État de
LES SANGLANTS démêlés des Perses avec Rome, et leur
influence marquée sur la décadence et sur la chute de l’empire, nous ont
engagé à faire connaître la religion et le gouvernement de ce peuple.
Maintenant si nous portons nos regards vers le nord du globe, nous voyons
d’abord les Scythes ou Sarmates errer avec leurs chevaux, leurs troupeaux,
leurs femmes et leurs enfants, dans ces plaines immenses qui s’étendent
depuis la mer Caspienne jusqu’à Quelques écrivains ingénieux[4] ont soupçonné que
l’Europe était autrefois bien, plus froide qu’elle ne l’est à présent. Les
plus anciennes descriptions de On a souvent examine, l’influence du climat sur les corps
et sur les esprits des Germains. Il est plus facile d’en exagérer les effets
que de les déterminer avec précision. Quelques écrivains ont supposé, et ils
croyaient tous pour la plupart, quoique peut-être sans aucune preuve
suffisante, que le froid rigoureux du nord contribuait à la longue vie des habitants,
et favorisait la propagation de l’espèce ; que les hommes de ces contrées étaient
plus propres à la génération, et les femmes plus fécondes que dans les
climats chauds et tempérés[10]. Nous pouvons
avancer avec plus d’assurance que les peuples du Septentrion avaient reçu de
la nature de grands corps et une vigueur inépuisable, et qu’ils avaient en général
sur ceux du En parcourant la surface du globe, il n’est point de partie considérable où l’on ne découvre des habitants ; et partout l’histoire se tait sur la manière dont ces pays ont d’abord été peuplés. En vain l’esprit philosophique examine soigneusement l’enfance des grandes sociétés ; il n’aperçoit que des ténèbres, et notre curiosité se consume en efforts inutiles. Lorsque Tacite considère la pureté du sang des Germains et l’aspect affreux de leur patrie, il est disposé à déclarer ces Barbares indigènes. Il est probable, et peut même paraître certain, que l’ancienne Germanie n’avait pas été originairement peuplée par des colonies étrangères déjà formées en corps politique[14]. Ce qui paraît le plus vraisemblable, c’est que les sauvages errants de la forêt Hercynienne, rassemblés d’abord en petit nombre, aurait insensiblement formé un grand peuple connu sous le nom de nation germanique. Si l’on osait prétendre ensuite que ces sauvages fussent enfants de la terre qu’ils foulaient aux pieds, un pareil système serait condamné par la religion, et la raison ne fournirait aucune arme pour le défendre. Ces doutes sensés sont bien opposés aux notions de la vanité
nationale. Parmi les peuples qui ont adopté l’Histoire de Moïse, l’arche de
Noé est devenue ce que le siège de Troie avait été pour les Grecs et pour les
Romains. Sur la base étroite de la vérité, l’imagination a placé l’immense et
grossier colosse de la fable. Écoutez l’orgueilleux Irlandais[15] ; il peut, aussi
bien que le sauvage des déserts de la Tartarie[16], vous montrer,
dans un fils de Japhet, la tige d’où sont sortis ses ancêtres. Le dernier
siècle a produit une foule de savants d’un érudition profonde et d’un esprit
crédule ; qui, guidés par la lueur incertaine des légendes, des traditions,
des conjectures et des étymologies, ont conduit les enfants et les petits-fils
de Noé depuis la tour de Babel jusqu’aux extrémités de la terre. De tous ces
critiques si judicieux, celui qui mérite le plus d’être remarqué, est
Olaus-Rudbek, professeur de l’université d’Upsal[17]. Ce zélé citoyen
fait de son pays natal le théâtre de toutes les merveilles que la fable et
l’histoire ont célébrées. C’est de Mais tous ces systèmes savants d’antiquités germaniques viennent se briser contre un seul fait trop bien attesté pour donner lieu au moindre doute, et d’une espèce trop décisive pour qu’il soit possible d’y répondre. Les Germains, du temps de Tacite, n’avaient point l’usage des lettres[18], connaissance précieuse qui distingue principalement un peuple civilisé d’une horde de sauvages plongés dans les ténèbres de l’ignorance, ou incapables de réflexion. Privé de ce secours artificiel, l’homme perd le souvenir ou altère la nature des idées qu’il a reçues. Bientôt les modèles s’effacent, les matériaux disparaissent, le jugement devient faible et inactif, l’imagination reste languissante, ou, si elle veut prendre l’essor, elle n’enfante que des chimères. Enfin, l’âme abandonnée à elle-même, méconnaît insensiblement l’exercice de ses plus nobles facultés. Pour nous convaincre de cette vérité importante, considérons l’état actuel de la société. Quelle distance immense entre l’homme, instruit et le paysan entièrement privé de la connaissance des lettres ! Le premier, par le secours de la lecture ou la réflexion, multiplié sa propre expérience ; il parcourt tout l’univers ; il se transporte dans les siècles les plus éloignés. L’autre, attaché à la glèbe qui l’a vu naître, borné à quelques années d’existence, l’emporte à peine en intelligence sur ce boeuf, tranquille compagnon de ses travaux. On trouvera une différence encore plus grande parmi les nations que parmi les individus. N’en doutons point, sans une méthode propre à exprimer les pensées par des figures, un peuple ne conservera jamais de monuments historiques. Incapable de percer dans les sciences abstraites, jamais il ne pourra cultiver avec succès les arts utiles et agréables de la vie. Ces arts furent entièrement inconnus aux habitants du Nord.
Les Germains passaient leurs jours dans un étau de pauvreté et d’ignorance
que de vains déclamateurs se sont plu à décorer du nom de vertueuse
simplicité. On compte maintenant en Allemagne environ deux mille trois cents
villes[19] entourées de
murs. Dans une étendue de pays beaucoup plus considérable, Ptolémée n’a pu
découvrir que quatre-vingt-dix bourgs ou villages, qu’il décore du nom
pompeux de villes[20]. Selon toutes
les apparences, les forêts de L’argent, l’or et le fer, étaient extrêmement rares en Germanie.
Les naturels n’avaient ni la patience ni le talent nécessaires pour tirer du
sein de la terre ces riches veines d’argent qui depuis ont récompensé si
libéralement les soins des souverains de Saxe et de Brunswick. Si nous contemplons un peuple sauvage, dans quelque partie du globe que puisse être, nous verrons une quiétude indolente et l’indifférence sûr l’avenir former la partie dominante de son caractère. Dans un État civilisé, l’âme tend à se développer ; toutes ses facultés sont perpétuellement exercées, et la grande chaîne d’une dépendance mutuelle embrasse et resserre les individus. La portion la plus considérable de la société est constamment employée à des travaux utiles. Quelques-uns, placés par la fortune au-dessus de cette nécessité, peuvent cependant occuper leur loisir en suivant l’intérêt ou la gloire, en augmentant leurs biens, en perfectionnant leur intelligence, ou en se livrant aux devoirs, aux plaisirs, aux folies même de la vie sociale. Les Germains n’avaient aucune de ces ressources. Ils abandonnaient aux vieillards, aux gens infirmes, aux femmes et aux esclaves, les détails domestiques, la culture des terres et le soin des troupeaux. Privé de tous les arts qui pouvaient remplir son loisir, le guerrier fainéant, semblable aux animaux, passait ses jours et ses nuits à manger, et à dormir. Et cependant, combien la nature ne diffère-t-elle pas d’elle-même ! selon la remarque d’un écrivain qui en avait sondé toute la profondeur, ces mêmes sauvages étaient tour à tour les plus indolents et les plus impétueux des hommes. Ils aimaient l’oisiveté, ils détestaient le repos [Tacite, Germ., 15]. Leur âme languissante, accablée de son propre poids, cherchait avidement quelque sensation nouvelle, quelque objet capable de lui donner des secousses. La guerre et ses horreurs avaient seules des charmes pour ces caractères indomptés. Dès que le bruit des armes se faisait entendre, le Germain, transporté, sortait tout à coup de son engourdissement : il volait aux combats ; il se précipitait au milieu des dangers. Les violents exercices du corps et les mouvements rapides de l’âme lui donnaient un sentiment plus vif de son existence. Dans quelques tristes intervalles de paix, ces Barbares se livraient sans aucune modération aux excès de la boisson et du jeu. Ces deux plaisirs, dont l’un enflammait leurs passions et l’autre éteignait leur raison, contribuaient ainsi, par des moyens différents, à les délivrer de la peine de penser. Ils mettaient leur gloire à rester à table des journées entières. Souvent ces assemblées de débauche étaient souillées du sang de leurs parents et de leurs amis [Ibid., 22-23]. Ils payaient avec la plus scrupuleuse exactitude les dettes d’honneur ; car ce sont eux qui nous ont appris à désigner ainsi les dettes du jeu. L’infortuné qui, dans son désespoir, avait risque sa personne et sa liberté au hasard d’un coup de dé, se soumettait patiemment à la décision du sort. Garrotté, exposé aux traitements les plus durs, quelquefois même vendu comme esclave dans les pays étrangers, il obéissait sans murmure à un maître plus faible, mais plus heureux[28]. Une bière, faite sans, art avec du froment,ou de l’orge,
et acquérant par la corruption,
selon l’énergique expression de Tacite, une sorte de ressemblance avec le vin,
suffisait aux habitants de Depuis Charlemagne, dix siècles de travaux ont adouci le
climat et fertilisé le sol de Un peuple guerrier qui n’a point de villes, qui néglige
tous les arts, et qui ne connaît l’usage ni des lettres ni de la monnaie
trouve cependant dans la jouissance de la liberté quelque compensation à cet
état de barbarie : tels étaient les Germains ; leur pauvreté assurait leur
indépendance. En effet, nos possessions et nos désirs sont les chaînes les
plus fortes du despotisme. Les Suéones, dit
Tacite[36], honorent les richesses : aussi sont-ils soumis à un monarque absolu. Les armes ne sont pas
parmi eux, comme chez les autres peuples germaniques, entre les mains de tout
le monde ; le roi les tient en dépôt sous la garde d’un homme de
confiance, et cet homme n’est pas citoyen ; ce n’est pas même un affranchi,
c’est un esclave. Les voisins des Suéones, les Sitones[37], sont tombés au-dessous de la servitude ; ils
obéissent à une femme[38]. En faisant
cette exception, Tacite reconnaît la vérité du principe général que nous
avons exposé sur la théorie du gouvernement ; nous sommes seulement en
peine de concevoir par quels moyens les richesses et le despotisme ont pénétré
dans une partie du Nord si éloignée, et ont pu éteindre la flamme généreuse
qui brillait dans les contrées voisines des provinces romaines. Comment les
ancêtres de ces Norvégiens et de ces Danois, si connus depuis par leur
caractère indomptable, se sont-ils
laissé enlever le sceau de la liberté germanique[39] ? Quelques
tribus des bords de Les gouvernements civils ne sont, dans leur première origine, que des associations volontaires formées pour la sûreté commune : pour parvenir à ce but, désiré, il est absolument nécessaire que chaque individu se croie essentiellement obligé de soumettre ses opinions et ses actions particulières au jugement du plus grand nombre de ses associés. Les Germains se contentèrent de cette branche informe, mais hardie, de la société politique. Dés qu’un jeune homme, né de parents libres, avait atteint l’âge viril, on l’introduisait dans le conseil général de la nation ; on lui donnait solennellement la lance et le bouclier. Il prenait aussitôt place parmi ses compatriotes, et devenait un membre de la république militaire, égal en droit à tous les autres. Les guerriers de la tribu s’assemblaient en de certains temps fixes, ou dans des occasions extraordinaires. L’administration de la justice, l’élection des magistrats et les grands intérêts de la guerre et de la paix, se décidaient par le suffrage libre de tous les citoyens. A la vérité un corps choisi des grands ou des chefs de la nation préparait quelquefois et proposait les affaires les plus importantes[40]. Les magistrats pouvaient délibérer et persuader ; le peuple seul avait le droit de prononcer et d’exécuter. La promptitude et la violence caractérisaient presque toujours les résolutions des Germains. Ces Barbares, qui faisaient consister la liberté à satisfaire la passion du moment, et le courage à braver les dangers, rejetaient en frémissant les conseils timides de la justice ou de la politique. Leur indignation éclatait alors par un sombre murmure. Mais lorsqu’un orateur plus populaire leur proposait de venger quelque injure, de briser même les fers du dernier des citoyens ; lorsqu’il appelait ses compatriotes à la défense de l’honneur national ou à l’exécution de quelque entreprise pénible et glorieuse, un choc terrible d’épées et de boucliers exprimait les transports et les applaudissements de toute l’assemblée. Les Germains ne se rassemblaient jamais que couverts de leurs armes ; et, au milieu des délibérations les plus sérieuses, on avait tout à craindre d’un caprice aveugle d’une multitude féroce qu’enflammaient l’esprit de discorde et l’usage des liqueurs fortes, et toujours prête à soutenir par la violence des résolutions prises au sein du tumulte. Combien de fois avons-nous vu les diètes de Pologne teintes de sang, et le parti le plus nombreux forcé de céder à la faction la plus séditieuse[41]. Lorsqu’une tribu avait à redouter quelque invasion, elle se choisissait un général. Si le danger devenait plus pressant, et qu’il menaçât l’État entier, plusieurs tribus concouraient à l’élection du même général. C’était au guerrier le plus brave que l’on confiait le soin important de mener ses compatriotes sur le champ de bataille. Il devait leur donner l’exemple plutôt que des ordres ; mais cette autorité, quoique bornée, était toujours suspecte; elle expirait avec la guerre, et en temps de paix les Germains ne reconnaissaient aucun chef suprême [César, de Bell. gall., VI, 23.]. L’assemblée générale nommait cependant des princes pour administrer la justice, ou plutôt pour accommoder les différends[42] dans leurs districts respectifs. En choisissant ces magistrats on avait autant égard à la naissance qu’au mérite[43]. La nation leur accordait à chacun une garde et un conseil de cent personnes. Il parait que le premier d’entre eux jouissait, pour le rang et pour les honneurs, d’une prééminence qui engagea quelquefois les Romains à le décorer du titre de roi [Cluvier, Germ. ant., I, 38]. Pour se représenter tout le système des mœurs des Germains, il suffit de comparer deux branches remarquables de l’autorité de leurs princes. Ces magistrats disposaient entièrement de toutes les terres de leur district, et ils en faisaient chaque année un nouveau partage [César, VI, 22 - Tacite, Germ., 26]. D’un autre côté, la loi leur défendait de punir de mort, d’emprisonner, de frapper même un simple citoyen [Tacite, Germ., 7]. Des hommes si jaloux de leurs personnes, si peu occupés de leurs propriétés, n’avaient certainement aucune idée des arts ni de l’industrie ; mais ils devaient être animés par un sentiment élevé de l’honneur et de l’indépendance. Les Germains ne connaissaient d’autres devoirs que ceux qu’ils s’étaient eux-mêmes imposés. Le soldat le plus obscur dédaignait de se soumettre à l’autorité du magistrat. Le jeune guerrier de la naissance la plus illustre ne rougissait pas du titre de compagnon. Chaque prince avait une troupe de gens qui s’attachaient à lui et qui le servaient. Il y avait entre eux une émulation singulière pour obtenir quelque distinction auprès du prince, et une même émulation entre les princes sur le nombre et la bravoure de leurs compagnons. C’est la dignité, c’est la puissance d’être toujours entouré d’un essaim de jeunes gens que l’on a choisis ; c’est un ornement dans la paix, c’est un rempart dans la guerre. On se rend célèbre dans sa nation et chez les peuples voisins, si l’on surpasse les autres par le nombre et par le courage de ses compagnons ; on reçoit des présents ; les ambassades viennent de toutes parts. Souvent la réputation décide de la guerre. Dans le combat, il est honteux au prince d’être inférieur en courage ; il est honteux à la troupe de ne point égaler la valeur du prince. C’est une infamie éternelle de lui avoir survécu. L’engagement le plus sacré, c’est de le défendre. Si une cité est en paix, les princes vont chez celles qui font la guerre ; c’est par là qu’ils conservent un grand nombre d’amis. Ceux-ci reçoivent d’eux le cheval du combat, et le javelot terrible. Les repas, peu délicats, mais grands, sont une espèce de solde pour eux ; le prince ne soutient ses libéralités que par les guerres et les rapines[44]. Cette institution, qui affaiblissait le gouvernement des différents
États de Dans les siècles de chevalerie, au moins si l’on en croit les vieux romanciers, tous les hommes étaient braves, toutes les femmes étaient chastes. La dernière de ces vertus, quoique bien plus difficile à acquérir et à conserver que la première, est attribuée presque sans exception aux femmes des Germains. La polygamie avait lieu seulement parmi les princes ; encore ne se la permettaient-ils que pour multiplier leurs alliances. Les divorces étaient défendus par les mœurs, plutôt que par les lois. On punissait l’adultère comme un crime rare et impardonnable. Ni l’exemple ni la coutume ne pouvaient justifier la séduction[47]. Il nous est permis de croire que Tacite s’est un peu laissé entraîner au noble plaisir d’opposer la vertu des Barbares à la conduite dissolue des femmes romaines: cependant son récit renferme plusieurs circonstances frappantes, qui donnent un air de vérité ou du moins de probabilité à ce qu’il nous rapporte de la chasteté et de la foi conjugale des Germains. Les progrès de la civilisation ont certainement mis un
frein aux passions les plus violentes de la nature humaine ; mais ils
semblent avoir été moins favorables à la chasteté, dont le principal ennemi
est la mollesse de l’âme. Les raffinements de la société, en répandant du
charme sur le commerce des deux sexes, en altèrent la pureté. La grossière
impulsion de l’amour devient plus dangereuse lorsqu’elle s’ennoblit, ou
plutôt se déguise, en s’alliant à un sentiment passionné. Les grâces, la politesse,
l’élégance des vêtements, augmentent l’éclat de la beauté, et enflamment les
sens par la voie de l’imagination. Ces divertissements, ces danses, ces
spectacles, où les moeurs sont si peu respectées, sont autant de piéges
tendus à la fragilité des femmes, et leur présentent une foule d’occasions
dangereuses[48].
Parmi les sauvages grossiers qui habitaient le Septentrion, la pauvreté, la
solitude et les soins pénibles de la vie domestique garantissaient les femmes
de ces dangers. Le chaume, qui laissait leurs cabanes ouvertes de tous côtés
à l’œil de l’indiscrétion ou de la jalousie était pour la fidélité conjugale
un rempart plus sûr que les murs, les verrous et les eunuques d’un harem. A
cette cause on en peut ajouter une plus honorable. Les Germains traitaient
leurs femmes avec estime et confiance ; ils les consultaient dans les
occasions les plus importantes, et ils se plaisaient à croire que leur âme
renfermait une sainteté et une sagesse surnaturelles. Quelques-unes de ces
interprètes du destin, telles que Velléda dans la guerre des Bataves,
gouvernèrent, au nom de Le système religieux des Germains, si l’on peut donner ce
nom aux opinions grossières d’une nation sauvage, avait pour principe leurs
besoins, leurs craintes et leur ignorance[52]. Ils adoraient des
objets visibles et les grands agents de la nature le soleil et la lune, la
terre et le feu. Ils avaient en même temps imaginé des divinités qui présidaient,
selon eux, aux occupations les plus importantes de la vie humaine. Ces
Barbares croyaient pouvoir découvrir la volonté des êtres supérieurs par
quelques pratiques ridicules de divination ; et le sang des hommes qu’ils
immolaient au pied des autels de leurs dieux, leur paraissait l’offrande la
plus précieuse et la plus agréable. On s’est trop empressé d’applaudir à
leurs notions sur La même ignorance qui rend les Barbares incapables de concevoir ou d’adopter l’empire utile des lois, les livre sans défense aux terreurs aveugles de la superstition. Les prêtres germains, profitèrent de cette disposition de leurs compatriotes, et ils exercèrent même dans les affaires temporelles une autorité, que le magistrat n’aurait osé prendre. Le fier guerrier se soumettait patiemment à la verge de la correction, lorsque la main vengeresse tombait sur lui pour exécuter, non la justice des hommes, mais l’arrêt immédiat du dieu de la guerre [Tacite, Germ., 7]. Souvent la puissance ecclésiastique suppléait les défaits de l’administration civile. L’autorité divine intervenait constamment dans les assemblées populaires pour y maintenir l’ordre et le silence ; et quelquefois elle s’occupait d’objets plus importants au bien de l’État. On faisait, en certains temps, une procession solennelle dans les pays actuellement connus sous le nom de Mecklenbourg et de Poméranie. Le symbole inconnu de la déesse Herthe (la terre), couvert d’un voile épais, sortait avec pompe de l’île de Rugen, sa résidence ordinaire : placée sur un char tiré par des génisses, elle visitait de cette manière plusieurs tribus de ses adorateurs. Pendant sa marche, les querelles étaient suspendues, les cris de guerre étouffés ; le Germain belliqueux déposait ses armes : il pouvait goûter alors les douceurs de la paix et de la tranquillité [Ibid., 40]. La trêve de Dieu, si souvent et si inutilement proclamée par le clergé du onzième siècle, ne fut qu’une imitation de cette ancienne coutume[55]. Mais la religion avait bien plus de force pour enflammer que pour modérer les passions violentes des Germains. L’intérêt et le fanatisme portaient souvent, les prêtres à sanctifier les entreprises les plus audacieuses et les plus injustes, par l’approbation du ciel et par l’assurance du succès. Les étendards, tenus longtemps en dépôt dans lies bois sacrés, brillaient tout à coup sur le champ de bataille[56] ; on dévouait l’armée ennemie, avec de terribles imprécations, aux dieux de la guerre et du tonnerre[57]. Dans la religion du soldat, la lâcheté est le plus grand des crimes : elle paraissait telle aux yeux des Germains. L’homme courageux se rendait digne des faveurs et de la protection de leurs belliqueuses divinités. Le malheureux qui avait perdu son bouclier était banni à jamais de toutes les assemblées civiles et religieuses. Quelques tribus du Nord semblent avoir embrassé la doctrine de la transmigration[58] ; d’autres avaient imaginé un paradis grossier, où les héros s’enivrent pendant toute l’éternité[59]. Elles convenaient toutes qu’une vie passée dans les combats et une mort glorieuse pouvaient seules assurer un avenir heureux, soit dans ce monde-ci, soit dans l’autre. L’immortalité, si vainement promise au héros germain par ses prêtres, lui était, jusqu’à un certain point, assurée par les bardes. Cette classe d’hommes singuliers a mérité l’attention de tous ceux qui ont étudié les antiquités des Celtes, des Scandinaves et des Germains. Des recherches exactes ont fait connaître le génie, le caractère des bardes : on sait combien leurs emplois importants inspiraient de vénération pour leur personne. Il est plus difficile d’exprimer, de concevoir même cette fureur pour les armes, cet enthousiasme militaire qu’ils allumaient par leurs chants dans le cœur de leurs compatriotes. Chez un peuple civilisé, le goût de la poésie est plutôt un amusement de l’imagination qu’une passion de l’âme ; et cependant lorsque, dans le calme de la retraite, nous lisons les combats décrits par Homère ou par le Tasse, insensiblement la fiction nous séduit ; nous ressentons quelques feux d’une ardeur martiale. Mais combien sont faibles et froides les sensations que reçoit un esprit tranquille dans le silence de l’étude ! C’était au moment de la bataille, c’était au milieu des fêtés de la victoire, que les bardes célébraient les exploits des anciens héros, et qu’ils faisaient revivre les ancêtres de ces guerriers belliqueux qui écoutaient avec transport des chants barbares, mais animés[60]. La poésie tendait à inspirer la soif de la gloire et le mépris de la mort ; et ces passions, enflammées par le bruit des armes et par la vue des dangers, devenaient le sentiment habituel de l’âme des Germains[61]. Telles étaient la situation et les mœurs des Germains. Le climat, l’ignorance de ces Barbares, qui ne connaissaient ni les lettres, ni les arts, ni les lois, leurs notions sur l’honneur, sur la bravoure et sur la religion, le sentiment qu’ils avaient de la liberté, leur inquiétude dans la paix, leur ardeur pour la guerre, tout contribuait à former un peuple de héros. Pourquoi, pendant les deux siècles et demi qui s’écoulèrent depuis la défaite de Varus jusqu’au règne de l’empereur Dèce, ces guerriers formidables ne se distinguèrent-ils par aucune entreprise importante ? pourquoi firent-ils à peine impression sur les faibles habitants des provinces de l’empire, asservis par le luxe et par le despotisme ? Si leurs progrès furent alors arrêtés, c’est qu’ils manquaient à la fois d’armes et de discipline, et que leur fureur fut détournée par les discordes intestines qui, durant cette période, déchirèrent le sein de leur patrie. I. On a raison de dire que la possession du fer
assure bientôt à une nation celle de l’or. Mais les Germains, également
privés de ces métaux précieux, furent réduits à les acquérir lentement et par
les seuls efforts d’un courage destitué de moyens étrangers : Le fer n’est pas en abondance chez ces peuples, autant qu’on
en juge par leurs armes. Peu font usage de l’épée ou de la pertuisane : ils
ont des lances, ou framées, comme
ils les appellent, dont le fer est étroit et court, mais si bien acérées et
si maniables, qu’elles sont également propres à combattre de près ou de loin.
Leur cavalerie n’a que la lance et le bouclier. Chaque fantassin a de plus un
certain nombre de javelots. Alerte, parce qu’il est sans habits, ou couvert
d’une simple saye, il les lance à une distance incroyable[62]. Ces guerriers ne se piquent d’aucune magnificence, ou
plutôt ils n’en connaissent d’autre que d’embellir leurs boucliers des plus
brillantes couleurs. Il est rare qu’ils aient des cuirasses. On voit à peine un
ou deux casques dans toute une armée. Leurs chevaux ne sont remarquables ni par
la vitesse, ni par la beauté, ni dressés à tourner en tous sens comme les
nôtres[63].
Plusieurs de leurs nations se rendirent cependant célèbres par leur
cavalerie ; mais, en général, la principale force des Germains
consistait dans une infanterie[64] redoutable,
rangée en différentes colonnes, selon la distinction des tribus et des
familles. Trop impétueux pour s’accommoder des délais et pour supporter les
fatigues, ces soldats, à peine armés, s’élançaient sur le champ de bataille
sans aucun ordre et en poussant des cris terribles. Quelquefois la fougue
d’un courage inné renversait la valeur moins libre et moins naturelle des
mercenaires romains. Mais comme les Barbares jetaient tout leur feu dès le
premier choc, ils ne savaient ni se rallier ni faire retraite. Un premier
échec assurait leur défaite ; une défaite entraînait presque toujours une
destruction totale. Lorsque nous nous rappelons l’armure complète des
Romains, les exercices, la discipline et les évolutions de leurs troupes,
leurs camps fortifiés et leurs machines de guerre nous ne pouvons assez nous
étonner que des sauvages nus, et sans autre secours que leur valeur, aient osé
se mesurer contre des légions formidables et les différents corps
d’auxiliaires qui secondaient leurs opérations. Il fallut, pour balancer les
forces, que le luxe eût énervé la vigueur des Romains, et qu’un esprit de
désobéissance et de sédition eût relâché la discipline de leurs armées. Rome
perdit elle-même de sa supériorité en recevant dans ses armées des Barbares
auxiliaires, démarche fatale qui leur apprit insensiblement l’art de la
guerre et de la politique. Quoiqu’elle les admit en petit nombre et avec la plus
grande circonspection, l’exemple de Civilis aurait dû lui apprendre qu’elle s’exposait
à un danger évident, et que ses précautions n’étaient pas toujours
suffisantes[65].
Durant les discordes intestines qui suivirent la mort de Néron, cet adroit et
intrépide Batave, que ses ennemis ont daigné comparer avec Annibal et avec
Sertorius[66],
forma le noble projet de briser les fers de ses compatriotes, et de rendre
leur nom célèbre. Huit cohortes bataves, dont le courage avait été éprouvé
dans les guerres de Bretagne et d’Italie, se rangèrent sous son étendard. Il
introduisit au sein de II. Les Germains
auraient paru bien redoutables, si toutes leurs forces réunies eussent agi
dans la même direction. La vitalité du pays qu’ils occupaient pouvait
contenir un million, de guerriers, puisque tous ceux qui étaient en âge de
porter les armes désiraient de s’en servir. Mais cette indocile multitude,
incapable de concevoir ou d’exécuter aucun projet tendant à la gloire
nationale, se laissait entraîner par une foule d’intérêts divers et souvent
contraires les uns aux autres. Les Bructères[68] ne sont plus (c’est maintenant Tacite[69] qui parle) : leur hauteur insupportable, le désir de profiter
de leurs dépouilles, ou peut-être le ciel, protecteur de notre empire, ont
réuni contre les peuples voisins[70], qui les ont chassés et détruits. Les dieux nous ont
ménagé jusqu’au plaisir d’être spectateurs du combat. Plus de soixante mille
hommes ont péri, non sous l’effort des armes romaines, mais, ce qui est plus
magnifique, pour nous servir de spectacle et d’amusement. Si les peuples
étrangers ne peuvent se résoudre à nous aimer, puissent-ils du moins se haïr
toujours ! Dans cet état de grandeur[71] où les destins de Rome nous ont élevés, la fortune n’a
plus rien à faire que de livrer nos ennemis à leurs propres dissensions[72]. Ces sentiments,
moins dignes de l’humanité que du patriotisme de Tacite, expriment les
maximes invariables de la politique de ses concitoyens. En combattant les
Barbares, une victoire n’aurait été ni utile ni glorieuse ; il
paraissait bien plus sûr de les diviser. Les trésors et les négociations de Rome
pénétrèrent dans le cœur de Sous le règne de Marc-Aurèle, presque tous les Germains, des Sarmates même, entrèrent dans une conspiration générale qui glaça l’empire d’effroi. Quel motif pouvait rassembler tout à coup tant de nations différentes, depuis l’embouchure du Rhin jusqu’à celle du Danube[74] ? Il nous est impossible de déterminer si ce fut la raison, la nécessité ou la passion qui les réunit. Nous devons seulement être assurés que les Barbares ne furent ni attirés par l’indolence, ni provoqués par l’ambition de l’empereur romain. Une invasion si dangereuse exigeait toute la fermeté et toute la vigilance de Marc-Aurèle. Il confia plusieurs postes importants à d’habiles généraux, et il prit en personne le commandement de ses armées dans la province du Haut Danube, où sa présence paraissait plus nécessaire. Après plusieurs campagnes sanglantes, où la victoire fut souvent disputée, il vint à bout de dompter la résistance de ces Barbares. Les Quades et les Marcomans[75], qui avaient donné le signal de la guerre, en furent les principales victimes. Ces peuples habitaient les rives du Danube. L’empereur les força de se retirer à cinq milles au-delà de ce fleuve[76], et de lui livrer la fleur de leur jeunesse, qui fut aussitôt envoyée en Bretagne, où elle pouvait servir d’otage, et devenir utile dans l’armée [Dion, LXXI et LXXII]. Les fréquentes rebellions des Quades et des Marcomans avaient tellement irrité Marc-Aurèle, qu’il se proposait de réduire leur pays en province. La mort l’en empêcha ; mais cette ligue redoutable, la seule dont l’histoire fasse mention dans les deux premiers siècles de l’empire, fut entièrement dissipée, et il n’en subsista aucune trace parmi les peuples du Nord. Jusqu’à présent nous nous sommes borné aux principaux
traits des mœurs de Les guerres et l’administration des affaires publiques sont les principaux sujets de l’histoire ; mais le nombre des personnages qui remplissent la scène varie selon les différentes conditions du genre humain. Dans les grandes monarchies, des millions d’hommes, condamnés à l’obscurité, se livrent en paix à des occupations utiles. L’écrivain et le lecteur n’ont alors devant les yeux qu’une cour, une capitale, une armée régulière, et les pays qui peuvent être le théâtre de la guerre ; mais, au sein des discordes civiles, chez un peuple libre et barbare, ou dans de petites républiques[78] les situations deviennent bien plus intéressantes : presque tous les membres de la société sont en action, et méritent par conséquent d’être connus. Les divisions irrégulières des Germains, leur agitation perpétuelle, éblouissent notre imagination : il semble que leur nombre se multiplie. Cette énumération prodigieuse de rois et de guerriers, d’armées et de nations, ne doit pas nous faire oublier que les mêmes objets ont sans cesse été représentés sous des dénominations différentes, et que les dénominations les plus magnifiques ont été souvent prodiguées aux objets les moins importants. |
[1] Les Scythes, même d’après les anciens, ne sont point les
Sarmates. Les Grecs, après avoir divisé le monde en Grecs et Barbares,
divisèrent les Barbares en quatre grandes classes : les Celtes, les Scythes,
les Indiens et les Éthiopiens. Ils appelaient Celtes tous les habitants des
Gaules.
[2]
Cette vaste contrée était
loin d’être habitée par une seule nation partagée en différentes tribus d’une
même origine : on pouvait y compter trois races principales, très distinctes
par leur langage, leur origine et leurs moeurs : 1° à l’orient, les Slaves ou
Vandales ; 2° à l’occident, les Cimriens ou Cimbres ; 3° entre les Slaves et
les Cimbres se trouvaient les Allemands proprement dits (les Suèves de Tacite).
Le
1° Les Slaves, appelés
depuis Vandales (Wenden), étaient, selon quelques savants, aborigènes de
Schlœzer, au contraire,
dans son Histoire universelle du Nord, fait
considérer les Slaves comme originaires de
Gatterer, dans son Essai d’une Histoire universelle, a
mieux traité cette question, et son opinion me paraît prouvée. Il a montré que
les pays situés à l’ouest du Niémen, de
2° Adelung , dans son
Histoire ancienne de l’Allemagne, divise les peuples germains (d’après César et
dès les temps les plus anciens) en deux races principales, les Suèves et les
non Suèves : il donne à ces derniers, qui habitaient
3° A l’orient des tribus
cimbriques se trouvait la nation des Suèves, que les Romains ont connue très
anciennement, puisque L. Corn. Sisenna, qui vivait cent vingt-trois ans avant
Jésus-Christ, en fait déjà mention (Nonius v. Lancea). Elle s’étendait
jusqu’aux bords de
Telles sont les principales
races qui habitaient
Les tribus germaniques
s’appelaient elles-mêmes, dans les temps très reculés, du nom générique de
Teutons (Teuten, Deutschen), que Tacite fait dériver de celui de l’un de leurs
dieux, Tuisco. Il paraît plus vraisemblable que ce mot signifiait simplement
hommes, peuple : une foule de nations sauvages n’ont pas su se donner un autre
nom ; ainsi les Lapons s’appellent Almag, peuple ; les Samoièdes, Nilletz,
Nissetsch, hommes , etc. Quant au nom de Germains (Germani), César le trouva en
usage, dans
[3] Les philosophes
modernes de
[4] En particulier M. Hume, l’abbé Dubos et M. Pelloutier., Hist. des celtes, t. I.
[5] Diodore de Sicile, V,
p. 340, édit. Wessel ; Hérodien, liv. VI, p. 221 ; Jornandès, c. 55. Sur les
rives du Danube, le vin était souvent gelé, et on l’apportait à table en gros
morceaux : frusta
vini. (Ovide, Epist. ex Ponto,
IV, 7, 9, 10 ; Virgile, Georg., III,
355.) Ce fait est confirmé par un observateur, soldat et philosophe, qui avait
senti le froid rigoureux de
[6] Buffon, Hist. nat., tome XII, p. 79, 116.
[7] César, de Bell. gall., VI, 23, etc. Les Germains les plus instruits ne connaissaient pas les dernières limites de cette forêt, quoique quelques-uns d’entre eux y eussent fait plus de soixante journées de chemin.
[8] Cluvier (Germania antiqua, III, c. 47) recherche de tous côtés les plus petits restes de la forêt Horcynienne.
[9] Charlevois, Hist. du Canada.
[10] Olaus-Rudbek assure qu’en Suède les femmes ont dix ou douze enfants, et quelquefois vingt ou trente ; mais l’autorité de Rudbek est très suspecte.
[11] In hos artus, in hœc corpora, quœ miramur, excrescunt. Tacite, Germ., III, 20 ; Cluvier, I, c. 14.
[12] Plutarque, Vie de Marius. Les Cimbres s’amusaient souvent à descendre, sur leurs larges boucliers, des montagnes de neige.
[13] Les Romains faisaient la guerre dans tous les climats ; partout leur vigueur et leur santé se soutenaient, en grande partie, par leur discipline excellente. On peut remarquer que l’homme est le seul animal qui puisse vivre et se reproduire dans toutes les contrées, depuis l’équateur jusqu’aux pôles. Sous ce rapport, le cochon est celui de tous les animaux qui semble approcher le plus de notre espèce.
[14] Tacite, Germ., c. 3. Les Gaulois, dans leurs
migrations, suivirent le cours du Danube, et se répandirent dans
Gothines, qu’il ne
faut pas confondre avec les Goths (Gothen), tribu suève. Il y avait le long du
Danube, du temps de César, plusieurs autres tribus d’origine gauloise, qui ne
purent longtemps tenir contre les attaques des Suèves. Les Helvétiens qui
habitaient à l’entrée de
[15] Selon le docteur Keating (Hist. d’Irlande, p. 13-14) le géant Partholanus, qui était fils de Seara, fils d’Esra, fils de Sru , fils de Framant, fils de Fathaclan, fils de Magog, fils de Japhet, fils de Noé, débarqua sur la côte de Munster le 14 mai de l’année du monde 1978. Quoiqu’il réussit dans cette grande entreprise, la conduite déréglée de sa femme le rendit très malheureux dans sa vie domestique, et l’irrita à un tel point qu’il tua un lévrier qu’elle aimait beaucoup. Selon la remarque judicieuse du savant historien, ce fut le premier exemple de fausseté et d’infidélité parmi les femmes, que l’on vit alors en Irlande.
[16] Histoire généalogique des Tartares, par Abulghazi Bahadur Khan.
[17] Son ouvrage qui a pour titre Atlantica, est singulièrement rare. Bayle en a donné deux extraits fort curieux. Rép. des lettres, janvier et février 1685.
[18] Tacite, Germ., II, 19. Litterarum secreta viri pariter ac feminœ ignorant. Nous pouvons nous contenter de cette autorité décisive, sans entrer dans des disputes obscures concernant l’antiquité des caractères runiques. Selon le savant Celsius, Suédois, qui joignit l’érudition à la philosophie, ces caractères n’étaient autre chose que les lettres romaines, avec les courbes changées en lignes droites pour la facilité de la gravure. Voyez Pelloutier, Histoire des Celtes, II, c. 2 ; Dictionnaire diplomatique, t. I, p. 223. Nous pouvons ajouter que les plus anciennes inscriptions runiques sont supposées être du troisième siècle, et que le plus ancien écrivain qui ait parlé des caractères runiques est Venantius Fortunatus (Carm., VII, 18), qui vivait vers la fin du sixième siècle : Barbara fraxineis pingatur runa tabellis.
[19] Recherches philosophiques sur les Américains, t. III, p. 228. Cet ouvragé curieux est, dit-on, d’un Allemand.
[20] Le géographe d’Alexandrie est souvent critiqué par l’exact Cluvier.
[21] Voyez César et le savant M. Whitaker, dans son Histoire de Manchester, tome I.
[22] Lorsque les Germains ordonnèrent aux Ubiens, habitants de Cologne, de secouer le joug des Romains, et de reprendre, avec leur nouvelle liberté, leurs anciennes moeurs, ils exigèrent d’eux qu’ils démoliraient immédiatement les murailles de la colonie. Postrulamus à vobis, muros coloniœ, munimenta servitii, detrahatis ; etiam fera animalia, si clausa teneas, virtutis obliviscuntur. Tacite, Hist., IV, 64.
[23] Les maisons dispersées, qui forment un village en Silésie, s’étendent sur une longueur de plusieurs milles. Voyez Cluvier, I, c. 13.
[24] Cent quarante ans après Tacite, quelques bâtiments plus réguliers frirent construits près les bords du Rhin et du Danube. Hérodien, VII, p. 234.
[25] César, de Bell. gall., VI, 21.
[26] Tacite, Germ., 26 ; César, VI, 22.
[27] On prétend que les Mexicains et les Péruviens, sans connaître l’usage de la monnaie ou du fer, ont fait de grands progrès dans les arts. Ces arts, et les monuments qu’ils ont produits, ont été singulièrement exagérés. Voyez les Recherches sur les Américains, t. II, p. 153, etc.
[28] Tacite, Germ., 24. Les Germains avaient peut-être tiré leurs jeux des Romains ; mais la passion du jeu est singulièrement inhérente à l’espèce humaine.
[29] Plutarque, Vie de Camille ; Tite-Live, V, 33.
[30] Dubos, Hist. de
[31] La nation helvétienne,
qui sortit du pays appelé maintenant
[32] Paul-Diacre, I, 2-3. Davila, Machiavel, et le reste de ceux qui ont suivi, Paul-Diacre, n’ont point assez connu la nature de ces migrations, lorsqu’ils les ont représentées comme des entreprises concertées et régulières.
[33] Sir William Temple et M. de Montesquieu s’abandonnent sur ce sujet à la vivacité ordinaire de leur imagination.
[34] Machiavel, Histoire de Florence, liv. I ; Mariana, Hist. d’Espagne, V, c. 1.
[35] Robertson, Hist. de Charles-Quint ; Hume, Essais polit.
[36] Traduction de
l’abbé de
[37] Tacite, Germ., 44, 45. Frenshemius, qui a dédié son Supplément de Tite-Live à Christine, reine de Suède, croit devoir paraître très fâché contre le Romain qui traite avec si peu de respect les reines du Nord.
[38] Les Suéones et les Sitones étaient les anciens habitants
de
[39] Ne pouvons-nous
pas imaginer que la superstition enfanta le despotisme? Les descendants d’Odin,
dont la race existait encore en 1060, régnèrent, dit-on, en Suède plus de mille
ans. Le temple d’Upsal était l’ancien siège de la religion et de l’empire. En
1153, je trouve une loi singulière qui défendait l’usage et la profession des
armes à toute personne, excepté aux gardes du roi. N’est-il pas vraisemblable
que cette loi fut colorée par le prétexte de faire revivre une ancienne
institution ? Voyez l’Histoire de Suède,
par Dalin, clans
[40] Grotius change une expression de Tacite, pertractantur, en prœtractantur : cette correction est également juste et ingénieuse.
[41] Souvent même, dans l’ancien parlement d’Angleterre, les barons emportaient une question, moins par le nombre des voix que par celui de leurs suivants armés.
[42] Minuunt controversias : expression très heureuse de César.
[43] Reges ex nobilitate, duces ex virtute sumunt. Tacite, Germ., 7.
[44] Tacite, Germ., 13-14. Traduction de Montesquieu, Esprit des Lois, XXX, c. 3.
[45] Esprit des Lois, XXX, c. 3. Au reste, l’imagination brillante de Montesquieu est corrigée par la logique exacte de M. l’abbé de Mably, Observ. sur l’Hist. de France, t. I, page 356.
[46] Gaudent muneribus, fed nec data imputant, nec acceptis obligantur. Tacite, Germ., 21.
[47] La femme coupable d’adultère était fouettée dans tout le village. Ni la richesse ni la beauté ne pouvaient exciter de compassion , ni lui procurer un second mari. Tacite, Germ., 18-19.
[48] Ovide emploie deux cents vers à chercher les endroits les plus favorables à l’amour. Il regarde surtout le théâtre comme le lieu le plus propre à rassembler les beautés de Rome, et à leur inspirer la tendresse et la sensualité.
[49] Le présent de mariage était une paire de bœufs, des chevaux et des armes (Germ., 18). Tacite traite ce sujet avec un peu trop de pompe.
[50] Le changement de exigere en exugere est une excellente correction.
[51] Tacite, Germ., 7 ; Plutarque, Vie de Marius. Les femmes des Teutons, avant de se tuer et de massacrer leurs enfants, avaient offert de se rendre à condition qu’elles seraient reçues comme esclaves des vestales.
[52] Tacite a traité
cet obscur sujet en peu de mots, et Cluvier en cent vingt-quatre pages. Le
premier aperçoit en Germanie les dieux de
[53] Le bois sacré décrit par Lucain avec une horreur si sublime, était dans le voisinage de Marseille ; mais il y en avait plusieurs de la même espèce en Germanie.
[54] Les anciens Germains avaient des idoles informes, et, dès qu’ils commencèrent à se bâtir des demeures plus fixes, ils élevèrent aussi des temples, tels que celui de la déesse Tanfana, qui présidait à la divination. Voyez Adelung, Hist. anc. des Germains, p. 296 (Note de l’Éditeur).
[55] Robertson, Histoire de Charles-Quint, volume I, note 21.
[56] Tacite, Germ., 7. Ces étendards n’étaient que des têtes d’animaux sauvages.
[57] Voyez un exemple de cette coutume. Tacite, Ann., XIII, 57.
[58] César, Diodore et Lucain paraissent attribuer cette doctrine aux Gaulois ; mais M. Pelloutier (Hist. des Celtes, III, 18) travaille à réduire leurs expressions à un sens plus orthodoxe.
[59] Pour connaître cette doctrine grossière, mais séduisante, voyez la fable IXe de l’Edda, dans la trad. curieuse de ce livre, donnée par M. Mallet, Introduction à l’Histoire du Danemark.
[60] Tacite, Germ., 3 ; Diodore de Sicile, V ; Strabon, IV, p. 197. On peut se rappeler le rang que Démodocus tenait à la cour du roi des Phéaciens, et l’ardeur que Tyrtée inspira aux Spartiates découragés. Cependant il est peu vraisemblable, que les Grecs et les Germains fussent le même peuple. Nos antiquaires s’épargneraient beaucoup d’érudition frivole s’ils se donnaient la peine de réfléchir que des situations semblables produiront naturellement des mœurs semblables.
[61] Outre ces chants de guerre, les Germains chantaient dans
leurs repas de fête (Tacite, Ann., I,
65), et auprès du cadavre des héros morts. Le roi Théodoric, de la tribu des
Goths, tué dans une action contre Attila, fut honoré par des chants, tandis
qu’on l’emportait du champ de bataille (Jornandès, 41). Le même honneur fut
rendu aux restes d’Attila (Jornandès, 49).
Selon quelques historiens, les Germains chantaient aussi à leurs noces ; mais, cela me paraît peu d’accord avec leurs coutumes, qui ne faisaient guère du mariage que l’achat d’une femme. D’ailleurs on n’en trouve qu’un seul exemple ; celui du roi goth Ataulphe, qui chanta lui-même l’hymne nuptial en épousant Placidie, sœur des empereurs Arcadius et Honorius (Olympiodor., p. 8) ; encore ce mariage fut-il célébré selon les rites des Romains, dont les chants faisaient partie. Adelung ; Hist. anc. des Germains, p. 382 (Note de l’Éditeur).
[62] Missilia spargunt. Tacite, Germ., 6. Soit que cet historien ait employé une expression vague, soit qu’il ait voulu dire que ces dards étaient lancés au hasard.
[63] Traduction de l’abbé de
[64] C’était en quoi les Germains étaient principalement distingués des Sarmates, qui combattaient généralement à cheval.
[65] La relation de cette entreprise occupe une grande partie du IVe et du Ve livre de l’Histoire de Tacite, qui a traité ce sujet avec plus d’éloquence que de clarté. Sir Henry Saville relève dans sa narration plusieurs inexactitudes.
[66] Tacite, Hist., IV, 13. Comme eux il avait perd un œil.
[67] Ces îles étaient renfermées entre les deux anciennes branches du Rhin, telles qu’elles subsistaient avant que la face du pays eût été changé par l’art et par la nature. Voyez Cluvier, Germ. ant., II, c. 30, 37.
[68] Les Bructères étaient une tribu non suève qui habitait
au-dessous des duchés d’Oldenbourg et de Lanenbourg sur les bords de
[69] Traduction de l’abbé de
[70] Nazarius, Ammien, Claudien, etc., en font mention dans le quatrième et dans le cinquième siècle, comme d’une tribu de Francs. Voyez Cluvier, Germ. ant., III, 13.
[71] On lit communément urgentibus ; mais le bon sens, Juste-Lipse et quelques manuscrits, se déclarent pour vergentibus.
[72] Tacite, Germ., 33. Le dévot abbé de
[73] On peut voir dans Tacite et dans Dion plusieurs traces de cette politique ; et l’on peut juger, en considérant les principes de la nature humaine, qu’il en existait bien davantage.
[74] Histoire Auguste, p. 31 ; Ammien Marcellin, XXXI, 5 ; Aurelius Victor. L’empereur Marc-Aurèle fut réduit à vendre les meubles magnifiques du palais, et à enrôler les esclaves et les malfaiteurs.
[75] Les Marcomans,
colonie qui, venue des rives du Rhin, occupait
[76] M. Wotton (Histoire de Rome, p. 166) prétend qu’ils eurent ordre de se retirer dix fois plus loin. Son raisonnement est spécieux sans être décisif : cinq milles suffisaient pour une barrière fortifiée.
[77] Voyez une excellente dissertation sur l’origine et sur les migrations des peuples dans les Mémoires de l’Académie des Inscriptions, tome XVIII, P. 48-71. Il est bien rare que l’antiquaire et le philosophe se trouvent si heureusement réunis.
[78] Croirions-nous qu’Athènes ne contenait que vingt et un mille citoyens, et Sparte trente-neuf mille seulement ? Cf. Hume et Wallace, sur la population des temps anciens et modernes.