HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME DEUXIÈME

 

CHAPITRE III.

 

 

Cri de la France en proclamant la République. — Institutions réclamées par le peuple. — Objet de l'institution de la Commission des travailleurs. — Elle appelle le concours des ouvriers et des patrons. — Difficultés qu'elle rencontre. — Louis Blanc expose la mission du Luxembourg. — Comité permanent des délégués et des patrons. — Hommes spéciaux appelés aux conférences. — Louis Blanc se déclare l'adversaire de la concurrence. — Question du travail dans les prisons, les couvents, etc. — Discussion à ce sujet. — Décret qui supprime ce travail. — Exposé des motifs de l'organisation du travail. — Projet à ce sujet présenté par Louis Blanc. — Discussion de ce projet. — Opinions des citoyens Wolowski, Charpentier, Dupont-White, Le Play, Duveyrier, Pecqueur. — Réponses de Louis Blanc et de Vidal. — Les journaux républicains appuient la Commission du Luxembourg. — Non, ce n'est pas là une question insoluble ! — Attaques des feuilles de la réaction. — Services rendus à plusieurs industries par la Commission. — Son impuissance matérielle pour mettre à exécution ses idées. — Elle a semé pour l'avenir en proclamant le principe de la solidarité humaine et en attaquant la servitude sous le déguisement de la misère.

 

C'est bien intentionnellement que nous n'avons pas fait mention, à sa place, du compte-rendu à l'Assemblée nationale par le président de la Commission du gouvernement pour les travailleurs ; nous n'avions pas oublié l'engagement pris avec nos lecteurs de leur faire connaître les travaux de cette Commission, et les études faites au Luxembourg des questions relatives au capital et au travail, les premières, les plus grandes que le gouvernement issu de la révolution de Février ait eues à traiter à l'intérieur.

Les hommes portés au pouvoir, soudainement éclairés par un rayon de cette lumière que le peuple avait fait jaillir des pavés, comprirent dès le premier jour que le cri de la France n'avait pas proclamé seulement une forme de gouvernement, mais bien un principe fécond ; ils reconnurent en même temps que ce principe s'appuyait sur l'égalité par les droits, la fraternité par les institutions ; et ils déclarèrent que la révolution accomplie par le peuple devait s'organiser au profit du peuple, par une série continue d'institutions fraternelles et tutélaires, propres à conférer régulièrement à tous les conditions de dignité individuelle, d'instruction, de lumières, de salaires, de moralité, d'éléments de travail, d'aisance, de secours et d'avènement à la propriété, qui supprimassent le nom servile de prolétaire et qui élevassent le travailleur à la hauteur de droit, de devoir et de bien-être des premiers-nés de la propriété[1].

Le but de cette série d'institutions réclamées était d'élever et d'enrichir les uns sans abaisser les autres, de conserver la propriété et de la rendre plus féconde et plus sacrée en la multipliant et en la parcellant entre les mains d'un plus grand nombre ; de distribuer l'impôt de manière à faire tomber son poids le plus lourd sur les plus forts, en allégeant et en secourant les plus faibles ; de créer, par l'État, le travail qui manquerait accidentellement par le fait du capital intimidé, afin qu'il n'y eût pas un travailleur en France à qui le pain manquât avec le salaire ; et enfin d'étudier, avec les travailleurs eux-mêmes, les phénomènes pratiques et vrais de l'association, et les théories encore problématiques des systèmes, pour y chercher consciencieusement les applications, pour en constater les erreurs.

Voilà, ainsi que nous l'avons déjà dit, ce que le gouvernement provisoire avait compris.

Mais l'application de ces théories nouvelles demandant des études profondes sur toutes ces questions, il en avait confié l'examen attentif à la Commission des travailleurs, instituée par son décret du 29 février, et siégeant au Luxembourg, sous la présidence de Louis Blanc, ayant pour collaborateur l'autre membre socialiste du gouvernement, l'ouvrier Albert.

Cette Commission, impatiente d'accomplir ce qui était possible, appela les travailleurs à l'aider de leur concours fraternel ; elle les invita à envoyer au Luxembourg des délégués ayant mission de représenter les corporations et d'éclairer les questions pratiques. Des élections ayant été faites en conséquence par les diverses branches de l'industrie, la réunion générale des délégués, au nombre de 250 environ, eut lieu, pour la première fois, le 10 mars.

Louis Blanc y exposa le but des efforts que la Commission et ses auxiliaires naturels devaient faire pour réaliser les améliorations réclamées par la crise industrielle, le chômage du travail et les idées du socialisme.

Malheureusement, les questions que l'on devait traiter n'étaient pas faciles à résoudre. En touchant à un seul abus, on les menaçait, on les ébranlait tous à la fois ; parce que le mal formait comme une chaîne immense, dont il n'était guère possible d'arracher un anneau sans que toute la trame se défît.

Louis Blanc citait pour exemple la simple question de la diminution des heures de travail, réclamée par le peuple dès le lendemain de la révolution, dans le double objet de laisser quelque emploi de plus aux travailleurs qui manquaient d'occupation, et de donner à l'ouvrier au moins une heure pour vivre de la vie de l'intelligence et du cœur.

Eh bien ! s'écriait le président de la Commission des travailleurs, cette concession si légitime, ce premier pas fait dans la réalisation graduelle de ce progrès infini rêvé par les hommes qui plaident pour l'intelligence et l'éducation du peuple, ce bienfait physique et moral, contre lequel personne n'oserait protester directement, a soulevé une foule d'objections, qui démontrent combien, dans l'organisation économique naturelle, tout progrès partiel est difficilement réalisable.

Vous le voyez, continuait Louis Blanc, les questions que nous avons à étudier veulent être examinées dans leur ensemble. Ce qui est à chercher après-demain, demain, dans une heure, c'est le moyen de réaliser l'association, et de faire triompher le grand principe de la solidarité des intérêts...

Passant ensuite à la mission confiée à la Commission, Louis Blanc l'exposait ainsi :

Etudier avec soin, avec amour, les questions qui touchent à l'amélioration, soit morale, soit matérielle de votre sort ; formuler les solutions en projets de loi, qui, après approbation du gouvernement provisoire, seraient soumis à l'Assemblée nationale, tel est le but de la Commission des travailleurs. Ne perdons jamais de vue, citoyens, que nous allons nous occuper des plus grands intérêts qui aient jamais ému les hommes. C'est de l'abolition même de l'esclavage qu'il s'agira ; esclavage de la pauvreté, de l'ignorance, du mal ; esclavage du travailleur qui n'a pas d'asile pour son vieux père ; de la fille du peuple qui, à seize ans, s'abandonne pour vivre ; de l'enfant du peuple qu'on ensevelit, à dix ou douze ans, dans une filature empestée. Tout cela est-il tellement conforme à la nature des choses, qu'il y ait folie à croire qu'on doive le changer un jour ? Qui oserait le prétendre et blasphémer ainsi le progrès ? Si la société est mal faite, refaites-la ; abolissez l'esclavage !

 

Et les deux cent cinquante délégués des corporations applaudirent à ces généreuses paroles, comme à une promesse d'avenir. A la fin de la séance, ces délégués élurent leur Comité permanent, et le composèrent de dix membres ouvriers, ayant mission de représenter le plus grand nombre des corporations auprès de la Commission des travailleurs. Leurs travaux commencèrent aussitôt. Le lendemain, on ajouta à ce Comité, et en nombre égal à celui des ouvriers, des patrons, représentant les plus grandes industries parisiennes. Enfin, on appela à prendre part aux séances plusieurs hommes compétents, connus par la spécialité de leurs études et de leurs théories, et choisis de telle sorte que tous les intérêts pussent être interrogés au milieu de ce débat solennel[2].

Dans ses précédents écrits, Louis Blanc s'était courageusement posé en adversaire prononcé de ce que les économistes appellent la liberté de la concurrence : il avait démontré que cette concurrence n'était autre chose qu'une guerre à outrance que se faisaient sans cesse les industriels et les industries, qu'une cause de ruine pour les patrons et de misère pour les ouvriers. Cette libre concurrence, il voulait la détruire par tous les moyens, comme les anciens voltairiens voulaient détruire l'infâme. Devenu, par la révolution, l'homme nécessaire, l'homme à qui les circonstances confiaient le remaniement de la société, Louis Blanc ne faillit pas à ses convictions. Son premier projet fut dirigé contre le travail des prisons, des casernes et des couvents, travail qui enlevait le pain à un grand nombre d'ouvriers, ou ne leur laissait, par suite de la concurrence meurtrière que ces maisons faisaient aux travailleurs libres, qu'un salaire insuffisant.

Là, disait-il, les travailleurs sont logés, nourris, entretenus ; la vie matérielle leur est assurée : ils peuvent donc travailler à bas prix. L'ouvrier du dehors, qui a sa famille à loger, à nourrir, à entretenir sur le prix de son salaire, est accablé dans cette lutte inégale. Eh bien ! il s'agirait de décider, dans ces jours de crise, et au moins momentanément, que ceux qui, placés dans ces conditions exceptionnelles, n'ont pas besoin de travailler pour vivre, céderont le travail à ceux pour qui le travail est la vie même.

Dans les prisons et dans les casernes, c'est l'État qui autorise, qui consacre un rabais fatal à l'ouvrier libre : l'État est donc responsable des résultats de cette concurrence désastreuse. Son devoir ne saurait être douteux.

En conséquence, Louis Blanc proposait de supprimer d'abord le travail des prisons.

Il fut soutenu par le citoyen Vidal, qui affirma qu'un fabricant de bronze, faisant exécuter, à bas prix, des travaux dans la prison de Melun, ne demandait pas mieux que de céder ces travaux aux ouvriers de Paris, si l'on voulait résilier le marché. Dans l'opinion de ce jeune socialiste, cette résiliation ne pouvait présenter de grandes difficultés ; car, disait-il, pour le cas où les marchés seraient faits avec le gouvernement, cela coulerait de source ; si c'est avec des particuliers, il y aura indemnité.

Le citoyen Considérant n'éleva aucune objection contre là suppression du travail des prisons ; mais il déclara que cela lui paraissait plus délicat pour les couvents.

Louis Blanc n'en insista pas moins, en faisant remarquer que le travail des couvents se faisait à des conditions impossibles au dehors[3], et qui frappaient précisément sur la partie de la population ouvrière ayant le plus besoin d'être protégée. La misère conduit l'homme au crime, poursuivit-il ; songez, messieurs, où la misère peut conduire la femme, malgré tous ses instincts de pudeur et de délicatesse ! Protection donc à cette misère, la plus touchante de toutes ! Les femmes qui ont voulu vivre en dehors du monde seraient probablement les premières à demander, si elles connaissaient la situation, que leur travail ne conduisît pas leurs sœurs à la honte.

Le citoyen Pecqueur fit remarquer que dans les couvents ce n'était pas l'Etat qui créait la concurrence du travail intérieur contre le travail du dehors. Et cependant, ajouta-t-il, ce n'est que par la tolérance de l'Etat que les couvents existent et travaillent. L'Etat a donc le droit d'intervenir et de faire tout au moins des conditions. La justice et la morale demandent que le travail exécuté dans les couvents ne le soit pas à meilleur marché que clans la chambre de l'ouvrière courageuse et pauvre.

Le citoyen Considérant ayant paru craindre qu'on ne fît, plus tard, au travail provenant des grandes associations projetées sous le patronage de l'Etat les mêmes reproches que l'on adressait aux couvents, en disant que l'Etat faisait ainsi concurrence au libre travail, Louis Blanc répondit que les grands travaux que l'on proposait à l'Etat de diriger seraient précisément combinés de manière à affaiblir et à restreindre de plus en plus la concurrence ; tandis que le travail exécuté dans les prisons, dans les casernes, dans les couvents était de tous les genres de concurrence le plus dangereux et le plus funeste. De nombreuses pétitions, concluait-il, nous en demandent tous les jours la suppression ; nous présenterons, dans ce sens, un projet de décret aux méditations du gouvernement provisoire.

En effet, le décret portant suppression du travail exécuté par entreprise dans les prisons, les couvents et les casernes ne tarda pas à faire suite à celui qui réduisait les heures de travail des ouvriers ; et toutes ces mesures furent accueillies comme de grands bienfaits[4] : les travailleurs étaient si peu habitués à voir le gouvernement s'occuper d'eux autrement que pour les entraver et les punir, qu'ils se montraient touchés d'être enfin les objets de sa paternelle sollicitude : aussi quel dévouement égala jamais celui du peuple pour cette République qui lui avait rendu ses droits, et qui songeait à améliorer sa position ? Quelles vives sympathies les travailleurs ne montraient-ils pas pour la commission du Luxembourg !

Dans la séance du 20 mars, l'une des plus intéressantes de toutes celles qui se tinrent au Luxembourg, Louis Blanc annonça qu'après avoir fait appel à toutes les opinions, à toutes les lumières, il allait formuler son projet d'organisation du travail, en présence d'une foule de patrons, d'un pareil nombre d'ouvriers, et sous les yeux de plusieurs économistes appelés à donner leur avis dans ce débat solennel.

Il ne se dissimulait pas que le mal était grand.

D'une part, les entrepreneurs, les fabricants effrayés de voir s'écrouler, en même temps que le trône, toutes les anciennes bases sur lesquelles la vieille société était arrivée de crise en crise jusqu'à la révolution politique, précurseur de la révolution sociale ; d'autre part, les ouvriers agités par la pensée d'obtenir, pour le concours actif qu'ils apportaient au capital, des conditions telles qu'ils n'eussent plus en perspective la misère pour leurs familles et l'hôpital pour leur vieillesse. Ces mots de socialisme, d'association, de liberté, d'égalité, de fraternité frappaient toutes les oreilles, pénétraient dans tous les esprits ; mais ils étaient si diversement expliqués, interprétés, commentés, qu'il n'en ressortait encore que confusion et découragement.

Louis Blanc commença par définir le socialisme, qui, à ses yeux, n'était autre chose que le développement naturel et logique de la triple formule républicaine : liberté, égalité, fraternité, appliquée aux besoins de la société tout entière.

La liberté d'abord. Messieurs, on parle maintenant de liberté, disait-il, en faisant allusion à la concurrence illimitée. Quoi ! voilà d'un côté des hommes qui sont en possession du sol, du numéraire, qui ont l'instruction, qui possèdent Cette force immense qu'on appelle le développement de l'intelligence ; voilà, de l'autre côté, des hommes à qui toutes les ressources manquent. On déchaîne au milieu d'eux la concurrence ; on crie : laissez faire ! laissez passer ! c'est-à-dire que l'on met aux prises l'homme fort avec l'homme faible, l'homme instruit avec l'ignorant, l'homme ingambe avec le paralytique, et on appelle cela la liberté ?

Je dis, moi, que c'est, sous une autre forme, sous une forme adoucie, la liberté de l'état sauvage.

Non, la liberté n'existe pas partout où les transactions ont lieu entre la richesse et la faim[5] partout où les ouvriers sont réduits à se vendre au rabais, partout où l'enfant du pauvre, au lieu d'être envoyé à l'école où on l'instruirait, est envoyé à l'atelier où on l'exténue, partout où il y a des mendiants qui sont obligés de coucher sur les marches d'un palais inhabité, partout où il y a des filles de seize ans qui se prostituent, partout où il y a des enfants qui sont obligés d'envoyer leur père mourir à l'hôpital !

La liberté ! non, elle n'existe pas avec ce mot métaphysique, avec ce mot si vague et si infécond, le droit ; la liberté, ce n'est pas le droit ; la liberté, c'est le pouvoir donné à l'homme de développer ses facultés, sous la sauvegarde de la justice et sous l'empire de la loi,

L'égalité, messieurs, existe-t-elle davantage dans la société où nous sommes et sous l'empire de ce lâche et brutal principe, la concurrence illimitée ?

Pour que l'homme travaille, est-ce qu'il ne lui faut pas des instruments de travail ? Or, messieurs, je le demande à tous, est-ce qu'aujourd'hui la possession des instruments de travail n'est pas un monopole ? Comment donc celui qui.ne les possède pas ne subirait-il pas la domination de celui qui les possède ? Comment ne serait-il pas obligé de se courber sous les conditions qu'on lui impose ?

L'égalité, messieurs, elle ne peut exister que par l'association.

Réduit à son isolement, l'homme faible est condamné à une impuissance radicale ; tandis qu'associé, il dispose de la force de tous ses coassociés, il dispose d'une force collective qui le fait échapper à la tyrannie de sa propre faiblesse, de sa propre impuissance, qui lui le fait échapper au despotisme des choses ; car, messieurs, il n'y a pas qu'un seul despotisme au monde : il n'y a pas seulement le despotisme à visage humain ; il y a ce que j'appelais tout à l'heure de despotisme des choses, ce despotisme mystérieux, insaisissable, invisible, qui étreint le pauvre, l'enveloppe, et contre lequel il n'a pas même la ressource de la protestation, contre lequel il n'a pas même la consolation de le maudire.

Ainsi, il n'y a pas aujourd'hui d'égalité. Remarquez-le ; les socialistes n'ont jamais dit que l'égalité pût exister entre les fonctions ; jamais une pareille absurdité ne leur sera imputable : les fonctions, les socialistes savent bien qu'elles doivent être diverses ; mais ce qu'ils voudraient, ce serait l'égalité dans les moyens de développement ; ce qu'ils demandent, c'est qu'on reconnaisse que tous les hommes ont un droit égal au développement de leurs facultés différentes... Les socialistes veulent la liberté par l'association, l'égalité par l'association, et c'est par l'association aussi qu'ils veulent la réalisation du principe de la fraternité.

Car enfin, le laisser-faire, le laissez-passer réalisent-ils aujourd'hui le principe de la fraternité ? Y a-t-il fraternité dans la domination de cette maxime : chacun chez soi, chacun pour soi ? Y a-t-il réalisation de la fraternité dans cette concurrence qui fait, par exemple, que chacun cherche à élever sa fortune sur les débris de la fortune de son voisin ? Non, messieurs, la fraternité n'est pas là ; la fraternité, elle est dans la solidarité de tous les intérêts ; et cette solidarité de tous les intérêts, c'est un principe d'ordre ; car, comme on l'a dit, que l'Etat, par exemple, se fasse l'assureur de tous les citoyens, conçoit-on que tous les assurés pussent se révolter un jour contre l'assureur ?

Ainsi, ce que nous avons demandé, c'est qu'on substitue à ce qu'on appelle dans l'ordre moral l'égoïsme, dans l'ordre des idées philosophiques l'individualisme, dans l'ordre industriel la concurrence anarchique et illimitée, c'est qu'on substitue à cela l'union de tous les cœurs, l'association de toutes les forces, la solidarité de tous les intérêts.

Non, s'écriait Louis Blanc, ce système n'est point un système de désordre ; car il a sa source dans l'Evangile, et de cette source-là ne peuvent pas résulter la haine, la guerre, le froissement de tous les intérêts ; car la doctrine formulée de l'Evangile est une doctrine de paix, une doctrine d'union et d'amour.

Après avoir ainsi exposé ses idées sur le socialisme[6], Louis Blanc lut son projet d'organisation du travail, projet par lequel il voulait arriver à la solution du problème d'une meilleure répartition du produit, au moyen de l'association entre le capital et le travail.

Voici, disait-il, ce que nous proposons :

Aux entrepreneurs qui, se trouvant aujourd'hui dans des conditions désastreuses, viennent à nous et nous disent : Quel l'Etat prenne nos établissements et se substitue à nous. — Nous répondrions, l'Etat y consent. Vous serez largement indemnisés... L'Etat vous souscrira des obligations, portant intérêt, hypothéquées sur la valeur même des établissements cédés, et remboursables par annuités ou par amortissement.

L'affaire ainsi réglée avec les propriétaires d'usines, l'Etat dirait aux ouvriers : — Vous allez travailler désormais dans ces usines, comme des frères associés. Pour la fixation de vos salaires, il y a à choisir entre deux systèmes, ou des salaires égaux ou des salaires inégaux. Nous serions partisans, nous, de l'égalité, parce que l'égalité est un principe d'ordre qui exclut les jalousies et les haines.

Ici, Louis Blanc répondait aux objections qu'on pouvait lui faire au sujet de cette égalité de salaires.

Du reste, ajoutait-il, que l'un ou l'autre système l'emporte dans la distribution des salaires, une fois ce point réglé, vient la question des bénéfices du travail commun.

Après le prélèvement du prix des salaires, de l'intérêt du capital, des frais d'entretien et de matériel, le bénéfice sera ainsi réparti :

Un quart pour l'amortissement du capital appartenant au propriétaire avec lequel l'Etat aura traité ;

Un quart pour la formation d'un fonds de secours destiné aux vieillards, aux malades, aux blessés, etc. ;

Un quart à partager entre les travailleurs, à titre de bénéfice, comme il sera dit plus tard ;

Un quart, enfin, pour la formation d'un fonds de secours dont la destination sera indiquée plus bas.

Ainsi serait constituée l'association dans un atelier.

Resterait à étudier l'association entre tous les ateliers d'une même industrie, ajoutait l'auteur de ce projet, et ce afin de les rendre solidaires les uns des autres.

Deux conditions y suffiraient :

D'abord, on déterminerait le prix de revient ; on fixerait, eu égard à la situation du monde industriel, le chiffre du bénéfice licite au-dessus du prix de revient, de manière à arriver à un prix uniforme et à empêcher toute concurrence entre les ateliers d'une même industrie.

Ensuite, on établirait dans tous les ateliers de la même industrie un salaire, non pas égal, mais proportionnel, les conditions de la vie matérielle n'étant pas identiques sur tous les points de la France.

La solidarité ainsi établie entre tous les ateliers d'une même industrie, il y aurait enfin à réaliser la souveraine condition de l'ordre, celle qui devra rendre à jamais les haines, les guerres, les révolutions impossibles : il y aurait à fonder la solidarité entre toutes les industries diverses, entre tous les membres de la société,

Deux conditions pour cela sont indispensables ;

Faire la somme totale des bénéfices de chaque industrie, et cette somme totale la partager entre tous les travailleurs.

Ensuite, des divers fonds de réserve dont nous parlions tout à l'heure, former un fonds de mutuelle assistance entre toutes les industries, de telle sorte que celle qui, une année, se trouverait en souffrance, fût secourue par celles qui auraient prospéré. Un grand capital serait ainsi formé, lequel n'appartiendrait à personne en particulier, mais appartiendrait à tous collectivement.

La répartition de ce capital de la société entière serait confiée à un conseil d'administration placé au sommet de tous les ateliers. Dans ses mains seraient réunies les rênes de toutes les industries, comme dans la main d'un ingénieur nommé par l'Etat serait remise la direction de chaque industrie particulière.

L'Etat arriverait à la réalisation de ce plan par des mesures successives. Il ne s'agit de violenter personne. L'Etat donnerait son modèle : à côté vivraient les associations privées, le système économique actuel. Mais telle est la force d'élasticité que nous croyons au nôtre, qu'en peu de temps, c'est notre plus ferme croyance, il se serait étendu sur toute la société, attirant dans son sein les systèmes rivaux par l'irrésistible attrait de sa puissance. Ce sera la pierre jetée dans l'eau, et traçant des cercles qui naissent l'un de l'autre, en s'agrandissant toujours.

Tel est, rapidement esquisse, concluait Louis Blanc, ce projet que nous soumettons à la discussion.

 

Louis Blanc avait été écouté attentivement. Son système, d'ailleurs fort simple, fut compris de tout l'auditoire. Mais, comme c'était sérieusement qu'on voulait le discuter, les objections et les explications ne se firent pas attendre.

Le citoyen Wolowski, professeur d'économie politique, chercha d'abord à bien asseoir son opinion, en demandant si l'État se bornerait à donner le mouvement au système, laissant à l'industrie privée sa liberté d'action et même de concurrence aux ateliers solidaires.

Assurément, répondit Louis Blanc ; et celui des deux systèmes qui absorbera l'autre sera évidemment le plus fort, le plus utile à la société et le plus moral. Mais il fit remarquer combien les entrepreneurs particuliers auraient d'avantage à se ranger du côté du système des socialistes, afin d'échapper aux chances de la lutte.

L'un des délégués, le citoyen Charpentier, émit la crainte que chaque industrie, ne formant plus qu'un corps, ne rançonnât le consommateur, qui n'aurait plus la garantie de la concurrence. Louis Blanc répondit que la garantie du consommateur serait le tarif. Il ajouta que la prévoyance de l'Etat remplacerait la concurrence pour la fixation des prix. Nous remplaçons, dit-il, le gouvernement du hasard par celui de la science.

A la question : Que deviendra le commerce ? qui lui fut adressée par un autre délégué, le président de la Commission des travailleurs répondit :

La société se composant d'une association de producteurs, le marchand ne serait plus qu'un agent associé à la production, ayant le même intérêt que le producteur ; il ne pèserait plus, comme aujourd'hui, sur le producteur et le consommateur à la fois.

Le citoyen Wolowski, tout en persistant dans son opinion que les industries libres pourraient se maintenir avantageusement en face des ateliers nationaux, émit une crainte qui paraissait fondée : il redoutait de voir tuer, par le système présenté, le ressort de l'activité individuelle, si nécessaire, selon lui, pour accroître la masse de la production. Dans son opinion, il ne suffisait pas, pour améliorer le sort des classes laborieuses, que la répartition du produit fût plus équitable ; il fallait encore que la production fût considérablement augmentée. Il critiqua le système de Louis Blanc, parce qu'au lieu d'accroître la production, il paraissait destiné à la diminuer. Il croyait que l'association aurait le tort de ne pas s'adresser, de préférence, à la production agricole, base de la société, et de laquelle seule, disait-il, pouvait être obtenue l'amélioration du sort des travailleurs par la diminution du prix des matières premières.

C'était faire rétrograder la question jusqu'aux vieilles maximes des économistes, et en revenir au principe de l'offre et de la demande, comme règle du prix des salaires. Aussi le citoyen Dupont-White parla-t-il contre la prétention de faire précéder les améliorations industrielles par les améliorations agricoles, qui, à ses yeux, ne pourrait avoir d'autre résultat que de produire une baisse dans le prix des substances alimentaires, et par conséquent dans les salaires de l'industrie.

Je n'admets nullement, répondit le citoyen Wolowski, que le prix du salaire se règle sur le prix des subsistances. L'Etat peut et doit améliorer le sort des travailleurs ; mais il faut que l'Etat agisse sur le travail offert par le développement du capital intellectuel, de l'activité humaine ; sur le travail demandé, par l'impulsion donnée à tous les grands travaux d'utilité publique, par l'amélioration des voies de communication, par le crédit, par tous les moyens qui puissent développer la masse des produits...

 

Le citoyen Vidal combattit le système appuyé par le préopinant. A ses yeux, le rapport de l'offre et de la demande ne déterminait pas le taux des salaires. Il fit apprécier tous les avantages qui résulteraient du système proposé, c'est-à-dire du socialisme.

M. Wolowski, dit-il, a parlé d'augmenter la production. Je suis de son avis ; mais, tandis qu'il fait appel à l'individualisme pour multiplier la richesse, j'invoque, moi, l'union des forces, la puissance de l'association. L'égoïsme, l'intérêt personnel peuvent bien surexciter un moment les instincts ou provoquer des efforts ; mais tout ce qui s'est fait de grand sur la terre a toujours été accompli au nom d'une idée ou au nom d'un sentiment. Ce sont les idées généreuses qui inspirent les grandes choses. On peut organiser le travail de telle sorte, que l'émulation soit développée au plus haut degré, sans recourir à l'appât de l'intérêt individuel ; on peut exalter le courage du travailleur jusqu'à l'enthousiasme, au nom du devoir, de la fraternité, de la justice : on peut trouver, dans les mobiles purement moraux, des stimulants de production autrement énergiques que les ressorts de l'intérêt ou de l'individualisme.

 

C'était, comme on le voit, les deux systèmes en présence. Le citoyen Wolowski parlait toujours de la liberté, de la concurrence, du laisser-faire, du laissez-passer ; le citoyen Louis Blanc répondait qu'il ne pouvait y avoir de liberté toutes les fois qu'il y avait inégalité. Par conséquent, répétait-il, nous demandons que le fort et le faible s'associent dans un sentiment de fraternité. Toutes les fois que les forces sont inégales, la lutte conduit nécessairement à une victoire et à une défaite.

Ne laissant aucune objection sans réponse, Louis Blanc, à propos de la richesse agricole, sur laquelle son adversaire basait celle de l'Etat, démontrait qu'il ne suffisait pas que la production augmentât pour que le pauvre ne courût plus le risque de mourir de faim.

Je vais plus loin, ajoutait le président de la Commission ; cet accroissement de la richesse que M. Wolowski demande, rien n'est plus propre à l'arrêter que la concurrence. Qu'est-ce autre chose qu'une interminable série de chutes ? qu'un entassement quotidien de ruines ? Qu'est-ce autre chose qu'un champ clos où s'usent d'une manière incessante toutes les forces de l'industrie ?...

— Je crains, répondait le citoyen Wolowski, que votre système ne détruise la liberté telle que je l'entends, c'est-à-dire le développement de toute l'activité individuelle ; et qu'en affaiblissant ce ressort si puissant, il ne diminue la masse de la production.

— Oui sans doute, l'émulation est nécessaire, répliquait Louis Blanc ; mais l'émulation tirée de l'intérêt personnel, c'est l'individualisme ; stimulant énergique, mais funeste.

— M. Wolowski a insisté sur l'augmentation de la production agricole, dit alors le citoyen Toussenel. Cette augmentation n'est possible que par l'association. Je citerai l'exemple de la Suisse et des provinces rhénanes, pays que la nature a faits pauvres, que l'association a faits riches. Là, en effet, existent des banques agricoles, qui donnent aux cultivateurs les moyens de se procurer les machines dont ils ont besoin, L'intervention de l'Etat peut seule, chez nous, tirer l'agriculture du malaise où elle se trouve.

— Il est bien entendu, ajouta le citoyen Vidal, que l'association que nous proposons sera purement volontaire : nous ne voulons point recruter de force les travailleurs et les enrôler malgré eux ; nous offrons aux ouvriers les moyens de s'associer et de travailler eux-mêmes...

— Les mines de fer de la Hongrie, celles du Hartz, dit alors le citoyen Le Play, sont organisées d'après ces principes. Les résultats sont on ne peut plus favorables au système de l'association. Le principe de la hiérarchie des fonctions y est admis.

— Le salaire est-il le même pour tous ? demanda le citoyen Duveyrier.

— Non, reprit le préopinant ; mais le salaire est le même pour les ouvriers de chaque catégorie. Le Hartz, plateau stérile, serait inhabitable sans les heureux effets de l'association : une population de cinquante mille âmes y vit heureuse dans ce système. Les mines de la Russie sont exploitées d'après les mêmes principes. Un officier, nommé par l'empereur, y veille à leur fidèle application. J'ai fait le bilan d'un ménage d'ouvriers français dans des conditions passables, et, je le dis à regret, j'ai trouvé que le serf russe était incomparablement mieux traité que l'ouvrier de France.

— Ce sont des faits très-précieux, fit observer Louis Blanc. La seule objection qu'on puisse faire à notre système, dont la logique me paraît irréfutable, serait tirée de sa nouveauté. Si donc, à côté des principes, nous avions à placer des exemples, nos argumentations seraient sans réplique.

— Je n'ose affirmer que, pour toutes les industries, l'application de ce système soit possible, répliqua le citoyen Leplay ; mais ce que j'affirme, c'est que, pour l'industrie des mines, que je connais spécialement, l'application serait aussi facile qu'avantageuse.

 

Et cette longue et intéressante séance fut mise sous les yeux du public, qui se trouva ainsi initié aux grandes questions dont on s'occupa dès lors très-souvent à la Commission des travailleurs[7].

Deux jours après, un journal démocratique, après s'être emporté contre ceux qui, par leurs terreurs affectées, prolongeaient la crise financière qui frappait la République, s'écriait :

Nul cri ne s'est fait entendre contre les vaincus ; aucune réaction n'est venue vous atteindre ; pas une goutte de sang versé ; la propriété respectée, au milieu d'une misère effrayante ; la sécurité rétablie dans les rues par les combattants d'hier.

Ce que vous voyez seulement, ce sont les députations pacifiques d'ouvriers, allant demander au pouvoir des garanties d'existence pour le lendemain.

Est-ce là ce qui vous inquiète, ce qui fait rentrer votre or dans vos caisses, ce qui vous détermine à fermer vos comptoirs ? Vous fuyez un péril qui n'existe pas, et vous faites naître un péril grave !

Sachez-le, les citoyens qui vont ainsi demander des garanties pour l'avenir y sont poussés par la cruelle expérience qu'ils ont puisée dans le passé. Ils offrent leur travail, leur dévouement, leur vie ; mais ils veulent, en récompense, ne plus voir la misère affreuse assiéger leur porte, détruire leurs forces, et leur creuser lentement un tombeau.

Une nouvelle organisation du travail leur donnera ces garanties.

Mais, dit-on, le gouvernement a posé là une question insoluble ; il a mis au cœur de ces hommes une espérance qu'il ne peut réaliser.

Ce doute jeté en avant, s'écriait l'auteur de cet article, est une mauvaise action.

Une question insoluble ! mais vous pensez donc que dans une société il doive y avoir fatalement des millions d'êtres qui souffrent du froid, de la faim et d'une souffrance pire encore, celle de voir expirer sous leurs yeux, sans pouvoir leur porter secours, leurs femmes, leurs enfants, leur père épuisé par l'âge !

Non, ce n'est pas une question insoluble ! Les citoyens de cœur et de volonté, qui ont accepté la tâche dure autant que sublime de l'étudier, de la préparer, d'en attendre la solution, en viendront à bout, et l'humanité leur en sera reconnaissante !

 

Louis Blanc et ses amis avaient à peine commencé à élaborer les grandes questions si propres à intéresser à la fois et l'industrie et les travailleurs, que la malveillance s'était emparée du Luxembourg pour tourner en ridicule les efforts des amis du peuple. La Commission des travailleurs se vit attaquée par tous les journaux réactionnaires, et ce dans un but facile à saisir, celui de frapper de découragement et d'impuissance les citoyens qui se vouaient à cette tâche humanitaire.

Les hommes du Luxembourg répondirent à ces basses calomnies, en se servant de leur influence pour résoudre amiablement les difficultés qui leur étaient journellement soumises par les ouvriers ou les patrons. Les mécaniciens, les constructeurs de machines, la boulangerie, les fabricants et les ouvriers en papiers peints, les maîtres et les ouvriers paveurs, les débardeurs et marchands de bois, les entrepreneurs de voitures de place et les cochers, les maîtres maréchaux-ferrants, les maîtres et les ouvriers plombiers-zingueurs, les scieurs de pierre et les entrepreneurs de maçonnerie, les patrons et les ouvriers vidangeurs de nuit, etc., etc., se trouvèrent admirablement bien d'avoir saisi la Commission des travailleurs des différends survenus dans le sein de ces divers établissements ; quelques-uns s'étant fermés en présence des difficultés, se rouvrirent et marchèrent dans une meilleure voie. Les exhortations et la confiance inspirée aux ouvriers contribuaient ainsi au maintien de l'ordre, dans un moment où le gouvernement ne possédait que la force morale.

Déjà une foule d'associations, sur les bases posées par les socialistes, se formaient à Paris et dans d'autres villes. Les demandes en cession d'établissements arrivaient en grand nombre et fournissaient la preuve que la crise commerciale ne datait pas de la révolution de Février.

Mais hors d'état de rien exécuter, l'institution de la Commission des travailleurs, bornant ses fonctions à étudier les questions relatives au travail et au sort des ouvriers, sans ressources administratives, sans budget, sans fonds quelconques, fut impuissante à faire, par elle-même, l'application de ses idées. Le Luxembourg ne put donc que semer pour un avenir très-prochain : il proclama le principe de la solidarité humaine ; il glorifia l'association ; il donna aux malheureux, par l'espoir, le courage de la modération et l'héroïsme de la patience ; enfin, il attaqua la servitude sous son dernier déguisement, qui est la misère.

 

 

 



[1] Rapport sur la situation générale de la France présenté à l'Assemblée nationale par le président du gouvernement provisoire, le 6 mai 1848.

[2] Toutes les doctrines furent représentées aux conférences du Luxembourg. Ainsi, le saint-simonisme s'y trouva dans la personne de MM. Ch. Duvergier et Careaux ; le fouriérisme, dans celle de M. Victor Considérant ; les encyclopédistes du dix-neuvième siècle, par M. Jean Reynaud ; le socialisme moderne, par MM. Vidal et Pecqueur ; l'économie proprement dite, par M. Wolowski.

[3] Les délégués des ateliers de couture venaient de faire parvenir à la Commission des travailleurs des échantillons de chemises établies dans les couvents, pour les soldats, dont le prix de façon était payé trente-cinq centimes, quoiqu'il fallût au moins une journée pour faire une de ces chemises. Comment voulez-vous, disaient ces délégués, qu'à de pareilles conditions une femme puisse vivre du travail de ses mains ? Il y avait longtemps qu'on savait cela à Paris, sans qu'on eût songé à y remédier.

[4] Les nombreux ouvriers mécaniciens des ateliers d'Henri Leclerc et de Pichet venaient d'adresser à la Commission du gouvernement l'admirable déclaration suivante :

Les soussignés déclarent qu'ils sont satisfaits du décret rendu par le gouvernement provisoire qui a fixé la durée du travail à dix heures, et qu'ils regarderaient comme injuste toute autre prétention, dont le résultat occasionnerait la ruine de leurs chefs et la fermeture des ateliers. Ils adjurent leurs frères de ne rien exiger au delà du juste et du raisonnable, et de se mettre en garde contre les mauvais conseils des fauteurs de trouble et d'anarchie.

[5] Vous n'êtes pas libres encore, disait aux hommes qui avaient renversé le trône, un autre socialiste déjà cité par nous, le démocrate Félix Pyat. Il vous reste à détrôner deux autres tyrannies ; l'ignorance et la misère. Sujet ou citoyen, républicain ou royaliste, l'homme qui a faim est esclave du besoin, l'homme qui ne sait pas est esclave de l'erreur... Ainsi, la République des gens libres doit donner à l'homme lumière et bien-être ; car l'homme est un corps et une âme : il vit de pensée comme de pain...

[6] Quoique la définition ci-dessus n'ait pas été présentée par Louis Blanc dans cette séance, comme elle lui appartient, nous avons pensé qu'elle pourrait ainsi servir d'introduction, d'exposé des motifs à son projet d'organisation du travail.

[7] Ayant exposé complètement ici le système que la Commission des travailleurs espérait faire prévaloir et appliquer successivement aux diverses industries de la France, nous croyons avoir assez expliqué au lecteur ce que Louis Blanc et ses amis entendaient par l'association des travailleurs, ou plutôt par le socialisme. Nous nous dispenserons donc d'analyser les autres séances du Luxembourg, qui ne pourraient nous fournir d'ailleurs que des répétitions.