Guerres civiles et ruine de l’empire grec. Règnes d’Andronic l’Ancien, d’Andronic le Jeune et de Jean Paléologue. Régence, révolte, règne, et abdication de Jean Cantacuzène. Établissement d’une colonie génoise à Péra et Galata. Leurs guerres contre l’empire et contre la ville de Constantinople.
LE long règne d’Andronic l’Ancien[1] n’est guère mémorable que par les querelles de l’Église grecque, l’invasion des Catalans et l’accroissement de la grandeur ottomane. On le célèbre comme le prince le plus savant, st le plus vertueux de son siècle ; mais sa science et ses vertus ne contribuèrent ni son propre perfectionnement, ni au bonheur de la société. Esclave de la superstition la plus absurde, il était toujours environné d’ennemis réels ou imaginaires, et son imagination n’était pas moins frappée de la crainte des flammes de l’enfer que de celle des Turcs ou des Catalans. Sous le règne des Paléologues on considérait le choix d’un patriarche comme la plus sérieuse affaire de l’État. Les chefs de l’Église grecque étaient des moines ambitieux et fanatiques, dont les vices et les vertus, le savoir et l’ignorance, étaient également méprisables ou funestes. La discipline rigoureuse du patriarche Athanase[2] irrita le peuple et le clergé ; on l’entendit déclarer que le pécheur boirait jusqu’à la lie le calice de pénitence, et l’on répandit le conte ridicule d’un âne sacrilège qu’il avait puni, disait-on, pour avoir mangé une laitue dans le jardin d’un couvent. Chassé de son siège par la clameur publique, Athanase, avant de se retirer, composa deux écrits d’une teneur tout à fait opposée. Son testament public était sur ce ton de la résignation et de la charité ; le codicille particulier lançait les plus terribles anathèmes sur les auteurs de sa disgrâce, et les excluait pour toujours de la communion de la sainte Trinité, des anges et des saints. Le prélat déposa ce dernier papier dans un pot de terre, qui fut placé par ses ordres sur le haut d’un pilier du dôme de Sainte-Sophie, dans l’espérance que la découverte de cet arrêt pourrait quelque jour le venger. Au bout de quatre ans, des enfants, grimpant sur des échelles pour chercher des nids de pigeons, découvrirent ce fatal secret, et Andronic, se trouvant compris dans l’excommunication, trembla sur le bord de l’abîme perfidement caché sous ses pas. Il fit immédiatement assembler un synode d’évêques pour discuter cette importante question : on condamna unanimement la précipitation qui avait dicté cet anathème clandestin ; mais comme il ne pouvait être levé que par celui qui l’avait prononcé, et que ce prélat chassé de son siége n’en avait plus le pouvoir, on jugea qu’aucune puissance, de la terre ne pouvait infirmer la sentence. On arracha à l’auteur du désordre quelques faibles témoignages de pardon et de repentir ; mais la conscience de l’empereur était toujours alarmée, et ce prince ne désirait pas moins vivement qu’Athanase lui-même le rétablissement d’un patriarche qui pouvait seul le tranquilliser. Au milieu de la nuit, un moine, après avoir heurté rudement à la porte de la chambre où l’empereur reposait, lui annonça une révélation de peste, de famine, de tremblement de terre et d’inondation. Andronic épouvanté sauta de son lit, passa le reste de la nuit en prières, et sentit ou crut sentir la terre trembler. L’empereur, suivi d’un cortège d’évêques, se rendit à pied à la cellule d’Athanase ; et après une résistance convenable, le saint, de qui venait ce message qui avait alarmé l’empereur, consentit à absoudre le prince et à gouverner l’Église de Constantinople. Mais loin que sa disgrâce l’eut adouci, la solitude avait encore aigri son caractère, et le pasteur s’attira de nouveau la haine de son troupeau. Ses ennemis se servirent avec succès d’un singulier moyen de vengeance. Ils enlevèrent durant la nuit le marchepied ou tapis de pied de son siége, et le replacèrent, sans être aperçus, orné d’une caricature des plus satiriques. L’empereur y paraissait avec une bride dans sa bouche ; Athanase tenait les rênes, et conduisait aux pieds du Christ le docile animal. On découvrit et l’on punit les auteurs de cette insulte ; mais le patriarche, indigné de ce qu’on avait épargné leur vie, se retira une seconde fois dans sa cellule, et les yeux d’Andronic, ouverts pour un instant, se refermèrent sous son successeur. Si cette transaction est une des plus curieuses et des plus intéressantes d’un règne de cinquante ans, je ne puis du moins me plaindre de la rareté des matériaux, lorsque je réduis en un petit nombre de pages les énormes in-folio de Pachymère[3], de Cantacuzène[4] et de Nicéphore Grégoras[5], qui ont composé la prolixe et languissante histoire de cette époque. Le nom et la situation de l’empereur Jean Cantacuzène doivent sans doute attirer une vive curiosité sur ses ouvrages. Ses Mémoires comprennent un espace de quarante années, depuis, la révolte d’Andronic le Jeune jusqu’au moment où il abdiqua lui-même l’empire ; et l’on a remarqué qu’il était, comme Moïse et César le principal acteur des scènes qu’il décrit. Mais dans son éloquent ouvrage on chercherait en vain la sincérité d’un héros ou d’un pénitent ; retiré dans un cloître, loin des vices et des passions du monde, il présente moins une confession qu’une apologie de la vie, d’un politique ambitieux. Au lieu de développer les caractères et les desseins des hommes, il ne présente que la surface spécieuse et adoucie des événements, colorés des louanges qu’il se donne ainsi qu’à ses partisans. Leurs motifs sont toujours purs, et leur but légitime. Ils conspirent et se révoltent sans aucune vue d’intérêt, et les violences qu’ils exercent ou tolèrent, sont toujours louées comme les effets naturels de la raison et de la vertu. A l’imitation du premier des Paléologues, Andronic l’Ancien associa son fils Michel aux honneurs de la pourpre ; et depuis l’âge de dix-huit ans jusqu’à sa mort prématurée, ce prince fut considéré durant plus de vingt-cinq ans comme le second empereur des Grecs[6]. A la tête des armées il n’excita ni l’inquiétude des ennemis ni la jalousie de la cour : sa patiente modération ne calcula point les années de son père ; et ce père n’eut jamais, ni dans les vices ni dans les vertus de son fils, aucun motif pour se repentir de la faveur qu’il lui avait accordée. Le fils de Michel portait le nom d’Andronic comme son grand-père, dont cette ressemblance avait de bonne heure déterminé la tendresse. L’esprit et la beauté d’Andronic augmentèrent l’affection du vieillard, qui se flattait que ses espérances trompées, dans sa première génération, se réaliseraient avec éclat dans la seconde. Son petit-fils fut élevé dans le palais comme l’héritier de l’empire et le favori de l’empereur ; et dans les serments comme dans les acclamations du peuple, les noms du père, du fils et du petit-fils, formaient une trinité auguste : mais cette grandeur précoce corrompit bientôt le jeune Andronic ; il voyait avec une impatience puérile le double obstacle qui arrêtait et pouvait arrêter longtemps l’essor de son ambition. Elle n’avait pour motif ni le désir de la gloire ni celui de travailler au bonheur de ses peuples ; l’opulence et l’impunité étaient à ses yeux les plus précieuses prérogatives d’un monarque, et il commença ses indiscrétions par la demande qu’il fit d’être investi de quelques îles riches et fertiles où il pût vivre dans les plaisirs et l’indépendance. L’empereur s’offensa des nombreux et bruyants désordres qui troublaient la tranquillité de sa capitale ; le jeune prince emprunta des usuriers génois de Péra les sommes que lui refusait la parcimonie de son grand-père ; et cette dette onéreuse, au moyen de laquelle il affermit l’intérêt de la faction qu’il s’était formée, fût telle bientôt qu’elle ne pouvait plus être payée qu’au moyen d’une révolution. Une femme belle et d’un rang distingué, mais dont les mœurs étaient celles d’une courtisane, avait donné au jeune Andronic les premières leçons de l’amour. Il eut lieu de soupçonner les visites nocturnes d’un rival, et ses gardes, placés en embuscade à la porte de sa maîtresse, percèrent de leurs flèches un étranger qui passait dans la rue. Cet étranger était le prince Manuel son frère, qui languit et mourut de sa blessure. L’empereur Michel, leur père, dont la santé déclinait, expira environ huit jours après, pleurant la perte de ses deux enfants[7]. Quoique le jeune Andronic n’eût pas eu l’intention de commettre un pareil crime, il ne devait pas moins considérer la perte de son frère et de son père comme la suite de ses dérèglements ; et ce fut avec une profonde douleur que les hommes capables de sentiment et de réflexion, aperçurent qu’au lieu d’éprouver de la tristesse et des remords, il dissimulait faiblement sa joie d’être débarrassé de deux odieux compétiteurs. Ces évènements funestes et de nouveaux désordres aliénèrent par degrés le chef de l’empire. Après avoir épuisé en vain les conseils et les reproches, il transporta sur un autre de ses petits-fils ses espérances et son affection[8]. Ce changement fut annoncé par un nouveau serment de fidélité fait au souverain et à la personne qu’il voudrait choisir pour son successeur. L’héritier naturel du trône, après s’être porté à de nouvelles insultes et avoir essuyé de nouveaux reproches, se vit exposé à l’ignominie d’un procès public. Avant de prononcer la sentence qui l’aurait probablement condamné à passer sa vie dans un cachot ou dans la cellule d’un monastère, l’empereur apprit que les partisans armés de son petit-fils remplissaient les cours de son palais. Il consentit à changer son jugement en un traité de réconciliation ; et cette victoire encouragea le jeune Andronic et sa faction. Cependant la capitale, le clergé et le sénat, tenaient à la personne du vieil empereur, ou du moins à son gouvernement ; et les mécontents ne pouvaient espérer de faire triompher leur cause et de renverser son trône que par la fuite, la révolte et des secours étrangers. Le grand domestique, Jean Cantacuzène était l’âme de l’entreprise. C’est de sa fuite de Constantinople que datent ses opérations et ses Mémoires ; et si, c’est lui-même qui a vanté son patriotisme, un historien du parti contraire a du moins loué le zèle et l’habileté qu’il déploya en faveur du jeune empereur. Le jeune prince s’échappa de la capitale sous le prétexte d’une partie de chasse, leva à Andrinople l’étendard de la rébellion, et eut en peu de temps une armée de cinquante mille hommes, que le devoir ni l’honneur n’auraient pu décider à prendre les armes contre les Barbares. Des forces si considérables étaient capables de sauver l’empire ou de lui imposer la loi ; mais la discorde régnait dans les conseils des rebelles, leurs opérations étaient lentes et incertaines ; et la cour de Constantinople retardait leurs progrès par des intrigues et des négociations. Les deux Andronic prolongèrent, suspendirent et renouvelèrent, durant sept années, leurs désastreuses contestations. Par un premier traité, ils partagèrent les restes de l’empire : Constantinople, Thessalonique et les îles, appartinrent au vieil Andronic ; le jeune acquit la souveraineté indépendante de presque toute la Thrace, depuis Philippi jusqu’au district de Byzance. Par son second traité, le jeune Andronic stipula son couronnement immédiat, le paiement de son armée, et le partage égal des revenus et de la puissance. La surprise de Constantinople et la retraite définitive du vieil Andronic terminèrent la troisième guerre civile, et le jeune vainqueur régna seul sur l’empire. On peut découvrir les raisons de ces lenteurs dans le caractère des hommes et dans l’esprit du siècle. Lorsque l’héritier du trône exposa ses premiers griefs et annonça ses craintes, les peuples l’écoutèrent avec intérêt et lui prodiguèrent des applaudissements. Ses émissaires répandirent de tous côtés qu’il augmenterait la paye des soldats et déchargerait ses sujets d’une partie des impôts ; et on ne réfléchit point que ces deux promesses se détruisaient mutuellement. Toutes les fautes commises durant un règne de quarante ans servirent de prétexte à la révolte. La génération naissante voyait avec mécontentement se prolonger à l’infini le règne d’un prince dont les maximes et les favoris étaient de l’autre siècle ; et la vieillesse d’Andronic n’inspirait point de respect, parce que sa jeunesse avait manqué d’énergie. Il tirait des taxes publiques un revenu de cinq cent mille livres pesant d’or, et ce monarque, le plus riche des princes chrétiens, ne pouvait entretenir trois mille hommes de cavalerie et trente galères pour arrêter les progrès et les ravages des Turcs[9]. Que ma situation, disait le jeune Andronic, est différente de celle du fils de Philippe ! Alexandre se plaignait de ce que son père ne lui laisserait rien à conquérir ; hélas ! mon grand-père ne me laissera rien à perdre. Mais les Grecs s’aperçurent bientôt qu’une guerre civile ne guérirait point les maux de l’État, et que leur jeune favori n’était pas destiné à devenir le sauveur d’un empire à son déclin. A la première défaite son parti se trouva rompu par la légèreté du chef, par les différends qui s’élevèrent entre ses partisans, et par les intrigues de l’ancienne cour, qui sût engager les mécontents à déserter ou à trahir la cause du rebelle. Andronic le Jeune se laissa toucher par le remords, fatiguer par les affaires ou tromper par les négociations. Il cherchait plus les plaisirs que la puissance ; et la liberté qu’il eut d’entretenir mille chiens de chasse, mille faucons et mille chasseurs, suffit pour ternir sa renommée et désarmer son ambition. Considérons à présent la catastrophe de cette intrigue compliquée, et la situation définitive des principaux acteurs[10]. Andronic l’Ancien passa presque toute sa vieillesse dans la discorde civile ; les différents événements de la guerre où des traités diminuèrent successivement et sa réputation et sa puissance, jusqu’à la nuit fatale, où le jeune Andronic s’empara de la ville et du palais, sans éprouver de résistance. Le commandant en chef dédaignant les avis qu’on lui donnait sur le danger, dormait paisiblement dans son lit, dans toute la sécurité de l’ignorance, tandis que le faible monarque, agité d’inquiétudes, était abandonné à une troupe de pages et d’ecclésiastiques. Ses terreurs ne tardèrent pas à se réaliser ; des acclamations se firent entendre, et proclamèrent le nom et la victoire d’Andronic le Jeune. Prosterné au pied d’une image de la Vierge, il envoya humblement remettre le sceptre et demander la vie au conquérant. La réponse de celui-ci fut convenable et respectueuse. Il se chargeait, dit-il, du gouvernement pour satisfaire le vœu du peuple ; mais son grand-père n’en conserverait pas moins son rang et sa supériorité. Le vainqueur lui laissait son palais, et lui assignait une pension de vingt-quatre mille pièces d’or, dont une moitié devait être fournie par le trésor royal, et l’autre par la pêche de Constantinople. Mais, dépouillé de sa puissance, Andronic tomba bientôt dans le mépris et dans l’oubli. Le silence de son palais n’était plus troublé que par les bestiaux et les volailles du voisinage, qui en parcouraient impunément les cours solitaires. Sa pension fut réduite à dix mille pièces d’or[11], dont il ne pouvait obtenir le paiement. L’affaiblissement de sa vue vint encore aggraver ses souffrances. On rendait chaque jour sa détention plus rigoureuse ; et durant une absence et une maladie de son petit-fils, ses barbares gardiens l’obligèrent, en le menaçant de la mort, à quitter la pourpre pour l’habit et la profession monastique. Le moine Antoine (c’était le nom qu’il avait pris) avait renoncé aux vanités de ce monde ; mais il se trouva avoir besoin d’une grossière robe fourrée pour l’hiver : comme le vin lui était défendu par son confesseur, et l’eau par son médecin, il se trouvait réduit, pour toute boisson, au sorbet d’Égypte. Ce ne fut pas sans peine que l’ancien empereur des Romains parvint à se procurer trois ou quatre pièces d’or pour pourvoir à ses modestes besoins ; et s’il est vrai qu’il ait sacrifié cet or pour soulager les maux encore plus pressants d’un ami, ce sacrifie est de quelque mérite aux yeux de la religion et de l’humanité. Quatre ans après son abdication Andronic ou Antoine expira dans sa cellule (13 février 1332), âgé de soixante-quatorze ans ; et tout ce que purent lui promettre les derniers discours de la flatterie, ce fut une couronne plus brillante que celle qu’il avait portée dans ce monde corrompu[12]. Le règne d’Andronic le Jeune ne fut ni plus glorieux ni plus fortuné que celui de son grand père[13]. Il ne jouit que momentanément et avec amertume des fruits de son ambition. Monté sur le trône, il perdit les restes de son ancienne popularité ; les défauts de son caractère furent alors plus en vue. Les murmures du peuple le forcèrent à marcher en personne contre les Turcs. Andronic ne manqua pas de courage au moment du danger ; mais il ne remporta qu’une blessure pour trophée de son expédition, et la victoire des Ottomans consolida l’établissement de leur monarchie. Les désordres du gouvernement civil parvinrent à leur dernière période ; sa négligence à observer les usages et à conserver l’intégrité du costume national a été déplorée par des Grecs comme le funeste symptôme de la décadence de l’empire. Les débauches de sa jeunesse avaient hâté pour lui l’âge des infirmités ; et le monarque, à peine sauvé par la nature ou les médecins, ou la Vierge, d’une maladie très dangereuse, fût enlevé presque subitement dans la quarante-cinquième année de son âge. Il avait été marié deux fois, et comme les progrès des Latins dans les armes et dans les arts avaient adouci les préjugés de la cour de Byzance, ses deux épouses furent prisés parmi les princesses de l’Allemagne et de l’Italie ; la première, connue dans son pays soupe nom d’Agnès, et en Grèce sous celui d’Irène, était fille du duc de Brunswick. Son père[14], petit souverain[15] d’un pays indigent et sauvage dans le nord de l’Allemagne[16], tirait quelques revenus du produit de ses mines d’argent[17], et les Grecs ont célébré sa famille comme la plus ancienne et la plus noble de la race teutonique[18]. Irène mourut sans laisser d’enfants, et Andronic épousa Jeanne, sœur du comte de Savoie[19]. On préféra l’empereur grec au roi de France[20] ; et le comte, honorant en sa sœur le titre d’impératrice, la fit accompagner d’une nombreuse suite de filles nobles eu de chevaliers : elle fut régénérée et couronnée dans l’église de Sainte-Sophie, sous le nom plus orthodoxe d’Anne. A la suite de ses noces, les Grecs et les Italiens se disputèrent le prix de l’adresse et de la valeur dans des tournois et des exercices militaires. L’impératrice Anne de Savoie survécut à son mari. Jean Paléologue, leur fils, hérita du trône dans la neuvième année de son âge ; et son enfance eût pour protecteur le plus illustre et le plus vertueux des Grecs. La sincère et tendre amitié que son père conserva toujours pour Cantacuzène, fait également honneur au prince et au ministre. La noblesse du dernier égalait presque[21] celle de son maître ; leur attachement s’était formé au milieu des plaisirs de leur jeunesse ; et l’énergie résultante d’une éducation, modeste compensait chez le sujet le lustre nouveau que la pourpre donnait au prince. Nous avons vu Cantacuzène enlever le jeune empereur à la vengeance de son grand-père, et le ramener triomphant dans le palais de Constantinople, après six ans de guerre civile. Sous le règne d’Andronic le Jeune ; le grand-domestique gouverna l’empereur et l’empire : ce fut lui qui recouvra l’île de Lesbos et la principauté d’Étolie ; ses ennemis avouent qu’au milieu des déprédateurs du bien public, Cantacuzène seul se montra modéré et retenu ; et l’état qu’il donne volontairement de sa fortune[22], laisse présumer qu’il l’avait reçue par héritage, et ne l’augmenta point par des rapines. Il ne spécifie pas à la vérité la valeur de son argent comptant, de sa vaisselle et de ses bijoux. Cependant, après le don volontaire de deux cents vases d’argent, après que ses amis en eurent mis un grand nombre en sûreté, et que ses ennemis en eurent beaucoup pillé, ses trésors confisqués suffirent pour équiper une flotte de soixante-dix galères. Cantacuzène ne donne point l’état de ses domaines, mais ses greniers renfermaient une quantité immense d’orge et de froment ; et d’après la pratique de l’antiquité ; les mille paires de bœufs, employés à la culture de ses terrés, indiquent environ soixante-deux mille cinq cents acres de labour[23]. Ses pâturages renfermaient deux mille cinq juments poulinières, deux cents chameaux, trois ceins mulets, cinq cents ânes, cinq mille bêtes à cornes, cinquante mille côchons et soixante-dix mille moutons[24]. Ce précieux détail d’opulence rurale a droit de nous paraître étonnant dans la décadence de l’empire, et principalement dans la Thrace, province successivement dévastée par tous les partis. La faveur dont son maître l’honorait était tort au-dessus de sa fortune. Dans quelques moments de familiarité et durant sa maladie, l’empereur désira détruire la distance demeurée entre eux, et pressa son ami d’accepter la pourpre et le diadème. Le grand-domestique eut assez de vertu pour résister à cette offre séduisante ; il l’affirme du moins dans son histoire : le dernier testament d’Andronic le Jeune le nomma tuteur de son fils et régent de l’empire. Si, pour récompense de ses services, on eût accordé au régent un juste tribut de reconnaissance et de docilité, la pureté de son zèle pour les intérêts de son pupille ne se serait peut-être jamais démentie[25]. Cinq cents soldats choisis gardaient le jeune empereur et son palais on célébra avec décence, les obsèques de son père ; la tranquillité de la capitale annonçait sa soumission ; et cinq cents lettres envoyées dans les provinces dès le première mois qui suivit la mort du monarque, leur apprirent ses dernières volontés. L’ambition du grand-duc ou amiral Apocaucus fit disparaître l’heureuse perspective d’une minorité tranquille, et pour rendre sa perfidie plus odieuse, l’auguste historien confesse l’imprudence qu’il avait eue d’élever Apocaucus à la dignité de grand-duc, contre l’avis de son souverain plus pénétrant que lui. Audacieux et rusé, avide et prodigue, l’amiral faisait alternativement servir tous ses vices aux vues de son ambition, et ses talents à la ruine de sa patrie. Enorgueilli par le commandement d’une forteresse et celui des forces navales, Apocaucus conspirait contre son bienfaiteur ; et lui prodiguait en même temps des assurances d’attachement et de fidélité. Toutes les femmes de la cour de l’impératrice lui étaient vendues et agissaient d’après ses plans. Il sut exciter Anne de Savoie à réclamer la tutelle de son fils ; on déguisa le désir de commander sous le masque de la sollicitude maternelle, et l’exemple du premier des Paléologues instruisait sa postérité à tout craindre d’un tuteur perfide. Le patriarche Jean d’Apri, vieillard vain, faible et environné d’une parenté nombreuse et indigente, produisit une ancienne lettre d’Andronic, par laquelle l’empereur léguait le prince et le peuple à ses soins pieux. Le sort de son prédécesseur Arsène l’engageait à prévenir le crime d’un usurpateur plutôt que d’avoir à le punir ; et Apocaucus ne put s’empêcher de sourire du succès de ses flatteries, lorsqu’il vit l’évêque de Byzance s’environner du même appareil que le pontife romain ; et réclamer les mêmes droits temporels[26]. Une ligue secrète se forma entre ces trois personnes si différentes de caractère et de situation : on rendit au sénat une ombre d’autorité ; et l’on séduisit les peuples par le nom de liberté. Cette confédération puissante attaqua le grand-domestique, d’abord d’une manière détournée et ensuite à force ouverte. On disputa ses prérogatives, on rejeta ses conseils ; ses amis furent persécutés, et il courut souvent dès risques pour sa vie au milieu de la capitale et à la tête des armées. Tandis qu’il s’occupait au loin du service de l’État, on l’accusa de trahison, ou le déclara ennemi de l’empire et de l’Église ; et on le dévoua lui et tous ses adhérents au glaive de la justice, à la vengeance du peuple et aux puissances de l’enfer. Sa fortune fut confisquée ; on jeta dans une prison sa mère, déjà avancée en âge tous ses services furent mis en oubli, et Cantacuzène se vit forcé, par la violence et l’injustice, à commettre le crime dont on l’avait accusé[27]. Rien dans sa conduite précédente n’autorise à penser qu’il eût formé aucun dessein coupable, la seule chose du moins qui pût le faire soupçonner, serait la véhémence de ses protestations réitérées d’innocence, et les éloges qu’il donne à la sublime pureté de sa vertu. Tandis que l’impératrice et le patriarche conservaient encore avec lui les apparences de l’amitié, il sollicita, à plusieurs reprises, la permission d’abandonner la régence et de se retirer dans un monastère. Lorsqu’on l’eut déclaré ennemi public, Cantacuzène résolut d’aller se jeter aux pieds du prince, et de présenter sa tête à l’exécuteur sans murmure et sans résistance. Ce ne fut qu’avec répugnance qu’il prêta l’oreille à la voix de la raison ; sentit qu’il était de son devoir de sauver sa famille et ses amis, et qu’il n’y pouvait réussir qu’en prenant les armes et le titre de souverain. Ce fut dans la forteresse de Démotica, son patrimoine particulier, que l’empereur Jean Cantacuzène prit les brodequins pourpres. Sa jambe droite fut chaussée par ses nobles parents, et la gauche par les chefs latins auxquels il avait conféré l’ordre de la chevalerie. Mais, s’attachant a conserver encore dans sa révolte les formes de la fidélité, il fit proclamer les noms de Paléologue et d’Anne de Savoie, avant le sien et celui d’Irène son épouse. Une vaine cérémonie déguise mal la rébellion, et aucune injure personnelle ne peut sans doute excuser un sujet qui prend les armes contre son souverain ; mais le manque de préparatifs et de succès peut confirmer ce que nous assure Cantacuzène, qu’il fut entraîné dans cette entreprise décisive moins par choix que par nécessité. Constantinople resta fidèle au jeune empereur. On sollicita le roi des Bulgares de secourir Andrinople. Les principales villes de la Thrace et de la Macédoine, après avoir hésité quelque temps, abandonnèrent le parti du grand-domestique et les chefs des troupes et des provinces pensèrent que leur intérêt particulier devait les engager à préférer le gouvernement sans vigueur d’une femme et d’un prêtre. L’armée de Cantacuzène, partagée en seize divisions, se cantonna sur les bords du Mélas, pour contenir ou intimider la capitale. La terreur ou la trahison dispersa ses troupes, et les officiers particulièrement les Latins mercenaires, acceptèrent les présents de la cour de Byzance et passèrent a son service. Après cet événement, l’empereur rebelle (car sa fortune flotta entre ces deux titres) se retira vers Thessalonique avec un reste de soldats choisis. Mais il échoua dans son entreprise sur cette place importante ; et son ennemi Apocaucus le poursuivit par terre et par mer à la tête de forces supérieures. Chassé de la côte Cantacuzène, en se retirant ou plutôt en fuyant les montagnes de Servie, assembla ses soldats dans le dessein de ne conserver que ceux qui offriraient volontairement de suivre sa fortune abattue. Un grand nombre l’abandonna bassement avec quelques protestations, et sa troupe fidèle se trouva réduite d’abord à deux mille, et enfin à cinq cents hommes. Le cral ou despote des Serviens[28] le reçut avec humanité ; mais du rôle d’allié il descendit successivement à celui de suppliant d’otage et de captif, réduit à attendre à la porté d’un Barbare qui pouvait disposer à son gré de la vie et de la liberté d’un empereur romain. Les offres les plus séduisantes ne purent cependant déterminer le cral à violer les lois de l’hospitalité ; mais il se rangea bientôt du côté du plus fort et renvoya, sans lui faire aucune insulte, son ami, Cantacuzène s’exposer ailleurs à de nouvelles vicissitudes d’espérances et de dangers. Des succès variés alimentèrent durant près six années les fureurs de la guerre civile. Les factions des Cantacuzains et des Paléologues des nobles et des plébéiens, remplissaient les villes de leurs dissensions, et invitaient mutuellement les Bulgares, les Serviens et les Turcs, à consommer la ruine commune des deux partis. Le régent déplorait les calamités dont il était l’auteur et la victime ; et sa propre expérience a pu lui dicter la juste et piquante observation qu’il fait sur la différence qui existe entre les guerres civiles et les guerres étrangères. Les dernières, dit-il, ressemblent aux chaleurs extérieures de l’été, toujours tolérables et souvent utiles ; mais les autres ne peuvent se comparer qu’à une fièvre mortelle, dont l’ardeur consumé et détruit les principes de la vie[29]. L’imprudence qu’ont eue les nations civilisées de mêler des peuples barbares ou sauvages dans leurs contestations, a toujours tourné à leur honte et à leur malheur ; cette ressource, favorable quelquefois à l’intérêt du moment, répugne également aux principes de l’humanité et de la raison. Il est d’usage que les deux partis s’accusent réciproquement d’avoir contracté les premiers cette indigne alliance ; et ceux qui ont échoué dans leur négociation, sont ceux qui témoignent le plus d’horreur pour un exemple qu’ils envient et qu’ils ont tâché inutilement d’imiter. Les Turcs de l’Asie étaient moins barbares peut-être que les pâtres de la Bulgarie et de la Servie ; mais leur religion les rendait les plus implacables ennemis de Rome et des chrétiens. Les deux factions employèrent à l’envi les profusions et les bassesses pour gagner l’amitié des émirs. L’adresse de Cantacuzène lui obtint la préférence ; mais le mariage de sa fille avec un infidèle, et la captivité de plusieurs milliers de chrétiens, furent le prix odieux du secours et de la victoire, et le passage des Ottomans en Europe précipita la ruine des débris de l’empire romain. La mort d’Apocaucus, juste mais singulière récompense de ses crimes, fit pencher la balance en faveur de son ennemi. L’amiral avait fait saisir dans la capitale et dans les provinces une foule de nobles et de plébéiens, objets de sa haine ou de ses craintes : ils étaient enfermés dans le vieux palais de Constantinople, et leur persécuteur s’occupait avec activité de faire hausser les murs, resserrer les chambres, et de tout ce qui pouvait assurer leur détention et aggraver leur misère. Un jour qu’ayant laissé ses gardes à la porte, il veillait dans la cour inférieure au travail de ses architectes, deux courageux prisonniers de la famille des Paléologues, armés de bâtons et animés par le désespoir, s’élancèrent sur l’amiral et le fendirent mort leurs pieds[30]. La prison retentit des cris de vengeance et de liberté ; tous les captifs rompirent leurs fers ; ils barricadèrent leur retraite, et exposèrent sur les créneaux la tête d’Apocaucus, dans l’espérance d’obtenir l’approbation du peuple et la clémence de l’impératrice. Anne de Savoie vit peut-être sans regret la chute d’un ministre ambitieux et arrogant ; mais tandis qu’elle hésitait à prendre un parti, la populace et particulièrement les mariniers, animés par la veuve de l’amiral, enfoncèrent la prison firent main basse sur tous ceux qui se présentèrent : les prisonniers la plupart innocents du meurtre d’Apocaucus, ou qui plutôt n’en avaient pas partagé la gloire et qui s’étaient réfugiés dans une église, furent égorgés au pied des autels ; et la mort du monstre fut aussi funeste et aussi sanglante que l’avait été sa vie. Cependant ses talents soutenaient seuls la cause du jeune empereur ; après sa mort, ses partisans, remplis de soupçons les uns contre les autres, abandonnèrent la conduite de la guerre et rejetèrent toutes les offres de réconciliation. Dès le commencement de la guerre civile l’impératrice avait senti et avoué que les ennemis de Cantacuzène la trompaient ; mais le patriarche prêcha fortement contre le pardon des injures, et lia la princesse par un serment de haine éternelle qu’elle ne pouvait rompre sans s’exposer aux foudres redoutables de l’excommunication[31]. La haine d’Anne de Savoie fut bientôt indépendante de cette crainte, elle contempla les calamités de l’empire avec l’indifférence d’une étrangère. La concurrence d’une impératrice enflamma sa jalousie et elle menaça à son tour le patriarche, qui semblait incliner pour la paix, d’assembler un synode et de le dégrader de sa dignité. L’usurpateur aurait pu tirer un avantage décisif de la discorde et de l’incapacité de ses ennemis ; mais la faiblesse des cieux partis prolongea la guerre civile ; et la modération de Cantacuzène n’a point échappé au reproche d’indolence et de timidité. Il s’empara successivement des villes et des provinces, et le royaume de son pupille se trouva bientôt réduit à l’enceinte de Constantinople ; mais la capitale contrebalançait seule le reste de l’empire, et Cantacuzène, avant d’entreprendre cette importante conquête, voulait s’y assurer et la faveur publique et de secrètes intelligences. Un Italien nommé Facciolati[32] avait succédé à la dignité de grand-duc ; il commandait la flotte, les gardes et la porte d’or : cependant son humble ambition ne dédaigna point le prix de la perfidie ; la révolution s’exécuta, sans danger, et sans qu’il en coûtât une goutte de sang. Dépourvue de tout moyen de résistance et de tout espoir de secours, l’inflexible Anne de Savoie voulait encore défendre le palais : plutôt que de livrer Byzance à sa rivale, elle aurait volontiers réduit la ville en cendres ; mais les deux partis s’opposèrent également à ses fureurs, et le vainqueur, en dictant son traité, renouvela ses protestations de zèle et d’attachement pour le fils de son bienfaiteur. Le mariage de sa fille avec Jean Paléologue s’accomplit, et l’on stipula les droits héréditaires de son pupille ; mais toute l’administration fut confiée pour dix ans à Cantacuzène. On vit deux empereurs et trois impératrices s’asseoir à la fois sur le trône de Constantinople, et une amnistie générale calma les craintes et assura les propriétés des sujets les plus coupables. Un célébra les noces et le couronnement avec un extérieur de concorde et de magnificence également dépourvues de réalité. Durant les derniers troubles, on avait dissipé les trésors de l’État, et dégradé ou vendu jusqu’aux meubles du palais. La fable impériale fut servie en étain ou en poterie, et la vanité remplaça l’or et les bijoux par du verre et du plomb doré[33]. Je me hâte de conclure l’histoire personnelle de Jean Cantacuzène[34] : sa victoire lui valut l’empire ; mais le mécontentement des deux partis troubla son règne et ternit son triomphe. Ses partisans purent regarder l’amnistie générale comme un acte de pardon pour ses ennemis et d’oubli de ses amis[35]. Ils avaient vu pour sa cause leurs biens confisqués ou pillés ; réduits à l’aumône dans les rues de Constantinople, ils maudissaient la générosité intéressée d’un chef qui, placé sur le trône de l’empire, avait pu aisément renoncer à son patrimoine. Les adhérents de l’impératrice rougissaient de devoir leur vie et leur fortune à la faveur précaire d’un usurpateur, et les désirs de vengeance se couvraient du masque d’une tendre inquiétude pour les intérêts et même pour la vie du jeune empereur. Ils furent alarmés avec raison de la demande que firent les partisans de Cantacuzène d’être dégagés de leur serment de fidélité envers les Paléologues et mis en possession de quelques places de sûreté. Ils plaidèrent leur cause avec éloquence et n’obtinrent, dit l’empereur Cantacuzène lui-même, qu’un refus de ma vertu sublime et presque incroyable. Des séditions et des complots troublèrent continuellement son gouvernement ; il tremblait sans cesse que quelque ennemi étranger ou domestique n’enlevât le prince légitime pour faire de son nom et de ses injures le prétexte de la révolte. A mesure qu’il avançait en âge, le fils d’Andronic commençait à agir et à sentir par lui-même ; les vices qu’il avait hérités de son père hâtèrent, plutôt qu’ils ne les retardèrent, les progrès de son ambition naissante, et Cantacuzène, si nous pouvons en croire ses protestations, travailla avec un zèle sincère à le retirer de la honte de ses inclinations sensuelles, et à élever son âme au niveau de sa fortune. Dans l’expédition de Servie ; les deux empereurs, affectant l’un et l’autre un air de satisfaction et d’intelligence, se montrèrent ensemble aux troupes et aux provinces, et Cantacuzène initia son jeune collègue aux sciences de la guerre et du gouvernement. Après la conclusion de la paix, il laissa son rival à Thessalonique, résidence royale située sur la frontière, afin de le soustraire aux séductions d’une ville voluptueuse, et d’assurer par son absence la tranquillité de la capitale ; mais en s’éloignant il perdit de son pouvoir, et le fils d’Andronic, entouré de courtisans artificieux ou irréfléchis, apprit à haïr son tuteur, à déplorer son exil et à revendiquer ses droits. Il fit une alliance secrète avec le despote de Servie, et bientôt après déclara ouvertement sa révolte ; Cantacuzène, placé sur le trône d’Andronic l’Ancien, défendit la cause de l’âge et de la prééminence qu’il avait si vigoureusement attaquée durant sa jeunesse. À sa sollicitation, l’impératrice mère consentit à employer sa médiation, et fit un voyage à Thessalonique, d’où elle revint sans succès ; mais, à moins que l’adversité n’eût produit chez Anne de Savoie une grande métamorphose, on peu douter du zèle et même de la sincérité qu’elle mit dans cette démarche. Tout en retenant le sceptre d’une main ferme et vigoureuse, le régent avait chargé Anne de représenter à son fils que les dix années de l’administration de son beau-père allaient bientôt expirer, et que ce prince, après avoir essayé des vains honneurs de ce monde, ne soupirait que pour le repos du cloître et ne désirait que la couronne du ciel. Si ces sentiment eussent été sincères, il pouvait en abdiquant rendre la paix à l’empire, et tranquilliser sa propre conscience par un acte de justice. Paléologue était à l’avenir seul responsable de son gouvernement ; et quels que fussent ses vices, on ne pouvait pas en craindre des suites plus funestes que les calamités d’une guerre civile, dans laquelle les deux partis se servirent encore des Barbares et des infidèles pour consommer réciproquement leur propre destruction. Le secours des Turcs, qui s’établirent alors en Europe d’une manière définitive, fit encore triompher Cantacuzène dans cette troisième querelle ; et Paléologue, battu sur mer et sur terre, fut contraint de chercher un asile parmi les Latins de l’île de Ténédos. Son insolence et son obstination engagèrent le vainqueur dans une démarche qui devait rendre la querelle irréconciliable. Il revêtu son fils Matthieu de la pourpre, l’associa à l’empire, et établit ainsi la succession dans la famille des Cantacuzènes ; mais Constantinople était encore attachée au sang de ses anciens maîtres et cette dernière injure accéléra le retour de l’héritier légitime. Un noble Génois entreprit de rétablir Paléologue, obtint la promesse d’épouser sa sœur, et termina la révolution avec deux galères et deux mille cinq cents auxiliaires. Sous le prétexte de détresse, ces galères furent admises dans le petit port : on ouvrit une porte ; les soldats latins s’écrièrent tous ensemble : Victoire et longue vie à l’empereur Jean Paléologue ! et les habitants répondirent à leurs acclamations par un soulèvement en sa faveur. Il restait encore à Cantacuzène un parti nombreux et fidèle mais ce prince affirme dans son histoire (espère-t-il qu’on le croie ?) que, sûr d’obtenir la victoire, il en fit le sacrifice à la délicatesse de sa conscience ; et que ce fut volontairement, et pour obéir à la voix de la religion et de la philosophie, qu’il descendit du trône pour s’enfermer avec joie dans la solitude d’un monastère[36]. Dès qu’il eut renoncé à l’empire (janvier 1355), son successeur le laissa jouir paisiblement de la réputation de sainteté : il dévoua les restes de sa vie à l’étude et aux exercices de la piété monastique. Soit à Constantinople, où dans le monastère du mont Athos, le moine Josaphat fut toujours respecté comme le père temporel et spirituel de l’empereur, et il ne sortit de sa retraite que comme ministre de paix ; pour vaincre l’obstination et obtenir le pardon de son fils rebelle[37]. Cependant Cantacuzène exerça dans le cloître son esprit à la guerre théologique. Il aiguisa contre les Juifs et contre les mahométans tous les traits de la controverse[38] ; et, dans toutes les situations de sa vie, défendit avec un zèle égal la lumière divine du mont Thabor, question mémorable, et chef-d’œuvre de la folie religieuse des Grecs. Les fakirs de l’Inde[39] et les moines de l’Église orientale étaient également persuadés que, dans l’abstraction totale des facultés du corps et de l’imagination, le pur esprit pouvait s’élever à la jouissance ou à la vision de la Divinité. Les expressions de l’abbé qui gouvernait les monastères du mont Athos[40] dans le onzième siècle, développeront d’une manière plus sensible l’opinion et les pratiques de ces religieux. Quand vous serez seuls dans votre cellule, dit le docteur asiatique, fermez la porte et asseyez-vous dans un coin ; élevez votre imagination au-dessus de toutes les choses vaines et transitoires ; appuyez votre barbe et votre menton sur votre poitrine ; tournez vos regards et vos pensées vers le milieu de votre ventre, où est placé votre nombril, et cherchez l’endroit du cœur siége de l’âme. Tout vous paraîtra d’abord triste et sombre, mais si vous persévérez jour et nuit, vous éprouverez une joie ineffable. Dès que l’âme a découvert la place du cœur, elle se trouve enveloppée dans une lumière mystique et éthérée. Cette lumière, production d’une imagination malade, d’un estomac et d’un cerveau vides, était adorée des quiétistes comme l’essence pure et parfaite de Dieu lui-même. Tant que cette folie se renferma dans les monastères du mont Athos, les solitaires, simples dans leur foi, ne pensèrent point à s’informer comment l’essence divine pouvait être une substance matérielle, ou comment une substance immatérielle pouvait se rendre sensible aux yeux du corps. Mais sous le règne d’Andronic le Jeune, ces couvents reçurent la visite de Barlaam, moine de la Calabre[41], également versé dans la philosophie et la théologie, dans la langue des Grecs et celle des Romains, et dont le génie souple pouvait, selon l’intérêt du moment, soutenir leurs opinions opposées ; un solitaire indiscret révéla au voyageur les mystères de l’oraison mentale ou contemplative. Barlaam ne laissa point échapper l’occasion de ridiculiser les quiétistes qui plaçaient l’âme dans le nombril, et d’accuser les moines du mont Athos d’hérésie et de blasphème. Ses arguments forcèrent les plus instruits à renoncer aux opinions peu approfondies de leurs frères ou du moins à les dissimuler, et Grégoire Palamas introduisit une distinction scolastique entre l’essence de Dieu et son opération. Son essence inaccessible réside, selon Grégoire, au milieu d’une lumière éternelle et incréée, et cette vision béatifique des saints s’était manifestée aux disciples du mont Thabor, dans la transfiguration de Jésus-Christ. Mais cette distinction ne pût se soustraire au reproche de polythéisme ; Barlaam nia avec violence l’éternité de la lumière du mont Thabor, et accusa les palamites de reconnaître deux substances éternelles ou deux divinités, l’une visible et l’autre invisible. Du mont Athos, où la fureur des moines menaçait sa vie, le moine calabrois s’enfuit à Constantinople où ses manières agréables et polies lui gagnèrent la confiance du grand-domestique et celle de l’empereur. La cour et la ville prirent part à cette querelle théologique, suivie avec ardeur au milieu des désordres de la guerre civile. Mais Barlaam déshonora sa doctrine par sa fuite et son apostasie ; les palamites triomphèrent, et le patriarche Jean d’Apri, leur adversaire, fut déposé par le consentement unanime des deux factions de l’État. Cantacuzène présida en qualité d’empereur et de théologien le synode de l’Église grecque qui établit comme article de foi la lumière incréée du mon Thabor ; et après tant d’autres insultes, la raison humaine dut se regarder comme peu blessée par l’addition d’une seule absurdité. Un grand nombre de rouleaux de papier ou de parchemins furent salis de cette dispute ; les sectaires impénitents qui refusèrent de souscrire à ce nouveau symbole, furent privés des honneurs de la sépulture chrétienne. Mais dès le siècle suivant, cette question tomba dans l’oubli, et je ne vois point que le glaive ou le feu aient été employés à extirper l’hérésie du moine Barlaam[42]. J’ai réservé pour la fin de ce chapitre la guerre des Génois qui ébranla le trône de Cantacuzène et démontra la faiblesse de l’empire. Les Génois, qui occupaient le faubourg de Péra ou Galata depuis que les Latins avaient été chassés de Constantinople, recevaient cet honorable fief de la bonté du souverain ; on leur permettait de conserver leurs lois et d’obéir à leurs magistrats particuliers ; mais en se soumettant aux devoirs de vassaux et de sujets. On emprunta des Latins la dénomination expressive d’hommes liges[43], et leur podestat ou chef, avant de prendre possession de son office, prêtait à l’empereur le serment de fidélité. Gènes fit avec les Grecs une alliance solide, et s’engagea à fournir à l’empire, en cas de guerre défensive, une flotte de cent galères, dont la moitié devait être armée et équipée aux frais de la république. Michel Paléologue s’attacha durant son règne à relever la marine nationale, afin de ne plus dépendre d’un secours étranger ; et la vigueur d’e son gouvernement contint les Génois de Galata dans les bornes que l’insolence de la richesse et l’esprit républicain les disposaient souvent à franchir. Un de leurs matelots se vanta un jour que ses compatriotes seraient bientôt les maîtres de la capitale ; et tua le Grec qui s’était offensé de cette menace. Un de leurs vaisseaux de guerre, en passant devant le palais refusa le salut, et se permit ensuite quelques actes de piraterie sur la mer Noire. Les Génois se disposaient à défendre les coupables ; mais, environnés des troupes impériales dans le long village de Galata ouvert de toutes parts, prêts à se voir donner l’assaut, ils implorèrent humblement la clémence de leur souverain. La facilité de pénétrer dans leur résidence, en assurant leur soumission, les exposait aux attaques des Vénitiens ; leurs rivaux, qui, sous le règne d’Andronic l’Ancien, osèrent insulter la majesté du trône. A l’approche de leurs flottes ; les Génois se retirèrent dans la ville avec leurs familles et leurs effets. Le faubourg qu’ils habitaient fut réduit en cendres ; et le prince pusillanime, témoin de cet incendie, en témoigna pacifiquement son ressentiment dans une ambassade. Les Génois tirèrent un avantage durable de cette calamité passagère, et abusèrent bientôt de la permission qu’ils obtinrent d’environner Galata d’un mur fortifié, d’introduire l’eau de la mer dans le fossé, et de garnir le rempart de tours et de machines propres à le défendre. Les limites étroites de leur habitation ne purent contenir longtemps l’accroissement de leur colonie : ils acquirent successivement de nouveaux terrains, et les montagnes voisines se couvrirent de leurs maisons de campagne et de leurs châteaux qu’ils unirent et défendirent par de nouvelles fortifications[44]. Les empereurs grecs, maîtres du passage étroit qui forme pour ainsi dire la porte de la mer intérieure, regardaient le commerce et la navigation du Pont-Euxin comme une partie de leur patrimoine. Sous le règne de Michel Paléologue, le sultan d’Égypte reconnut leur prérogative, en sollicitant et en obtenant la permission d’expédier tous les ans un vaisseau dans la Circassie et dans la Petite-Tartarie, pour l’achat des esclaves ; permission dangereuse pour les chrétiens, puisque ces esclaves étaient ceux qu’on élevait pour recruter la redoutable troupe des mamelucks[45]. La colonie génoise de Péra fit avec avantage commerce lucratif de la mer Noire ; ils fournirent les Grecs de grains et de poissons, deux articles presque également indispensables à un peuple superstitieux. Il semble que la nature prenne soin de faire croître elle-même les fertiles moissons de l’Ukraine, produits d’une culture grossière et sauvage ; et les énormes esturgeons que l’on pêche vers l’embouchure du Don ou du Tanaïs, lorsqu’ils s’arrêtent dans le riche limon et les eaux profondes des Palus-Méotides, renouvellent sans cesse une exportation inépuisable de caviar et de poisson salé[46]. Les eaux de l’Oxus, de la mer Caspienne, du Volga et du Don, ouvraient un passage pénible et hasardeux aux épiceries et aux pierres précieuses de l’Inde. Après une marche de trois mois, les caravanes de Carizme trouvaient les vaisseaux d’Italie dans les ports de la Crimée[47]. Les Génois s’emparèrent de toutes ces branches de commerce et forcèrent les Vénitiens et les Pisans d’y renoncer. Ils tenaient les nationaux en respect par les villes et les forteresses qui s’élevaient insensiblement sur les fondements de leurs modestes factoreries ; et les Tartares assiégèrent inutilement Caffa[48], leur principal établissement. Les Grecs, totalement de pourvus de vaisseaux, étaient à la merci de ces audacieux marchands qui approvisionnaient ou affamaient Constantinople au gré de leur caprice ou de leur intérêt. Les Génois s’approprièrent la pêche, les douanes et jusqu’aux droits seigneuriaux du Bosphore, dont ils tiraient un revenu de deux cent mille pièces d’or ; et c’était avec répugnance qu’ils en laissaient trente mille à l’empereur[49]. La colonie de Péra ou Galata agissait soit en temps de paix, soit en temps de guerre, comme un État indépendant ; et le podestat génois oubliait souvent, comme cela arrivera toujours dans les établissements éloignés, qu’il dépendait de la république. L’insolence des Génois fut encouragée par la faiblesse d’Andronic l’Ancien et par les guerres civiles qui affligèrent sa vieillesse, et la minorité de son petit-fils. Les talents de Cantacuzène furent employés à ruiner l’empire plutôt qu’à le défendre ; et après avoir terminé victorieusement la guerre civile, il se trouva réduit à la honte de faire juger qui des Grecs ou des Génois devait régner à Constantinople. Le refus de quelques terres, voisines de quelques limiteurs où ils voulaient construire de nouvelles fortifications, offensa les marchands de Péra, et durant l’absence de l’empereur qu’une maladie retenait à Démotica, ils bravèrent le faible gouvernement de l’impératrice. Ces audacieux républicains attaquèrent et coulèrent bas un vaisseau de Constantinople, qui avait osé pêcher à l’entrée du port ; ils en massacrèrent l’équipage, et ensuite, au lieu de solliciter leur pardon, ils osèrent demander satisfaction. Ils prétendirent que les Grecs renonçassent à tout exercice de navigation, et repoussèrent avec des forces régulières les premiers mouvements de l’indignation du peuple. Tous les Génois de la colonie, sans distinction de sexe ni d’âge, travaillèrent avec une diligence incroyable à occuper le terrain qu’on leur refusait, à élever un mur solide, et à l’environner l’un fossé profond. En même temps, ils attaquèrent et brûlèrent deux galères byzantines. Trois autres, dans lesquelles consistaient les restes de la marine impériale, prirent la fuite pour éviter le même sort. Toutes les habitations situées hors du pont ou le long du rivage furent pillées et détruites ; le régent et l’impératrice ne s’occupèrent que de défendre la capitale. Le retour de Cantacuzène calma d’alarme publique. L’empereur inclinait pour des mesures pacifiques ; mais ses ennemis refusèrent toutes les propositions raisonnables, et il céda à l’ardeur de ses sujets, qui menaçaient les Génois, dans le style de l’Écriture, de les briser comme un vase d’argile, et qui payèrent cependant avec répugnance les taxes imposées pour la construction des vaisseaux et les dépenses de la guerre. Les deux nations étant maîtresses, l’une de la terre et l’autre de la mer, Constantinople et Péra éprouvaient également tous les inconvénients d’un siége. Les marchands de la colonie ; qui s’étaient flattés de voir terminer la querelle en peu de jours, commençaient à murmurer de leurs pertes ; la république de Gênes, déchirée par des factions, tardait à envoyer des secours ; et les plus prudents profitèrent de l’occasion d’un vaisseau de Rhodes pour éloigner leur fortune et leur famille du théâtre de la guerre. Au commencement du printemps, la flotte de Byzance, composée de sept galères et de quelques petits vaisseaux, sortit du port, cingla, rangée sur une seule ligne, vers le rivage de Péra, et présenta maladroitement le flanc à la proue de ses adversaires. Les équipages étaient composés de paysans ou d’ouvriers qui n’avaient point, pour compenser leur ignorance, le courage naturel des Barbares. Le vent était fort, la mer haute : à peine aperçurent-t-ils de loin l’escadre ennemie encore immobile, qu’ils se précipitèrent dans la mer, se livrant à un danger certain pour éviter un danger douteux. Les troupes qui marchaient à l’attaque des lignes de Péra, furent au même instant saisies de la même terreur panique, et les Génois furent étonnés, presque honteux du peu que leur avait coûté cette double victoire : ayant couronné de fleurs leurs vaisseaux, ils amarinèrent les galères abandonnées, et les promenèrent plusieurs fois en triomphe devant les murs du palais. La seule vertu que pût en ce moment exercer l’empereur était la patience, et l’espoir de la vengeance sa seule consolation. Cependant la détresse où se trouvaient réduits les deux partis, les contraignit à un arrangement momentané, et l’on essaya de couvrir la honte de l’empire de quelques légères apparences de dignité et de puissance. Cantacuzène, ayant convoqué les chefs de la colonie, feignit de mépriser l’objet de la contestation, et, après quelques doux reproches, accorda généreusement aux Génois les terres dont ils s’étaient emparés, et que, pour la forme seulement, il avait voulu ou paru remettre sous la garde de ses officiers[50]. Mais l’empereur fut bientôt sollicité de violer cet accord et de joindre ses armes à celles des Vénitiens, ennemis éternels des Génois et de leurs colonies. Tandis qu’il balançait entre la paix et la guerre, les habitants de Péra ranimèrent son juste ressentiment en lançant de leur rempart un bloc de pierre qui tomba au milieu de Constantinople. Lorsqu’il en fit des plaintes, ils s’excusèrent froidement sur l’imprudence de leur ingénieur. Mais ils recommencèrent dès le lendemain, et se félicitèrent d’une épreuve qui leur apprenait que Constantinople n’était point hors de l’atteinte de leur artillerie. Cantacuzène signa aussitôt le traité proposé parles Vénitiens, mais la jouissance de l’empire romain influa bien peu dans la querelle de ces deux riches et puissantes républiques[51]. Depuis le détroit de Gibraltar jusqu’à l’embouchure du Tanaïs, leurs flottes combattirent plusieurs fois sans avantages décisifs, et donnèrent enfin une bataille méritocratie dans l’étroite mer qui baigne les murs de Constantinople. Il ne serait pas facile de concilier ensemble les relations des Grecs, des Vénitiens et des Génois[52]. En suivant le récit d’un historien impartial[53], j’emprunterai de chaque nation les faits qui sont à son désavantage ou à l’honneur de ses ennemis. Les Vénitiens, soutenus de leurs alliés les Catalans, avaient l’avantage du nombre ; et leur flotte, en y comprenant le faible secoure de huit galères byzantines, était composée de soixante-quinze voiles. Les Génois, n’en avaient pas plus de soixante-quatre ; mais leurs vaisseaux de guerre surpassaient, dans ce siècle, en force et en grandeur, ceux de toutes les puissances maritimes. Les amiraux étaient Doria et Pisani, dont les familles et les noms tiennent une place honorable dans les annales de leur patrie ; mais les talents et la réputation du premier éclipsaient le mérite personnel de son rival. Doria attaqua les ennemis dans un moment de tempête, et le tumultueux dura depuis l’aurore jusqu’à la fin du jour. Les ennemis des Génois font l’éloge de leur valeur, et la conduite des Vénitiens n’obtient pas même l’approbation de leurs amis ; mais les deux partis admirent unanimement l’adresse et la valeur des Catalans, qui couverts de blessures, soutinrent tout l’effort du combat. Lorsque les deux flottes se séparèrent, la victoire pouvait paraître incertaine. Cependant si les Génois perdirent treize galères prises ou coulées bas, ils en détruisirent vingt-six, deux des Grecs, dix des Catalans, et quatorze des Vénitiens. Le chagrin des vainqueurs fit connaître qu’ils étaient accoutumés à compter sur des victoires plus décisives ; mais Pisani avoua sa défaite en se retirant dans un port fortifié, d’où ensuite, sous le prétexte d’exécuter les ordres du sénat, il fit voile avec les restes d’une flotte fugitive et en désordre pour l’île de Caddie, laissant la mer libre à ses rivaux. Dans une lettre adressée publiquement au doge et au sénat, Pétrarque[54] emploie son éloquence à réconcilier les deux puissances maritimes, les deux flambeaux de l’Italie. L’orateur célèbre la valeur et la victoire des Génois, qu’il considère comme les plus habiles marins de l’univers, et déplore le malheur de leurs frères les Vénitiens. Il les engage à poursuivre avec la flamme et le fer les vils et perfides Grecs, et à purger la capitale de l’Orient de l’hérésie dont elle est infectée. Abandonnés de leurs alliés, les Grecs ne pouvaient plus, espérer de faire résistance : trois mois après cette bataille navale, l’empereur Cantacuzène sollicita et signa un traité par lequel il bannissait pour toujours les Catalans et les Vénitiens, et accordait aux Génois tous les droits du commerce et presque de la souveraineté. L’empire romain (on ne peut s’empêcher de sourire en lui donnant encore ce nom) serait bientôt devenu une dépendance de Gênes, si l’ambition de cette république n’eût pas été arrêtée par la perte de sa liberté et la destruction de sa marine. Une longue rivalité de cent trente ans se termina par le triomphe de Venise ; et les factions des Génois forcèrent leur nation à chercher la paix domestique sous la domination d’un maître étranger, du duc de Milan ou du roi de France. Cependant, en renonçant aux conquêtes, les Génois conservèrent le génie du commerce ; la colonie de Péra continua de dominer la capitale, et resta maîtresse de la navigation de la mer Noire jusqu’au moment où la conquête des Turcs l’enveloppa dans la ruine de Constantinople. |
[1] Andronic justifie lui-même la liberté que nous prenons à son égard, par les invectives qu’il a prononcées (Nicéphore Grégoras, l. I, c. 1) contre la partialité de l’histoire ; il est vrai que sa censure est plus particulièrement dirigée contre la calomnie que contre l’adulation.
[2] Pour l’anathème trouvé dans le nid de pigeons, voyez Pachymère (l. IX, c. 24). Il raconte toute l’histoire d’Athanase (l. VIII, c. 13-16-20-24 ; l. X, c. 27-29-31-36 ; l. XI, c. 1-3-5, 6 ; l. XIII, c. 8-10-23-35), et il est suivi par Nicéphore Grégoras (l. VI, 5-7 ; l. VIII, c. 1-9), qui comprend dans son récit la seconde retraite de ce second Chrysostome.
[3] Pachymère, dans sept livres en 377 pages in folio, donne l’histoire des trente-six premières années d’Andronic l’Ancien, et fait connaître la date de son ouvrage par les nouvelles ou mensonges courants du jour (A. D. 1308). La mort ou le dégoût l’empêchèrent de continuer.
[4] Après un intervalle de deux ans depuis le moment où finit l’ouvrage de Pachymère, Cantacuzène prend la plume, et son premier livre (chap. 6-59, p. 9-150) renferme le récit des guerres civiles et des huit dernières années du règne d’Andronic l’Ancien. Le président Cousin, son traducteur, est l’auteur de la comparaison ingénieuse de Moïse et de César.
[5] Nicéphore Grégoras raconte en raccourci le règne et la vie entière d’Andronic l’Ancien (l. VI, c. 1 ; l. X, c. 1, p. 96-291). C’est de cette partie que Cantacuzène se plaint, comme d’une représentation fausse et malveillante de sa conduite.
[6] Il fût couronné le 21 mai 1295, et mourut le 12 octobre 1320 (Ducange, Fam. Byzant., p. 239). Son frère Théodore hérita, par un second mariage, du marquisat de Montferrat, embrassa la religion et les mœurs des Latins (Nicéphore Grégoras, l. IX, c. 1), et fonda une dynastie de princes italiens qui fut éteinte, en 1353 (Ducange, Fam. Byzant., p. 249-253).
[7] Nous devons à Nicéphore Grégoras (l VIII, c. 1) la connaissance de cette aventure tragique. Cantacuzène cache discrètement les vices du jeune Andronic, dont il fut le témoin et peut-être le complice (l. I, c. 1, etc.).
[8] Il destinait sa succession à Michel Catharus, bâtard de Constantin, son second fils. Nicéphore Grégoras (l. VIII, c. 3) et Cantacuzène (l. I, c. 1, 2). s’accordent sur le projet d’exclure son petit-fils Andronic.
[9] Voyez Nicéphore Grégoras, l. VIII, c. 6. Andronic le Jeune se plaignait qu’il lui était dû depuis quatre ans et quatre mois une somme de trois cent cinquante mille byzans d’or pour les dépenses de sa maison (Cantacuzène, l. I, c. 48). Cependant il aurait volontiers remis cette dette si on lui eût permis de rançonner les fermiers du revenu public.
[10] Je suis la chronologie de Nicéphore, qui est singulièrement exacte. Il est prouvé que Cantacuzène a fait des erreurs dans les dates de ses propres opérations, ou que son texte a été défiguré par l’ignorance des copistes.
[11] J’ai tâché de concilier les vingt-quatre mille pièces de Cantacuzène (l. II, c. 1) avec les dix mille de Nicéphore Grégoras (l. IX, c. 2). L’un voulait cacher, et l’autre cherchait à exagérer les calamités du vieil empereur.
[12] Voyez Nicéphore Grégoras, l. IX, 6, 7, 8-10-14 ; l. X, c. 1. L’historien avait partagé la prospérité de son bienfaiteur ; il le suivit dans sa retraite. Celui qui suit son maître jusqu’à l’échafaud ou dans le monastère, ne devrait pas être légèrement traité de mercenaire prostituant l’éloge.
[13] Cantacuzène (l. II, c. 1-40, p. 191-339) et Nicéphore Grégoras (l. IX, c. 11, p. 262-361) ont donné l’histoire du règne d’Andronic le Jeune depuis la retraite de son grand-père.
[14] Agnès ou Irène était fille du duc Henri le Merveilleux, chef de la maison de Brunswick, et le quatrième descendant du fameux Henri le Lion, duc de Saxe et de Bavière, et vainqueur des Slaves de la côte de la Baltique ; elle était sœur de Henri, que ses deux voyages en Orient firent surnommer le Grec ; mais ces deux voyages furent postérieurs au mariage de sa sœur, et je ne sais ni comment Andronic découvrit Agnès dans le fond de l’Allemagne, ni les raisons qui contribuèrent à former cette alliance (Rimius, Mémoires de la maison de Brunswick, p. 126-137).
[15] Henri le Merveilleux fut le fondateur de la branche de Grubenhagen, éteinte dans l’année 1596 (Rimius, p.287). Il habitait le château de Wolfenbuttel, et ne possédait qu’un sixième des Etats allodiaux de Brunswick et de Lunebourg, que la famille des Guelfes avait sauvés de la confiscation des grands fiefs. Les fréquents partages entre frères avaient presque anéanti les maisons des princes d’Allemagne, lorsque enfin les droits de primogéniture vinrent par degrés écarter cette loi juste, mais pernicieuse. La principauté de Grubenhagen, un des derniers débris de la forêt Hercynienne, est un pays stérile, rempli de bois et de montagnes (Géographie de Busching, vol. VI, p. 270-286, traduct. angl.).
[16] Le royal auteur des Mémoires de Brandebourg nous apprend combien le nord de l’Allemagne méritait encore, dans des temps beaucoup plus modernes, l’épithète de pauvre et de barbare (Essai sur les mœurs, etc.). Dans l’année 1306, des hordes de race venède, qui habitaient les bois de Lunebourg, avaient pour usage d’enterrer tout vivants les vieillards et les infirmes (Rimius, p. 136).
[17] On ne doit adopter qu’avec quelques restrictions l’assertion de Tacite, même relativement à son siècle, lorsqu’il prétend que l’Allemagne était totalement dépourvue de métaux précieux (Germania, c. 5 ; Annal., XI, 20). Selon Spener (Hist. Germania pragmatica, l. I, p. 351), argentifodinœ in Hercyntis montibus imperante Othone magno (A. D. 968) primum apertœ, largam etiam opes augendi dederunt copiam. Mais Rimius (p. 258, 259) diffère jusqu’à l’année 1016 la découverte des mines d’argent de Grubenhagen ou du Hartz supérieur, qu’on exploita dès le quatorzième siècle, et qui produisent encore des sommes considérables à la maison de Brunswick.
[18] Cantacuzène a rendu un témoignage très honorable : Ην δ’ εκ Γερμανων αυτη θυγατηρ δουκος ντι μπρουζουικ (les Grecs modernes se servent du ντ pour le d, et du μπ pour le b, et le tout fera en italien di Brunzuic), του παρ’ αντοις επιφανετατον, και λαμπροτητι παντας τους ομοφυλους υπερβαλλοντος του γενους. Cet éloge est équitable, et ne peut qu’être flatteur pour un Anglais.
[19] Anne ou Jeanne était une des quatre filles d’Amédée le Grand par un second mariage, et sœur de père de son successeur Edouard, comte de Savoie (Tables d’Anderson, p. 650). Voyez Cantacuzène, l. I, c. 40-42.
[20] Ce roi, supposé que le fait soit vrai, doit être Charles le Bel, qui, dans l’espace de cinq ans, épousa trois femmes (1321-1326 : Anderson, p. 628). Anne de Savoie fut reçue dans la ville de Constantinople dans le mois de février de l’année 1326.
[21] La noble race des Cantacuzènes, illustre dans les Annales de Byzance depuis le onzième siècle, tirait son origine des paladins de France, les héros de ces romans qui furent traduits et lus par les Grecs dans le treizième. Ducange, Fam. byzant., p. 258.
[22] Voyez Cantacuzène (l. III, c. 24-30-36).
[23] Saserne en Gaule, et Columelle en Italie ou en Espagne, calculent à raison de deux paires de bœufs, deux conducteurs et six manouvriers, pour deux cents jugera (cent vingt-cinq acres d’Angleterre de terres labourables), et ils ajoutent trois hommes de plus lorsqu’il s’y trouve du taillis (Columelle, de Re rustica, l. II, c. 13 p. 441, édit. de Gesner).
[24] En traduisant ce détail, le président Cousin, a commis trois erreurs palpables et essentielles : 1° il omet les mille paires de bœufs de labour ; 2° il traduit πεντακοσιαι προς δισχιλιαις, par le nombre de quinze cents ; 3° il confond myriades avec chyliades, et ne donne à Cantacuzène que cinq mille porcs. Ne vous fiez pas aux traductions.
[25] Voyez la régence et le règne de Jean Cantacuzène, et tout le cours de la guerre civile, dans sa propre histoire (l. III, c. 1-100, p. 348-700) et dans celle de Nicéphore Grégoras (l. XII, c. 1 ; l. XV, c. 9, p. 353-492).
[26] Il prit les souliers ou brodequins rouges, se coiffa d’une mitre d’or et de soie signa ses lettres avec de l’encre verte, et réclama pour la nouvelle Rome tous les privilèges que Constantin avait accordés à l’ancienne. Cantacuzène, l. III, c. 36 ; Nicéphore Grégoras, l. XIV, c. 3.
[27] Nicéphore Grégoras (l. XII, c. 5) atteste l’innocence et les vertus de Cantacuzène, les vices honteux et le crime d’Apocaucus, et ne dissimule point ses motifs d’inimitié personnelle et religieuse pour le premier.
[28] On nommait les princes de Servie (Ducange, Fam. dalmat., etc., c. 2, 3, 4-9) despotes en langue grecque, et trais dans leur idiome national (Ducange, Gloss. græc., p. 751). Ce titre, l’équivalent de roi, paraît tirer son origine de la Sclavonie, d’où il est passé chez les Hongrois, chez les Grecs et même chez les Turcs (Leunclavius, Pandect. turc., p. 422) , qui réservent le nom de padishah pour l’empereur. Obtenir le premier au lieu du dernier, est l’ambition des Français à Constantinople (Avertissement à l’Histoire de Timur-Bec, p. 39).
[29] Nicéphore Grégoras, l. XII, c. 14. Il est surprenant que Cantacuzène n’ait point inséré dans ses propres écrits cette comparaison juste et ingénieuse.
[30] Les deux prisonniers qui assommèrent Apocaucus étaient l’un et l’autre des Paléologues, et pouvaient ressentir en prison la honte de leurs fers. Le fait de la mort d’Apocaucus mérite qu’on renvoie le lecteur à Cantacuzène (l. III, c. 86) et à Nicéphore Grégoras (l. XIV, c. 10).
[31] Cantacuzène accuse le patriarche et épargne l’impératrice, mère de son souverain (l. III, 33, 34) contre laquelle Nicéphore exprime une animosité particulière (l. XIV, 10, 11 ; XV, 5). Il est vrai qu’ils ne parlent pas exactement de la même époque.
[32] Nicéphore Grégoras révèle la trahison et le nom du traître (l. XV, c. 8), mais Cantacuzène (l. III, c. 99) supprime discrètement le nom de celui qu’il avait daigné compter pour son complice.
[33] Nicéphore Grégoras, l. V, 11. Il y avait cependant encore quelques perles fines, mais bien clairsemées ; le reste des pierres n’avait que παντοδαπην χροιαν προς το διαυγες.
[34] Cantacuzène continue son histoire et celle de l’empire depuis son retour à Constantinople jusqu’à l’année qui suivit celle où son fils Matthieu abdiqua, A. D. 1357 (l. IV, c. 1-50, p. 705-911), Nicéphore Grégoras finit la sienne au synode de Constantinople, dans l’année 1351 (l. XXII, c. 3, p. 660, le resta, jusqu’à la fin du l. XXIV, p. 717, ne traite que de controverse) et ses quatorze derniers livres sont encore en manuscrit dans la Bibliothèque royale à Paris.
[35] L’empereur Cantacuzène (l. IV, c. 1) parle de ses propres vertus, et Nicéphore Grégoras des plaintes des ramis de ce prince, que ses vertus réduisaient à la misère. Je leur ai prêté les expressions de nos pauvres chevaliers ou partisans de Charles après la restauration.
[36] On peut suppléer à l’apologie ridicule de Cantacuzène, qui raconte (l. IV, c. 39-42) sa propre chute avec une confusion visible, par la relation moins complète, mais plus sincère, de Matthieu Villani (l. IV, c. 46, in Script. rerum ital., t. XIV, p. 268), et par celle de Ducas (c. 10, 11).
[37] Cantacuzène reçut dans l’année 1375 une lettre du pape (Fleury, Hist. ecclés., t. XX, p. 250) ; et des autorités respectables placent sa mort au 20 novembre 1411 (Ducange, Fam. byzant., p. 260). Mais s’il était de l’âge d’Andronic le Jeune, compagnon de sa jeunesse et de ses plaisirs, il faut qu’il ait vécu cent seize ans, et cette longue carrière d’un si illustre personnage aurait été généralement remarquée.
[38] Ses quatre discours ou livres furent imprimés à Bâle en 1543 (Fabricius, Bibl. græc., t. VI, p. 473) ; il les composa pour tranquilliser un prosélyte que ses amis d’Ispahan persécutaient continuellement de leurs lettres. Cantacuzène avait lu le Koran ; mais je vois, d’après Maracci, qu’il adoptait toutes les fables que l’on débitait contre Mahomet et sa religion.
[39] Voyez les Voyages de Bernier, t. I, p. 127.
[40] Mosheim, Instit. ecclés., p. 522, 523 ; Fleury, Hist. ecclés., t. XX, p. 22-24-107-114 ; etc. Le premier développe philosophiquement les causes ; le second transcrit et traduit avec les préjugés d’un prêtre catholique.
[41] Basnage (in Canisii antiq. Lect., t. IV, p. 363-368) a examiné l’histoire et le caractère de Barlaam. La contradiction de ses opinions en différentes circonstances a fait naître des doutes sur l’identité de sa personne. Voyez aussi Fabricius, Bibl. grœc., t. X, p. 421-432.
[42] Voyez Cantacuzène (l. II, c. 39-40 ; l. IV, c. 3-23, 24, 25) et Nicéphore Grégoras (l. XI, c. 10 ; l. XV, c. 3-7) dont les derniers livres, depuis le dix-neuvième jusqu’au vingt-quatrième, ne traitent guère que de ce sujet, si intéressant pour les auteurs. Boivin (in Vit. Nicéph. Grég.), d’après les livres qui n’ont point été publié, et Fabricius (Biblioth. grœc., t. X, p. 462-473), ou plutôt Montfaucon, d’après des manuscrits de la bibliothèque de Coislin, ont ajouté quelques faits à quelques documents.
[43] Pachymère (l. V, p. 10) traduit très bien λιξιους (ligios) par ιδιους. Les Glossaires de Ducange enseignent amplement l’usage de ces mots en grec et en latin sous le règne féodal (Græc., p. 811, 812 ; Latin., t. IV, p. 109-111).
[44] Ducange décrit l’établissement et les progrès des Génois à Péra ou Galata (C. P. Christiana, l. I, p. 68, 69), d’après les historiens de Byzance, Pachymère (l. II, c. 35 ; l. V, 10-30 ; l. IX, 15 ; l. XII, 6-9), Nicéphore Grégoras (l. V, c. 4 ; l. VI, c. 11 ; l. IX, c. 5 ; l. XI ; c. 1 ; l. XV, c. 1-6), et Cantacuzène (l. I, c. 12 ; l. II, c. 29, etc.).
[45] Pachymère (l. III, c. 3, 4, 5), et Nicéphore Grégoras (l. IV, c. 7) sentent et déplorent l’un et l’autre les effets de cette pernicieuse indulgence. Bibaras, sultan d’Egypte, et Tartare de nation mais zélé musulman, obtint des enfants de Gengis la permission de construire une mosquée dans la capitale de la Crimée (de Guignes, Hist. des Huns, t. III, p. 343).
[46] On assura Chardin à Caffa (Voyages en Perse, t. I, p. 48) que des poissons avaient ; quelquefois jusqu’à vingt-six pieds de longueur, pesaient huit ou neuf cents livres, et donnaient trois ou quatre quintaux de caviar ou d’œufs. Du temps de Démosthènes, le Bosphore fournissait de grains la ville d’Athènes.
[47] De Guignes, Hist. des Huns, t. III, p. 343 ; 344 ; Voyages de Ramusio, t. I, fol. 400. Mais ce transport par terre ou par eau n’était praticable que lorsque toutes les hordes de Tartares étaient réunies sous le gouvernement d’un prince sage et puissant.
[48] Nicéphore Grégoras (l. XIII, c. 12) se montre judicieux, et bien instruit, en parlant du commerce et des colonies de la mer Noire. Chardin décrit les ruines de Caffa, où il vit en quarante jours plus de quatre cents voiles employées au commerce de grains et de poisson (Voyages de Perse, t. I, c. 46-48).
[49] Voyez Nicéphore Grégoras, l. XVII, c. 1.
[50] Cantacuzène (l. IV, c. 11) raconte les événements de cette guerre, mais son récit est obscur et confus ; celui de Nicéphore Grégoras (l. XVII, c. 1-7) est clair et fidèle ; le prêtre était moins responsable que le prince, des fautes et de la défaite de la flotte.
[51] Cantacuzène est encore obscur dans le récit de cette seconde guerre (l. IV, c. 18, p. 24, 25-28-32) ; il déguise ce qu’il n’ose nier. Je regrette cette partie de Nicéphore Grégoras, qui est encore en manuscrit à Paris.
[52] Muratori (Annali d’Italia, t. XII, p. 144) renvoie aux anciennes Chroniques de Venise (Caresinus, continuateur d’André Dandolo, t. XII, p. 421, 422) et de Gènes (George Stella, Annales genuenses, t. XVII, p. 1091, 1092). Je les ai consultées soigneusement l’une et l’autre dans la grande Collection des Historiens de l’Italie.
[53] Voyez la Chronique de Matthieu Villani de Florence (l. II, c. 59, 60, p. 145-147 ; c. 74, 75, p. 156, 157, dans la Collection de Muratori, t. XIV).
[54] L’abbé de Sade (Mémoires sur la vie de Pétrarque, t. III, p. 257-263) a traduit cette lettre, qu’il avait copiée dans un manuscrit de la Bibliothèque du roi de France. Quoique attaché au duc de Milan, Pétrarque ne cache ni sa surprise ni ses regrets de la défaite et du désespoir des Génois dans l’année suivante (p. 323-332).