversa l’Ukraine, en voyageant de Pétersbourg à Constantinople. La face du pays représente exactement aujourd’hui ce qu’il était autrefois, puisque entre les mains des Cosaques il reste toujours dans un état de nature.

[27] Aujourd’hui Prebislaw, chez les Bulgares. D’Anville, Géogr. Anc., t. I, p. 311 (Note de l’Éditeur).

[28] Dans le seizième chapitre de Jornandès, au lieu de secundo Mœsiam, on peut substituer secundam, la seconde Mœsie, dont Marcianopolis était certainement la capitale (Voyez Hiéroclès, de Provincus, et Wesseling, ad locum, p. 636, Itineraria). Il est étonnant qu’une faute si palpable du copiste ait échappé à la correction judicieuse de Grotius.

[29] Le lieu qu’occupait cette ville est encore appelé Nicop. La petite rivière sur les bords de laquelle elle était située tombe dans le Danube. D’Anville, Géogr. Anc., I, p. 307.

[30] Aujourd’hui Philippopolis ou Philiba ; sa situation entre des collines la faisait aussi appeler Trimontium. D’Anville, Géogr. anc., t. I , p. 295 (Note de l’Éditeur).

[31] Etienne de Byzance, de Urbibus, p. 740 ; Wesseling, Itineraria, p. 136. Zonare, par une méprise singulière, attribue la fondation de Philippopolis au prédécesseur immédiat de l’empereur Dèce.

[32] Les mots victoriœ carpicœ, qui se trouvent sur quelques médailles de l’empereur Dèce, insinuent ces avantages.

[33] Claude, qui régna depuis avec tant de gloire, gardait les Thermopyles avec deux cents Dardaniens, cent hommes de cavalerie pesante et cent soixante de cavalerie légère, soixante archers crétois, et mille hommes de nouvelles troupes bien armées. Voyez une lettre originale de l’empereur à cet officier, dans l’Histoire Auguste, p. 200.

[34] Jornandès, 16-18 ; Zozime, I, p. 22. Il est aisé de découvrir, dans le récit général de cette guerre, les préjugés opposés de l’auteur grec et de l’historien des Goths. Ils ne se ressemblent que par le manque d’exactitude.

[35] Montesquieu, Grandeur et décadence des Romains, c. 8. Il parle de la nature et de l’usage de la censure avec sa sagacité ordinaire et avec une précision peu commune.

[36] Vespasien et Titus furent les derniers censeurs (Pline, Hist. nat., VII, 49; Censorin, de Die natali.). La modestie de Trajan ne lui permit pas d’accepter un honneur dont il était digne, et son exemple fut une loi pour les Antonins. Voyez le Panégyrique de Pline, c. 45 et 60.

[37] Malgré cette exemption Pompée parut rependant devant le tribunal du censeur pendant son consulat. L’occasion était, à la vérité, également singulière et honorable. Plutarque, Vie de Pompée, p. 630.

[38] Voyez le discours original dans l’Histoire Auguste, p. 173-174.

[39] C’est peut-être ce qui a trompé Zonare. Cet auteur suppose que Valérien fut alors déclaré le collègue de Dèce. L. XII, p. 625.

[40] Histoire Auguste, p. 174. La réponse de l’empereur est omise.

[41] Telles que les tentatives d’Auguste pour la réforme des mœurs. Tacite, Annales, III, 24.

[42] Tillemont, Histoire des Empereurs, tome III, p. 593. Comme Zozime et quelques-uns de ceux qui l’ont suivi prennent le Danube pour le Tanaïs, ils placent le champ de bataille dans les plaines de la Scythie.

[43] Aurelius Victor place la mort des deux Dèce dans deux actions différentes ; mais j’ai préféré le récit de Jornandès.

[44] J’ai hasardé de tirer de Tacite (Ann., I, 64) le tableau d’une action semblable entre une armée romaine et une tribu germanique. La traduction est de l’abbé de La Bletterie.

[45] Jornandès, 18 ; Zozime, I, p. 22 ; Zonare, XII, p. 627 ; Aurelius Victor.

[46] Les Dèce furent tués avant la fin de l’année 251, puisque les nouveaux princes prirent possession du consulat dans les calendes de janvier qui suivirent.

[47] L’Histoire Auguste, p. 223, leur donne une place très honorable parmi le petit nombre des bons princes qui régnèrent entre Auguste et Dioclétien.

[48] Hœc ubi patres compercre …… decernunt. Victor, in Cœsaribus.

[49] Le riche monarque d’Égypte accepta avec joie et avec reconnaissance une chaise (sella), une robe (toga), et une coupe (patera) d’or du poids de cinq livres (Tite-Live, XXVII, 4). Quina millia œris (qui valaient environ dix huit livres st. en monnaie de cuivre) étaient le présent ordinaire que la république donnait aux ambassadeurs étrangers. Tite-Live, XXXI, 9.

[50] Voyez quelle fut encore la fermeté d’un général romain sous le règne d’Alexandre-Sévère. Excerpta legationum, p. 25, édition du Louvre.

[51] Pour la peste, voyez Jornandés, c. 19, et Victor, in Cœsaribus.

[52] Ces accusations improbables sont rapportées par Zozime, I, p.  23-24.

[53] Jornandés, c. 19. L’écrivain goth a du moins observé la paix, que ses compatriotes victorieux avaient jurée à Gallus.

[54] Eutrope, IX, 6, dit tertio mense, Eusèbe ne parle pas de cet empereur.

[55] Zozime, I, p. 28. Eutrope et Victor placent l’armée de Valérien dans la Rhétie.

[56] Aurelius Victor dit qu’Emilien mourut de maladie ; Eutrope, en parlant de sa mort, ne dit point qu’il fut assassiné (Note de l’Éditeur).

[57] Il avait environ soixante-dix ans lorsqu’il fut pris par les Perses, ou, comme il est plus probable, lorsqu’il mourut. Hist. Auguste, p. 173 ; Tillemont, Hist. des Empereurs, t. III, p. 893, n° 1.

[58] Inimicus tyrannorum, Hist. Auguste, p. 173. Dans la lette glorieuse du sénat contre Maximin, Valérien se montra de la manière la plus courageuse. Hist. Auguste, p. 156.

[59] Selon la distinction de Victor, il paraît que Valérien reçut de l’armée le titre d’Imperator, et du sénat, celui d’Auguste.

[60] D’après Victor et quelques médailles, M. de Tillemont (tome III, p. 710) conclut, avec raison, que Gallien fut associé à l’empire vers le mois d’août de l’année 253.

[61] On a formé différents systèmes pour expliquer un passage difficile de Grégoire de Tours, l. II, c. 9.

[62] Le géographe de Ravenne (I, II), en parlant de Mauringania, sur les confins du Danemark, comme de l’ancienne demeure des Francs, a fourni à Leibnitz la base d’un système ingénieux.

[63] Voyez Cluvier, Germ. ant., III, c. 20 ; M. Freret, Mém. de l’Académie, tome XVIII.

[64] Vraisemblablement sous le règne de Gordien. La circonstance particulière qui y donna lieu a été pleinement examinée par Tillemont, tome III, p. 710, 1181.

[65] Pline, Hist. nat., XVI, 1. Les panégyristes font souvent allusion aux marais des Francs.

[66] La confédération des Francs paraît avoir été formée, 1° des Chauques (Chauci) ; 2° des Sicambres, habitants du duché de Berg ; 3° des Attuariens, au nord des Sicambres, dans la principauté de Waldeck, entre la Dimel et l’Eder ; 4° des Bructères, sur les bords de la Lippe et dans le Hartz ; 5° des Chamaviens (Gambrivii de Tacite), qui s’étaient établis dans le pays des Bructères, lors de la confédération des Francs ; 6° des Canes, dans la Hesse (Note de l’Éditeur).

[67] On voit paraître la plupart de ses anciens noms dans une période moins éloignée. Voyez-en des vestiges dans Cluvier, Germ. ant., III.

[68] Simler, de Repub. helv., cum notis Fuselin.

[69] M. de Bréquigny (Mémoires de l’Académie, t. XXX) nous a donné une vie très curieuse de Posthume. On a formé plusieurs fois le projet d’écrire la Vie des empereurs d’après les médailles et les inscriptions, et jusqu’à présent cet ouvrage manque.

M. Éckhel, conservateur du cabinet des médailles, et professeur d’antiquités à Vienne et mort dernièrement, a rempli cette lacune par son excellent ouvrage : Doctrina numorum veterum conscripta a Jos. Éckhel, 8 vol. in-4°. Vindobonœ, 1797 (Note de l’Éditeur).

[70] Aurelius Victor, c. 33. Au lieu de penè direpto, le sens et l’expression demandent deleto, quoiqu’à la vérité il soit également difficile, par des raisons fort différentes, de corriger le texte des meilleurs écrivains et des plus mauvais.

[71] Du temps d’Ausone (à la fin du quatrième siècle), Herda ou Lerida était dans un état de ruine, suite vraisemblablement de cette invasion. Ausone, épit. XXV, 58.

[72] M. Valois se trompe donc lorsqu’il suppose que les Francs ont envahi l’Espagne par mer.

[73] Sic Suevi à cæteris Germanis, sic Suevorum ingenui à servis separantur. Quelle orgueilleuse distinction !

[74] Victor, in Caracalla ; Dion Cassius, LXVII, p. 1350.

[75] La nation des Allemands n’a point été formée originairement par les Suèves proprement dits ; ceux-ci ont toujours conservé leur nom particulier : ils firent peu après l’an de Jésus-Christ 357, une irruption dans la Rhétie, et ce ne fut que longtemps après qu’ils furent réunis aux Allemands ; encore en ont-ils toujours été distingués dans les archives : aujourd’hui même les peuples qui habitent le nord-ouest de la Forêt-Noire s’appellent Schwaben, Souabiens, Suèves, tandis que ceux qui habitent près du Rhin, dans l’Ortenau, le Brisgaw, le margraviat de Bade, ne se regardent point comme Souabiens, et sont originairement Allemands.

Les Tenctères et les Usipiens, habitants de l’intérieur et du nord de la Westphalie, ont été, selon Gatterer le noyau de la nation allemande : ils occupaient le pays où l’on vit paraître pour la première fois le nom des Allemands, vaincus, en 213, par Caracalla. Ils étaient, selon Tacite (Germ., 32), très exercés à combattre à cheval, et Aurelius Victor donne aux Allemands le même éloge ; enfin ils n’ont jamais fait partie de la ligue des Francs. Les Allemands devinrent dans la suite le centre autour duquel se rassemblèrent une foule de tribus germaniques. Voyez Eumène, Panégyrique, c. 2 ; Ammien Marcellin, XVIII, 2 – XXIX, 4 (Note de l’Éditeur).

[76] Cette étymologie, bien différente de celles qui amusent l’imagination des savants, nous a été conservée, par Asinius Quadratus, historien original cité par Agathias, I, c. 5.

[77] Ce fut ainsi que les Suèves combattirent contre César, et cette manœuvre mérita l’approbation du vainqueur. In Bell. gall., I, 48.

[78] Histoire Auguste, p. 215-216 ; Dexippus, Excerpta legationum, p. 8 ; saint Jérôme, Chron. ; Orose,  VII, 22.

[79] Aurelius Victor, in Gallieno et Probo. Ses plaintes respirent un grand esprit de liberté.

[80] L’un des Victor l’appelle roi des Marcomans ; l’autre, roi des Germains.

[81] Voyez Tillemont, Histoire des Empereurs, tome III, p. 398, etc.

[82] Voyez les Vies de Claude, d’Aurélien et de Probus, dans l’Histoire Auguste.

[83] Sa largeur est environ d’une demi lieue. Hist. générale des Tartares, p. 598.

[84] M. de Peyssonnel, qui avait été consul français à Gaffa, dans ses Observations sur les peuples barbares qui ont habité les bords du Danube.

[85] Euripide, dans sa tragédie d’Iphigénie en Tauride.

[86] Strabon, VII, p. 309. Les premiers rois du Bosphore furent alliés d’Athènes.

[87] Ce royaume fut réduit par les armes d’Agrippa. Orose, VI, 21 ; Eutrope, VII, 9. Les Romains s’avancèrent une fois à trois journées du Tanaïs. Tacite, Ann., XII, 17.

[88] Voyez le Toxaris de Lucien, s’il est possible de croire à la sincérité et aux vertus du Scythe qui raconte une grande guerre de sa nation contre les rois du Bosphore.

[89] Strabon, XI ; Tacite, Hist., III, 47. On les appelait camarœ.

[90] Voyez une peinture très naturelle de la navigation du Pont-Euxin, dans la seizième lettre de Tournefort.

[91] Aujourd’hui Pitchinda. D’Anville, Géogr. anc., t. II, p. 115 (Note de l’Éditeur).

[92] Arrien place la garnison frontière à Dioscurias ou Sebastopolis (*), à quarante-quatre milles à l’est de Pityus. De son temps, la garnison du Phase ne consistait qu’en quatre cents hommes d’infanterie. Voyez le Périple du Pont-Euxin.

(*) Aujourd’hui Iskuriah. D’Anville, Géogr. anc., t. I, p. 115 (Note de l’Éditeur).

[93] Arrien (in Periplo maris Eux., 130) dit que la distance est de deux mille six cent dix stades.

[94] Xénophon, Retraite des dix mille, IV, p. 343, édit. de Hutchinson.

[95] Arrien, p. 129. L’observation générale est de Tournefort.

[96] Voyez une lettre de saint Grégoire Thaumaturge, évêque de Néo-Césarée, citée par Mascou, v. 37.

[97] Elle a conservé son nom joint à la préposition de lieu dans celui d’Is-Nikmid. D’Anville, Géogr. anc., t. II, p. 23 (Note de l’Éditeur).

[98] Itiner. Hierosolym., p. 572 ; Wesseling.

[99] Aujourd’hui Is-nik, Bursa, Mondania, Ghio ou Kemlik. D’Anville, Géogr. anc., t. II, p. 21-22 (Note de l’Éditeur).

[100] Il assiégea la place avec quatre cents galères, cent cinquante mille hommes de pied et une nombreuse cavalerie. Voyez Plutarque, in Lucullus ; Appien, in Mithridate ; Cicéron , pro lege Maniliâ, c. 8.

[101] Pococke, Description de l’Orient, II, 23-24.

[102] George Syncelle rapporte une histoire inintelligible du prince Odenat, qui défit les Goths, et qui fut tué par le prince Odenat.

[103] Voyages de Chardin, I, p. 45. Il navigua avec les Turcs, de Constantinople à Gaffa.

[104] George Syncelle, p. 382, parle de cette expédition comme si elle eût été entreprise par les Hérules.

[105] Histoire Auguste, p. 181 ; Victor, c. 33 ; Orose, VII, 42 ; Zozime, I, p. 35 ; Zonare, XII, p. 635 ; George Syncelle, p. 382. Ce n’est pas sans quelque attention que nous pouvons expliquer et concilier leurs récits imparfaits :  on aperçoit toujours des traces de la partialité de Dexippus dans la relation de ses exploits et de ceux de ses compatriotes.

[106] Georges Syncelle, p. 382. Ce corps d’Hérules fut pendant longtemps fidèle et fameux.

[107] Claude, qui commandait sur le Danube, avait des vues très justes, et se conduisait avec courage. Son collègue fut jaloux de sa réputation. Histoire  Auguste, p. 181.

[108] Zozime et les autres Grecs (tels que l’auteur du Philopatris) donnent le nom de Scythes aux peuples que Jornandès et les auteurs latins appellent constamment du nom de Goths.

[109] Histoire Auguste, p. 178 ; Jornandès, 20.

[110] Strabon, XIV, p. 640 ; Vitruve, I, 1 ; préface, VII ; Tacite, Annal., III, 61 ; Pline, Hist. nat., XXXVI, 14.

[111] La longueur de Saint-Pierre de Rome est de huit cent quarante palmes romaines : chaque palme est de huit pouces, trois lignes. Voyez les Mélanges de Greave, vol. I, p. 233, sur le pied romain.

[112] Au reste, la politique des Romains les avait engagés, à resserrer les limites du sanctuaire, ou asile que différents privilèges avaient successivement étendu jusqu’à deux stades autour du temple. Strabon, XIV, p. 641 ; Tacite, Annal., III, 60, etc.

[113] Ils n’offraient aucun sacrifice aux dieux de la Grèce. Voyez les Lettres de saint Grégoire Thaumaturge.

[114] Zonare, XII, p. 635. Une pareille anecdote convenait parfaitement au goût de Montaigne : il en fait usagé dans son agréable chapitre sur le pédantisme, I, 24.

[115] Moïse de Chorène, II, 71, 73, 74 ; Zonare, XII, p. 628. La relation authentique de l’auteur arménien sert à rectifier le récit confus de l’historien grec. Celui-ci parle des enfants de Tiridate, qui alors était lui-même un enfant.

[116] Hist. Auguste, p. 191. Comme Macrien était ennemi des chrétiens, ils l’accusèrent de magie.

[117] Victor, in Cœsaribus ; Eutrope, IX, 7.

[118] Zozime, I, p. 33 ; Zonard, XII, p. 630 ; Pierre Patrice, Excerpta legationum, p. 29.

[119] Hist. Auguste, p. 185. Le règne de Cyriades est placé dans cette collection avant la mort de Valérien ; mais j’ai préféré une suite probable, d’événements à la chronologie douteuse d’un écrivain très peu exact.

[120] Le témoignage décisif d’Ammien Marcellin (XXIII, 5) fixe sous le règne de Gallien le sac d’Antioche, que plusieurs auteurs placent quelque temps plus haut.

[121] Malala (t. I, p. 391) dénature ce qu’il y a de probable dans cet événement par quelques circonstances fabuleuses.

[122] Zonare, XII, 630. Les corps de ceux qui avaient été massacrés remplissaient de profondes vallées. Des troupes de prisonniers étaient conduites à l’eau comme des bêtes, et un grand nombre de ces infortunés périssaient faute de nourriture.

[123] Zozime (I, p. 25) assure que Sapor aurait pu rester maître de l’Asie s’il n’eût point préféré le butin aux conquêtes.

[124] Pierre Patrice, Excerpta legat., p. 29.

[125] Syrorum agrestium manu. Sextus Rufus, c. 23. Selon Rufus, Victor, l’Hist. Auguste (p. 192), en plusieurs inscriptions, Odenat était un citoyen de Palmyre.

[126] Il jouissait d’une si grande considération parmi les tribus errantes, que Procope (de Bell. pers., II, 5) et Jean Malala (t. I, p. 391) l’appellent prince des Sarrasins.

[127] Les auteurs chrétiens insultent aux malheurs de Valérien ; les païens le plaignent. M. de Tillemont à rassemblé avec soin leurs divers témoignages, tome III, p. 739, etc. L’histoire orientale, avant Mahomet, est si peu connue, que les Perses modernes ignorent entièrement la victoire de Sapor, événement si glorieux pour la nation. Voyez la Bibliothèque orientale.

[128] Une de ces lettres est d’Artavasdes, roi d’Arménie. Comme l’Arménie était alors une province de Perse, le roi, le royaume ni la lettre ne peuvent avoir existé.

[129] Voyez sa Vie dans l’Histoire Auguste.

[130] Il existe encore un très joli épithalame composé par Gallien pour le mariage de ses neveux :

Ite ait, o juvenes, pariter sudate medillis.

Omnibus inter vos ; non murmura vestra columbœ,

Brachia, non hederæ, nota vincant oscula conchœ.

[131] Il était sur le point de donner à Plotin une ville ruinée de la Campanie, pour essayer d’y réaliser la république de Platon. Voyez la vie de Plotin, par Porphyre, dans la Bibliothèque grecque de Fabricius, IV.

[132] Une médaille, qui porte la tête de Gallien, a fort embarrassé les antiquaires, par les mots de la légende, Gallienœ Augustæ, et par ceux qu’on voit sur le revers, Ubique pax. M. Spanheim suppose que cette médaille fut frappée par quelques ennemis de Gallien, et que c’était une satire sévère de la conduite efféminée de ce prince. Mais comme l’ironie paraît indigne de la gravité de la monnaie romaine, M. de Vallemont a tiré d’un passage de Trebellius Pollion (Hist. Auguste, p. 198) une explication ingénieuse et naturelle. Galliena était la cousine germaine de l’empereur ; en délivrant l’Afrique de l’usurpateur Celsus, elle mérita le titre d’Augusta. On voit sur une médaille de la collection du cabinet du roi, une pareille inscription de Faustina Augusta autour de la tète de Marc-Aurèle. Pour les mots ubique pax, il est facile de les expliquer par la vanité de Gallien, qui aura peut-être saisi quelque calme momentané. Voyez Nouvelles de la république des lettres, janvier 1700, p. 21-34.

[133] Je crois que ce caractère singulier nous a été fidèlement transmis. Le règne de son successeur immédiat fut court et agité ; et les historiens, qui écrivirent avant l’élévation de la famille de Constantin, ne pouvaient avoir aucune espèce d’intérêt à représenter sous de fausses couleurs le caractère de Gallien.

[134] Pollion paraît singulièrement embarrassé pour compléter le nombre.

[135] L’histoire n’a pas désigné d’une manière précise le pays où Saturnin prit la pourpre ; mais il y avait un tyran dans le Pont, et l’on connaît les provinces qui furent le théâtre de la rébellion de tous les autres.

[136] Tillemont (tome III, p. 1163) les compte d’une manière un peu différente.

[137] Voyez le discours de Marius, dans l’Histoire Auguste, p. 197. La conformité des noms a pu seule engagé Pollion à imiter Salluste.

[138] Marius fut tué par un soldat qui lui avait jadis servi d’ouvrier dans sa boutique, et qui lui dit en le frappant : Voilà le glaive que tu as forgé toi-même. Treb. in ejus vitâ (Note de l’Éditeur).

[139] Vos ô Pompilius sanguis ! C’est ainsi que s’exprime Horace en s’adressant aux Pisons. Voyez l’Art poétique, v. 292, avec les notes de Dacier et de Sanadon.

[140] Tacite, Ann., XV, 48, Hist., I, 15. Dans le premier de ces passages, on peut hasarder de changer paterna en materna. Depuis Auguste jusqu’au règne d’Alexandre-Sévère, chaque génération a vu un ou plusieurs Pisons revêtus du consulat. Un Pison fut jugé digne du trône par  Auguste (Tacite, Annal., I, 13). Un autre fut le chef d’une conspiration formidable contre Néron. Un troisième fut adopté et déclaré César par Galba.

[141] Hist. Auguste, p. 195. Le sénat, dans un moment d’enthousiasme, semble avoir compté sur l’approbation de Gallien.

[142] L’association du brave Palmyrénien fut l’acte. le plus populaire de tout le règne de Gallien. Hist. Auguste, p. 180.

[143] Gallien avait donné le titre de César et d’Auguste à son fils Salonin ; tué dans la ville de Cologne par l’usurpateur Posthume. Un second fils de Gallien prit le nom et le rang de son frère aîné. Valérien, frère de Gallien, fut aussi associé à l’empire. D’autres frères, des sœurs, des neveux et des nièces de l’empereur formaient une famille royale très nombreuse. Voyez Tillemont, tome III et M. de Brequigny, dans les Mém. de l’Académie, tome XXXII, p. 262.

[144] Régilien avait quelques bandes de Roxolans a son service ; Posthume, un corps de Francs. Ce fut peut-être en qualité d’auxiliaires que ces derniers pénétrèrent en Espagne.

[145] L’Hist. Auguste, p. 177, l’appelle servile bellum. Voyez Diodore de Sicile, XXXIV.

[146] Voyez une lettre très curieuse d’Adrien dans l’Histoire Auguste, p. 245.

[147] Tel que le meurtre d’un chat sacré. Voyez Diodore de Sicile, I.

[148] Histoire Auguste, p. 195. Cette longue et terrible sédition fut occasionnée par une dispute qui s’éleva entre un soldat et un bourgeois, au sujet de souliers.

[149] Denis, apud Eusèbe, Hist. Ecclés., vol. VII, p. 21 ; Ammien, XXII, 16.

[150] Le Bruchion était un quartier d’Alexandrie qui s’étendait sur le plus grand des deux ports, et qui renfermait plusieurs palais qu’habitèrent les Ptolémées. D’Anville, Géogr. anc., tome III, p. 10 (Note de l’Éditeur).

[151] Scaliger, Animadvers. ad Euseb. chron., p. 258. Trois dissertations de M. Bonamy, dans les Mém. de l’Acad., tome IX.

[152] Voyez Cellarius, Géogr. anc., tome II, p. 137, sur les limites de l’Isaurie.

[153] Hist. Auguste, p. 177 ; Zozime, I, p. 24, Zonare, XII, p. 623 ; Eusèbe, Chronicon ; Victor, in Epitom. ; Victor, in Cœsar.; Eutrope, IX, 5 ; Orose, VII, 21.

[154] Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 21. Le fait est tiré des lettres de Denis, qui, dans le temps de ces troubles, était évêque d’Alexandrie.

[155] Dans un grand nombre de paroisses, onze mille personnes ont été trouvées entre les âges de quatorze et de quatre-vingts ; cinq mille trois cent soixante-cinq entre ceux de quarante et de soixante-dix. Voyez M de Buffon, Hist. nat., tome II, p. 590.