De l’union et de la prospérité intérieure de l’empire romain dans le siècle des Antonins.
CE n’est pas seulement par l’étendue et par la rapidité
des conquêtes que nous devons juger de la grandeur de Rome. Le souverain des
déserts de I. La politique du sénat et des souverains de Rome fut heureusement secondée, dans tout ce qui concernait la religion, par les lumières de quelques-uns de leurs sujets, et par la superstition aveugle des autres. Les différents cultes admis dans l’empire étaient considérés par le peuple comme également vrais, par le philosophe comme également faux, et par le magistrat comme également utiles. Ainsi la tolérance entretenait une indulgence réciproque et même une pieuse concorde. La superstition du peuple n’était ni irritée par l’aigreur théologique, ni renfermée dans les chaînes d’un système spéculatif. Fidèlement attaché aux cérémonies de son pays, le polythéiste recevait avec une foi implicite les différentes religions de la terre[3]. La crainte, la connaissance, la curiosité, un songe, un présage, un accident extraordinaire, un voyage entrepris dans des régions éloignées, étaient autant de causes, qui l’engageaient perpétuellement à multiplier les articles de sa foi, et à augmenter le nombre de ses dieux tutélaires. Le frêle tissu de la mythologie païenne était composé d’une foule de matériaux différents, à la vérité, mais non mal assortis. Dès qu’il était reconnu que les héros et les sages dont la vie ou la mort avait été utile à leur patrie, étaient revêtus une puissance immortelle, on ne pouvait se dispenser d’avouer qu’ils méritaient, sinon des adorations, du moins la vénération du genre humain. Les divinités d’un millier de bocages, d’un millier de sources jouissaient en paix de leur influence locale ; et lorsque le Romain conjurait la colère du Tibre, il ne pouvait mépriser l’habitant de l’Égypte enrichissant de ses offrandes la bienfaisante divinité du Nil. Les puissances visibles de la nature, les planètes et les éléments, étaient les mêmes dans tout l’univers : les gouverneurs invisibles du monde moral ne pouvaient être représentés que par des fictions et des allégories entièrement semblables. Toutes les vertus, tous les vices, devinrent autant de divinités. Chaque art, chaque profession, reconnut parmi les habitants du ciel un protecteur dont les attributs dans les siècles et les contrées les plus éloignées, tenaient au caractère particulier de ses adorateurs. Une république de dieux, si opposés de caractère et d’intérêt, avait besoin, dans tous les systèmes, de la main régulatrice d’un magistrat suprême : c’est ce magistrat que les progrès des connaissances et de l’adulation revêtirent graduellement des perfections et des titres sublimes de père éternel, de monarque tout-puissant[4]. La douceur de l’esprit de l’antiquité était telle, que les nations faisaient moins d’attention aux différences qu’aux rapports de leur croyance religieuse. Souvent le Grec, le Romain, le Barbare, venaient offrir leur encens dans les mêmes temples, malgré la diversité de leurs cérémonies ; ils se persuadaient aisément, que sous des noms différents, ils invoquaient la même divinité. Les chants d’Homère embellirent la mythologie, et ce poète donna le premier une forme presque régulière au polythéisme de l’ancien monde[5]. Les philosophes de Malgré l’esprit d’irréligion qui s’était introduit dans le siècle des Antonins, on respectait encore l’intérêt des prêtres et la crédulité du peuple. Les philosophes, dans leurs écrits et dans leurs discours, soutenaient la dignité de la raison, mais ils soumettaient en même temps leurs actions à l’empire des lois et de la coutume. Remplis d’indulgence pour ces erreurs qui excitaient leur pitié, ils pratiquaient avec soin les cérémonies de leurs ancêtres, et on les voyait fréquenter les temples des dieux ; quelquefois même ils ne dédaignaient pas de jouer un rôle sur le théâtre de la superstition, et la robe d’un pontife cachait souvent un athée. Avec de pareilles dispositions les sages de l’antiquité étaient bien éloignés de vouloir s’engager dans aucune dispute sur les dogmes et les différents cultes du vulgaire. Ils voyaient avec la plus grande indifférence les formes variées que prenait l’erreur pour en imposer à la multitude, et ils s’approchaient avec le même respect apparent et le même mépris secret des autels du Jupiter Libyen, ou de ceux du Jupiter Olympien, ou de ceux du Jupiter qu’on adorait au Capitole[8]. Il est difficile d’imaginer comment l’esprit de
persécution aurait pu s’introduire dans l’administration de l’empire : les
magistrats ne pouvaient se laisser entraîner par les prestiges d’un zèle
aveugle bien que sincère, puisqu’ils étaient eux-mêmes philosophes, et que
l’école d’Athènes avait donné des lois au sénat de Rome : ils ne
pouvaient être guidés ni par l’ambition ni par l’avarice dans un État où la
juridiction ecclésiastique était réunie à la puissance temporelle. Les plus
illustres sénateurs remplissaient les fonctions augustes du sacerdoce, et les
souverains furent constamment revêtus de la dignité de grand pontife. Ils
reconnaissaient les avantages d’une religion unie au gouvernement
civil ; ils encourageaient les fêtes publiques instituées pour adoucir
les mœurs des peuples ; ils sentaient combien l’art des augures était un
instrument utile dans les mains de la politique, et ils entretenaient, comme
le plus solide lien de la société, cette utile opinion, que, soit dans cette
vie, soit dans l’autre, le crime de parjure ne pouvait échapper au châtiment
que lui réservait l’inévitable vengeance des dieux[9]. Persuadés ainsi
des avantages généraux de la religion, ils croyaient que les différentes
espèces de culte contribuaient également au bonheur de l’empire : des
institutions consacrées dans chaque pays par le temps et par l’expérience,
leur paraissaient pouvoir seules convenir au climat et aux habitants. Il est
vrai que les statues des dieux et les ornements des temples devenaient
souvent la proie de l’avarice et de la cupidité[10] ; mais les
nations vaincues. éprouvaient, dans l’exercice de la religion de leurs
ancêtres, l’indulgence et même la
protection des vainqueurs. Rome était, sans cesse remplie d’étrangers qui se rendaient en foule de toutes les parties du monde dans cette capitale de l’empire[13], et qui tous y introduisaient et y pratiquaient les superstitions de leur patrie[14]. Chaque ville avait le droit de maintenir son ancien culte dans sa pureté : le sénat romain usait quelquefois de ce privilège commun pour opposer une digue à l’inondation de tant de cérémonies ridicules. De toutes les religions, celle des Égyptiens était la plus vile et la plus méprisable ; aussi l’exercice en fut-il souvent défendu : on démolissait les temples d’Isis et de Sérapis, et leurs adorateurs étaient bannis de Rome et de l’Italie[15]. Mais que peuvent les faibles efforts de la politique contre le zèle ardent du fanatisme ? Bientôt les exilés reparaissaient ; on voyait s’augmenter en même temps le nombre des prosélytes ; les temples étaient rebâtis avec encore plus de magnificence ; enfin Isis et Sérapis prirent place parmi les divinités romaines[16]. Cette indulgence n’avait rien de contraire aux anciennes maximes du gouvernement. Dans les plus beaux siècles de la république, Cybèle et Esculape avaient été invités par des ambassades solennelles[17], à venir prendre séance dans le Capitole ; et, pour séduire les divinités tutélaires des villes assiégées, on avait coutume de leur promettre des honneurs plus distingués que ceux dont elles jouissaient dans leur patrie[18]. Insensiblement Rome devint le temple général de ses sujets, et le droit de bourgeoisie fut accordé à tous les dieux de l’univers[19]. II. Les anciennes
républiques de Avant que les privilèges des Romains se fussent étendus à
tous les habitants de l’empire, l’Italie, bien différente des autres
provinces, était le centre du gouvernement et la base la plus solide de la
constitution : elle se vantait d’être le berceau, ou du moins la résidence
des sénateurs et des Césars[26]. Les terres des
Italiens étaient exemptes d’impositions, et leurs personnes, de la
juridiction arbitraire des gouverneurs. Formées d’après le modèle parfait de
la capitale, leurs villes jouissaient de la puissance exécutive sous
l’inspection immédiate de l’autorité souveraine. Depuis les Alpes jusqu’à
l’extrémité de Les provinces de l’empire, dont nous avons déjà donné la description, étaient dépourvues de toute force politique et de tous les avantages d’une liberté constitutionnelle. Dans la Grèce[28], en Étrurie et dans la Gaule[29], le premier soin du sénat fut de détruire des confédérations dangereuses et capables d’apprendre à l’univers que si les Romains avaient su profiter de la division de leurs ennemis, l’union pouvait arrêter les progrès de leurs armes. Souvent leur ambition prenait le masque de la générosité ou de la reconnaissance. Des souverains devaient, pendant quelque temps, leurs sceptres à ces fausses vertus ; mais aussitôt qu’ils avaient rempli la tâche qui leur avait été imposée, de façonner au joug les nations vaincues, ils étaient, précipités au trône. Les États libres qui avaient embrassé la cause de Rome, admis d’abord en apparence au rang d’alliés, furent ensuite insensiblement réduits en servitude. Des ministres nommés par le sénat et par les empereurs exerçaient une autorité absolue et sans bornes. Mais les maximes salutaires du gouvernement, qui avaient assuré la paix et la soumission de l’Italie, pénétrèrent dans les contrées les plus éloignées. L’établissement des colonies et le droit de bourgeoisie accordé aux sujets distingués par leur mérite et leur fidélité, formèrent bientôt une nation de Romains sur toute la surface de l’empire. Partout où le Romain porte ses conquêtes, il établit son habitation, dit très bien Sénèque[30] ; l’histoire et l’expérience ont confirmé cette observation. Les habitants de l’Italie, attirés par l’attrait du plaisir et de l’intérêt, se hâtaient de jouir des fruits de la victoire. Quarante ans après la réduction de l’Asie, quatre-vingt mille Romains furent massacrés en un seul jour par les ordres du cruel Mithridate[31]. Ces exilés volontaires consentaient à vivre, loin de leur patrie pour se livrer au commerce, à l’agriculture et à la perception des revenus publics. Dans la suite, lorsque sous les empereurs les légions eurent été rendues permanentes, toutes les provinces se peuplèrent de familles de soldats ; les vétérans, après avoir reçu la récompense de leurs services, en argent ou en terres, avaient coutume de s’établir avec leurs familles dans le pays qui avait été le théâtre de leurs exploits. Dans tout l’empire, mais principalement dans la partie occidentale, on réservait les terrains les plus fertiles et les positions les plus avantageuses pour les colonies, dont les unes étaient d’institution civile, et les autres d’une nature militaire. Dans leurs mœurs et dans l’administration intérieure, elles présentaient une image parfaite de la métropole. Elles contribuaient à faire respecter le nom romain ; les habitants du pays ou elles étaient situées, unis bientôt avec elles par des alliances et par les nœuds de l’amitié, ne manquaient pas d’aspirer, dans l’occasion favorable, aux mêmes honneurs et aux mêmes avantages, et manquaient rarement de les obtenir[32]. Les villes municipales parvinrent insensiblement au rang et à la splendeur des colonies. Sous Adrien, l’on disputait pour savoir quel sort devait être préféré, ou celui de ces sociétés que Rome avait tirées de son sein, ou celui des peuples qu’elle y avait reçus[33]. Le droit de Latium était d’une espèce particulière : dans les villes qui jouissaient de cette faveur, les magistrats seulement prenaient, à l’expiration de leurs offices, la qualité de citoyen romain ; mais comme, ils étaient annuels, les principales familles se trouvaient bientôt revêtues de cette dignité[34]. Ceux des habitants des provinces à qui on permettait de porter les armés dans les légions[35], ceux qui exerçaient quelque emploi civil ; en un mot, tous ceux qui avaient servi l’État d’une manière quelconque, ou déployé quelque talent personnel, recevaient pour récompense un présent dont le prix diminuait tous les jours par la libéralité excessive des empereurs. Cependant, dans le siècle des Antonins, ce titre était encore accompagné d’avantages réels, quoiqu’il eût été alors accordé à un très grand nombre de sujets. Il procurait aux gens du peuple le bénéfice des lois romaines, particulièrement dans les mariages, les successions et les testaments ; et il ouvrait une carrière brillante à ceux dont les prétentions étaient secondées par la faveur ou par le mérite. Les petits-fils de ces Gaulois qui avaient assiégé Jules César dans Alésia[36], commandaient des légions, gouvernaient des provinces, et étaient admis dans le sénat de Rome[37] ; leur ambition, au lieu de troubler la tranquillité publique, se trouvait étroitement liée à la grandeur et à la sûreté de l’État. Les Romains n’ignoraient pas l’influence du langage sur
les mœurs ; aussi s’occupèrent-ils sérieusement des moyens d’étendre avec
leurs conquêtes l’usage de la langue latine[38]. Il ne resta
aucune trace des différents dialectes de l’Italie : l’étrusque, le sabin
et le vénète, disparurent. Les provinces de l’Orient ne furent pas aussi
dociles à la voix d’un maître victorieux. L’empire se trouva ainsi partagé en
deux parties entièrement différentes.
Cette distinction se perdit dans l’éclat de la prospérité ; mais elle
devint plus sensible à mesure que les ombres de l’adversité s’abaissèrent sur
l’univers romain. Les contrées de l’Occident furent civilisées par les mains
qui les avaient soumises. Lorsque les Barbares commencèrent à porter avec
moins de répugnance le joug de la servitude, leurs esprits s’ouvrirent aux
impressions nouvelles des sciences et de la civilisation. La langue de
Virgile et de Cicéron fut universellement adoptée en Afrique, en Espagne,
dans C’est une observation devenue commune, et qui n’en est pas moins vraie, que Rome
triomphante fut subjuguée par les arts de Ce fut par de semblables institutions que les nations de l’empire se confondirent insensiblement dans ce même nom et ce même peuple romain ; mais il existait toujours au centre de toutes les provinces et dans le sein de chaque famille, une classe d’hommes infortunés, destinés à supporter toutes les charges de la société sans en partager les avantages. Dans les États libres de l’antiquité, les esclaves domestiques étaient exposés à toute la rigueur capricieuse du despotisme. L’établissement complet de l’empire romain avait été précédé par des siècles de violence et de rapines. Les esclaves étaient, pour la plupart, des Barbares captifs, que le sort des armes faisait tomber par milliers entre les mains du vainqueur[47], et que l’on vendait à vil prix[48]. Impatients de briser leurs fers, ils ne respiraient que la vengeance, et regrettaient sans cesse cette vie indépendante à laquelle ils avaient été accoutumés. Le désespoir leur donna souvent des armes, et leur soulèvement mit plus d’une fois la république sur le penchant de sa ruine[49]. On établit contre ces ennemis dangereux de sévères règlements[50] et des châtiments cruels, que la nécessité seule pouvait justifier. Mais. lorsque les principales nations de l’Asie, de l’Europe et de l’Afrique, eurent été réunies sous un seul gouvernement, les sources étrangères de l’abondance des esclaves commencèrent à se tarir ; et pour, en entretenir toujours le même nombre, les Romains furent obligés d’avoir recours à des moyens plus doux, mais moins prompts[51] : ils encouragèrent les mariages entre leurs nombreux esclaves, et surtout à la campagne. Les sentiments de la nature, les habitudes de l’éducation, la possession d’une sorte de propriété dépendante, contribuèrent à adoucir les peines de la servitude[52]. L’existence d’un esclave devint un objet plus précieux ; et quoique son bonheur tînt toujours au caractère et à la fortune de celui dont il dépendait, la crainte n’étouffait plus la voix de la pitié, et l’intérêt du maître lui dictait des sentiments plus humains. La vertu ou la politique des souverains accéléra le progrès des mœurs ; et, par les édits d’Adrien et des Antonins, la protection des lois s’étendit jusque sur la classe la plus abjecte de la société. Après bien des siècles, le droit de vie et de mort sur les esclaves fut enlevé aux particuliers, qui en avaient si souvent abusé ; il fut réservé aux magistrats seuls. L’usage des prisons souterraines fut aboli, et dès qu’un esclave se plaignait d’avoir été maltraité injustement, il obtenait sa délivrance ou un maître moins cruel[53]. L’espérance, le plus consolant appui de notre imparfaite existence, n’était pas refusée à l’esclave romain. S’il trouvait quelque occasion de se rendre utile ou agréable, il devait naturellement s’attendre qu’après un petit nombre d’années, son zèle et sa fidélité seraient récompensés par le présent inestimable de la liberté. Souvent les maîtres n’étaient portés à ces actes de générosité que par la vanité et par l’avarice : aussi les lois crurent-elles plus nécessaire de restreindre que d’encourager une libéralité prodigue et aveugle, qui aurait pu dégénérer en un abus très dangereux[54]. Selon la jurisprudence ancienne, un esclave n’avait point de patrie ; mais dès qu’il était libre, il était admis dans la société politique dont son patron était membre. En vertu de cette maxime, la dignité de citoyen serait devenue indistinctement le partage de la multitude : on jugera donc à propos d’établir d’utiles exceptions, et cette distinction honorable fut accordée seulement, et avec l’approbation du magistrat, aux esclaves qui s’en étaient rendus dignes, et qui avaient été solennellement et légalement affranchis : encore n’obtenaient-ils que les droits privés des citoyens, et ils étaient rigoureusement exclus des emplois civils et du service militaire. Leurs fils étaient pareillement incapables de prendre séance dans le sénat, quels que pussent être leur mérite et leur fortune, les traces d’une origine servile ne s’effaçaient entièrement qu’à la troisième ou quatrième génération[55]. C’est ainsi que, sans confondre les rangs, on faisait entrevoir, dans une perspective éloignée, un état libre et des honneurs à ceux que l’orgueil et le préjugé mettaient à peine au rang de l’espèce humaine. Ou avait proposé de donner aux esclaves un habit particulier qui les distinguât ; mais on s’aperçut combien il était dangereux de leur faire connaître leur propre nombre[56]. Sans interpréter à la rigueur les mots de légions ou de myriades[57], nous pouvons avancer que la proportion des esclaves regardés comme propriété, était bien plus considérable que celle des domestiques, qu’on ne doit regarder que comme une dépense[58]. On cultivait l’esprit des jeunes esclaves qui montraient de la disposition pour les sciences ; leur prix était réglé sur leurs talents et sur leur habilité[59]. Presque tous les arts libéraux[60] et mécaniques étaient exercés dans la maison des sénateurs opulents. Les bras employés aux objets de luxe et de sensualité étaient multipliés à un point qui surpasse de beaucoup les efforts de la magnificence moderne[61]. Le marchand ou le fabricant trouvait plus d’avantage à acheter ses ouvriers qu’à les louer. Dans les campagnes les esclaves étaient employés comme les instruments les moins chers et les plus utiles de l’agriculture. Quelques exemples viendront à l’appui de ces observations générales, et nous donneront une idée de la multitude de ces malheureux condamnés à un état si humiliant. Un triste événement fit connaître qu’un seul palais à Rome renfermait quatre cents esclaves[62]. 0n en comptait un pareil nombre dans une terre en Afrique, qu’une veuve d’une condition très peu relevée cédait à son fils, tandis qu’elle se réservait des biens beaucoup plus considérables[63]. Sous le règne d’Auguste, un affranchi, dont la fortune avait été fort diminuée dans les guerres civiles, laissa après sa mort trois mille six cents paires de bœufs, deux cent cinquante mille têtes de menu bétail, et, ce qui était presque compté parmi les animaux, quatre mille cent seize esclaves[64]. Nous ne pouvons fixer avec le degré d’exactitude que demanderait l’importance du sujet, le nombre de ceux qui reconnaissaient les lois de Rome, citoyens, esclaves, ou habitants des provinces. Le dénombrement fait par l’empereur Claude, lorsqu’il exerça la fonction de censeur, était de six millions neuf cent quarante-cinq mille citoyens romains ; ce qui pourrait se monter environ à vingt millions d’âmes, en comprenant les femmes et les enfants. Le nombre des sujets d’un rang inférieur était incertain et sujet à varier ; mais, après avoir pesé avec attention tout ce qui peut entrer dans la balance, il est probable que, du temps de Claude, il existait à peu prés deux fois autant de provinciaux que de citoyens de tout âge, de l’un et de l’autre sexe. Les esclaves étaient au moins égaux en nombre aux habitants libres de l’empire[65]. Le résultat de ce calcul imparfait serait donc d’environ cent vingt millions d’âmes ; population qui excède peut-être celle de l’Europe moderne[66], et qui forme la société la plus nombreuse que l’on ait jamais vue réunie sous un seul gouvernement. La tranquillité et la paix intérieure étaient les suites
naturelles de la modération des Romains et de leur politique éclairée. Si
nous jetons les yeux sur les monarchies de l’Orient, nous voyons le
despotisme au centre, et la faiblesse aux extrémités ; la perception des
revenus ou l’administration de la justice soutenue par la présence d’une armée ;
des Barbares en état de guerre établis dans le pays même ; des satrapes
héréditaires usurpant la domination des provinces ; des sujets portés à
la rébellion, mais incapables de jouir de la liberté : tels sont les objets
qui frappent nos regards. L’obéissance qui régnait dans tout le monde romain,
était volontaire, uniforme et permanente. Les nations vaincues ne formaient
plus qu’un grand peuple : elles avaient perdu l’espoir, le désir même de
recouvrer leur indépendance, et elles séparaient à peine leur propre
existence de celle de Rome. L’autorité des empereurs pénétrait, sans le
moindre obstacle, dans toutes les parties de leurs vastes domaines ; et
elle était exercée sur les bords de Parmi les nombreux monuments d’architecture que construisirent les Romains, combien ont échappé aux recherches de l’histoire, et qu’il en est peu qui aient résisté aux ravages des temps et de la barbarie ! Et cependant les ruines majestueuses éparses dans l’Italie et dans les provinces, prouvent assez que ces contrées ont été le siége d’un illustre et puissant empire. La grandeur et la beauté de ces superbes débris mériteraient seuls toute notre attention ; mais deux circonstances les rendent encore plus dignes d’attirer nos regards. La plupart de ces magnifiques ouvrages avaient été élevés par des particuliers, et tous étaient consacrés à l’utilité publique : considération importante, qui unit l’histoire agréable des arts à l’histoire bien plus instructive des mœurs et de l’esprit humain. Il est naturel d’imaginer que le plus grand nombre et les
plus considérables des édifices romains ont été bâtis par les empereurs, qui
pouvaient disposer de tant de bras et de trésors si immenses. Auguste avait
coutume de répéter avec orgueil : J’ai trouvé
ma capitale en briques, et je la laisse en marbre à mes successeurs[68]. La sévère
économie de Vespasien fut la source de sa magnificence. Les ouvrages de
Trajan portent l’empreinte de son génie. Les monuments publics dont Adrien
orna toutes les provinces de l’empire furent exécutés, non seulement par ses
ordres, mais encore sous son inspection immédiate. Ce prince était lui-même
artiste, et il aimait surtout les arts comme faisant la gloire d’un monarque.
Les Antonins les encouragèrent, parce qu’ils les crurent propres à contribuer
au bonheur de leurs sujets. Mais si les souverains donnèrent l’exemple, ils
furent bientôt imités. Les principaux citoyens ne craignirent pas de montrer
qu’ils avaient assez de hardiesse pour former les plus grands desseins, et
assez de richesses pour les exécuter. Rome se vantait à peine de son
magnifique Colisée, que les villes de Capoue et de Vérone[69] avaient fait
élevé, à leurs dépens, des édifices moins vastes à la vérité, mais construits
sur les mêmes plans et avec les mêmes matériaux. L’inscription trouvée à
Alcantara, prouve que ce pont merveilleux avait été jeté sur le Tage aux
frais de quelques communes de Lorsque la famille d’Hérode se trouva dans l’opulence, elle compta parmi ses ancêtres Cimon et Miltiade, Thésée et Cécrops, Éaque et Jupiter. Mais la postérité de tant de dieux et de héros était bien déchue de son antique grandeur. L’aïeul d’Hérode avait été livré entre les mains de la justice, et Julius-Atticus son père aurait fini ses jours dans la pauvreté et le mépris s’il n’eût pas découvert un trésor immense dans une vieille maison, seul resté de son patrimoine. Selon la loi, une partie de ces richesses appartenait à l’empereur : Atticus prévint prudemment, par un libre aveu, le zèle des délateurs. Le trône était alors occupé par l’équitable Nerva, qui ne voulut rien accepter, et fit répondre à Atticus qu’il pouvait jouir sans scrupule du présent que lui avait fait la fortune. L’Athénien poussa plus loin la circonspection : il représenta que le trésor était trop considérable pour un sujet, et qu’il ne savait comment en user. Abuses-en donc, car il t’appartient[71], répliqua l’empereur, avec un mouvement d’impatience gui marquait la bonté de son naturel. Atticus pourra passer dans l’esprit de bien des gens pour avoir obéi littéralement à ce dernier ordre de l’empereur ; car sa fortune s’étant trouvée bientôt après augmentée par un mariage avantageux, il en consacra la plus grande partie à l’utilité publique. Il avait obtenu pour son fils Hérode la préfecture des villes libres de l’Asie. Le jeune magistrat, voyant que celle de Troade était mal fournie d’eau, reçut d’Adrien, pour la construction d’un nouvel aqueduc, trois cents myriades de drachmes (environ cent mille livres sterling ). Mais l’exécution de l’ouvrage monta à plus du double de l’évaluation ; et des officiers publics commençaient à murmurer lorsque le généreux Atticus mit fin à leurs plaintes, en leur demandant la permission de prendre sur lui le surplus de la dépense[72]. Attirés par de grandes récompenses, les maîtres les plus
habiles de Dans les républiques d’Athènes et de Rome, la modestie et
la simplicité des maisons particulières annonçaient l’égalité des conditions,
tandis que la souveraineté du peuple brillait avec éclat dans la majesté des
édifices publics[76]. L’introduction
des richesses et l’établissement de la monarchie n’éteignirent pas tout à
fait cet esprit républicain. Ce fût dans les ouvrages destinés à la gloire et
à l’utilité de la nation, que les plus vertueux empereurs déployèrent leur
magnificence. Le palais d’or de Néron avait excité à juste titre l’indignation ;
mais cette vaste étendue de terrain envahie par un luxe effréné, servit
bientôt à de plus nobles usages. On y admira, sous les règnes suivants, le
Colisée, les bains de Titus, le portique de Claudien, et les temples élevés à
la déesse de Nous avons fait l’énumération des habitants de l’empire, et nous venons de contempler le spectacle pompeux de ses ouvrages publics : un coup d’œil sur le nombre et la grandeur des villes confirmera nos observations sur le premier point, et nous donnera occasion sur le second d’en faire de nouvelles ; mais, en rassemblant quelques faits, il ne faut pas oublier que la vanité des nations et la disette des langues ont fait donner indifféremment le nom vague de ville à Rome et à Laurentum. I. On prétend que
l’ancienne Italie renfermait onze cent quatre-vingt dix-sept villes : et
à quelque époque de l’antiquité que puisse se rapporter ce calcul[79], il n’existe
aucune raison pour croire que dans le siècle des Antonins le nombre de ses
habitants ait été moins considérable qu’au temps de Romulus. Attirés par une
influence supérieure, les petits États du Latium furent insensiblement
compris dans la métropole de l’empire. Ces mêmes contrées, qui ont langui si
longtemps sous, le gouvernement faible et tyrannique des prêtres et des
vice-rois, n’avaient éprouvé alors que les malheurs plus supportables de la
guerre ; et les premiers symptômes de décadence qu’elles éprouvèrent
furent amplement compensés par les rapides progrès qui se firent remarquer
dans la prospérité de II. L’esprit,
d’amélioration avait passé au-delà des Alpes, dans les forêts mêmes de III. Trois cents villes en Afrique avaient été soumises à Carthage[84] : il n’est pas probable que ce nombre ait diminué sous l’administration des empereurs. Carthage elle-même sortit de sa cendre avec un nouvel éclat, et cette ville, aussi bien que Capoue et Corinthe, recouvra bientôt tous les avantages qui ne sont pas incompatibles avec la dépendance. IV. L’Orient
présente le contraste le plus frappant entre la magnificence romaine et la
barbarie des Turcs. Des campagnes
incultes offrent de tous côtés des ruines superbes, que l’ignorance regarde
comme l’ouvrage d’un pouvoir surnaturel. Ces restes précieux de l’antiquité
offrent à peine un asile au paysan opprimé ou à l’Arabe vagabond. Sous les
Césars, l’Asie proprement dite contenait seule cinq cents villes[85] riches,
peuplées, comblées de tous les dons de la nature, et embellies par les arts.
Onze d’entre elles se disputèrent l’honneur de dédier un temple à Tibère, et
leur mérité respectif fut examiné dans le sénat de Rome[86]. Il y en eut
quatre dont la proposition fût rejetée, parce qu’on ne les crût pas en état
de fournir aux dépenses nécessaires
pour une si grande entreprise. De ce nombre était Laodicée, dont la splendeur
paraît, encore dans ses ruines[87] : elle
retirait des revenus immenses de la vente de ses moutons, renommés pour la
finesse de leur laine ; et peu de temps avant la dispute dont nous
venons de parler, un citoyen généreux lui avait laissé plus de 400 mille
livres sterling par son testament[88]. Telle était la
pauvreté de Laodicée : elle peut nous faire juger des richesses des villes
qui avaient obtenu la préférence, et principalement de Pergame, de Smyrne et
d’Éphèse, qui se disputèrent longtemps le premier rang en Asie[89]. Les capitales
de Toutes ces villes étaient unies entre elles, et avec la capitale de l’empire de grands chemins qui partaient du milieu de la place de Rome, traversaient l’Italie, pénétraient dans les provinces, et ne se terminaient qu’à l’extrémité de cette vaste monarchie. Depuis le mur d’Antonin jusqu’à Jérusalem, la grande, chaîne de communication s’étendait du nord-est au sud-est, dans une longueur de quatre mille quatre-vingts milles romains[91]. Toutes les routes étaient exactement divisées par les bornes militaires ; on les traçait en droite ligne d’une ville à l’autre, sans avoir égard aux droits de propriété, ni aux obstacles de la nature ; on perçait les montagnes, et des arches hardies bravaient l’impétuosité des fleuves les plus larges et les plus rapides[92]. Le milieu du chemin, qui s’élevait en terrasse au-dessus de la campagne voisine, était composé de plusieurs couches de sable, de gravier et de ciment ; on se servait de larges pierres pour paver ; et dans quelques endroits près de Rome, on avait employé le granit[93]. Telle était la construction solide des grands chemins de l’empire, qui n’ont pu être entièrement détruits par l’effort de quinze siècles. Ils procuraient aux habitants des provinces les plus éloignées, les moyens d’entretenir une correspondance aisée ; mais leur premier objet avait été de faciliter la marche des légions. Les Romains ne se croyaient entièrement maîtres d’une contrée, que lorsqu’elle était devenue, dans toutes ses parties, accessible aux armes et à l’autorité du vainqueur. Des postes régulières, établies dans les provinces, instruisaient en peu de temps le souverain de ce qui se passait dans ses vastes domaines, et portaient de tous côtés ses ordres, avec promptitude[94]. On avait distribué, à des distances seulement de cinq ou six milles, des maisons où l’on avait soin d’entretenir quarante chevaux ; et au moyen de ces relais, on pouvait faire environ cent milles par jour sur quelque route que ce fût[95]. Pour voyager ainsi, il fallait être autorisé par l’empereur ; mais quoique ces postes n’eussent été instituées que pour le service public, on permettait quelquefois aux citoyens d’en faire usage pour leurs affaires particulières[96]. La communication n’était pas moins libre par mer ; xxPort d’Ostiexx Quelques inconvénients que, soit avec justice, soit par un simple goût de déclamation, on ait voulu attribuer à la trop grande étendue des empires ; on ne peut disconvenir que la puissance de Rome n’ait eu, sous quelques rapports, des effets avantageux au bonheur du genre humain ; et cette même liberté de communications qui propageait les vices, propageait avec une égale rapidité les perfectionnements de la vie sociale. Dans une antiquité plus reculée, le globe présentait sur sa surface des parties bien différentes : l’Orient, depuis un temps immémorial, était en possession du luxe et des arts, tandis que l’Occident était habité par des Barbares grossiers et belliqueux qui ou dédaignaient l’agriculture ou n’en avaient pas même la moindre idée. A l’abri d’un gouvernement fixe et assuré, les productions dont la nature avait enrichi des climats plus fortunés, et les arts d’industries connues parmi des nations plus civilisées, furent portés dans les contrées occidentales de l’Europe, et les habitants de ces contrées, encouragés par un commerce libre et profitable, apprirent à multiplier les unes et à perfectionner les autres. Il serait presque impossible de faire l’énumération de toutes les plantes et de tous les animaux qui furent transportés en Europe de l’Asie et de l’Égypte[99] : nous ne parlerons que des principaux, persuadé qui ce sujet peut être utile, et qu’il n’est pas indigne de la majesté de l’histoire. I. Les fleurs, les herbes et les fruits, qui croissent aujourd’hui dans nos jardins, sont, pour la plupart, d’extraction étrangère, comme il paraît souvent par le nom qui leur a été conservé. La pomme était une production naturelle de l’Italie, et lorsque les Romains eurent connu le goût plus délicat de la pêche, de l’abricot, de la grenade, du citron et de l’orange, ils donnèrent le nom de pomme a tous ces nouveaux fruits, et ne les distinguèrent que par le nom du pays d’où ils avaient été transplantés. II. Du temps
d’Homère, la vigne croissait sans culture en Sicile, et vraisemblablement
dans le continent voisin ; mais l’art ne l’avait pas perfectionnée, et
les habitants de ces pays alors Barbares[100], ne savaient
point en extraire une liqueur agréable.
Mille ans après, l’Italie pouvait se vanter de produire plus des deux
tiers des vins les plus renommés, dont on comptait quatre-vingts espèces
différentes[101].
Cette denrée précieuse passa bientôt dans III. Dans l’Occident,
la culture de l’olivier suivit les progrès de la paix dont il était le
symbole. Deux siècles après la fondation de Rome, l’Italie, et l’Afrique ne
connaissaient point cet arbre utile. L’olivier fut bientôt naturalisé dans
ces contrées, et enfin planté dans l’intérieur de IV. La culture du
lin passa de l’Égypte dans V. Les prairies artificielles devinrent communes dans l’Italie et dans les provinces, particulièrement la luzerne, qui tirait son nom et son origine de la Médie[107]. Des provisions assurées d’une nourriture saine et abondante pour le bétail, pendant l’hiver, multiplièrent le nombre des troupeaux, qui, de leur côté, contribuèrent à la fertilité du sol. A tous ces avantages l’on peut, ajouter une attention particulière pour la pêche et pour l’exploitation des mines. Ces travaux employaient une multitude de sujets, et servaient également aux plaisirs du riche et à la subsistance du pauvre. Columelle nous a donné, dans son excellent ouvrage, la description de l’état florissant de l’agriculture en Espagne sous le régner de Tibère, et l’on peut observer que ces famines, qui désolaient si souvent la république, dans son enfance, se firent à peine sentir lorsque Rome donna des lois à un vaste empire : s’il arrivait qu’une province éprouvât quelque disette, elle trouvait aussitôt des secours prompts dans l’abondance d’un voisin plus fortuné. L’agriculture est la base des manufactures, puisque l’art ne peut mettre en œuvre que, les productions naturelles. Chez les Romains, un peuple entier d’ouvriers industrieux était sans cesse employé à servir, de mille façons différentes, les gens riches. Dans leurs habits, leurs tables, leurs maisons et leurs meubles, les favoris de la fortune réunissaient tous les raffinements de l’élégance, de l’utilité et de la magnificence ; on voyait briller autour d’eux tout ce qui pouvait flatter leur vanité et satisfaire leur sensualité. Ce sont ces raffinements si connus sous le nom odieux de luxe, qui ont excité dans tous les siècles l’indignation des moralistes. Peut-être la société serait-elle plus parfaite et plus heureuse, si tous les hommes possédaient le nécessaire, et que personne ne jouît du superflu ; mais, dans l’état actuel, le luxe, quoique né du vice ou de la folie, paraît seul pouvoir corriger la distribution inégale des biens. L’ouvrier laborieux, l’artiste adroit ne possèdent aucune terre ; mais ceux qui les ont en partage consentent à leur payer une taxe, et les propriétaires sont portés, par leur intérêt, à cultiver avec plus de soin des productions dont l’échange leur fournit de nouveaux moyens de plaisir. Cette réaction, dont toute société éprouve des effets particuliers, se fit sentir avec une énergie bien plus puissante dans l’univers romain. Les provinces auraient bientôt été épuisées, si les manufactures et le commerce de luxe n’eussent rendu à des sujets industrieux les richesses que leur avaient enlevées les armes et la puissance de Rome. Tant que la circulation ne s’étendit pas au-delà des limites de l’empire, elle imprima un degré d’activité, à la machine politique, et ses effets souvent utiles, ne furent jamais pernicieux. Mais rien n’est peut-être plus difficile que de renfermer
le luxe dans les bornes d’un État. Les contrées les plus éloignées furent
mises à contribution pour fournir de nouveaux aliments au faste et à la pompe
de la capitale. Les forêts de Malgré le penchant qu’ont tous les hommes a vanter le
passé et à se plaindre du présent, les Romains et les habitants des provinces
sentaient vivement et reconnaissaient de bonne foi l’état heureux et
tranquille dont ils jouissaient. Ils conviennent
tous que les vrais principes de la loi sociale, les lois, l’agriculture, les
sciences, enseignées d’abord dans Il était presque impossible que l’œil des contemporains
découvrît dans la félicité publique des semences cachées de décadence et de
destruction. Une longue paix, un gouvernement uniforme, introduisirent un
poison lent et secret dans toutes les parties de l’empire : toutes les
âmes se trouvèrent insensiblement réduites à un même niveau ; le feu du
génie disparut ; l’on vit même s’évanouir l’esprit militaire. Les
Européens étaient braves et robustes. Les provinces de L’amour des lettres est presque inséparable de la paix et
de l’opulence : elles furent cultivées sous le règne d’Adrien et des deux
Antonins, princes instruits eux-mêmes et jaloux de le devenir davantage. Ce
goût se répandit dans toute l’étendue de l’empire : la rhétorique était
connue dans le nord de A la renaissance des lettres, le génie de l’Europe parut tout à coup : une imagination active et pleine de force, l’émulation nationale, une religion nouvelle, de nouvelles langues, un nouvel univers, tout l’invitait à sortir de l’engourdissement où il était enseveli ; mais dans l’empire de Rome, les habitants des provinces, subordonnés au système uniforme d’une éducation étrangère, ne pouvaient entrer en lice avec ces fiers anciens, qui, jouissant de l’avantage d’exprimer dans leur langue naturelle la hardiesse de leurs pensées, s’étaient emparés des premiers rangs. Le nom de poète était presque oublié ; les sophistes avaient usurpé celui d’orateur ; une nuée de critiques, de compilateurs et de commentateurs, obscurcissait le champ des sciences, et la corruption du goût suivit de près la décadence du génie. Un peu plus tard, on vit paraître à la cour d’une reine de Syrie un homme qui, élevé en quelque sorte au-dessus de son siècle, fit revivre l’esprit de l’ancienne Athènes. Le sublime Longin observe et déplore cette dépravation, qui avilissait ses contemporains, énervait leur courage et étouffait les talents : Comme on voit, dit-il, les enfants dont les membres ont été trop comprimés, demeurer toujours des pygmées, ainsi, lorsque nos âmes ont été enchaînées par le préjugé et par la servitude, elles sont incapables de s’élever. Jamais elles ne connaîtront cette véritable grandeur si admirée, dans les anciens, qui, vivant sous un gouvernement républicain, écrivaient avec la même liberté qui dirigeait leurs actions[121]. Pour suivre cette métaphore, disons que le genre humain éprouva de jour en jour une dégradation sensible ; et réellement l’empire romain n’était peuplé que de pygmées, lorsque les fiers géants du Nord accoururent sur la scène, et firent disparaître cette race abâtardie. Ils firent renaître les mâles sentiments de la liberté ; et après une révolution de dix siècles, la liberté enfanta le goût et la science. |
[1] Ils furent érigés entre Lahore et Delhi, environ à égale distance de ces deux villes. Les conquêtes d’Alexandre dans l’Indoustan se bornèrent au Pendjab, contrée arrosée par les cinq grandes Branches de l’Indus.
L’Hyphase est un des cinq
fleuves qui se jettent dans l’Indus ou le Sindé, après avoir traversé la
province du Pendjab, nom qui, en persan, signifie cinq rivières. De ces cinq
fleuves, quatre sont connus dans l’Histoire de l’expédition d’Alexandre : ce
sont l’Hydaspes, l’Acésines, l’Hydraotes, l’Hyphasis. Les géographes ne sont
pas d’accord sur la correspondance qu’il faut établir entre ces noms et les
noms modernes. Selon d’Anville, l’Hydaspes est aujourd’hui le Shantrow ;
l’Acésines est la rivière qui passe à Lahore, ou le Rauvee, l’Hydraotes
s’appelle Bïah, et l’Hyphasis Caùl. Rennell, dans les cartes de sa Géographie
de l’Indoustan, donne à l’Hydaspes le nom de Béhat ou Chelum, à l’Acésines
celui de Chunaub, à l’Hydraotes celui de Rauvee, à l’Hyphasis celui de Beyah.
Voy. d’Anville, Géogr. anc., t. II, p. 340, et
[2] Voyez M. de Guignes, Hist. des Huns, l. XV, XVI et XVII.
[3] Hérodote est celui
de tous les anciens qui a le mieux peint le véritable génie du polythéisme. Le
plus excellent commentaire de ce qu’il nous a laissé sur ce sujet se trouve
dans l’Histoire naturelle de
[4] Les droits, la puissance et les prétentions du souverain de l’Olympe sont très nettement décrits dans te treizième livre de l’Iliade ; j’entends dans l’original grec : car Pôpe, sans y penser, a fort amélioré la théologie d’Homère.
[5] Voyez pour exemple César (de Bello gallico, VI, 17). Dans le cours d’un ou de deux siècles, les Gaulois eux-mêmes donnèrent à leurs divinités les noms de Mercure, Mars, Apollon, etc.
[6] L’admirable ouvrage de Cicéron, sur la nature des dieux, est le meilleur guide que nous puissions suivre au milieu de ces ténèbres et dans l’abîme si profond. Cet écrivain représente sans déguisement et réfute avec habileté les opinions des philosophes.
[7] Je ne prétends pas assurer que, dans ce siècle irréligieux, la superstition eût perdu son empire, et que les songes, les présages, les apparitions, etc., n’inspirassent plus de terreur.
[8] Socrate, Épicure, Cicéron et Plutarque, ont toujours montré le plus grand respect pour la religion de leur pays. Épicure montra même une dévotion exemplaire et une grande assiduité dans les temples. Diogène-Laërce, X, 10.
[9] Polybe, l. VI, c. 53, 54. Juvénal se plaint (Satires, XIII) de ce que, de son temps, cette appréhension était devenue presque sans effet.
[10] Voyez le sort de
Syracuse, de Tarente, d’Ambracie, de Corinthe, etc., la conduite de Verrès, dans
Cicéron (at. II, or. 4), et la pratique ordinaire des gouverneurs dans
[11] Suétone, Vie de Claude ; Pline, Hist. nat., XXX, I.
[12] Pelloutier, Hist. des Celtes, tome VI, p. 230-252.
[13] Sen., Consol ad Helviam, p. 74, édit. de Juste-Lipse.
[14] Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, l. II.
[15] Dans l’année de Rome 701, le temple d’Isis et de Sérapis fut démoli en vertu d’un ordre du sénat (Dion , l. XL, p. 252), et par les mains mêmes du consul (Valère-Maxime, I, 3). Après la mort de César, il fut rebâti aux dépens du public (Dion, XLVII, p. 501). Auguste, dans son séjour en Égypte, respecta la majesté de Sérapis (l. LI, p. 647) ; mais il défendit le culte des dieux égyptiens dans le pœmerium de Rome, et à un mille aux environs (Dion, LIII, p. 679, LIV, p. 735). Ces divinités furent assez en vogues dans son règne (Ovide, dé Arteamandi, l. I) et sous celui de son successeur, jusqu’à ce que la justice de Tibère eût obligé ce prince à quelques actes de sévérité. Voyez Tacite, Annal., II, 85 ; Josèphe, Antiquités, l. XVIII, c. 3.
Gibbon fait ici un seul
événement, de deux événements éloignés l’un de l’autre de cent soixante-six
ans. Ce fut l’an de Rome 535 que le sénat ayant ordonné la destruction des
temples d’Isis et de Sérapis, aucun ouvrier ne voulut y mettre la main, et que
le consul L. Æmilius-Paulus prit lui-même une hache pour porter le premier coup
(Valère-Maxime, I, 3). Gibbon attribue cette circonstance à la secondé
démolition, qui eut lieu en 701, et qu’il regarde comme la première (Note de l’Éditeur).
[16] Tertullien, Apolog., c. 6, p. 74, édit. Havere. Il me semble que l’on peut attribuer cet établissement à la dévotion de la famille Flavienne.
[17] Voyez Tite-Live, IX et XXXIX.
[18] Macrobe, Saturnales, cet auteur nous donne une formule d’évocation.
[19] Minutius-Félix, in Octavio, page 54 ; Arnobe, l. VI, page 115.
[20] Tacite, Annal., XI, 24. L’Orbis romanus du savant Spanheim est une histoire complète de l’admission progressive du Latium, de l’Italie et des provinces, à la liberté de Rome.
[21] Hérodote, V, 97. Ce nombre paraît considérable ; on serait tenté de croire que l’auteur s’en est rapporté à des bruits, populaires.
[22] Athénée, Deipnosophist., l. VI, p. 272, édit. de Casaubon ; Meursius, de Fortunâ atticâ, c. 4.
[23] Voyez dans M. de Beaufort, Rep. rom., l. IV, c. 4, un recueil fait avec soin des résultats de chaque cens.
[24] Appien, de Bell. civil., I ; Velleius Paterculus, II, c. 15, 16, 17.
[25] Mécène lui avait conseillé, dit-on, de donner, par un édit, à tous ses sujets le titre de citoyens ; mais nous soupçonnons, à juste titre, Dion d’être l’auteur d’un conseil si bien adapté à l’esprit de son siècle, et si peu à celui du temps d’Auguste.
[26] Les sénateurs étaient obligés d’avoir le tiers de leurs biens en Italie (voyez Pline, IV, ep. 19) ; Marc-Aurèle leur permit de n’en avoir que le quart. Depuis le règne de Trajan, l’Italie commença à n’être plus distinguée des autres provinces.
[27] La première partie
de
[28] Voyez Pausanias, l. VII. Lorsque ces assemblées ne furent plus dangereuses, les Romains consentirent à en rétablir les noms.
[29] César en fait
souvent mention. L’abbé Dubos n’a pu réussir à prouver que les Gaulois aient
continué, sous les empereurs, à tenir des assemblées. Histoire de
l’Établissement de
[30] Sénèque, in Consol. ad Helviam, c. 6.
[31] Memnon, apud Photium, c. 33 ; Valère Maxime, IX, 2. Plutarque et Dion-Cassius font monter le massacre à cent cinquante mille citoyens ; mais je pensé que le moindre de ces deux nombres est plus que suffisant.
[32] Vingt-cinq colonies furent établies en Espagne (voyez Pline, Hist. nat., III, 3, 4 ; IV, 35), et neuf en Bretagne, parmi lesquelles Londres, Colchester, Lincoln, Chester, Gloucester et Bath, sont encore des villes considérables. Voyez Richard de Cirencester, p. 36 ; et l’Histoire de Manchester par Whitaker, l. I, c. 3.
[33] Aulu-Gelle, Noctes atticæ, XVI, 13. L’empereur Adrien était étonné que les villes d’Utique, de Cadix et d’Italica, qui jouissaient déjà des privilèges attachés aux villes municipales, sollicitassent le titre de colonie : leur exemple fut cependant bientôt suivi, et l’empire se trouva rempli de colonies honoraires. Voyez Spanheim, de Usu numismat., dissert. XIII.
[34] Spanheim, Orb. rom., c. 8, p. 62.
[35] Aristide, in Romœ Encomio, tome I, page 218, édit. Jebb.
[36] Alésia, était près de Semur en Auxois, en Bourgogne. Il
est resté une trace de ce nom dans celui de l’Auxois, nom de la contrée. La
victoire de César à Alésia peut servir d’époque, dit d’Anville, à
l’asservissement de
[37] Tacite, Annal., XI, 23, 24 ; Hist., IV, 74.
[38] Pline, Hist. nat., III, 5 ; saint Augustin, de Civit. Dei, XIX, 7 ; Juste Lipse , de Pronunciatione linguœ latinœ, c. 3.
[39] Apulée et saint
Augustin répondront pour l’Afrique ; Strabon, pour l’Espagne et
[40] Le celtique fut conservé dans les montagnes du pays de Galles, de- Cornouailles et de l’Armorique. Apulée reproche à un jeune Africain qui vivait avec la populace, de se servir de la langue punique tandis qu’il avait presque oublié le grec, et qu’il ne pouvait ou ne voulait pas parler latin (Apolog., p. 596). Saint Augustin ne s’exprima que très rarement en punique dans ses Congrégations.
[41] L’Espagne seule produisit Columelle, les deux Sénèque, Lucain, Martial et Quintilien.
[42] Depuis Denys jusqu’à Libanius, aucun critique grec, je crois, ne fait mention de Virgile ni d’Horace : ils paraissaient tous ignorer que les Romains eussent de bons écrivains.
[43] Le lecteur curieux
peut voir, dans
[44] Voyez Juvénal, sat. III et XV ; Ammien Marcellin, XXII, 16.
[45] Dion-Cassius, LXXVII, p. 1275. Ce fut sous le règne de Septime-Sévère qu’un Égyptien fut admis pour la première fois dans le sénat.
[46] Valère-Maxime, II, c. 2, n. 2. L’empereur Claude dégrada un habile Grec, parce qu’il n’entendait pas le latin ; il était probablement revêtu de quelque charge publique. Vie de Claude, c. 16.
[47] C’est là ce qui rendait les guerres si meurtrières et les
combats si acharnés : l’immortel Robertson, dans un excellent discours sur
l’état de l’univers lors de l’établissement du christianisme, a tracé un
tableau des funestes effets de l’esclavage, où l’on retrouve la profondeur de
ses vues et la solidité de son esprit ; j’en opposerai successivement quelques
passages aux réflexions de Gibbon : on ne verra pas sans intérêt des vérités
que Gibbon paraît avoir méconnues ou volontairement négligées, développées par
un des meilleurs historiens modernes ; il importe de les rappeler ici pour
rétablir les faits et leurs conséquences avec exactitude ; j’aurai plus d’une
fois l’occasion d’employer à cet effet le discours de Robertson.
Les prisonniers de
guerre, dit-il, furent
probablement soumis les premiers à une servitude constante : à mesure que les
besoins ou le luxe rendirent un plus grand nombre d’esclaves nécessaire, on le
compléta par de nouvelles guerres, en condamnant toujours les vaincus à cette
malheureuse situation. De là naquit l’esprit de férocité et de désespoir qui
présidait aux combats des anciens peuples. Les fers et l’esclavage étaient le
sort des vaincus : aussi livrait-on les batailles et défendait-on les villes
avec une rage, une opiniâtreté que l’horreur d’une telle destinée pouvait seule
inspirer, Lorsque les maux de l’esclavage disparurent, le christianisme étendit
sa bienfaisante influence sir la marnière de faire la guerre ; et cet art
barbare, adouci par l’esprit de philanthropie que dictait la religion, perdit
de sa force dévastatrice. Tranquille, dans tous les cas, sur sa liberté
personnelle, le vaincu résista avec moins de violence, le triomphe du vainqueur
fut moins cruel : ainsi l’humanité fut introduite dans les camps, où elle
paraissait étrangère ; et si de nos jours les victoires sont souillées de moins
de cruautés et de moins de sang, c’est aux principes bienveillants de la
religion chrétienne plutôt qu’à toute autre cause que nous devons l’attribuer.
» (Note de l’Éditeur).
[48] Dans le camp de Lucullus, on vendit un bœuf une drachme, et un esclave quatre drachmes (environ 3 schellings). Plutarque, Vie de Lucullus.
[49] Diodore de Sicile, in Eglog. hist., XXXIV et XXXVI ; Florus, III, 19 , 20.
[50] Voyez un exemple remarquable de sévérité dans Cicéron, in Verrem, v. 3.
Voici cet exemple : on
verra si le mot de sévérité est ici sa place.
Dans le temps que L.
Domitius était préteur en Sicile, un esclave tua un sanglier d’une grosseur
extraordinaire. Le préteur, frappé de l’adresse et de l’intrépidité de cet
homme, désira de le voir. Ce pauvre malheureux, extrêmement satisfait de cette
distinction, vint en effet se présenter au préteur, espérant sans doute une
récompense et des applaudissements ; mais Domitius, en apprenant qu’il ne lui
avait fallu qu’un épieu pour vaincre et tuer le sanglier, ordonna qu’il fût
crucifié sur le champ, sous le barbare prétexte que la loi interdisait aux
esclaves l’usage de cette arme, ainsi que de toutes les autres. Peut-être la cruauté de Domitius est-elle
encore moins étonnante que
l’indifférence avec laquelle l’orateur romain raconte ce trait, qui l’affecte
si peu, que voici ce qu’il en dit : Durum hoc fortasse videatur, neque ego
in ullam partem disputo. « Cela paraîtra peut-être dur ; quant à moi, je
ne prends aucun parti. » Cicéron, in Verr., act. a, 5, 3. — Et c’est le
même orateur qui dit dans la même harangue : Facinus est vincire civem
romanum ; scelus verberare ; .propè parricidium necare : quid dicam in crucem
tollere ? « C’est un délit de jeter dans les fers un citoyen romain,
c’est un crime de le frapper, presque un parricide de le tuer : que dirai-je de
l’action de le mettre en croix ? »
En général, ce morceau de
Gibbon, sur l’esclavage est plein non seulement d’une indifférence blâmable,
mais encore d’une exagération d’impartialité, qui ressemble à de la mauvaise
foi. Il s’applique à atténuer ce qu’il y
avait d’affreux dans la condition des esclaves et dans les traitements qu’ils-
essuyaient ; il fait considérer ces traitements cruels comme pouvant être
justifiés par la nécessité. Il relève ensuite, avec une exactitude minutieuse,
les plus légers adoucissements d’une
condition si déplorable ; il attribue à la vertu ou à la politique des souverains
l’amélioration progressive du sort des esclaves, et il passe entièrement sous
silence la cause la plus efficace, celle qui, après avoir rendu les esclaves
moins malheureux, a contribué à les affranchir ensuite tout à fait de leurs
souffrances et de leurs chaînes, le christianisme. Il serait aisé d’accumuler
ici les détails les plus effrayants, les plus déchirants sur la manière dont
les anciens Romains traitaient leurs esclaves ; des ouvrages entiers ont été
consacrés à la peindre ; je me borne à l’indiquer quelques réflexions de
Robertson, tirées du discours que j’ai déjà cité, feront sentir que Gibbon, en
faisant remonter l’adoucissement de la destinée des esclaves à une époque peu
postérieure à celle qui vit le christianisme, s’établir dans le monde, n’eût pu
se dispenser de reconnaître L’influence de cette cause bienfaisante, s’il
n’avait pris d’avance le parti de n’en point parler.
« A peine, dit
Robertson, une souveraineté illimitée se fut introduite dans l’empire
romain, que la tyrannie domestique fut portée à son comble : sur ce sol fangeux
crûrent et prospérèrent tous les vices que nourrit chez les grands l’habitude
du pouvoir, et que fait naître chez les faibles celle de l’oppression… Ce n’est
pas le respect inspiré par un précepte particulier de l’Évangile, c’est
l’esprit général de la religion chrétienne, qui, plus puissant que toutes les
lois écrites, a banni l’esclavage de la terre. Les sentiments que dictait le
christianisme étaient bienveillants et doux ; ses préceptes donnaient à la
nature humaine une telle dignité, un tel éclat, qu’ils l’arrachèrent à
l’esclavage déshonorant où elle était plongée. »
C’est donc vainement que
Gibbon prétend attribuer uniquement au désir d’entretenir toujours le nombre
des esclaves la conduite plus douce que les Romains commencèrent à adopter à
leur égard du temps des empereurs. Cette cause avait agi jusque-là en sens
contraire : par quelle raison aurait-elle eu tout à coup une influence opposée
? « Les maîtres, dit-il, favorisèrent les mariages entre leurs esclaves
; … et les sentiments de la nature, les habitudes de l’éducation, contribuèrent
à adoucir les peines de la servitude. Les enfants des esclaves étaient la
propriété du maître, qui pouvait en disposer et les aliéner comme ses autres
biens : est-ce dans une pareille situation, sous une telle dépendance, que les
sentiments de la nature peuvent se développer, que les habitudes de l’éducation
deviennent douces et fortes ? Il ne faut pas attribuer des causes plu efficaces
ou mêmes sans énergie, des effets qui ont besoin, pour s’expliquer, d’être
rapportés à des causes plus puissantes ; et lors même que les petites causes
auraient eu une influence évidente, il ne faut pas oublier qu’elles étaient
elles-mêmes l’effet d’une cause première, plus haute et plus étendue, qui, en
donnant aux esprits et aux caractères une direction plus désintéressée, plus
humaine, disposait les hommes à seconder, à amener eux-mêmes, par leur
conduite, par le changement de leurs mœurs, les heureux résultats qu’elle
devait produire » (Note de l’Éditeur).
[51] Les Romains permettaient à leurs esclaves une espèce de
mariage (contubernium) aussi bien dans
les premiers siècles de la république que plus tard ; et malgré cela, le
luxe rendit bientôt nécessaire un plus grand nombre d’esclaves (Strabon, XIV) :
l’accroissement de leur population n’y put suffire, et l’on eut recours aux
achats d’esclaves, qui se faisaient même dans les provinces d’Orient soumises
aux Romains. On sait d’ailleurs que l’esclavage est un état peu favorable à la population. Voyez
les Essais de Hume, et l’Essai sur le principe de population, de
Malthus, t. I, p. 334 (Note de l’Éditeur).
[52] Gruter et les autres compilateurs rapportent un grand nombre d’inscriptions adressées par les esclaves, leurs femmes, leurs enfants, leurs compagnons, leurs maîtres, etc., et qui selon toute apparence, sont du siècle des empereurs.
[53] Voyez l’Histoire Auguste, et une dissertation de M. de Burigny sur les esclaves romains, dans le XXXVe volume de l’Académie des Belles-Lettres.
[54] Voyez une autre dissertation de M. de Burigny sur les affranchis romains, dans le XXXVIIe vol. de la même Académie.
[55] Spanheim, Orb. rom., l. I, c. 16, p. 124, etc.
[56] Sénèque, de
[57] Voy. Pline, Hist. nat., XXXIII ; et Athénée, Deipnos, VI, p. 272 ; celui-ci avance hardiment qu’il a connu plusieurs (Παμπολλοι) Romains qui possédaient, non pour l’usage, mais pour l’ostentation, dix et même vingt mille esclaves.
[58] Dans Paris, on ne compte pas plus de quarante-trois mille sept cents domestiques de toute espèce ; ce qui ne fait pas un douzième des habitants de cette ville (Messange, Recherches sur la population, p. 186).
[59] Un esclave instruit se vendait plusieurs centaines de livres sterling. Atticus en avait toujours qu’il élevait et auxquels il donnait lui-même des leçons (Cornel. Nep., Vie d’Atticus, c. 3).
[60] La plupart des médecins romains étaient esclaves. Voyez la dissertation et la défense du docteur Middleton.
[61] Pignorius, de Servis, fait une énumération très longue de leurs rangs et de leurs emplois.
[62] Tacite, Annal., XIV, 43. Ils furent exécutés pour n’avoir pas empêcher le meurtre de leur maître.
[63] Apulée, in Apolog., p. 548, édit. Delph.
[64] Pline, Hist. nat., XXXIII, 47.
[65] Selon Robertson, il y avait deux fois autant d’esclaves que de citoyens libres (Note de l’Éditeur).
[66] Si l’on compte
vingt millions d’âmes en France, vingt-deux en Allemagne, quatre en Hongrie,
dix en Italie et dans les îles voisines, huit dans
[67] Josèphe, de Bello judaico, II, c. 16. Le discours d’Agrippa, ou plutôt celui de l’historien, est une belle description de l’empire de Rome.
[68] Suétone, Vie d’Auguste, c. 28. Auguste bâtit à Rome le temple et la place de Mars Vengeur ; le temple de Jupiter Tonnant dans le Capitole ; celui d’Apollon Palatin, avec des bibliothèques publiques ; le portique et la basilique de Caius et Lucius ; les portiques de Livie et d’Octavie, et le théâtre de Marcellus. L’exemple du souverain fut imité par ses ministres et par ses généraux ; et son ami Agrippa a fait élever le Panthéon, un des plus beaux monuments qui vous soient restés de l’antiquité.
[69] Voyez Maffei, Verno illustrata, IV, p. 68.
[70] Voyez le Xe livre des Lettres de Pline. Parmi les ouvrages entrepris aux frais des citoyens, l’auteur parle de ceux qui suivent : à Nicomédie, une nouvelle place, un aqueduc et un canal, qu’un des anciens rois avait laissé imparfait ; à Nicée, un gymnase et un théâtre qui avait déjà coûté près de deux millions ; des bains à Pruse et à Claudiopolis ; et un aqueduc de seize milles de long, à l’usage de Sinope.
[71] Adrien fit ensuite un règlement très équitable, qui partageait tout trésor trouvé, entre le droit de la propriété et celui de la découverte. Hist. Aug., p. 9.
[72] Philostrate, in Vitâ sophist., II, p. 548.
[73] Aulu-Gelle, Nuits attiques, I, 2 ; IX, 2 ; XVIII, 10 ; XIX, 12. Philostrate, p. 564.
[74] L’Odéon servait à la répétition des comédies nouvelles, aussi bien qu’à celle des tragédies ; elles y étaient lues d’avance ou répétées, mais sans musique, sans décoration, etc. Aucune pièce ne pouvait, être représentée sur le théâtre si elle n’avait été préalablement approuvée sur l’Odéon par des juges ad hoc. Le roi de Cappadoce qui rétablit l’Odéon livré aux flammes par Sylla, était Ariobarzanes. Voyez Martini, Dissertation sur les Odéons des anciens, Leipzig, 1767, p. 10-91 (Note de l’Éditeur).
[75] Voyez Philostrate,
II, p. 548, 566 ; Pausanias, I et VII, 10 ;
[76] Cette remarque est principalement applicable à la publique d’Athènes par Dicæârgue, de Statu Grœciœ, p. 8, inter Geographos minores ; édit. Hudson.
[77] Donat, de Româ
vetere, III, c. 4, 5, 6 ; Nardini, Roma antica, II, 3, 12, 13 , et un manuscrit qui contient une
description de l’ancienne Rome, par Bernard Oricellarius ou Rucellai, dont j’ai
obtenu une copie de la bibliothèque du chanoine Ricardi, à Florence. Pline
parle de deux célèbres tableaux de Timanthe et de Protogène, placés, à ce qu’il
parait, dans le temple de
(*) L’empereur
Vespasien, qui avait fait construire le temple de
[78] Montfaucon, Antiq.
expliquée, tome IV, p.
[79] Ælien, Hist. var., IX, c. 16 : cet auteur vivait sous Alexandre Sévère. Voyez Fabric., Biblioth. græca, IV, c. 21.
Comme Ælien dit que
l’Italie avait autrefois ce nombre de villes, on peut en conjecturer que de son
temps elle n’en avait plus autant : rien n’oblige d’ailleurs à appliquer ce
nombre au temps de Romulus ; il est même probable qu’Ælien voulait parler des
siècles postérieurs. La décadence de la population à la fin de la république,
sous les empereurs, semble reconnue même par les écrivains romains. Voyez
Tite-Live, VI, c. 12 (Note de l’Éditeur).
[80] Josèphe, de Bello judaico, II, 16 : ce nombre s’y trouve rapporté ; peut-être ne doit-il pas être prit à la rigueur.
Cela ne parait pas douteux
; on ne peut se fier au passage de Josèphe : l’historien Josèphe fait donner
par le roi Agrippa des avis aux Juifs sur la puissance des Romains ;et ce
discours est plein de déclamations dont on ne doit rien conclure pour
l’histoire. En énumérant les peuples soumis aux Romains ; il dit des .Gaulois,
qu’ils obéissent à douze cents soldats romains, (ce qui est faux ; car il y
avait en Gaule huit légions, Tacite, Ann., IV, c. 5), tandis qu’ils ont
presque plus de douze cents villes (Note de l’Éditeur).
[81] Cela ne peut se dire que de la province romaine ; car le
reste de
[82] Pline, Hist. nat., III, 5.
[83] Pline, Hist. nat., III, 3, 4 ; IV, 35. La liste paraît authentique et exacte. La division des provinces et la condition différente des villes sont marquées avec les plus grands détails.
[84] Strabon, Géogr., XVII, p. 1189.
[85] Josèphe, de Bello judaico, II, 16 ; Philostrate, Vies des Sophistes, II, p. 548, édit. Olear.
[86] Tacite, Annales, XV, 55. J’ai pris quelque peine à consulter et à comparer les voyageurs modernes, pour connaître le sort de ces onze villes asiatiques. Sept ou huit sont entièrement détruites, Hypæpe, Tralles, Laodicée, Ilion, Halicarnasse, Mlilet, Éphèse, et nous pouvons ajouter Sardes. Des trois qui subsistent encore, Pergame est un village isolé contenant deux ou trois mille habitants. Magnésie, sous le nom de Guzel-Hissar, est une ville assez considérable, et Smyrne est une grande ville peuplée de cent mille âmes ; mais à Smyrne, tandis que les Francs soutenaient le commerce, les Turcs ont ruiné les arts.
[87] Le Voyage de Chandler dans l’Asie-Mineure, p. 225, etc., contient une description agréable et fort exacte des ruines de Laodicée.
[88] Strabon, XII, p. 866 ; il avait étudié à Tralles.
[89] Voyez une dissertation de M. de Boze, Mémoires de l’Académie, tome XVIII. Il existe encore un discours d’Aristide, qu’il prononça pour recommander la concorde à ces villes rivales.
[90] Le nombre des
Égyptiens, sans compter les habitants d’Alexandrie, se montait à sept millions
et demi (Josèphe, de Bello jud., II, 16). Sous le gouvernement militaire
des mameluks,
[91] L’itinéraire
suivant peut nous donner une idée de la direction, de la route et de la
distance entre les principales villes : 1° depuis le mur d’Antonin jusqu’à
York, deux cent vingt-deux milles romains ; 2° Londres, deux cent vingt-sept ;
3° Rhutupiæ ou Sandwich soixante-sept ; 4° trajet jusqu’à Boulogne,
quarante-cinq ; 5° Reims, cent soixante-quatorze ; 6° Lyon, trois cent trente ;
7° Milan trois cent vingt-quatre ; 8° Rome, quatre cent vingt-six ; 9° Brindes,
trois cent soixante ; 10° trajet jusqu’à Dyrrachium, quarante ; 11° Byzance,
sept cent onze ; 12° Ancyre, deux cent quatre-vingt-trois ; 13° Tarse, trois
cent un ; 14° Antioche, cent quarante et un ; 15° Tyr, deux cent cinquante-deux
; 16° Jérusalem, cent soixante-huit ; en tout quatre mille quatre-vingts milles
romains, qui sont un peu plus que trois mille sept cent quarante milles
anglais. Voyez les Itinéraires publiés par Wesseling, avec ses notes. Voyez
aussi Gale et Stukeley, pour
[92] Montfaucon (Antiquité expliquée, tome IV, part. 2, liv. I, c.5) a décrit les ponts de Narni, d’Alcantara, de Nîmes, etc.
[93] Bergier, Histoire des grands chemins de l’empire, II, c. I, 28.
[94] Procope, in Hist. arcanâ, c. 30 ; Bergier, Hist. des grands chemins, l. IV ; Code Théodosien, l. VIII, tit. V, vol. II, .p. 506-563, avec le savant commentaire de Godefroi.
[95] Du temps de Théodose, Cæsarius, magistrat d’un rang élevé, se rendit en poste d’Antioche à Constantinople : il se mit en route le soir, passa le lendemain au soir en Cappadoce, à cinquante-cinq lieues d’Antioche, et arriva le sixième jour, à Constantinople, vers le milieu de la journée. Le chemin était de sept cent vingt-cinq milles romains, environ six cent soixante-cinq milles anglais. Voyez Libannius, orat., XXI ; et les Itinéraires, p. 572-581.
[96] Pline, quoique ministre et favori de l’empereur, s’excuse de ce qu’il avait fait donner des chevaux de poste à sa femme pour une affaire très pressée, l. X, lett. 121, I22.
[97] Bergier, Hist. des grands chemins, l. IV, c. 49.
[98] Pline, Hist. nat., XIX, I.
[99] Selon toutes les apparences, les Grecs et les Phéniciens portèrent de nouveaux arts et des productions nouvelles dans le voisinage de Cadix et de Marseille.
[100] Voyez Homère, Odyssée, IX, v. 358.
[101] Pline, Hist. nat., XIV.
[102] Strabon, Géogr., IV, p. 223. Le froid excessif d’un hiver gaulois était presque proverbial parmi les anciens.
Strabon dit seulement que
le raisin ne mûrit pas facilement. On avait déjà fait des essais au temps
d’Auguste, pour naturaliser la vigne dans le nord de
[103] Cela est prouvé par un passage de Pline l’Ancien, où il
parle d’une certaine espèce de raisin (vitis picita, vinum picatum)
qui croît naturellement dans le district de Vienne, et qui, dit-il, a été
transportée depuis peu dans le pays des Arvernes (l’Auvergne), des Helviens (le
Vivarais), et des Séquaniens (
[104] Dans le commencement du quatrième siècle, l’orateur Eumène (Panegyr. veter., VIII, édit., Delph.) parle des vignes à Autun, qui avaient perdu de leur qualité par la vétusté ; et l’on ignorait alors entièrement le temps de leur première plantation dans le territoire de cette ville. D’Anville place le pagus Arebrignus dans le district de Beaune, célèbre, même à présent, pour la bonté de ses vins.
[105] Pline, Hist. nat., XV.
[106] Ibid., XIX.
[107] Voyez les agréables Essais sur l’agriculture, de M. Harte, qui a rassemblé dans cet ouvrage tout ce que les anciens et les modernes ont dit de la luzerne.
[108] Tacite, Mœurs des Germains, c. 45 ; Pline, Hist. nat., XXXVIII, II. Celui-ci observe assez plaisamment que même la mode n’avait pu trouver à l’ambre un usage quelconque. Néron envoya un chevalier romain sur les côtes de la mer Baltique, pour acheter une grande quantité de cette denrée précieuse.
[109] Appelée Taprobane par les Romains, et Serendib par les Arabes. Cette île fut découverte sous le règne de Claude, et devint insensiblement le principal lieu de commerce de l’Orient.
[110] Pline, Hist. nat., VI ; Strabon, XVII.
[111] Histoire Auguste, p. 224. Une robe de soie était regardée comme un ornement pour une femme, et comme indigne d’un homme.
[112] Les deux grandes pêches de perles étaient les mêmes qu’à présent ; Ormuz et le cap Comorin. Autant que nous pouvons comparer la géographie ancienne avec la moderne, Rome tirait ses diamants de la mine de Jumelpur, dans le Bengale, dont on trouve une description au tome II des Voyages de Tavernier, p. 281
[113] Les Indiens n’étaient pas si peu curieux des denrées
européennes : Arrien fait une longue énumérations de celles qu’on leur donnait
en échange contre les leurs ; comme des vins d’Italie, du plomb, de l’étain, du corail, des vêtements,
etc. Voyez le Peripl. maris Erythrœi, dans les Géogr. minor. de
Hudson , t. I, p. 27, sqq. (Note de l’Éditeur).
[114] Tacite, Annales, III, 52, dans un discours de Tibère.
[115] Pline, Hist. nat., XII, 18. Dans un autre endroit il calcule la moitié de cette somme ; quingenties H. S. pour l’Inde, sans comprendre l’Arabie.
[116] La proportion, qui était de un à dix et à douze et demi, s’éleva jusqu’à quatorze et deux cinquièmes, par une loi de Constantin. Voyez les Tables d’Arbuthnot, sur les anciennes monnaies, c. 5.
[117] Parmi plusieurs autres passages, voyez Pline, Hist. nat., III, 5 ; Aristides, de Urbe Româ, et Tertull., de Animâ, c. 30.
[118] Hérode Atticus donna au sophiste Polémon plus de huit mille livres sterling pour trois déclamations. Voy. Philostrate, l. I, p. 558. Les Antonins fondèrent à Athènes une école dans laquelle on entretenait des professeurs pour apprendre aux jeunes gens la grammaire, la rhétorique, la politique et les principes des quatre grandes sectes de philosophie. Les appointements que l’on donnait à un philosophe étaient de dix mille drachmes (entre trois et quatre cents livres sterling) par an. On forma de semblables établissements dans les autres grandes villes de l’empire. Voy. Lucien, dans l’Eunuque, tome II, p. 353 , édit. Reitz ; Philostrate, l. II, p. 566 ; Hist. Auguste, p. 21 ; Dion-Cassius, l. LXXI, p. 1195. Juvénal lui-même dans une de ses plus mordantes satires, où l’envie et l’humeur d’une espérance trompée se trahissent à chaque ligne, est cependant obligé de dire :
O juvenes, circumspicit et stimulat vos,
Materiamque sibi ducis indulgentia quœrit. — Satires, VII, 20.
[119] Ce fut Vespasien qui commença à donner un traitement aux
professeurs : il donna à chaque professeur d’éloquence, grec ou romain, centena sestertia. Il
récompensait aussi les artistes et les poètes (Suétone, Vie de Vespasien,
c. 18). Adrien et les Antonins furent moins, prodigues, quoique très libéraux
encore (Note de l’Éditeur).
[120] Ce jugement est un eu sévère ; outre les médecins, les astronomes, les grammairiens, parmi les quels étaient des hommes fort distingués, on voyait encore, sous Adrien, Suétone, Florus, Plutarque ; sous les Antonins, Arrien, Pausanias, Appien, Marc-Aurèle lui-même, Sextus-Empiricus, etc. La jurisprudence gagna beaucoup par les travaux de Salvius Julianus, de Julius-Celsus, de Sex-Pomponius, de Caïus et autres (Note de l’Éditeur).
[121] Longin, Traité du Sublime, c. 45, p. 229, édit. Toll. Ne pouvons-nous pas dire de Longin qu’il appuie ses allégations par son propre exemple ? Au lieu de proposer ses sentiments avec hardiesse, il les insinue avec la plus grande réserve ; il les met dans la bouche d’un ami ; et, autant que nous en pouvons juger d’après un texte corrompu, il veut paraître lui-même chercher à les réfuter.