HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME DEUXIÈME

 

PIÈCES JUSTIFICATIVES DU DEUXIÈME VOLUME.

 

 

N° I.

RAPPORT GÉNÉRAL SUR LA SITUATION DE LA FRANCE, PRESENTE A L'ASSEMBLEE NATIONALE AU NOM DE M. DUPONT (DE L'EURE), PRÉSIDENT DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE, LE 6 MAI 1848.

 

Citoyens représentants du peuple,

Au moment où vous entrez dans l'exercice de votre souveraineté, au moment où nous remettons entre vas mains les pouvoirs d'urgence que la Révolution nous avait provisoirement confiés, nous vous devons d'abord compte de la situation où nous avons trouvé et où vous trouvez vous-mêmes la patrie.

Une révolution a éclaté le 24 février. Le peuple a renversé le trône ; il a juré sur ses débris de régner, désormais seul et tout entier, par lui-même. Il nous a chargés de pourvoir provisoirement aux dangers et aux nécessités de l'interrègne qu'il avait à traverser pour arriver en ordre et sans anarchie à son règne unanime et définitif. Notre première pensée a été d'abréger cet interrègne, en convoquant aussitôt la représentation nationale, en qui seule résident le droit et la force. Simples citoyens, sans autre appel que le péril public, sans autre titre que notre dévouement, tremblant d'accepter, pressés de restituer le dépôt des destinées de la pairie, nous n'avons eu qu'une ambition, celle d'abdiquer la dictature dans le sein de la souveraineté du peuple.

Le trône renversé, la dynastie s'exilant d'elle-même, nous ne proclamâmes pas la République. Elle s'était proclamée elle-même par la bouche de tout un peuple. Nous ne fîmes qu'écrire le cri de la nation.

Notre première pensée, comme le premier besoin du pays, après la proclamation de la République, fut le rétablissement de l'ordre et de la sécurité dans Paris. Dans cette œuvre, qui eût été plus difficile et plus méritoire dans un autre pays, nous fûmes aidés par le concours des citoyens. Pendant qu'il tenait encore d'une main le fusil dont il venait de foudroyer la royauté, ce peuple magnanime relevait de l'autre main les vaincus et les blessés du parti contraire, il protégeait la vie et la propriété des habitants, il préservait les monuments publics. Chaque citoyen, à Paris, était à la fois soldat de la liberté et magistrat volontaire de l'ordre. L'histoire a enregistré les innombrables actes d'héroïsme, de probité, de désintéressement, qui ont caractérisé ces premières journées de la République. Jusqu'ici on avait quelquefois flatté le peuple en lui parlant de ses vertus. La postérité, qui ne flatte pas, trouvera toutes les expressions au-dessous de la dignité du peuple de Paris.

Ce fut lui qui nous inspira le premier décret destiné à donner sa vraie signification à sa victoire, le décret d'abolition de la peine de mort eu matière politique. Il l'inspira, il l'adopta et la signa par une acclamation de deux cent mille voix sur la place et sur les quais de l'Hôtel-de-Ville. Pas un cri de colère ne protesta. La France et l'Europe comprirent que Dieu avait ses inspirations dans la foule, et qu'une révolution inaugurée par la grandeur d'âme serait pure comme une idée, magnanime comme un sentiment, sainte comme une vertu.

Le drapeau rouge, présenté un moment, non comme un symbole de menace ou de désordre, mais comme un drapeau momentané de victoire, fut écarté par les combattants eux-mêmes pour couvrir la République de ce drapeau tricolore qui avait ombragé son berceau et promené la gloire de nos armées sur tous les continents et sur toutes les mers.

Après avoir établi l'autorité du gouvernement dans Paris, il fallait faire reconnaître la République dans les départements, dans les colonies, l'Algérie, dans l'armée ; des nouvelles télégraphiques et des courriers y suffirent. La France, les colonies, les armées, reconnurent, leur propre pensée dans la pensée de la République ; il n'y eut résistance ni d'une main, ni d'une voix, ni d'un cœur libre en France à l'installation du gouvernement nouveau.

Notre seconde pensée fut pour le dehors. L'Europe indécise attendait le premier mot de la France : ce premier mot fut l'abolition de fait et de droit des traités réactionnaires de 1815, la liberté rendue à notre politique extérieure, la déclaration de paix aux territoires, de sympathie aux peuples, de justice, de loyauté et de modération aux gouvernements. La France, dans ce manifeste, désarma son ambition, mais ne se désarma pas de ses idées. Elle, laissa briller son principe ; ce fut toute sa guerre. Le rapport particulier du ministre des. affaires étrangères vous dira ce que ce système de la diplomatie au grand jour a produit, et ce qu'il doit produire de légitime et de grand pour les influences de la France.

Cette politique commandait au ministre de la guerre des mesures, en harmonie avec ce système de négociation armée. Il rétablit avec énergie la discipline à peine ébranlée, il rappela honorablement dans Paris l'armée un moment éloignée de nos murs pour laisser le peuple s'armer lui-même. Le peuple, désormais invincible, ne tarda pas à redemander à grands cris ses frères de l'armée, non comme une sûreté, mais comme une décoration de la capitale. L'armée ne fut plus dans Paris qu'une. garnison honoraire destinée à prouver à nos braves soldats que la capitale de la patrie appartient à tous ses enfants.

Nous décrétâmes de plus la formation immédiate d'un Conseil de défense, et la formation de quatre années d'observation ; l'armée des Alpes, l'armée du Rhin, l'armée du Nord, l'armée des Pyrénées.

Notre marine, confiée aux mains du même ministre comme la seconde armée de la patrie, fut ralliée sous ses chefs dans une discipline commandée par le sentiment de sa vigilance. La flotte de Toulon alla montrer nos couleurs aux amis de la France sur le littoral de la Méditerranée.

L'armée d'Alger n'eut ni une heure ni une pensée d'hésitation. La République et la patrie se confondirent à ses yeux dans le sentiment d'un même devoir. Un chef, dont le nom républicain, les sentiments et les talents étaient des gages à la fois pour l'armée et la Révolution, le général Cavaignac reçut le commandement général de l'Algérie.

La corruption, qui avait pénétré les institutions les plus saintes, obligeait le ministre de la justice à des épurations demandées par le cri de l'opinion publique. Il fallait promptement séparer la justice de la politique. Le ministre fit avec douleur, mais avec inflexibilité, la séparation.

En proclamant la République, le cri de la France n'avait pas proclamé seulement, une forme de gouvernement, elle avait proclamé un principe. Ce principe, c'était la démocratie pratique, l'égalité par les droits, la fraternité par les institutions. La révolution accomplie par le peuple devait s'organiser, selon nous, au profit dû peuple par une série continué d'institutions fraternelles et tutélaires propres à conférer régulièrement à tous les conditions de dignité individuelle, d'instruction, de lumières, de Salaires, de moralité, d'éléments de travail, d'aisance, de secours et d'avènement à la propriété, qui supprimassent le nom servile de prolétaire, et qui élevassent le travailleur à la hauteur de droit, de devoir et de bienêtre des premiers-nés à la propriété. Elever et enrichir les uns sans abaisser et sans dégrader les autres, conserver la propriété et la rendre plus féconde et plus sacrée en la multipliant et en la parcellant dans les mains d'un plus grand nombre, distribuer l'impôt de manière à faire tomber son poids le plus lourd sur les plus forts, en allégeant et eu secourant lès plus faibles ; créer par l'État le travail qui manquerait accidentellement par le fait du capital intimidé, afin qu'il n'y eût pas un travailleur en France à qui le pain manquât avec le salaire ; enfin étudier avec les travailleurs eux-mêmes les phénomènes pratiques et vrais de l'association, et lés théories encore problématiques des systèmes, pour y chercher consciencieusement les applications, pour en constater les erreurs : telle fût la pensée du gouvernement provisoire dans tous les décrets dont il confia l'exécution ou la recherche au ministre des finances, au ministre des travaux publics, enfin à la Commission du Luxembourg, laboratoire d'idées, congrès préparatoire et statistique du travail et des industries, éclairé par des délégués studieux et intelligents de toutes les professions laborieuses, et présidé par deux Membres du gouvernement lui-même.

La chute soudaine de la monarchie, le désordre des finances, le déclassement momentané d'une masse immense d'ouvriers manufacturiers, les secousses que ces masses de bras inoccupés pouvaient donner à la société, si leur raison, leur patience et leur résignation patriotique n'avaient pas été le miracle de la raison du peuple et l'admiration du monde ; la dette exigible de près d'un milliard que le gouvernement déchu avait accumulée sur les deux premiers mois de la République ; la crise des industries et du commerce universel sur le continent et en Angleterre, Coïncidant avec la crise politique de Paris, l'énorme accumulation d'actions de chemin de fer ou d'autres valeurs fictives saisies à la fois dans les mains des porteurs et des banquiers par la panique des capitaux, enfin l'imagination du pays qui se frappe toujours au delà du vrai aux époques d'ébranlement politique et de terreur sociale, avaient tari le capital travaillant, fait disparaître le numéraire, suspendu le travail libre et volontaire, seul travail suffisant à trente-cinq millions d'hommes. Il fallait y suppléer provisoirement ou mentir à tous les principes et à toutes les prudences, à toutes les nécessités secourables de la République. Le ministre des finances vous dira comment il fut pourvu à ces évanouissements du travail et du crédit, en attendant le moment enfin arrivé où la confiance, rendue aux esprits, rendra le capital à la main des manufacturiers, le salaire, cette dîme productive du capital, aux travailleurs, et où votre sagesse et votre puissance nationales seront à la hauteur de toutes les difficultés.

Le ministère de l'instruction publique et des cultes, réuni dans la même main, fut pour le gouvernement une manifestation d'intention, et pour le pays un pressentiment de la situation nouvelle que la République voulait et devait prendre dans la double nécessité d'un enseignement national, et d'une indépendance plus réelle des cultes égaux et libres devant la conscience et. devant la loi.

Le ministère de l'agriculture et du commerce, ministère étranger par sa nature à la politique, ne put que préparer avec zèle et ébaucher avec sagacité les institutions nouvelles appelées à féconder le premier des arts utiles ; il étendit la main de l'Etat sur les intérêts souffrants du commerce, que vous seuls vous pouvez relever par la sécurité.

Telles furent nos différentes et incessantes sollicitudes.

Grâce à la Providence, qui n'a jamais manifesté plus évidemment son intervention dans la cause du peuple et de l'esprit humain ; grâce au peuple lui-même, qui n'a jamais mieux manifesté les trésors de raison, de civisme, de générosité, de patience, de moralité, de véritable civilisation, que cinquante ans de liberté imparfaite ont élaborés dans son âme, nous avons pu accomplir, bien imparfaitement sans doute, mais non sans bonheur pourtant, une partie de la tâche immense et périlleuse dont les événements nous avaient chargés.

Nous avons fondé la République, ce gouvernement déclaré impossible en France, à d'autres conditions que la guerre étrangère, la guerre civile, l'anarchie, les prisons et l'échafaud. Nous avons montré la République heureusement compatible avec la paix européenne, avec la paix intérieure, avec l'ordre volontaire, avec la liberté individuelle, avec la douceur et la sérénité des mœurs d'une nation pour qui la haine est un supplice, et pour qui l'harmonie est un instinct national.

Nous avons promulgué les grands principes d'égalité, de fraternité, d'unité, qui doivent, en se développant de jour en jour dans nos lois, faites par tous et pour tous, accomplir l'unité du peuple par l'unité de la représentation.

Nous avons universalisé le droit de citoyen en universalisant le droit d'élection, et le suffrage universel nous a répondu.

Nous avons armé le peuple tout entier dans la garde nationale, et le peuple tout entier nous a répondu en vouant l'arme que nous lui avons confiée à la défense unanime de la patrie, de l'ordre et des lois !

Nous avons passé quarante-cinq jours sans autre force exécutive que l'autorité morale entièrement désarmée dont la nation voulait bien reconnaître le droit en nous, et ce peuple a consenti à se laisser gouverner par la parole, par nos conseils, par ses propres et généreuses inspirations.

Nous avons traversé plus de deux mois de crise, de cessation de travail, de misères, d'éléments d'agitation politique et d'angoisse sociale accumulés en masse innombrable dans une capitale de un million et demi d'habitants, sans que les propriétés aient été violées, sans qu'une colère ait menacé une vie ! sans qu'une répression, une proscription, un emprisonnement politique, une goutte de sang répandue en notre nom aient attristé le gouvernement dans Paris ! Nous pouvons redescendre de cette longue dictature sur la place publique, et nous mêler au peuple sans qu'un citoyen puisse nous demander : Qu'as-tu fait d'un citoyen ?

Avant d'appeler l'Assemblée nationale à Paris, nous avons assuré complètement sa sécurité et son indépendance en armant, en organisant la garde nationale, et en lui donnant pour garde tout un peuple armé. Il n'y a plus de faction possible dans une République où il n'y a plus de division entre les citoyens politiques et les citoyens non politiques ; entre les citoyens armés et les citoyens désarmés ; tout le monde a son droit, tout le monde a son arme. Dans un pareil état, l'insurrection n'est plus le droit extrême à l'oppression, elle serait un crime. Celui qui se sépare du peuple n'est plus du peuple ! Voilà l'unanimité que nous vous avons faite. Perpétuez-la, c'est le salut commun.

Citoyens représentants, notre œuvre est accomplie, la vôtre commence. La présentation même d'un plan de gouvernement ou d'un projet de constitution eût été, de notre part, une prolongation téméraire de pouvoir, ou un empiétement sur votre souveraineté. Nous disparaissons dès que vous êtes debout pour recevoir la République des mains du peuple. Nous ne nous permettrons qu'un seul conseil et un seul vœu à litre de citoyens et non à litre de membres du gouvernement provisoire. Ce vœu, citoyens, la France l'émet avec nous. C'est le cri de la circonstance. Ne perdez pas le temps, cet élément principal des crises humaines. Après avoir absorbé en vous la souveraineté, ne laissez pas un interrègne nouveau alanguir les ressorts du pays. Qu'une Commission de gouvernement, sortie de votre sein, ne permette pas au pouvoir de flotter un seul instant, précaire et provisoire, sur un pays qui a besoin de pouvoir et de sécurité ; qu'un Comité de constitution, émané de vos suffrages, apporte sans délai à vos délibérations et à votre vote le mécanisme simple, bref et démocratique de la Constitution dont vous délibérerez ensuite à loisir les lois organiques et secondaires.

En attendant, comme membres du gouvernement, nous vous remettons nos pouvoirs.

Nous remettons avec confiance aussi à votre jugement tous nos actes. Nous vous prions seulement de vous reporter au temps et de nous tenir compte des difficultés. Notre conscience ne nous reproche rien comme intention. La Providence a favorisé nos efforts. Amnistiez notre dictature involontaire. Nous ne demandons qu'à rentrer dans les rangs des bons citoyens. Puisse seulement l'histoire de notre chère patrie inscrire avec indulgence, au-dessous et bien loin des grandes choses faites par la France, le récit de ces trois mois passés sur le vide entre une monarchie écroulée et une République à asseoir, et puisse-t-elle, au lieu des noms obscurs et oubliés des hommes qui se sont dévoués au salut commun, inscrire dans ses pages deux noms seulement : le nom du peuple, qui a tout sauvé, et le nom de Dieu, qui a tout béni sur les fondements de la République !

 

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N° II.

LETTRE DES MONTAGNARDS.

 

Citoyen,

Vous savez comment on nous traite ; vous savez de quels anathèmes on nous poursuit ; vous ne nous refuserez pas l'insertion de cette lettre ; nous en appelons à votre équité.

A la calomnie on est toujours censé n'opposer que le dédain ; mais Basile ment de plus belle, et la volée de bois vert n'est plus dans nos mœurs. Rétablissons une bonne fois la vérité, et laissons dire.

La révolution de Février a été faite par les anciens détenus politiques, par les républicains échappés à la prison et par les braves ouvriers de Paris, auteurs intelligents des barricades. Voilà, citoyen, les éléments de la Montagne ; voilà ces jacobins, ces tigres altérés de sang, de viol et de carnage ; voilà ces ouvriers de l'édifice républicain, que la réaction ne renversera point, quoi qu'elle fasse, quelle que soit l'audace de ses machinations et de ses complots. C'est pour mieux défendre leur œuvre qu'ils se sont ralliés autour d'un homme dont la loyauté égalait la fermeté et le courage, autour du préfet de police, du citoyen Caussidière, enfin, qui fut plutôt leur père que leur chef. La formation des Montagnards n'a pas d'autre origine.

Vous parlerai-je de leurs services ? Le maintien de l'ordre, la sécurité des personnes, la protection des propriétés, telle fut leur lâche dès le premier jour, et Paris dira s'ils l'ont bien remplie. Paris dira si, en l'absence de toute police municipale, les repris de justice qui se cachent par milliers dans ses murs l'ont inquiété plus que de coutume ; si leurs attentats n'ont pas, au contraire, été moins fréquents. C'est que nous étions là, citoyen, toujours prêts à la moindre alerte, couchant tout habillés, des semaines entières, tantôt sur les planches des lits de camp, tantôt sur la dalle humide, où nos vêtements tombaient en lambeaux.

De là cet uniforme effrayant, la seule aubaine qui nous soit restée de notre service : une blouse, un pantalon, une cravate et une ceinture rouges !...

Ajoutez une paye de 45 sous par jour, que nous partagions souvent avec de plus pauvres, témoin les trois compagnies casernées à Saint-Victor, qui alimentaient cent malheureux, indépendamment des souscriptions qui leur enlevaient fréquemment leur dernière obole.

Et maintenant, faut-il vous dire leur récompense ? Le 15 mai, quand l'Assemblée nationale était envahie, nous maintenions l'ordre autour de la Préfecture, où nous avions été consignés. Le lendemain matin, nous rentrions dans notre caserne, tambour en tête, lorsque quelques chefs supérieurs de la garde nationale s'y présentèrent. On voulait nous faire évacuer les lieux aimablement. Nous répondîmes que nous ne reconnaissions pour chef que le préfet de police. Une demi-heure après, un délégué du préfet de police survint, qui nous apprit que nous étions licenciés, et nous invita à poser les armes. A ces mots inattendus, nous nous précipitâmes tous sur nos fusils, et nous allions nous ranger en bataille contre quinze à vingt mille hommes qui nous entouraient, lorsqu'on nous laissa la faculté de sortir avec nos armes déchargées. Mais, soit défiance, soit trahison, on ne nous fit partir que deux à deux, contrairement à l'espèce de capitulation qui venait d'être arrêtée, et on nous désarma, pour là plupart, au fur et à mesure que nous nous mêlions à la foule. Telle a été la récompense de trois mois de fatigue, dé courage et d'abnégation.

Membre de la 3e compagnie de ce corps honorable, j'ai voulu, en mon nom personnel, citoyen rédacteur, aller au-devant d'injustes préventions, éclairer mes concitoyens, et leur dire enfin que, lorsque les Romains prononçaient, dans la fureur des combats, le terrible mot : Vœ victis, ils se contentaient d'égorger les victimes.

PERRIN D'ESMOULINS,

De l'ex-3e compagnie des montagnards, 57, rue Popincourt.

 

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N° III.

LETTRE DU CITOYEN RASPAIL.

 

Au donjon de Vincennes, le 10 juin 1848.

Cette fois, citoyens, dit Raspail, vous avez marché comme un seul homme à l'exercice du plus saint de nos droits. Oh ! je vous eu supplie au nom du Dieu de la liberté, ne vous divisez plus dans l'exercice de tous les autres droits que vous avez conquis par votre dernière victoire.

Avec le suffrage universel, vous avez entre les mains une arme plus puissante que la mitraille. Pour éviter nos querelles intestines, n'ayons plus recours à d'autres armes.

La guerre civile profiterait à la trahison ; le suffrage universel déjouera, à lui seul, toutes ses perfidies.

Souverains de la France, notre sceptre est plus fort qu'un fusil. L'urne du scrutin est la boîte de toutes nos espérances ; ne la renversons pas quand elle nous est contraire ; rendons-nous-la propice par notre concorde ; préservons-la de tout détournement par notre surveillance : à chaque nouvel essai, ses résultats s'amélioreront et finiront par nous donner des magistrats probes et moraux, et des représentants véritables des intérêts et des vœux de la France.

Nos ennemis nous tendent des pièges, évitons-les. Ils veulent nous pousser au désespoir ; soyons résignés. Ils stimulent notre impatience française ; sachons être patients jusqu'à l'outrage même ; l'impatience perd les causes les plus belles, la patience gagne les plus désespérées.

On vous interdit les réunions en plein air, les clubs sous la voûte du ciel ; désertez la place publique, et réunissez-vous pacifiquement dans les clubs voûtés par la main des hommes. Ces clubs sont les temples de la religion nouvelle, de la religion ayant pour devise : Liberté, Egalité et Fraternité.

Là, cherchons moins à écraser nos ennemis qu'à les convertir à nos doctrines. Ces ennemis sont des citoyens français ; ils sont nos frères. Gardons nos armes pour nous défendre contre les rois qui menaceraient nos frontières, contre les réacteurs qui menaceraient nos nouvelles institutions, qui seront bientôt les institutions de tous les peuples de la terre.

Vous êtes braves, citoyens, qui en doute ? Mais la réaction a l'adresse des fourbes ; elle sait vous diviser pour vous vaincre sans coup férir ; elle vous excite les uns contre les autres. Démasquez ses manœuvres, et vous déjouerez ainsi ses lâchetés. Tendez-vous la main, et elle rentrera à jamais dans l'ombre.

Vive la République !

Salut et fraternité.

F.-V. RASPAIL.