L’EMPIRE GREC ET LES BARBARES

PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE PREMIER. — LE TRANSFERT DE L’EMPIRE À BYZANCE.

 

 

Le transfert de la capitale du monde de Rome à Byzance marque une date critique dans l’histoire de cet empire romain, fondé par Auguste et qui ne devait succomber sous les coups des musulmans qu’après quatorze siècles d’existence. Cet événement, qui nous semble à distance si décisif, qui nous apparaît comme le signe visible de l’évolution mystérieuse accomplie dans les consciences au iv e siècle et de la rupture avec les traditions du passé, ne s'imposa pas à l’esprit des contemporains avec cette netteté et cette évidence. D’autres empereurs avaient habitué le monde romain avec cette idée, que les destinées de l’empire n’étaient pas attachées au séjour dans la ville de Romulus et d’Auguste. Trêves, Sirmium, Nicomédie, d’autres villes encore avalent abrité la fortune des Césars, successeurs de Dioclétien. Pourquoi n’en serait-il pas de Byzance comme de ces capitales de passage, nées d’un caprice des souverains ou de nécessités stratégiques qui tenaient au péril d’un moment ?

Ce qui fit la fortune durable de la capitale de Constantin, ce fut d’abord l’excellence de sa situation, puis la coïncidence de sa fondation avec l’adoption par les Césars de la religion chrétienne.

On a tout dit sur les merveilleux avantages de l’emplacement de Byzance. Encore aujourd’hui, les privilèges exceptionnels de cet emplacement en font le point de mire des visées de la politique européenne, l’objet des convoitises rivales des grandes puissances de l’Occident, comme si l’empire du monde y demeurait encore attaché. Bien avant Constantin, les empereurs avaient recherché une capitale moins excentrique que Rome, plus à portée des extrémités de l'empire, que leur devoir était surtout de défendre. Rome commandait naturellement à l’Italie, aux peuples délimités par le grand amphithéâtre des Alpes, à la rigueur à toutes les contrées de l’Occident ; elle n’était plus le centre du monde conquis par les aigles romaines ; son action ne pouvait se faire sentir qu'affaiblie sur les bords de l’Euphrate ou du Nil, dans les montagnes de l’Ibérie et de l’Arménie. Au IVe siècle, du reste, l'effort de la puissance romaine n’avait plus à se porter de préférence contre les tribus qui s’agitaient de l’autre côté du Rhin et du Danube ; Constantin, qui, de même que son père. Constance, avait vécu la plus grande partie de sa carrière en Gaule, savait à quoi s’en tenir sur les dispositions et les ressources de la Germanie. Il ignorait les orages et les tempêtes qui devaient se déchaîner de ce côté sur l’empire. Il lui semblait qu’un bon lieutenant, assisté de quelques légions, suffirait toujours à tenir en respect les incursions tumultueuses, les cohues indisciplinées, vomies périodiquement par les forêts Hercynienne et Carbonaire. Contre elles le Rhin paraissait une barrière à peu près infranchissable, et derrière le Rhin s’étendait comme base d’opération et de recrutement la Gaule, c’est-à-dire la province la plus profondément romanisée, la plus intimement liée par ses intérêts et sa civilisation à la fortune de Rome, la plus militaire, au témoignage d’Ammien Marcellin, par les instincts belliqueux de son sang et de sa race. La frontière d’Orient était loin d’offrir les mêmes garanties de solidité. De ce côté, la guerre était en permanence, guerre savante et dangereuse, qui dévorait les meilleurs généraux et les meilleures troupes de l’empire, depuis que s’était fondée et organisée la monarchie des Sassanides, portée au plus haut degré de puissance par Sapor II, le contemporain de Constantin et de Julien. Cette monarchie ne succomba que sous les coups d’Héraclius et des Arabes ; mais pendant plusieurs siècles elle tint constamment en échec toutes les forces de l’empire et lui infligea à plusieurs reprises d’humiliantes défaites. Pour se protéger contre de tels ennemis, nulle barrière naturelle, nul fleuve, nulle montagne, comme le Rhin et les Alpes ; et pour organiser la résistance, des populations inconsistantes et mobiles, sans énergie et sans ressort qui acceptèrent tous les maîtres et toutes les servitudes. Il n’échappait pas non plus aux hommes qui dirigeaient la politique romaine, que c’était l’Asie qui recrutait depuis longtemps la barbarie européenne, que les défilés du Caucase et la dépression ouralienne étaient les grands chemins d’invasion des peuples incessamment en marche vers l’Ouest ; et que, pour préserver l’Occident, c’était aux rives de l’Euxin et aux bouches du Danube qu’il fallait prévenir et arrêter les populations errantes dans les plaines de la grande Scythie[1].

Byzance répondait parfaitement aux exigences du rôle nouveau qui s’imposait aux Césars et aux nécessités de la défense nationale. Elle était en même temps le centre du monde et une capitale d’avant-garde. Située au point de contact de trois continents, l’Europe, l’Asie et l’Afrique, son port magnifique s’ouvrait aux vaisseaux de l’Orient et de l’Occident, et recevait pour nourrir la multitude de ses habitants les blés d’Alexandrie, de la Sicile et de la Chersonèse taurique ; l’étroitesse des chenaux du Bosphore et des Dardanelles lui permettait au contraire d’en fermer l'accès aux flottes ennemies. Couverte au midi par son fossé maritime, elle l’était au nord par la double ligne de défense des Balkans et du Danube ; par un fleuve, le plus grand de l’Europe, accru du tribut de toutes ses eaux, hérissé de forteresses bâties par les empereurs ; par des montagnes aux cols rares et étroits, barrés de murs solides partout ou un homme pouvait pénétrer. S’il arrivait, comme le cas se présenta plusieurs fois, que, par force ou par ruse, ces passages fussent emportés, il suffisait d’un revers de fortune pour mettre ces barbares à la merci des Byzantins ; pris entre la montagne, la mer et le fleuve, comme dans un filet sans issue, ils étaient condamnés à périr jusqu’au dernier ou à se rendre à la discrétion de leurs vainqueurs.

C’est un grand mérite pour un peuple comme pour un empire que de durer. L’empire romain, transféré à Byzance, alors que beaucoup prédisaient son agonie prochaine, a prolongé de dix siècles son existence. Il a survécu à la plupart des royaumes barbares qui s’étaient édifiés sur les ruines de ses provinces ; il a vu s’écrouler les empires de Charlemagne, des Otton, des Barberousse ; il a pu croire à l’éclipse totale de sa grande ennemie, la papauté, pendant les crises du Xe et du XIVe siècles. Cette vitalité extraordinaire, il faut certes l’attribuer en grande partie aux avantages de sa position, au choix heureux du fondateur de Constantinople. Mais c’est là ne rendre qu’une demi-justice aux Romains du Bas-Empire, tant et si injustement calomniés dans l’histoire. Si forte que soit une capitale, et celle-là a vu plusieurs fois l’ennemi à ses portes, sa supériorité stratégique ne suffit pas à expliquer ce miracle de longévité. D’autres causes, et entre toutes, la vigueur relative de ses institutions militaires, la souplesse et la merveilleuse activité de sa diplomatie, ont largement contribué à ces résultats.

Constantinople a les titres les plus sérieux à notre respect. Elle a conservé et sauvegardé le double dépôt des civilisations grecque et latine ; il y faut joindre la byzantine, fille légitime des deux premières, et qui, bien que fort inférieure, a pourtant son mérite et sa valeur propre. Elle a eu conscience de son rôle d’héritière du passé et d’initiatrice de l’avenir. Qui en douterait n’aurait qu’à lire la chronique et les opuscules du sénateur Nicétas, écrits au lendemain du sac de Byzance par les croisés latins. On a singulièrement exagéré, à notre avis, l’influence, réelle pourtant, des savants byzantins sur la renaissance littéraire et artistique de l’Occident. Comment concilier cette influence avec le décri habituel que les mêmes auteurs jettent sur la civilisation et sur l'œuvre politique tout entière de Byzance ? A la vérité, cette œuvre fut considérable. Contre les remparts de Constantinople sont venus pendant des siècles se heurter et se briser les flots successifs des invasions barbares, qui sans elle eussent submergé l’Europe. Cette résistance acharnée, qui ne connut que des trêves rares et courtes, permit aux nations occidentales de s’asseoir, de s’organiser et de discipliner leurs forces, jusqu’au moment où elles furent en étal de relever de sa faction Byzance, exténuée par ce long effort. Elle fit plus que d’arrêter le torrent des invasions hunniques, gothiques, bulgares, avares, persanes et musulmanes. Elle réussit, grâce à la propagande incessante et à la vertu civilisatrice de ses institutions politiques et religieuses, à fixer autour d’elle cette barbarie nomade, à émousser ses instincts de rapine et de destruction, à se communiquer à clic par ses missionnaires et ses agents de toutes sortes, à élever enfin ces tribus de Croates, de Serbes, de Bulgares, de Russes à la dignité de nations. La vie des empereurs de Byzance ne fut, à peu d’exceptions près, qu’un long combat et une perpétuelle croisade. Nous avons profité, plus que Byzance elle-même, de la fermeté de cette attitude et de cet héroïsme ; il n’est que juste d'en restituer l’honneur à qui de droit.

Il n’est pas douteux que Constantin ait entrevu ces avantages et deviné, du moins en partie, l’avenir réservé à la ville qu’il faisait, par un décret de sa volonté, ville impériale, et à qui il donnait son nom. Ce serait avoir une idée bien légère de sa clairvoyance que de penser qu’il eut les yeux fermés sur des mérites qui frappèrent immédiatement ses contemporains, et que les historiens ont célébré avec tant de complaisance. Toutefois, il est permis de croire que les considérations stratégiques ne furent pas les seules à déterminer les résolutions de l’empereur. Le récit, d’ailleurs très-hostile, du païen Zosime, nous fait pressentir des raisons d’un autre ordre qui, sans être prépondérantes, inclinèrent certainement Constantin à abandonner le séjour de Rome. Il n’aimait pas cette ville et les Romains ne l’aimaient pas. Rome était la ville du passé et des dieux qui avaient présidé à sa grandeur, la citadelle du paganisme. Avec Athènes, l’autre berceau de la civilisation païenne, elle était plus que toute autre ville attachée à ses cultes, à ses sacerdoces. Encore au temps de Théodose, la majorité de son sénat, recruté parmi les vieilles familles patriciennes, protestait contre le nouvel ordre de choses, et ne s’était pas laissée entamer par la propagande officielle du christianisme. Le feu sacré brûlait encore dans le foyer préservé par la piété des Vestales, et la dernière de ces vierges préposées au plus ancien sanctuaire de l’Italie, une vieille femme aux mains tremblantes, appelait gravement les malédictions divines sur la sacrilège Serena, femme de Stilicon, qui avait osé, pour le mettre à son cou, arracher le collier de perles de la statue de Rhéa. Constantin se sentait un étranger, on le sentait un profane au milieu de cette ferveur sérieuse et attristée. On ne lui pardonnait pas ses plaisanteries déplacées, quand ses soldats, vainqueurs de Maxence, étaient montés, selon la coutume, au Capitole pour remercier Jupiter de leur victoire. Ces dieux, il les avait déjà reniés dans son cœur ; dans la lutte contre les Césars, ses rivaux, il avait placé sa fortune sous la protection du Dieu des chrétiens, et le Dieu nouveau avait servi ses projets. Superstitieux et irrésolu, il avait joué ses croyances sur un coup de dé. Il restait fidèle à la foi du Christ, par qui il avait vaincu. Il méditait déjà certainement la transformation officielle du culte de l’empire. Le spectacle que lui offrit Rome, l’accueil froid et gêné qu’il y reçut, lui démontrèrent la difficulté de son entreprise dans ce milieu hostile. A un empire nouveau il fallait une capitale nouvelle ; à un culte sans passé et en contradiction avec la tradition romaine, il fallait pour théâtre une ville sans passé et sans tradition. Sa clairvoyance fit le reste, il choisit Byzance et en fit la nouvelle Rome.

Il s’attacha, du reste, à ménager habilement les transitions, de manière à ne s’aliéner définitivement les adhérents d’aucune des deux religions rivales. Il se fit assister dans les cérémonies de la fondation de la ville par le néoplatonicien Sopater, dont le syncrétisme philosophique ne pouvait alarmer aucune croyance. Les premiers temples qu’il éleva, le furent à des divinités symboliques, comme la Paix et la Sagesse, qui pouvaient passer pour des abstractions inoffensives et qui devinrent par la suite Sainte-Irénée et Sainte-Sophie. Pour orner les places et les monuments de sa cité d’élection, il dépouilla les temples de l’Asie et de la Grèce des merveilleux chefs-d’œuvre que l’antiquité leur avait légués : l’Apollon Pythien avec le trépied de Delphes, l’Apollon Sminthée, la Vénus de Cnide, la Junon de Samos, la Minerve de Lindos, peut-être le Jupiter d’Olympie. C’étaient là des rapts hardis et téméraires qui pouvaient passer aux yeux des païens dévots pour de réelles profanations. Mais il est permis de n’ajouter qu'une foi restreinte aux explications trop zélées d’Eusèbe, quand il attribue à Constantin la pensée d'avoir ainsi voulu exposer aux risées et aux insultes de la populace les images des démons de la Grèce. Constantin n’était ni un barbare, ni un iconoclaste. A défaut d'un reste d’attachement pour les dieux qu’avaient servis ses ancêtres, du moins conservait-il le goût du beau et le culte de l’art qui avait illustré la Grèce. Du naufrage du paganisme il sauvait à l’admiration des siècles les œuvres immortelles que le paganisme avait inspirées. D’ailleurs, les anathèmes d’Eusèbe ne furent point ratifiés par les Byzantins plus raffinés des âges suivants, il suffit de lire les regrets pieux et les plaintes touchantes dont les historiens néo-grecs accompagnent le récit, soit des incendies qui sous Zénon détruisirent une partie de ces merveilles, soit des mutilations volontaires dont elles furent les victimes de la part des croisés latins.

Mais la volonté de l’empereur eut beau décréter de toutes pièces la création d’une grande capitale ; il eut beau agrandir l’enceinte de Byzance, l’entourer de murailles, y bâtir le Palais et l’Hippodrome, y transporter avec les services publics quelques-unes des familles patriciennes de Rome, qui furent l’embryon du sénat nouveau, il manqua toujours quelque chose d’essentiel à cette parvenue ; elle garda toujours un caractère artificiel et comme une faiblesse originelle, dont elle se ressentit jusqu’à sa chute. Une capitale, surtout la capitale du monde, ne s’improvise pas. Elle est la résultante d’un milieu, des efforts de toute une race qui a travaillé à sa lente croissance, qui a vécu sa bonne et sa mauvaise fortune, qui a grandi avec elle et s’est couronnée avec elle. A ces conditions seulement elle est une patrie pour ceux qui l’habitent ; elle a une personnalité, faite de celle de tous les citoyens qui l’ont édifiée. Rome plongeait de toutes ses racines dans le monde latin. Elle devait sa sève et sa vigueur à cette population de paysans, dure à la peine, âpre au gain, robuste et saine, pépinière incomparable d’administrateurs et de soldats. Si solide était cette race, que ses traits essentiels ont survécu aux âges et aux innombrables croisements de race ; et non pas seulement les traits, mais encore les saillies du caractère, l’amour de la domination et la science du commandement. La papauté a continué l’empire avec les mêmes ambitions. Rien de pareil n’exista jamais à Constantinople. Du jour de sa naissance, elle ne fut qu’un caravansérail. La lie de tout l’Orient s’y déversa, submergeant le faible noyau de Romains qu’entraîna Constantin dans sa désertion. Juvénal se plaignait déjà que l’Oronte eût envahi le Tibre. Il eût été bien autrement dépaysé dans la nouvelle Rome. Rien ne lui eût rappelé les vieilles mœurs et les rudes Sabins. Les races asiatique et grecque dominaient dans ce mélange exotique. Les juifs y vinrent en foule, humbles et serviles, mais forts par leur esprit d'association et de charité, bientôt indispensables. L’Egyptien d’Alexandrie, le Syrien d’Antioche se sentaient chez eux et entendaient partout résonner leur langue. Spéculateurs affairés, pédagogues, sophistes, gens de petits métiers, marchands d’argent et marchands d’esclaves, baladins, mimes, proxénètes, aventuriers faméliques pressés de faire fortune aux dépens des besoins ou des vices d’autrui, tout ce monde interlope fondit sur Byzance comme sur une proie et s’en ht une patrie. Rome aussi, dans les derniers siècles de l’empire, avait subi l’assaut de la corruption orientale. Mais la rudesse native de ses nationaux, la simplicité grossière et pratique de son fonds latin avait fait dans une certaine mesure contre-poids. Dans la nouvelle Rome, le contre-poids fut insensible et ce fut l'élément barbare qui le fournit. Il n'est pas enfin jusqu’au milieu physique qui n’ait à la longue modifié le fonds primitif et cosmopolite qui forma le peuple de Byzance. Au climat rudement contrasté du Latium succédèrent les ciels d’Orient et les tièdes langueurs du Bosphore. Les Turcs eux-mêmes, une des plus fortes races qui aient vécu, en ont subi les séductions dangereuses et goûté les charmes énervants.

De cet amalgame, formé du résidu des civilisations orientale et occidentale, sortit un peuple avec des mœurs particulières et originales, frivole, superstitieux et fanatique ; séduit par les pompes solennelles du palais, par les processions, les exhibitions de toutes sortes dont on amusait sa curiosité, n’ayant rien gardé de la gravité romaine, remuant, bruyant et bavard ; tour à tour aplati devant les manifestations de la force, en adoration devant ses Césars, puis les brisant comme verre dans des accès de furieux délire ; insolent et familier avec les autocrates qu’il invoque et redoute, comme ces dévots de Sicile qui battent et insultent le saint qui refuse de les exaucer. Du pain et le cirque, tel était, nous dit-on, le cri de la décadence romaine. A Byzance, la formule est à peine modifiée. Pourtant la populace y est moins cruelle qu’à Rome ; elle ne se plaît point aux jeux féroces qui amusaient même les matrones et les vestales ; au sang largement répandu, versé à flots dans les simulacres de combats et les naumachies, aux hideuses scènes d’abattoir de l’arène. Les Grecs avaient de tout temps répugné à ces boucheries qui révoltaient en eux le sentiment esthétique. Les Byzantins héritèrent de ces répugnances. Ils préféraient dans l’hippodrome les baladins, les obscénités des mimes et des tableaux vivants, les exhibitions d’animaux rares ou habilement dressés, les défilés de prisonniers barbares, par-dessus tout les courses de chevaux. Ils avaient emprunté aux Romains non-seulement ce goût que déjà raillait amèrement Ammien Marcellin[2], mais aussi Tordre de ces spectacles et jusqu’au nom et au costume des jockeys, les Venètes et les Prasiniens, les Bleus et les Verts, qui se disputaient les faveurs de la foule. Les courses avaient fini par devenir une institution publique et nationale, un des rouages du gouvernement. Le peuple, suivant ses préférences, se partageait entre ces deux couleurs et suivait haletant, avec des cris passionnés et frénétiques, les péripéties de la lutte. De là deux factions, ou plutôt deux partis, qui souvent en vinrent aux mains, après la victoire ou la défaite de leurs favoris. La rivalité de cochers célèbres, l’importance des enjeux, l’intérêt même de la lutte engagée, ne suffisent pas à expliquer ces passions. Ces jeux et ces couleurs masquaient d’autres préoccupations, d’autres rivalités. Les contemporains y voyaient le conflit des forces qui se disputaient l’empire. Il suffisait que l’empereur, tenu par sa dignité à l’impartialité, passât pour favoriser une faction, pour que ses ennemis se rejetassent immédiatement dans la faction adverse. C’était là une des formes de l’opposition politique et religieuse. L’orthodoxie changeait de couleur suivant les préférences ou les antipathies du souverain. La faveur déclarée de Justinien pour les Venètes souleva la sédition Nica, où il faillit perdre sa couronne. Les libertés publiques n’avaient jamais existé à Byzance ; depuis des siècles les comices étaient fermés ; le peuple n’avait aucune part à la nomination de ses magistrats et de ses maîtres. L’autocrate ne souffrait aucun contrôle à ses actes, aucune limitation à ses volontés. Mais on ne prive jamais impunément un peuple de toute participation à la chose publique, de tout moyen légal de manifester ses besoins, ses faveurs et ses plaintes. Le forum et l’agora supprimés, l’hippodrome devint l’exutoire des passions politiques. Il remplaça les comices par centuries et par tribus. Au cirque, le peuple recouvrait sa liberté et prenait toutes les licences. Il couvrait César de ses anathèmes, lançait l’injure aux magistrats prévaricateurs et concussionnaires, dénonçait violemment les abus, vengeait la foi et l’intégrité du dogme, assaisonnait du langage des ports et des marchés ses récriminations bruyantes. C’est au cirque que le plus souvent les empereurs étaient acclamés ou déposés ; au cirque que les généraux vainqueurs conduisaient leurs triomphes ; au cirque qu’après dix ans d’exil, Justinien Rhinotmète revenait pour fouler publiquement aux pieds l'aspic et le basilic, c’est-à-dire les deux usurpateurs qui l’avaient détrôné.

Avec l’hippodrome, l’Eglise était l’autre foyer et le plus ardent de la vie publique, A coup sur, depuis le petit peuple hébreu, constamment tenu en haleine dans l’attente de sa destinée mystique par le génie inspiré de ses prophètes. aucun peuple ne vécut, plus imprégné de religiosité, dans un commerce plus intime avec les choses divines et surnaturelles. Pour les Byzantins, l’empire était l’empire de Dieu, l’objet de ses prédilections et de son élection. Ils croyaient à son intervention dans toutes leurs affaires ; ils vivaient dans un miracle continu. Aussi superstitieux que les vieux Romains, ils interrogeaient et interprétaient avec une curiosité passionnée, ils notaient avec soin dans leurs chroniques, toutes les dérogations à l’ordre habituel de la nature, le passage des comètes, les éclipses, la tempête et la sécheresse, toutes les monstruosités ; ils voulaient voir dans ces faits des avertissements et des révélations de la volonté divine. Aussi, pour les Byzantins l’orthodoxie était la grande affaire ; le dogme, le champ de bataille où les opinions entraient en conflit ; on s’égorgeait, on faisait des émeutes et des révolutions pour un mot, pour une lettre introduite ou supprimée dans le Credo. El ce n'étaient pas seulement les moines, qui d’ailleurs pullulaient à Byzance, les théologiens de profession qui se passionnaient pour ces querelles, mais les plus humbles et jusqu’aux portefaix des ports et aux marchandes de légumes. On discutait sur la nature du Christ, sur l’unité ou la diversité de volonté des trois personnes de la Trinité, dans les faubourgs populeux comme dans le palais du prince. Les injures étaient des anathèmes ; on s’insultait dans le langage des théologiens.

Les exemples de cette passion éristique foisonnent dans l’histoire byzantine. On connaît l'incident demi-burlesque, demi-tragique du Trisagion. L’idée vint à l'empereur Anastase de faire ajouter A l'hymne du Sanctus, ces paroles : qui crucifixus est pro nobis. Le peuple vit dans cette innovation un retour à l’hérésie d’Eulychès, attendu que les trois personnes n’avaient pas souffert sur la croix. Au moment donc où, sur l’ordre de l’empereur, les clercs entonnaient l’hymne amendé, le peuple se mil à vociférer l’hymne orthodoxe. Ce fut à qui des deux factions couvrirait la voix de l’autre. De là un indescriptible tumulte qui finit en émeute. Le vieil empereur, le chef découronné du diadème, dut comparaître à l’hippodrome et faire amende honorable à son peuple. Deux épisodes, empruntés à la vie de Théodose II, marquent bien la mobilité d’impressions de cette populace et les sentiments dominants qui l’agitaient. Pendant les jeux du cirque, une épouvantable tempête se déchaîna sur la ville, glaçant d’effroi les spectateurs. L'empereur se lève : Cessons les jeux, s’écrie-t-il, et tous, prions le Seigneur de nous préserver de sa colère. Tous aussitôt se jettent à genoux ; l’empereur commence les versets des psaumes ; la foule l’accompagne, chantant à l’unisson. La ville, dit le chroniqueur, semblait une grande église[3]. Une autre fois, encore à l’hippodrome, Théodose II apprend la défaite de l’usurpateur Joannès et la victoire des armées impériales. Les jeux s’arrêtent. Tous plaisirs cessants, dit l’empereur, allons à l’église et remercions Dieu, dont la droite a terrassé le tyran. La procession s’ordonne dans le cirque même, l’empereur en prend la tête, et tous, chantant les psaumes, se rendent à l’église pour rendre grâce au Très-Haut[4].

On devine quelle influence devait prendre le patriarche dans une société remuée par de telles passions. Cette influence fut souvent prépondérante et menaçante pour l’autorité impériale, surtout dans le premier siècle de l’empire chrétien. La pente était glissante et le patriarche risquait de dégénérer en tribun. Tel fut Jean Chrysostome, le plus éloquent des pasteurs de Byzance. La foule était suspendue à ses lèvres, s’agitant et s’apaisant au gré de sa parole agressive et brûlante. L’empereur et l’impératrice, directement visés par lui dans ses discours, le redoutaient et tentèrent de l’exiler. Le peuple, furieux, alluma un incendie qui faillit anéantir la ville entière. Il fallut rappeler le patriarche. Son retour fut un véritable triomphe, une humiliation profonde pour les princes, qui réussirent plus tard à se venger du prélat. Dès lors, les Césars se tinrent en garde contre une si dangereuse rivalité. Le patriarche eut un maître dans l'empereur, souverain des choses terrestres et divines et qui détourna sur sa personne le prestige de la dignité ecclésiastique. Il fut choisi avec d’infinies précautions, docile et soumis à une autorité plus haute, qui empruntait directement ses droits de l’investiture céleste. Il ne fut qu’un subalterne, même dans les choses sacrées, un ministre des affaires religieuses, sans initiative, sous le contrôle de l’empereur ; une sorte de chapelain dépendant et à gages, qu’on brisait à la moindre résistance. L’empereur ne voulut point de partage de son autorité ; il prit le patriarche pour un collaborateur ; il ne souffrit jamais en lui un adversaire.

Cette exclusive préoccupation de l’orthodoxie a marqué d’un sceau tout particulier le génie byzantin. Ailleurs, l’idéal religieux a suscité des œuvres grandioses et d’un charme pénétrant. A Byzance, il semble que la religion soit toute formelle ; elle se dépense en cérémonies multipliées, en pratiques minutieuses d’une observance étroite et littérale. Sa théologie a borné et rétréci l’horizon de l'esprit humain. L’idée chrétienne, au lieu de féconder le génie grec combiné au génie latin, semble l’avoir stérilisé. La dialectique si souple et si subtile des écoles athéniennes appliquée à la théologie, aboutit à des controverses interminables et fastidieuses, à un bavardage sénile et vain. Il ne reste de cette littérature pas une page d’où se dégage une pensée personnelle, où palpite un sentiment, où circule un souffle de vie. Si l’on met de côté l’œuvre de Procope, qui est pourtant de second ordre, l’histoire y dégénère en chronique, tantôt sèche, tantôt prolixe, jamais intéressante, sinon pour l’érudit en quête de documents précis. A ces écrivains, qui pourraient garder l’anonyme, tant leur personnalité est absente de leur œuvre, il ne faut pas demander de critique. Le point de vue auquel ils ramènent tout, d’après lequel ils jugent les hommes et les choses, est le point de vue orthodoxe. De là des gageures qui déconcertent la morale et le sens commun. Irène a crevé les yeux à son fils, elle l’a tué pour régner à sa place. Elle n’en passe pas moins pour sainte et vénérable ; car elle a rétabli au second concile de Nicée le culte des images. On a souvent rapproché des chroniqueurs byzantins nos premiers écrivains nationaux, et en particulier Grégoire de Tours. Le point de vue est en effet le même. Le pieux évêque a parfois d’étranges complaisances et des trésors d’indulgence pour quelques-uns de ses héros, Clovis, Sigebert et Gontran. Mais l’homme et le chrétien transparaissent toujours dans ces récits, tout empreints de la mansuétude résignée et de la piété naïve de l’auteur. L’idéal est peu relevé, ses jugements sur le monde bornés, sa philosophie pratique accommodante. Ces défauts sont ceux de son temps et de la barbarie qui a flétri toute culture dans la Gaule romaine. Du moins l’œuvre est-elle au plus haut point originale, infiniment plus intéressante et plus vraie que celles qui sortiront des monastères de Byzance, où pointant la science était en honneur, où les écoles fleurirent sous la protection des souverains.

L’art subit comme la littérature cette influence déprimante ; il en souffrit comme elle. Architectes, ingénieurs, mathématiciens, les Byzantins ont presque égalé leurs maîtres de Rome et d’Athènes. Us avaient la science des lignes et le sentiment des justes proportions. Ils ont édifié Sainte-Sophie, qui n’est pas seulement une œuvre du calcul, mais aussi une merveille de pierre. Comme ornemanistes, ils valent les Arabes. Ils prodiguent dans leurs décorations l’or, les pierres précieuses, les mosaïques ; mais ils ont dans les yeux la lumière de l’Orient ; ils sont nés coloristes. Au contraire, les arts plastiques, la peinture et la sculpture végètent misérablement. Leur dessin n’a que la sécheresse sans la grâce. Ils ont oublié les belles formes, dédaignent le nu, ignorent l’anatomie. On pardonne aux Occidentaux leurs gaucheries et leurs ignorances ; ces barbares sont des enfants mal doués qui s’essaient. Comment excuser les Byzantins, à qui ne manquaient certes ni l’habileté de main, ni la connaissance des procédés techniques, et qui de plus marchaient et vivaient au milieu des chefs-d’œuvre d’un Olympe païen palpitant dans le marbre et le bronze ! On De renonça jamais à Byzance, sauf à l’époque de la persécution iconoclaste, à manier le pinceau et à tailler le marbre. Des légions de moines s’étudiaient dans les couvents à enluminer les images. Mais l’idéal avait changé. L’art qui vit de liberté, suspect aux premiers chrétiens comme entaché de paganisme, s’était fait le serviteur de l’orthodoxie. Il s’était figé dans des types hiératiques immuables, où l’on recherchait moins la justesse des contours et l’harmonie des formes, que l’exactitude des attributs. On eut des recettes, que la tradition consacra pour représenter Dieu le Père, le Christ, la Vierge et les saints. Il fut permis d’être peintre et statuaire sans être artiste. On visa, non à la beauté qui, au point de vue du salut, est chose accessoire, dangereuse et périssable, mais à l’édification des fidèles. Des formes parfaites eussent distrait l’attention des dévots de la pensée de Dieu, et les eussent entraînés dans le péché d’idolâtrie. Ainsi s’éteignit l’art antique dans la platitude et le ridicule. Et Byzance était un musée de merveilles, et il y avait encore des artistes et des hommes de goût pour les admirer et s’en faire gloire.

Les Byzantins furent avant tout des érudits. Ils appréciaient les richesses dont leur ville était pleine, et ils surent les conserver. Dépourvus du génie créateur, ils dressèrent l’inventaire et le répertoire des œuvres originales que l’antiquité leur avait léguées, sans y ajouter que fort peu de leur propre fonds. Le type de ces savants du Bas-Empire est Photius ; un encyclopédiste qui, dans le domaine de la religion, se montra un audacieux novateur, et qui, dans le domaine de l’esprit, ne sut que compiler. Sa bibliothèque, qui est pour nous du plus grand prix, contient l’analyse et le résumé des lectures qu’il a faites. La théologie, comme il convient, y tient la place d’honneur ; mais on voit qu’il n’est étranger à aucune des sciences de son temps. Lui- même, du reste, les fit revivre à Byzance, après la défaveur dont elles avaient été l’objet sous les empereurs iconoclastes. La fin du neuvième siècle et le dixième, marqués d’une si lamentable décadence dans les pays de l’Occident, virent poindre une Renaissance en Orient. C’est par ccs travaux de second ordre, œuvres patientes de commentateurs cl de compilateurs que la culture littéraire et scientifique se soutint à Constantinople. C’est là proprement son originalité, s’il est permis d’appliquer ce terme à une civilisation qui précisément manque d’œuvres originales.

Le transfert de l'empire de Rome à Byzance eut dans l’ordre politique des conséquences bien autrement profondes et lointaines.

Et d’abord l’éloignement de la capitale impériale, l’orientation de la politique byzantine, tournée presque exclusivement du côté de l’Asie, permit aux royaumes barbares de l’Occident de s’organiser conformément à leur génie propre. Sans doute un lien moral continua pendant plusieurs siècles encore à rattacher ces royaumes à l’empire ; mais ce lien alla toujours se relâchant et s’affaiblissant. A la fin de la période mérovingienne, il n’était plus qu’un souvenir. Au lieu de retenir ces provinces dans son obédience directe, de les gouverner par ses préfets, de contenir par ses légions les invasions franques et germaines qui se superposèrent au fond gallo-romain, les empereurs n’entretinrent plus avec ces membres, lointains de la république que des rapports diplomatiques. Tout le cours de la civilisation se trouva changé par cette désertion. Il est à coup sûr oiseux de se demander quel eût été le développement intellectuel et moral de la Gaule, de l’Espagne et de la Germanie, si l’empire eût persisté à résider â Rome. On peut du moins constater que l’affaissement fut subit et profond. L’Occident entra brusquement dans les ténèbres. Plongé dans un chaos d’institutions et de mœurs disparates et souvent contradictoires, il ne put compter pour en sortir que sur ses seules ressources et dut tirer tout de son propre fonds. Ce fut une genèse laborieuse et pénible. La société évolua lentement vers la forme féodale, qui atteignit vers le treizième siècle son point de perfection, perfection très-relative, du reste ; car cette demi-civilisation, héroïque et barbare, a peu servi en somme la cause du progrès humain. Pour faire lever cette lourde pâte, il fallut demander son ferment généreux à l’antiquité, c’est-à-dire à Byzance, qui en avait gardé pieusement le dépôt dans ses bibliothèques et ses conservatoires.

Quant à Rome, elle dut une seconde vie au départ de ses empereurs. Découronnée de son privilège de capitale du monde, ses temples fermés, ravagée par les Goths et les Vandales, envahie par les inondations et les pestes, réduite parfois à vingt mille habitants à peine, elle semblait irrévocablement vouée à la ruine et à la mort. L’empire, en la quittant, semblait lui avoir enlevé toute vie. Ainsi pensèrent les derniers Césars qui préférèrent à cette nécropole Ravenne et Milan. Elle avait voulu rester fidèle à ses dieux, et le paganisme expirant semblait l’entraîner avec lui dans sa tombe. Les poètes qui faisaient l’ornement de la cour d’Orient célébraient sa rivale comme une jeune fille rayonnante de beauté et parée des plus brillants atours ; ils ne la traitaient que de vieille décrépite, couverte de rides. On ne lui gardait un reste de respect officiel qu’en considération de son glorieux passé, et parce quelle était la mère du nouvel empire. Personne n’entrevoyait le prestigieux avenir auquel elle était promise.

Sous ces ruines, en effet, couvait un germe de vie que le temps allait féconder ; de ces décombres allait sortir un arbre aux racines obscures, plongeant jusque dans la profondeur des Catacombes, et dont les rameaux couvriraient tout l'Occident de leur ombre. L'empire éclipsé, le champ restait libre pour la papauté qui naissait. Si l’empire eût duré au lieu de son berceau, l’arbre serait mort étouffé dans son germe. L’évêque de Rome n’eût été qu’un patriarche, en tout semblable à son collègue de Byzance, dépendant, subalterne, écrasé par le voisinage de l’empereur. Constantin servit donc doublement la cause de l’Eglise, en adoptant le christianisme comme religion officielle, en laissant Rome à son évêque. Le divorce qui est à la racine des institutions chrétiennes, la séparation entre le spirituel et le temporel, entre Dieu et l’Etat, se manifesta par l’évidence des faits ; Rome à Dieu et à son vicaire, successeur de Pierre et des apôtres ; Constantinople à César. Vainement celui-ci réclama pour la majesté impériale la direction spirituelle et morale de la chrétienté. Rome resta pour les catholiques le siège de la tradition et les papes s’en constituèrent les gardiens. L’intégrité du dogme y demeura plus sûrement à l’abri des tentatives des hérésiarques et des fantaisies du pouvoir. Pendant les persécutions, elle fut un asile, le refuge inviolable de l’orthodoxie menacée. Ni Alexandrie, ni Antioche, bientôt la proie des musulmans, ni Constantinople, pleine de l’omnipotence de ses autocrates, ne purent prétendre à cette indépendance et à cette action. C’est en Orient que naissent les hérésies ; c’est en Orient que s’assemblent les conciles ; c’est Rome qui prépare les solutions et qui les impose.

D’ailleurs Constantin n’avait pas emporté avec lui tout l’héritage impérial. Il restait à Rome le souvenir d’elle-même, à tout l’Occident le souvenir de son passé. Ce passé couvrait le présent de son ombre et enveloppait l’évêque de Rome de tout le prestige de la grandeur impériale. Les peuples avaient pris une telle habitude d’obéir aux ordres partis des bords du Tibre, que lorsque cette parole retentit du Latran, elle fut écoutée avec le même respect que lorsqu’elle venait du Palatin. Tout n’était pas fiction dans la pièce apocryphe connue sous le nom de Testament de Constantin. En réalité, c’était bien en faveur du pape, que l'empereur, fuyant Rome, avait abdiqué sa suprématie sur l’Occident ; pour lui, bien plus que pour ses faibles successeurs qui reparaîtront en Italie, qu’il avait dépouillé les insignes de la majesté impériale, afin d’en revêtir l’héritier de saint Pierre ; et la dalmatique, et la tiare, et le sceptre, et le globe surmonté de la croix. La renonciation ne fut point authentique ; aucun notaire impérial ne l’a rédigée, aucun César ne l’a souscrite. Elle n’en est pas moins l’expression d’une vérité historique profonde, le symbole d’une situation réelle. Le vide laissé en Occident par le départ de l’empire fut rempli par la papauté.

 

 

 



[1] Constantin Porphyrogénète, De administ. imperio., Lib. I, cap. I.

[2] Ammien Marcellin, lib. XIV, cap. 6. Les Venètes avaient adopté la couleur bleue, qui passait pour symboliser le ciel, le Prasiniens la verte, qui symbolisait la terre. On faisait remonter l’origine de ces jeux et de l’adoption de ces couleurs à Œnomaüs, le fondateur des courses d’Olympie. Dès le début de l’empire, ces courses avaient été en grande faveur à Rome. Les empereurs eux-mêmes prenaient souvent parti. Vitellius favorisa les bleus, Caligula les verts. (Dion, I, 59 — Suétone, ad Vitellium.)

[3] Socrate, Hist. eccl., lib, VII, cap. 22.

[4] Socrate, Hist. eccl., lib, VII, cap. 23.