Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

CHAPITRE LIII

État de l’empire d’Orient au dixième siècle. Son étendue et sa division. Richesses et revenus. Palais de Constantinople. Titres et emplois. Orgueil et puissance des empereurs. Tactique des Grecs, des Arabes et des Francs. Perte de la langue latine. Études et solitude des Grecs.

 

 

QUELQUES rayons de lumière semblent percer la profonde obscurité du dixième siècle. Nous jetons les yeux avec curiosité et avec respect sur les ouvrages de Constantin Porphyrogénète[1], composés à un âge mûr, pour l’instruction de son fils, et où il nous annonce qu’il va développer à nos regards l’état de l’empire d’Orient au dedans et au dehors, durant la paix et durant la guerre. Dans le premier de ces ouvrages l’empereur décrit minutieusement les pompeuses cérémonies de l’Église et du pelais de Constantinople, d’après son cérémonial et celui de ses prédécesseurs[2]. Il tâche, dans le second, de jeter un coup d’œil exact sur les provinces, ou, comme on les nommait alors, les thêmes de l’Europe et de l’Asie[3]. Le troisième expose le système de tactique des Romains, la discipliné et l’ordre de leurs troupes, et leurs opérations militaires sur mer et sur le continent ; mais on ignore si ce traité est de Constantin ou de Léon, son père[4]. Le quatrième a pour objet l’administration de l’empire-, et on y révèle les secrets de la politique de Byzance dans ses rapports d’amitié ou d’inimitié avec les autres nations. Les travaux littéraires de cette époque, les systèmes suivis, dans la pratique des lois et de l’agriculture et dans les écrits historiques paraissent avoir eu pour objet l’avantage des sujets, et être faits pour honorer les princes macédoniens. Les soixante livres des Basiliques[5], qui forment le Code et les Pandectes, de la jurisprudence civile, furent rédigés sous les trois premiers règnes de cette heureuse dynastie. L’art de l’agriculture avait amusé les loisirs et exercé la plume des personnages les plus éclairés et les plus vertueux de l’antiquité, et les vingt livres des Géoponiques[6] de Constantin renferment ce qu’ils ont dit de meilleur sur cet objet. Ce prince ordonna de recueillir en cinquante-trois livres[7] les traits d’histoire les plus propres à encourager la vertu et à inspirer l’horreur du vice ; et tous les citoyens purent profiter pour eux-mêmes ou faire profiter leurs contemporains des leçons et des avis des temps passés. Le souverain de l’Orient descendit ainsi de l’auguste caractère de législateur aux modestes fonctions de professeur ou de copiste ; et si ses successeurs ou ses sujets n’ont pas rendu justice à ses soins paternels, la postérité en a reçu du moins le durable héritage.

A la vérité, un examen plus sévère fait disparaître beaucoup de la valeur du présent et de la reconnaissance de la postérité la possession de ce trésor impérial ne nous empêche pas de regretter notre pauvreté et notre ignorance sur cette époque de l’histoire, et la gloire des auteurs s’efface insensiblement par l’indifférence ou le mépris. Les Basiliques ne sont que des fragments, une version grecque partielle et mutilée des lois de Justinien ; mais souvent la sagesse des anciens jurisconsultes y est altérée par une étroite dévotion, et on y voit la liberté du commerce et le bonheur de la vie privée tyrannisés par la prohibition absolue du divorce, du concubinage et du prêt à intérêt. Un sujet de Constantin pouvait admirer dans la compilation historique les inimitables vertus de la Grèce et de Rome ; il pouvait y voir à quel point d’énergie et d’élévation l’homme était jadis parvenu ; mais une nouvelle édition de la Vie des Saints que le grand logothète, ou chancelier de l’empire, eut ordre de préparer, dut produire un effet contraire ; et Simon le Métaphraste[8] enrichit et orna de ses légendes fabuleuses le fond obscur que lui avait fourni la superstition. Au jugement de la raison, tous les mérites et les miracles célébrés dans la totalité du calendrier, ont moins de prix que le travail d’un seul cultivateur qui multiplie les dons du ciel et fournit à la subsistance de ses semblables. Cependant les empereurs à qui nous devons les Géoponiques, exposent avec plus de soin les préceptes d’un art destructeur, de celui de la guerre, qu’on enseignait dès le temps de Xénophon[9] comme l’art des héros et des rois. La Tactique de Léon et de Constantin a reçu l’alliage de l’esprit du siècle où ils vécurent ; son caractère était l’absence du génie et de l’originalité : aussi transcrivent-ils sans réflexion les règles et les maximes confirmées par des victoires ; on n’y connaissait plus ni style ni méthode : aussi les voit-on confondre aveuglément les institutions les plus éloignées et celles qui ont le moins d’accord entre elles, la phalange de Sparte et celle de Macédoine, les légions de Caton et de Trajan, d’Auguste et de Théodose. On peut même contester l’utilité, ou du moins l’importance de ces éléments de l’art militaire ; leur théorie générale est dictée par la raison, mais c’est l’application qui en fait le mérite et la difficulté. L’exercice plutôt que l’étude forme la discipline du soldat. Le talent de la guerre est le partage de ces esprits calmes, mais rapides, que produit la nature pour décider du sort des armées et des nations : la première de ces qualités tient à l’habitude de la vie, la seconde au coup d’œil du moment ; et les batailles gagnées par les leçons de la tactique sont aussi rares que les épopées créées d’après les règles de la critique. Le Livre des Cérémonies est une description ennuyeuse et imparfaite de cette pompe méprisable qui infectait l’Église et l’État depuis que l’une avait perdu sa pureté, et l’autre sa force. Au lieu de quelques traditions fabuleuses sur l’origine des villes, de quelques malignes épigrammes sur les vices de leurs habitants, on aurait pu se flatter que la Description des Thêmes ou des provinces nous offrirait les détails authentiques que le gouvernement seul peut obtenir[10]. Ce sont là les faits que l’historien se serait plu à recueillir ; mais on ne pourra condamner son silence à cet égard lorsque Léon le Philosophe et Constantin son fils négligent les objets les plus intéressants, tels que la population de la capitale et des provinces, la quotité des impôts et des revenus, le nombre des sujets et des étrangers qui servaient sous le drapeau impérial. Le Traité de l’Administration publique présente les mêmes taches ; il a toutefois un mérite particulier : ce qu’on y lit des antiquités des nations peut être incertain ou fabuleux, mais la géographie des pays barbares et les mœurs de leurs habitants y sont présentées avec détail et avec exactitude. Parmi ces peuples, les Francs étaient les seuls en état d’observer et de décrire à leur tour la métropole de l’Orient. L’évêque de Crémone, ambassadeur d’Othon le Grand, a décrit Constantinople telle qu’elle était vers le milieu du dixième siècle ; son style est plein de chaleur, sa narration vive, ses remarques sont piquantes ; et même les préjugés et les passions de Luitprand portent l’empreinte originale de la liberté et du génie[11]. C’est avec ce peu de matériaux, soit étrangers, soit tirés du pays, que je vais examiner l’aspect et la situation réelle de l’empire de Byzance, l’état des provinces et leurs richesses, le gouvernement civil et les forces militaires, les mœurs et la littérature des Grecs, durant les six siècles qui se sont écoulés depuis le règne d’Héraclius jusqu’à l’invasion des Francs et des Latins.

Après le partage des provinces entre les fils de Théodose, des essaims de Scythes et de Germains inondèrent ces provinces et anéantirent l’empire de l’ancienne Rome. La faiblesse de Constantinople était dissimulée par l’étendue de ses domaines ; ses limites n’avaient point été attaquées, ou du moins étaient-elles encore dans leur entier, et l’empire de Justinien venait de s’agrandir de cieux brillantes acquisitions, l’Afrique et l’Italie ; mais les empereurs ne possédèrent ces contrées que peu de temps et d’une manière précaire, et les Sarrasins envahirent presque la moitié de l’empire d’Orient. Les califes arabes s’emparèrent de la Syrie et de l’Égypte, et, après, la réduction de l’Afrique, leurs lieutenants subjuguèrent la province romaine qui formait alors la monarchie des Goths en Espagne. Leurs vaisseaux vinrent aux îles de la Méditerranée ; et des ports de la Crète et des forteresses de la Cilicie, leurs postes les plus éloignés, les émirs ou fidèles ou rebelles aux califes insultaient également à la majesté du trône et de la capitale. Les provinces qui obéissaient encore aux empereurs, prirent une nouvelle forme ; la juridiction des présidents, des consulaires et des comtes, fut remplacée, sous les successeurs d’Héraclius, par les thêmes[12] ou gouvernements militaires, tels que nous les fait connaître l’empereur Constantin. L’origine de ces vingt-neuf thêmes, dont douze en Europe et dix-sept en Asie, est tout à fait obscure, et l’étymologie de leurs noms incertaine ou dictée par le caprice : leurs bornes étaient arbitraires et changeaient souvent ; mais ceux de ces noms qui paraissent, le plus étrangers à notre oreille, dérivaient du caractère et des attributs des troupes payées par ces provinces et destinées à les garder. La vanité des princes grecs saisit avidement l’ombre de quelques conquêtes et le souvenir des domaines qu’ils avaient perdus. On créa une nouvelle Mésopotamie sur la rive occidentale de l’Euphrate, on transporta le nom de la Sicile et son préteur à une bande étroite de la Calabre, et un lambeau du duché de Bénévent fut appelé le thême de la Lombardie. Au déclin de l’empire des Arabes, les successeurs de Constantin purent satisfaire leur orgueil d’une manière un peu plus solide ; les victoires de Nicéphore, de Jean Zimiscès et de Basile II, rétablirent la gloire et reculèrent les bornes de l’empire romain : la province de Cilicie, la métropole d’Antioche, les îles de Crète et de Chypre, rentrèrent sous la foi de Jésus-Christ et la domination des Césars ; le tiers de l’Italie fut annexé au trône de Constantinople ; le royaume de Bulgarie fut détruit, et les derniers souverains de la dynastie macédonienne donnèrent des lois aux contrées qui s’étendent des sources du Tigre aux environs de Rome. De nouveaux ennemis et de nouveaux malheurs obscurcirent au onzième siècle ce bel horizon ; les aventuriers normands envahirent le reste de l’Italie, et les Turcs séparèrent du trône romain presque toutes les branches de l’Asie. Après ces pertes, les empereurs de la maison de Comnène régnaient encore des bords du Danube aux rivages du Péloponnèse, et depuis Belgrade jusqu’à Nicée, à Trébisonde et au cours sinueux du Méandre. Les vastes provinces de la Thrace, de la Macédoine et de la Grèce, obéissaient à leur empire ; Chypre, Rhodes, la Crète et cinquante îles de la mer Égée ou mer Sainte[13], leur appartenaient, et ces débris surpassaient encore l’étendue du plus grand royaume de l’Europe.

Les empereurs pouvaient encore s’enorgueillir avec justice de ce que, de tous les monarques, de chrétienté, nul n’avait une aussi grande capitale[14], un revenu aussi considérable et un État aussi florissant et aussi peuplé. Les villes de l’Occident avaient suivi la décadence de l’empire, et des ruines de Rome, les murs de boue, les maisons de bois et l’étroite enceinte de Paris et de Londres, ne donnaient aux Latins aucune idée qui pût les préparer l’aspect de Constantinople, à sa situation et à son étendue, à la magnificence de ses palais, de ses églises, et des arts ou du luxe de ses innombrables habitants. Ses trésors pouvaient exciter l’avidité des Persans, des Bulgares, des Arabes et des Russes ; mais sa force avait toujours repoussé et promettait de repousser encore leurs audacieuses attaques. Les provinces étaient moins heureuses et plus aisées à conquérir ; et on citait peu de cantons et peu de villes qui n’eussent pas été saccagés par les Barbares, d’autant plus avides de butin, qu’ils n’avaient aucune espérance de s’établir dans les contrées où ils faisaient des incursions. Depuis le règne de Justinien, l’empire d’Orient perdit chaque jour de son premier éclat ; la force qui détruisait était plus puissante que la force qui tendait à perfectionner, et les calamités de la guerre étaient aggravées par les maux plus durables qui résultaient de la tyrannie civile et de la tyrannie ecclésiastique. Le captif échappé aux Barbares était souvent dépouillé et emprisonné par les agents de son souverain. La superstition des Grecs amollissait leur esprit par l’usage de la prière, et affaiblissait leur corps par l’excès du jeûne ; la multitude des couvents et celle des fêtes privaient la nation d’un grand nombre de bras et de journées de travail. Toutefois les sujets de l’empire de Byzance formaient encore le peuple le plus industrieux et le plus actif de la terre la nature avait prodigué à leur pays tous les avantages du sol, du climat et de la situation ; et leur caractère patient et paisible était plus utile à la conservation et au rétablissement des arts que ne pouvaient l’être l’esprit guerrier et l’anarchie féodale de l’Europe. Les provinces qui faisaient encore partie de l’empire se peuplèrent et s’enrichirent des malheurs de celles qui tombèrent sans retour au pouvoir de l’ennemi. Les catholiques de la Syrie, de l’Égypte et de l’Afrique, fuyant le joug des califes, vinrent chercher la domination de leur prince légitime, et la société de leurs frères. Les richesses mobilières qui échappent aux recherches de l’oppression accompagnèrent et adoucirent leur exil, et Constantinople reçut dans son sein le commerce qui abandonna Tyr et Alexandrie. Les chefs de l’Arménie et de la Scythie, chassés par l’ennemi ou par la persécution religieuse, y furent reçus avec hospitalité : on encouragea ceux qui les avaient suivi à bâtir de nouvelles villes et à cultiver les terres abandonnées et plusieurs cantons de l’Europe et de l’Asie ont conservé et le nom et les mœurs, ou du moins la mémoire de ces colonies. Les tribus de Barbares qui s’étaient établies les armes à la main sûr le territoire de l’empire, furent elles-mêmes ramenées peu à peu sous les lois de l’Église et de l’État. Quand j’aurais assez de matériaux pour décrire les vingt-neuf thêmes de la monarchie de Byzance, je devrais peut-être me borner à la description d’une seule de ces provinces, capable de donner une idée des autres : heureusement je puis parler en détail de celle qui est la plus intéressante, du Péloponnèse ; nom qui excitera l’attention de tous les amateurs de l’antiquité.

Dès le huitième siècle, et durant le règne orageux des iconoclastes, des bandes d’Esclavons, qui devancèrent l’étendard royal de la Bulgarie, avaient inondé la Grèce et même le Péloponnèse[15]. C’étaient des étrangers, Cadmos, Danaüs, et Pélops qui avaient jeté autrefois sur ce sol fertile les germes de la civilisation et des lumières ; mais les sauvages du Nord extirpèrent complètement les restes de ces racines épuisées. Cette irruption changea le pays et les habitants ; le sang grec perdit de sa pureté, et les nobles les plus fiers du Péloponnèse reçurent les noms injurieux d’étrangers et d’esclaves. Sous les règnes suivants, on parvint à débarrasser en partie cette terre des Barbares qui la souillaient ; le petit nombre de ceux qu’on y laissa furent enchaînés par un serment de soumission, de tribut et de service militaire, qu’ils renouvelèrent et violèrent souvent. Par une singulière conjoncture, les Esclavons du Péloponnèse et les Sarrasins de l’Afrique se réunirent pour former le siège de Patras. Les citoyens de cette ville se trouvaient à la dernière extrémité ; on imagina, pour ranimer leur courage, de leur persuader que le préteur de Corinthe s’avançait à leur secours : ils firent une sortie qui eut du succès ; les étrangers se rembarquèrent, les rebelles se soumirent, et on attribua la victoire à un fantôme ou à un guerrier inconnu qui, dit-on, combattit au premier rang sous la figure de l’apôtre saint André. On orna des trophées de la victoire la châsse qui contenait ses reliques, et la race captive fut pour jamais dévouée au service et soumise au pouvoir de l’église métropolitaine de Patras. La révolte de deux tribus esclavonnes établies aux environs de Hélos et de Lacédémone troubla fréquemment la paix de la péninsule. Elles insultèrent quelquefois à la faiblesse du ministère de Byzance, et quelquefois elles assistèrent à son oppression ; enfin, sur la nouvelle qu’une troupe de leurs compatriotes marchait à leur secours, elles arrachèrent une espèce de charte qui réglait les droits et les devoirs des Ezzerites et des Milengi, dont le tribut annuel fut figé à douze cents pièces d’or. Le prince qui a fait la description des provinces de l’empire, a eu soin de ne pas confondre avec les Esclavons une race domestique, peut être indigène, et qui pouvait tirer son origine des malheureux Ilotes. Les Romains, et Auguste en particulier, avaient affranchi de la domination de Sparte les cités maritimes, et ce privilège valut à leurs habitants le titre d’Eleuthera ou de Laconiens libres[16]. Au temps de Constantin Porphyrogénète, ils portaient déjà celui de Maniotes, sous lequel ils déshonorent leur amour de la liberté par l’habitude inhumaine de saisir et piller les vaisseaux échoués sur leurs rochers. Leur territoire, qui ne produisais point de blé, mais où l’on recueillait beaucoup d’olives, s’étendait jusqu’au cap Malée ; ils recevaient leur chef ou prince de la main du préteur de Byzance ; et un léger tribut de quatre cents pièces d’or était le gage de leurs immunités plutôt que de leur dépendance. Les hommes libres de la Laconie montrèrent l’énergie des Romains, et adhérèrent longtemps à la religion des anciens Grecs. Ils embrassèrent le christianisme par les soins de l’empereur Basile ; mais Vénus et Neptune avaient reçu les offrandes de ces grossiers adorateurs cinq siècles encore après la proscription des divinités du paganisme dans l’empire romain. Le thême du Péloponnèse comprenait encore quarante villes[17] ; et au dixième siècle, Sparte, Argos et Corinthe, pouvaient se trouver à une égale distance de leur antique splendeur et de leur misère actuelle. Ceux qui possédaient les terres ou les bénéfices de la province furent assujettis au service militaire, soit en personne ou par remplacement : on exigea cinq pièces d’or de chacun des riches tenanciers, et, les citoyens qui avaient moins de fortune se réunissaient pour payer la même capitation. Lorsqu’on proclama la guerre d’Italie, les habitants du Péloponnèse, pour se dispenser de servir, offrirent cent livres d’or (quatre mille livres sterling) et mille cavaliers avec leurs armes et leurs équipages. Les églises et les monastères fournirent leur contingent ; on trouva une ressource sacrilège dans la vente, des honneurs ecclésiastiques, et l’indigent évêque de Leucadie[18] fut forcé de répondre d’une pension de cent pièces d’or[19].

Mais la richesse de la province, la source la plus certaine du revenu public, se tirait des précieux et abondants produits du commerce et des manufactures. On aperçoit quelques symptômes d’une saine politique dans une loi qui affranchit de toute espèce d’impôt personnel les marins du Péloponnèse et les ouvriers qui travaillaient le parchemin et la pourpre. Il paraît que sous ce titre on comprenait les fabriques de toile, de laine, et surtout celles de soie : les premières florissaient dans la Grèce dès le temps d’Homère, et les dernières étaient en activité peut-être dès le règne de Justinien. Ces arts, qu’on exerçait à Corinthe, à Thèbes et à Argos, occupaient et nourrissaient un grand nombre d’individus ; on y employait, selon leur âge et leur force, les hommes, les femmes et les enfants ; et si plusieurs de ces ouvriers étaient des esclaves, leurs maîtres, qui dirigeaient leurs travaux et qui en recueillaient les fruits, étaient d’une condition libre et honorable. Les présents qu’offrit à l’empereur Basile son fils adoptif, qui les tenait d’une riche matrone du Péloponnèse, avaient sans doute été fabriqués dans les ateliers de la Grèce. Cette femme, qui s’appelait Danielis, lui envoya un tapis d’une très belle laine, dont le dessin représentait les yeux d’une queue de paon, et qui était assez grand pour couvrir le pavé d’une nouvelle église qu’on venait d’élever en honneur de Jésus-Christ, de l’archange saint Michel et du prophète Élie : elle lui donna, de plus, six cents pièces de soie et de toile de différentes espèces et destinées à différents usages : les étoffes de soie, teintes en couleurs de Tyr, étaient ornées de broderies à l’aiguille ; et telle était la finesse des toiles, qu’une pince entière pouvait se placer dans le creux d’un roseau[20]. Un historien de Sicile, qui décrit ces produits de l’industrie de la Grèce, détermine leur prix d’après la quantité et la qualité de la soie, la finesse du tissu, la beauté des couleurs, le dessin des broderies. On se contentait ordinairement, dans le tissu des étoffes, d’un, de deux ou trois fils ; mais on en fabriquait à six, qui étaient beaucoup plus fortes et plus chères. Parmi les couleurs, il vante avec le pathos d’un rhéteur la flamboyante écarlate, et l’éclat plus doux de la couleur verte. On les brodait en or ou en soie ; les rayures ou-les cercles composaient les ornements simples, les plus belles présentaient des fleurs imitées avec exactitude : celles qu’on fabriquait pour l’usage du palais ou des autels, étincelaient souvent de pierres précieuses ; elles offraient des figures dont les contours étaient formés de files de perles orientales[21]. Jusqu’au douzième siècle, la Grèce était le seul pays de la chrétienté qui possédât l’insecte précieux auquel nous devons, la matière de ces élégantes superfluités, et des ouvriers habiles dans l’art de les fabriquer ; mais les Arabes avaient eu l’adresse de dérober ce secret ; les califes de l’Orient et de l’Occident auraient cru s’avilir en tirant d’un pays infidèle leurs meubles et leurs étoffes ; et deux villes d’Espagne, Almérie et Lisbonne, devinrent célèbres par leurs manufactures d’étoffes de soie, par l’usage qu’on en faisait, et peut-être par leurs exportations en ce genre. Les Normands introduisirent ces fabriques dans la Sicile ; et en y portant ainsi un art utile, Roger distingua sa victoire des infructueuses et uniformes hostilités de tous les sièges. Après le sac de Corinthe, d’Athènes et de Thèbes ; son lieutenant embarqua à sa suite une foule captive de tisserands et d’ouvriers des deux sexes ; trophée glorieux pour son maître, autant que honteux pour l’empereur grec[22]. Le roi de Sicile fut sensible à la valeur du présent, et lors de la restitution des prisonniers, il n’excepta que les ouvriers males et femelles de Thèbes et de Corinthe, qui travaillaient sous un maître barbare, dit l’historien de Byzance, comme les Érétriens travaillaient autrefois au service de Darius[23]. On construisit dans le palais de Palerme un magnifique bâtiment pour l’établissement de cette industrieuse colonie[24], et cet art fut propagé par les enfants des ouvriers et par les élèves qu’ils formèrent de manière à satisfaire aux demandes toujours croissantes des nations de l’Occident. On peut attribuer la chute des fabriques aux troubles de l’île, et a la concurrence des villes de l’Italie. L’an 1314, de toutes les républiques italiennes ; celle de Lucques était la seule qui fit le commerce des étoffes de soie[25]. Une révolution intérieure dispersa ses ouvriers à Florence, à Bologne, à Venise, à Milan, et mérite dans les pays situés au-delà des Alpes ; et treize années après cet événement, les statuts de Modène ordonnent de planter des mûriers et règlent l’impôt sur la soie écrue[26]. Les climats du nord sont moins propres à l’éducation des vers à soie ; mais les soies de la Chine et de l’Italie alimentent les fabriques de la France et de l’Angleterre[27].

Je dois surtout me plaindre ici, de ce que le vague et l’insuffisance des mémoires du temps ne me permettent pas de donner une évaluation exacte des impôts, des revenus et des ressources de l’empire grec. De toutes les provinces de l’Europe et de l’Asie, l’or et l’argent venaient par un cours abondant et régulier se rendre dans le trésor impérial. Les pertes de l’empire, en dépouillant le tronc de quelques-unes de ses branches, augmentèrent la grandeur relative de Constantinople, et les maximes du despotisme réduisirent l’État à la capitale ; la capitale au palais et le palais à la personne du prince. Un voyageur juif qui parcourut l’Orient au douzième siècle, se perd dans son admiration des richesses de Byzance. C’est là, dit Benjamin de Tudèle, dans cette reine des cités, que sont déposées chaque année les contributions des sujets de l’empire ; ses hautes tours sont remplies de soie, de pourpre et d’or. On dit que Constantinople paie tous les jours à son souverain vingt mille pièces d’or, qu’on lève sur les boutiques les tavernes et les marchés, sur les marchands de la Perse et de l’Égypte, de la Russie et de la Hongrie, de l’Italie et de l’Espagne, qui s’y rendent par mer et par terre[28]. En affaires d’argent, l’autorité d’un juif est sans doute de quelque poids ; mais comme les trois cent soixante-cinq jours de l’année donneraient une somme de plus de sept millions sterling, je crois qu’il faut retrancher au moins les nombreuses fêtes du calendrier grec. Les trésors amassés par Théodora et par Basile II donneront une idée vague mais brillante des revenus et des ressources de l’empire. La mère de Michel, avant de se retirer dans un cloître, voulut contenir ou dévoiler la prodigalité de son fils ingrat, en donnant un compte fidèle des richesses qui passaient entre ses mains. Ce compte se montait à cent neuf mille livres d’or et en outre trois cent mille livres d’argent, fruits de son économie et de celle de son mari[29]. L’avarice de Basile n’est pas moins célèbre que sa valeur et sa fortune. Il paya et récompensa ses armées victorieuses sans toucher à un trésor de cent mille livres d’or (environ huit millions sterling) qu’il gardait dans les voûtes souterraines du palais[30]. La théorie et la pratique de notre politique moderne s’opposent à de pareilles accumulations d’argent, et nous sommes plus disposés à calculer la richesse nationale par l’usage et l’abus du crédit public. Au reste, un roi redouté de ses ennemis, une république respectée de ses alliés, suivent encore ces maximes des gouvernements anciens, et l’un et l’autre sont arrivés à leur but, qui sont pour l’un la puissance militaire, et pour l’autre la tranquillité domestique.

Quelles que fussent les sommes réservées aux besoins journaliers et aux besoins futurs de l’État, les dépenses consacrées au faste et aux plaisirs de l’empereur étaient mises en première ligne, et n’avaient de bornes que sa seule volonté. Les princes de Constantinople étaient loin de la simplicité de la nature ; toutefois, au retour de la belle saison, conduits par le goût ou la mode, ils allaient hors de la fumée et du tumulte de la capitale, respirer un air plus pur ; ils jouissaient ou ils paraissaient jouir de la rustique joie des vendanges ; leurs loisirs étaient consacrés à l’exercice de la chasse et aux plaisirs plus tranquilles de la pêche, et, durant les chaleurs de l’été, ils cherchaient les lieux ombragés et rafraîchis par les brises de la mer. Les côtes et les îles de l’Asie et de l’Europe étaient couvertes de leurs magnifiques maisons de campagne ; mais au lieu de ces modestes ornements d’un art qui, travaillant à se cacher, ne veut servir qu’à orner les scènes de la nature, les marbres de leurs jardins ne servaient qu’à montrer la richesse du maître et le travail de l’artiste. Les domaines du prince, agrandis par les héritages et les confiscations, avaient rendu le souverain propriétaire d’un grand nombre de superbes maisons dans la ville et dans les faubourgs : les ministres d’État en occupaient douze ; mais le grand palais, principale résidence de l’empereur, conserva exactement durant onze siècles le intime emplacement ; entre l’hippodrome, la cathédrale de Sainte-Sophie, et les jardins dont les nombreuses terrasses descendaient jusqu’aux rivages de la Propontide[31]. Constantin, en élevant le premier édifice, avait voulu copier ou égaler l’ancienne Rome ; les embellissements graduels exécutés par ses successeurs avaient pour objet de rivaliser avec les merveilles de l’ancien monde[32]. Au dixième siècle, le palais de Byzance, incontestablement supérieur en solidité, en grandeur et en magnificence, à tout ce qui existait alors, excitait l’admiration des peuples, ou du moins celle des Latins[33] : mais le travail et les trésors de sept siècles n’avaient produit qu’une grande masse irrégulière ; chaque édifice séparé portait l’empreinte du temps ou on l’avait élevé et du goût de son fondateur, et le défaut d’espace put quelquefois fournir un motif au monarque régnant pour renverser, peut-être avec une secrète satisfaction, l’ouvrage de ses prédécesseurs. L’économie de l’empereur Théophile ne se porta pas sur son luxe particulier et ce qui pouvait augmenter l’éclat de sa cour. L’un de ses ambassadeurs, pour lequel-il avait une affection particulière, et qu’avait étonné les Abbassides eux-mêmes par son orgueil et par ses libéralités, lui rapporta le modèle d’un palais que le calife de Bagdad venait de construire sur les rivages du Tigre. Ce modèle fut sur-le-champ imité et surpassé les nouveaux bâtiments de Théophile[34] furent accompagnés de jardins et de cinq églises, parmi lesquelles on en distinguait une d’une étendue et d’une beauté remarquables : elle était surmontée de trois dômes ; le comble, d’airain doré, reposait sur des colonnes de marbre d’Italie, et les murs étaient revêtus de marbres de différentes couleurs : quinze colonnes de marbre de Phrygie soutenaient au devant de l’église un portique demi-circulaire, qui avait la forme et était digne par le nom du sigma des Grecs ; et les voûtes souterraines offraient la même construction. Une fontaine décorait la place qui précédait le portique, et des plaques d’argent faisaient la bordure du bassin. Au commencement de chaque saison, on remplissait ce bassin des fruits les plus délicieux ; qu’on abandonnait à la populace pour l’amusement du prince. Il jouissait de ce spectacle tumultueux du haut d’un trône étincelant d’or et de pierreries, placé au-dessus d’un escalier de marbre, de la hauteur d’une terrasse élevée. Au-dessous du trône étaient assis les officiers de ses gardes, les magistrats et les chefs des factions du cirque : le peuple occupait les gradins inférieurs, et au devant la place était remplie par des troupes de danseurs, de chanteurs et de pantomimes. Le palais de la justice, l’arsenal et les bureaux, environnaient cette place : on y montrait de plus la chambre de pourpre, ainsi nommée de la distribution des robes d’écarlate et de pourpre qui s’y faisait chaque année par la main même de l’impératrice. La longue file des appartements du palais était appropriée aux diverses saisons ; on y avait répandu avec profusion le marbre et le porphyre, les tableaux, les statues et les mosaïques, l’or, l’argent et les pierres précieuses. Dans sa bizarre magnificence, Théophile exerça l’habileté des artistes tels qu’on les avait de son temps ; mais le goût d’Athènes aurait méprisé leurs frivoles et dispendieux travaux, au nombre desquels se trouvât un arbre d’or, dont les branches et les feuilles cachaient une multitude d’oiseaux artificiels, du gosier desquels sortait le ramage particulier à chacune des espèces, et deux lions d’or massif et de grandeur, naturelle, qui roulaient, les yeux et rugissaient comme les lions des forêts. Les successeurs de Théophile, des dynasties de Basile et de Comnène, eurent aussi l’ambition de laisser après eux des monuments de leur règne, et la partie du palais la plus éclatante et la plus auguste reçut d’eux le titre de triclinium d’or[35]. Les plus nobles et les plus riches d’entre les Grecs cherchaient, dans une proportion convenable à imiter leur souverain ; et lorsque avec leurs robes de soie brodées ils traversaient les rues à cheval, les enfants les prenaient pour des rois[36]. Danielis, cette matrone du Péloponnèse[37], dont j’ai parlé plus haut, et dont les soins avaient contribué à commencer la fortune de Basile le Macédonien, voulut, par tendresse ou par vanité, voir son fils adoptif dans toute sa grandeur. Pour faire le voyage de cinq cents milles, de Patras à Constantinople, elle ne trouva pas les chevaux ou les voitures assez commodes pour son âge ou pour sa mollesse : dix robustes esclaves portaient sa litière, et les relais étant très multipliés, elle en employa trois cents à ce service. Basile la reçut dans le palais de Byzance, avec un respect filial ; il lui accorda les honneurs d’une reine ; et, quelle que fût l’origine de sa fortune, les présents qu’elle fit à l’empereur n’étaient pas indignes de la magnificence royale. J’ai déjà décrit les beaux ouvrages du Péloponnèse, en lin, soie et laine, qui firent partie de ce présent ; mais ce qu’il y eut de plus magnifique, ce fut le don de trois cents jeunes gens d’une grande beauté, parmi lesquels se trouvaient cent eunuques[38] : car elle n’ignorait pas, dit l’historien, que l’air du palais convient encore plus à cette espace d’insectes que la laiterie d’une bergère ne convient aux mouches de l’été. Elle disposa, durant sa vie, de la plus grande partie des domaines du Péloponnèse ; et dans son testament elle nomma Léon, fils de Basile, son héritier universel. Lorsque le prince eut acquitté les legs, il réunit au domaine impérial quatre-vingts maisons de campagne ou fermes ; il affranchit trois mille esclaves de Danielis, qu’il transplanta sur la côte d’Italie, où il en forma une colonie. On peut, d’après la fortune d’une simple particulière, se faire une idée de la richesse et de là magnificence des empereurs.

Sous un gouvernement absolu qui confond les extractions nobles et les extractions plébéiennes, tous les honneurs viennent du souverain, et le rang, soit au palais, soit dans le reste de l’empire, dépend des titres et des emplois, qu’il donne et qu’il ôte à son gré. Dans un intervalle de plus de dix siècles, depuis Vespasien jusqu’à Alexis Comnène[39], le César fut la seconde personne ou du moins tint le second rang dans l’État : depuis, on accorda plus facilement le titre suprême d’Auguste aux fils et aux frères du monarque régnant. L’astucieux Alexis, qui voulait éluder, sans le violer, l’engagement qu’il avait contracté avec un puissant associé, le mari de sa sœur, et en même temps récompenser la piété de son frère Isaac, sans se donner un égal, imagina une nouvelle dignité supérieure à celle de César. L’heureuse flexibilité de la langue grecque lui permit de réunir les noms d’Auguste et d’empereur (sebastos et autocrator), et cette réunion produisit le mot sonore de sebastocrator. Il était au-dessus du César et sur la première marche du trône ; les acclamations publiques répétaient son nom, et à l’extérieur il n’était distingué du souverain que par sa coiffure et sa chaussure. L’empereur portait seul des brodequins de pourpre ou de couleur rouge, et le diadème ou la tiare que les empereurs grecs avaient emprunté du costume des rois de Perse[40]. C’était un grand bonnet pyramidal d’étoffe de laine, ou de soie, presque caché sous un amas de perles et de diamants ; un cercle, horizontal et deux arcs d’or formaient la couronne on voyait au sommet, dans le point d’intersection, un globe ou une croix, et deux cordons ou pendants de perles tombaient sur l’une et l’autre joue. Les brodequins du sebastocrator et du César étaient verts, et leurs couronnes étaient ouvertes et ornées de moins de pierres précieuses : Alexis créa au-dessous du César, le panhypersebastos et le protosebastos, titres dont le son et le sens pouvaient plaire à une oreille grecque. Ils indiquent une supériorité et une priorité sur le simple titre d’Auguste, et dès lors ce titre sacré et primitif d’un prince romain, dépouillé de sa dignité, fut accordé aux alliés et aux officiers de la cour de Byzance. La fille d’Alexis s’extasie avec complaisance sur cette heureuse gradation d’espérances et d’honneurs, mais comme les esprits les plus bornés peuvent ; atteindre à la science des mots, l’orgueil des successeurs d’Alexis enrichit sans peine ce dictionnaire de vanité ; ils donnèrent à ceux de leurs fils ou de leurs frères qu’ils aimaient le plus, le nom plus relevé de maître ou de despote, auquel on accorda une nouvelle pompe et de nouvelles prérogatives ; et qu’on plaça immédiatement après la dignité d’empereur. En général, celui-ci n’accordait qu’aux princes de son sang les cinq titres, 1° de despote, 2° de sebastocrator, 3° de césar, 4° de panhypersebasios, et 5° de protosebastos : c’étaient des émanations de sa majesté ; mais comme ces dignités n’emportaient aucune fonction, leur existence était inutile et leur autorité précaire.

Mais dans toutes les monarchies, les ministres du palais et du trésor, de la flotte et de l’armée partagent l’autorité réelle du gouvernement. Les titres seuls diffèrent ; et par la révolution des siècles, les comtes et les préfets, le préteur et le questeur, descendirent peu à peu, tandis que leurs subordonnés arrivèrent aux premiers honneurs de l’État. 1° Dans la monarchie qui rapporte tout à la personne du prince, les détails et les cérémonies du palais forment le département le plus respecté. Le curopalata[41], revêtu d’un rang si illustre sous le règne de Justinien, fut supplanté par le protovestiaire, qui d’abord n’avait été chargé d’autre soin que de celui de la garde-robe ; on étendit la juridiction de celui-ci sur tous les officiers qui servaient au faste et au luxe du prince, et il présidait avec sa baguette d’argent aux audiences publiques et aux audiences privées. 2° D’après la hiérarchie qu’avait établie Constantin, on donnait aux receveurs des finances le nom de logothètes ou comptables ; on distinguait les logothètes du domaine, des postes, de l’armée, du trésor public et du trésor particulier, et on a comparé le grand logothète, gardien suprême des lois et des revenus, aux chanceliers des monarchies latines[42]. Il surveillait toute l’administration civile ; il était secondé dans ce travail par ses subordonnés, l’éparque ou préfet de la ville, le premier secrétaire, les gardiens du sceau privé, des archives, et de l’encre pourpre réservée pour les signatures de l’empereur[43]. L’introducteur et l’interprète des ambassadeurs étrangers portaient les titres de grand chiauss[44] et de dragoman[45], noms tirés de la langue turque, et qui sont encore familiers à la Porte. 3° Les domestiques dont le titre fut d’abord si modeste, et qui n’avaient d’autres fonctions que celles de garder le prince, s’élevèrent peu à peu au rang de généraux ; les thêmes militaires de l’Orient et de l’Occident ; les légions de l’Europe et de l’Asie furent souvent partagés entre plusieurs généraux particuliers, jusqu’à ce que le grand-domestique eût été revêtu du commandement universel et absolu des forces de terre. Les fonctions du protostrator se bornaient d’abord à aider l’empereur lorsque celui-ci montait à cheval : il devint insensiblement le lieutenant du grand-domestique à la guerre : et les écuries, la cavalerie et tout ce qui avait rapport à la chasse et à la fauconnerie, se trouvèrent sous ses ordres. Le stratopédarque exerçait les fonctions de grand juge du camp ; le protospathaire commandait les gardes, le connétable[46], le grand-œthériaque et l’acolythe, étaient les chefs séparés des Francs, des Barbares et des Varangi ou Anglais, mercenaires étrangers qui, dans l’abâtardissement des Grecs, faisaient la force des armées de Byzance. 4° Le grand-duc disposait des forces navales en son absence ; elles obéissaient au grand-drungaire de la flotte ; et celui-ci était remplacé par l’émir ou amiral, nom tiré de la langue des Sarrasins[47], mais naturalisé depuis dans toutes les langues de l’Europe. Ces officiers et beaucoup d’autres dont il serait inutile de faire l’énumération, composaient la hiérarchie civile et la hiérarchie militaire : les honneurs et les émoluments, l’habit et les titres de chacun, enfin les saluts qu’ils se devaient et leur prééminence respective, furent réglés avec plus de soin qu’il n’en aurait fallu pour former la constitution d’un peuple libre ; le code était presque arrivé à sa perfection, lorsque ce vain édifice, monument de servitude et d’orgueil, fut enseveli pour jamais sous les ruines de l’empire[48].

La flatterie et la crainte ont employé envers des êtres semblables à nous les plus relevés, les postures les plus humbles que la dévotion ait choisies pour honorer l’Être suprême. Dioclétien emprunta du servile cérémonial de la Perse l’usage d’adorer[49] l’empereur, de se prosterner devant lui et de baiser ses pieds ; mais il s’est maintenu toujours en augmentant de servilité, jusqu’à la dernière époque de la monarchie des Grecs. ; excepté les dimanches où on les omettait par des motifs d’orgueil religieux, on exigeait ces honteux respects de tous ceux qui étaient admis en la présence du monarque ; on y assujettissait les princes revêtus du diadème et de la pourpre, les ambassadeurs des souverains indépendants, tels que les califes de l’Asie, de l’Égypte et de l’Espagne, les rois de France et d’Italie, et même les empereurs latins. Dans les rapports d’affaires, Luitprand, évêque de Crémone[50], soutint la liberté d’un Franc et la dignité d’Othon son maître ; mais sa sincérité ne lui permet pas de déguiser l’humiliation de sa première audience. Lorsqu’il approcha du trône, les oiseaux de l’arbre d’or commencèrent leur ramage, qui fut accompagné des rugissements des deux lions d’or. On le força, ainsi que ses deux compagnons, à se courber et à se prosterner ; et trois fois il toucha la terre de son front. Dans le peu de moments que prit cette dernière cérémonie, une machine avait élevé le trône jusqu’au plafond ; l’empereur y paraissait avec des vêtements nouveaux, et encore plus somptueux, et l’entrevue se termina : dans un orgueilleux et majestueux silence. L’évêque de Crémone, dans son récit si curieux et si remarquable par sa candeur, expose les cérémonies de la cour de Byzance : la Porte les observe encore aujourd’hui, et elles se sont maintenues jusqu’au dernier siècle, à la cour des ducs de Moscovie ou de Russie. Après un long voyage par mer et par terre, depuis Venise jusqu’à Constantinople, l’ambassadeur s’arrêta à la porte d’or, jusqu’à ce que les officiers préposés à cet emploi se présentassent pour le conduire au palais qu’on lui avait destiné ; mais de palais était une prison, et ses rigides gardiens lui interdisaient tout commerce avec les étrangers ou les naturels du pays. Il offrit à sa première audience les présents de son maître ; c’étaient des esclaves, des vases d’or et des armes d’un grand prix. Le paiement des troupes effectué, avec ostentation en sa présence, déploya à ses yeux la magnificence de l’empire ; il fut un des convives du banquet royal[51], où les ambassadeurs des nations étaient rangés d’après l’estime ou le mépris des Grecs ; l’empereur envoyait de sa table, comme une grande faveur, les plats qu’il avait goûtés, et chacun de ses favoris reçut une robe d’honneur[52]. Chaque matin et chaque soir les officiers de l’ordre civil et de l’ordre militaire allaient au palais exercer leurs fonctions ; leur maître les honorait quelquefois d’un coup d’œil ou d’un sourire ; il déclarait ses volontés par un mouvement de tête ou par un signe ; mais devant lui tous les grands de la terre se tenaient debout dans le silence et la soumission. Lorsque l’empereur faisait dans la ville des promenades triomphales à des époques fixées ou dans des occasions extraordinaires il se montrait librement aux regards du public : les cérémonies imaginées par la politiqué étaient liées à celles de la religion, et les fêtes du calendrier grec déterminaient ses visites aux principales églises. La veille de ces processions, les hérauts annonçaient la pieuse intention du prince, ou la grâce qu’il daignait faire à ses sujets. On nettoyait et on purifiait les rues, on les jonchait de fleurs ; on étalait sur les fenêtres et les balcons, les meubles précieux, la vaisselle d’or et d’argent et les tapisseries de soie et une sévère discipline réprimait et contenait le tumulte de la populace. Les officiers de l’armée ouvraient la marche à la tête de leurs troupes ; ils étaient suivis d’une longue file de magistrats et d’officiers de l’ordre civil ; les eunuques et les domestiques formaient la garde de l’empereur ; le patriarche et son clergé le recevaient solennellement à la porte de l’église. On n’abandonnait pas le soin des applaudissements aux voix grossières et aux acclamations spontanées de la multitude ; des troupes de Bleus et de Verts étaient placées convenablement sur le passage de l’empereur, et la fureur de leurs débats, qui avait jadis ébranlé la capitale, s’était insensiblement changée en une émulation de servitude. Ils se répondaient les uns les autres par des chants à la louange de l’empereur ; leurs poètes et leurs musiciens dirigeaient le chœur, des vœux de longue vie[53] et des souhaits de victoires formaient le refrain de chaque couplet. L’audience, le banquet, l’église, retentissaient des mêmes acclamations ; et, comme pour attester l’étendue illimitée de la domination du prince, elles étaient répétées en latin[54], dans la langue des Goths, des Persans, des Français et même des Anglais, par des mercenaires tirés de ces différentes nations ou destinés à se représenter[55]. Constantin Porphyrogénète a recueilli, dans un volume écrit à la fois d’un style pompeux et puéril ; cette science de l’étiquette et de l’adulation[56], et la vanité de ses successeurs put y ajouter un long supplément. Au reste, un instant de réflexion devait rappeler à chacun d’eux qu’on prodiguait les mêmes acclamations à tous les empereurs et à tous les règnes ; et celui d’entre eux qui était sorti d’une condition privée, pouvait se souvenir que le moment où il avait le plus élevé la voix et applaudi avec plus d’ardeur, était celui où il enviait la fortuné ou conspirait contre la vie de son prédécesseur[57].

Les princes des nations du Nord, peuples, dit Constantin, sans foi et sans réputation, ambitionnaient l’honneur de se lier par des mariages à la famille des Césars, soit en obtenant la main d’une princesse du sang impérial, ou en unissant leurs filles à des princes romains[58]. Le vieux monarque dévoile, dans ses instructions à son fils les secrètes maximes, imaginées par la politique et l’orgueil ; il indique ce qu’on peut répondre de plus décent, pour éluder ces insolentes et déraisonnables propositions. La nature, dit le prudent empereur, porte chaque animal à se chercher une compagne parmi les animaux de son espèce, et la langue, la religion et les mœurs, partagent le genre humain en diverses tribus. C’est par une attention prudente à maintenir la pureté des races que se conserve l’harmonie de la vie publique et celle de la vie privée, mais leur mélange produit le désordre et la division. Tels ont été l’opinion et les principes d’après lesquels se sont dirigés les sages Romains leurs lois proscrivaient le mariage d’un citoyen et à une étrangère. Au temps de la liberté et des vertus, un sénateur aurait dédaigné la main d’un roi pour sa fille ; Marc-Antoine ternit sa réputation en épousant une Égyptienne[59] ; et la censure publique força Titus à renvoyer Bérénice malgré lui et malgré elle[60]. Afin de perpétuer l’autorité de cette maxime on supposa qu’elle avait été confirmée par Constantin le Grand. Les ambassadeurs des nations étrangères ; et surtout des nations qui n’avaient pas embrassé le christianisme, furent avertis d’une manière solennelle que ces alliances avaient été proscrites par le fondateur de la capitale et de la religion de l’empire. On inscrivit la prétendue loi sur l’autel de Sainte-Sophie ; et on déclara déchu de la communion civile et religieuse des Romains l’impie qui oserait souiller la majesté de la pourpre. Si les ambassadeurs avaient été instruits par quelques faux frères de l’histoire de la cour de Byzance ; ils auraient pu citer trois infractions mémorables à cette loi imaginaire, le mariage de Léon ou plutôt de son père Constantin avec la fille du roi des Chozares, celui d’une petite-fille de Romanus avec un prince bulgare, et enfin celui de Berthe, princesse de France ou d’Italie, avec le jeune Romanus, fils de Constantin Porphyrogénète lui-même. Mais on avait pour ces trois objections trois réponses qui levaient la difficulté et établissaient la loi : 1° Le mariage de Constantin Copronyme était reconnu pour criminel : ce prince, né dans l’Isaurie, et qu’on traitait d’hérétique, qui avait souillé la pureté baptismale et déclaré la guerre aux images, avait en effet épousé une Barbare ; cette alliance impie avait comblé la mesure de ses crimes et l’avait dévoué à la censure de l’Église et de la postérité. 2° Romanus ne pouvait être regardé comme un empereur légitime : issu d’une famille plébéienne, il avait usurpé le trône ; il ignorait les lois, et ne s’occupait pas de l’honneur de la monarchie. Christophe son fils, père de la jeune femme qui épousa le roi bulgare, n’avait que le troisième rang dans le collège des princes, et était d’ailleurs à la fois le sujet et le complice de son coupable père. Les Bulgares citaient de sincères et zélés chrétiens ; et la sûreté de l’empire, la liberté de plusieurs milliers de captifs, dépendaient de cette monstrueuse alliance. Cependant comme nul motif ne pouvait affranchir de la loi de Constantin, le clergé, le sénat et le peuple, désapprouvèrent sa conduite ; et durant sa vie et sa mort on lui reprocha la honte de l’État. 3° Le sage Porphyrogénète avait trouvé une apologie plus honorable pour le mariage de son fils avec la fille de Hugon, roi d’Italie. Le grand Constantin, ce prince remarquable par sa sainteté, estimait la fidélité et la valeur des Francs[61] ; l’esprit prophétique qui était en lui l’avait instruit de leur grandeur. Ils furent seuls exceptés de la prohibition générale : Hugon, roi de France, descendait de Charlemagne en ligne directe[62], et Berthe sa fille avait hérité des prérogatives de sa famille et de sa nation. La voix de la vérité et celle de la malveillance découvrirent insensiblement la fraude ou l’erreur de la cour impériale : les possessions de Hugon, au lieu du royaume de France, se réduisirent au simple comté d’Arles ; mais on convenait qu’au milieu des troubles de son temps, il avait usurpé la souveraineté de la Provence et envahi le royaume d’Italie. Son père n’était qu’un simple gentilhomme ; et si Berthe descendait des Carlovingiens, la bâtardise ainsi que la débauche avaient souillé chaque degré de cette extraction. Hugon avait eu pour grand’mère la fameuse Valdrade, qui fut la concubine plutôt que la femme de Lothaire II, dont l’adultère avec elle, le divorce et les secondes noces avaient provoqué les foudres du Vatican. Sa mère, qu’on nommait la grande Berthe, fut successivement épouse du comte d’Arles et du marquis de Toscane, ses galanteries scandalisèrent l’Italie et la France, et jusqu’à l’époque où elle atteignit sa soixantième année, ses amants de toutes les classes furent les zélés instruments de son ambition. Le roi d’Italie imita l’incontinence de sa mère et de sa grand-mère, et on décora ses trois concubines favorites des noms classiques de Vénus, de Junon et de Semèle[63]. La fille de Vénus fut accordée aux sollicitations de la cour de Byzance ; elle quitta son nom de Berthe pour prendre celui d’Eudoxie, et elle fut mariée ou plutôt fiancée au jeune Romanus, héritier présomptif de l’empire d’Orient. La grande jeunesse des deux époux suspendit la consommation du mariage ; cette union n’eut pas lieu, Eudoxie, étant morte cinq ans après. L’empereur Romanus épousa en secondes noces une plébéienne, mais issue du sang romain ; il en eut deux filles, Théophane et Anne, mariées toutes deux à des princes. L’aînée fut donnée, pour gage de la paix au fils d’Othon le Grand, qui avait sollicité cette alliance les armes à la main et par la voie des négociations. On pouvait douter qu’un Saxon eût des droits aux privilèges de la nation française ; mais la réputation et la piété d’un héros qui avait rétabli l’empire d’Occident, firent taire tous les scrupules. Théophane, après la mort de son beau-père et de son mari, gouverna Rome, l’Italie et l’Allemagne, durant la minorité de son fils Othon III, et les Latins ont loué les vertus d’une impératrice qui sacrifia le souvenir de son pays à des devoirs d’un ordre supérieur[64]. Lors du mariage de sa sœur Anne, la voix impérieuse de la nécessité ou de la crainte imposa silence à tous les préjugés, écarta toutes les considérations relatives à la dignité impériale. Un idolâtre des contrées du Nord, Wolodimir, duc de Russie, aspira à la main de la fille des empereurs ; il soutint sa demande d’une menace de guerre, de la promesse de se convertir, et d’une offre de secours contre un rebelle qui troublait l’empire. La princesse grecque, victime de sa religion et de son pays, fut arrachée du palais de ses aïeux et condamnée à aller chercher une couronne sauvage et un exil sans espoir sur les rives du Borysthène ou dans le voisinage du cercle polaire[65]. Au reste, ce mariage fut heureux et fécond ; la fille de Jeroslas, petit-fils d’Anne, illustrée par le sang dont elle sortait, épousa un roi de France, Henri Ier, qui alla chercher une femme sur les confins de l’Europe et de la chrétienté[66].

Dans son palais de Byzance, l’empereur était le premier esclave du cérémonial qu’il imposait à ses sujets, et de ces formes rigides qui réglaient chaque parole et chaque geste ; l’étiquette l’assiégeait dans son palais et troublait le loisir de ses retraites à la campagne. Mais il disposait arbitrairement de la vie et de la fortune de plusieurs millions d’hommes, et les esprits les plus nobles, supérieurs aux vains plaisirs de la pompe et du luxe, peuvent être séduits par le plaisir plus entraînant de commander à leurs égaux. Le monarque réunissait le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ; et Léon le Philosophe avait anéanti les derniers restes de l’autorité du sénat[67]. La servitude avait frappé d’engourdissement l’esprit des Grecs au milieu des actes de rébellion les plus audacieux, ils ne s’élevèrent jamais à l’idée d’une constitution libre ; et le bonheur public n’avait d’autre appui et d’autre règle que le caractère particulier du monarque. La superstition renforçait encore les chaînes. Lorsque l’empereur était couronné dans l’église de Sainte-Sophie par le patriarche, les peuples juraient au pied des autels une soumission passive et absolue à son gouvernement et à sa famille. Le prince, de son côté, promettait de s’abstenir autant qu’il serait possible des peines capitales et des mutilations, il signait une profession de foi orthodoxe, et il s’engageant à obéir aux décrets des sept synodes et aux canons de la sainte Église[68]. Mais ses protestations de clémence étaient vagues et indéterminées ; il faisait ce serment non pas à son peuple mais à un juge invisible ; et si l’on en excepte les cas d’hérésie, sur lesquels le clergé se montrait toujours inexorable, les ministres du ciel étaient prêts à soutenir le droit incontestable du prince et à absoudre les fautes légères du souverain. Ils étaient eux-mêmes soumis au magistrat civil ; un signe du despote créait, transférait, déposait les évêques, ou les punissait d’une mort ignominieuse : quelle que fût leur richesse ou leur crédit, ils n’ont jamais pu, comme ceux de l’Église latine, réussir à former une république indépendante ; et le patriarche, de Constantinople condamnait la grandeur temporelle de l’évêque de Rome, objet de sa secrète envie. Cependant l’exercice du despotisme est heureusement borné par les lois de la nature et celles de la nécessité. Le degré de sagesse et de vertu accordé à celui qui gouverne un empire, est la mesuré de son attachement à la règle sacrée de ses laborieux devoirs ; le degré de vice ou de nullité dont il est atteint détermine sa disposition à laisser tomber le sceptre trop lourd pour sa main : c’est un ministre ou un favori qui avec un fil imperceptible fait mouvoir le fantôme royal, et qui pour son intérêt particulier se charge du soin de l’oppression publique. Il est des moments où le monarque le plus absolu doit craindre la raison ou le caprice d’une nation d’esclaves, et l’expérience a prouvé que l’autorité royale perd du côté de la sûreté et de la solidité ce qu’elle gagne en étendue.

Un despote usurpe vainement les titres les plus pompeux, il établit en vain ses droits, il n’a en dernière analyse que son épée pour les détendre contre les ennemis étrangers et domestiques. Depuis le siècle de Charlemagne jusqu’à celui des croisades, les trois grands empires ou nations des Grecs, des Sarrasins et des Francs, possédaient et se disputaient la terre telle qu’on la connaissait alors ; car je ne parle pas ici de la Chine, qui, par sa position à l’extrémité de l’Asie, n’avait point de rapport à ces mouvements. Pour juger de leurs forces militaires, il faut comparer leur valeur, les arts qu’elles connaissaient et les richesses qu’elles possédaient, et enfin leur soumission au chef suprême qui pouvait mouvoir tous les ressorts de l’État. Les Grecs, bien inférieurs à leurs rivaux sur le premier point, étaient sur ce même point supérieurs aux Francs, et ils égalaient au moins les musulmans sur le second et le troisième.

La richesse des Grecs leur permettait de prendre à leur solde des nations plus pauvres ; et d’entretenir une marine pour défendre leurs côtes et porter le ravage sur les terres ennemies[69]. Un commerce également avantageux aux deux parties échangeait l’or de Constantinople contre le sang des Esclavons et des Turcs, des Bulgares et des Russes ; leur valeur contribua aux victoires de Nicéphore et de Zimiscès ; et si une peuplade ennemie serrait trop la frontière, on l’obligeait à désirer la paix, pour retourner à la défense de son pays ; qu’on faisait envahir par une tribu plus éloignée[70]. Les successeurs de Constantin prétendirent à l’empire de la Méditerranée, depuis l’embouchure du Tanaïs jusqu’aux colonnes d’Hercule, et le possédèrent souvent. Leur capitale était pleine de munitions navales et d’habiles ouvriers ; la position de la Grèce et de l’Asie, les longues côtes, les golfes profonds et les nombreuses îles qui faisaient partie de l’empire, habituaient leurs sujets à la navigation, et le commerce de Venise et d’Amalfi était une pépinière de matelots pour la flotte impériale[71]. Depuis la guerre du Péloponnèse et les guerres puniques, les armées de mer n’avaient pas augmenté de force, et la science de la construction des bâtiments avait rétrogradé. Les charpentiers de Constantinople ignoraient, ainsi que les mécaniciens de nos jours, l’art de construire ces édifices merveilleux qui déployaient trois, six ou dix rangs de rames élevés les uns au dessus des autres ou agissant les uns derrière les autres[72]. Les dromones[73] ou galères légères de l’empire de Byzance ne portaient que deux rangs composés chacun de vingt-cinq bancs ; un banc portait deux rameurs qui travaillaient de l’un et de l’autre côté du navire. Au moment du combat, le capitaine ou le centurion se tenait sur la poupe avec celui qui portait son armure ; deux pilotes étaient chargés du gouvernail, et deux officiers se trouvaient à la proue, l’un pour pointer et l’autre pour faire jouer contre l’ennemi les machinés qui lançaient le feu grégeois. Les hommes de l’équipage, ainsi qu’on le voit dans l’enfance de l’art, remplissaient à la fois les fonctions de matelots et celles de soldats ; ils étaient munis d’armes défensives et offensives, d’arcs et de traits dont ils se servaient du haut du pont, et de longues piques qui sortaient par les sabords du rang de rames inférieur. Il est vrai qu’on donnait quelquefois aux navires de guerre plus d’étendue et de solidité ; le soin de combattre et de manœuvrer se divisait alors d’une manière plus régulière entre les soixante-dix soldats et deux cent trente matelots. Mais en général ils étaient d’une forme légère et facile à mouvoir : comme le Cap Malée, situé sur la côte du Péloponnèse, conservait toujours son effrayante renommée, une flotte impériale fut transportée par terre l’espace de cinq milles, c’est-à-dire dans toute la largeur de l’isthme de Corinthe[74]. Les principes de la tactique navale n’avaient éprouvé aucun changement depuis Thucydide : une escadre de galères, au moment du combat, s’avançait sous la forme d’un croissant, et s’efforçait d’enfoncer ses éperons aigus dans les bordages les plus faibles des navires ennemis. On voyait au-dessus du pont une machine, composée de fortes pièces des bois et destinée à lancer des pierres et des dards ; l’abordage se faisait au moyen d’une grue qui élevait et abaissait des paniers remplis d’hommes armés : les diverses positions et le changement des couleurs du pavillon amiral composaient toute la langue des signaux si clairs et si abondants parmi les modernes. Les fanaux de la galère de tête annonçaient au milieu de la nuit les ordres de chasser, de combattre, de s’arrêter, de faire rompre ou de former la ligne. Sur terre, les signaux de feu se répétaient d’une montagne à l’autre ; une chaîne de huit postes avertissait une étendue de pays de cinq cents milles, et Constantinople était instruite en peu d’heures des mouvements hostiles des Sarrasins de Tarse[75]. On peut juger de la force navale des empereurs grecs par le détail de l’armement qu’ils préparèrent pour la réduction de la Crète. On équipa dans la capitale, dans les îles de la mer Égée et les ports de l’Asie, de la Macédoine et de la Grèce, cent douze galères et soixante-quinze navires construits sur le modèle de ceux de la Pamphylie. Cette escadre portait trente-quatre mille matelots, sept mille trois cent quarante soldats, sept cents Russes, et cinq mille quatre-vingt-sept Mardaïtes qui descendaient d’une peuplade venue des montagnes du Liban. Leur solde, probablement pour un mois, fut évaluée à trente-quatre centenaires d’or, c’est-à-dire à environ cent trente-six mille livres sterling. Notre imagination se perd dans la liste des armes et des machines, des étoffes et des toiles, des vivres et des fourrages, des munitions et des ustensiles de toute espèce, employés sans succès à la conquête d’une île de peu d’étendue, et qui auraient suffi pour établir une colonie florissante[76].

L’invention du feu grégeois ne produisit pas comme celle de la poudre à canon, une révolution totale dans l’art de la guerre. La ville et l’empire de Constantinople durent leur délivrance à ce feu liquide. Il causait de grands ravages dans les siéges et les combats de mer ; mais on chercha peu à perfectionner cet art nouveau, ou peut-être, était-il moins susceptible de progrès. Dans l’attaque et la défense des fortifications, on continua de se servir davantage, et avec plus de succès, des machines de l’antiquité, des catapultes, des balistes et des béliers. Le sort des combats n’était point remis au feu prompt et terrible d’une ligne d’infanterie qu’on tenterait inutilement de défendre par des armures contre le feu semblable de la ligne ennemie. Le fer et l’acier étaient toujours les instruments ordinaires de carnage et de défense ; les casques, les cuirasses et les boucliers du dixième siècle, différaient peu, pour la forme ou la matière, de ceux dont s’étaient revêtus les compagnons d’Alexandre ou d’Achille[77] ; mais au lieu d’accoutumer les Grecs modernes à marcher constamment, et par conséquent sans peine, chargés de ce salutaire fardeau, ainsi que le portaient les soldats des anciennes légions, on faisait porter les armes d’une troupe sur des chariots légers qui suivaient la marche ; et à l’approche de l’ennemi, les soldats reprenaient à la hâte, et contre leur gré, un attirail que le défaut d’habitude leur rendait embarrassant. Les armes offensives étaient des épées, des haches de bataille et des piques ; mais la pique macédonienne avait été diminuée d’un quart et réduite à la mesure plus commode de douze coudées, ou douze pieds. Les Grecs avaient cruellement senti la force des traits des Scythes et des Arabes ; les empereurs déploraient à cette époque la décadence de l’art des archers, comme une des causes des malheurs publics ; et ils recommandèrent, ou plutôt ils ordonnèrent que tous les hommes destinés au service militaire s’adonnassent assidûment jusqu’à l’âge de quarante ans à l’exercice de l’arc[78]. Les bandes ou régiments étaient pour l’ordinaire de trois cents soldats ; et, comme un terme moyen, entre les lignes sur quatre et les lignes sur seize hommes de profondeur, l’infanterie de Léon et de Constantin se formait sur une profondeur de huit soldats ; mais la cavalerie chargeait sur quatre de profondeur, d’après cette considération très juste, que la pression des chevaux de derrière n’augmente pas le poids du choc qui se fait au front. Si quelquefois on augmentait du double l’épaisseur des rangs de l’infanterie ou de la cavalerie, cette disposition annonçait une secrète défiance du courage des troupes, destinées seulement alors à épouvanter par leur nombre, et disposées à laisser à une bande choisie l’honneur d’affronter les piques et les épées des Barbares. L’ordre de bataille variait sans doute selon la nature du terrain, selon l’objet qu’on avait en vue, et selon l’ennemi ; mais en général l’armée formait deux lignes et une réserve, et de cette manière elle offrait une succession d’espérances, et de ressources analogues au caractère et à l’esprit judicieux des Grecs[79]. Si la première ligne était repoussée, elle se repliait dans les intervalles de la seconde ; et la réserve, se partageant en deux divisions, tournait les flancs, afin de profiter de la victoire, ou de couvrir la retraite. La régularité des camps et des marches, des exercices et des évolutions, les édits et les livres du monarque de Byzance, faisaient, du moins en théorie, tout ce que peut faire l’autorité[80]. Telle était la richesse du prince et l’habileté de ses nombreux ouvriers, que les armées avaient en abondance tout ce qu’elles pouvaient désirer en ustensiles et en munitions. Mais l’autorité du prince et l’adresse de ses ouvriers ne pouvaient former la machine la plus importante, c’est-à-dire le soldat ; et si le cérémonial de Constantin suppose toujours que l’empereur reviendra triomphant[81], sa tactique ne s’élève guère au-dessus des moyens d’échapper à une défaite et de prolonger une guerre[82]. Malgré quelques succès passagers, les Grecs étaient déchus dans leur propre opinion et dans celle de leurs voisins. La main lente et la langue active, tel était le proverbe populaire dont on se servait pour indiquer le caractère de la nation. L’auteur de la Tactique fut assiégé dans sa capitale, et les plus faibles des Barbares, qui tremblaient au seul nom des Sarrasins ou des Francs, purent s’enorgueillir de ces médailles d’or et d’argent qu’ils avaient arrachées au faible souverain de Constantinople. La religion aurait pu leur inspirer, à bien des égards le, courage dont ils manquaient par un effet de leur gouvernement et de leur caractère ; mais la religion des Grecs n’enseignait qu’à souffrir et à céder. Nicéphore, qui rétablit un moment la discipline et la gloire du nom romain, voulut accorder les honneurs du martyre aux chrétiens qui perdraient la vie dans une sainte guerre contre les infidèles ; mais le patriarche, les évêques et les principaux sénateurs, arrêtèrent cette loi dictée par la politique ; ils soutinrent avec obstination, d’après les canons de saint Basile, que tous ceux qui s’étaient souillés par l’exercice sanguinaire du métier des armes, devaient être séparés trois ans de la communion des fidèles[83].

On a rapproché ces scrupules des Grecs des larmes que versaient les premiers musulmans lorsqu’ils ne pouvaient se trouver à une bataille, et ce contraste d’une lâche superstition et d’un fanatisme courageux explique aux yeux du philosophe l’histoire des deux nations rivales. Les sujets des derniers califes[84] n’avaient plus sans doute le zèle et la foi des compagnons du prophète, mais leurs dogmes guerriers regardaient toujours la Divinité comme le mobile de la guerre[85]. L’étincelle du fanatisme brûlait toujours daris le sein de leur religion, et allumait souvent la flamme la plus active parmi les Sarrasins établis sur les frontières des chrétiens. Leurs troupes régulières étaient composées de ces vaillants esclaves élevés à garder la personne et à suivre le drapeau de leur maître ; mais aux premiers sons de la trompette qui annonçait une sainte guerre contre les infidèles, on voyait s’éveiller le peuple musulman de la Syrie et de la Cilicie, de l’Afrique et de l’Espagne. Les riches désiraient de vaincre ou de mourir dans la cause de Dieu ; l’espoir du butin attirait les pauvres ; et les vieillards, les infirmes et les femmes, pour prendre part à cette entreprise méritoire, envoyaient à leur place un soldat avec ses armes et son cheval. Leurs armes offensives et défensives étaient, par leur force et leur trempe, égales à celles des Romains ; mais ils se montraient bien supérieurs dans l’art de conduire un cheval ou de lancer des traits. Les plaques d’argent qui couvraient les baudriers, les épées et même l’équipage du cheval, étalaient la magnificence d’une nation fortunée ; et, si l’on en excepte quelques archers noirs venus du Midi, les Arabes faisaient peu de cas de la valeur indigente et désarmée de leurs ancêtres. Au lieu de chariots, ils avaient à leur suite une longue file de chameaux, d’ânes et de mulets ; la multitude de ces animaux, qu’ils ornaient de pavillons et de banderoles, grossissait en apparence leur nombre, et augmentait la pompe de leur armée ; et la figure difforme ainsi que la détestable odeur de leurs chameaux, portaient souvent le désordre parmi les chevaux de l’ennemi. Ils souffraient la chaleur et la soif avec une patience qui les rendait invincibles ; mais le froid de l’hiver glaçait leurs esprits : on connaissait leur disposition au sommeil, et il fallait recourir aux précautions les plus rigoureuses pour ne pas se laisser surprendre au milieu des ténèbres. Leur ordre de bataille, était un parallélogramme de deux lignes profondes et solides, l’une d’archers et l’autre de cavalerie. Dans leurs combats sur mer et sur terre, ils soutenaient avec intrépidité l’attaque la plus furieuse, et en général ils ne s’avançaient pour charger que lorsqu’ils avaient aperçu la lassitude des assaillants ; mais s’ils étaient repoussés ou enfoncés, ils ne savaient ni se rallier ni renouveler le combat, et, ce qui augmentait leur épouvante, ils croyaient alors que Dieu se déclarait en faveur de l’ennemi. La décadence et la chute de l’empire des califes autorisaient alors cette effrayante opinion, et, parmi les musulmans et les chrétiens, on ne manquait : pas d’obscures prophéties[86] qui annonçaient tour à tour la défaite de l’une ou de l’autre armée. L’unité de l’empire des Arabes n’existait plus ; mais ses débris formaient des États indépendants qui égalaient de grands royaumes ; et un émir d’Alep on de Tunis trouvait dans ses trésors, dans l’industrie et les talents de ses sujets, de quoi faire redouter ses forces maritimes. Les princes de Constantinople ne sentirent que trop, souvent que ces Barbares n’avaient dans leur discipline aucune trace de barbarie, et que s’ils manquaient de l’esprit d’invention, ils savaient rechercher et imiter promptement les découvertes des autres. Le modèle, il est vrai, surpassait la copie ; leurs navires, leurs machines, et leurs fortifications, étaient d’une construction moins savante ; et ils avouaient sans honte que Dieu, qui a donné la langue aux Arabes, a façonné avec plus de délicatesse la main des Chinois et la tête des Grecs[87].

Le nom de quelques tribus de la Germanie établies entre le Rhin et le Weser, était devenu celui de la plus grande partie de la Gaule, de l’Allemagne et de l’Italie, et les Grecs ainsi que les Arabes appliquèrent la dénomination de FRANCS[88] aux chrétiens de l’Église latine, et aux nations de l’Occident qui s’étendaient sur les bonds inconnus de l’océan Atlantique. Le génie de Charlemagne avait réuni et vivifié le grand corps de la nation des Francs ; mais la discorde et l’abâtardissement de ses successeurs anéantirent bientôt son empire, qui aurait rivalisé avec l’empire de Byzance, et aurait vengé les outrages faits aux chrétiens. Les ressources qu’on pouvait tirer du revenu public, des travaux du commerce et des manufactures, employés jadis à l’avantage du service militaire, les secours mutuels que se prêtaient les provinces et les armées, enfin ces escadres stationnées autrefois depuis l’embouchure de l’Elbe jusqu’à celle du Tibre, ne remplissaient plus les ennemis de terreur et les sujets de confiance : au commencement du dixième siècle, la famille de Charlemagne avait presque disparu ; des États ennemis et indépendants s’étaient formés sur les ruines de sa monarchie ; les chefs les plus ambitieux prenaient le titre de roi : au-dessous d’eux l’anarchie et la discorde, également répandues dans tous les rangs, reproduisaient partout l’exemple de leur révolte ; et les nobles de toutes les provinces désobéissaient à leur souverain, accablaient leurs vassaux, et se tenaient dans un état de guerre perpétuel contre leurs égaux et leurs voisins. Les guerres privées qui bouleversaient la machine du gouvernement, maintenaient l’esprit martial de la nation. Dans le système actuel de l’Europe, cinq ou six grands potentats jouissent, au moins dans le fait, de la puissance du glaive. Une classe d’hommes qui se dévouent à la théorie et à la pratique de l’art militaire, exécutent sur une frontière lointaine les opérations imaginées dans le secret des cours ; le reste du pays jouit alors, au milieu de la guerre, de la tranquillité de la paix, et ne s’aperçoit des changements qui surviennent à cet égard que par l’accroissement ou la diminution des impôts. Dans les désordres du dixième et du onzième siècle, chaque paysan était soldat, et chaque village était fortifié ; tous les bois et toutes les vallées offraient des scènes de meurtre et de rapine, et les propriétaires de tous les châteaux se voyaient contraints de revêtir le caractère de princes et de guerriers. Ils se fiaient hardiment à leur courage et à leur politique pour défendre leur famille, protéger leurs terres et venger leurs injures ; et, semblables aux conquérants d’un ordre supérieur, ils n’avaient que trop de disposition à outrepasser les droits de la défense personnelle. La présence du danger et l’indispensable nécessité du courage endurcissaient leur esprit et leur corps ; c’était par une suite du même caractère qu’ils refusaient d’abandonner un ami et de pardonner à un ennemi ; au lieu de dormir sous la garde du magistrat, ils récusaient fièrement l’autorité des lois. A cette époque de l’anarchie féodale, les outils de la culture et des arts furent convertis en instruments de mort ; les paisibles travaux de la société civile et de la société ecclésiastique s’anéantirent ou se dépravèrent ; et l’évêque, en changeant sa mitre contre un casque, était plus entraîné par les mœurs de son siècle que par les devoirs que lui imposait son fief[89].

Les Francs s’enorgueillissaient de leur amour pour la liberté et la guerre ; et les Grecs parlent de cette disposition avec une sorte d’étonnement et de frayeur. Les Francs, dit l’empereur Constantin, sont audacieux et braves presque jusqu’à la témérité ; et leur valeur intrépide est soutenue par le mépris du danger et de la mort. Sur un champ de bataille et dans la mêlée, ils attaquent de front et se précipitent sur l’ennemi sans daigner calculer leur propre nombre. Leurs rangs sont resserrés par les liens solides de la parenté et de l’amitié ; et le désir de sauver et de venger leurs plus chers compagnons est la source de leurs exploits. Ils regardent la retraite comme une fuite honteuse, et la fuite est à leurs yeux une infamie que rien ne peut laver[90]. Une nation si valeureuse et si intrépide aurait été sure de la victoire, si de grands défauts n’avaient contrebalancé ces avantages. Le dépérissement de sa marine laissa aux Grecs et aux Sarrasins l’empire de la mer, soit qu’ils voulussent s’en servir pour porter du secours à leurs alliés ou le dégât chez leurs ennemis. Au siècle qui précéda l’institution de la chevalerie, les Français étaient malhabiles dans le service de la cavalerie[91] ; et dans les moments de péril leurs guerriers sentaient si bien leur ignorance, qu’ils aimaient mieux descendre de cheval et combattre à pied. N’ayant point l’usage des piques ou des armes de trait, ils s’embarrassaient de longues épées, de pesantes armures, d’énormes boucliers ; et, si je puis répéter le reproche que leur faisaient les maigres habitants de la Grèce, un embonpoint, suite de leur intempérance, ajoutait à la gêne de leurs mouvements. Leur caractère indiscipline dédaignait le joug de la subordination, et ils abandonnaient l’étendard de leur chef, s’il voulait les tenir en campagne au-delà de l’époque figée pour leur service. Ils étaient ouverts de tous les côtés aux piéges de l’ennemi, moins brave, mais plus astucieux. On pouvait les corrompre avec de l’argent, car ils avaient une âme vénale ; on pouvait les surprendre la nuit, car ils négligeaient de fermer leur camp ; et ils faisaient mal leurs gardes. Les fatigues d’une campagne d’été épuisaient leur force et leur patience, et ils tombaient dans le désespoir s’ils ne pouvaient satisfaire leur appétit vorace par une grande quantité de vin, et de nourriture. Au milieu de ces traits généraux de la nation des Francs, on remarquait des nuances locales, que j’attribuerais au hasard plutôt qu’au climat, mais qui frappaient les naturels et les étrangers. Un ambassadeur d’Othon déclara dans le palais de Constantinople que les Saxons savaient mieux se battre avec l’épée qu’avec la plume, et qu’ils préféraient la mort à la honte de tourner le dos à l’ennemi[92]. Les nobles de la France se glorifiaient de n’avoir, dans leurs modestes habitations, d’autre plaisir que la guerre et la rapine, unique occupation de toute leur vie. Ils affectaient de tourner en ridicule les palais, les banquets et les mœurs polies des Italiens, qui, dans l’opinion des Grecs eux-mêmes, avaient dégénéré de l’amour de la liberté et de la valeur des anciens Lombards[93].

Le fameux édit de Caracalla accorda à ses sujets, depuis la Bretagne jusqu’à l’Égypte, le nom et les privilèges de Romains ; et dès lors leur souverain, toujours au milieu de ses compatriotes, put à son choix fixer ou établir momentanément sa résidence dans l’une ou l’autre des provinces de la patrie commune. Lors de la division de l’Orient et de l’Occident, on conserva scrupuleusement l’unité idéale de l’empire ; dans leurs titres, leurs lois et leurs statuts, les successeurs d’Arcadius et d’Honorius s’annoncèrent toujours comme collègues inséparables dans les mêmes fonctions comme associés à la souveraineté de l’empire et de la cité de Rome, renfermés dans les mêmes limites. Après la chute de la monarchie d’Occident, la dignité de la pourpre romaine se concentra tout entière sur les princes de Constantinople ; Justinien fut le premier qui réunit à l’empire les domaines de l’ancienne Rome, qui en étaient séparés depuis soixante années, et qui soutint par le droit de conquête l’auguste titre d’empereur des Romains[94]. Un motif de vanité ou de mécontentement détermina un de ses successeurs Constantin II, à abandonner le Bosphore du Thrace et à rendre au Tibre ses anciens honneurs : projet insensé ! s’écrie le malveillant écrivain de l’histoire Byzantine, de dépouiller une vierge dans tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté, pour orner ou plutôt pour faire ressortir la difformité d’une vieille couverte de rides ![95] mais le glaive des Lombards l’empêcha de s’établir en Italie ; il entra dans Rome, non comme un vainqueur, mais comme un fugitif ; et après y avoir passé douze jours, il pilla l’ancienne capitale du monde, puis s’en éloigna pour jamais[96]. L’entière séparation de l’Italie et de l’empire de Byzance eut lieu, environ deux siècles, après les conquêtes de Justinien ; et c’est sous son règne que la langue latine commença à tomber en désuétude. Ce législateur avait publié ses Institutes, son Code et ses Pandectes, dans un langage qu’il vante comme le style public du gouvernement romain, l’idiome du palais et du sénat de Constantinople, des armées et des tribunaux de l’Orient[97]. Mais le peuple et les soldats des provinces de l’Asie, ignoraient cette langue étrangère ; la plupart des interprètes des lois et des ministres d’État ne la savaient qu’imparfaitement. Après une lutte, de peu de durée, la nature et d’habitude triomphèrent des institutions de la puissance humaine : Justinien, pour l’avantage de ses sujets, promulgua ses Novelles dans les deux langues ; les diverses, parties de sa volumineuse jurisprudence furent successivement traduites[98] : on oublia l’original, on n’étudia que la version et la langue qui, en elle-même, méritait la préférence, devint, dans l’empire grec, l’idiome de la loi ainsi que celui de la nation. Les successeurs de Justinien devinrent, par leur extraction et l’usage du pays qu’ils habitaient, étrangers à la langue romaine. Tibère, selon les Arabes[99], et Maurice, selon les Italiens[100], furent les premiers Césars grecs, et les fondateurs d’une nouvelle dynastie et d’un nouvel empire cette sourde révolution fut achevée avant la mort d’Héraclius, et quelques restes obscurs de la langue latine se conservèrent dans les termes de jurisprudence et dans les acclamations du palais. Lorsque Charlemagne et les Othon eurent rétabli l’empire d’Occident, les noms de Francs et de Latins acquirent la même acception et la même étendue, et ces Barbares hautains soutinrent avec une sorte de justice leurs droits au langage comme à la domination de Rome. Ils insultèrent aux peuples de l’Orient qui avaient renoncé à l’habit et à l’idiome des Romains, et s’autorisèrent de ces raisonnables habitudes pour les désigner souvent par le nom de Grecs[101]. Mais le prince et les peuples de l’empire de Byzance rejetèrent avec indignation cette dénomination méprisante. Malgré les changements introduits par le laps des siècles, ils faisaient valoir une succession directe et non interrompue depuis Auguste et Constantin ; et au dernier degré de la faiblesse et de l’abaissement, les débris de l’empire de Constantinople conservèrent encore le nom de Romains[102].

Tandis qu’en Orient les actes du gouvernement se passaient en latin, le grec était la langue de la littérature et de la philosophie ; avec cet idiome si riche et si parfait, les hommes éclairés ne pouvaient envier le savoir emprunté et le goût imitateur des Romains leurs disciples. Après la destruction du paganisme, la perte de la Syrie et de l’Égypte, et l’abolition des écoles d’Alexandrie et d’Athènes, les connaissances de la Grèce se réfugièrent peu à peu dans les monastères et surtout au collège royal de Constantinople, qui fut incendié sous le règne de Léon l’Isaurien[103]. Dans le style emphatique de l’époque dont nous parlons, le président de ce collège était appelé l’astre de la science ; les douze professeurs des différentes sciences et facultés étaient les douze signes du zodiaque ; ils avaient à leur disposition une bibliothèque de trente-six mille cinq cents volumes, et ils montraient un ancien manuscrit d’Homère sur un rouleau de parchemin de cent vingt pieds de longueur, qui avait été, disait-on, l’un des intestins d’un serpent d’une grandeur monstrueuse[104]. Mais le septième et le huitième siècle furent une période de discorde et d’ignorance : le feu consuma la bibliothèque ; le collège, fut supprimé ; les auteurs peignent les iconoclastes comme les ennemis de l’antiquité, et les princes de la famille d’Héraclius et ceux de la dynastie isaurienne se déshonorèrent par leur ignorance et leur mépris sauvage pour les lettres[105].

On aperçoit, au neuvième siècle, l’aurore du rétablissement des sciences[106]. Lorsque le fanatisme des Arabes se fut calmé, les califes cherchèrent à conquérir les arts plutôt que les provinces de l’empire ; le soin qu’ils se donnèrent pour acquérir des lumières ranima l’émulation des Grecs : ils secouèrent la poussière de leurs anciennes bibliothèques, et apprirent à connaître et à récompenser les philosophes, qui jusqu’alors n’avaient eu pour dédommagement de leurs travaux que le plaisir de l’étude à la découverte de la vérité. Le César Bardas, oncle de Michel III, mérita d’être regardé comme le généreux protecteur des lettres, titre qui seul a servi de sauvegarde à sa mémoire et fait excuser son ambition : il déroba du moins au vice et à la folie quelques parties des trésors de son neveu ; il ouvrit, dans le palais de Magnaure, une école où, par sa présence, il excitait l’émulation des maîtres et des élèves. A leur tête était le philosophe Léon, archevêque de Thessalonique ; les peuples étrangers de l’Orient admiraient son profond savoir sur l’astronomie et les mathématiques, et l’opinion de son savoir était augmentée dans l’esprit du vulgaire par cette modeste disposition qui le porte à voir, dans toute connaissance qui surpasse les siennes, l’effet de l’inspiration et de la magie. Ce fut sur les pressantes instances du César que son ami, le célèbre Photius[107], renonça à l’indépendance d’Une vie studieuse, et accepta la dignité de patriarche, où il fut tour à tour excommunié et absous par les synodes de l’Orient et de l’Occident. De l’aveu même des prêtres ses ennemis, aucun art ou aucune science, n’était étranger à cet homme universel profond dans ses idées infatigable dans ses études et éloquent dans son style. Photius exerçait les fonctions de protospathaire, ou de capitaine des gardes, lorsqu’il fut envoyé en ambassade auprès du calife de Bagdad[108]. Pour adoucir des heures d’exil et peut- être de solitude ; il composa à la hâte sa Bibliothèque, monument d’érudition et de critique. Il passe en revue, sans aucune méthode, deux cent quatre-vingts auteurs, historiens, orateurs, philosophes et théologiens : il présente en abrégé leurs récits ou leurs doctrines ; il apprécie leur style et leur caractère, et il juge même les pères de l’Église avec une liberté prudente qui se laisse souvent apercevoir à travers les superstitions de son siècle. L’empereur Basile, regrettant sa mauvaise éducation, chargea Photius de celle de son fils et de son successeur, Léon le Philosophe ; et le règne de ce prince et celui de Constantin Porphyrogénète son fils forment une des époques les plus prospères de la littérature de Byzance. Leur munificence enrichit la bibliothèque impériale des trésors de l’antiquité ; ils en firent, par eux-mêmes et à l’aide de leurs collaborateurs ; des extraits et des abrogés capables d’amuser la curiosité du public sans accabler son indolence. Outre les Basiliques, ou le Code des lois, ils propagèrent avec le même soin ce qui avait rapport à l’agriculture et à la guerre, les deux arts destinés à nourrir et à détruire l’espèce humaine. L’histoire de la Grèce et de Rome fut rédigée sous cinquante-trois titres ou chapitres ; mais deux de ces titres seulement, celui des Ambassades et celui des Vertus et des Vices, sont arrivés jusqu’à nous. Les lecteurs de toutes les classes y trouvaient le tableau du passé ; ils pouvaient profiter des leçons ou des avis qu’offrait chaque page ; ils y apprenaient à admirer et peut-être à imiter des vertus d’un temps plus brillant. Je ne m’arrêterai pas sur les ouvrages des Grecs de Constantinople, qui, par une étude assidue des anciens, ont mérité à quelques égards le souvenir et la reconnaissance de la postérité. Nous possédons encore le Manuel philosophique de Stobée, le Lexique grammatical et historique de Suidas, les Chiliades de Tzetzes, qui en douze mille, vers comprenaient six cents narrations, et les Commentaires sur Homère, d’Eustathe, archevêque de Thessalonique, qui nous verse de sa corne d’abondance les noms et les autorités de quatre cents auteurs. D’après ces écrivains originaux, et d’après la nombreuse légion des scholiastes[109] et des critiques ; on peut se former une idée des richesses littéraires du douzième siècle. Constantinople était encore éclairée par le génie d’Homère et de Démosthène, d’Aristote et de Platon ; et au milieu des richesses dont nous jouissons ou que nous négligeons, nous devons porter envie à la génération qui pouvait lire l’histoire de Théopompe, les oraisons d’Hypérides, les comédies de Ménandre[110] et les odes d’Alcée et de Sapho. Le grand nombre des commentaires publiés à cette époque sur les classiques grecs prouve que non seulement ils existaient alors, mais qu’ils étaient même entre les mains de tout le monde ; et deux femmes, l’impératrice Eudoxie et la princesse Anne Comnène, qui cultivèrent sous la pourpre la rhétorique et la philosophe[111], sont un exemple assez frappant de la généralité des connaissances. Le dialecte vulgaire de la capitale était grossier et barbare ; un style plus correct et plus soigné distinguait la conversation, ou du moins les écrits des ecclésiastiques, et des personnes du palais qui aspiraient quelquefois à la pureté des modèles attiques.

Dans notre éducation moderne, l’étude pénible mais nécessaire de deux langues mortes consume les temps et ralentit l’ardeur d’un jeune élève. Les poètes et les orateurs de l’Occident ont vu longtemps leur génie entravé par les barbares dialectes de nos ancêtres, si dépourvus d’harmonie et de grâce ; et ce génie, privé du secours des préceptes et des exemples des anciens se trouvait abandonné à la force naturelle et inculte de leur jugement et de leur imagination. Mais les Grecs de Constantinople, après avoir épuré leur idiome vulgaire, acquéraient le libre usage de la langue de leurs aïeux, le chef-d’œuvre de l’esprit humain ; la connaissance des maîtres sublimes qui avaient charmé ou instruit la première des nations, leur devenait familière ; mais ces avantages ne font qu’augmenter la honte et le blâme qui pèsent sur un peuple dégénéré. Si les Grecs de l’empire tenaient dans leurs mains inanimées les richesses de leurs pères, ils n’avaient pas hérité de l’énergie qui a créé et amélioré ce patrimoine sacré ; ils lisaient, ils louaient, ils compilaient ; mais leur âme accablée de langueur paraissait hors d’état de penser et d’agir. Un intervalle de dix siècles n’offre pas une découverte qui ait augmenté la dignité de l’homme on contribué à son bonheur : où n’ajouta pas une seule idée aux systèmes spéculatifs des anciens : des disciples patients se succédaient les uns aux autres pour instruire dogmatiquement à leur tour une génération non moins servile. Il ne s’est pas trouvé un seul morceau d’histoire, de philosophie ou de littérature, qui, par la beauté du style ou des mouvements, par l’originalité ou même une heureuse imitation, ait mérité d’échapper à l’oubli. Ceux des prosateurs de Byzance qu’on lit avec le moins de peine sont ceux dont-la simplicité nue et sans prétention ne permet pas de les soumettre à la censure : mais ceux des orateurs qui se croyaient les plus éloquents[112], sont les plus éloignés, des modèles avec lesquels ils cherchaient à rivaliser. Notre goût et notre raison sont blessés à chaque page par un choix de mots gigantesques et tombés en désuétude, par des tournures de phrases lourdes et embrouillées, par l’incohérence des images, une recherche puérile d’ornements faux ou hors de propos, et les pénibles efforts de ces écrivains pour s’élever, pour étonner le lecteur et revêtir d’exagération et d’obscurité une idée triviale. Dans leur prose, ils recherchent toujours le ton de la poésie ; et leur poésie est encore au-dessous de la platitude et de l’insipidité de leur prose. Les muses de la tragédie, de l’épopée et du poème lyrique, demeuraient silencieuses et sans gloire ; les bardes de Constantinople ne s’élevaient guère, au-dessus d’une énigme ou d’une épigramme, d’un panégyrique ou d’un conte ; ils oubliaient jusqu’aux règles de la prosodie, et, l’oreille remplie de la mélodie d’Homère, ils confondaient toutes les mesures de pieds et de syllabes dans ces accords impuissants qui ont reçu le nom de vers politiques ou vers de ville[113]. L’esprit des Grecs était resserré dans les chaînes d’une superstition vile et impérieuse, qui étend sa domination autour du cercle des sciences et des arts. Leur jugeaient s’égarait dans les controverses métaphysiques : la foi aux visions et aux miracles leur avait fait perdre tous les principes de l’évidence morale ; et leur goût était gâté par les homélies des moines, mélange absurde de déclamations et de phrases de l’Écriture. Ces misérables études ne furent même pas longtemps ennoblies par l’abus du talent ; les chefs de l’Église grecque se contentaient humblement d’admirer et de copier les oracles anciens ; et les écoles ni la chaire ne produisirent aucun rival de la gloire de saint Athanase et de saint Chrysostome[114].

Soit dans les travaux de la vie active ou dans ceux de la vie spéculative, l’émulation des peuples et des individus est le mobile le plus puissant des efforts et des progrès du genre humain. Les villes de l’ancienne Grèce conservaient entre elles cet heureux mélange d’union et d’indépendance, qui se retrouve sur une plus grande échelle, mais- dans une forme plus relâchée, parmi les nations de l’Europe moderne : unies par la langue, la religion et les mœurs, elles se servaient réciproquement de spectateurs et de juges[115] ; indépendantes par un gouvernement et des intérêts distincts, chacune d’elles maintenait sa liberté séparément, et s’efforçait de surpasser ses rivales dans la carrière de la gloire. La situation des Romains était moins favorable : cependant dès les premiers temps de la république, c’est-à-dire au moment on se forma le caractère national, on vit naître la même émulation parmi les États du Latium et de l’Italie ; et tous aspirèrent à égaler ou à surpasser, dans les arts et les sciences, les Grecs qui leur servaient de modèles. Il n’est pas douteux que l’empire des Césars n’ait arrêté l’activité et les progrès de l’esprit humain. Sa grande étendue laissait à la vérité quelque carrière à l’émulation da citoyens entre eux ; mais lorsqu’il se trouva réduit par degrés d’abord à l’Orient, ensuite à la Grèce et à Constantinople, les sujets de l’empire de Byzance n’offrirent plus qu’un caractère abject et languissant, effet naturel de leur position isolée. Ils se voyaient accablés vers le nord par des tribus de Barbares dont ils ne connaissaient pas le nom, et qu’ils regardaient à peine comme des hommes. La langue et la religion des Arabes, nation- plus civilisée, opposaient une barrière insurmontable à toute communication sociale avec eux. Les vainqueurs de l’Europe professaient, ainsi que les Grecs, la religion chrétienne ; mais l’idiome des Francs ou des Latins était inconnu à ceux-ci : leurs mœurs étaient grossières, et ils n’eurent avec les successeurs d’Héraclius aucun rapport, soit d’alliance en d’inimitié. Seul dans son espèce, l’orgueil des Grecs, toujours content de lui-même, ne se laissait jamais troubler par la comparaison d’un mérite étranger ; et ne voyant ni rivaux qui pussent les aiguillonner dans leur course, ni juges pour les couronner au bout de la carrière, il n’est pas étonnant qu’ils aient succombé. Les croisades mêlèrent les nations de l’Europe, et de l’Asie ; et c’est sous la dynastie des Comnènes que l’empire de Byzance reprit une faible Émulation de lumières et de vertus militaires.

 

 

 



[1] Claudien développe avec élégance le sens de l’épithète de Πορφυρογενητος, porphyrogénète, ou né dans la pourpre, et Ducange rapporte dans son Glossaire grec et latin plusieurs passages qui expriment la même idée.

[2] Un superbe manuscrit de Constantin (de Cœremoniis aulæ et Ecclésia Byzantinœ) a été transporté de Constantinople à Bude, Francfort et Leipzig, où Leich et Reiske en ont donné une magnifique édition (A. D. 1751, in-folio), accompagnée de ces éloges que les éditeurs ne manquent jamais de prodiguer à l’objet de leurs travaux, quelque soit son mérite.

[3] Voyez dans le premier volume de l’Imperium orientale de Banduri, Constantinus, de Thematibus, p. 1-24 ; de Administrando Imperio, p. 45-127, édit. de Venise. Le texte de l’ancienne édition de Meursius y est corrigé d’après un manuscrit de la bibliothèque royale de Paris que connaissait déjà Isaac Casaubon (Epist. ad Polybium, p. 10), et expliqué par deux cartes de Guillaume de L’Isle, le premier des géographes antérieurs à d’Anville.

[4] La Tactique de Léon et de Constantin a été publiée à l’aide de quelques nouveaux manuscrits, dans la grande édition des Œuvres de Meursius, par le savant Lami (t. VI, p. 531-920, 1211-1417, Florence, 1745) ; mais le texte est encore corrompu et mutilé, et la version est toujours obscure et remplie de fautes. La bibliothèque de Vienne fournirait quelques matériaux précieux à un nouvel éditeur. Fabricius, Bibl. græc., t. VI, p. 369, 370.

[5] Fabricius (Bibl. græc., t. XII, p. 425-514), Heineccius (Hist. juris romani, p. 396-399), et Giannone (Istoria civile di Napoli, t. I, p. 450-458), peuvent être utilement consultés sur les Basiliques comme historiens de droit. Quarante et un livres de ce code grec ont été publiés avec une version latine, par Charles-Annibal Fabrottus (Paris, 1647), en sept vol. in-folio. On a découvert depuis quatre autres livres qu’on a insérés dans le Novus Thesaurus juris civil et canon., de Gerard Meerman, t. V. Jean Leunclavius a compoé (à Bâle, 1575) une éclogue ou synopsis des soixante livres qui forment l’ouvrage entier. On trouve dans le Corpus juris Civilis les cent treize Novelles ou nouvelles lois de Léon.

[6] Je me suis servi de la dernière édition des Géoponiques, qui est la meilleure (par Nicolas Niclas, Leipzig, 1781, 2 vol. in-8°). Je lis dans la préface que le même empereur fit revivre les systèmes de rhétorique et de philosophie oubliés dès longtemps. Ses deux livres de l’Hippiatrique, ou de l’Art de traiter les maladies des chevaux, ont été publiés à Paris, 1530, in-folio (Fabr., Bibl. græc., t. VI, p. 493-500).

[7] De ces cinquante-trois livres, ou titres, deux seulement sont arrives jusqu’à nous et ont été imprimés : l’un, de Legationihus (par Fulvius Ursinus, Anvers, 1582, et Daniel Hæschelius, August, Vindel., 1603) ; et l’autre de Virtutibus et Vitiis (par Henri de Valois, éd. de Paris, 1634).

[8] Hankius (de Scriptorib. Byzant., p. 418-460) donne l’abrégé de la vie et la liste des ouvrages de Métaphraste. Ce biographe des saints s’est complu dans des paraphrases sur le sens ou les absurdités des anciens actes : son style de rhéteur ayant été paraphrasé une seconde fois dans la version latine de Surius, à peine distingue-t-on aujourd’hui un fil de la trame primitive.

[9] Selon le premier livre de la Cyropédie, la tactique, qui n’est qu’une petite partie de l’art de la guerre, était déjà professée en Perse, ce qu’il faut rapporter à la Grèce. Une bonne édition de tous les auteurs qui ont écrit sur la tactique serait une tâche digne d’un savant : il pourrait découvrir quelques manuscrits nouveaux, et ses connaissances pourraient jeter du jour sur l’histoire militaire des anciens ; mais ce savant devrait être de plus un soldat, et malheureusement nous n’avons plus de Quintus Icilius.

[10] Après avoir observé que les Cappadociens ont d’autant moins de mérite qu’ils sont plus élevés, par leur rang et leurs richesses, l’auteur de la Description des provinces adopte l’épigramme qu’on attribue à Démodocus :

Κάππαδοκην ποτ' εχιδνα κακη δακεν, αλλα και αυτη

Κατθανε, γευσαμενη αιματος ιοβολο.

La pointe est précisément la même que celle d’une épigramme française : Un serpent mordit Jean Fréron..... — Eh bien ! le serpent en mourut. Mais comme les beaux esprits de Paris sont généralement peu versés dans l’anthologie, je serais curieux de savoir par où leur est parvenue cette épigramme. Constantin Porphyrogénète, de Themat., c. 2 ; Brunk., Analect. grœc., t. II, p. 56 ; Brodœi Anthologia, l. II, p. 244.

[11] La Legatio Luitprandi episcopi Cremonensis ad Nicephorum Phocam, a été insérée par Muratori dans les Scriptores rerum italicarum, t. II, partie première.

[12] Voyez Constantin (de Thematibus, in Banduri, t. I, p. 1-30), qui convient que ce mot est ουκ παλαια. Maurice (Stratagem., l. II, c. 2) se sert du mot θημα pour désigner une légion : on l’appliqua ensuite au poste ou à la province qu’elle occupait (Ducange, Gloss. Grœc., t. I, p. 487, 488). Les auteurs ont essayé de donner l’étymologie des thêmes opsicien, optimatien et thracésien.

[13] Αγιος Πελαγος, ainsi que l’appellent les Grecs modernes ; les géographes et les marins en ont fait, l’Archipelago, l’Archipel et les Arches (d’Anville, Géograph. anc., t. I, p. 281 ; Analyse de la Carte de la Grèce, p. 60). La multitude de moines et de caloyers que renfermaient toutes les îles, et le mont Athos, ou monte Santo, qui est aux environs. (Observations de Belon, fol. 32, verso), pouvait justifier, l’épithète de sainte, αγιος, qu’on donna à cette partie de la Méditerranée. C’est un légère changement au mot primitif αιγαιος, imaginé par les Doriens, qui dans leur dialecte donnèrent le nom figuré de αιγες, ou chèvres, aux vagues bondissantes (Vossius, ap. Cellarius, Geogr. Antiq., p. 829).

[14] Selon le voyageur juif qui avait parcouru l’Europe et l’Asie, Constantinople n’était égalée en étendue que par Bagdad, la grande cité des Ismaélites. Voyages de Benjamin de Tudèle, publié par Baratier, t. I, c. 5, p. 46.

[15] Εσθλαβωθη δε πασα η χωρα και γεγονε βαρβαρος, dit Constantin (de Thematibus, l. II, c. 6, p : 25), dans un style aussi barbare que son idée, et auquel il ajoute, selon son ordinaire, une ridicule épigramme. L’écrivain qui nous a donné des épitomés de Strabon, observe aussi και νυν δε πασαν Ηπειρον, και Ελλαδα σχεδον Μακεδονιαν, και Πελοποννησον Σκυθαι Σκλαβοι νεμονται (l. VIII, p. 98, édition de Hudson). Dodwell, à propos de ce passage (Geogr. minor., t. II, Dissert. 6, p. 170-191), raconte d’une manière fatigante les incursions des Esclavons, et il fixe à l’année 980 l’époque de ce commentateur de Strabon.

[16] Strabon, Geogr., l. VIII, p. 562 ; Pausanias, Græc. Descriptio, l. III, c. 21, p. 264, 295 ; Pline, Hist. natur., l. IV, c. 8.

[17] Constantin, de Administr. Imperio, l. II, c. 50, 51, 52.

[18] Le rocher de Leucade formait la pointe méridionale de son diocèse. S’il eût eu le privilège exclusif du saut des amants, si bien connu des lecteurs d’Ovide (epist. Sapho), il eût été le plus riche prélat de l’Église grecque.

[19] Luitprand, in Legat., p. 489.

[20] Voyez Constantin (in Vit. Basil., c. 74, 75, 76, p. 195-197, in Scriptor. post Theophanem) qui emploie un grand nombre de mots techniques ou barbares : Barbareu, dit-il, τη των πολλων αμαθια καλον γαρ επι τουτοις κοινολεκτειν. Ducange s’efforce d’en expliquer quelques-uns ; mais il lui manquait la science du fabricant.

[21] Ce que dit Hugo Falcandus des fabriques de Palerme (Hist. sicula in Proëm. in Muratori Scriptor. rerum italic., t. VI p. 256), est pris sur celles de la Grèce. Sans transcrire ses phrases de déclamateur, que j’ai adoucies dans le texte, j’observerai que dans ce passage, Carisius, le premier éditeur, a substitué avec raison le terme de exanthemata, au terme bizarre d’exarentasmata. Falcandus vivait vers l’an 1190.

[22] Otho Frisingen, de Gestis Frederici I, l. I, c. 33, in Muratori, Scriptor. Ital., t. VI, p. 668. Cette exception permet à l’évêque de vanter Lisbonne et Almérie, in sericorum pannorum opificio prœnobilissimæ (in Chron., apud Muratori, Annal. d’Ital., t. IX, p., 15).

[23] Nicetas, in Manuel, l. II, c. 8, p. 65.

[24] Hugo Falkandus les appelle nobiles officinas. Les Arabes plantèrent des cannes, et firent du sucre dans la plaine de Palerme ; mais ils n’y apportèrent pas la soie.

[25] Voyez la Vie de Castruccio Castracani, non celle qu’a publiée Machiavel, mais celle de Nicolas Tegrini, qui est plus authentique. Muratori, qui l’a insérée dans le onzième volume de ses Scriptores, etc., cite ce passage curieux dans ses Antiquités d’Italie (t. I, Dissert. 25, p. 378).

[26] Voyez l’extrait des statuts manuscrits de Modène, cités Par Muratori dans les Antiquités d’Italie (t. II, Dissert. 30, p. 46-48).

[27] Les fabriques d’étoffes de soie ont été établies en Angleterre l’an 1620 (Andersons, Chronological Deduction, vol. II, page 4). Mais c’est à la révocation de l’édit de Nantes que la Grande-Bretagne doit la colonie de Spitalfields.

[28] Voyage de Benjamin de Tudèle, t. I, c. 5, p. 44-52. Le texte hébreu a été traduit en français par Baratier, cet enfant merveilleux par son savoir, et qui a joint à sa version un volume d’une érudition mal digérée. Les erreurs et les fictions du rabbin juif ne suffisent pas pour contester la réalité de ses Voyages.

[29] Voyez-le continuateur de Théophane (l. IV, p. 107), Cedrenus (p. 544), et Zonare (t. II, l. XVI, p. 157).

[30] Zonare (t. II, l. XVII, p. 225), au lieu de livres, se sert de la dénomination plus classique de talents : en prenant le sens littéral de ses expressions, le trésor de Basile, par un calcul exact, se trouverait soixante fois plus considérable.

[31] Si vous désirez une description très détaillée du palais impérial, voyez la Constantinop. Christiana (l. II, p. 113-123) de Ducange, qui est le Tillemont du moyen âge. La laborieuse Allemagne n’a pas produit deux savants plus laborieux et plus exacts que, ces deux antiquaires, formés cependant du sang pétulant des Français.

[32] Si l’on en croit une épigramme (Antholog. græc., l. IV, p. 488, 489, Brodæi, ap. Wechel) attribuée à Julien, ex-préfet de l’Egypte, le palais de Byzance était supérieur au Capitole, au palais de Pergame, au bois Rufinien (φαιδρον αγαλμα), au temple d’Adrien, à Cyzique, aux Pyramides, au Phare, etc., etc. Brunck a recueilli (Analect. grœc., t. II, p. 493-510) soixante et onze des épigrammes de ce Julien ; quelques-unes sont piquantes, mais celle-ci ne se trouve pas dans son recueil.

[33] Luitprand, Hist., l. V, c. 9, p. 465.

[34] Voyez le continuateur anonyme de Théophane (p. 59-61-86), que j’ai suivi d’après l’extrait élégant et concis de Le Beau (Hist. du Bas-Empire, t. XIV, p. 436-438).

[35] In aureo triclinio, quœ præstantior est pars, potentissimus (l’usurpateur Romanus) degens, cæteras partes (filiis) distribuerat. Luitprand, Hist., l. V, c. 9, p. 469). Voyez sur la signification très vague de triclinium (ædificium tria vel plura αλινη scilicet στεγη complectens), Ducange (Gloss. grœc. et Observations sur Joinville, p. 240 et Reiske (ad Constantinum de Cœremoniis, p. 7).

[36] In quis veci (dit Benjamin de Tudèle) regum filiis videntur persimiles. Je préfère la version latine de l’empereur Constantin (p. 46) à la version française de Baratier (t. I, p. 49).

[37] Voyez les détails de son voyage, de sa munificence et de son testament, dans la Vie de Basile, par Constantin, petit-fils de cet empereur (c. 74, 75, 76, p. 195-197).

[38] Caisamatium (καρξιμαδες, Ducange, Glos. Græci) vocant, amputatis virilibus et virga, puerum eunuchum quos Verdunenses mercatores ob immensum lucrum facere solent et in Hispaniam ducere (Luitprand, l. VI, c. 3, p. 470) ; c’est la dernière abomination de l’abominable commerce des esclaves. Au reste, je suis surpris de trouver en Lorraine, au dixième siècle, de si actives spéculations de commerce.

[39] Voyez l’Alexiade (l. III, p. 78, 79) d’Anne Comnène, qu’on peut comparer à mademoiselle de Montpensier, si on en excepte l’article de la piété filiale. Dans son profond respect pour les titres et les formes, elle donne à son père le nom de επιστημοναρχης, inventeur de cet art royal, τεχνη τεχνων et επιστημων επιστημη.

[40] Στεμμα, στεφανος, διαδημα (voyez Reiske, ad Ceremoniale, p. 14, 15). Ducange a publié une savante dissertation sur les couronnes de Constantinople, de Rome et de France, etc. (sur Joinville, XXV, p. 289-303) ; mais aucun des trente-quatre modèles qu’il donne ne s’accorde exactement avec la description d’Anne Comnène.

[41] Par exstans curis, solo diademate dispar,

Ordine pro rerum, vocitatus CURA-PALATI,

dit l’Africain Corippe (de Laudibus Justini, l. I, 136), et au même siècle, (le sixième) Cassiodore dit, en parlant de cet officier : Virga aurea decoratus inter numerosa obsequia primus ante pedes regis incederet (Variar., VII, 5). Dans la suite, les Grecs reléguèrent au quinzième rang ce grand officier ; il devint presque inconnu, ανεπιγωστος, et il n’exerçait plus de fonctions, νυν δε ουδεμιαν (Colin, c. 5, p. 65).

[42] Nicetas (in Manuel., l. VII, c. 1) le définit ainsi : ως η Λατινων φωνη καγκελαριον, ως δ' Ελληνες ειποιεν λοχοθετην. Cependant Andronic l’ancien y ajouta l’épithète de μεγας (Ducange, t. I, p. 822, 823).

[43] Depuis l’empereur Léon Ier (A. D. 470), l’encre impériale qu’on voit encore sur quelques actes originaux, fut un mélange de vermillon et de cinabre ou de pourpre. Les tuteurs de l’empereur, qui avaient le droit de s’en servir, écrivaient toujours l’indiction et le mois avec de l’encre verte. Voyez le Dictionnaire diplomatique (t. I, p. 511-513), abrégé précieux.

[44] Le sultan envoya un Σιαους à Alexis (Anna Comnena, l. VI, p. 170, Ducange, ad loc.) ; et Pachymere parle souvent du μεγας τζαους (liv. VII, chap. I ; l. XII, c. 30 ; l. XIII, c. 22). Le chiaoux bacha est aujourd’hui à la tête de sept cents officiers. Rycaut, Ottoman Empire, page 349, édit. in-8°.

[45] Tagerman est le nom arabe d’un interprète (d’Herbelot, p. 854-855), πρωτος των ερμηνεων ους κοινως ονομαζουσι δραγομανους, dit Codin (c. 5, n° 70, p. 67) Voyez Villehardouin (n° 96) Busbeck (épist. 4, p. 338), et Ducange (Observ. sur Villehardouin et Gloss. græc. et latin.)

[46] Κονοσταυλος ou κοντοσταυλος, mot venu par corruption du latin comes stabuli, ou du français connétable. Les Grecs ont donné à ce mot une acception militaire dès le onzième siècle, c’est-à-dire au moins d’aussi bonne heure que les Français.

[47] Ce fut de la langue des Normands que ce mot passa directement chez les Grecs. Au douzième siècle, Giannone compte l’amiral de Sicile parmi les grands officiers.

[48] Cette esquisse des honneurs et des emplois de l’empire grec est tirée de George Codinus curopalata, qui vivait encore après la prise de Constantinople par les Turcs. Son ouvrage frivole, mais travaillé avec soin (de Officiis Ecclesiæ et aulæ C. P.), a été éclairci par les notes de Goar et les trois livres de Gretser, savant jésuite.

[49] La manière de saluer en portant la main à la bouche, ad os, est l’origine du mot latin adoro, adorare. Voyez le savant Selden (Tules of Honour, vol. II, p. 143-145, 942). Il semble, d’après le premier livre d’Hérodote, que cet usage vient de la Perse.

[50] Luitprand décrit d’une manière agréable ses deux ambassades, à la cour de Constantinople ; tout ce qu’il vit et tout ce qu’il eut à souffrir dans la capitale de l’empire grec. Hist., l. VI, c. 14, p. 469-471 ; Legatio ad Niceph. Phoc., p. 479-489.

[51] Entre autres amusements de cette fête, un jeune garçon tint en équilibre sûr son front une pique ou une perche de vingt-quatre pieds de longueur, qui portait un peu au-dessous de son extrémité supérieure une barre de traverse de deux coudées. Deux autres, nus, mais couverts à la ceinture (campestrati), firent ensemble et séparément différents tours ; comme de grimper, s’arrêter, jouer, descendre, etc. ita me stupidum reddidit, dit Luitprand, utrum mirabilius nescio (p. 470). A un autre repas on lut une homélie de saint Chrysostome sur les Actes des Apôtres, clata voce non latine (p. 483).

[52] On a fait dériver avec assez de vraisemblance le mot gala, de cala ou caloat, qui, en arabe, signifie une robe d’honneur (Reiske, Not. in cœrom., p. 84).

[53] Πολυχρονιζειν, mot qu’on expliqué par celui de ευφημιζειν (Codin, chap. 7 ; Ducange, Gloss. græc., t. I, p. 1199).

[54] Cœremon., c. 75, p. 215. Les Grecs n’ayant pas le latin, furent obligés de se servir de leur β. Ces étranges phrases ont pu embarrasser quelques professeurs jusqu’au moment où ils y auront démêlé le véritable langage.

[55] Godin, p. 90. Je voudrais qu’il eût conservé, même avec quelque corruption, les mots de l’acclamation des Anglais.

[56] Voyez sur toutes ces cérémonies l’ouvrage de Constantin Porphyrogénète avec les notes, ou plutôt les dissertations des éditeurs allemands Leich et Reiske, sur le rang des personnes de la cour (p. 80 not. 23-62), sur l’adoration qui n’avait pas lieu les dimanches (p. 95-240, not. 131) ; sur les sorties triomphales (p. 2, etc. ; not., p. 3, etc.), sur les acclamations (passim, not. 257 etc.), sur, les factions et l’hippodrome (p. 177-214, not. 9-93, etc.), sur les jeux des Goths (p. 221, not. 3), sur les vendanges (p. 217, not. 109) : ce livre contient beaucoup d’autres détails.

[57] Et privato Othoni et nuper eadem dicenti nota adulatio. Tacite, Hist., I, 85.

[58] Les Familiæ byzantinæ de Ducange expliquent et rectifient le treizième chapitre de Administratione Imperii.

[59] Sequiturque, nefas ! Ægptia conjux (Virgile, Æneid., VIII, 688). Cette Égyptienne cependant était issue d’un grand nombre de rois. Quid te mutavit (dit Antoine à Auguste dans une lettre particulière), an quod reginam ineo ? Uxor mea est (Suétone, in August., c. 69). Cependant je ne sais et je n’ai pas le temps de rechercher si le triumvir a jamais osé célébrer son mariage avec Cléopâtre, selon les rites de Rome ou selon ceux de l’Égypte.

[60] Berenicem invitus invitam dimisit (Suétone, in Tito, c. 7). Je ne sais si j’ai observé ailleurs que cette beauté juive avait alors plus de cinquante ans. Le judicieux Racine s’est bien gardé de parler de son âge et de son pays.

[61] On supposait que Constantin avait donné des éloges à l’ευγενεια et à la περιφανεια des Francs, avec lesquels il avait établi des alliances publiques et privées. Les auteurs français (Isaac Casaubon, in Dedicat. Polybii) sont charmés de ces compliments.

[62] Constantin Porphyrogénète (de Administ. Imperii, c. 26) donne la généalogie et la vie de l’illustre roi Hugon. On se formera des idées plus exactes dans la critique de Pagi, les Annales de Muratori et l’Abrégé de Saint-Marc, A. D. 925-946.

[63] Luitprand, après avoir parlé des trois déesses, ajoute naturellement : Et quoniam non rex solus us abutebatur, earum nati ex incertis patribus originem ducunt (Hist., l. IV, c. 6). Voyez sur le mariage de la seconde Berthe, Hist., l. V, c. 5 ; sur l’incontinence de la première, Dulcis Exercitio hymenœi, l. II, c. 15 ; sur les vertus et les vices de Hugon, l. III, c. 5. Au reste, il ne faut pas oublier que l’évêque de Crémone aimait les chroniques scandaleuses.

[64] Licet iller imperatriæ græca sibi et aliis fuisset satis utilis et optima, etc. Tel est le préambule d’un auteur ennemi (apud Pagi, t. IV, A. D. 989, n° 3). Muratori, Pagi et Saint-Marc parlent de son mariage et des principales actions de sa vie, à la date de chacun de ces événements.

[65] Cedrenus (t. II, p. 699), Zonare (t. II, p. 221), Elmacin (Hist. Saracen., l. III, c. 6), Nestor (apud Lévesque, t. II, p. 112), Pagi (Critica, A. D. 987, n° 6) : singulier concours ! Wolodimir et Anne sont au nombre des saints de l’Église russe. Cependant nous connaissons les vices du premier, et nous ignorons les vertus de la seconde.

[66] Henricus prunus duxit uxorem scythicam, russam, filiam regis Jeroslai. Des évêques grecs furent envoyés en ambassade en Russie, et le père gratanter filiam cum multis donis misit. Ce mariage eut lieu en 1051. Voyez les passages des Chroniques originales dans les Historiens de France de Bouquet (t. XI, p. 29-159-161-319-384-481). Voltaire a pu s’étonner de cette alliance ; mais il n’aurait pas dû avouer son ignorance sur le pays, la religion, etc., de Jeroslas, nom si connu dans les annales de la Russie.

[67] Une des constitutions de Léon le Philosophe (78), Ne senatus consulta amplius fiant, par le langage du despotisme le plus déclaré.

[68] Codinus (de Officiis, c. 17, p. 120, 121) donne une idée de ce serment si fort envers l’Église, et si faible lorsqu’il s’agit des intérêts du peuple.

[69] Voici les menaces de Nicéphore à l’ambassadeur d’Othon : Nec est in mari domino, tuo classium numerus. Navigantium fortitudo mihi soli inest, qui cura classibus aggrediar, bello maritimas ejus civitates demoliar, et quœ fuminibus sunt vicina redigam in favillam. (Luitprand., in légat. ad Nicephorum Phocam, in Muratori Sriptores, rerum italiarum, l. II, part. I, p. 481). Il dit dans un autre endroit : Qui cæteris prœstant Venetici sunt et Amalphitani.

[70] Luitprand, in Legat., p. 487. Les deux livres de Administrando Imperio, répètent partout les mêmes principes politiques.

[71] Le dix-neuvième chapitre de la Tactique de Léon (Meurs. opera, t. VI, p. 825-848), qui a été publié d’une manière plus correcte, d’après un manuscrit de Gudius, par le laborieux Fabricius (Biblioth. græc., t. VI, p. 372-3 79), traite de la naumachia ou guerre navale.

[72] La flotte de Démétrius Poliorcète avait même des navires de quinze et seize rangs de rames, dont on se servait dans les combats. Quant au navire à quarante rangs de rames de Ptolémée Philadelphe, c’était un petit palais flottant, dont le port, comparé à celui d’un vaisseau anglais de cent canons, était, selon le docteur Arbuthnot (Tables of anciens Coins, etc., p. 231-236), dans le rapport de quatre et demi à un.

[73] Les auteurs disent si clairement que les dromones de Léon, etc., avaient deux rangs de rames, que je dois critiquer la version de Meursius et de Fabricius, qui pervertissent le sens d’après un aveugle attachement à la dénomination classique de trirèmes. Les historiens de Byzance se rendent quelquefois coupables de la même inexactitude.

[74] Constantin Porphyrogénète, in Vit. Basil., c. 61, p. 185 : il loue modérément ce stratagème comme un βουλην συνετην και σοφην ; mais, troublé par son imagination, il présente la navigation autour du cap du Péloponnèse comme un trajet de mille milles.

[75] Le continuateur de Théophane (l. IV, p. 122, 123), nomme les emplacements de ces signaux qui se répondaient les uns les autres : le château de Lulum près de Tarse, le mont Argée, le mont Isamus, le mont Ægilus, la colline de Mamas., le Cyrisus, le Mocilus, la colline d’Auxentius, le cadran du phare du grand palais. Il dit que les nouvelles se transmettaient, εν ακαρει, dans un instant : misérable exagération qui ne dit rien parce qu’elle dit trop. Il eût été bien plus instructif s’il avait indiqué un intervalle de trois, de six ou de douze heures.

[76] Voyez le Cérémonial de Constantin Porphyrogénète (l. II, c. 44, p. 176-192). Un lecteur attentif apercevra quelques contradictions en différentes parties de ce calcul ; mais elles ne sont pas plus obscures ou plus difficiles à expliquer que les états au complet et ceux des hommes effectifs, des soldats présents et de ceux qui sont en état de servir, des contrôles de revues et des congés, objets que dans nos armées modernes on a soin de couvrir d’un voile mystérieux et profitable.

[77] Voyez les cinquième, sixième et septième chapitres dans la Tactique de Léon, avec les passages qui leur correspondent dans celle de Constantin.

[78] Léon, Tactique, p. 581 ; Constantin, p. 1216). Cependant ce n’étaient pas les maximes des Grecs et des Romains, qui méprisaient l’art des archers, parce qu’ils combattaient de loin et en désordre.

[79] Comparez les passages de la Tactique, p. 669 et 721 ; et le douzième avec le dix-huitième chapitre.

[80] Léon, dans la préface de sa Tactique, déploie sans déguisement la perte de la discipline et les malheurs du temps ; il répète sans scrupule (prœm., P-537) les reproches de αμελεια, αταξια, αγυμνασια, δειλια, etc. ; et il paraît que sous la génération suivante les élèves de Constantin méritaient là même censure.

[81] Voyez dans le Cérémonial (l. II, c. 19, p. 353) l’étiquette observée lorsque l’empereur foulait à ses pieds les Sarrasins captifs, tandis qu’on chantait : Tu as fait de mes ennemis un marchepied, et le peuple répétait le Kyrie eleison quarante fois de suite.

[82] Léon observe (Tactique, p. 668) qu’une bataille rangée contre une nation quelconque, est επισφαλες, et επικινδυνον. Les mots sont énergiques et la remarque est juste : cependant si les premiers Romains avaient eu la même opinion, Léon n’aurait jamais donné de lois aux rivages du Bosphore de Thrace.

[83] Zonare (tom. II, l. XVI, p. 202, 203) et Cedrenus (Compend., p. 668), qui rendent compte de ce projet de Nicéphore, appliquent bien mal propos l’épithète de γενναιως à l’opposition du patriarche.

[84] Le dix-huitième chapitre, qui traite de la tactique des différentes nations, est le plus historique et le plus utile de tout l’ouvrage de Léon. L’empereur romain n’avait que trop d’occasions d’étudier les mœurs et les armes des Sarrasins (Tactique, p. 809-817, et un fragment d’un manuscrit de la bibliothèque des Médicis, qui se trouve dans la préface du sixième volume de Meursius).

[85] Léon, Tactique, p. 809.

[86] Luitprand, (p. 484, 485) rapporte et explique les oracles des Grecs et des Sarrasins, où, selon l’usage des prophéties, le passé est clair et historique, et l’avenir obscur, énigmatique et inexact. D’après cette ligne de démarcation de la lumière et de l’ombre, on peut communément fixer l’époque de chacun de ces oracles.

[87] On trouvé le fond de cette remarque dans Abulpharage (Dynast., p. 2, 62, 101) ; mais je ne me rappelle pas en quel endroit je l’ai trouvée sous la forme de ce piquant apophtegme.

[88] Ex Francis, quo nomine tam Latinos quam Teutones comprehendit, ludum habuit (Luitprand, in Legat. ad imp. Nicephor., p. 483, 484). L’étendue qu’acquit cette dénomination est confirmée par Constantin (de Administr. Imp., l. II, c. 27, 28), et par Eutychius (Annal., t. I, p. 55, 56), qui vécurent tous les deux avant les croisades. Les témoignages d’Abulpharage (Dyn., p. 69) et d’Abulféda (Præfat. ad Geogr.) sont plus récents.

[89] On peut consulter utilement sur ce point de discipline ecclésiastique et bénéficiaire, le père Thomassin (t. III, l. I, c. 40, 45, 46, 47). Une loi de Charlemagne affranchissait les évêques à service personnel ; mais l’usage contraire, qui a prévalu du neuvième au quinzième siècle, est confirmé par l’exemple ou le silence des saints et des docteurs. Vous justifiez votre lâcheté par les saints canons, disait Ratherius de Vérone ; mais les canons vous défendent aussi l’incontinence, et cependant.....

[90] L’empereur Léon a exposé d’une manière impartiale, dans le dix-huitième chapitre de sa Tactique, les vices et les qualités militaires des Francs (que Meursius traduit d’une manière ridicule par le mot de Galli) et des Loinbards ou Langobards. Voyez aussi la vingt-sixième dissertation de Muratori, de Antiquitatibus Italiæ medii ævi.

[91] Luitprand, in Legat., p. 480, 481.

[92] Luitprand, p. 482.

[93] Léon, Tactique, c. 18, p. 805. L’empereur Léon mourut A. D. 911. Un poème historique qui finit en 916, et qui semble avoir été composé en 940, par un Vénitien, parle des mœurs de l’Italie et de celles de la France. Anonym. carmen Panegyricum de Laudibus Berengarii Augusti, l. II, in Muratori, Script. rerum italic., t. II, pars I, p. 393.

[94] Justinien, dit l’historien Agathias (l. V, p. 157), πρωτος Ρωμαιων αυτοκρατωρ ονοματι και πραγματι. Au reste, les empereurs de Byzance ne prirent le titre formel d’empereur des Romains qu’après l’époque où les empereurs français et allemands de l’ancienne Rome voulurent le réclamer.

[95] Constantin Manassès a fait contre ce projet des vers barbares. Et il est confirmé par Théophane, Zonare, Cedrenus et l’Historia Miscella : Voluit in urbem Romam imperium transferre (l. XIX, p. 157) in. t. I, part. I, des Script. rerum ital. de Muratori.

[96] Paul Diacre, l. V, c. II, p. 480 ; Anastase, in Vitis Ponticum dans la Collection de Muratori, t. III, part. I, page 141.

[97] Consultez la préface de Ducange (ad Gloss. græc. medii œvi) et les Novelles de Justinien (VII, LXVI). L’empereur disait que la langue grecque était κοινος, la langue latine πατριος, pour lui, et enfin qu’elle était κυριωτατος pour le πολιτειας σχημα, pour le système du gouvernement.

[98] Matth. Blastares, Hist. jur., apud Fabricius, Bibl. græc., t. XII, p. 369. Le Code et les Pandectes furent traduits au temps de Justinien (p. 358-366). C’est Thalelæus qui publia la version des Pandectes, Théophile, un des trois premiers jurisconsultes chargés par Justinien de ce travail, a laissé une paraphrase élégante, mais diffuse, des Institutes. D’un autre côté, Julien, antécesseur de Constantinople (A. D. 570) CXX. Novellas græcas eleganti latinitate donavit. (Heineccius, Hist. J. R., p. 396), à l’usage de l’Italie et de l’Afrique.

[99] Abulpharage dit que la septième dynastie fut celle des Francs ou des Romains ; la huitième, celle des Grecs, et la neuvième, celle des Arabes (p. 96, vers. Pococke). Abulpharage avait étudié la religion chrétienne et, les matières ecclésiastiques, et il avait quelque avantage sur les musulmans plus ignorants.

[100] Primus ex Grœcorum genere in imperio confirmatus est ; ou, suivant un autre manuscrit de Paul Diare (l. III, c. 15, p. 443), in Grœcorum imperio.

[101] Luitprand., in Legatione, p. 486.

[102] Laonicus Chalcocondyles, qui survécut au dernier siège de Constantinople, raconte (livre I, page 3) que Constantin transplanta les Latins de l’Italie dans une ville grecque de la Thrace ; qu’ils adoptèrent la langue et les mœurs des naturels du pays, et qu’on confondit les naturels du pays et les Latins de Byzance sous le nom de Grecs.

[103] Voyez Ducange (C. P. Christiana, l. II, p. 150, 151), qui a recueilli les témoignages, non pas de Théophane, mais du moins de Zonare (t. II, l. XV, p. 104), de Cedrenus (p. 454), de Michel Glycas (p. 281), de Constantin Manassès (p. 97). Après avoir réfuté l’absurde accusation qu’on répandit sur le compte de l’empereur, Spanheim (Hist. Imaginum, p. 99-111) parle comme un véritable avocat, et tend à révoquer en doute ou à contester l’existence du feu, et presque de la bibliothèque.

[104] Selon Malchus, ce manuscrit d’Homère fut consumé par les flammes au temps de Basilicus. Il peut avoir été renouvelé, mais sur un boyau de serpent ! voilà qui paraît étrange et incroyable.

[105] L’αλογια de Zonare, et l’αγρια και αμαθια de Cedrenus, sont des expressions énergiques qui peut-être convenaient assez bien à ces deux dynasties.

[106] Voyez Zonare (l. XVI, p. 160 et 161) et Cedrenus (p. 549, 550). Ainsi que le moine Bacon, le philosophe Léon fut traité de sorcier par son siècle ignorant : l’injustice fut moins grande s’il est l’auteur des oracles qu’on attribue plus communément l’empereur du même nom. Les ouvrages de Léon sur les sciences physiques sont en manuscrit dans la bibliothèque de Vienne (Fabricius, Biblioth. græc., t. V, p. 366 ; t. XII, p. 781). Quiescant !

[107] Hanckius (de Scriptorib. Byzant., p. 269-396) et Fabricius discutent en grand détail ce qui a rapport au caractère ecclésiastique et au caractère littéraire de Photius.

[108] Εις ασσυριους ne peut signifier que Bagdad, résidence du calife. La relation de son ambassade aurait été curieuse et instructive. Mais comment se procura-t-il tous ces livres ? il ne dut pas trouver à Bagdad une bibliothèque si nombreuse ; il ne put la transporter avec ses équipages, et il est impossible de croire qu’il la portât dans sa tête. Cette dernière supposition, quelque incroyable qu’elle paraisse, semble cependant être soutenue par le témoignage de Photius lui-même, οσας αυτων η μνημη διεσωζε. Camusat (Hist. critiq. des Journaux, p. 87-94) expose très bien ce qui a rapport au myrio-biblon.

[109] Voyez les articles particuliers de ces Grecs modernes, dans la Bibliothèque grecque de Fabricius, ouvrage savant mais susceptible d’une meilleure méthode et de beaucoup d’améliorations. Fabricius parle d’Eustathe (t. I, p. 289-292, 306-329), de Psellis (Diatribe de Léon Allatius, ad calcem, t. 5), de Constantin Porphyrogénète (t. VI, p. 486-509), de Jean Stobée (t. VIII, p. 665-728), de Suidas (t. IX, p. 620-827) ; de Jean Tzetzes (t. VII, p. 245-273). M. Harris, dans ses Philological Arrangements (Opus senile), a donné une esquisse de cette littérature des Grecs de Byzance (p. 287-300).

[110] Gérard Vossius (de Poetis græcis, c. 6) et Le Clerc (Bibliothèque choisie, t. XIX, p. 285) indiquent, d’après des témoignages obscurs ou d’après des ouï-dire, un Commentaire de Michel Psellus, sur les vingt quatre comédies de Ménandre, alors existant en manuscrit à Constantinople. Ces travaux classiques paraissent incompatibles avec la gravité et la pesanteur d’un lourd savant qui palissait sur les catégories (de Psellis, p. 42), et il est vraisemblable qu’on a confondu Michel Psellus avec Homère Sellius, qui avait écrit les arguments des comédies de Ménandre. Suidas comptait au douzième siècle cinquante comédies de cet auteur ; mais il transcrit souvent l’ancien scholiaste d’Aristophane.

[111] Anne Comnène a pu s’enorgueillir de la pureté de sa diction grecque, et Zonare, son contemporain, mais non son adulateur, a pu ajouter avec vérité : γλωτταν ειχεν ακριβως Αττικιζουσαν. La princesse connaissait bien les dialogues pleins d’art de Platon, le τετρακυς ou le quadrivium de l’astrologie, la géométrie, l’arithmétique et la musique. Voyez sa préface de l’Alexiade, avec les notes de Ducange.

[112] Ducange, pour critiquer le goût des auteurs de Byzance (Prœf. Gloss. græc., p. 17), accumule les autorités d’Aulu-Gelle, de Jérôme Petronius, de George Hamartolus et de Longin, qui donnaient à la fois le précepte et l’exemple.

[113] Les versus politici, ces prostitués qui se livrent à tout le monde, comme le dit Léon Allatius, à cause de leur facilité, avaient ordinairement quinze syllabes ; ils ont été employés par Constantin Manassès, Jean Tzetzes, etc. Voyez Ducange, Gloss. latin., t. III, part. I, p. 345, 346, édit. de Bâle, 1762.

[114] Saint Bernard est le dernier père de l’Église latine, et saint Jean Damascène, qui vivait au huitième siècle, est révéré comme le dernier de l’Église grecque.

[115] Essais de Hume, vol. I, p. 125.