Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

Chapitre III

De la constitution de l’empire romain dans le siècle des Antonins.

 

 

UNE monarchie, selon la définition la plus générale, est un État dans lequel une seule personne, quelque nom qu’on lui donne, est chargée de l’exécution des lois, de la direction des revenus, et du commandement des armées ; mais, à moins que des protecteurs vigilants, et intrépides ne veillent à la liberté publique, l’autorité d’un magistrat aussi formidable dégénère bientôt en despotisme. Dans le siècle de la superstition, le genre humain, pour assurer ses droits, aurait pu tirer parti de l’influence du clergé ; mais il existe une union si intime entré le trône et l’autel, que l’on a vu bien rarement la bannière de l’Église flotter du côté du peuple : une noblesse belliqueuse et, des communes inflexibles, attachées à leur propriété, prêtes à la défendre les armes à la main, et réunies dans des assemblées régulières, sont la seule digue qui puisse sauver une constitution libre des attaques d’un prince entreprenant.

La constitution de la république romaine n’existait plus ; la vaste ambition du dictateur l’avait renversée ; la main cruelle du triumvir lui porta les derniers coups. Après la victoire d’Actium, le destin de l’univers dépendit de cet Octave, surnommé César en vertu de l’adoption de son oncle, et décoré ensuite du titre d’Auguste par la flatterie du sénat. Le vainqueur était à la tête de quarante-quatre légions[1], toutes composées de vétérans[2], pleines du sentiment de leurs forces, méprisant la faiblesse de la constitution, accoutumées, pendant vingt ans de guerre, à répandre des flots de sang et à commettre toutes sortes de violences ; enfin, passionnément dévouées à la maison de César, dont elles avaient déjà reçu  et dont elles attendaient encore des récompenses excessives. Les provinces, longtemps opprimées par les ministres de la république, soupiraient après le gouvernement d’un seul homme, qui fût le maître et non le complice de cette foule de petits tyrans. Le peuple de Rome, triomphant en secret de la chute de l’aristocratie, ne demandait que du pain et des spectacles ; et il était séduit par la libéralité d’Auguste, qui s’empressait de satisfaire ses désirs. Les plus riches habitants de l’Italie avaient presque tous embrassé la philosophie d’Épicure ; ils jouissaient des douceurs de la paix et d’une heureuse tranquillité, sans se livrer aux idées de cette ancienne liberté si tumultueuse, dont le souvenir aurait pu troubler le songe agréable d’une vie entièrement consacrée au plaisir. Avec sa puissance, le sénat avait perdu sa dignité ; un grand nombre des plus nobles familles étaient éteintes ; ce qui resta de républicains utiles et zélés, avait péri dans les proscriptions ou les armes à la main, et cette assemblée, ouverte à dessein à une multitude sans choix, était actuellement composée de plus de mille personnes, qui déshonoraient leur rang, au lien d’en être honorées[3].

Lorsque Auguste n’eut plus d’ennemis, il montra, par le soin qu’il prit de réformer le sénat, qu’il ne voulait pas être le tyran de sa patrie, mais qu’il aspirait à en être le père. Élu censeur, de concert avec son fidèle Agrippa, il examina la liste des sénateurs ; il en chassa un petit nombre, dont les vices ou l’opiniâtreté exigeaient un exemple public. Près de deux cents, à sa persuasion, prévinrent, par une retraite volontaire, la honte d’une expulsion. Il fut ordonné que l’on ne pourrait entrer dans le sénat sans posséder environ dix mille livres sterling. De nouvelles familles patriciennes remplirent le vide qu’avaient occasionné les fureurs des guerres civiles. Enfin Auguste se fit nommer prince du sénat, titre honorable, que les censeurs n’avaient jamais donné qu’au citoyen le plus distingué par son crédit et par ses services[4]. Mais en même temps qu’il rétablissait la dignité de ce corps respectable, il en détruisait l’indépendance. Les principes d’une constitution libre sont perdus à jamais lorsque l’autorité législative est créée par le pouvoir exécutif[5].

Devant cette assemblée, ainsi préparée et formée selon ses vues, Auguste prononça un discours étudié, .où l’ambition était cachée sous le voile du patriotisme. Il déplorait, mais cherchait à excuser sa conduite passée. La piété filiale avait exigé, qu’il vengea le meurtre de son père ; son humanité s’était trouvée quelquefois obligée de céder aux lois cruelles de la nécessité ; il s’était vu forcé de s’unir à d’indignes collègues. Tant qu’Antoine avait vécu, il avait dû défendre la république de la domination d’un Romain dégénéré et d’une reine barbare. Libre maintenant de satisfaire à la fois à son devoir, à son inclination, il rendait solennellement au sénat et au peuple leurs anciens droits. Son seul désir était de se mêler dans la foule de ses concitoyens, et de partager avec eux, le bonheur qu’il avait obtenu à sa patrie[6].

Si Tacite avait été présent à cette séance, il n’eût appartenu qu’à ce grand écrivain d’exprimer l’agitation du sénat. Sa plume seule aurait pu décrire les sentiments cachés des uns et le zèle affecté des autres. Il était dangereux d’ajouter foi aux paroles d’Auguste ; paraître douter de sa sincérité aurait pu devenir encore plus funeste. Les avantages respectifs de la monarchie et du gouvernement républicain ont souvent été balancés par des  écrivains spéculatifs. En cette circonstance, la grandeur de Rome, la corruption des mœurs, la licence des soldats, ajoutaient beaucoup de force aux raisons qui pouvaient faite pencher au côté de la monarchie; à ces principes généraux de gouvernement se trouvaient mêlées les espérances et les craintes de chaque particulier. Au milieu de cette incertitude, la réponse des sénateurs fut unanime et décisive : ils refusèrent d’accepter la résignation d’Auguste ; ils le conjurèrent de ne pas abandonner la république qu’il avait sauvée. Après une feinte résistance, l’habile tyran se soumit aux ordres du sénat. Il consentit à recevoir le gouvernement des provinces, et le commandement général des armées romaines, sous les titres si connus de proconsul et d’empereur[7] ; mais il déclara qu’il n’acceptait ce pouvoir que pour dix ans. Il se flattait, disait-il, qu’avant expiration de ce terme, les blessures faites, à l’État par les discordes civiles seraient entièrement fermées et que la république, rendue à son ancienne splendeur, n’aurait plus besoin de la dangereuse interposition d’un magistrat si extraordinaire. Cette comédie fut jouée plusieurs fois pendant la vie d’Auguste, et l’on en conserva la mémoire jusqu’aux derniers âges de l’empire : les monarques perpétuels de Rome célébrèrent toujours, avec une pompe solennelle, la dixième année de leur règne[8].

Le général des armées romaines pouvait, sans enfreindre en aucune manière les principes de la constitution, recevoir et exercer une autorité presque despotique sur les soldats, sur les ennemis et sur les sujets de la république : quant aux soldats, dès les premiers temps de Rome, le jaloux sentiment de la liberté avait fait place parmi eux à l’espoir des conquêtes, et à une juste idée de la discipline militaire. Le dictateur ou le consul pouvait exiger de tout jeune Romain qu’il portât les armes. Ceux qui, par lâcheté ou par opiniâtreté, refusaient d’obéir, s’exposaient aux châtiments les plus sévères et les plus ignominieux. Le coupable était retranché de la liste des citoyens, ses biens confisqués, sa personne vendue pour l’esclavage[9]. Les droits les plus sacrés de la liberté, confirmés par la loi Porcia et la loi Sempronia, étaient absolument suspendus par l’engagement militaire. Le général avait droit de vie et de mort dans son camp : son autorité n’était soumise à aucune forme légale ; il jugeait en dernier ressort ; et l’exécution suivait de près la sentence[10]. L’autorité législative désignait l’ennemi que la république avait à combattre. Dans les occasions les plus importantes, le sénat décidait de la guerre et de la paix, et ses résolutions devaient être solennellement ratifiées par le peuple ; mais dans les régions situées à une grande distance de l’Italie, les généraux n’attendaient pas d’ordre supérieur pour déclarer la guerre à une nation ; ils agissaient de la manière qui leur paraissait la plus avantageuse au bien public.

Ce n’était point sur la justice de leurs entreprises qu’ils s’appuyaient pour demander l’honneur du triomphe ; le succès était leur seul titre. Ils usaient de la victoire en despotes, et ils exerçaient une autorité sans bornes, principalement lorsqu’ils n’étaient plus retenus par la présence des commissaires du sénat. Pompée, dans son gouvernement de l’Asie, récompensa les légions et les alliés de l’État, détrôna des princes, démembra des royaumes, fonda des colonies, et distribua les trésors de Mithridate : à son retour à Rome, il obtint, par un seul acte du sénat et du peuple la ratification générale de tout ce qu’il avait fait[11]. Tel était le pouvoir dont jouissaient, légalement ou par usurpation, les généraux des armées romaines sur les soldats et sur les ennemis de la république. Ils étaient en même temps gouverneurs, ou plutôt souverains, des provinces conquises ; ils réunissaient l’autorité civile et militaire, administraient la justice, étaient chargés de la direction des finances, et exerçaient la puissance exécutive et législative de l’État.

D’après ce que nous avons déjà rapporté dans le premier chapitre de cet ouvrage, on peut se former une idée des armées et des provinces de l’empire, lorsque Auguste prit en main les rênes du gouvernement. Comme il eût été impossible à ce prince de commander en personne les légions répandues sur des frontières éloignées, il obtint, comme Pompée, la permission de confier son autorité à des lieutenants. Ces officiers paraissent avoir eu le même rang et le même pouvoir que les anciens proconsuls ; mais leur commandement était subordonné et précaire : ils tenaient leur commission des mains d’un chef suprême, qui s’attribuait la gloire de leurs exploits ; ils n’agissaient que sous ses auspices[12] ; en un mot, ils étaient les représentants de l’empereur, seul général de la république, et dont l’autorité civile et militaire s’étendait sur tous les domaines de Rome. Le sénat avait la satisfaction de voir que ses membres jouissaient seuls de ces dignités importantes. Les lieutenants de l’empire étaient choisis parmi les anciens consulaires, ou les anciens préteurs ; les légions avaient à leur tête des sénateurs, et de tous les gouvernements de provinces, il n’y eut que la préfecture d’Égypte qui fut confiée à un chevalier romain.

Auguste venait d’être élevé au premier rang ; six jours après, il résolut de satisfaire, par un sacrifice aisé, la vanité des sénateurs. Il leur représenta que son pouvoir s’étendait même au delà des bornes qu’il avait été nécessaire de tracer, pour remédier aux maux de l’État. On ne lui avait pas permis, disait-il, de refuser le commandement pénible des armées et des frontières, mais il insistait pour avoir la liberté de faire passer les provinces plus tranquilles sous la douce administration du magistrat civil. Dans la division des provinces, Auguste consulta également son intérêt personnel et la dignité de la république. Les proconsuls nommés par le sénat, et principalement ceux de l’Asie, de la Grèce et de l’Afrique, jouissaient d’une distinction plus honorable que les lieutenants de l’empereur, qui commandaient dans la Gaule ou en Syrie. Les premiers étaient accompagnés de licteurs, ceux-ci avaient à  leur suite des soldats[13]. Il fut cependant statué par une loi que la présence de l’empereur suspendrait, dans chaque département, l’autorité ordinaire du gouverneur. Les nouvelles conquêtes devinrent une portion du domaine impérial, et l’on s’aperçut bientôt que la puissance du prince, dénomination favorite d’Auguste, était la même dans toutes les parties de l’empire.

En retour de cette concession imaginaire, Auguste obtint un privilège important, qui le rendait maître de Rome et de l’Italie. Il fut autorisé à retenir le commandement militaire, et à conserver auprès, de sa personne une garde nombreuse, même en temps de paix et dans le centre de la capitale ; prérogative dangereuse, qui renversait les anciennes maximes. Il n’avait réellement d’autorité que sur les citoyens engagés dans le service par le serment militaire ; mais les Romains étaient si portés à l’esclavage, que les magistrats ; les sénateurs et l’ordre équestre, s’empressèrent de prêter ce serment. Enfin, l’hommage de la flatterie fut converti insensiblement en une protestation de fidélité, qui se renouvelait tous les ans avec une pompe solennelle.

Auguste regardait la force militaire comme la base la plus solide du gouvernement ; mais il ne pouvait se dissimuler combien un pareil instrument devait paraître odieux. Son caractère et sa politique lui firent adopter des mesures plus sages ; il aima mieux régner sous les tiares respectables de l’ancienne magistrature, et rassembler sur sa tête tous les rayons épars de l’autorité civile. Dans cette vue, il permit au sénat de lui donner pour sa vie le consulat[14] et la puissance tribunitienne[15]. Tous les empereurs imitèrent son exemple. Les consuls avaient succédé aux premiers rois de Rome ; ils représentaient la nation, avaient l’inspection sur les cérémonies de la religion, levaient et commandaient les armées, donnaient l’audience aux ambassadeurs étrangers, et présidaient aux assemblées du sénat et du peuple. L’administration des finances leur était confiée ; et quoiqu’il leur fût rarement possible de rendre la justice en personne, la nation voyait en eux les défenseurs suprêmes des lois, de la paix et de l’équité. Telles étaient leurs fonctions ordinaires ; mais ce premier magistrat se trouvait au-dessus de toute juridiction, dès que le sénat lui enjoignait de veiller à la sûreté dé la république : alors, pour conserver la liberté, il exerçait un despotisme momentané[16].

Les tribuns s’offraient à tous égards sous un aspect différent de celui que présentait la dignité de consul : leur apparence extérieure était humble et modeste, mais leur personne était sacrée ; ils avaient moins de force pour agir que pour repousser. Chargés par leur institution de défendre les opprimés, de pardonner les offenses et d’accuser les ennemis du peuple, ils pouvaient, lorsqu’ils le jugeaient à propos, arrêter d’un seul mot toute la machine du gouvernement. Tant que la république subsista, l’on n’eut rien à redouter du crédit que des citoyens auraient pu retirer de ces places importantes. Elles étaient entourées de plusieurs barrières : l’autorité qu’elles donnaient expirait au bout d’un an ; on élisait deux consuls, les tribuns étaient au nombre de dix ; et comme les vues publiques et particulières de ces différents magistrats se trouvaient diamétralement opposées, cette divergence d’intérêts, loin de détruire la constitution, contribuait à en maintenir la balance toujours égale[17] ; mais lorsque les puissances consulaire et tribunitienne furent réunies, lorsqu’une seule personne s’en trouva revêtue pour toute sa vie, lorsque le général de l’armée devint en même temps le ministre du sénat et le représentant du peuple, il fut impossible de résister à l’autorité impériale ; on eût même entrepris difficilement d’en tracer les limités.

A cette accumulation d’honneurs, la politique d’Auguste ajouta bientôt les brillantes et importantes dignités de grand pontife et de censeur. L’une lui donnait le droit de veiller la religion, l’autre une inspection légale sur les mœurs et  sur les fortunes du peuple romain. Si la nature particulière de tant de pouvoirs distincts, et jusqu’alors séparés l’un de l’autre, apportait quelque obstacle à leur réunion dans une même main, la complaisance du sénat était prête à faire disparaître ces inconvénients et à remplir tous les intervalles par les concessions les plus étendues. Les empereurs étaient les premiers ministres de la république : comme tels, ils furent dispensés de l’obligation et de la peine de plusieurs lois incommodes. Ils pouvaient convoquer le sénat, proposer dans le même jour plusieurs questions, présenter les candidats destinés aux grandes charges, étendre les limites de la ville, disposer à leur gré des revenus de l’État, faire la paix et la guerre, ratifier les traités : enfin, en vertu d’un pouvoir encore plus étendu, il leur était permis d’exécuter ce qui leur paraissait être le plus avantageux a l’empire, et convenir le mieux à la majesté des lois du gouvernement et de la religion[18].

Lorsque toutes les différentes branches de la puissance exécutive eurent été remises à un seul chef, les autres magistrats languirent dans l’obscurité. Dépouillés de leur autorité, à peine même leur laissait-on la connaissance de quelques affaires. Auguste conserva avec le plus grand soin le nom et les formes de l’ancienne administration. On élisait tous les ans, avec les cérémonies ordinaires, le même nombre, de consuls, de préteurs et de tribuns[19], qui tous continuaient à exercer quelques-unes des fonctions les moins importantes de leur charge. Ces honneurs excitaient encore la frivole ambition des Romains. Les empereurs mêmes, quoique revêtus pour toute leur vie du consulat, se mettaient souvent sur les rangs pour obtenir ce titre, et ils ne dédaignaient pas de le partager avec les plus illustres d’entre leurs concitoyens[20]. Durant le règne d’Auguste on souffrit que le peuple, dans l’élection de ces magistrats, offrit le spectacle de tous les inconvénients qui accompagnent la plus turbulente démocratie. Loin de laisser apercevoir le moindre signe d’impatience, ce prince adroit sollicitait humblement pour lui, ou pour ses amis, les suffrages du peuple, et il remplissait avec la dernière exactitude tous les devoirs d’un candidat ordinaire[21]. Mais, selon toutes les apparences, son successeur n’agit que par ses conseils, lorsque, pour première mesure de son règne, il transporta le droit d’élection au sénat de Rome[22]. Les assemblées du peuple furent abolies pour jamais ; et les souverains n’eurent plus à redouter les caprices d’une multitude dangereuse, qui, sans rétablir la liberté, aurait pu troubler la nouvelle administration, et peut-être y porter des atteintes, mortelles.

Marius et César, en se déclarant les protecteurs du peuple, avaient renversé la constitution de leur patrie : mais dès que le sénat eut été humilié, et qu’il eut perdu toute sa force, cette assemblée, composée de cinq ou six cents personnes, devint entre les mains du despotisme un instrument utile et flexible. Ce fut principalement sur la dignité du sénat qu’Auguste et ses successeurs fondèrent leur nouvel empire ; ils affectèrent, en toute occasion, d’adopter le langage et les principes des patriciens. Dans l’exercice de leur puissance, ils consultaient le souverain conseil de la nation, et ils paraissaient se conformer à ses décisions pour les grands intérêts de la paix et de la guerre. Rome, l’Italie et les provinces intérieures, étaient sous le gouvernement direct du sénat. Ce tribunal décidait en dernier ressort de toutes les affaires civiles : quant au criminel, il connaissait des prévarications commises par les hommes en place, et des délits qui intéressaient la tranquillité ou la majesté du peuple romain. L’exercice du pouvoir judiciaire devint la plus habituelle et la plus sérieuse des occupations du sénat. Les causes importantes ouvraient une carrière brillante aux grands orateurs : c’était le dernier asile où venait se réfugier l’ancien génie de l’éloquence. Comme conseil de la nation et comme cour de justice, le sénat jouissait de prérogatives très considérables ; tandis qu’en sa qualité de corps législatif, il était supposé représenter le peuple, et, paraissait avoir conservé les droits de la souveraineté. Les lois recevaient leur sanction de ses décrets : toute puissance était dérivée de son autorité. Il s’assemblait régulièrement trois fois par mois, aux calendes, aux nones et aux ides. On discutait les affaires avec une honnête liberté ; et les empereurs, qui se glorifiaient du titre de sénateur, prenaient séance, donnaient leur voix, et se confondaient avec leurs égaux.

Résumons en peu de mots le système du gouvernement impérial institue par Auguste et maintenu par ceux de ses successeurs qui connurent leurs véritables intérêts et ceux du peuple : c’était une monarchie absolue,  revêtue de toute la forme d’une république. Les souverains de ce vaste État plaçaient leur trône au milieu des nuages. Soigneux de dérober, aux yeux de leurs sujets leur force irrésistible, ils faisaient profession d’être les ministres du sénat, et obéissaient aux décrets suprêmes qu’ils avaient eux-mêmes dictés[23].

L’aspect de la cour répondait aux formes de l’administration. Si nous en exceptons ces tyrans qui, emportés par leurs folles passions, foulaient aux pieds toutes les lois de la nature, et de la décence, les empereurs dédaignèrent une pompe dont l’éclat aurait pu offenser leurs concitoyens, sans rien ajouter à leur puissance réelle. Dans tous les détails de la vie, ils semblaient oublier la supériorité de leur rang : souvent ils visitaient leurs sujets, et les invitaient à venir partager leurs plaisirs ; leurs habits, leur table, leur palais, n’avaient rien qui les distinguât d’un sénateur opulent : leur maison, quoique nombreuse et brillante, n’était composée que d’esclaves et d’affranchis[24], Auguste ou Trajan aurait rougi d’abaisser le dernier des citoyens à ces emplois domestiques que les nobles les plus fiers de la Grande-Bretagne sont aujourd’hui si ambitieux d’obtenir dans la maison et dans le service personnel du chef d’une monarchie limitée.

Si les empereurs peuvent être accusés d’avoir passé les bornes de la prudence et de la modestie qu’ils avaient eux-mêmes tracées, c’est lorsqu’ils ont voulu être mis au rang des dieux[25]. Ce culte impie, et dicté par une basse adulation, fût institué dans l’Asie en l’honneur des successeurs d’Alexandre[26]. Des monarques il fut aisément transféré aux gouverneurs de cette contrée : bientôt les magistrats romains, adorés comme des divinités de la province, eurent des, temples où brillait la pompe des fêtes et des sacrifices[27]. Il était bien naturel que les empereurs acceptassent ce que de simples proconsuls n’avaient pas refusé. Ces honneurs divins, rendus dans les provinces, attestaient plutôt le despotisme que la servitude de Rome mais les nations vaincues enseignèrent à leurs maîtres l’art de la flatterie. Le génie impérieux du premier des Césars l’engagea trop facilement à recevoir pendant sa vie une place parmi les divinités tutélaires de la république. Le caractère modéré de son successeur lui fit rejeter ce dangereux hommage ; et même par la suite tous les princes, excepté Caligula et Domitien, renoncèrent à cette folle ambition. Auguste, il est vrai permit à quelques villes de province de lui élever des temples ; mais il exigea que l’on célébrât le culte de Rome avec  celui du souverain. Il tolérait une superstition particulière dont il était l’objet[28], tandis que, satisfait des hommages du sénat et du peuple, il laissait sagement à son successeur le soin de sa déification. De là s’introduisit, à la mort des empereurs, la coutume constante de les placer au nombre des  dieux. Le sénat accordait, par un décret solennel, cet honneur à tous ceux de ses princes dont la conduite et la mort n’avaient point été celles des tyrans ; et les cérémonies de l’apothéose[29] accompagnaient la pompe des funérailles. Cette profanation légale, mais si contraire à la nature, si opposée à nos principes, n’excita qu’un faible murmure[30] dans un siècle où le polythéisme avait tant multiplié les objets sacrés. Elle fut d’ailleurs reçu plutôt comme institution politique que comme institution religieuse. Ce serait dégrader les Antonins que de mettre leurs vertus en parallèle les vices de Jupiter ou d’Hercule : le caractère même de César ou d’Auguste était bien supérieur à celui, des divinités populaires. Ces princes d’ailleurs vivaient dans un siècle trop éclairé, et leurs actions avaient trop d’éclat pour que l’histoire de leur vie fût mêlée de ces fables et de ces mystères qu’exige la dévotion du peuple : à peine leur divinité eut-elle été établie par les lois qu’elle tomba dans l’oubli, sans contribuer à leur réputation, ou à la dignité de leurs successeurs.

Lorsque nous avons examiné toutes les parties qui composaient l’édifice de la puissance impériale, nous avons souvent désigné sous le nom bien connu d’Auguste celui qui en avait jeté, les fondements avec tant d’art : cependant il ne reçut ce nom qu’après avoir mis la dernière main à son ouvrage. Né d’une famille obscure[31], dans la petite ville d’Aricie, il s’appelait Octave nom souillé par tout le sang versé dans les proscriptions. Lorsqu’il eut asservi la république, il désira pouvoir effacer le souvenir de ses premières actions. Comme fils adoptif du dictateur, il avait pris le surnom glorieux de César ; mais il avait trop de jugement pour espérer d’être jamais confondu avec ce grand homme, pour désirer même de lui être comparé. On proposa dans le sénat de donner un nouveau titre au chef de l’État. Après une discussion sérieuse, celui d’Auguste fut choisi parmi plusieurs autres, et parut rendre d’une manière convenable le caractère de paix et de piété qu’il affectait constamment[32]. Ainsi le nom d’Auguste était une distinction personnelle ; celui de César indiquait la famille illustre qui s’était frayé un chemin au trône. Il semblait que le premier dut expirer avec le prince qui l’avait reçu ; l’autre pouvait se transmettre par adoption, et passer avec les femmes dans une nouvelle branche. Néron aurait donc été le dernier prince qui eût eu le droit de réclamer une si noble extraction : cependant, à sa mort, ces titres se trouvaient déjà liés, par une pratique constante, avec la dignité impériale ; et depuis la chute de la république jusqu’à nos jours, ils ont été conservés par une longue suite d’empereurs romains, grecs, francs et allemands. Il s’introduisit bientôt cependant une distinction entre ces deux titres. Le monarque se réservait le nom sacré d’Auguste, tandis que ses parents étaient plus communément appelés Césars. Tel fut, au moins depuis le règne d’Adrien, le titre donné à l’héritier présomptif de l’empire[33].

Les égards respectueux d’Auguste pour une constitution libre qu’il avait lui-même renversée, ne peuvent être expliqué que par une connaissance approfondie du caractère de ce tyran subtil. Une tête froide, un cœur insensible; une âme timide, lui firent prendre, à l’âge de dix-neuf ans, le masque de l’hypocrisie, que jamais il ne quitta. Il signa de la même main, et probablement dans le même esprit, la mort de Cicéron et le pardon de Cinna. Ses vertus, ses vices même,  étaient artificiels : son intérêt seul le rendit d’abord l’ennemi de la république romaine ; il le porta dans la suite à en être le père[34]. Lorsque ce prince éleva le système ingénieux de l’administration impériale, ses alarmes lui dictèrent la modération qu’il affectait ; il cherchait à en imposer au peuple, en lui présentant une ombre de liberté civile, et à tromper les armées par une image du gouvernement civil.

I. La mort de César se présentait sans cesse à ses yeux. Auguste avait comblé ses partisans de biens et d’honneurs ; mais les plus intimes amis de son oncle avaient été au nombre des conspirateurs. Si la fidélité des légions le rassurait contre les efforts impuissants d’une rébellion ouverte, la vigilance des troupes pouvait-elle mettre sa personne à l’abri du poignard d’un républicain déterminé ? Les Romains qui révéraient la mémoire de Brutus[35], auraient applaudi à l’imitation de sa vertu. César avait provoqué son destin, autant par l’ostentation de sa puissance que par sa puissance elle-même. Le consul ou le tribun eût peut-être régné en paix : le titre seul de roi arma les Romains contre sa vie. Auguste savait que le genre humain se laisse gouverner par des noms. Il ne fut pas trompé dans son attente, lorsqu’il s’imagina que le sénat et le peuple se soumettraient à l’esclavage, pourvu qu’on les assurât respectueusement qu’ils jouissaient toujours de leur ancienne liberté. Un sénat faible et un peuple énervé chérirent cette illusion agréable, tant qu’elle fut soutenue par la vertu ou par la prudence des successeurs d’Auguste. Ce fut un motif de défense personnelle, et non un principe de liberté, qui anima les meurtriers de Caligula, de Néron et de Domitien : ils attaquèrent le tyran, sans diriger leurs coups contre l’autorité de l’empereur.

L’histoire nous présente cependant une époque mémorable où le sénat, après un silence de soixante-dix ans, s’éleva tout à coup, et fit de vains efforts pour réclamer des droits si longtemps oubliés. Les consuls convoquèrent cette respectable assemblée dans le Capitole, lorsque le trône devint vacant par le meurtre de Caligula : ils condamnèrent la mémoire des Césars, et donnèrent le mot de liberté pour mot de ralliement au petit nombre de cohortes qui paraissaient vouloir suivre leurs étendards. Enfin, pendant quarante-huit heures ils agirent comme les chefs indépendants d’une constitution libre ; mais tandis qu’ils délibéraient les gardes prétoriennes avaient pris leur résolution. L’imbécile Claude, frère de Germanicus, était déjà dans leur camp, revêtu de la pourpre impériale, et disposé à soutenir son élection les armes à la main. Cette lueur de liberté disparut, et le sénat n’aperçut de tous côtés que les horreurs d’une servitude inévitable. Abandonnée par le peuple, menacée par les troupes, cette faible assemblée fut forcée de ratifier le choix des prétoriens ; trop heureuse de pouvoir profiter d’une amnistie que Claude eut la prudence d’offrir, et la générosité d’observer[36].

II. L’insolence des armées inspirait à l’empereur Auguste des alarmes beaucoup plus vives. Le désespoir des citoyens ne pouvait que tenter ce que la puissance des soldats était capable d’exécuter en tout temps. Quelle pouvait être l’autorité de ce prince sur des hommes sans principes, auxquels il avait appris lui-même à violer toutes les lois de la société ? Il avait entendu leurs clameurs séditieuses ; il redoutait les moments calmes de la réflexion. Une révolution avait été achetée par des récompenses immenses : une autre révolution pouvait promettre des récompenses nouvelles. Quoique les troupes témoignassent un attachement inviolable à la maison de César, était-il possible de se fier à une multitude inconstante et capricieuse, Auguste sut tirer parti de ce qui restait encore d’idées romaines dans ces esprits indociles. Il apposa le sceau des lois à la rigueur de la discipline ; et, faisant briller la majesté du sénat entre l’empereur et l’armée, il osa bien exiger une obéissance qu’il prétendait lui être due comme au premier magistrat de la république[37].

Durant une période de deux cent vingt ans, qui s’écoulèrent depuis l’établissement de cet adroit système jusqu’à la mort de l’empereur Commode, l’État n’éprouva que très peu les malheurs attachés à un gouvernement militaire : le danger était encore éloigné. Le soldat eut rarement occasion alors de connaître sa propre force et la faiblesse de l’autorité civile ; découverte fatale qui, dans la suite, enfanta de si terribles maux. Caligula et Domitien furent assassinés dans leur palais par leurs domestiques[38]. Les secousses qui agitèrent la ville de Rome à la mort du premier de ces princes, ne s’étendirent point au-delà  de l’enceinte de cette capitale. A la vérité, Néron enveloppa tout l’empire dans sa ruine. Dans l’espace de dix-huit mois, quatre princes furent massacrés ; et le choc des armées rivales ébranla l’univers. Mais cet orage violent, forgé par la licence des soldats, fut bientôt dissipé. Les deux siècles qui suivirent la mort d’Auguste ne furent point ensanglantés par des guerres civiles, ni troublés par aucune révolution. L’empereur était élu par l’autorité du sénat, et par le consentement des troupes[39]. Les légions respectaient leur serment de fidélité ; et les recherches les plus minutieuses dans les annales romaines ne nous font. Découvrir qu’avec peine trois rebellions[40] peu importantes, étouffées au bout de quelques mois, sans même que l’on eût été obligé d’en venir au hasard d’une bataille[41].

Dans les monarchies électives, la mort du souverain est un moment de crise et de danger. Les empereurs romains, témoins de l’esprit séditieux de ces légions craignirent qu’elles, ne profitassent de ces moments où toute autorité est suspendue. Pour leur épargner la tentation de faire un choix irrégulier, celui qui était désigné pour succéder à l’empire, était revêtu par l’empereur lui-même d’un pouvoir si considérable, qu’à la mort du prince, déjà puissant, il montait paisiblement sur le trône ; à peine même l’empire s’apercevait-il qu’il changeait de maître. Ainsi l’empereur Auguste tourna ses regards vers Tibère, lorsque des pertes réitérées eurent fait évanouir des espérances plus douces. Il obtint pour ce fils adoptif la censure et le tribunat ; et il l’associa par une loi formelle, au commandement des armées et au gouvernement des provinces[42]. Ainsi Vespasien sut enchaîner l’âme généreuse de l’aîné de ses fils. Titus était l’idole des légions de l’Orient, qui venaient d’achever sous ses ordres la conquête de la Judée. Sa puissance devenait redoutable ; et comme les passions de la jeunesse jetaient un voile sur ses vertus, on se défiait de ses projets. Loin de se livrer à d’indignes soupçons, le prudent monarque associa son fils à toute la puissance et à la dignité impériale. Titus pénétré de reconnaissance, se conduisit toujours comme le ministre respectueux et fidèle d’un père si indulgent[43].

Le sage Vespasien prit toutes les mesures nécessaires pour confirmer son élévation récente et peu assurée. Depuis un siècle, le serment militaire et la fidélité des troupes semblaient appartenir au nom et à la famille des Césars. Quoique cette famille ne se fût soutenue que par adoption, le peuple respectait toujours dans la personne de Néron, le petit-fils de Germanicus et le successeur direct de l’empereur Auguste. Les prétoriens n’avait abandonné qu’à regret la cause du tyran : cette désertion avait excité leurs remords[44]. La chute rapide de Galba, d’Othon, de Vitellius, apprit aux armées à regarder les empereurs comme leurs créatures et comme instrument de leur licence. Vespasien, né dans l’obscurité, ne tirait aucun lustre de ses ancêtres : son aïeul avait été soldat, et son père possédait un emploi médiocre dans les fermes de l’État[45]. Le mérite de ce prince l’avait fait parvenir à l’empire dans un âge avancé : ses talents avaient plus de solidité que d’éclat, ses vertus même étaient obscurcies par une sordide parcimonie. Il importait donc à l’intérêt de ce monarque de s’associer un fils dont le caractère aimable et brillant pût détourner les regards du public de l’obscure origine de la maison Flavienne pour les reporter sur la gloire qu’elle semblait promettre. Sous le règne de Titus, l’univers goûta les douceurs d’une félicité passagère ; et le souvenir de ce prince adorable fit supporter pendant plus de quinze ans les vices de son frère Domitien.

Dès que Nerva eut été revêtu de la pourpre que lui offrirent les meurtriers de Domitien, il s’aperçut que son grand âge le rendait incapable d’arrêter le torrent des désordres publics, qui s’étaient multipliés sous la longue tyrannie de son prédécesseur [année 96]. Les gens de bien respectaient sa vertu ; mais les Romains dégénérés avaient besoin d’un caractère ferme, dont la justice imprimât la terreur dans le cœur des coupables. Nerva ne fut point déterminé dans son choix par des vues personnelles. Quoique environné de parents, il adopta un étranger, Trajan, âgé pour lors de quarante ans, et qui commandait une grande armée dans la Basse Germanie. Ce général fut aussitôt déclaré par le sénat collègue et successeur du prince[46]. Quand l’histoire nous a fatigués du récit des crimes et des fureurs de Néron, combien devons-nous regretter de n’avoir, pour connaître les actions brillantes de Trajan, que le récit obscur d’un abrégé, ou la lumière douteuse d’un panégyrique ! Il existe cependant à la gloire de ce prince un autre panégyrique que la flatterie n’a point dicté : deux cent cinquante ans environ après sa mort le sénat, au milieu des acclamations ordinaires   qui retentissaient à l’avènement d’un nouvel empereur, lui souhaita de passer, s’il était possible, Auguste en bonheur, et Trajan en vertus[47].

Selon toutes les  apparences, un monarque qui chérissait si tendrement sa patrie dut longtemps hésiter à revêtir de la puissance souveraine son neveu Adrien, dont le caractère singulier ne lui était pas inconnu. Mais l’artifice de l’impératrice Plotine sut fixer l’irrésolution de Trajan dans ses derniers moments : peut-être supposa-t-elle hardiment une fausse adoption[48]. Quoi qu’il en soit, il eût été dangereux d’approfondir la vérité : ainsi Adrien fut reconnu paisiblement dans tout l’empire. Nous avons déjà parlé de la prospérité de l’État sous son règne. Ce prince encouragea les arts, réforma les lois , resserra les liens de la discipline militaire, et parcourut lui-même toutes les provinces. Son génie vaste et actif embrassait également les vues les plus étendues et les plus petits détails de l’administration ; mais la vanité et la curiosité furent ses passions dominantes. Comme elles étaient sans cesse excitées par une foule d’objets différents, on aperçut tour à tour dans Adrien un prince excellent, un sophiste ridicule, et un tyran jaloux de son autorité. En général sa conduite avait pour base une modération et une équité bien recommandables. Cependant il fit mourir, dans les premiers jours de son règne, quatre sénateurs consulaires, ses ennemis personnels, et qui avaient parti dignes de l’empire. Tourmenté sur la fin de sa vie par une maladie longue et douloureuse, il devint farouche et cruel ; le sénat ne savait même s’il devait le placer au rang des dieux, ou le confondre parmi les tyrans ; et les honneurs rendus à la mémoire ne furent accordés qu’aux vives sollicitations d’Antonin le Pieux[49].

Adrien ne consulta d’abord qu’un caprice aveugle pour le choix de son successeur. Après avoir jeté les yeux sur plusieurs citoyens d’un mérite distingué, qu’il estimait et qu’il haïssait, il adopta Ælius Varus, jeune seigneur livré au plaisir, dont la grande beauté était une recommandation puissante auprès de l’amant d’Antinoüs[50]. Mais tandis que l’empereur s’applaudissait de son choix et des acclamations des soldats dont il avait obtenu le consentement par des libéralités excessives, une mort prématurée vint tout à coup arracher de ses bras le nouveau César[51]. Ælius-Verus laissait un fils ; Adrien le confia à la reconnaissance des Antonins. Ce jeune prince fait adopté par Antonin le Pieux, et partagea dans la suite avec Marc-Aurèle la dignité impériale. Parmi tous ses vices, il possédait une seule vertu, c’était une déférence aveugle pour la sagesse de son collègue : il lui abandonna volontairement les soins pénibles du gouvernement. L’empereur philosophe ferma les yeux sur la conduite de Verus, pleura sa mort, et jeta un voile sur sa mémoire.

Adrien venait de satisfaire sa passion. Lorsque toutes ses espérances furent évanouies, il résolut de mériter la reconnaissance de la postérité, en plaçant sur le trône de Rome le mérite le plus éminent : son œil pénétrant démêla facilement, dans la foule de ses sujets, un sénateur âgé de cinquante ans environ, dont toute la vie avait été irréprochable, et un jeune homme de dix-sept ans, dont la sagesse annonçait le germe des vertus qui devaient se développer, dans la suite, avec tant d’éclat. Le premier fut déclaré fils et successeur d’Adrien, à condition toutefois qu’il adopterait aussitôt le plus jeune ; et les deux Antonins (car c’est d’eux que nous parlons) gouvernèrent le monde pendant quarante-deux ans avec le même esprit de modération et de sagesse.

Antonin le Pieux avait deux fils[52] ; mais il préférait Rome à sa famille[53]. Après avoir donné sa fille Faustine en mariage au jeune Marcus, il engagea le sénat à lui accorder les dignités de proconsul et de tribun ; enfin, s’élevant noblement au-dessus de toute, jalousie, ou plutôt incapable d’en ressentir, il l’associa, par un noble désintéressement à tous les travaux de l’administration. De son côté, Marc-Aurèle respecta son bienfaiteur, le chérit comme un père, et lui obéit comme à son souverain[54] ; et lorsqu’il tint seul les rênes de l’État, il s’empressa de marcher sur ses traces, et d’adopter les maximes d’un si grand prince. Ces deux règnes sont peut-être la seule période de l’histoire, dans laquelle le bonheur d’un peuple immense ait été l’unique objet du gouvernement.

C’est avec raison que Titus-Antonin a été nommé second Numa. Le même zèle pour la religion, la justice et la paix, caractérisait ces deux princes nais la situation de l’empereur ouvrait un champ bien plus vaste à ses vertus. Les soins de Numa se bornaient a empêcher les habitants grossiers de quelques villages de piller les campagnes, et de détruire la récolte de leurs voisins. Antonin maintenait l’ordre et la tranquillité dans la plus grande partie de la terre. Son règne a le rare avantage de ne fournir qu’un très petit nombre de matériaux à l’histoire, ce tableau effrayant des crimes, des forfaits et des malheurs du genre humain. C’était un homme aimable autant que bon dans sa vie privée ; sa vertu simple et naturelle fuyait la vanité et l’affectation. Il jouissait avec modération des avantages attachés à son rang et, au milieu des plaisirs innocents[55] qu’il partageait avec ses concitoyens, la sensibilité de cette âme bienfaisante se peignait, avec une douce majesté, sur un front toujours serein.

La vertu de Marc-Aurèle Antonin paraissait plus austère et plus travaillée[56]. Elle était le fruit de l’éducation, d’une étude profonde et d’un travail infatigable. A l’âge de douze ans, il embrassa le système rigide des stoïciens, dont les préceptes lui apprirent à soumettre son corps à son esprit, à faire usage de sa raison pour enchaîner ses passions, à considérer la vertu comme le bien suprême, le vice comme le seul mal, et tous les objets extérieurs comme des choses indifférentes[57]. Les Méditations de Marc-Aurèle, ouvrage composé dans le tumulte des camps, sont venues jusqu’à nous. Il a même daigné quelquefois donner des leçons de philosophie avec plus de publicité peut-être qu’il ne convenait à la modestie d’un sage et à la dignité d’un empereur[58] ; mais en général sa vie est le commentaire le plus noble qui ait jamais été fait des principes de Zénon. Sévère pour lui-même, Marc-Aurèle était rempli d’indulgence pour les faiblesses des autres ; il distribuait également la justice; et se plaisait à répandre ses bienfaits sur tout le genre humain ; il déplora la perte d’Aviditis-Cassius qui avait excité une révolte en Syrie, et dont la mort volontaire lui enlevait le plaisir de se faire un ami ; il montra combien ses regrets étaient sincères, par le soin qu’il prit de modérer le zèle du sénat contre les partisans de ce traître[59]. La guerre était à ses yeux le fléau de la nature humaine ; cependant, lorsque la nécessité d’une juste défense le forçait de prendre les armes, il ne craignait pas d’exposer sa personne, et de paraître à la tête des troupes. On le vit pendant huit hivers rigoureux camper sur les bords glacés du Danube. Tant de fatigues portèrent enfin le dernier coup à la faiblesse de sa constitution. Sa mémoire, fut longtemps chère à la postérité ; et plus d’un siècle encore après sa mort, plusieurs personnes plaçaient l’image de Marc-Aurèle parmi celle de leurs dieux domestiques[60].

S’il fallait déterminer dans quelle période de l’histoire du monde le genre humain a joui du sort le plus heureux et le plus florissant, ce serait sans hésiter qu’on s’arrêterait à cet espace de temps qui s’écoula depuis là mort de Domitien jusqu’à l’avènement de Commode. Un pouvoir absolu gouvernait alors l’étendue immense de l’empire, sous la direction immédiate de la sagesse et de la vertu. Les armées furent contenues par la main ferme de quatre empereurs successifs, dont le caractère et la puissance imprimaient un respect involontaire, et qui savaient se faire obéir, sans avoir recours à des moyens violents. Les formes de l’administration civile furent, soigneusement observées par Nerva, Trajan, Adrien et les deux Antonins qui chérissant l’image de la liberté, se glorifiant de n’être que les dépositaires et Ies ministres de la loi. De tels princes auraient été dignes de rétablir la république, si les Romains de leur temps eussent été capables de jouir d’une liberté raisonnable.

Une incalculable récompense surpayait ces monarques de leurs travaux, toujours accompagnés du succès : ce prix, c’était l’estimable orgueil de la vertu, et le plaisir inexprimable qu’ils éprouvaient à la vue de la félicité générale dont ils étaient les auteurs. Cependant une réflexion juste, mais bien triste, venait troubler pour eux les plus nobles jouissances. Ils devaient avoir souvent réfléchi sur l’instabilité d’un bonheur qui dépendait d’un seul homme. Le moment fatal approchait peut-être, où le pouvoir absolu dont ils ne faisaient usage que pour rendre leurs sujets heureux allait devenir, un instrument de destruction entre les mains d’un jeune prince emporté par ses passions, où de quelque tyran jaloux de son autorité. Le frein idéal du sénat et des lois pouvait bien servir à développer les vertus des empereurs ; mais il était trop faible pour corriger leurs vices : une force aveugle et irrésistible faisait des troupes un sûr moyen d’oppression ; et les mœurs des Romains étaient si corrompues, qu’il se présentait sans cesse, des flatteurs empressés à applaudir aux dérèglements du souverain, et des ministres disposés à servir ses cruautés, son avarice ou ses crimes.

L’expérience des Romains, avait déjà justifié ces sombres alarmes. Les fastes de l’empire nous offrent un riche et énergique tableau de la nature humaine ; que nous chercherions vainement dans les caractères faibles et incertains de l’histoire moderne ; on trouve tour à tour dans la conduite des empereurs romains les extrêmes de la vertu et du vice ; la perfection la plus sublime, et la dégradation la plus basse de notre espèce. L’âge d’or de Trajan et des Antonins avait été précédé par un siècle de fer. Il serait inutile de parler des indignes successeurs d’Auguste : s’ils ont été sauvés de l’oubli, ils en sont redevables à l’excès de leurs vices et à la grandeur du théâtre sur lequel ils ont paru. Le sombre et implacable Tibère, le furieux  Caligula, l’imbécile Claude, le cruel et débauche Néron, le brutal Vitellius[61], le lâche et sanguinaire Domitien, sont condamnés à une immortelle ignominie. Pendant près de quatre-vingts ans, Rome ne respira que sous Vespasien et sous Titus : si l’on en excepte ces deux règnes, qui durèrent peu, l’empire[62] dans ce long intervalle, gémit sous les coups redoublés d’une tyrannie qui extermina les anciennes familles de la république, et se déclara l’ennemie de la vertu et du talent.

Tant que ces monstres tinrent les rênes de l’État, deux circonstances particulières vinrent encore augmenter la servitude des Romains, et rendirent leur position bien plus affreuse que celle des victimes de la tyrannie dans tout autre siècle et dans toute autre contrée : l’une était le souvenir de leur ancienne liberté, l’autre l’étendue de la monarchie. Ces causes produisirent la sensibilité excessive des opprimés, et l’impossibilité où ils se trouvaient d’échapper aux poursuites de l’oppresseur.

I. Lorsque la Perse était gouvernée par les descendants de Sefi, princes barbares, qui faisaient leurs délices de la cruauté et dont le divan, le lit et la table, étaient tous les jours teints du sang de leurs favoris, on rapporte le mot d’un jeune seigneur, qui disait ne sortir jamais de la présence du monarque sans essayer si sa tête était encore sur ses épaules. Une expérience journalière justifiait le scepticisme de Rustan[63] ; cependant il parait que la vue de l’épée fatale ne troublait point son sommeil, et n’altérait en aucune manière sa tranquillité : il savait que le regard du souverain pouvait le faire rentrer dans la poussière ; mais un éclat de la foudre, une maladie subite, n’étaient pas moins funestes ; et c’était se conduire en homme sage, que d’oublier les maux inévitables attachés à la vie humaine pour jouir des heures fugitives. Rustan se glorifiait d’être appelé l’esclave du roi. Vendu peut-être par des parents obscurs dans un pays qu’il n’avait jamais connu, il avait été élevé dans la discipline sévère du sérail[64] ; son nom, ses richesses, ses honneurs étaient autant de présents d’un maître qui pouvait, sans injustice les lui retirer. L’éducation qu’il avait reçue, loin de détruire ses préjugés, les imprimait plus fortement dans son âme ; la langue qu’il parlait n’avait de mot pour exprimer une constitution, que celui de monarchie absolue. Il lisait dans l’histoire de l’Orient, que cette forme de gouvernement était la seule que les hommes eussent jamais connue[65]. L’Alcoran et les commentaires sacrés de ce livre divin lui enseignaient que le sultan descendait du grand prophète, et tenait son autorité du ciel même ; que la patience était la première vertu d’un musulman et qu’un sujet devait à son souverain une obéissance sans bornes

C’était d’une manière bien différente que les Romains avaient été préparés pour l’esclavage : courbés sous le poids de leur propre corruption, asservis par la violence militaire, ils conservèrent longtemps les sentiments ou du moins les idées de leurs fibres ancêtres. L’éducation d’Helvidius et de Thrasea, de Pline et de Tacite, était la même que celle de Cicéron et de Caton. Les sujets de l’empire avaient puisé dans la philosophie des Grecs les notions les plus justes et les plus sublimes sur la dignité de la nature humaine et sur l’origine de la société civile. L’histoire de leur pays leur inspirait une vénération profonde pour cette république dont la liberté, les vertus et les triomphes, avaient été si célèbres. Pouvaient-ils ne pas frémir au récit des forfaits heureux de César et d’Auguste ? Comment n’auraient-ils pas méprisé intérieurement ces tyrans, auxquels ils étaient obligés de prostituer l’encens le plus vil ? Comme magistrats et comme sénateurs, ils étaient admis dans ce conseil auguste qui avait autrefois donné des lois à l’univers ; qui jouissait du privilège de confirmer les décrets du monarque, et qui faisait indignement servir sa puissance aux entreprises méprisables, du despotisme. Tibère et les empereurs qui marchèrent sur ses traces, cherchèrent à couvrir leurs forfaits du voile de la justice : peut-être goûtaient-ils un plaisir secret à rendre le sénat complice aussi bien que victime de leur cruauté. On vit dans ce sénat les derniers des  Romains, condamnés pour des crimes imaginaires et pour des vertus réelles : leurs infâmes accusateurs prenaient le langage de zélés patriotes, qui auraient cité devant le tribunal de la nation un citoyen dangereux. Un service aussi important était récompensé par les richesses et par les honneurs[66]. Des juges serviles prétendaient ainsi rendre hommage à la majesté de la république, violée dans la personne de son premier magistrat[67] : ils vantaient la clémence de ce chef suprême au moment où ils redoutaient le plus les suites de sa fureur et de son inexorable cruauté[68]. Le tyran, regardait cette bassesse avec un juste mépris, et, loin de déguiser ses sentiments, il répondait à l’aversion secrète qu’il inspirait, par une haine ouverte pour le sénat et pour le corps entier de la nation.

II. L’Europe est maintenant partagée en différents États indépendants les uns des autres, mais cependant liés entre eux par les rapports généraux de la religion, du langage et des mœurs : cette division est un avantage bien précieux pour la liberté du genre humain. Aujourd’hui un tyran qui ne trouverait de résistance ni dans son propre cœur ni dans la force de son peuple, se trouverait encore enchaîné par une foule de liens. Le soin de sa propre gloire, l’exemple de ses égaux, les représentations de ses alliés, la crainte des puissances ennemies, tout contribuerait à le retenir. Après avoir franchi sans obstacles les limites étroites d’un royaume peu étendu, un sujet opprimé trouverait facilement dans un climat plus heureux un asile assuré, une fortune proportionnée à ses talents, la liberté d’élever la voix, peut-être même les moyens de se venger. Mais l’empire romain remplissait l’univers ; et lorsqu’il fût gouverné par un seul homme, le monde entier devint une prison sûre et terrible, d’où l’ennemi du souverain ne pouvait échapper. L’esclave du despotisme luttait en vain contre le désespoir : soit qu’il fût obligé de porter une chaîne dorée à la cour des empereurs, ou de traîner dans l’exil sa vie infortunée, il attendait son destin en silence à Rome, dans le sénat, sur les rochers affreux de l’île de Sériphos[69] ou sur les rives glacées du Danube. La résistance eût été fatale, la fuite impossible ; partout une vaste étendue de terres et de mers s’opposait à son passage ; il courait à tout moment le danger inévitable d’être découvert, saisi et livré à un maître irrité. Au-delà des frontières, de quelque côté qu’il tournât ses regards inquiets, il ne rencontrait que le redoutable Océan, des contrées désertes, des peuples ennemis, du langage barbare, des mœurs féroces, ou enfin, des rois dépendants, disposés à acheter la protection de l’empereur par le sacrifice d’un malheureux fugitif[70]. Partout où vous serez, disait Cicéron à Marcellus, n’oubliez pas que vous vous trouverez également à la portée du  bras du vainqueur[71].

 

 

 



[1] Orose, VI, 18.

[2] Dion dit vingt-cinq (l. LV, c. 20) les triumvirs réunis, selon Appien, n’en avaient que quarante-trois. Le témoignage d’Orose, est de peu de valeur quand il en existe de plus sûrs (Note de l’Éditeur).

[3] Jules César introduisît dans le sénat des soldats, des étrangers et des hommes encore à demi barbares (Suétone, Vie de César, c. 77, 80). Après sa mort, cet abus devint encore plus scandaleux.

[4] Dion-Cassius, l. III, p. 693 ; Suétone, Vie d’Auguste, c. 55.

[5] Auguste, qui alors se nommait encore Octave, était censeur ; et, comme tel, il avait le droit de réformer le sénat, d’en bannir les membres indignes, de nommer le princeps senatus, etc. : c’était là ce qu’on appelait senatum  legere. Il n’était pas rare non plus, du temps de la république, de voir un censeur nommé lui-même prince du sénat (Tite-Live, XXVII, c. 11 ; et XL, c. 51). Dion affirme que cela fut fait conformément à l’ancien usage (p. 496). Quant à l’admission d’un certain nombre de familles dans les rangs des patriciens, il y fut autorisé par un sénatus-consulte exprès : Βουλης επιτρεψχσης, dit Dion (Note de l’Éditeur).

[6] Dion-Cassius, LIII, p, 698, met à cette occasion dans la bouche d’Auguste un discours prolixe et enflé. J’ai emprunté de Tacite et de Suétone les expressions qui pouvaient convenir à ce prince.

[7] Imperator, d’où nous avons tiré le mot empereur, ne signifiait, sous la république, que général ; et les soldats donnaient solennellement ce titre sur le champ de bataille à leur chef victorieux lorsqu’ils l’en jugeaient digne. Lorsque les empereurs romains le prenaient dans ce sens, ils le plaçaient après leur nom, et ils désignaient combien de fois ils en avaient été revêtus.

[8] Dion, III, p. 703, etc.

[9] Tite-Live, Épit., XIV ; Valère-Maxime, VI, 3.

[10] Voyez dans le huitième livre de Tite-Live la conduite de Manlius-Torquatus et de Papirius-Cursor : ils violèrent les lois de la nature et de l’humanité, mais ils assurèrent celles de la discipline militaire ; et le peuple, qui abhorrait l’action, fut obligé de respecter le principe.

[11] Pompée obtint, par les suffrages inconsidérés, mais libres du peuple, un commandement militaire à peine inférieur à celui d’Auguste. Parmi plusieurs actes extraordinaires de l’autorité exercée par le vainqueur de l’Asie, on peut remarquer la fondation de vingt-neuf villes, et l’emploi de trois ou quatre millions sterling, qu’il distribua à ses troupes : la ratification de ces actes souffrit des délais et quelques oppositions dans le sénat. Voyez Plutarque, Appien, Dion-Cassius, et le premier livre des Lettres à Atticus.

[12] Sous la république, le triomphe n’était accordé qu’au général autorisé à prendre les auspices au nom du peuple. Par une conséquence juste, tirés de ce principe de religion et de politique, le triomphe fut réservé à l’empereur ; et ses lieutenants, au milieu des emplois les plus éclatants, se contentèrent, de quelques marques de distinction, qui, sous le titre de dignités triomphales, furent imaginées en leur faveur.

[13] Cette distinction est sans fondement. Les lieutenants de l’empereur, qui se nommaient pro-préteurs, soit qu’ils eussent été préteurs où consuls, étaient accompagnés de six licteurs : ceux qui avaient le droit de l’épée portaient aussi un habit militaire (paludamentum) et une épée. Les intendants envoyés par le sénat, qui s’appelaient tous proconsuls, soit qu’ils eussent ou non été consuls auparavant  avaient douze licteurs quand ils avaient été consuls, et six  seulement quand ils n’avaient été que préteurs. Les provinces  d’Afrique et d’Asie n’étaient données qu’à des ex-consuls. Voy. des détails sur l’organisation des provinces, dans Dion (l. L, III, 12-16.), et dans Strabon (l. XVII, p. 840) ; le texte grec, car la traduction latine est fautive. (Note de l’Éditeur).

[14] Cicéron (de Legibus, III, 3) donne à la dignité consulaire le nom de regia potestas ; et Polybe (IV, c. 3) observe trois pouvoirs dans la constitution romaine. Le pouvoir monarchique était représenté et exercé par les consuls.

[15] Comme la puissance tribunitienne, différente de l’emploi annuel de tribun, fut inventée pour le dictateur César (Dion, XLIV, p. 384), elle lui fut probablement donnée comme une récompense, pour avoir si généreusement assuré par les armes les droits sacrés des tribus et du peuple. Voyez ses Commentaires, de Bello civili, I.

[16] Auguste exerça neuf fois de suite le consulat annuel ; ensuite il refusa artificieusement cette dignité aussi bien que la dictature ; et, s’éloignant de Rome, il attendit les suites funèbres du tumulte et de l’esprit de faction eussent forcé le sénat à le revêtir du consulat pour toute sa vie. Ce prince et ses successeurs affectèrent cependant de cacher un titre qui pouvait leur attirer la haine de leurs sujets.

[17] Cette égalité fut le plus souvent illusoire ; l’institution des tribuns fut loin d’avoir tous les effets qu’on devait en attendre et qu’on aurait pu en obtenir : il y avait dans la manière même dont elle fut organisée, des obstacles qui l’empêchèrent souvent de servir utilement le peuple et de contrebalancer le pouvoir, parfois oppressif, du sénat. Le peuple, en ne leur donnant que le droit de délibérer, pour se réserver celui de ratifier leurs décisions, avait crû conserver une apparence de souveraineté et n’avait fait que renverser l’appui qu’il venait de se donner. Les sénateurs, dit de Lolme, les consuls, les dictateurs, les grands personnages qu’il avait la prudence de craindre et la simplicité de croire, continuait à être mêlés avec lui et a déployer leurs savoir-faire ; ils le haranguaient encore ; ils changeaient encore le lieu des assemblées ; ... ils les dissolvaient ou les dirigeaient ; et les tribuns, lorsqu’ils avaient pu parvenir à se réunir, avaient le désespoir de voir échouer, par des ruses misérables, des projets suivis avec les plus grandes peines et même les plus grands périls. De Lolme, Constitut. d’Angleterre, chap. 7, tome II, p. 11.

On trouve dans Valère-Maxime un exemple frappant de l’influence que les grands exerçaient souvent sur le peuple, malgré les tribuns et contre leurs propositions : dans un temps de disette, les tribuns ayant voulu proposer des arrangements au sujet des blés; Scipion-Nasica contint l’assemblée en leur disant : Silence, Romains ; je sais mieux que vous ce qui convient à la république : Tacète, quœso, Quirites ; plus enim ego quàm vos quid reipublicæ expediat, intelligo. — Quâ voce auditâ, omnes pleno venerationis silentio, majorem ejus autoritatis quàm suorum alimentorum curam egerunt. Cette influence fut telle, que les tribuns furent souvent les victimes de la lutte qu’ils engagèrent avec le sénat, bien qu’en plusieurs occasions ils soutinssent les vrais intérêts du peuple : tel fut le sort des deux Gracchus si injustement calomniés par les grands, et si lâchement abandonnés par ce peuplé dont ils avaient embrassé la cause (Note de l’Éditeur).

[18] Voyez un fragment d’un décret du sénat, qui conférait à l’empereur Vespasien tous les pouvoirs accordés à ses prédécesseurs, Auguste, Tibère et Claude. Ce monument curieux et important se trouve dans les inscriptions de Gruter, n° CCXLII.

Il se trouve aussi dans les éditions que Ryck (Animad., p. 420, 421) et Eruesti (Excurs. ad, IV, c. 6) ont données de Tacite ; mais ce fragment renferme tant d’irrégularités, et dans le fond et dans la forme, qu’on peut élever des doutes sur son authenticité (Note de l’Éditeur).

[19] On élisait deux consuls aux calendes de janvier ; mais dans le cours de l’année on leur en substituait d’autres, jusqu’à ce que le nombre des consuls annuels se montât au moins à douze. On choisissait ordinairement seize ou dix-huit préteurs (Juste-Lipse, in excurs. D. ad Tacit, Annal., l. I). Je n’ai point parlé des édiles ni des questeurs : de simples magistrats chargés de la police ou des revenus, se prêtent aisément à toutes les formes de gouvernement. Sous le règne de Néron les tribuns possédaient légalement le droit d’intercession, quoiqu’il eût été dangereux d’en faire usage.(Tacite, Ann., XVI, 26). Du temps de Trajan, on ignorait si le tribunat était une charge ou un nom. Lettres de Pline, I, 23.

[20] Les tyrans eux-mêmes briguèrent le consulat. Les princes vertueux demandèrent cette dignité avec modération et l’exercèrent, avec exactitude. Trajan renouvela l’ancien serment, et jura devant le tribunal du consul qu’il observerait les lois. Pline, Panégyr., c. 64.

[21] Quotiens magistratuum comitiis interesset, tribus cum candidatis suis circuibat supplicabatque more sollemni. Ferebat et ipse suffragium in tribu, ut unus e populo. — Toutes les fois qu'il assistait aux comices pour la création des magistrats, il parcourait les tribus avec ses candidats en faisant les supplications d'usage. Lui-même il votait dans les tribus, comme un simple citoyen. Suétone, Vie d'Auguste, c. 56.

[22] Tum primùm comitia è campo ad patres translata sunt. Tacite, Ann., I, 15. Le mot primùm semble faire allusion à quelques faibles et inutiles efforts qui furent faits pour rendre au peuple le droit d’élection.

L’empereur Caligula avait fait lui-même cette tentative ; il rendit au peuple les comices, et les lui ôta de nouveau peu après (Suétone, in Caïo, c. 16 — Dion, 1LIX, 9, 20). Cependant, du temps de Dion, on conservait encore une ombre des comices. Dion, VIII, 20 (Note de l’Éditeur).

[23] Dion (LIII, p. 703-714) a tracé d’âne main partiale une bien faible esquisse du gouvernement impérial. Pour l’éclaircir, souvent même pour le corriger, j’ai médité Tacite, examiné Suétone, et consulté parmi les modernes les auteurs suivants : l’ abbé de La Bletterie, Mém. de l’Acad., t. XIX, XXI, XXIV, XXV, XXVII ; Beaufort, Rép. rom., t. I, p. 255-275 ; deux dissertations de Noodt et de Gronovius, de Lege regiâ, imprimées à Leyde en 1731 ; Gravina , de Imperio romano, p. 479-544 de ses opuscules ; Maffei, Verona illustrata, part. 1, p. 245, etc.

[24] Un prince faible sera toujours gouverné par ses domestiques. Le pouvoir des esclaves aggrava la honte des Romains, et les sénateurs firent leur cour à un Pallas, à un Narcisse. Il peut arriver qu’un favori moderne soit de naissance honnête.

[25] Voyez un traité de Van-Dale, de Consecratione principum. Il me serait plus aisé de copier, qu’il ne me l’a été de vérifier les citations de ce savant, Hollandais.

[26] Cela est inexact. Les successeurs d’Alexandre, ne furent point les premiers souverains déifiés ; les Égyptiens avaient déifié et adoré plusieurs de leurs rois ; l’Olympe des Grecs était peuplé de divinités qui avaient régné sur la terre ; enfin, Romulus, lui-même avait reçu les honneurs dé l’apothéose (Tite-Live, I, c. 16) longtemps avant Alexandre et ses successeurs. C’est aussi une inexactitude que de confondre les hommages rendus dans les provinces aux gouverneurs romains, par des temples et des autels, avec la véritable apothéose des empereurs : ce n’était pas un culte religieux, car il n’y avait ni prêtres ni sacrifices. Auguste fut sévèrement blâmé pour avoir permis qu’on l’adorât comme un dieu dans les provinces (Tacite, Annales, I, c. 10) ; il n’eût pas encouru de blâme s’il n’eut fait que ce que faisaient les gouverneurs (Note de l’Éditeur).

[27] Voyez une dissertation de l’abbé de Mongault, dans le premier volume de l’Académie des Inscriptions.

[28] Jurandasque tuum per nonem ponimus aras, dit Horace à l’empereur lui-même ; et ce poète courtisan connaissait bien la cour d’Auguste.

[29] Les bons princes ne furent pas les seuls qui obtinssent les honneurs de l’apothéose ; on les déféra à plusieurs tyrans. Voyez un excellent traité de Schœpflin, de Consecratione imperiatorum romanorum, dans ses Commentationes historicæ et critieæ, Bâle, 1741, p. 1, 84 (Note de l’Éditeur).

[30] Voyez Cicéron, Philipp., I, 6 ; Julien, in Cœsaribus : Inque Deum templis jurabit Roma per umbras, s’écrie Lucain indigné ; mais cette indignation est celle d’un patriote, et non d’un dévot.

[31] Octave n’était point issu d’une famille obscure, mais d’une famille considérable de l’ordre équestre : son père, C. Octavius, qui possédait de grands biens, avait été préteur, gouverneur de la Macédoine, décoré du titre d’imperator, et sur le point de devenir consul lorsqu’il mourût. Sa mère Attia était fille de M. Atrius Balbus, qui avait aussi, été préteur. Marc-Antoine fit à Octave le reproche d’être né dans Aricie, qui était cependant une ville municipale assez grande ; mais Cicéron le réfuta très fortement. Philipp., III, c. 6. (Note de l’Éditeur).

[32] Dion, LIII, p. 710, avec les notes curieuses de Reimarus.

[33] Les princes qui, par leur naissance ou leur adoption, appartenaient à la famille des Césars, prenaient le nom de César. Après la mort de Néron, ce nom désigna la dignité impériale elle-même, et ensuite le successeur choisi. On ne peut assigner avec certitude l’époque à laquelle il fut employé pour la première fois dans ce dernier sens. Bach (Hist. jurispr. rom., p. 304) affirme, d’après Tacite (Hist., I, 15) et Suétone (Galba, c. 17), que Galba donna à Pison-Licinianus le titre de César, et que ce fut là l’origine de l’emploi de ce mot ; mais les deux historiens disent simplement que Galba adopta Pison pour successeur, et ne font             nulle mention du nom de César. Aurelius-Victor (in Traj., p. 348; édit. Arntzen) dit qu’Adrien reçut le premier ce titre lors de son adoption ; mais comme l’adoption d’Adrien est  encore douteuse, et que d’ailleurs Trajan, à son lit de mort, n’eût probablement pas créé un nouveau titre  pour un homme qui allait lui succéder, il est plus vraisemblable qu’Ælius-Verus fut le premier qu’on appela César, lorsque Adrien l’eut adopté (Spart., in Ælio-Vero, c. 1 et 2) (Note de l’Éditeur).

[34] Alors survint Auguste, qui, changeant de couleur comme un caméléon, paraissait tantôt pâle, tantôt rouge, tantôt avec un visage sombre et renfrogné, et au même instant avec un visage riant et plein de charmes. (Césars de Julien, trad. Spanheim) Cette image, que Julien emploie dans son ingénieuse fiction, est juste et agréable ; mais lorsqu’il considère ce changement de caractère comme réel, et qu’il l’attribue au pouvoir de la philosophie, il fait trop d’honneur à la philosophie et à Octave.

[35] Deux-cents ans après l’établissement de la monarchie, l’empereur Marc Aurèle vante le caractère de Brutus comme un modèle parfait de la vertu romaine.

[36] Nous ne pouvons trop regretter l’endroit de Tacite qui traitait de cet événement, et qui a été perdu : nous sommes forcés de nous contenter des bruits populaires rapportés par Josèphe, et des notions imparfaites que nous donnent à cet égard Dion et Suétone.

[37] Auguste rétablit la sévérité de l’ancienne discipline. Après les guerres civiles, il ne se servit plus du nom chéri de camarades en parlant à ses troupes ; et il les appela simplement soldats. (Suétone, dans Auguste, c. 25). Voyez comment Tibère se servit du sénat pour apaiser la révolte des légions de Pannonie. Tacite, Annal., I.

[38] Caligula périt par une conjuration qu’avaient formée les officiers des prétoriens, et Domitien n’eût peut-être pas été assassiné sans la part que les deux chefs de cette garde prirent à sa mort (Note de l’Éditeur).

[39] Ces mots l’autorité du sénat et le consentement des troupes, semblent avoir été le langage consacré pour cette cérémonie. Voyez Tacite, Annal., XIII, 14.

[40] Le premier de ces rebelles fut Camillus-Scribonianus qui prit les armes en Dalmatie contre Claude, et qui fut abandonné par ses troupes en cinq jours, le second, Lucius-Antonius, dans la Germanie, qui se révolta contre Domitien et le troisième, Avidius-Cassius, sous le règne de Marc-Aurèle. Les deux derniers ne se soutinrent que peu de mois, et ils furent mis mort par leurs propres partis. Camillus et Cassius colorèrent leur ambition du projet de rétablir la république ;  entreprise, disait Cassius, principalement réservée à son nom et sa famille.

[41] Cet éloge des soldats est un peu exagéré. Claude fut obligé d’acheter leur consentement à son couronnement : les   présents qu’il leur fit, et ceux que reçurent en diverses autres occasions les prétoriens, causèrent aux finances un notable dommage. Cette garde redoutable favorisa d’ailleurs souvent les cruautés des tyrans. Les révoltes lointaines furent plus  fréquentes que ne le pense Gibbon sous Tibère ; les légions de la Germanie voulaient séditieusement contraindre Germanicus à revêtir la pourpre impériale. Lors de la révolte de Claudius-Civilis, sous Vespasien, les légions de la Gaule massacrèrent leur général, et promirent leur assistance aux Gaulois, qui s’étaient soulevés. Julius-Sabinus se fit déclarer empereur, etc. Les guerres, le mérite et la discipline sévère de Trajan, d’Adrien et des deux Antonins, établirent quelque temps plus dé subordination (Note de l’Éditeur).

[42] Velleius Paterculus, II, c. 121 ; Suétone, Vie de Tibère, c. 20.

[43] Suétone, Vie de Titus, c. 6 ; Pline, préface de l’Histoire naturelle.

[44] Cette idée est souvent et fortement exprimée dans Tacite. Voyez Hist., I, 15, 16 ; II, 76.

[45] L’empereur Vespasien, avec son bon sens ordinaire, se moquait des généalogistes qui faisaient descendre sa famille de Flavius, fondateur de Réate (son pays natal), et l’un des compagnons d’Hercule. Suétone, Vie de Vespasien, c. 12.

[46] Dion, LXVIII, p. 1121 ; Pline, Panégyr.

[47] Felicior Augusto, melior Trajan. Eutrope, VIII, 5

[48] Dion (LXIX, p. 1279) regarde le tout comme une fiction, d’après l’autorité de son père, qui, étant gouverneur de la province où Trajan mourût, devait avoir eu de favorables occasions pour démêler ce mystère. Cependant Dodwell (Prœlect. Cambden, XVII) a soutenu qu’Adrien fut désigné successeur de Trajan pendant la vie de ce prince.

[49] Dion XXX, p. 1171 ; Aurelius Victor.

[50] La déification, les médailles, les statues, les temples, les villes, les oracles et la constellation d’Antinoüs, sont bien connus , et déshonorent, aux yeux de la postérité, la mémoire de l’empereur Adrien. Cependant nous pouvons remarquer que, des quinze premiers Césars, Claude fut le seul dont les amours n’aient pas fait rougir la nature. Pour les honneurs rendus à Antinoüs, voyez Spanheim, Commentaires sur les Césars de Julien, p. 80.

[51] Histoire Auguste, p. 13 ; Aurelius-Victor, in Epitom.

[52] Sans le secours des médailles et des inscriptions, nous ignorerions cette action d’Antonin le Pieux, qui fait tant d’honneur à sa mémoire.

[53] Gibbon attribue à Antonin le Pieux un mérite qu’il n’eut pas, ou que, du moins, il ne fait pas dans le cas de montrer : 1° il n’avait été adopté que sous la condition qu’il adopterait à son tour Marc-Aurèle et L. Verus ; 2° ses deux fils moururent enfants, et l’un d’eux, M. Galerius, parait seul avoir survécu de quelques années au couronnement de son père. Gibbon se trompe aussi lorsqu’il dit (note ci-dessus) que sans le secours des médailles et des inscriptions, nous ignorerions qu’Antonin avait deux fils. Capitolin dit expressément (c. 1) : Filii mares duo, duœ fœminœ : nous ne devons aux médailles que leurs noms. Pagi Critic. Baron., ad. A. C. 161, tome I, p. 33, éd. Paris. (Note de l’Éditeur).

[54] Pendant les vingt-trois années du règne d’Antonin, Marc-Aurèle ne fut que deux nuits absent du palais, et même à deux fois différentes. Hist. Auguste, p. 25.

[55] Ce prince aimait les spectacles, et n’était point insensible aux charmes du beau sexe. Marc-Aurèle, I, 16 ; Hist. Auguste, p. 20, 21 ; Julien , dans les Césars.

[56] Marc-Aurèle à été accusé d’hypocrisie, et ses ennemis lui ont reproché de n’avoir point eu cette simplicité qui caractérisait Antonin le Pieux, et même Verus (Hist. Auguste, 6, 34). Cet injuste soupçon nous fait voir combien les talents personnels l’emportent, aux yeux des hommes, sur les vertus sociales. Marc-Aurèle lui-même est qualifié d’hypocrite ; mais le sceptique le plus outré ne dira jamais que César fut peut-être un poltron, ou Cicéron un imbécile. L’esprit et la valeur se manifestent d’une manière bien plus incontestable que l’humanité et l’amour de la justice.

[57] Tacite a peint en peu de mots les principes de l’école du Portique : Doctores sapientiæ secutus est, qui sola bona quœ honesta, mala tantum quœ turpia ; potentiam, nobilitatem, cæteraque extrà animum, neque bonis, neque malis adnumerantla doctrine philosophique qui appelle uniquement bien ce qui est honnête, mal ce qui est honteux, et qui ne compte la puissance, la noblesse, et tout ce qui est hors de l'âme, au nombre ni des biens ni des maux. Hist., IV, 5.

[58] Avant sa seconde expédition contre les Germains, il donna, pendant trois jours, des leçons de philosophie au peuple romain. Il en avait déjà fait autant dans les villes de Grèce et d’Asie. Hist. Auguste, in Cassio, c. 3.

[59] Dion, LXXI, p. 1190, Hist. Auguste, in Avid. Cassio.

[60] Hist. Auguste, in Marc Anton., c.18.

[61] Vitellius dépensa, pour sa table, au moins six millions sterling en sept mois environ. Il serait difficile d’exprimer les vices de ce prince avec dignité, ou même avec décence. Tacite l’appelle un pourceau ; mais c’est en substituant à ce mot grossier une très belle image : At Vitellius, umbraculis hortorum abditus, ut ignava animalia, quibus si cibum suggeras, jaccent, torpentque, prœterita, instantia, futura, pari oblivione dimiscrat ; atque illum nemore Aricino desidem et marcentem, etc. Tacite, Hist., III, 36 ; II, 95 ; Suétone, in Vetell., 13 ; Dion, LXV, p. 1062.

[62] L’exécution d’Helvidius-Priscus et de la vertueuse Eponine, déshonorent le règne de Vespasien.

[63] Voyages de Chardin en Perse, vol. III, p. 293.

[64] L’usage d’élever des esclaves aux premières dignités de l’État est encore plus commun chez les Turcs que chez les Perses : les misérables contrées de Géorgie et de Circassie donnent des maîtres à la plus grande partie de l’Orient.

[65] Chardin prétend que les voyageurs européens ont répandu parmi les Perses, quelques idées de la liberté et de la douceur du gouvernement de leur patrie : ils leur ont rendu un très mauvais office.

[66] Ils alléguaient l’exemple de Scipion et de Caton (Tacite, Annal., III, 66). Marcellus-Epirus et Crispus-Vibius gagnèrent, sous le règne de Néron, deux millions et demi sterling. Leurs richesses, qui aggravaient leurs crimes, les protégèrent sous Vespasien. Voyez Tacite, Hist., IV, 43, Dialog. de Orat.  c 8. Regulus, l’objet des justes satires de Pline, reçut du sénat, pour une seule accusation, les ornements consulaires et un présent de soixante mille livres sterling.

[67] L’accusation du crime de lèse-majesté s’appliquait originairement au crime de haute trahison contre le peuple romain : comme tribuns du peuple, Auguste et Tibère l’appliquèrent aux offenses contre leurs personnes, et ils y donnèrent une extension infinie.

C’est Tibère et non Auguste qui prit le premier dans ce sens les mots de crime de lèse-majesté. Voyez Hist. Auguste, Bachii Trajanus, 27, sqq. (Note de l’Éditeur).

[68] Lorsque Agrippine, cette vertueuse et infortunée veuve de Germanicus, eut été mise à mort, le sénat rendit des actions de grâces à Tibère pour sa clémence : elle n’avait pas été étranglée publiquement, et son corps n’avait point été traîné aux Gémonies, où l’on exposait ceux des malfaiteurs ordinaires. Voyez Tacite, Annal., VI, 25 ; Suétone, Vie de Tibère, c. 53.

[69] Sériphos, île de la mer Égée, était un petit rocher dont on méprisait les habitants, plongés dans les ténèbres de l’ignorance. Ovide, dans ses plaintes fort justes, mais indignes d’un homme, nous a bien fait connaître le lieu de son exil. Il paraît que ce poète reçut simplement ordre de quitter Rome en tant de jours, et de se rendre à Tomes. Les gardes ni les geôliers n’étaient pas nécessaires.

[70] Sous le règne de Tibère, un chevalier romain entreprit de fuir chez les Parthes, il fut arrêté, dans le détroit de Sicile ; mais cet exemple parût si peu dangereux, que le plus inquiet des tyrans dédaigna de punir le coupable. Tacite, Annal., VI, 14.

[71] Cicéron, ad Familiares, IV, 7.