Étendue et force militaire de l’empire dans le siècle des Antonins.
Au second siècle de l’ère chrétienne, l’empire romain comprenait les plus belles contrées de la terre et la portion la plus civilisée du genre humain. Une valeur disciplinée, une renommée antique, assuraient les frontières de cette immense monarchie. L’influence douce, mais puissante des lois et des mœurs, avait insensiblement cimenté l’union de toutes les provinces : leurs habitants jouissaient et abusaient, au sein de la paix, des avantages du luxe et des richesses. On conservait avec un respect bienséant l’usage d’une constitution libre. Le sénat romain possédait; en apparence, l’autorité souveraine, et les empereurs étaient revêtus de la puissance exécutive. Pendant plus de quatre-vingts ans [98 – 180], l’administration publique fut dirigée par les talents et la vertu de Trajan, d’Adrien et des deux Antonins. Ces trois chapitres seront consacré à décrire d’abord l’état florissant de l’empire durant cette heureuse période ; ensuite, et depuis la mort de Marc-Aurèle, les principales circonstances de sa décadence et de sa chute : révolution à jamais mémorable, et qui influe encore maintenant sur toutes les nations du globe. Les principales conquêtes des Romains avaient été l’ouvrage de la république. Les empereurs se contentèrent, pour la plupart, de conserver ces acquisitions, fruit de la profonde sagesse du sénat, de l’émulation active des consuls et de l’enthousiasme du peuple. Les sept premiers siècles n’avaient présenté qu’une succession rapide de triomphes ; mais il était réservé à l’empereur Auguste d’abandonner le projet ambitieux de subjuguer l’univers pour introduire l’esprit de modération dans les conseils de Rome. Porté à la paix, autant par sa situation, que par son caractère, il s’aperçut aisément qu’à l’excès de grandeur où elle était parvenue, elle avait désormais, en risquant le sort des combats, beaucoup moins à espérer qu’à craindre ; que dans la poursuite de ces guerres lointaines, l’entreprise devenait tous les jours plus difficile : le succès plus douteux et la possession moins sûre et moins avantageuse. L’expérience d’Auguste vint à l’appui de ces réflexions salutaires, et lui prouva que par la prudente vigueur de sa politique, il pouvait s’assurer d’obtenir sans peine toutes les concessions que la sûreté ou la dignité de Rome exigerait des barbares même les plus formidables et, sans exposer aux flèches des Parthes ni lui ni ses légions, il en obtint, par un traité honorable, la restitution des drapeaux et des prisonniers qui avaient été enlevés à l’infortuné Crassus[1]. Ses généraux, dans les premières années de son règne, essayèrent de
subjuguer l’Éthiopie et l’Arabie Heureuse : ils marchèrent l’espace de trois
cents lieues environ au Heureusement pour le genre humain, le système conçu par la modération d’Auguste se trouva convenir aux vices et à la lâcheté de ses successeurs. Les premiers Césars, dominés par l’attrait du plaisir ou occupés de l’exercice de la tyrannie, se montraient rarement aux provinces et à la tête des armées. Ils n’étaient pas non plus disposés à souffrir que leurs lieutenants usurpassent sur eux, par les talents et la valeur, cette gloire que négligeait leur indolence. La réputation militaire d’un sujet devint un attentat insolent à la dignité impériale. Les généraux se contentaient de garder les frontières qui leur avaient été confiés : leur devoir et leur intérêt leur défendaient également d’aspirer à des conquêtes qui ne leur auraient peut-être pas été moins fatales qu’aux nations vaincues[5]. Mais le mérite supérieur d’Agricola le fit bientôt, rappeler de son gouvernement de Bretagne, et ce plan de conquête, si raisonnable malgré son étendue, fut alors manqué pour jamais. Avant son départ, ce prudent général avait songé à assurer ces nouvelles possessions. Il avait observé que l’île est presque divisée en deux parties inégales par les deux golfes opposés, formant ce qu’on appelle maintenant le passage d’Écosse[10]. A travers l’étroit intervalle, d’environ quarante milles, qui les sépare l’un de l’autre il établit une ligne de postes militaires qui ensuite, sous le règne d’Antonin le Pieux, fut fortifiée d’un rempart de gazon, dont les fondations étaient en pierres[11]. Cette muraille, bâtie un lieu au-delà d’Édimbourg et de Glasgow, devint la limite de la province romaine[12]. Les Calédoniens conservèrent, dans la partie septentrionale de l’île, une indépendance qu’ils durent à leur pauvreté autant qu’à leur valeur. Ils faisaient souvent des incursions mais ils étaient aussitôt repoussés et punis. Cependant leur pays ne fut point subjugué[13] ; les souverains des climats les plus riants et les plus fertiles du globe détournaient leurs regards méprisants de ces montagnes exposées aux fureurs des tempêtes, de ces lacs couverts de brouillards épais, et de ces vallées incultes, où l’on voyait le cerf timide fuir à l’approche d’une troupe de Barbares à peine vêtus[14]. Les successeurs d’Auguste étaient restés constamment
attachés à ses maximes politiques : tel était, depuis sa mort, l’état
des frontières de l’empire, lorsque Trajan monta sur le trône. Ce prince
vertueux et rempli d’activité avait reçu l’éducation d’un soldat et possédait
les talents d’un général[15]. Le système
pacifique de ses prédécesseurs fut tout à coup interrompu par des guerres et
par des conquêtes. Après un long intervalle ; les légions virent enfin
paraître à leur tête un empereur capable de les commander, Trajan se signala
d’abord contre les Daces, nation belliqueuse, qui habitait au-delà du Danube,
et qui, sous le règne de Domitien, avait insulté avec impunité la majesté de
Rome[16]. À la force et à
l’intrépidité des Barbares, les Daces ajoutaient ce mépris de la vie, que
devait leur inspirer une persuasion intime de l’immortalité de l’âme et de sa
transmigration[17].
Décébale, leur roi, n’était pas un rival indigne de Trajan : il ne
désespéra de sa fortune et de celle de sa nation, qu’après avoir, de l’aveu
même de ses ennemis, épuisé toutes les ressources de la politique[18]. Cette guerre
mémorable dura cinq années, presque sans aucune interruption : Trajan,
qui pouvait disposer à son gré de toutes les forces de l’empire, demeura
vainqueur et soumit entièrement les Barbares[19]. Trajan était avide de gloire. Tant que le genre humain
continuera de répandre plus d’éclat sur ses destructeurs que sur ses
bienfaiteurs, la soif de la gloire militaire sera toujours le défaut des
caractères les plus élevés. Les louanges d’Alexandre, transmises par une
succession de poètes et d’historiens, avaient allumé, dans l’âme de Trajan,
une émulation dangereuse. A l’exemple du roi de Macédoine, l’empereur romain
entreprit une expédition contre les peuples d’Orient ; mais il
soupirait, en faisant réflexion que son âge avancé ne lui laissait pas
l’espoir d’égaler la réputation du fils de Philippe[21]. Cependant les
succès de Trajan, quoique de peu de durée, furent brillants et rapides ;
il mit en déroute les Parthes, dégénérés et affaiblis par des guerres
intestines. Il parcourut en triomphe les bords du Tigre, depuis les montagnes
d’Arménie jusqu’au golfe Persique. Il navigua le premier sur cette mer
éloignée, et de tous les généraux romains il est le seul qui ait jamais joui
de cet honneur : ses flottes ravagèrent les côtes de l’Arabie. Enfin Trajan
se flatta qu’il touchait déjà aux rivages de l’Inde[22]. Chaque jour le
sénat étonné entendait parler de noms jusqu’alors inconnus, et de nouveaux
peuples qui reconnaissaient la puissance de Rome : il apprit que les
rois du Bosphore, de Colchos d’Ibérie, d’Albanie, d’Osrhoène, que le
souverain des Parthes lui-même, tenaient leurs diadèmes des mains de
l’empereur ; que les Mèdes et les habitants des montagnes de Carduchie
avaient imploré sa protection, et que les riches contrées de l’Arménie, de On rapportait que lorsque le Capitole avait été fondé par
un des anciens rois de Rome, le dieu Terme seul, parmi les divinités
inférieures, avait refusé de céder sa place à Jupiter même. Ce dieu présidait
aux limites et selon l’usage de ces temps grossiers, il était représenté sous
la forme d’une pierre. Les augures avaient interprété cette obstination du
dieu Terme de la manière la plus favorable : c’était, selon eux, un
présage certain que les bornes de la puissance romaine ne reculeraient jamais[24]. Cette tradition
s’était toujours conservée ; et, comme il arrive d’ordinaire, la
prédiction du fait, pendant un grand nombre de siècles, en assura
l’accomplissement. Mais, quoique le dieu Terme eût résisté à la majesté de
Jupiter, il fût obligé de se soumettre à l’autorité d’Adrien[25]. Cet empereur
commença son règne par renoncer aux nouvelles conquêtes de Trajan. Les
Parthes recouvrèrent le droit de s’élire un souverain indépendant ; il
retira les troupes romaines des places où elles étaient en garnison en
Arménie, en Assyrie et dans Le génie martial et ambitieux de l’un formait contraste
singulier avec la modération de l’autre et l’infatigable activité de celui-ci
ne paraîtra pas moins remarquable, si on la compare avec la douce
tranquillité d’Antonin le Pieux, son successeur. La vie d’Adrien ne fut
presque qu’un voyage perpétuel. Doué des talents de l’homme de guerre, de
l’homme de lettres et de l’homme d’État, ce prince satisfit tous ses goûts,
en se livrant aux soins de son empire. Insensible à la différence des saisons
et des climats, il marchait à pied et tête nue dans les neiges de Malgré cette différence dans leur conduite personnelle, Adrien et les deux Antonins s’attachèrent également au système général embrassé par Auguste. Ils persistèrent dans le projet de maintenir la dignité de l’empire, sans entreprendre d’en reculer les bornes : on vit même ces princes employer toutes sortes de moyens honorables pour gagner l’amitié des Barbares. Leur but était de convaincre le genre humain que Rome, renonçant à toute idée de conquête, n’était plus animée que par l’amour de l’ordre et de la justice. Le succès couronna, pendant quarante-trois ans cette politique respectable ; et, si nous en exceptons un petit nombre d’hostilités qui ne servaient qu’à exercer les légions répandues sur la frontière, l’univers fut en paix sous les règnes fortunés d’Adrien et d’Antonin le Pieux[29]. Le nom romain était respecté parmi les nations de la terre les plus éloignées ; souvent les Barbares les plus fiers soumettaient leurs différends à la décision de l’empereur ; et, selon le témoignage d’un historien contemporain, des ambassadeurs qui étaient venus solliciter à Rome l’honneur d’être admis au nombré de ses sujets, s’en retournèrent sans avoir pu obtenir cette distinction[30]. La terreur des armes romaines ajoutait de la dignité à la modération des souverains, et la rendait plus respectable. Ils conservaient la paix en se tenant perpétuellement préparés à la guerre ; et en même temps que l’équité dirigeait leur conduite, les nations voisines s’apercevaient bien qu’ils étaient aussi peu disposés à supporter l’offense qu’à offenser eux-mêmes. Marc-Aurèle employa contre les Germains et les Parthes ces forces redoutables qu’Adrien et son successeur s’étaient contentés de déployer autour de leurs frontières. Les attaques des Barbares provoquèrent le ressentiment de ce prince philosophe : forcé de prendre les armes pour se défendre, Marc-Aurèle remporta, par lui-même ou par ses généraux, plusieurs victoires sur l’Euphrate et sur le Danube[31]. Examinons maintenant les établissements militaires de l’empire romain. Il est important d’observer comment ils en ont assuré pendant si longtemps la tranquillité et les succès. Dans les beaux temps de la république, l’usage des armes
était réservé à cette classe de citoyens, qui avaient une patrie à aimer, un
patrimoine à défendre, empereurs et qui, participant à l’établissement des
lois trouvaient leur intérêt comme leur devoir à les faire respecter. Mais à
mesure que l’étendue des conquêtes affaiblit la liberté publique,
insensiblement le talent de la guerre s’éleva jusqu’à la perfection d’un art,
et s’abaissa au vil rang d’un métier[32]. Les légions,
même au temps où les recrutements ne se faisaient plus que dans les provinces
les plus éloignées, furent toujours supposées n’être formées que de citoyens
romains Ce titre était regardé ou comme la distinction naturellement attachée
à la condition de soldat, ou comme la récompense de ses services ; mais
on s’arrêtait plus particulièrement au mérite essentiel de l’âge, de la force
et de la taille militaire[33]. Dans toutes les
levées de troupes, on accordait avec raison la préférence aux climats du nord
sur ceux du La vertu politique que les anciens appelaient patriotisme, prend sa source dans la ferme conviction que notre intérêt est intimement lié à la conservation et la prospérité du gouvernement libre auquel nous participons. Une telle persuasion avait rendu les légions de la république romaine presque invincibles, mais elle ne pouvait faire qu’une bien faible impression sur les esclaves mercenaires d’un despote. Ce principe une fois détruit on y suppléa par d’autres motifs d’une nature bien différente, mais dont la force était prodigieuse, la religion et l’honneur. Le paysan ou le citadin se pénétrait de cette utile opinion qu’en prenant les armes, il s’attachait à une profession noble, dans laquelle son avancement et sa réputation dépendaient de son courage, et que, bien que les exploits d’un simple soldat échappent souvent à la renommée, il était en son pouvoir de couvrir de gloire ou de honte la compagnie, la légion, l’armée même dont il partageait les triomphes. En le recevant au service, on exigeait de lui un serment auquel une foule de circonstances concouraient à donner une grande solennité. Il jurait de ne jamais quitter son étendard, de soumettre sa propre volonté aux ordres de ses commandants, et de sacrifier sa vie pour la défense de l’empereur et de l’empire[35]. L’attachement des troupes romaines à leurs drapeaux leur était inspiré par l’influence réunie de la religion et de d’honneur. L’aigle doré qui brillait à la tête de la légion, était l’objet du culte le plus sacré, et l’on voyait autant d’impiété que de honte dans la lâcheté de celui qui abandonnait au moment du danger ce signe respectable[36]. Ces motifs, qui tiraient leur force de l’imagination, .étaient soutenus par des craintes et des espérances plus réelles : une paye régulière, des gratifications, une récompense assurée après le temps limité du service, encourageaient les soldats à supporter les fatigues de la vie militaire[37]. D’un autre côté, la lâcheté et la désobéissance ne pouvaient échapper aux plus sévères châtiments. Les centurions avaient le droit de frapper les coupables, et les généraux de les punir de mort. Les troupes élevées dans la discipline romaine avaient pour maxime invariable que tout bon soldat devait beaucoup plus redouter son officier que l’ennemi. Des institutions aussi sages contribuèrent à affermir la valeur des troupes et à leur inspirer une docilité que ne purent jamais acquérir des Barbares impétueux, qui ne connaissaient aucune discipline. La valeur n’est qu’une vertu imparfaite sans la science et sans la pratique. Les Romains étaient si persuadés de cette vérité, que le nom d’une armée, dans leur langue, venait d’un mot qui signifiait exercice[38]. En effet, les exercices militaires étaient l’important et continuel objet de leur discipline : les recrues et les jeunes soldats étaient régulièrement exercés le matin et le soir ; et les vétérans, malgré leur âge, malgré une connaissance profonde de leur art, étaient obligés de répéter tous les jours ce qu’ils avaient appris dès leur plus tendre jeunesse. Dans les quartiers d’hiver, on élevait de vastes appentis, afin que les exercices des soldats ne fussent point interrompus par les rigueurs de la saison. Dans ces imitations de la guerre, on avait soin de leur faire prendre des armes deux fois plus pesantes que celles dont on se servait dans une action réelle[39]. Une description exacte des exercices des Romains n’entre point dans le plan de cet ouvrage ; nous remarquerons seulement qu’ils embrassaient tout ce qui peut donner de la forcé au corps, de la souplesse aux membres et de la grâce aux mouvements. On apprenait soigneusement aux soldats à marcher, à courir, à sauter, à nager, à porter de lourds fardeaux, à manier toutes sortes d’armes offensives et défensives, à former un grand nombre d’évolutions, et à exécuter au son de la flûte la danse pyrrhique ou militaire[40]. Au sein de la paix, les troupes romaines se familiarisaient avec la guerre : selon l’observation d’un ancien historien qui avait combattu contre elles, l’effusion du sang était la seule différence que l’on remarquât entre un champ de bataille et un champ d’exercice[41]. Les plus habiles généraux, les empereurs même, encourageaient par leur présence et par leur exemple, ces études militaires ; souvent Trajan et Adrien daignèrent instruire eux-mêmes les soldats les moins expérimentés, récompenser les plus habiles, et quelquefois disputer avec eux le prix de la force ou de l’adresse[42]. Sous le règne de ces princes, la tactique fut cultivée avec succès ; et tant que l’empire conserva quelque vigueur, leurs institutions militaires furent respectées comme le modèle le plus parfait de la discipline romaine. Neuf siècles de guerre avaient insensiblement introduit plusieurs changements dans le service, et l’avaient perfectionné. Les légions décrites par Polybe[43], et commandées par les Scipions, différaient essentiellement de celles qui contribuèrent aux victoires de César, ou défendirent l’empire, d’Adrien et des Antonins. Nous rapporterons en peu de mots ce qui constituait la légion impériale[44]. L’infanterie pesamment armée, qui en faisait la principale force[45], était divisée en dix cohortes et en cinquante-cinq compagnies, sous le commandement d’un pareil nombre de tribuns et de centurions. Le poste d’honneur et la garde de l’aigle appartenaient à la première cohorte, composée de mille cent cinq soldats, choisis parmi les plus estimés pour la valeur et pour la fidélité. Les neuf autre cohortes en avaient chacune cinq cent cinquante-cinq, et tout le corps de l’infanterie d’une légion montait à six mille cent hommes. Leurs armes étaient uniformes et admirablement adaptées à la nature de leur service : ils portaient un casque ouvert surmonté d’une aigrette fort élevée, une cuirasse ou une cotte de mailles et des bottines, et ils tenaient à leur bras, gauche un grand bouclier d’une forme ovale et concave, long de quatre pieds, large de deux et demi, fait d’un bois léger, couvert d’une peau de bœufs et revêtu de fortes plaques d’airain. Outre un dard léger, le soldat légionnaire, balançait dans sa main droite ce javelot formidable appelé pilum, dont la longueur était de six pieds, et qui se terminait en une pointe d’acier de dix-huit pouces, taillée en triangle[46]. Cette armé était bien inférieure à nos armes à feu, puisqu’elle ne pouvait servir qu’une seule fois, et à la distance seulement de dix où douze pas : cependant, lorsqu’elle était lancée par une main ferme et adroite, il n’y avait point de bouclier en état de résister à sa force, et aucune cavalerie n’osait se tenir à sa portée. A peine le Romain avait-il jeté son javelot, qu’il s’élançait avec impétuosité sur l’ennemi, l’épée à la main. Cette épée était une lame d’Espagne, courte, d’une trempe excellente, à double tranchant, et également propre à frapper et à percer, mais le soldat était instruit à préférer cette dernière façon de s’en servir, comme découvrant moins son corps et faisant en même temps à son adversaire une blessure plus dangereuse[47]. La légion était ordinairement rangée sur huit lignes de profondeur, et les files, aussi bien que les rangs, étaient toujours à la distance de trois pieds l’une de l’autre[48]. Des troupes accoutumées à conserver un ordre si distinct dans toute l’étendue d’un large front et dans l’impétuosité d’une charge rapide, pouvaient exécuter tout ce qu’exigeaient d’elles les événements de la guerre et l’habileté du général. Le soldat avait un espace libre pour ses armes et pour ses divers mouvements, et les intervalles étaient ménagés de manière à pouvoir y faire passer les renforts nécessaires pour secourir les combattants épuisés[49]. La tactique des Grecs et des Macédoniens avait pour base des principes bien différents : la force de la phalange consistait en seize rangs de longues piques, de manière à former la palissade la plus serrée[50] ; mais la réflexion et l’expérience prouvèrent que cette masse immobile était incapable de résister à l’activité de la légion[51]. La cavalerie, sans laquelle la force de la légion serait
restée imparfaite, était divisée en dix escadrons : le premier, comme
compagnon de la première cohorte, consistait en cent trente-deux hommes, et
les neuf autres chacun en soixante-six ; ce qui faisait en tout, pour
nous servir des expressions modernes, un régiment de sept cent vingt-six
chevaux. Quoique naturellement attaché à sa légion respective, chaque
régiment de cavalerie en était séparé, suivant les occasions, pour être rangé
en ligne, et faire partie des ailes de l’armée[52]. Sous les
empereurs, la cavalerie était bien différente de ce qu’elle avait été dans
son origine. Du temps de la république, elle était composée des jeunes gens
les plus distingués de Rome et de l’Italie, qui, en remplissant ce service
militaire, se préparaient à acquérir les dignités de sénateur et de consul,
et sollicitaient, par leurs exploits, les suffrages de leurs concitoyens[53]. Mais depuis le
changement qui était survenu dans les mœurs et dans le gouvernement, les plus
riches citoyens de l’ordre équestre se consacrèrent à l’administration de la
justice et à la perception des revenus publics[54]. Ceux qui
embrassaient la profession des armes étaient aussitôt revêtus du commandement
d’une cohorte[55]
ou d’un escadron[56]. Trajan et
Adrien tirèrent leur cavalerie des mêmes provinces et de la même classe de
leurs sujets, qui fournissaient des hommes aux légions : on faisait
venir des chevaux d’Espagne et de La sûreté et l’honneur de l’empire étaient confiés principalement aux légions ; mais la politique de Rome ne dédaigna rien de tout ce qui pouvait lui être utile à la guerre. On faisait régulièrement des levées considérables dans les provinces dont les habitants n’avaient point encore mérité la distinction honorable de citoyens. On permettait à des princes ou à de petits États dispersés le long des frontières d’acheter, par un service militaire, leur liberté et leur sûreté[58]. Souvent même, soit par force, soit par persuasion, on déterminait des Barbares que l’on redoutait à envoyer l’élite de leurs troupes épuiser, dans les climats éloignés, leur dangereuse valeur contre les ennemis de l’empire[59]. Tous ces différents corps étaient connus généralement sous le nom d’auxiliaires. Quoique leur nombre variât selon les temps et les circonstances, il était rarement inférieur à celui des légions[60]. Les plus courageux et les plus fidèles de ces auxiliaires étaient placés sous le commandement des préfets et des centurions, et sévèrement instruits à la discipline des Romains ; mais ils retenaient, pour la plupart, les armes que leur rendaient propres, soit la nature de leur pays, soit les habitudes de leur première jeunesse ; et, par ce moyen, comme à chaque légion était attaché un certain nombre d’auxiliaires, chacune renfermait toutes les espèces de troupes légères, avait l’usage de toutes les armes de trait, et pouvait ainsi opposer à chaque nation la même discipline et les mêmes armes qui la rendaient formidable[61]. La légion n’était pas dépourvue de ce que l’on pourrait appeler, dans nos langues modernes, un train d’artillerie ; elle avait toujours à sa suite dix machines de guerre de la première grandeur, et cinquante-cinq plus petites, qui toutes lançaient, selon diverses directions, des pierres et des dards avec une violence irrésistible[62]. Le camp d’une légion romaine ressemblait à une ville fortifiée[63]. Aussitôt que l’espace était tracé, les pionniers avaient soin d’aplanir le terrain, et d’écarter tous les obstacles qui auraient pu nuire à sa parfaite régularité : la forme en était quadrangulaire, et nous calculons qu’un carré d’environ deux mille cent pieds anglais de côté pouvait contenir vingt mille Romains, quoique maintenant un pareil nombre de troupes présente à l’ennemi un front trois fois plus étendu. Au milieu du camp, on distinguait, par dessus les autres tentes, le prétoire ou le quartier du général. La cavalerie, l’infanterie et les auxiliaires, occupaient leurs postes respectifs. Les rues étaient larges et fort droites, et l’on ménageait de tous côtés un espace libre de deux cents pieds entre le rempart et les tentes. Le rempart était ordinairement de douze pieds de haut, défendu par de fortes palissades, et, entouré d’un fossé dont la largeur et la profondeur étaient aussi de douze pieds. Les légionnaires eux-mêmes étaient chargés de cet ouvrage important : l’usage de la bêche et de la pioche ne leur était pas moins familier que celui de l’épée ou du pilum. Le courage intrépide est souvent un présent de la nature ; mais cette activité soutenue dans l’exécution des travaux, ne peut jamais être que le fruit de l’habitude et de la discipline[64]. À peine la trompette avait-elle donné le signal du départ, que le camp était levé, et les troupes se plaçaient à leurs rangs sans retard et sans confusion. Les légionnaires, outre leurs armes, au poids desquelles ils songeaient à peine, étaient encore chargés de leurs instruments de cuisine, des outils nécessaires pour les fortifications, et de provisions pour plusieurs jours[65]. Malgré un fardeau si considérable, qui accablerait la délicatesse d’un soldat moderne, les Romains étaient accoutumés à marcher d’un pas régulier, et à faire près de vingt milles en six heures[66]. A l’approche de l’ennemi, ils se débarrassaient de leur bagage, et, par des évolutions aisées et rapides, l’armée, qui marchait sur une ou sur plusieurs colonnes, se formait en ordre de bataille[67]. Les frondeurs et les archers escarmouchaient à la tête ; les auxiliaires formaient la première ligne, et ils étaient soutenus par les légions : la cavalerie couvrait les flancs ; enfin, on plaçait derrière le corps d’armée les machines de guerre. Telle fut la science guerrière qui défendit les vastes
conquêtes des empereurs, et conserva l’esprit militaire, dans un temps où le
luxe et le despotisme avaient étouffé toute autre vertu. Si nous cherchons
maintenant à nous faire une idée du nombre des troupes dont se composaient
les armées romaines, nous verrons combien il est difficile de l’apprécier
avec une certaine exactitude. Il parait cependant que la légion était un
corps de douze mille cinq cents hommes, parmi lesquels on comptait six mille
huit cent trente et un Romains : le reste comprenait les auxiliaires.
Sous Adrien et ses successeurs, l’armée sur le pied de paix comprenait trente
de ces redoutables brigades. Ainsi, selon toute apparence, leurs forces se
montaient à trois cent soixante-quinze mille hommes. Au lieu de se renfermer
dans des villes fortifiées, qui n’étaient, aux yeux des Romains, que le
refuge de la faiblesse et de la lâcheté, les légions restaient toujours
campées sur les bords des grands fleuves ou le long des frontières des
Barbares. Comme leurs postes, pour la plupart, étaient fixes et permanents,
nous pouvons nous former un aperçu de la distribution des troupes dans tout
l’empire. Trois légions suffisaient pour La marine des empereurs répondait peu à la grandeur de
Rome ; mais elle suffisait pour remplir toutes les visées du
gouvernement. L’ambition des Romains ne s’étendait point au-delà du continent
: ce peuple guerrier n’était pas animé de cet esprit entreprenant des
Tyriens, des Carthaginois et des habitants de Marseille, qui avait porté ces
hardis navigateurs à reculer les bornes du monde, et à découvrir les côtés
les plus éloignées. L’Océan était plutôt pour les Romains un objet de terreur
que de curiosité[69]. Après la ruine
de Carthage et la destruction des pirates, toute l’étendue de Nous avons essayé de faire connaître et l’esprit de modération qui mettait des bornes à la puissance d’Adrien et des Antonins, et les forces qui servaient à la soutenir ; tâchons maintenant de décrire, avec clarté et précision, ces mêmes provinces, réunies autrefois sous un seul chef, et maintenant divisées en un si grand nombre d’États indépendants et ennemis les uns des autres. Située à l’extrémité de l’empire, de l’Europe et de
l’ancien monde, l’Espagne a conservé d’âge en âge ses limites naturelles :
les monts Pyrénées, L’ancienne Gaule, qui comprenait tout le pays situé entre
les Pyrénées, les Alpes, le Rhin et l’Océan, était beaucoup plus étendue que Nous avons déjà parlé de l’étendue et des bornes de la
province romaine de Bretagne : elle renfermait toute l’Angleterre, le
pays de Galles, et le pays plat d’Écosse jusqu’au passage de Dunbritton e
d’Édimbourg. Avant que Avant les conquêtes des Romains, Les provinces de l’empire en Europe étaient défendues par
le Rhin et le Danube. Ces deux beaux fleuves prennent leur source à la
distance de trente milles l’un de l’autre. Le Danube, dans un cours de plus
de treize cents milles de long, presque toujours vers le sud-est, reçoit le
tribut de soixante rivières navigables et se jette ensuite par six
embouchures dans le Pont-Euxin, qui paraît à peine assez vaste pour recevoir
une telle masse d’eau[81]. Les provinces
qu’arrose le Danube furent bientôt désignées sous le nom général d’Illyrie ou
de frontière illyrienne[82], et regardées
comme les plus guerrières de l’empire ; mais elles méritent bien que
nous les considérions dans leurs principales divisions : La province de Rhétie, habitée autrefois par les Vindéliciens, s’étendait depuis les Alpes jusqu’aux rives du Danube, et depuis la source de ce fleuve jusqu’à sa jonction avec l’Inn. La plus grande partie du plat pays obéit à l’électeur de Bavière : la ville d’Augsbourg est protégée par la constitution de l’empire germanique ; les Grisons vivent en sûreté dans leurs montagnes, et le Tyrol est au rang des nombreux États qui appartiennent à la maison d’Autriche. Toute l’étendue de pays comprise entre le Danube, l’Inn et
Après avoir reçut les eaux du Theiss et de Les Turcs, en donnant le nom de Romélie à Tel était l’état de l’Europe sous les empereurs romains.
Les provinces d’Asie, sans en excepter les conquêtes passagères de Trajan, se
trouvent toutes renfermées dans les limites de la puissance des Turcs ; mais
au lieu de suivre les divisions arbitraires, imaginées par l’ignorance et par
le despotisme, prenons une route plus sûre et en même temps plus agréable
pour nous ; observons les caractères ineffaçables de la nature. On
appelle Asie-Mineure cette péninsule qui, bornée par l’Euphrate du coté de
l’orient, s’avance vers l’Europe entre le Pont-Euxin et Sous les successeurs d’Alexandre, Lés géographes de l’antiquité ont souvent hésite sur la
partie du globe dans laquelle ils devaient faire entrer l’Égypte[89]. Située dans la
péninsule immense de l’Afrique, elle n’est accessible que du côté de l’Asie,
dont elle a reçu la loi dans presque toutes les révolutions de l’histoire. Un
préfet romain occupait le trône pompeux des Ptolémées ; maintenant le
sceptre de fer des Mameluks est entre les mains d’un pacha turc. Le Nil arrose cette contrée dans un espace
de deux cents lieues, depuis le tropique du Cancer jusqu’à De Cyrène jusqu’à l’Océan, la côte d’Afrique a plus de
quinze cents milles de long ; elle est cependant si resserrée entre Après avoir parcouru toutes les provinces de l’empire
romain, nous pouvons observer que l’Afrique est séparée de l’Espagne par un
détroit de douze milles environ, qui sert de communication à Cette longue énumération des provinces d’un empire dont
les débris ont formé tant de royaumes si puissants, rendrait presque
excusable à nos yeux, la vanité ou l’ignorance des anciens. Éblouis par
l’immense domination, la puissance irrésistible, la modération réelle ou
affectée des empereurs, ils se croyaient permis de mépriser ces contrées
éloignées, qu’ils avaient laissées jouir d’une indépendance barbare ;
souvent même ils affectaient d’en méconnaître le nom : insensiblement
ils s’accoutumèrent à confondre la monarchie romaine avec le globe de la
terre[93]. Mais ces idées
vagues et peu exactes ne conviennent pas à un historien moderne : guidé par
des connaissances plus sûres, il est en état de présenter à ses lecteurs un
tableau mieux proportionné, en leur faisant observer que l’empire avait plus
de deux mille milles de large depuis le mur d’Antonin et les limites
septentrionales de |
[1] Dion Cassius (l. LVI, p. 736), avec les notes de Reymar, qui a rassemblé tout ce que la vanité romaine nous a laissé ce sujet. — Le marbré d’Ancyre, sur lequel Auguste avait fait graver ses exploits, nous dit positivement que cet empereur força les Parthes à restitués les drapeaux de Crassus.
Les poètes latins ont
célébré avec pompe ce paisible exploit d’Auguste. Horace, l. IV, od.
……… Tua, Cæsar, œtas
………………
Signa nostro restituit Jovi
Derepta Parthorum superbis
Postibus ;
et Ovide, dans ses Tristes,
l. 2, v. 227 :
Nunc petit Armenius pacem, nuhc porrigit arcum
Parthus eques, timida captaque signa manu.
(Note de l’Éditeur)
[2] Strabon (l. XVI, p.
780), Pline (Hist. nat., l VI, c. 32, 35) et Dion-Cassius (l. III, p.
723, et l. LIV, p. 734), nous ont laissé sur ces guerres des détails très
curieux. Les Romains se rendirent maîtres de Mariaba ou Merab, ville de
l’Arabie-Heureuse, bien connue des Orientaux (Voy. Abulfeda, et
C’est cette ville de Merab
que les Arabes disent avoir été la résidence de Belkis, reine de Saba, qui
voulut voir Salomon. Une digue, par laquelle des eaux rassemblées dans les
environs étaient retenues, ayant été emportée, l’inondation subite détruisit
cette ville, dont il reste cependant des vestiges. Elle était limitrophe d’une
contrée nommée l’Adramaüt, où croît un aromate particulier : c’est pour
cela qu’on lit dans l’Histoire de l’expédition des Romains, qu’il ne restait
que trois journées pour arriver au pays de l’encens. Voyez d’Anville, Géogr.
anc., t. II, p. 222. (note de l’Éditeur).
[3] Par le massacre de Varus et de ses trois légions (Voy. le livre I des Annales de Tacite ; Suétone, Vie d’Auguste, c. 23 ; et Velleius Paterculus, l. II, c. 117, etc.). Auguste ne reçut pas la nouvelle de ce malheur avec toute la modération ni toute la fermeté que l’on devait naturellement attendre de son caractère.
[4] Tacite, Annal., l. II ; Dion-Cassius, l. LVI, p. 833 ; et le discours d’Auguste lui-même dans les Césars de Julien. Ce dernier ouvrage a reçu beaucoup de clarté des savantes notes de son traducteur français M. Spanheim.
[5] Germanicus, Suetonius-Paulinus et Agricola furent traversés et rappelés dans le cours de leurs victoires. Corbulon fut mis à mort. Le mérite militaire, comme l’exprime admirablement Tacite, était dans toute la rigueur de l’expression, imperatoria virtus.
[6] César lui-même
dissimule ce motif peu relevé ; mais Suétone en fait mention, c. 47. Au reste,
les perles de
[7] Sous les règnes de Claude, de Néron et de Domitien. Pomponius Mela, qui écrivait sous le premier de ces princes espère (l. III, c. 6) qu’à la faveur du succès des armes romaines, l’île et ses sauvages habitants seront bientôt mieux connus. Il est assez amusant de lire de pareils passages au milieu de Londres.
[8] Voyez l’admirable
abrégé que Tacite nous a donné dans
[9] Les écrivains irlandais, jaloux de la gloire de leur patrie, sont extrêmement irrités à cette occasion contre Tacite et contre Agricola.
[10] Frith of Scotland.
[11] Voyez Britannia romana, par Horsley, l. I, c. 10.
[12] Agricola fortifia le passage situé entre Dunbritton et Édimbourg, par conséquent en Écosse même. L’empereur Adrien, pendant son séjour en Angleterre, vers l’an 121, fit élever un rempart de gazon entre Newcastle et Carlisle. Antonin le Pieux, ayant remporté de nouvelles victoires sur les Calédoniens, par l’habileté de son lieutenant, Lollius Urbicus, fit construire un nouveau rempart de gazon entré Édimbourg et Dunbritton. Septime-Sévère enfin, en 208, fit construire un mur de pierres parallèle au rempart d’Adrien et dans les mêmes localités. Voyez John Warburton’s Vallum romanum, or the History and antiquities of the roman wall commonly called the Picts’ wall. Londres, 1754, in-4°. (note de l’Éditeur)
[13] Le poète Buchanan célèbre avec beaucoup d’élévation et d’élégance (Voy. ses Sylvœ, v.) la liberté dont les anciens Écossais ont toujours joui. Mais si le seul témoignage de Richard de Cirencester suffit pour créer au nord de la muraille une province romaine nommée Valentia, cette indépendance se trouve renfermée dans des limites très étroites.
[14] Voy. Appien (in proœm.), et les descriptions uniformes des poésies erses qui, dans toutes les hypothèses, ont été composées par un Calédonien.
[15] Voy. le Panégyrique de Pline, qui paraît être, appuyé sur des faits.
[16] Dion-Cassius, l. LXVII.
[17] Hérodote, l. IV, c. 94 ; Julien, dans les Césars, avec les observations de Spanheim.
[18] Pline, Epist. VIII, 9.
[19] Dion-Cassius, l. LVIII, p. 1123, 1131 ; Julien, dans les Césars ; Eutrope, VIII, 2, 6 ; Aurelius Victor et Victor, in Epitom.
[20] Voyez un mémoire de M. d’Anville, sur la province de Dacie, dans le recueil de l’Académie des Inscriptions, tome XXVIII, p. 444-468.
[21] Les sentiments de Trajan sont représentés au naturel et avec beaucoup de vivacité clans les Césars de Julien.
[22] Eutrope et Sextus-Rufus ont tâché de perpétuer cette illusion. Voyez une dissertation très ingénieuse de M. Freret dans les Mém. de l’Académie des Inscriptions, t. XXI, p. 55.
[23] Dion-Cassius, l. LXVIII, et les abréviateurs.
[24] Ovide, Fast., l. II, v. 667. Voy. Tite-Live et Dénis d’Halicarnasse, au règne de Tarquin.
[25] Saint Augustin prend beaucoup de plaisir à rapporter cette preuve de la faiblesse du dieu Terme et de la vanité des augures. Voyez de Civitate Dei, IV, 29.
[26] Voyez l’Histoire
Auguste, p. 5 ;
[27] Dion, l. LXIX, p. 1158 ; Hist. Aug., p. 5, 8. Si tous des ouvrages des historiens étaient perdus, les médailles, les inscriptions et les autres monuments de ce siècle, suffiraient pour nous faire connaître les voyages d’Adrien.
[28] Voyez l’Histoire Auguste, et les Épitomés.
[29] Il ne faut cependant pas oublier que sous le règne d’Adrien, le fanatisme arma les Juifs, et excita une rébellion violente dans une province de l’empire. Pausanias (l. 8, c. 43) parle de deux guerres nécessaires, terminées heureusement par les généraux d’Antonin le Pieux : l’une contre les Maures vagabonds, qui furent chassés dans les déserts du mont Atlas ; l’autre contre les Brigantes, tribu bretonne qui avait envahi la province romaine. L’Histoire Auguste fait mention, p. 19, de ces deux guerres et de plusieurs autres hostilités.
[30] Appien d’Alexandrie, dans la préface de son Histoire des guerres romaines.
[31] Dion, l. LXXI ; Hist. Aug., in Marco. Les victoires remportées sur les Parthes ont fait naître une foule de relations dont les méprisables auteurs ont été sauvés de l’oubli et tournés en ridicule dans une satire très ingénieuse de Lucien.
[32] Le plus pauvre soldat possédait la valeur de plus de quarante livres sterling (Denys d’Halicarnasse, IV, 17), somme considérable dans un temps où l’argent était si rare qu’une once de ce métal équivalait à soixante-dix livres pesant d’airain. La populace, qui avait été exclue du service militaire par l’ancienne constitution, y fut admise par Marius. Voyez Salluste, Guerre de Jugurtha, c. 91.
[33] César composa une de ses légions (nommée l’Alauda) de Gaulois et d’étrangers ; mais ce fut pendant la licence des guerres civiles ; et après ses victoires, il leur donna pour récompense le droit de citoyen romain.
[34] Voyez Végèce, de Re militari, l. I, c. 2-7.
[35] Le serment de fidélité que l’empereur exigeait des troupes était renouvelé tous les ans le 1er janvier.
[36] Tacite appelle les aigles romaines bellorum deos. Placées dans une chapelle au milieu du camp, elles étaient adorées par les soldats comme les autres divinités.
[37] Voy. Gronovius, de Pecuniâ vetere, l. III, p. 120, etc. L’empereur Domitien porta la paye annuelle des légionnaires à douze pièces d’or, environ dix de nos guinées. Cette paye s’augmenta insensiblement par la suite, selon les progrès du gouvernement militaire et la richesse de l’État. Après vingt ans de service, le vétéran recevait trois mille deniers (environ cent livres sterling), ou une portion de terre de la valeur de cette somme. La paye des gardes, et en général les avantages dont ils jouissaient, étaient le doublé de ce qu’on accordait aux légionnaires.
[38] Exercitus, ab exercitando. Varron, de Linguâ latinâ, l. IV ; Cicéron, Tuscul., l. II, 37. On pourrait donner un ouvrage bien intéressant en examinant le rapport qui existe entre la langue et les mœurs des nations.
[39] Végèce, l. II, et le reste de son premier livre.
[40] M. Le Beau a jeté un très grand jour sur le sujet de la danse pyrrhique dans le Recueil de l’Académie des Inscriptions, tome XXXV, p. 262, etc. Ce savant académicien a rassemblé, dans une suite de mémoires, tous les passages que nous ont laissés les anciens concernant la légion romaine.
[41] Josèphe, de Bello judaico, l. 3, c. 5. Nous sommes redevables à cet écrivain juif de quelques détails très curieux sur la discipline romaine.
[42] Panégyrique de Pline, c. 13 ; Vie d’Adrien, dans l’Histoire Auguste.
[43] Voyez, dans le VIe livre de son histoire, une digression admirable sur la discipline des Romains.
[44] Végèce, de Re militari, l. II, c. 4, etc. Une partie considérable de son obscur abrégé est prise des règlements de Trajan ; la légion, telle qu’il la décrit, ne peut convenir à aucun autre siècle de l’empire romain.
[45] Végète, de Re militari, l. II, c. 1. Du temps de Cicéron et de César, où les anciennes formes avaient reçu moins d’altération, le mot miles se bornait presque à l’infanterie. Dans le bas-empire et dans les siècles de chevalerie, il fut approprié presque exclusivement aux gens d’armes qui combattaient à cheval.
[46] Du temps de Polybe et de Denys d’Halicarnasse (l. V, c. 43), la pointe d’acier du pilum semble avoir été beaucoup plus longue. Dans le siècle où Végèce, écrivait, elle fut réduite à un pied, ou même à neuf pouces : j’ai pris un milieu.
[47] Pour les armes des légionnaires, voyez Juste-Lipse, de Miliciâ romanâ, l. III, c. 2-7.
[48] Voyez la belle comparaison de Virgile, Georg., II, v. 279.
[49] M. Guichard (Mémoires militaires, t. I, c. 4, et nouveaux Mémoires, t. I, p. 293-311)) a traité ce sujet en homme instruit et en officier.
[50] Voyez
[51] Polybe, l. XVII.
[52] Végèce, de Re militari, l. II, c. 6. Son témoignage positif, qu’on pourrait appuyer de faits évidents, doit certainement imposer silence à ces critiques qui refusent à la légion impériale son corps de cavalerie.
[53] Voyez Tite-Live presque partout, et spécialement XLII, 61.
[54] Pline, Hist. nat., XXXIII, 2. Le véritable sens de ce passage très curieux a été découvert et éclairci par M. de Beaufort, Rép. romaine, l. II, c. 2.
[55] Comme nous le voyons par l’exemple d’Horace et d’Agricola, il paraît que cette coutume était un vice dans la discipline romaine. Adrien essaya d’y remédier en fixant l’âge qu’il fallait avoir pour être tribun.
[56] Ces détails ne sont pas tout à fait exacts. Quoique dans
les derniers temps de la république et sous les premiers empereurs les jeunes
nobles romains obtinssent le commandement d’un escadron ou d’une cohorte avec
plus de facilité que dans les temps antérieurs, ils n’y parvenaient guère sans
avoir passé par un assez long service militaire. En général, ils servaient
d’abord dans la cohorte prétorienne, qui était chargée de la garde du général :
ils étaient reçus dans l’intimité de quelque officier supérieur (contubernium),
et s’y formaient. C’est ainsi que Jules César, issu cependant d’une grande
famille, servit d’abord comme contubernalis sous le préteur M. Thermus,
et plus tard, sous Servilius l’Isaurien (Suétone, Vie de Jules César,
2-5 ; Plutarque, in Parall., p. 516 ed. Froben). L’exemple d’Horace, que
Gibbon met en avant pour prouver que les jeunes chevaliers étaient faits
tribuns dès qu’ils entraient au service, ne prouve rien. D’abord, Horace
n’était point chevalier ; c’était le fils d’un affranchi de Venuse (Venosa),
dans
[57] Voyez
[58] Tel était en particulier l’État des Bataves. Tacite, Mœurs des Germains, c. 29.
[59] Marc-Aurèle, après avoir vaincu les Quades et les Marcomans, les obligea de lui fournir un corps de troupes considérable, qu’il envoya. aussitôt en Bretagne. Dion, l. LXXI.
[60] Tacite, Annal., IV, 5. Ceux qui composent ces corps dans une proportion régulière d’un certain nombre de fantassins et de deux fois autant de chevaux, confondent les auxiliaires des empereurs avec les Italiens alliés de la république.
[61] Végèce, II, 2 ; Arrien, dans sa Description de la marche et de la bataille contre les Alains.
[62] Le chevalier Folard (dans son Commentaire sur Polybe, tome II, p 233-290) a traité des anciennes machines avec beaucoup d’érudition et de sagacité : il les préfère même, à beaucoup d’égards, à nos canons et à nos mortiers. Il faut observer que, chez les Romains, l’usage des machines devint plus commun, à mesure que la valeur personnelle et les talents militaires disparurent dans l’empire. Lorsqu’il ne fut plus possible de trouver des hommes, il fallut bien y suppléer par des machines ; Voyez Végèce, II, 25, et Arrien.
[63] Universa quæ in quoque belli genere necessaria esse creduntur, secum legio debet ubique portare, ut in quovis loco fixerit castra, armatam faciat civitatem. C’est par cette phrase remarquable que Végèce termine son second livre et la description de la légion.
[64] Pour la castramétation des Romains, voyez Polybe, l. IV ; avec Juste-Lipse, de Militiâ romanâ ; Josèphe, de Bello judaic., l. III, c. 5 ; Végèce, I, 21-25, III, 9 ; et Mémoires de Guichard, tome I, c. 1.
[65] Cicéron, Tuscul., II, 37 ; .Josèphe, de Bello jud., l. III, 5 ; Frontin, IV, 1.
[66] Végèce, I, 9 ; Voyez Mémoires de l’Académie des Inscriptions, tome XXV, p. 187.
[67] Ces évolutions sont admirablement expliquées par M. Guichard, nouveaux Mémoires, tome I, p. 141-234.
[68] Tacite (Annal., IV, 5) nous a donné un état des légions sous Tibère, et Dion (l. LV, p. 794) sous Alexandre-Sévère. J’ai tâché de m’arrêter à un juste milieu entre ce qu’ils nous apprennent de ces deux périodes. Voyez aussi Juste-Lipse, de Magnitudine romanâ, l. I, c. 4, 5.
[69] Les Romains essayèrent de cacher leur ignorance et leur terreur sous le voile d’un respect religieux. Voyez Tacite, Mœurs des Germains, c. 34.
[70] Plutarque, Vie de Marc-Antoine ; et cependant, si nous en croyons Orose, ces énormes citadelles ne s’élevaient pas de plus de dix pieds au-dessus de l’eau, VI, 19.
[71] Voyez Juste-Lipse, de Magnitudine romanâ, l. I, c. 5. Les seize derniers chapitres de Végèce ont rapport à la marine.
[72] Voltaire, Siècle
de Louis XIV, c. 19. Il ne faut cependant pas oublier que
[73] Voyez Strabon, l. II. Il est assez naturel de supposer qu’Aragon vient de Tarraconensis : plusieurs auteurs modernes, qui ont écrit en latin, se servent de ces deux mots comme synonymes ; il est cependant certain que l’Aragon, petite rivière qui tombe des Pyrénées dans l’Èbre, donna d’abord son nom à une province, et ensuite à un royaume. Voy. d’Anville, Géographie du moyen âge, p. 181.
[74] Cent quinze cités
paraissent dans
[75] D’Anville, Notice de l’ancienne Gaule.
[76] Histoire de Manchester, par Whitaker, vol. I, c. 3.
[77] Les Venètes d’Italie, quoique souvent confondus avec les Gaulois, étaient probablement Illyriens d’origine. Voyez M. Fréret, Mémoires de l’Académie des Inscriptions, t. XVIII.
[78] Voyez Mafei, Verona illustrata, l. I.
[79] Le premier de ces contrastes avait été observé par les anciens (voyez Florus, I, II). Le second doit frapper tout voyageur moderne.
[80] Pline (Hist. nat., t. III) suit la division d’Italie par l’empereur Auguste.
[81] Tournefort, Voyage en Grèce et en Asie Mineure, lettre XVIII. Voyez M. de Buffon, Hist. nat., t. I, p. 411.
[82] Le nom d’Illyrie appartenait originairement aux côtes de la mer Adriatique ; les Romains l’étendirent par degrés depuis les Alpes jusqu’au Pont-Euxin. Voyez Severini Pannonia, l. I, c. 3.
[83] Un voyageur vénitien, l’abbé Fortis, nous a donné récemment une description de ces contrées peu connues ; mais nous ne pouvons, attendre la géographie et les antiquités de l’Illyrie occidentale que de la munificence de l’empereur, souverain de cette contrée.
[84]
[85] Voyez le Périple
d’Arrien. Cet auteur avait examiné les côtes du Pont-Euxin lorsqu’il était
gouverneur de
[86] Cette comparaison est exagérée, dans l’intention sans
doute d’attaquer l’autorité de
[87] Le progrès de la religion est bien connu. L’usage des lettres s’introduisit parmi les sauvages de l’Europe environ quinze cents ans avant Jésus-Christ, et les Européens les portèrent en Amérique environ quinze siècles après là naissance du Sauveur ; mais l’alphabet phénicien fut considérablement altéré, dans une période de trois mille ans, en passant par les mains des Grecs et des Romains.
[88] Dion, l. LVIII, p. 1131.
[89] Selon, Ptolémée,
Strabon et les géographes modernes, l’isthme de Suez est la borne de l’Asie et
de l’Afrique. Denys, Mela, Pline, Salluste, Hirtius et Solin, en étendant les
limites de l’Asie jusqu’à la branche occidentale du Nil, ou même jusqu’à la
grande cataracte, renferment dans cette partie du monde, non seulement
l’Égypte, mais encore presque toute
[90] Cyrène fut fondée par les Lacédémoniens sortis de Théra,
île de la mer Égée. Crinus, roi de cette île, avait un fils, nommé Aristée, et
surnommé Battus (du grec Βαττος) parce qu’il
était, selon les uns, muet, ou, selon les
autres bègue et embarrassé dans sa prononciation. Crinus consulta
l’oracle de Delphes sur la maladie de son fils : l’oracle répondit qu’il ne
recouvrerait l’usage libre de la parole que lorsqu’il irait fonder une ville en
Afrique. La faiblesse de l’île de Théra, le petit nombre de ses habitants, se
refusaient aux émigrations ; Battus ne partit point. Les Théréens, affligés de
la peste, consultèrent de nouveau l’oracle, qui leur rappela sa réponse. Battus
partit alors, aborda en Afrique, et effrayé, selon Pausanias, par la vue d’un
lion, il reprit soudain, en poussant un cri, l’usage de la parole. Il s’empara
du mont Cyra, et y fonda la ville de Cyrène. Cette colonie parvint bientôt à un
haut degré de splendeur ; son histoire et les médailles qui nous en restent, attestent sa puissance et ses
richesses (Voyez Eckhel, de Doctrinâ nummrum veterum, t. IV, p. 117).
Elle tomba dans la suite au pouvoir des Ptolémées, lorsque les Macédoniens
s’emparèrent de l’Égypte. Le premier Ptolémée-Lagus, dit Soter, s’empara de
[91] La longue étendue, la hauteur modérée et la pente douce du mont Atlas (voyez les Voyages de Shaw, p. 5), ne s’accordent pas avec l’idée d’une montagne isolée qui cache sa tête dans les nues, et qui paraît supporter le ciel. Le pic de Ténériffe, au contraire, s’élève à plus de deux mille deux cents toises au-dessus du niveau de la mer ; et comme il était fort connu des Phéniciens, il aurait pu attirer l’attention des poètes grecs. Voyez Buffon, Hist. nat., t. I, p. 312 ; Hist. des Voyages, tome II.
[92] M. de Voltaire (t. XIV, p. 297), sans y être autorisé par aucun fait ou par aucune probabilité, donne généreusement aux Romains les îles Canaries.
[93] Bergier, Hist. des grands chemins, l. III, c. 1, 2, 3, 4 ; ouvrage rempli de recherches très utiles.
[94] Voyez