HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME TROISIÈME

 

CHAPITRE VIII

 

 

Suites déplorables de la guerre civile. — Prisonniers passés par les armes derrière l'Hôtel-de-ville. — Tribunal composé pour les juger. — Caveaux de l'Hôtel-de-Ville. — Détails affreux acquis aux débats. — Exécutions de la place Saint-Jean, de la rue du Roi-de-Sicile, de la rue de Jouy, de la rue Cloche-Perche. — Fusillades de l'Ave-Maria, de la rue Saint-Paul, de la rue Saint-Antoine et de l'Arsenal. — Prisonniers immolés, dans le quartier Popincourt et dans les casernes Saint-Martin et Poissonnière. — Quels sont les vrais coupables de ces actes d'inhumanité. — Mots affreux. — Le mal était préconçu. — Traits d'humanité recueillis çà et là. — Le capitaine Guindorff. — La barrière Ménilmontant et celle des Trois-Couronnes. — Impuissance de quelques hommes à s'opposer au torrent furieux. — Débordement de mauvaises passions sans exemple. — Nouvelle série de calomnies inventées par la presse réactionnaire. — Le Jardin des Plantes. — Contes stupides. — La postérité ne pourra jamais croire à tous les moyens employés par les réactionnaires pour semer l'irritation, la défiance, la peur et la haine. — Signaux télégraphiques de nuit. — Croix rouges et vertes aperçues sur les portes des maisons. — Incendie, pillage. — Boulettes incendiaires et poudre inflammable. — La Réforme attaque la conspiration de la calomnie. — Rappel à la fraternité.

 

Nous avons passé l'éponge, autant que nous l'avons pu, sur le massacre des prisonniers pendant la bataille ; beaucoup de ces exécutions n'étant connues que vaguement, nous n'eussions jamais osé les présenter comme certaines.

Mais tant d'autres encore ont rougi le pavé de Paris, même après le combat ; tant et de si nombreux attentats contre l'humanité ont été dénoncés par des témoins irrécusables, qu'ils sont devenus du domaine de l'histoire. Il faut donc en parler encore.

Et pourtant nous eussions voulu ne plus revenir sur ces néfastes journées ; nous sentions le besoin de laisser respirer un moment ceux qui, dans l'avenir, liront la relation de ces malheurs publics, accumulés sur la patrie par quelques heures aussi fécondes en calamités que plusieurs siècles. Mais il nous reste aussi à faire connaître les suites de cette guerre civile, suites non moins déplorables que la lutte fratricide elle-même. Ne pouvant faillir à la tâche que nous nous sommes imposée, nous essaierons de la rendre moins pénible pour nous en laissant parler eux-mêmes nos devanciers.

On s'explique difficilement, dit une relation des journées de juin[1], comment le quartier de l'Hôtel-de-Ville, où commandait le général Duvivier, constamment opposé à l'exécution des prisonniers, où se trouvait M. Flottard, qui exposa plusieurs fois sa vie pour en sauver quelques-uns, où M. Marrast aimait mieux laisser les prisonniers entassés que de les confier à la garde nationale ou à la mobile ; on s'explique difficilement comment ce quartier fut l'un de ceux où l'on massacra lé plus de prisonniers.

Il paraît, ajoute la même relation, qu'on avait établi une sorte de tribunal composé d'officiers supérieurs, qui jugeait les prisonniers à mesure qu'on les amenait[2]. Ils étaient conduits à l'interrogatoire au milieu des plus mauvais traitements. On avait fait plusieurs catégories : tous ceux qui avaient les mains noires étaient condamnés à mort par ce tribunal ; le mot d'ordre était : Donnez-leur de l'air ; et aussitôt les gardes mobiles les conduisaient aux lieux des exécutions. On fusillait dans la cour et même au bas de l'escalier qui conduit à la Salle Saint-Jean, où, assure-t-on, les cadavres se trouvaient entassés le matin du lundi. On en fusilla sur le pont d'Arcole et sur l'ancien pont Louis-Philippe. D'autres insurgés, et en grand nombre, furent fusillés sur le quai, et sur la berge au-dessous de l'Hôtel-de-Ville.

 

D'ailleurs la position de ceux des prisonniers qu'on entassait dans les caveaux de l'Hôtel-de-Ville était telle que la mort eût été préférable aux tourments qu'ils ; y enduraient, La plupart n'y étaient arrivés qu'après avoir été meurtris de coups de crosse ; tous ou presque tous avaient été précipités dans ce gouffre plutôt qu'ils n'y étaient descendus, et leurs corps étaient couverts de contusions. Là, sans air, sans lumière, sans nourriture, respirant des émanations mortifères, ces malheureux prisonniers furent obligés de séjourner plus de soixante heures dans l'eau glaciale et bourbeuse qui suintait de tous côtés. On assure même que lorsqu'ils demandaient un peu d'eau potable pour étancher leur soif ou laver leurs blessures, les factionnaires placés à l'entrée de cet enfer leur répondaient à coups de fusil tirés au hasard par les soupiraux.

Ces détails horribles nous parurent longtemps exagérés. Mais lorsqu'on révéla les tortures inouïes qu'eurent à supporter les nombreux prisonniers jetés dans les caveaux des Tuileries, tortures dont il faudra bien parler, nous avons dû nous rendre à l'évidence. Le fait des coups de fusil tirés au hasard, par les soupiraux, sur ces masses humaines où chaque balle devait porter, n'a plus pu être contesté par personne dès l'instant où il a été acquis aux débats des conseils de guerre, que, même dans les casemates des forts, et alors que les passions devaient être calmées, les factionnaires en agissaient ainsi à l'égard des prisonniers, et tiraient en aveugles, avec l'approbation des chefs.

Après le combat long et meurtrier que nécessita la marche du général Perrot le long de la rue Saint-Antoine, la troupe et les mobiles se livrèrent à des recherches minutieuses dans toutes les maisons, et elles y ramassèrent beaucoup de citoyens présumés insurgés. Comme les dénonciations conduisaient souvent ces recherches, les chefs des détachements chargés de cette dure mission crurent devoir laisser carte blanche à leurs soldats. C'est ainsi que sur la place Saint-Jean, dans la rue du Roi-de-Sicile, dans celles de Jouy, Cloche-Perche, et dans la cour de l'Ave-Maria, eurent lieu, pendant la soirée du 25, un grand nombre d'exécutions militaires, dont le chiffre total indiqué par quelques témoins effraie l'imagination[3].

Un peu plus avant, la rue Saint-Paul vit aussi ses fusillades. On compta encore bien des cadavres dans la cour d'une pension de la rue Saint-Antoine, et l'on jeta dans les chantiers attenant à la place de la Bastille les cadavres des insurgés fusillés à l'Arsenal.

Dans le Marais et le faubourg du Temple, où la résistance fut si opiniâtre, ce qu'on appelait des représailles furent aussi des plus sanglantes. On enleva près de quarante morts d'une cour de la Vieille-rue-du-Temple et de quelques autres maisons. Nous avons déjà mentionné les exécutions qui eurent lieu aux bords du canal ; nous devons ajouter que d'autres actes pareils furent commis en divers endroits du quartier Popincourt : on fusilla des insurgés dans la rue déserte des Amandiers, dans l'avenue Parmentier, en face des abattoirs ; on en fusilla encore dix-sept devant la caserne ; enfin les mobiles fusillèrent en route des blessés qu'ils étaient chargés de conduire au Val-de-Grâce, et on tira un coup de canon à mitraille sur des insurgés qui venaient d'obtenir la faculté de se retirer.

Tous les prisonniers faits dans les faubourgs du nord témoins des premiers actes de la lutte furent conduits dans la caserne Saint-Martin, et principalement dans celle du faubourg Poissonnière, dont les cours, ainsi que celle de Saint-Lazare, furent également témoins de plusieurs fusillades.

Arrêtons-nous ici, et taisons cette foule d'exécutions de détail et de vengeances personnelles exercées dans l'ombre, dont, la terrible responsabilité ne pouvait d'ailleurs atteindre que quelques soldats exaspérés ou excités, que quelques gardes nationaux stupidement féroces. Essayons de soulever le voile, et demandons à la France quels sont les vrais coupables du meurtre de tant de ses enfants.

Sont-ce ces jeunes mobiles qui, ayant vu leurs rangs décimés par les balles des insurgés, croyaient peut-être avoir acquis le droit de représailles sur les prisonniers ? Sont-ce ces adolescents qui, n'ayant jamais fait la guerre, se présentaient devant les barricades dans un état permanent de surexcitation causé par l'odeur de la poudre et par les boissons alcooliques dont ils firent un usage si immodéré, pendant et après le combat, et se trouvaient ainsi privés de leur sang-froid et de leur raison ? Non, car ceux-là frappaient en aveugles sur ce peuple dont ils étaient issus, sur ce peuple avec lequel ils avaient toujours sympathisé.

Les coupables peuvent-ils être ces soldats à qui l'on apprend l'art de tuer l'ennemi, mais qu'on habitue aussi à respecter l'homme vaincu et désarmé ?

Non. — Les coupables de ces déshonorantes infractions au droit des gens, aux droits de l'humanité, se trouvent dans une autre sphère.

Les coupables sont ceux qui, voulant profiter de cette terrible occasion pour écraser leurs ennemis politiques, soufflaient d'en haut le feu de la destruction contre ceux qui avaient naguère chassé les dynasties ; ce sont ceux qui travaillaient nuit et jour à déchaîner toutes les mauvaises passions.

Les vrais coupables sont ces chefs militaires dont la vieille haine contre la démocratie se traduisait au moment du combat, par les ordres impitoyables qu'ils transmettaient et faisaient donner verbalement aux soldats ; ordres barbares, dignes tout au plus de sauvages qui cherchent à s'entre-détruire ;

Les vrais coupables sont ceux de ces chefs qui, lorsque leurs soldats hésitaient à immoler les prisonniers, n'avaient à la bouche d'autre mot que celui-ci : fusillez-les !

Les vrais coupables sont encore ces prétendus soutiens de la république honnête et modérée, qui ayant eux aussi déclaré une guerre à mort aux révolutionnaires, mais ne voulant pas personnellement encourir la responsabilité de leurs vengeances, disaient aux détachements chargés de conduire les prisonniers : soignez-les en route, soignez-les à votre arrivée ! mot dont l'horrible signification glaçait le cœur des hommes vraiment honnêtes et modérés ;

Les coupables sont encore ces gardes nationaux venus à Paris pour assouvir leur haine ; ceux qui poursuivaient les insurgés dans les champs Comme ils auraient chassé les loups, et ceux enfin qui, pouvant sauver quelques-uns de ces malheureux, n'eurent pas le courage de compromettre leur autorité.

Qui ne comprend, en présence de cette formidable association dans une même pensée : la destruction de la démocratie parisienne ; qui ne comprend que le mal ainsi préconçu serait inévitable !...[4]

Après avoir enregistré sommairement tous ces actes d'une aveugle fureur ou d'une cruauté sauvage, on se sent heureux de pouvoir citer quelques traits d'humanité propres à prouver qu'au milieu de cet affreux délire, des chefs et des soldats se rappelèrent que les prisonniers étaient aussi des hommes, et que leur vie ne devait pas dépendre du premier caporal ivre ou féroce.

Après la prise, par la troupe, de la barricade élevée dans la rue des Rosiers, qui avait résisté si longtemps, les soldats furieux voulaient fusiller plusieurs hommes qu'on avait arrêtés. Mais le capitaine Guindorff de la 7e légion s'y opposa de toutes ses forces, raconte l'auteur des Fastes de la Garde nationale. Vous qui avez été braves pendant le combat, dit-il à ces soldats, soyez généreux après la victoire. Ces hommes sont vaincus, désarmés ; ils sont coupables, je n'en doute pas ; mais nous devons laisser à la justice le soin de les punir. Le capitaine Guindorff avait montré de la bravoure pendant l'action ; son intrépidité l'avait fait remarquer des soldats ; il s'était ainsi acquis une certaine influence, dont il se servit pour sauver les prisonniers.

Il allait les conduire sous bonne escorte, à l'Hôtel-de-Ville, quand on entendit pousser des cris de détresse du côté de la rue des Juifs. Il se précipita aussitôt vers cette rue, après avoir chargé l'adjudant Cornillat de le remplacer. Arrivé à la rue des Juifs, le capitaine Guindorff aperçut un groupe d'hommes en blouse que des soldats se disposaient à fusiller. Déjà ces malheureux étaient couchés en joue ; mais le capitaine se jette courageusement entre les fusils et les hommes en blouse : Soldats, s'écrie-t-il, qu'allez-vous faire ? — Vous le voyez, capitaine, répondit un des soldats, nous allons faire justice de ces gredins-là. — Comme officier de la garde nationale, je ne puis permettre un pareil massacre. Quelques murmures se firent entendre : Écoutez-moi, mes braves, reprit le capitaine. Lorsque nous sommes en guerre avec l'étranger, si nous faisons des prisonniers, nous les épargnons, nous les respectons. Eh bien ! pourquoi n'agirions point de même avec des Français, avec des frères égarés ? Vous êtes tous, comme moi, des enfants du peuple ; comme moi, vous savez ce que c'est que la misère et la faim ; fusillerez-vous des hommes que les souffrances ont aigris, ont égarés ? Non, vous ne le ferez pas, parce que vous êtes des soldats français, parce que vous n'êtes pas des bourreaux, voilà pourquoi vous allez les conduire avec moi, à l'Hôtel-de-Ville, pour les livrer à la justice, qui décidera du sort de ces malheureux !Ces paroles prononcées avec vigueur, ajoute encore le même auteur, désarmèrent les soldats. Ils consentirent à conduire leurs prisonniers à l'Hôtel-de-Ville[5].

— A la barrière Ménilmontant, lit-on plus loin, dans le même livre-, des gardes nationaux des 2e et 3e légions avaient fait un assez grand nombre de prisonniers. Des hommes qui s'étaient joints comme volontaire à la garde nationale, insistaient pour fusiller ces malheureux[6]. Des officiers de la milice citoyenne et de la troupe de ligne s'y opposaient de toutes leurs forces. Un caporal de la 3e légion dit à ces hommes que la colère égarait : Et moi aussi, j'ai le droit de demander la vie de quelqu'un, car mon frère vient d'être tué près de moi ; cependant je m'oppose à tout acte de vengeance. — Oui, soyons humains, dit un soldat ; traitons les prisonniers des insurgés comme ils ont traité les nôtres. Un camarade et moi, nous avons été faits prisonniers par les insurgés, et rendus à la liberté sur parole ; on ne nous a fait aucun mal ; à la vérité on nous a désarmés ; mais on nous a traités avec humanité, et nous n'avons manqué de rien.

Ces paroles simples et généreuses sauvèrent ces prisonniers.

— A peu de distance de là, à la barrière des Trois-Couronnes, ajoute le même auteur, les 5e et 6e Compagnies du 1er bataillon de la 3e légion avaient enlevé plusieurs barricades : elles avaient eu, à ces affaires, quelques blessés... Cependant les prisonniers que ces gardes nationaux firent en assez grand nombre furent par eux protégés et conduits dans un des dépôts établis provisoirement à Paris.

— A l'affaire de La Villette, la prise des barricades n'avait pas terminé la tâche des gardes nationaux conduits par le général Lebreton ; ils étaient maîtres du terrain ; mais les insurgés s'étaient réfugiés soif, dans les ; maisons, soit dans les chantiers, soit dans les endroits où ils espéraient se soustraire aux recherches. Les soldats citoyens commencèrent à fouiller partout. Le garde national Bouvier, ancien militaire, que son courage et sa taille avaient fait également remarquer, ayant appris que quelques-uns de ces malheureux s'étaient enfermés dans une cave, descendit le premier, affrontant la mort dont on le menaçait, et fit prisonnier tous ceux qui s'y trouvaient. Là aussi, cette garde nationale, qui avait vu ses frères tomber à ses côtés et qui rencontrait à chaque pas des hommes noirs de poudre ou les armés à la main, fit taire sa douleur et son ressentiment pour se montrer généreuse après la victoire : elle sut respecter dans les vaincus des hommes dévolus à la justice[7].

Enfin, nous lisons dans une autre relation spéciale des journées de juin les détails suivants relatifs au faubourg Saint-Antoine, après sa soumission :

Les cris de vengeance sont extrêmement rares, et ceux de la miséricorde dominent. Les héroïques vainqueurs se montrent généreux. Un émeutier trouvé dans une maison était vivement menacé par quelques citoyens exaspérés, lorsqu'un artilleur de la garde nationale intervint en s'écriant : pitié pour les vaincus ! Des représentants qui se trouvaient là applaudirent à cette parole : elle fut aussitôt répétée, et le prisonnier put être conduit sain et sauf en lieu sûr.

C'est avec bonheur que nous citons ces traits d'humanité. Malheureusement, ces quelques faits honorables pour le caractère national n'apparaissent çà et là que comme d'impuissantes digues que quelques hommes ont voulu imposer au torrent furieux qui entraînait tout sur la même pente ; ils servent, au contraire, de preuves irréfutables des meurtres commis là où ne se trouvèrent pas quelques chefs assez fermes ou assez bien disposés pour empêcher ces funestes exécutions ; aussi resteront-elles classées dans l'histoire à côté des moyens de répression employés par l'aristocratie contre l'insurrection de la jacquerie ; à côté des massacres de la Saint-Barthélemy ; de ceux de Cabrières et de Mérindol et des dragonnades ; car toutes les cruautés des ennemis du peuple sont frappées au même coin.

Il y eut, en juin 1848, un débordement de mauvaises passions, tel qu'il est difficile d'en trouver d'exemples, même en remontant aux plus mauvais jours de nos annales ; et malheureusement ce débordement vint d'en haut. Tous les moyens que la haine peut imaginer furent mis en œuvre par les hommes qui se disaient appelés à remplir la noble magistrature de la presse ; ils les utilisèrent pour nuire à leurs ennemis ; pour les perdre, pour les déshonorer. La presse réactionnaire ne recula devant aucun genre de calomnies, quelque cruelles, quelque honteuses qu'elles fussent ; elle passa successivement des insinuations malveillantes aux dénonciations positives, des inventions les plus atroces aux fables les plus absurdes, des relations les plus fausses et les plus odieuses, aux contes les moins croyables : ce fut ainsi qu'elle descendit graduellement des horreurs qu'elle imputait si mensongèrement à ses ennemis, jusqu'aux niaiseries les plus stupides.

Cela fut au point qu'aux jours que nous appellerons de la décadence ; par opposition à ceux de la recrudescence des dénonciations et de la calomnie, la presse réactionnaire, celle qui exprimait la pensée de cette partie de la population qualifiée d'honnête et modérée, raconta très-sérieusement à ses lecteurs que les insurgés retranchés au Jardin des Plantes avaient dévoré, pendant les trois jours de la lutte, les oiseaux rares des volières, et détruit toute la faisanderie. Ils n'ont pas même épargné les petits oiseaux exotiques, ajoutait-elle.

Et comme il était d'usage que chaque feuille soumise à la même impulsion mît un peu du sien dans ce qu'elle empruntait au premier informé, et que l'on arrivait ainsi d'amplifications en exagérations jusqu'aux extrêmes, cette première dénonciation d'actes de gloutonnerie imputée aux insurgés se trouva, le lendemain ; reproduite dans les plus grandes dimensions par le journal le Bien public :

Les daims, les cerfs, les bisons et toute la race lanigère, ont été abattus pour faire la soupe ; les animaux féroces et les singes n'ont été respectés qu'après un conseil tenu par les insurgés, qui se sont amusés à tirer sur l'éléphant ; cet animal, grâce à sa forte cuirasse, n'a pu être blessé.

Ainsi que cela se voyait toujours, les démentis ne tardaient pas à arriver ; mais la nouvelle n'en circulait pas moins, malgré son absurdité, et l'effet calculé était produit.

Il n'est pas vrai, lisait-on le lendemain dans un autre journal, que les oiseaux et les herbivores du Jardin des Plantes aient été précipités dans la marmite des insurgés, ainsi que plusieurs journaux l'annoncent ; quelques fuyards seulement ont passé par le Muséum, et n'y ont causé aucun dommage.

— Le jardin du Luxembourg et le Jardin des Plantes, ajoutait quelques jours après le journal le Conciliateur, sont rouverts au public. Les insurgés n'ont dévoré ni les autruches ni les canards, comme l'avait dit le Constitutionnel.

Des faits de cette nature, qu'on aurait pu considérer comme des facéties, s'ils n'eussent pas été publiés sérieusement et toujours dans l'intention de calomnier, la presse réactionnaire tomba enfin dans les contes de bonnes femmes. Pendant plusieurs jours il ne fut question que de télégraphes sur les toits, correspondant la nuit, disait-on, avec les insurgés ; et on disait cela plusieurs jours après la compression complète de l'insurrection ! On occupa aussi le public de croix rouges et vertes aperçues sur la porte des maisons que l'on devait, disait-on, piller ou incendier, afin de venger la défaite. Puis enfin on prévint les habitants de Paris de se méfier de certaines boulettes incendiaires et d'une poudre inflammable que les amis des insurgés semaient sur le pavé de Paris, dans l'intention, sans doute, d'allumer impunément un incendie général.

Non, jamais la postérité ne pourra croire à tous les moyens atroces ou ineptes qui furent employés par les réactionnaires pour semer l'irritation, la défiance, la peur et la haine ; non, elle ne croira jamais avec quelle déplorable rapidité on accréditait ainsi les bruits les plus odieux, les plus absurdes, les plus niais. La postérité ne se fera une juste idée de la facilité avec laquelle les contre-révolutionnaires émouvaient ainsi toute une ville d'un million d'habitants, que lorsqu'elle saura que plus d'un tiers de cette population se recrute sans cesse de ce que les petites villes et les campagnes ont de superflu illettré, pétri d'ignorance et de préjugés, n'ayant aucune notion du juste ou de l'injuste, ne connaissant d'autre puissance au monde que la force, et ne venant à Paris, à la suite de quelque parent établi, que pour s'y créer une existence ou y faire fortune dans ces petits trafics qui rétrécissent encore toutes les facultés humaines. C'est cette partie de la population qui, en sous-ordre, soutient tous les mauvais gouvernements et se dévoue aux plus détestables causes ; aveuglée qu'elle est par les vices permanents de son éducation primitive et par son sordide égoïsme. Quand la postérité connaîtra le fond de ces terribles dissensions politiques entretenues au milieu du foyer de la civilisation, dans le berceau de la liberté, elle ne s'étonnera plus de cette suite de révolutions et de contre-révolutions dont notre époque est témoin, parce qu'elle apercevra toujours en présence et toujours en état d'hostilité, les divers éléments politiques dont se compose notre société en cette période de lutte et d'enfantement.

Toutefois nos neveux croiront difficilement que la ville aux grandes révolutions, que la ville des lettres, des sciences, des arts, des lumières, ail pu être mise en émoi, tourmentée, affectée par les bruits stupides que les feuilles réactionnaires répandirent durant plusieurs jours, après la compression totale de l'insurrection, et alors que les plus hardis, étouffés par le poids de l'état de siège, se courbaient jusqu'à terre pour laisser passer la tempête. Nous sommes forcés de consigner ici quelques échantillons de ces bruits, afin qu'on ne puisse pas supposer qu'ils sont d'une invention plus récente.

On lisait, le 1er juillet, dans le Constitutionnel, feuille habituée à donner le mot d'ordre en fait d'inventions calomnieuses, la dénonciation suivante :

On a appelé plusieurs fois l'attention de la police sur les signes au moyen desquels les conspirateurs communiquaient entre eux. Un grand nombre d'habitants de Paris ont pu voir, la nuit ; d'un point culminant, tel que la hauteur de Montmartre, des lumières ascendantes et descendantes se correspondre sur des toits dans tous les quartiers. Les faits ont été plus d'une fois dénoncés. Cependant aux jours de la bataille ces moyens de communication existaient encore. Ils ont servi puissamment aux progrès momentanés de l'insurrection. Au moment de la reddition du faubourg Saint-Antoine, on a remarqué que des signes particuliers ont été employés, La nuit dernière, d'après des informations que nous avons lieu de croire exactes, on en a vu sur les toits de la rue Saint-Honoré.

Ainsi voilà l'éveil donné. Quelque visionnaire, atteint d'insomnie, a tout observé, tout coordonné, tout calculé ; et, quoique ses dénonciations n'offrent qu'un vague à faire lever les épaules, Paris entier n'en est pas moins prévenu de la présence de ces dangereux signaux de nuit.

Le lendemain chaque journal avait fait sa découverte de même nature.

L'Estafette annonçait que le posté de la garde nationale occupant la rue Bleue avait fait une capture importante, celle de quatre individus qui, du faîte d'une maison de la rue Bergère, faisaient manœuvrer une illumination plus que suspecte.

Le Siècle ajoutait que l'état-major de la garde nationale avait constaté, pendant la nuit, des signaux partant des maisons qui avoisinent la place du Carrousel. Quatre chandelles, ajoutait-il sérieusement, placées aux fenêtres les plus élevées, étaient alternativement élevées ou abaissées, tantôt une, tantôt deux, tantôt toutes les quatre..... Le fait a été déclaré et procès-verbal a été dressé.

— Hier au soir, dit encore une autre feuille, des gardes nationaux se sont emparés, dans la rue Richelieu, d'un individu qui, de la fenêtre de son cinquième étage, échangeait depuis une heure des signaux avec Montmartre, à l'aide de deux lumières qu'ils élevaient et abaissaient alternativement. Cet individu, qui expliquait fort mal sa conduite, a été amené chez le commissaire.

— La police a arrêté, cette nuit, ajoutait la Gazette des Tribunaux, deux hommes et une femme qui faisaient des signaux de nuit rue Neuve-des-Bon-Enfants ; ces signaux correspondaient, dit-on, avec Montmartre.

Enfin, et pour en finir avec ces télégraphes de nuit, le Constitutionnel annonçait que, le 4 juillet, à quatre heures, des gendarmes avaient fait, sur la place de la Concorde, une capture importante, à savoir : quatre individus signalés comme se livrant à ces signaux de nuit dont l'apparition avait donné l'éveil à la police.

Mais ces mêmes journaux se gardaient bien de faire connaître le résultat des investigations de l'autorité à l'égard de tous ces télégraphes de nuit, composés de une, deux ou quatre chandelles ; le ridicule les eût par trop frappés de discrédit ; car ces prétendus signaux n'étaient guère que des lampes à réverbères dont se servent bien des ouvriers logés au cinquième ou sixième étage. Mais ces feuilles, qui abusent ainsi de la crédulité publique, ne peuvent pas empêcher que les journaux de l'autre opinion ne bafouent leurs visions, après les investigations que leur position prescrit :

On fait grand bruit dans Paris, dit la Réforme, des télégraphes qu'on aurait établis de certaines maisons, et qui servent, dit-on, de signaux aux insurgés. L'hôtel de Nantes, place du Carrousel, et la rue de Rohan, étaient signalés à la police par leurs manœuvres télégraphiques. C'était de là, assurait-on, que partaient, chaque nuit, tous les signaux qui apportaient la crainte ou l'espérance aux insurgés. Hier encore, le quartier était en émoi ; le télégraphe jouait comme d'habitude en verres de couleur. Aussitôt M. Perrot, commandant de la garde nationale, est averti ; tout le Palais National est sous les armes. Le général dépêche un commissaire, M. Sanson, sur le lieu du crime ; il monte sur une terrasse, et, pour tout télégraphe, il surprend trois lampions tricolores et isolés que le vent fait vaciller. Le propriétaire déclare qu'il les allumait régulièrement tous les soirs, depuis la déplorable nuit du 27, afin de servir à éclairer la place assez obscure en cet endroit.

Voici encore une autre version que les Nouvelles du jour publièrent pour démontrer le néant de ces alarmes de nuit :

Un graveur du quai de l'École, qui a besoin d'une lumière très-intense pour ses travaux, et dont l'atelier est situé au sixième étage, a vu son domicile violemment envahi par la garde nationale. Il a eu beaucoup de peine à leur faire comprendre que sa lampe et le transparent dont il se sert pendant le jour n'étaient nullement des ustensiles télégraphiques.

— Un cordonnier en chambre, logé au septième étage de la grande maison qui fait le coin de la rue de Choiseul, sur le boulevard des Italiens, racontait une autre feuille, s'est vu l'objet d'une visite nocturne à laquelle il ne s'attendait guère ; il la doit à la boule d'eau qui lui transmet la lumière reflétée de sa lampe ; cette clarté, souvent vacillante, a été prise par des visionnaires pour des signaux télégraphiques envoyés à Montmartre. Il aurait d'abord fallu s'enquérir si les habitants de Montmartre ne sont pas trop éloignés pour apercevoir cette clarté ; mais nos fonctionnaires n'y regardent pas de si près.

Enfin le Peuple Constituant, journal du représentant Lamennais, raillait ainsi les signaux des toits :

Nous engageons tous les citoyens à s'abstenir de se promener, soit pendant le jour, soit pendant la nuit, sur les terrasses et belvédères qui dominent les maisons, dans le but de prendre le frais ou d'interroger au loin l'aspect de la ville par un clair de lune. Plusieurs coups de fusil ont été tirés ces dernières nuits sur des personnes qui, grimpées ainsi au faîte de leur maison, n'étaient probablement que de simples curieux, mais dont on ne pouvait apprécier les intentions.

Il va sans dire qu'on n'entendit jamais parler des résultats de toutes les informations judiciaires ouvertes à ce sujet, les prétendus télégraphes de nuit correspondant avec des insurgés qui n'existaient plus que dans les imaginations effrayées, ayant été reconnus partout n'être que les effets des lumières plus ou moins intenses, plus ou moins fixes, dont ont besoin quelques genres de travaux exécutés dans les chambres.

Mais nous n'avons pas encore fini avec tous les bruits sinistres que les journaux réactionnaires accréditaient avec tant de facilité au milieu de certaine partie de la population ; il nous resté encore à parler des croix rouges apposées, disait-on, sur beaucoup de maisons que l'on devait piller, croix qui troublèrent le sommeil de tant de propriétaires et de portières, non moins que les boulettes et les poudres inflammables destinées à incendier Paris. Les feuilles contre révolutionnaires nous avaient réservé ces derniers faits, dignes de leur imagination, comme le bouquet d'un feu d'artifice ; C'est qu'il était impossible d'aller plus loin dans le domaine de l'absurde.

C'est d'abord le journal qui s'intitule la Providence qui s'exprime ainsi :

Plusieurs maisons avaient été marquées, pendant les événements, de croix vertes ou rouges. La croix verte désignait, dit-on, le pillage ; la croix rouge l'incendie.

Ainsi, voilà les insurgés qui quittent leurs barricades pour se faufiler dans les quartiers occupés par les troupes, non pas pour aller les en chasser, mais pour désigner par avance les maisons qu'ils doivent brûler et celles qu'ils pilleront seulement. Le fait ne peut être mis en doute ; tous les journaux réactionnaires l'affirment : qui pourrait ne pas les croire ? Écoutez l'honnête Messager :

Un journal dit que sur les boulevards un grand nombre de maisons ont été marquées par de petites croix rouges, que ce signe s'est également trouvé dans les 10e et 11e arrondissements, et qu'on en a remarqué plusieurs exactement pareils dans l'intérieur des maisons. Nous pouvons affirmer que plusieurs maisons de la rue Neuve-des-Petits-Champs, et entre autres celle d'un bijoutier, ont été également désignées à l'aide d'un signe identique.

Mais là montagne ne tarde pas à accoucher. Les Nouvelles du jour rassurent et les propriétaires, et les locataires, et les portières crucifiés.

Nous avons vu ce matin des citoyens se préoccuper péniblement des signes rouges apposés sur un grand nombre de maisons, dit cette feuille réactionnaire ; les suppositions les plus exagérées circulaient à ce sujet. Là, c'étaient des maisons suspectes ; ici, c'étaient des maisons marquées pour le pillage. Dieu merci ! ce n'est rien de tout cela : ces signes indiquent simplement la place où doivent être fixées les nouvelles plaques en porcelaine portant le numérotage des maisons.

Voilà le fait des signes d'incendie et de pillage bien expliqué ; ce qui n'empêche pas qu'encore aujourd'hui, à plus d'un an de distance, on rencontre une foule de propriétaires et de portières parlant toujours du danger auquel ils ont échappé. C'est que les infirmités morales de l'humanité ne se guérissent pas dans un jour.

Ces braves gens qui se croyaient sans cesse poursuivis par l'ombre des insurgés s'ingéniaient à se mettre à la torture.

Ce matin, on trouvait, dans toute la longueur de la rue Neuve-des-Petits-Champs, racontait le Messager, des boulettes incendiaires qui s'enflammaient sous les pieds des passants.

Ce journal se bornait ainsi à raconter le fait.

Mais la feuille la Providence était bien plus explicite ; elle révélait dans toute sa noirceur le complot des vaincus.

Un fait assez curieux cl qui mérite d'être rapporté, disait-elle, s'est passé aujourd'hui rue Croix-des-Petits-Champs. Vainqueurs, le pillage ; vaincus, l'incendie, lisait-on sur les, drapeaux des insurgés. L'insurrection domptée poursuit son programme. Une poudre fine, jetée sur les trottoirs et inflammable au moindre frottement, a éveillé l'attention des passants, qui, aussitôt ont revêtu l'uniforme pour faire la police de leur quartier. Que l'autorité ne s'endorme pas !

Nous pourrions citer un plus grand nombre de ces niaiseries ; mais il nous suffit d'avoir prouvé à nos lecteurs que nous n'en avons inventé aucune, et que toutes ces stupides dénonciations sont bien sorties de la presse contre-révolutionnaire, lorsque, fatiguée d'avoir parlé de tête coupées, de mobiles mutilés par les insurgés, elle se trouva dans la nécessité d'inventer une autre série de calomnies nouvelles.

Ces honteuses saturnales qui se déroulent à nos yeux, s'écriait le journal la Réforme, en reprenant la parole ; ces criées publiques de noms suspects, ces dénonciations infâmes, ces calomnies atroces qui sifflent de toutes parts, ces débauches des partis qui se font pourvoyeurs de geôle, tout cela est triste et mérite châtiment, car cela déshonore, cela dégrade un pays : c'est la bassesse et la violence accouplées !

Est-ce que l'on croit servir la cause de la civilisation, en élevant des barricades de calomnies contre des barricades de révolte, en dénonçant des faubourgs entiers comme un bagne, comme un camp de pestiférés, en inventant des chroniques empoisonnées et tellement hideuses qu'elles souilleraient les annales d'un peuple anthropophage ?

Oui, l'insurrection est coupable quand le suffrage universel est appliqué, quand le peuple est souverain, et que, par son vote, il est maître de la loi ; oui, la prise d'armes est un crime quand tous les pouvoirs sont délégués et responsables, quand le droit est réalisé par les institutions, et qu'il est le principe, là sanction, là cause. Nous acceptons moins que personne au monde ces agressions téméraires, ces violences insensées des minorités qui nous livreraient aux dictateurs. Ainsi, pour nous, l'insurrection de juin est un fait coupable, qui non-seulement a déchiré la patrie, mais qui s'élevait contre nos principes et pouvait les emporter. A cet égard, point de dissentiment avec ces honnêtes légistes qui ont si longtemps nié le droit et qui viennent si tard le défendre pour l'exploiter contre nos idées, contre nos hommes, contre notre gouvernement.

Mais, si nous sommes d'accord sur ce point capital qu'il n'y a pas d'insurrection légitime quand le droit existe, et qu'il peut agir, nous n'avons que de l'indignation et du mépris pour ces marchands de calomnies atroces qui font commercé de têtes coupées, de devises d'argot, de vitriol ardent, de mutilations hideuses, de distributions empoisonnées, et pardessus tout de lâches dénonciations contre les ennemis qui les gênent, et qu'ils veulent perdre en les jetant au bourreau.

Les feuilles de là réaction qui tiennent boutique de ces boucheries, et font ainsi le service de leurs vengeances, ajoutait le même journal, ont-elles vérifié les faits par une instruction sérieuse, avant de les jeter en pâture à la haine, à la peur ? Ont-elles eu la pudeur de contrôler avant de dénoncer, de provoquer l'opinion publiques, la justice, les passions du moment ? Non, mille fois non ; il n'en est pas une seule qui pût donner témoignage, faire la preuve ; et le gouvernement à lui-même démenti la plupart de ces contes hideux que la presse de la contre-révolution inventé et propage pour le bénéfice de ses idées et de ses hommes d'Etat, ensevelis sous la barricade de février.

Ah ! quel métier vous faites là, Messieurs, et que c'est une belle fonction de travailler ainsi par la calomnie, par l'outrage, à déshonorer notre pays, à parquer une classe dans le crime et dans la honte, à perpétuer nos dissensions et nos haines, quand nous sommes entre la misère qui nous dévore et l'étranger qui guette nos frontières ! Ce n'est pas ainsi que nous comprenons le devoir, nous des empoisonneurs du peuple pourtant, des anarchistes, comme vous le dites si bien, des propagandistes et des folliculaires ! Au lieu d'irriter et d'aigrir, nous faisons un appel à tous les nobles sentiments, à toutes les classes, à tous les intérêts, à tous les cœurs dévoués à la patrie ; nous adjurons tous les citoyens d'entrer en accord, d'étouffer en eux la haine, le soupçon, l'orgueil, pour s'unir dans cette fraternité puissante, qui peut seule organiser les intérêts et les idées, sauver le sol et les institutions.

Nous sommes toujours prêts, concluait le rédacteur de la Réforme, à verser notre dernier sang pour la république, pour les principes sacrés de notre révolution ; mais si les institutions et les garanties du droit nous sont données, nous renoncerons à la guerre ; et, citoyens ; pacifiques, nous travaillerons à répandre dans le peuple les principes et la religion du développement légal. Ce n'est pas la conscience qui lui manque, au peuple, c'est la confiance dans les institutions ; c'est la certitude que ses conquêtes ne lui seront pas volées. On l'a trompé si souvent ; les aristocraties et la royauté ont si longtemps gouverné par la force et par la ruse ; on l'a tant de fois condamné, comme Samson, à ébranler les colonnes du temple, que la force est, à ses yeux, l'instrument nécessaire, l'instrument fatal de toutes les révolutions sociales et politiques. Voilà ce qu'il faut effacer de son esprit et de son cœur, au lieu de l'insulter et de le calomnier ; voilà ce qu'il faut détruire.

 

C'est ainsi que s'exprimait la seule feuille démocratique que l'état de siège eût épargnée ; c'est ainsi que les vieux républicains exhalaient l'indignation dont ils étaient saisis en présence de cette conspiration de la calomnie qu'ils dénonçaient à la France et au monde entier. Mais c'était vainement qu'ils conjuraient les ennemis du peuple d'étouffer les haines, de faire taire le soupçon, et de s'unir à tous les citoyens par les liens de cette fraternité que le gouvernement républicain avait mission de faire régner, la presse contre-révolutionnaire continue sa mission, qui était de chercher à nuire le plus possible, et par tous les moyens, à la démocratie ; afin de déshonorer et de ruiner la république dans l'esprit des nations.

 

 

 



[1] Prologue d'une Révolution.

[2] L'analogie que présente ce tribunal est si facile à saisir, qu'il devient superflu de chercher à l'indiquer.

[3] On porte à quarante-neuf ceux fusillés à l'angle de la place Saint-Jean ; à trente-sept ceux qui tombèrent dans la rue du Roi-de-Sicile ; à vingt-un ceux passés par les armes dans la rue Cloche-Perche, etc., etc.

[4] Rappelons ici encore une fois, que cette pensée de détruire là démocratie, parisienne par le fer et les balles, remonte au premier temps de la royauté de Louis-Philippe. Quand, en 1832, la cour de cassation brisa l'état de siège et mit un terme aux jugements des conseils de guerre, les courtisans traîneurs de sabre ne craignirent pas de dire tout haut dans le parc de Saint-Cloud : Désormais on ne fera plus de prisonniers ! Il s'est trouvé des hommes qui ont mis en pratique cette horrible pensée sous la jeune et clémente république qui venait d'abolir la peine de mort en matière politique : l'histoire les marquera au front, malgré leurs broderies et leurs rubans.

[5] Cet honnête capitaine Guindorff ne savait probablement pas ce qui se passait sur les derrières de cet Hôtel-de-Ville qu'il considérait comme le port de salut de ses prisonniers. Très-probablement beaucoup d'entre ceux qu'il y conduisit n'en sortirent que pour descendre sur la berge, et n'allèrent jamais plus loin ! Lorsque la garde nationale ou la mobile ramenait des prisonniers par l'escalier qui se trouve à l'extrémité de la rue Lobau, raconte Louis Ménard, on leur criait d'en bas : Nous n'avons plus de place ; donnez-leur de l'air. Les prisonniers étaient poussés au bas de l'escalier, au milieu d'une mare de sang, et tombaient sous les balles. De temps en temps on relevait les cadavres et on les portait dans la salle Saint-Jean.....

[6] Ceci confirme ce que nous avons dit ailleurs ; à savoir que les derniers venus au combat, ceux qui s'étaient cachés d'abord pour ne pas prendre sérieusement ; le fusil, se montrèrent les plus féroces dès qu'ils n'eurent plus peur. C'est l'histoire du cœur humain, au chapitre des lâches.

[7] C'est une réflexion bien triste que l'on fait malgré soi en lisant ces faits racontés comme des faits sublimes ; d'humanité. Mais c'est déjà une honte pour les vainqueurs, qu'en plein XIXe siècle et en présence de l'abolition de la peine de mort en matière politique, on puisse considérer comme un triomphe de la justice d'avoir pu empêcher la mise à mort arbitraire de prisonniers faits dans une guerre intestine, dans une guerre civile !

Dans les guerres civiles, disait à ce sujet Richard Cobden, on est en face les uns des autres ; on se bat, la balle vous atteint et vous rendez d'autres balles ; il y a des vainqueurs et des vaincus, et tout est dit : il n'y a pas de déshonorés...