HISTOIRE DU RÈGNE DE LOUIS XIV

TROISIÈME PARTIE. — LA DÉCADENCE : GUERRES DE LA SECONDE COALITION ET DE LA SUCCESSION D'Espagne (suite et fin)

 

CHAPITRE XLIII ET DERNIER. — La fin de Louis XIV.

 

 

Sa vieillesse. Ses derniers travaux d'administration. Son testament. Sa mort. — Conclusion.

 

Nous approchons du terme. En vain les courtisans se glorifiaient de la belle santé du roi. En vain Dangeau répétait, à chaque anniversaire de son avènement : Le roi date aujourd'hui de notre règne le soixante-neuvième ou soixante-onzième, ce qui ne s'est vu d'aucun souverain. La vieillesse, aidée de l'application au travail, des émotions de la politique, des chagrins du cœur, triomphait de toutes les apparences favorables, et minait intérieurement une vie si régulièrement, si laborieusement occupée ou tourmentée depuis cinquante ans. Au dehors, il se contraignait pour représenter toujours, pour ne faillir ni à ses devoirs ni à sa dignité ; mais une fois rentré dans son intérieur le plus intime, loin des regards curieux ou malveillants et des chercheurs de nouvelles, il désarmait pour ainsi dire, s'abandonnait aux faiblesses de la nature, et se laissait voir tel que l'avaient fait le temps et ce long exercice de la royauté. Mme de Maintenon nous en fait la confidence. Quand le roi est revenu de la chasse, dit-elle[1], il vient chez moi ; on ferme la porte et personne n'entre plus. Me voilà donc seule avec lui. Il faut essuyer ses chagrins, son silence, ses tristesses, ses vapeurs ; il lui prend quelquefois des pleurs dont il n'est pas le maitre, ou bien il se trouve incommodé : il n'a point de conversation. Il avait fallu inventer pour lui des distractions, surtout depuis la mort de la duchesse de Bourgogne qui ouvre cette période d'infirmité morale. Mme de Maintenon l'avait réconcilié avec Villeroi, disgracié après Ramillies, pour lui rendre un ami, un compagnon d'enfance, plu tôt agréable conteur que général habile, toujours prêt à causer de chasse, de musique et de souvenirs de jeunesse. Elle y joignit chez elle le soir, et ce devint une habitude presque quotidienne, des musiques grandes ou petites ; comme il s'y connaissait parfaitement, il s'y amusait beaucoup[2]. A la musique s'entremêlait souvent, et jusqu'à trois fois par semaine, la comédie jouée par les musiciens du roi. Tout le répertoire divertissant de la belle époque le suivait à Marly, à Fontainebleau, comme à Versailles, et il en témoignait quelquefois sa satisfaction par des remercîments aux acteurs. N'eût-on pas dit que l'époque était toute à la joie et aux plaisirs ? Ce n'était pourtant qu'une de ces ruses de famille par lesquelles on ranime un malade en affectant devant lui une gaieté qu'on n'a pas.

Qu'on ne croie pas pour cela que l'administration restât en souffrance, et que les intérêts généraux fussent abandonnés pour les divertissements du roi. Dès que la paix parut probable, et l'espérance permise de relever le commerce, en septembre 1712, des lettres patentes organisèrent le commerce de la Louisiane. L'autorité s'y proposait de compenser de ce côté la perte de la baie d'Hudson que le traité d'Utrecht allait livrer à l'Angleterre, de tirer de la Louisiane les marchandises que la France achetait encore des étrangers, et d'ouvrir par ce pays un nouveau débouché aux marchandises du cru et des manufactures de France[3]. Il s'y joignit le mois suivant une ordonnance en faveur des îles d'Amérique — Antilles —, qui défendait aux maîtres de donner la question à leurs esclaves, et entendait prévenir par là de nombreuses désertions d'esclaves, funestes à l'exploitation de ces îles. Dès le mois de janvier 1713, l'attention du roi se portait sur les moyens de réparer les calamités intérieures. En réglant le répartement de la taille, il en accordait l'exemption pour quatre ans à ceux qui remettraient en culture les domaines et fermés abandonnés. Avant la fin de l'année (septembre 1713) il commença à ramener les monnaies à leur valeur réelle. La diminution devait être, au début, de dix sols sur un louis, de deux sols six deniers sur un écu, et se poursuivre dans la même proportion de deux en deux mois, jusqu'à ce que le louis fût à quatorze livres, et l'écu à trois livres dix sols, ce qui est à peu près la valeur intrinsèque[4]. Singulière contradiction de l'esprit humain, ou plutôt impudeur de l'égoïsme ! Rien n'était assurément mieux entendu pour le bien commun que de mettre les espèces et matières d'or et d'argent sur un pied proportionné à la valeur qu'elles ont eue dans tous les temps et qu'elles avaient encore dans les pays étrangers. Cependant il se trouva des gens pour affirmer, et d'autres pour croire, qu'il y aurait au contraire avantage à augmenter le prix des espèces et des matières, soit par le désir de sortir plus facilement d'engagements téméraires, soit par le regret de ne pouvoir plus continuer un commerce d'usure. Le roi eut besoin de résister, de renouveler ses arrêts, et d'éclairer les populations ignorantes par des déclarations formelles. On en trouve une à la date du 13 août 1715, dix-huit jours avant sa mort[5].

La paix faite à Rastadt comme à Utrecht, le roi, considérant que les affaires augmentaient par les relations plus fréquentes avec les princes étrangers, jugea que deux conseils d'État par semaine ne suffisaient pas ; il en établit un troisième. Un fait rapporté par Dangeau Prouve que rien ne troublait son assiduité au travail. Il était à Fontainebleau ; comme il n'y devait rester que quatre semaines, le chancelier avait obtenu de ne pas faire aller dans cette ville le Conseil des parties. Tout à coup le roi trouva bon de prolonger son séjour d'une quinzaine ; dès lors les parties auraient pu se plaindre d'avoir à attendre trop longtemps ; le conseil eut ordre de se rendre à Fontainebleau. Parmi les efforts de cette dernière époque il en est un qui fit du bruit au dehors, et qui montra quelle était toujours la vigilance du roi à profiter de toute occasion avantageuse, et sa fermeté à se faire respecter au dehors. La paix d'Utrecht lui avait enlevé le port de Dunkerque ; il avait dû se résigner à le détruire lui-même ; mais la paix ne parlait pas de Mardyck, petite ville du voisinage, autrefois pourvue d'un port que le développement de Dunkerque avait fait négliger, que quelques travaux pouvaient rétablir. Le roi fit sans délai commencer à Mardyck les travaux d'un canal, et l'Angleterre ne tarda pas non plus à en concevoir de l'inquiétude. On arrêta deux Anglais surpris à sonder le canal, puis la diplomatie s'en mêla. Prior avant la mort de la reine Anne, lord Stairs après l'avènement de la maison de Hanovre, prétendirent prouver que cette entreprise était contraire à l'esprit, sinon à la lettre, de la paix d'Utrecht. Le roi les rassura d'abord sur ses intentions, et leur expliqua que le canal était fait pour préserver le pays de l'inondation en donnant aux eaux de l'intérieur un écoulement vers la mer. Les réclamations se réitérant, il signifia à lord Stairs qu'il avait le droit d'agir à son gré chez lui. On lui prête ces paroles : Monsieur l'ambassadeur, j'ai toujours été le maitre chez moi, quelquefois chez les autres ; ne m'en faites pas souvenir. Les réclamations cessèrent, et les travaux de Mardyck, continués par Louis XIV, n'ont été arrêtés que sous la régence[6].

Il ne sauva pas aussi bien son honneur dans les opérations financières .Il ne parvint ni à rétablir l'ordre dans les finances, ni à éteindre ou même diminuer la dette, la plus lourde des charges qu'il a laissées à ses successeurs. A la fin de 1713, il voulut régler un peu ses comptes avec les rentiers de l'Hôtel de ville. Il réduisit ces rentes au denier vingt-cinq, en promettant de ne plus prélever dessus le dixième. Il n'en restait pas moins chargé envers la maison de ville d'une dette de 750 millions dont l'intérêt au denier vingt-cinq était de 30 millions. En dépit de tous les engagements, il se déclara hors d'état de supprimer la Capitation et la Dime de Desmarest, deux impôts de guerre qui continuèrent après la paix. Ceux qui avaient payé d'avance la capitation pour six ans, ou pour douze comme le clergé, furent contraints de la paver une seconde fois. Il parvint à supprimer la caisse des emprunts (1715), mais à la condition de ne rembourser aux détenteurs des billets que la moitié du principal, sous le prétexte que, à travers toutes les dépréciations de ces valeurs, les porteurs actuels n'avaient pas payé le quart du capital ; et il paya, non en argent comptant — les dettes contractées par la guerre et l'aliénation d'une partie de ses revenus ne le permettant pas —, mais en contrats.de rentes remboursables d'année en année[7]. Il en était réduit, dans les derniers mois de son règne, à tirer du clergé douze millions que le clergé empruntait facilement sur son grand crédit, à tirer neuf millions des fermiers généraux, soit en leur donnant des successeurs moyennant finance, soit en taxant à 100.000 livres ceux qu'il laissait en place[8] ; enfin à créer deux millions de rentes au denier vingt pour acquitter les dettes de l'État. Ce dernier édit, d'août 1715, termine le recueil des actes de son règne.

A cette impuissance qui, quoi qu'on en dise, était bien faite pour assombrir ses derniers jours, s'ajoutaient les tribulations domestiques, personnelles, auxquelles ses ennemis mêmes consentent à reconnaître qu'il n'était pas insensible. Depuis qu'il avait perdu le duc de Bourgogne par la mort, et le duc d'Anjou par la renonciation, son plus proche enfant était le duc de Berry, celui auquel il avait dit, à la mort de son aîné : Je n'ai donc plus que vous. Il l'avait marié en 1710 avec la fille du duc d'Orléans son neveu, qui était aussi fille d'une de ses bâtardes, par son système entêté de confondre en une même famille, s'il était possible, ses bâtards avec ses descendants légitimes. Ce mariage n'avait pas été heureux. La duchesse de Berry, altière, violente, débauchée, impie, effrayait la cour par ses emportements d'orgueil et l'audace de sa corruption. Elle 'méprisait en sa mère une bâtarde, en sa grand'mère une Allemande qui ne savait pas parler français, en son mari un idiot tremblant et dévot. A table elle s'enivrait ; elle affichait des galanteries impudentes ; elle avait un jour rêvé comme une aventure digne d'elle, d'être enlevée, au milieu de la cour, par un écuyer de son mari ; ce qui était plus monstrueux encore, on parlait de ses particuliers journaliers et sans fin avec le duc d'Orléans, son propre père[9]. Elle attendait avec impatience le moment prochain où la mort du roi livrerait la régence à son mari, ou peut-être la royauté même si le petit Dauphin mourait avant le roi. Tous ces projets s'évanouirent en quatre jours. Le duc de Berry, atteint de fièvre et de crachement de sang à la suite d'une chute dont l'histoire n'est pas très-claire, mourut le 4 mai 1714 sans postérité. L'importance scandaleuse de sa femme cessait ainsi, mais une nouvelle perplexité commençait pour le roi.

Le degré de parenté, l'usage constant de la monarchie, appelait dès lors à la régence le duc d'Orléans. Or, qu'était-ce que le duc d'Orléans ? On ne nous reprochera pas de parti pris contre ce prince ; nous n'en dirons rien qui ne soit emprunté à Saint-Simon son plus fidèle ami, et ajoutons, pour être juste envers tout le monde, le plus honnête. Le duc d'Orléans était né bon, humain, compatissant. Il avait la mémoire facile et très-étendue, l'esprit pénétrant. Sa capacité militaire était complète ; capitaine, ingénieur, intendant d'armée, il avait encore une valeur naturelle, tranquille, qui lui laissait tout voir et tout prévoir. Mais sa mère disait de lui que, si toutes les fées l'avaient doué à sa naissance, une vieille fée, venue la dernière, l'avait condamné à ne se servir jamais utilement des dons des autres. L'éducation lui avait manqué, soit par la faute de l'abbé Dubois[10] son précepteur, soit par une mollesse de volonté qui a été' la honte de ses dernières années. Il était incrédule, non pourtant jusqu'à ne pas croire au diable qu'il aurait voulu voir, et qu'il évoquait la nuit dans les carrières de Vanves ou de Vaugirard. Il ne croyait pas à la vertu des femmes, ni à la probité des hommes, et ne voyait dans la religion qu'une duperie inventée par la politique. Moitié par cette prétendue liberté d'esprit, moitié par dépit du mariage que le roi son oncle lui avait imposé, il aimait la débauche, et le bruit et le bel air de la débauche. C'était être considérable à ses yeux que d'être outré, ancien, en impiété et en corruption. Il avait pour idéal le grand prieur de Vendôme, qui pendant quarante ans s'était toujours couché ivre, avait ravi impunément à Charles II d'Angleterre ses maîtresses sous ses yeux, et avait toujours professé l'irréligion. Son grand objet était de l'emporter sur tous les autres débauchés par les plus extravagants excès, pour lesquels il choisissait de préférence le vendredi saint et autres jours particulièrement respectables. Son moindre défaut était le goût déplacé dans un prince pour la chimie, la peinture, les collections de tableaux et la confection des parfums. Avec tout cela, il n'était pas inaccessible à l'ambition ; il en avait donné la preuve en Espagne en acceptant pour lui-même un projet de démembrement de cette monarchie, ou, comme il l'avouait, la perspective d'être substitué à Philippe V, si Philippe V tombait du trône par la force des événements. De là, cette fâcheuse réputation qui lui fit imputer par la voix publique la mort du duc de Bourgogne. De là, dans les gens de bien, une grande appréhension de le voir arriver au pouvoir. Après la mort du duc de Bourgogne, Fénelon élaborait avec ses amis un projet de conseil de régence. Le duc de Berry vivant encore, c'était à lui que revenait naturellement l'autorité suprême ; mais il lui fallait des assesseurs. Fénelon aurait voulu en exclure le duc d'Orléans. Ce qui me frappe, écrivait-il[11], est que sa fille, qui est dans l'irréligion la plus impudente, ne saurait y être sans lui, et qu'étant instruit de tout ce qui se dit de monstrueux de leur commerce, il n'en passe pas moins sa vie avec elle. Cette irréligion, ce mépris de toute diffamation, cet abandon à une si étrange personne, semblent rendre croyable tout ce qu'on a le plus de peine à croire.... A tout prendre, je n'oserais dire qu'il convient de mettre clans ce conseil un prince suspect de scélératesse, qui se trouverait le maître de tout ce qui serait entre lui et l'autorité suprême. De plus, .indépendamment de ce soupçon, on ne peut guère espérer qu'étant livré à sa fille, il contribuât à la bonne éducation du jeune prince, au bon ordre pour rétablir l'État. Ces réflexions qui ressemblent assez à un jugement définitif prouvent, au moins en partie, que tout ne fut pas aveuglement et passion dans le testament de Louis XIV. Ce n'était pas sans motif grave que le roi hésitait à remettre le pouvoir entre des mains qui menaçaient d'en faire un usage dangereux.

Les dispositions prises pour ne confier au duc d'Orléans qu'une autorité restreinte, auraient été moins suspectes et moins odieuses, si elles n'avaient pas eu la marque d'une préférence affectée pour les bâtards, et comme d'un regret de ne pouvoir leur livrer toute la puissance royale. Les bâtards ! le roi y revenait donc toujours, malgré les avertissements du ciel ! On a vu tout ce qu'il avait fait pour le duc du Maine, les dignités et les seigneuries dont il l'avait comblé. Une prodigalité semblable s'était exercée en faveur du comte de Toulouse, à mesure que celui-ci croissait en âge. Le roi lui avait attribué successivement le duché-pairie de Penthièvre (1698), le duché-pairie de Château-Villain (1703), le duché-pairie de Rambouillet (1711). Récemment, un édit avait confirmé pour les enfants légitimés et leurs descendants le rang intermédiaire entre les princes du sang et les autres seigneurs du royaume établi en 1694 ; et spécialement les fils du duc du Maine avaient été admis à jouir sans retard des mêmes honneurs que leur père. On pouvait croire qu'enfin c'était assez ; on apprit, en juillet 1714, que le roi voulait leur donner encore de plus grandes marques de sa tendresse et de son estime. Par un édit, il déclara ses bâtards aptes à succéder à la couronne, en cas d'extinction de tous les princes légitimes de la maison de Bourbon. Il alléguait le bien et l'avantage de l'État, la nécessité de prévenir les troubles, les divisions entre seigneurs, les compétitions par les armes ou autres voies également funestes, qui sont inévitables quand le trône vient à vaquer par l'extinction de toute une dynastie[12]. Le premier président de Paris et l'avocat général expliquèrent à la cour les intentions du roi, et l'édit fut enregistré sans réclamation, en présence du duc de Bourbon, du prince de Conti, et d'un grand nombre de ducs et pairs. Madame de Maintenon, il convient de le dire, n'était pas étrangère à cette énormité. On le sait par la reconnaissance que le duc et la duchesse du Maine lui en exprimèrent. Je connais dans toute son étendue, lui écrivait la duchesse[13], la grâce prodigieuse que ce grand prince daigne répandre sur ma famille. Je n'ignore pas combien votre tendresse pour le duc du Maine et pour mes enfants y a contribué. Aussi apprendront-ils de ma bouche à partager entre vous et moi toute la tendresse, toute la reconnaissance et tout le respect qu'on doit à sa propre mère. Ce langage, ce ton leur était d'ailleurs familier envers leur protectrice. Le duc du Maine l'appelait un des chefs de la famille, et qualifiait sa propre reconnaissance d'adoration ; et madame de Maintenon, qui aimait sincèrement cet enfant de son cœur, se laissait aller à le servir sans voir toujours à quels excès l'emportait cette affection.

Moins d'un mois après la publication de cet édit, le roi manda le premier président du parlement de Paris et le procureur général d'Aguesseau. Il leur remit son testament cacheté, et un édit par lequel il en confiait la garde au Parlement, pour l'ouvrir aussitôt après sa mort et veiller à l'exacte observation de tout ce qui y était contenu. L'édit fut enregistré le 29 août ; le testament fut déposé dans la muraille d'une tour du palais, où-Von creusa une niche tout exprès, et sous une porte et une grille de fer dont le premier président, le procureur général et le greffier en chef eurent chacun une clef.

Il y avait donc un testament, mais que contenait-il ? On pouvait tout au plus induire de quelques passages du préambule de l'édit qu'il y avait un conseil de régence au lieu d'un régent, mais on ne pouvait savoir ni quelles personnes en faisaient partie, ni quelles étaient leurs attributions. Mais il suffisait, disent les amis du duc d'Orléans, qu'il y eût un testament pour que ce testament fût contraire à ce prince ; on n'avait fait de testament que pour le lier ; autrement il n'était pas besoin d'en faire, il ne fallait que laisser aller les choses dans l'ordinaire et dans l'ordre naturel. Ils se mirent donc à colporter toute espèce de bruits ; ils racontèrent que le testament avait été extorqué au roi par Mme de Maintenon et par le duc du Maine, qui, pour l'amener où ils voulaient, l'avaient d'abord tourmenté par leurs sollicitations, et ensuite accablé par l'isolement, écartant de lui foute société et refusant de lui parler et même de répondre à ses questions. Le roi ayant exprimé au premier président et à la veuve de Jacques II, que, par l'exemple de ses prédécesseurs, il n'avait pas grande foi à la puissance de cet acte après sa mort, on lui fit dire qu'il ne l'avait rédigé que pour acheter son repos, qu'on ne lui avait laissé ni paix ni patience ; que le testament deviendrait ce qu'il pourrait, mais qu'au moins on ne l'en tourmenterait plus. Il ne serait peut-être pas impossible de répondre que l'isolement n'avait pas été très-étroit ; car on voit, par le journal de Dangeau, que les musiques n'avaient pas cessé un seul jour chez madame de Maintenon. On pourrait encore remarquer que les paroles du roi à la reine d'Angleterre, telles que Saint-Simon les rapporte, ne sont qu'une troisième édition ; car il les tenait de Lauzun, qui les tenait de la reine, qui les avait entendues de la bouche du roi ; et ces trois transmissions pourraient bien n'être que trois transformations. Mais il vaut mieux examiner le testament en lui-même, puisqu'il nous est parfaitement connu, et juger sur pièces des graves reproches qu'il mérite.

A l'exemple de son père, Louis XIV établit un conseil de régence, dont le duc d'Orléans est le chef, et composé de quatre princes dont le duc du Maine et le comte de Toulouse, de cinq maréchaux, des quatre secrétaires d'État et du contrôleur général des finances. Toutes les affaires qui doivent être décidées par l'autorité du roi, toutes les nominations, ecclésiastiques, civiles, judiciaires, militaires, seront délibérées au conseil de régence, sans que le duc d'Orléans, chef du conseil, puisse seul et par son autorité particulière, rien déterminer, statuer et faire expédier ; en cas de partage des voix, son avis prévaudra. Il ne peut être fait de changement dans le conseil que par la mort, ni être pourvu aux vacances que par le choix du conseil.

La personne du roi mineur sera sous la tutelle et la garde du conseil de régence ; mais comme il est nécessaire que quelque personne d'un mérite universellement reconnu et distinguée par son rang, soit particulièrement chargée de veiller à la sûreté, conservation et éducation du roi mineur, le duc du Maine est nommé pour exercer cette autorité et remplir cette importante fonction. Si le duc du Maine vient à manquer, le comte de Toulouse le remplacera. Villeroi est nommé gouverneur du jeune roi ; il sera au besoin remplacé par d'Harcourt. Tous les officiers de la garde et de la maison du roi seront tenus de reconnaitre le duc du Maine, de lui obéir en tout ce qu'il leur ordonnera pour le fait de leurs charges, par rapport à la personne du roi mineur, à sa garde et à sa sûreté.

Tels sont les traits essentiels de ce testament. Les autres dispositions recommandent le maintien des édits sur la religion, la conservation de l'hôtel des Invalides et de la maison de Saint-Cyr[14].

Les partisans du duc d'Orléans, dont l'opinion a fini par s'imposer, s'indignent surtout de ce que les membres du conseil n'étaient pas les amis du duc d'Orléans, ni des hommes disposés à tout changer. Mais en conscience pouvait-on demander à Louis XIV d'abjurer tout son gouvernement, et de laisser toute liberté à un prince dont il avait plus d'une raison de craindre les vices et les insuffisances ? Que des hommes empressés de saisir le pouvoir se plaignent d'en être écartés, leur mécontentement n'est pas non plus la preuve péremptoire de leur capacité. La régence, que le duc d'Orléans s'est fait déférer plus tard tout entière, sans aucune restriction ni conseil imposé, n'a pas eu d'assez éclatants succès pour qu'on le proclame, lui et ses agents, les réformateurs et les réparateurs du pays. Parlons franchement, beaucoup d'hommes fatigués du vieux régime et de leur position, aspiraient à tin changement dans les personnes et dans les choses, et l'attendaient d'un prince qui passait pour l'adversaire des idées et des croyances du roi et de ses habitudes de gouvernement. Ce qui est mal entendit dans le testament de Louis XIV, c'est ce partage de l'autorité, ce pouvoir militaire constitué en hostilité flagrante avec le pouvoir civil. Ce qui est blâmable sans réserve, c'est l'importance donnée aux bâtards, non-seulement dans le gouvernement de l'État, mais encore dans le gouvernement de la famille, et l'assurance avec laquelle leur mérite et leur rang sont rappelés. On comprend l'impopularité, et, si l'on veut, la haine, qui s'est toujours attachée à cette obstination du roi.

Pendant toute l'année qui suivit, les partisans du duc d'Orléans ne s'occupèrent que des moyens d'annuler le testament, et de combinaisons pour se partager l'autorité. Un président au parlement proposait sans scrupule, aussitôt le roi mort, de violer la cachette où le testament était déposé, et de le détruire, ce qui était en supprimer les effets, puisqu'il n'y avait pas de double. Saint-Simon remuait, discutait des formes d'administration, des choix pour les places, et des sévérités contre Mme de Maintenon, les favoris de la cour et les partisans de la bulle Unigenitus. Une opposition redoutable se recrutait dans tous les mécontents et particulièrement dans les magistrats. Le roi n'en paraissait pas instruit, ou du moins ému. Il bravait même encore une fois un des griefs les plus légitimes qu'on pût alléguer contre lui, en décernant explicitement, et pour éviter à l'avenir toute incertitude, la dignité de princes du sang à ses bâtards (23 mai 1715). Nous voulons, disait-il, qu'il ne soit fait aucune différence entre les princes du sang royal, et nos dits fils légitimés et leurs descendants en légitime mariage[15]. Il avait perdu successivement ses vieux ministres. Le chancelier Pontchartrain l'avait quitté par démission (juillet 1714) pour ne plus s'occuper que de son salut. Le duc de Beauvilliers, qu'il se proposait de donner pour précepteur au petit Dauphin, était mort quelques jours après cette retraite (31 août 1714). Il n'en apportait pas moins sa régularité habituelle aux affaires, et nous avons vu ses efforts stériles, mais laborieux, pour remettre l'ordre dans les finances. Il se promettait d'en finir avec cette longue affaire de la bulle, et, malgré les résistances du premier président et du procureur général, il était déterminé à la régler par un édit et par un lit de justice. Sa mort arrêta ce projet.

Le 10 août 1715, le roi rentrant de Marly à Versailles était si abattu et si faible, qu'il eut peine à aller de son cabinet à son prie-Dieu. Deux jours après, Dangeau, assistant à son coucher, crut, dit-il, voir un homme mort ; tant ce corps vigoureux avait dépéri et maigri en peu de temps ; il semblait qu'on en avait fait fondre les chairs[16]. Ilse plaignait d'une douleur de sciatique à une jambe et à la cuisse, et ce fut pour un mal de ce genre qu'on le soigna d'abord. Il se résigna à prendre quelques précautions, à garder le lit chaque jour pendant quelques heures, à se faire porter chez Mme de Maintenon pour entendre la musique et jouer avec les dames. Mais les affaires n'en souffrirent pas ; il tenait dans son lit, à leurs jour et heure, le conseil des finances ou le conseil d'État, ou travaillait avec chaque ministre en particulier. A partir du 20, les appareils dont sa jambe était entourée lui rendirent plus difficile de s'habiller ; il se levait encore en robe de chambre pendant quelques heures et vaquait à ses devoirs. Cependant il dut s'abstenir d'assister du haut de son balcon à une revue de la gendarmerie. On n'avait encore aucune inquiétude de mort prochaine, quand, le 24, les médecins jugèrent, à des taches noires, que la gangrène pourrait bien être à sa jambe. Lui-même, frappé du progrès de ses douleurs et d'une grande faiblesse qui lui prit après le souper, fit venir son confesseur. Mais ayant un peu dormi, et le lendemain étant la Saint-Louis, le jour de sa fête, il crut pouvoir ne rien changer aux usages de cette solennité. Il laissa les tambours lui donner les aubades accoutumées, et, pour les mieux entendre, il les fit avancer jusque sous son balcon. Il voulut encore permettre au public d'entrer à son dîner, pendant lequel les vingt -quatre violons et les hautbois ne cessèrent de jouer dans son antichambre. Mais dans la seconde partie de la journée il survint une crise décisive. Après un court sommeil, il se réveilla avec un pouls fort mauvais et une absence d'esprit qui effraya les médecins. Ils déclarèrent qu'il était temps de lui administrer le viatique ; lui-même, revenu à la raison, le demanda dans la persuasion qu'il ne lui restait que peu d'heures à vivre.

La gravité, la majesté, avaient toujours, dit Saint-Simon, accompagné tous les actes de sa vie. Malgré ses fautes et ses défauts, il avait toujours paru grand dans le malheur comme dans la gloire. Il lui fut donné de le paraître encore davantage dans la mort, et d'une grandeur plus solide que celle que les hommes envient. A partir de l'heure où il reçut les derniers sacrements, on vit constamment en lui la fermeté du chrétien, l'élévation des sentiments du roi et de l'homme, un détachement sans regret des biens qu'il fallait quitter, une noble fidélité à ses attachements. La mort n'avait pas d'effroi pour lui ; il disait que ce passage si redouté ne lui paraissait pas difficile, maintenant qu'il y touchait. Deux garçons de sa chambre pleuraient aux pieds de son lit, il les en reprit par ces paroles : Pourquoi pleurez-vous, est-ce que vous m'avez cru immortel ? Pour moi, je n'ai jamais cru l'être, et vous avez dû depuis longtemps vous préparer à me perdre dans l'âge où je suis. Il semblait que la vie ne lui appartint déjà plus. Comme on lui proposait un remède pour le rappeler à la vie : A la vie ou à la mort, répondit-il, comme il plaira à Dieu. Il lui échappait par moment des pensées comme celles-ci : Du temps que j'étais roi, ou le jeune roi, en parlant de son successeur. Il donna l'ordre de porter son cœur à la maison professe des Jésuites de Paris, avec la même tranquillité qu'il ordonnait en santé, une fontaine pour Versailles ou pour Marly[17]. Son point fixe était l'éternité ; son confesseur lui demandant s'il souffrait beaucoup, il répondit : Non, et c'est ce qui me fâche ; je voudrais souffrir davantage pour l'expiation de mes péchés.

Dès le premier jour, il avait fait entrer dans sa chambre, outre les ministres, le duc d'Orléans, le duc du Maine, le comte de Toulouse, le duc de Bourbon avec le comte de Charolais son frère et le prince de Conti, pour leur adresser ses adieux. On raconte qu'il rappela aux trois derniers la part que leurs ancêtres avaient prise aux troubles de sa minorité, et les invita à ne pas imiter ces exemples domestiques. Le lendemain, 26 août, il reçut plusieurs cardinaux ; il regretta devant eux de n'avoir pu terminer les affaires de l'Église ; mais il s'en consolait par la pensée qu'un autre les réglerait plus heureusement, et sans le reproche qu'on lui aurait sans doute adressé à lui-même, d'avoir porté trop loin son autorité. Il se fit ensuite apporter le petit Dauphin, le prit sur son lit, l'embrassa et lui dit : Mignon, vous allez être un grand roi, mais tout votre bonheur dépendra d'être soumis à Dieu et du soin que vous aurez de soulager vos peuples. Il faut pour cela que vous évitiez autant que vous le pourrez de faire la guerre ; c'est la ruine des peuples. Ne suivez pas le mauvais exemple que je vous ai donné sur cela ; j'ai souvent entrepris la guerre trop légèrement, et je l'ai soutenue par vanité. Ne m'imitez pas, mais soyez un prince pacifique, et que votre principale application soit de soulager vos sujets. Profitez de la bonne éducation que Mme la duchesse de Ventadour vous donne ; obéissez-lui, et pour bien servir Dieu, suivez les conseils du père Le Tellier, que je vous donne pour confesseur[18]. On avait retiré l'enfant de dessus le lit, le roi le redemanda, l'embrassa de nouveau, et, levant les veux au ciel, lui donna sa bénédiction. Ce spectacle fut extrêmement touchant, dit Saint-Simon ; celui qui succéda fut empreint d'une solennité qui provoqua à la fois l'admiration et les larmes. Il fit approcher de son lit et de son balustre tout ce qu'il y avait de ses officiers dans sa chambre ; il leur dit : Messieurs, je suis content de vos services, vous m'avez fidèlement servi et avec envie de me plaire. Je suis fâché de ne vous avoir pas mieux récompensés que j'ai fait ; les derniers temps ne l'ont pas permis. Je vous quitte avec regret. Servez le Dauphin avec la même affection que vous m'avez servi ; c'est un enfant de cinq ans qui peut essuyer bien des traverses ; car je me souviens d'en avoir beaucoup essuyé pendant mon jeune âge. Je m'en vais, mais l'État demeurera toujours. Soyez-y fidèlement attachés, et que votre exemple en soit un pour tous mes sujets. Soyez tous unis et d'accord ; c'est l'union et la force d'un État. Suivez les ordres que mon neveu vous donnera. Il va gouverner le royaume, j'espère qu'il le fera bien. J'espère aussi que vous ferez votre devoir et que vous vous souviendrez quelquefois de moi[19]. A ces dernières paroles, dit un témoin oculaire, nous sommes tous fondus en larmes, et rien ne peut exprimer les sanglots, l'affliction et le désespoir de tous.

Sa fidélité à l'affection qu'il avait toujours eue pour Mme de Maintenon ne se démentit pas un seul instant. Il la trouvait fort assidue auprès de lui, et en ressentait un attendrissement qu'il se reprochait par moment. Il lui fit trois fois ses adieux ; c'est elle-même qui le racontait aux dames de Saint-Cyr. La première, il lui exprima le regret de la quitter, mais aussi l'espérance de la revoir bientôt ; elle répondit en le priant de ne plus penser qu'à Dieu. La seconde, il lui demanda pardon de n'avoir pas assez bien vécu avec elle, de ne l'avoir pas rendue heureuse, mais il protesta de l'avoir toujours aimée et estimée également. Il pleurait ; il demanda s'il n'y avait là personne ; puis, passant pardessus ce souci : Quand on entendrait, dit-il, que je m'attendris avec vous, personne n'en serait surpris. A la troisième, il était préoccupé de son avenir : Qu'allez-vous devenir ? car vous n'avez rien. Elle répondit : Je ne suis qu'un rien, ne vous occupez que de Dieu. Cependant, après un peu de réflexion, ne sachant pas en effet quel traitement lui réservaient les princes, elle le pria de la recommander au duc d'Orléans. Il fit aussitôt appeler ce prince, et lui dit : Mon neveu, je vous recommande Mme de Maintenon ; vous savez la considération et l'estime que j'ai eues pour elle. Elle ne m'a donné que de bons conseils, j'aurais bien fait de les suivre. Elle m'a été utile en tout et surtout pour mon salut ; faites tout ce qu'elle vous demandera pour elle, pour ses parents, pour ses amis, pour ses alliés ; elle n'en abusera pas ; qu'elle s'adresse directement à vous pour tout ce qu'elle voudra[20]. Il est faux qu'elle l'ait quitté quatre jours avant sa mort, qu'il ait été obligé de la redemander et qu'elle l'ait fait attendre. C'était lui qui, de temps en temps, la priait de sortir et de ne plus revenir, parce que sa présence l'attendrissait trop[21]. Le 28 au soir, elle partit pour Saint-Cyr, dans l'intention d'y faire ses dévotions le lendemain matin ; mais elle était revenue, 1e29, d'elle-même et de très-bonne heure. Ce ne fut que le 30, à cinq heures du soir, que le malade étant sans connaissance et véritablement anéanti, elle distribua à ses domestiques le peu de meubles qu'elle avait et son équipage, dit adieu pour toujours à ses nièces, et partit en déclarant qu'elle ne voulait pas que personne allât la voir à Saint-Cyr.

Le mal avait été en effet rapide et impitoyable. Cette gangrène qui venait de l'intérieur et qu'on n'avait pu combattre, faute de la connaitre, apparaissait maintenant incurable par ses ravages irrésistibles au dehors. En six jours, elle avait pourri une jambe ; elle montait au genou et à la cuisse et les déformait. Dans leur impuissance, les médecins consentaient à toutes les expériences dont on agitait l'avis autour d'eux. Ils essayèrent d'un élixir contre la gangrène, qu'apportait un inconnu arrivé tout à coup de Provence, et qui parut ranimer un moment le malade. Ils recoururent au remède qu'un d'entre eux avait trouvé contre la petite vérole, sans en attendre aucune efficacité. La force du tempérament seule luttait contre la destruction et prolongeait la vie ; mais la vie machinale, le sentiment, l'intelligence n'apparaissaient plus qu'à de rares intervalles. Toute la journée du 31 se passa sans connaissance. Le soir, à dix heures, on commença les prières des agonisants. A ce bruit, le moribond se ranima et parut comprendre ; il récita à plusieurs reprises l'Ave Maria et le Credo, d'une voix plus forte que celle des assistants, puis il se tut pour toujours. Le lendemain, dimanche 1er septembre, à huit heures du matin, il rendit l'âme sans effort, comme une chandelle qui s'éteint[22], trois jours avant l'accomplissement de sa soixante-dix-septième année, dans la soixante-treizième de son règne.

Heure solennelle qui changeait les temps, qui emportait le reste des splendeurs de la monarchie, et ouvrait l'ère des révolutions ! Jamais peut-être le passage d'un siècle à un autre, le dégoût du passé, l'empressement pour un régime nouveau, n'avait été aussi brusque, aussi rudement déclaré. Louis XIV meurt : à l'instant, comme à un signal attendu, son prestige tombe, son autorité s'évanouit, sa grandeur s'efface, son nom, d'abord livré aux outrages, se perd dans l'in différence. Dès le lendemain, le parlement de Paris, rejetant l'habitude de quarante années de silence, casse le testament du grand roi. Ses courtisans, comme s'il ne les eût pas priés de se souvenir quelquefois de lui, font le vide autour de ses restes mortels, et il ne s'en montre pas six à la translation de son cœur à la maison des Jésuites. Ses funérailles sont réduites au plus simple, pour épargner la dépense et la longueur ; et personne ne relève un retranchement si entier. Paris se croit affranchi d'une dépendance intolérable, les provinces vengées de leur ruine et de leur anéantissement, les magistrats remis en possession de leur importance. Le peuple ruiné, accablé, désespéré, rend grâces au ciel, avec un éclat scandaleux, d'une délivrance dont il ne doute plus[23].

Une pensée de Tacite explique bien cette disposition des esprits : Plerique homines postrema meminere, la plupart des hommes ne se souviennent que des derniers événements ; et la chose n'est nulle part aussi vraie qu'en France où l'émotion, la sensation du jour, efface vite celle de la veille, où le revers surtout, et quelquefois un seul revers, anéantit le mérite de toutes les gloires, de toutes les prospérités passées. Louis XIV avait fini par le malheur, par l'humiliation, par la pénurie, et le contre-coup s'en était fait sentir à la nation par les grands sacrifices d'hommes et d'argent, par la suspension du travail et du commerce, par des craintes ruineuses d'invasion étrangère. Qu'importait qu'il eût noblement fait tête à la douleur et ait danger, qu'il en fût sorti avec honneur, qu'il eût sauvé à peu près tout ce que l'ennemi avait convoité ? Ce n'était là qu'un de ces avantages négatifs dont on ne tire ni motif de gloire nouveau ni bénéfice sensible, et dont on n'apprécie la valeur certaine que lorsqu'on les a laissé échapper. Il faut avoir, comme nous, perdu l'Alsace, pour comprendre combien il était profitable et glorieux de la conserver. Ce que la France sentait en 1715, c'étaient les maux que le temps n'avait pas encore permis de réparer ; les ruines de l'agriculture et de l'industrie, les dettes non payées ou liquidées par des demi-banqueroutes, les impôts surchargeant les impôts, la capitation ajoutée à la taille, la dime ajoutée à la capitation, et ces charges de la guerre se perpétuant après la paix. Voilà ce qui restait pour le moment de la splendeur du règne, et les motifs personnels de la rancune des contemporains.

Mais la postérité, qui n'a pas les mêmes raisons de haine ou de faveur, ne ratifie pas plus les plaintes des mécontents que les panégyriques des flatteurs. Elle a en outre l'avantage de saisir les faits dans leur ensemble, depuis leur origine jusqu'à leurs conséquences extrêmes, de dégager des apparences le bien et le mal réels, et de faire à l'un et à l'autre sa part légitime. Elle peut être juste aujourd'hui pour Louis XIV. Elle condamne avec raison son orgueil. Par ses prétentions, son langage, ses allures de conquérant et de dominateur, il a changé et compromis, pour toujours peut-être, la position de la France en Europe ; d'alliée des faibles, de gardienne de l'équilibre européen, il en a fait l'épouvantail commun, contre lequel tous les autres peuples se tiennent en défiance, et se mettent si facilement d'accord que, depuis deux siècles, avec la réputation d'être toujours prête à tout envahir, elle a été bien plus souvent attaquée que provocatrice. Par son obstination à concentrer dans ses mains toute la puissance, toute l'importance politique, il n'a pas seulement abattu les derniers restes des indépendances féodales, mais il a réduit la noblesse à n'être plus qu'une troupe de courtisans, le cortège de sa gloire et de ses plaisirs, au lieu d'un corps d'élite, considéré pour ses mérites propres, exemple du peuple, et soutien du trône ; et en même temps, il n'a pas voulu comprendre qu'il avait besoin de s'appuyer sur l'accord et l'adhésion du peuple ; que pour en être utilement servi, il devait le mettre de moitié dans ses entreprises, et lui faire reconnaître dans les affaires du roi les affaires de la nation[24]. En ne parlant jamais qu'en son nom,, en réclamant comme son droit ce qu'une nation ne doit donner que pour son bien, il a désenchanté ses sujets de la monarchie comme d'un système d'exploitation de tous au profit d'un seul, et les a poussés à chercher, sur la voie aventureuse des révolutions, le gouvernement du peuple pour lui-même. Son luxe, cette autre forme de gloire, ce défi de magnificence jeté à ses prédécesseurs et à ses contemporains, n'a pas eu des résultats moins regrettables. Outre tant d'argent perdu dans ces jardins, sans cesse transformés, dans ces fêtes extravagantes de nouveautés et de surprises, il a gangrené toutes les mœurs de la nation par le tour séducteur donné à la galanterie et à la volupté, et ruiné les fortunes particulières par un entrain d'imitation qui, passant du roi aux princes, des princes aux grands seigneurs et aux gentilshommes, de ceux-ci aux financiers, a fini par envahir la bourgeoisie et tomber de la plus haute condition à la lie du peuple, et de la France à toute l'Europe, à peu près comme on voit les modes s'écouler de la capitale à la province. Nous avons assez marqué pour n'avoir pas besoin d'y revenir, quels excès l'infatuation de lui-même l'emporta dans l'amour illégitime, comment il se persuada que la majesté du roi transfigurait les vices de l'homme, et comment, en déclarant ses désordres, en donnant l'exemple de n'en plus rougir, il a libéré ses sujets et les autres rois de ce reste de honte qui tenait encore le libertinage à distance respectueuse de la famille. La même assurance lui fit croire qu'il était homme de guerre, et plus d'une fois — car il y a ici de justes réserves à observer — ses ordres téméraires imposés à ses généraux ont compromis la fortune des campagnes et entraîné des malheurs dont il doit porter la responsabilité. Dans l'Église il se trompa sur ce titre de protecteur des canons, attribué aux rois orthodoxes ; il prit, sans hésiter, la protection pour l'autorité, pour le pouvoir de faire des règles, même au spirituel. Il entendit convertir les hérétiques à sa manière, et ne fit que les persécuter ; et il inquiéta les orthodoxes en usurpant un jour le droit d'ériger des opinions en dogmes, en soumettant à l'examen des juges laïques, ses délégués, les bulles sur la foi : confusion regrettable des deux puissances d'où sont sortis tant de conflits fâcheux entre l'Église et l'État, et qui a survécu, malgré le principe de la liberté de conscience, aux autres abus de l'ancien régime.

Voilà la part du mal. La part du bien y fait-elle un contrepoids suffisant ? Il faut pourtant qu'il y ait au fond des actes, des œuvres de ce règne, un mérite solide, considérable, pour que personne, en France ou à l'étranger, amis ou ennemis, dans le temps même ou dans la postérité, ne se croie dispensé d'en parler comme d'une époque extraordinaire ; c'est ainsi que Saint-Simon lui-même, avec sa haine et son âpreté au dénigrement, ne se trouve jamais en face de Louis XIV, et ne peut ni le voir agir ni l'entendre parler, sans subir l'ascendant de ses nobles manières et de sa parole distinguée. Il avait d'abord, dans toute son énergie, le sentiment de l'honneur national et de la grandeur du pays : Je suis encore plus Français que roi, disait-il à Villars pour le remercier du plaisir que lui avait fait la victoire de Friedlingen, tout ce qui ternit la gloire de la nation m'est plus sensible que tout autre intérêt. Il souffrait de voir les Français mal conduits au combat ; et on sait combien il était impatient de risquer même une défaite devant Lille pour n'avoir pas l'affront d'assister sans lutte à la prise de cette ville. Il voulait une France puissante, maitresse de son territoire propre, garantie par ses vraies frontières contre ses ennemis, et capable de prépondérance en Europe. De là, son amour de la guerre, plus d'une fois téméraire et malheureux, mais aussi ces acquisitions durables qui ont fait la force de ses successeurs. Cinq provinces ont été sous son règne ajoutées à la France de Henri IV : l'Alsace, l'Artois, le Roussillon, la Flandre, la Franche-Comté. S'il n'avait pas occupé le premier le Roussillon et l'Artois, il a eu le mérite d'en obtenir de l'ennemi l'abandon formel à la paix des Pyrénées, et de consacrer la possession de l'Artois par la formation et l'agrandissement successif de sa province de Flandre aux dépens des Pays-Bas espagnols. Si la première occupation de l'Alsace remonte aussi à Richelieu et à la paix de Westphalie, il a eu l'art de rayer de cette paix les conditions qui rattachaient encore l'Alsace à l'Allemagne, de la réduire en province française, et d'imposer deux fois aux Allemands la reconnaissance de ce nouvel état de choses ; il a eu enfin l'honneur de la conserver par Turenne, par Créqui, par Villars, parle talent de sa diplomatie. Ah ce contraste avec nos récents malheurs nous commande la-modération dans nos jugements, et nous défend de contester au passé ses mérites et sa gloire.

La gloire du dedans résiste encore mieux aux attaques, ou plutôt c'est celle que la critique a le plus respectée. Saint-Simon, entrainé un jour par la puissance de la vérité, a écrit de la première époque du règne : Tout était florissant dans l'État, tout était riche ; Colbert avait mis les finances, la marine, le commerce, les manufactures, les lettres même au plus haut point ; et ce siècle, semblable à celui d'Auguste, produisait à l'envi des hommes illustres en tout genre, jusqu'à ceux qui ne sont bons que pour les plaisirs. Ajoutons les institutions de Louvois que Saint-Simon omet par une absurde rancune, et les travaux de Vauban, et l'on aura le tableau dans son ensemble et dans son incontestable éclat. Mais ce qui en double la valeur, c'est que cet éclat n'est pas d'un jour, que l'ardeur pour la prospérité publique ne procède pas seulement de la bonne volonté ou des talents d'un ministre ; elle est la pensée propre et permanente du roi, elle tient bon contre les empêchements passagers, elle se ranime après Nimègue, après Ryswick, même après Utrecht, comme le témoignent ses dernières ordonnances de 1713 en faveur du commerce ou des académies, et jusqu'à cette pension donnée à la Mothe-Houdard qui s'excuse au moins par la bonne intention. C'eût été déjà un grand titre d'honneur que d'avoir fait vivre tant d'institutions aussi longtemps que ce long règne. C'en est un assurément plus considérable de les avoir si fortement constituées qu'elles aient passé aux âges suivants et qu'elles subsistent encore parmi nous. Notre armée, notre marine, notre industrie, notre commerce, nos corps savants, tout nous vient de Louis XIV ; et nous n'y avons guère ajouté, malgré le cours des années, que quelques perfectionnements, les machines pour suppléer aux bras des hommes, le port de Cherbourg, et l'Académie de sciences morales et politiques.

Que si l'on veut encore une fois le considérer en lui-même, et apprécier par leurs suites ses qualités, comme tout à l'heure ses défauts, on y trouvera, non sans une juste admiration, le secret de la plupart des œuvres accomplies sous son règne. Et d'abord, à côté de son orgueil, quelle fidélité aux devoirs de sa place ! Ce n'est pas lui qui a dit : Dieu a créé les rois pour travailler ; mais il s'est montré digne d'avoir fait le mot, en le pratiquant sans défaillance pendant une carrière de cinquante-cinq ans. Depuis la mort de Mazarin (9 mars 1661) jusqu'au 1er septembre 1715, pas un jour dont la plus grande partie n'ait été donnée au travail, sauf les six derniers qu'il a bien fallu abandonner à la souffrance et à l'agonie. Jamais l'utilité publique n'a été sacrifiée au plaisir ; jamais la multitude des affaires n'en a retardé l'examen ; la durée du travail s'allongeait plutôt en raison des nécessités du service. Cette constance que Colbert vantait en lui dès ses premières années, ne s'est pas affaiblie par la mort de ses grands ministres ; il l'a soutenue infatigablement auprès de leurs successeurs, avec d'autant plus de volonté que ces auxiliaires moins habiles avaient besoin d'une excitation et d'un exemple plus énergique, et jusqu'à la dernière heure il a tenu le timon tant qu'il a pu. A la fin, il y a joint l'honneur, encore plus relevé, de ne pas faiblir devant le malheur, de porter sans abaissement les outrages de ses ennemis vainqueurs et ses catastrophes de famille, d'opposer l'espérance aux désastres, une dignité inébranlable aux humiliations, et de faire respecter dans sa fermeté ; dans son égalité d'âme, le cœur et les dehors d'un roi toujours le même. Ce fut aussi ce qui lui acquit la véritable admiration de toute l'Europe, celle de tous ceux de ses sujets qui en furent témoins, et ce qui lui ramena tant de cœurs qu'un règne si long et si dur lui avait aliénés[25]. Le croirait-on ? C'est pourtant Saint-Simon que l'évidence force de parler ainsi.

Êtes-vous étonné, dit Mentor à Télémaque[26], de ce que les hommes les plus estimables sont encore hommes, et montrent encore quelques restes des faiblesses de l'humanité parmi les pièges innombrables et les embarras inséparables de la royauté ? Tel critique aujourd'hui impitoyablement les rois, qui gouvernerait demain moins bien qu'eux, et qui ferait les mêmes fautes avec d'autres infiniment plus grandes. La condition privée, quand on y joint un peu d'esprit pour bien parler, couvre tous les défauts naturels, relève des talents éblouissants, et fait paraître un homme digne de toutes les places dont il est éloigné. La grandeur est comme ces verres qui grossissent tous les objets. Tous les défauts paraissent croître dans ces hautes places, où les moindres choses ont de grandes conséquences, où les plus légères fautes ont de violents contre-coups. Le monde entier est occupé à observer un seul homme à toute heure et à le juger en toute rigueur. Ceux qui le jugent ne veulent pas qu'il soit homme. Un roi quelque bon et sage qu'il soit, est encore homme ; son esprit a des bornes, et sa vertu en a aussi. Pour parler franchement, les hommes sont fort à plaindre d'avoir à être gouvernés par un roi qui n'est qu'homme et semblable à eux. Mais les rois ne sont pas moins à plaindre, n'étant qu'hommes, c'est-à-dire faibles et imparfaits, d'avoir à gouverner cette multitude d'hommes corrompus et trompeurs.

C'est dans cet esprit et avec cette mesure qu'il est équitable de juger Louis XIV. Ne dissimulons donc, n'épargnons même aucun de ses défauts, aucune de ses fautes ; mais ne nous étonnons pas de trouver eu lui un homme. Et bien plutôt, en le voyant soumis comme les autres aux faiblesses, aux erreurs, aux tentations de sa nature et de son rang, tenons-lui compte des efforts, des qualités, des succès, et quelquefois des vertus, qui l'ont élevé si fort au-dessus de la multitude de ses semblables et de la plupart des rois. A ces conditions, il nous paraîtra encore grand, de cette grandeur, il est vrai, partielle, incomplète, que Bossuet appelle empruntée, mais dont il faut bien que l'homme se contente ici-bas. DIEU SEUL EST GRAND en toutes choses, partout et toujours.

 

FIN DU SIXIÈME ET DERNIER VOLUME

 

 

 



[1] Lettres de Maintenon, édition Lavallée.

[2] Dangeau, 17 août 1713.

[3] Isambert, tome XX, page 576 ; le monopole de ce commerce était abandonné pour quinze ans au sieur Crozat. Si l'on se rappelle qu'à cette époque, il n'y avait encore en Louisiane que vingt-cinq familles françaises qui avaient grand besoin de protection et de direction, on conviendra que ce monopole était une protection et non une gêne, et qu'il n'est pas exact, comme le prétend un historien de la Louisiane, que cette concession fût de la part de l'autorité un abandon.

[4] Dangeau, 29 septembre 1713.

[5] Isambert, tome XX, page 645.

[6] Voir ces taquineries des Anglais, dans Dangeau, 25 mai 1714, 18 octobre 1714, 12 février 1715, 13 mars 1715, 12 avril 1715, 12 juin 1715.

[7] Isambert, tome XX, page 646.

[8] Dangeau, 13 et 27 juin 1715.

[9] Saint-Simon, tome VII, page 54.

[10] Dans notre temps, où l'histoire mieux étudiée réforme tant de jugements qui paraissaient confirmés pour toujours, plus d'un érudit s'occupe de trouver et de rendre claire la vérité sur l'abbé Dubois. On commence déjà à apprécier plus favorablement sa politique, et en particulier cette fameuse alliance anglaise dont on lui reproche d'être l'inventeur, et qu'il n'a fait que continuer après Bolingbroke et Louis XIV lui-même. Viendra-t-on également à bout de réhabiliter sa personne, et de réfuter tant d'accusations odieuses qui pèsent sur elle ! Pour notre compte nous ne demandons pas mieux, et nous extrayons même volontiers de la correspondance de Fénelon une lettre de 1711 où il recommande l'abbé Dubois : M. l'abbé Dubois, autrefois précepteur de monseigneur le duc d'Orléans, est mon ami depuis un grand nombre d'années. J'en ai reçu des marques solides et constantes dans les occasions. Ses intérêts me sont sincèrement chers. Je compterai comme des grâces faites à moi-même celles que vous lui ferez. S'il était connu de vous, il n'aurait besoin d'aucune recommandation, et son mérite ferait bien plus que mes paroles. Cette lettre prépare au témoignage rendu plus tard par Massillon à l'abbé Dubois. Œuvres de Fénelon, tome IV, page 197.

[11] Correspondance de Fénelon ; Mémoires particuliers ; Projet de conseil de régence.

[12] Texte de l'édit : Isambert, tome XX, page 619.

[13] Correspondance de Maintenon : lettre de la duchesse du Maine, du 29 juillet 1714.

[14] Texte du testament, dans Dumont, Corps diplomatique, tome VIII, et dans Isambert, tome XX, page 823.

[15] Isambert, tome XX.

[16] Mémoire particulier de Dangeau, distinct de son Journal, et consacré à raconter en détails la mort du roi.

[17] Mémoire de Dangeau.

[18] Cette allocution est ainsi rapportée par Dangeau dans son Mémoire particulier, bien plus détaillé que son Journal, et qui se recommande par un soin évident d'exactitude. Nous préférons de beaucoup ce Mémoire à toutes les autres relations.

[19] Dangeau, toujours le même Mémoire. Dans le Journal on trouve cette phrase de plus, que Saint-Simon a copiée : Messieurs, je vous demande pardon du mauvais exemple que je vous ai donné. Mais le journal, pour les derniers jours d'août, n'est pas de la main de Dangeau, et semble dès lors moins digne de foi que le Mémoire élaboré par lui. La phrase est certainement belle, et nous voudrions pouvoir l'accepter, mais elle ne nous parait pas assez authentique.

[20] Mémoire sur Mme de Maintenon cité par Lavallée dans son Histoire de Saint-Cyr. Voir aussi les Mémoires de Noailles pour les paroles du roi au duc d'Orléans.

[21] Dangeau, dans son Mémoire, le dit expressément.

[22] Nous laissons à Dangeau cette phrase si simple, et nous nous gardons surtout de changer chandelle en bougie, comme l'auteur d'un journal historique.

[23] Saint-Simon, tome VIII, chapitres XIV et XV. Toutes les fois que nous avons cité Saint-Simon, ç'a toujours été l'édition in-12, publiée par Chéruel, chez Hachette.

[24] Voir une lettre de Fénelon. 4 août 1710, au duc de Chevreuse, pour la convocation d'une assemblée de notables.

[25] Saint-Simon, tome VIII, chapitre XIII, édition Chéruel, in-12.

[26] Télémaque, livre XII.