I. — Expédition de Jacques en Irlande. - Incendie du Palatinat. - Entente de Louis XIV avec les Turcs. - Revers des Français. - Défaite de Valcourt. - Perte de Mayence, de Bonn, de Campredon. - Mécontentements intérieurs. Louis XIV ne pouvait plus se dissimuler les intentions de ses voisins ni le nombre de ses ennemis. Il avait provoqué l'Allemagne par le siège de Philipsbourg, et, loin de l'effrayer par la conquête du Palatinat ; il n'avait réussi qu'à l'irriter davantage et à consommer l'union de tous ses princes. Vainement il avait négocié auprès de l'électeur de Bavière pour le retenir hors de la ligue : promesses, affronts dévorés[1], menaces même, rien n'avait pu empêcher l'électeur de renvoyer l'ambassadeur Villars. Comme dernier signe de ces dispositions hostiles, la diète de Ratisbonne déclara la guerre à la France au nom de l'empire, le 24 janvier 1689. Le roi avait le premier déclaré la guerre aux Hollandais le 16 novembre précédent, et la Suède, alliée aux Hollandais, allait combattre pour eux par les troupes qu'elle leur fournissait. Le nouveau roi d'Angleterre, de son côté, en prévision des vengeances de l'allié de Jacques II, avait pris les devants et annoncé la guerre en renvoyant l'ambassadeur Barillon (11 janvier). On avait cru quelque temps que l'Espagne au moins resterait neutre. La jeune reine d'Espagne, fille du duc d'Orléans, toujours française de cœur, écrivait que le roi Charles II regardait les affaires d'Angleterre comme un attentat aux intérêts de tous les rois et surtout des catholiques. Mais, dit Mme de La Fayette, elle conservait à sa patrie un amour trop violent pour une personne d'esprit. Le conseil d'Espagne, ne pouvant souffrir l'empire qu'elle avait sur son époux, se débarrassa d'elle par le poison (février 1689). Ce crime, dont Louis XIV interdisait de parler, fut une certitude pour toute la cour ; on en nommait tout haut, comme les principaux auteurs, le comte de Mansfeld, chef du parti allemand en Espagne, et la comtesse de Soissons, vendue à la maison d'Autriche en haine de la France dont elle était exilée[2]. Quant aux intentions politiques des Espagnols, elles ne pouvaient être douteuses lorsqu'on savait qu'ils faisaient enfin payer au prince d'Orange l'argent qu'ils lui avaient longtemps contesté, et qu'ils lui assignaient à cet effet la part du roi d'Espagne dans les trésors apportés par les galions[3]. Contre tant de menaces, le roi préparait depuis deux mois ses moyens de résistance, levées de troupes et d'argent. A côté du recrutement ordinaire, Louvois appliqua pour la première fois (9 décembre 1688) le système des milices qui pouvait donner vingt-cinq mille hommes[4]. Ce ne fut pas sans résistance de la part des paysans, qui s'en défendirent, surtout en Normandie, par les inventions de la plus fine chicane[5] ; mais la chose réussit assez bien pour que ces nouveaux soldats fussent jugés dignes de faire la guerre au dehors aussi bien que de garder les côtes. Un peu plus tard, les gentilshommes de province étaient convoqués à l'arrière-ban (mars 1689). Quelque ridicule qu'on essayât de jeter sur ces braves improvisés[6], ils formèrent en plus d'un lieu des corps d'une grandeur et d'une magnificence surprenante. Depuis le mois d'octobre, cinquante mille hommes travaillaient constamment à fortifier toutes les places de mer ; la dépense monta à six millions[7]. Seignelay, pour remplir les cadres de la marine, reprenait toutes les classes de matelots, même ceux qui avaient été dispensés du service, et les équipages des vaisseaux marchands. La course, encouragée par l'exemple des plus hauts personnages, s'acharnait, par l'appât du profit, sur les Hollandais. Seignelay lui-même y prenait part et ne cachait pas ses bénéfices[8]. Jean Bart, le plus illustre corsaire du temps, apparaissait avec Forbin. Il allait devenir, par son audace, le héros de cette guerre, honoré des faveurs de Louis XIV et de la considération des Anglais eux-mêmes. Tous les expédients paraissaient acceptables pour rassembler l'argent nécessaire. Il y avait d'abord les contributions de guerre levées en pays ennemi ou occupé. Un général, Bullonde, après avoir brûlé douze ou quinze villages sur le territoire de Bois-le-Duc et de Bréda, faisait contribuer le pays de Liège pour cinq cent mille livres (décembre 1688). A la fin de 1688, il avait été levé au delà du Rhin plus de deux millions. Mais les sommes les plus fortes étaient demandées à ce système d'affaires extraordinaires déjà appliqué, au grand regret de Colbert, dans la guerre de Hollande, et destiné à atteindre dans celle-ci des proportions considérables et ruineuses : émission de nouvelles rentes, vente de nouvelles charges, dons en apparence gratuits des villes, des états provinciaux, du clergé. Dès août 1688, le roi, pour un emprunt de dix millions, avait constitué cinq cent mille livres de rentes sur l'Hôtel de Ville ; en novembre, à la même condition, il obtint dix autres millions[9]. En janvier 1689, les commissions des gardes du trésor royal, des trésoreries, des parties casuelles, furent converties en charges, avec obligation pour chacun de financer, c'est-à-dire de donner ensemble quatre millions. En février, c'étaient huit charges de maîtres des requêtes au prix de cent quatre-vingt-dix mille livres chacune ; en mars, c'était l'institution de receveurs des consignations, et de seize grandes maîtrises des eaux et forêts dont on se promettait deux millions[10]. D'autre part, les villes étaient invitées à servir des dons en apparence volontaires, et s'y prêtaient d'assez bonne grâce. Il est curieux de suivre, dans le Journal de Dangeau, de semaine en semaine, la liste de ces contributions. Paris, Toulouse, Lyon, donnaient à trois un million, Marseille 400.000 livres, Dieppe 40.000, .Bordeaux 200.000, Saint-Malo 150.000, et Vannes 100.000[11]. Nous aurons à apprécier, dans la suite des évènements, la valeur réelle de ces ressources qui chargeaient l'avenir au profit du présent, et constituaient une dette que deux siècles n'ont pas éteinte. Mais le besoin du moment, le plus pressé, le plus sensible, le plus imprévoyant, était à peu près satisfait, et laissait à l'avenir le souci de son mal. A côté de la force directe de ses armes sur terre et sur mer, le roi pouvait exploiter contre ses ennemis leurs propres embarras intérieurs, peut-être réduire chacun à ses affaires propres, et leur ôter le loisir de servir la cause commune. Guillaume III ne tenait encore que l'Angleterre ; l'Écosse ne s'était pas officiellement prononcée pour lui, et les rivalités des clans autant que le royalisme ranimaient dans cette contrée un parti nombreux et actif de Jacobites. L'Irlande, catholique et odieusement opprimée par l'anglicanisme depuis Cromwell, se levait en masse contre ses tyrans et pour le roi déchu. Ces résistances, surtout si elles étaient appuyées du dehors, offraient un concours d'autant plus certain que la nécessité d'y faire face a en effet retenu Guillaume hors du continent pendant dix-huit mois. L'Allemagne avait peu d'argent, et malgré ses récentes victoires sur les Turcs, elle n'était pas délivrée de la guerre avec les infidèles. Ruiner les Allemands en ravageant leur territoire, et ranimer l'ardeur des Turcs contre leurs vainqueurs, c'était une autre diversion bien capable d'amortir la guerre sur les bords du Rhin. Les Espagnols enfin avaient toujours à craindre la mauvaise volonté des Catalans ; ce peuple, qui s'était autrefois donné à Richelieu, et qui appelait tout haut le soutien de la France[12], était une porte ouverte sur l'Espagne, ou une barrière au Roussillon contre les Espagnols. Il était donc résolu que la France essayerait de rétablir Jacques II par l'Irlande, que le Palatinat et les provinces voisines seraient dévastés par le fer et le feu, que les Turcs seraient encouragés à ne pas traiter de la paix avec l'empereur, et qu'une armée française agirait en Catalogne. Les événements furent loin de répondre aux espérances de la politique française. La cause de Jacques II était la cause des rois et du
principe de la légitimité. La révolution de 1688, comme l'a dit La Bruyère,
était un outrage à tous les rois dans la personne d'un seul ; rétablir ce
roi, t'eût été assurer l'intérêt commun de tous les souverains ; et peut-être
Louis XIV espérait-il que l'assistance donnée au banni, au lieu de lui être
imputée à ambition, ramènerait à lui ses frères en royauté. Mais il n'en sera
pas ainsi. L'esprit de pique et de jalousie prévaudra
chez eux à l'intérêt de l'honneur, de la religion, de leur état, de leurs
droits héréditaires. Ils renonceront à la doctrine
de leur inviolabilité ; ils reconnaîtront aux peuples le droit de les chasser
comme on chasse un petit seigneur de son château, ou
un fermier de sa métairie[13]. Pour la
satisfaction présente de se venger de Louis XIV, ils vont poser, dans le
triomphe de Guillaume, le principe des révolutions de l'avenir. La cause de l'Irlande n'était pas moins sacrée. Quand on veut connaître toute l'étendue, toute la dureté, tous les calculs positifs et froids de l'intolérance anglaise, c'est en Irlande qu'il faut aller. Là tout un peuple avait perdu l'existence politique et la propriété, en punition de sa fidélité à la religion romaine. Jamais, depuis le dépècement de la Macédoine par les Romains, nation n'avait subi une servitude aussi raffinée. Par l'acte d'établissement de Cromwell, cinq millions d'hommes avaient été dépossédés de leurs biens, ou déportés d'une province à l'autre, exclus de l'armée et des fonctions publiques. A leur place, une colonie saxonne, gardienne de la conquête, avait envahi les propriétés données ou vendues par les vainqueurs. Les quatre cinquièmes de la population d'Irlande étaient Celtes et catholiques, et plus des quatre cinquièmes des terres appartenaient aux intrus saxons ; c'est Macaulay qui l'avoue et qui loyalement condamne cette tyrannie. Un clergé anglican officiel, inutile à un peuple catholique, jouissait de tous les biens de l'Église ; le clergé catholique, seul reconnu par les habitants, était réduit à la misère comme le peuple. Ces violences ne remontaient pas à quarante ans ; elles étaient, non pas une tradition de famille, mais la souffrance, la ruine immédiate de la génération présente. Un grand nombre pouvait faire la comparaison avec le passé ; ils voyaient de leurs yeux leurs habitations, leurs châteaux occupés par l'étranger, et les droits dont ils avaient joui exercés contre eux par les spoliateurs. Jacques II avait essayé un commencement de réparation. Il les avait rappelés dans l'armée et aux charges publiques. Il leur apparaissait comme un libérateur, et, à la nouvelle de sa chute, ils se déclarèrent pour sa cause sous la conduite de mylord Tyrconnel, leur gouverneur. Devant le nombre et la colère de ces opprimés, les protestants, les Saxons se réfugièrent dans le Nord, et firent de Londonderry, une ville anglaise de récente formation, leur quartier principal. Il semblait que Jacques n'eût qu'à se présenter pour reprendre ce royaume. Malheureusement sen incapacité, les rivalités de ses agents, la mauvaise organisation de troupes rassemblées en cohue et à la hâte, et aussi l'insuffisance des secours de la France, lui feront perdre en peu de mois des avantages qui d'abord inquiétaient sérieusement ses ennemis. Tout le monde en France avait pensé que la place de
Jacques II était en Irlande. L'Irlande est son reste,
écrivait Vauban, et quand un homme joue de son
reste, il doit y être. — Il sera mieux là
qu'ailleurs, disait Sévigné, et plus bas : Le
voilà où il doit être ; il a une bonne cause, il a protège la vraie religion
; il faut vaincre ou mourir puisqu'il a du courage. Louis XIV, pour le
seconder, égala en sa faveur la magnificence de son hospitalité par la
magnificence de ses subsides. Il lui donnait des vaisseaux, des frégates, des
officiers, des armes, deux millions, une multitude de commodités accessoires,
telles que calèches, chevaux de main, services d'or et d'argent, des
toilettes, du linge, et, par un complément de grâce vraiment royale et chevaleresque,
sa propre cuirasse comme augure de la victoire. Les adieux ne furent pas
moins admirés : Je vous avoue que je vous souhaite
de ne vous revoir jamais ; mais, si par malheur vous revenez, vous me
retrouverez tel que vous me voyez[14]. Deux jours
après la proclamation de Guillaume III à Whitehall, Jacques II quittait
Saint-Germain pour Brest (25 février 1689).
Hélas ! sur la route même il désenchanta par ses allures communes les idées
d'héroïsme qui s'attachaient à son entreprise. En Bretagne, aux offres de
service du gouverneur, il répondit : Je n'ai besoin
que de manger ; et il le prouva devant une table bien servie. Sur quoi
Sévigné fait cette remarque : Il mangea, ce roi,
comme s'il n'y avait pas de prince d'Orange
dans le monde. En même temps il laissait échapper son regret d'être
l'obligé de la France. Le comte d'Avaux, qui l'accompagnait en qualité
d'ambassadeur extraordinaire, prévenait Louis XIV de cette 'disposition et
pressentait dans le conseil des dissentiments dangereux pour l'expédition. Jacques II débarqua à Kinsale, au midi de l'Irlande, le 22 mars. Le 3 avril il entrait en triomphe à Dublin, et convoquait pour le mois suivant un parlement irlandais. Impatient de reconquérir immédiatement ses trois royaumes, il prétendit se porter sans délai dans la province d'Ulster, où s'organisait la seule résistance qui fût possible dans l'île, et, après l'avoir dissipée, passer en Écosse. Ce n'était pas l'avis du comte d'Avaux et de Tyrconnel. Ils ne croyaient pas qu'il fût si facile de débusquer Guillaume de la Grande-Bretagne ; ils voyaient avec peine que l'armée irlandaise n'était qu'une cohue de volontaires peu habitués à l'usage de la liberté et des armes ; ils demandaient qu'on la purgeât d'abord de l'indiscipline qui était une cause d'affaiblissement prochain, qu'on la corrigeât des violences, bien naturelles à des hommes récemment affranchis, mais faites pour la rendre odieuse aux populations ; par là on la mettrait en état de vaincre les seuls Irlandais qui ne reconnaissaient pas Jacques, et de repousser les Anglais qui ne manqueraient pas de venir bientôt. Jacques ne les écouta pas ; il s'imagina que, par la promptitude et par la vue de son armée, il aurait bon marché de Londonderry. Il crut même un moment que le gouverneur de cette ville suffirait à la lui ouvrir par trahison. Il fut bien surpris lorsque les habitants, livrés à eux-mêmes, lui signifièrent qu'ils n'avaient pas d'autre roi que Guillaume. Il laissa alors à son armée mal préparée le soin de canonner la ville rebelle, et il revint à Dublin avec l'affront d'un échec bien propre à décourager ses partisans. En même temps une flotte française, commandée par Château-Renaud, apportait un nouveau charge-met de munitions et quelques troupes d'Anglais et d'Irlandais réfugiés. Elle travaillait au débarquement dans la baie de Bantry (11 mai 1689), quand tout à coup l'amiral anglais Herbert se présenta avec des vaisseaux d'un rang supérieur pour la capturer. Château-Renaud se mit rapidement en état de combattre, se porta sur les agresseurs, les canonna cinq heures durant et les contraignit à prendre le large fort maltraités. Quoique les Anglais affectent de ne voir là qu'une escarmouche sans importance, ce fut une victoire des Français, et une victoire telle qu'elle devait être. Les Anglais avaient voulu troubler le débarquement, et le débarquement s'acheva sans nouvelle opposition ; ils étaient si bien vaincus, qu'ils se retirèrent à Plymouth et qu'ils y restèrent longtemps sans oser reparaître en mer. C'était enfin un affront si complet, que les Anglais jacobites qui étaient sur la flotte française, toujours sensibles, malgré les dissentiments politiques, à l'honneur anglais, pleuraient à chaudes larmes l'humiliation de leurs compatriotes. Ce succès venait à propos pour Jacques. Lui-même, ayant ouvert le parlement irlandais (11 mai), procédait à des réformes qui semblaient devoir lui rattacher à jamais l'Irlande par la reconnaissance. Un premier bill proclama la liberté de conscience pour toutes les communions chrétiennes. Un autre abrogea l'acte d'établissement ; un grand nombre de milles carrés de terre furent reportés des colons saxons aux anciens propriétaires celtiques ; la plus grande partie de la dîme fut restituée au clergé catholique ; la part des ministres protestants fut réduite à la proportion de leur nombre. En dépit des récriminations modernes, nous ne reconnaissons d'autre tort à ces mesures que d'avoir réparé violemment une violence récente. Un acte plus regrettable, ce fut le bill de proscription contre les rebelles qui n'exigeait guère d'autre preuve de culpabilité que la dénonciation, et retirait au roi le droit de faire grâce. La seule excuse de Jacques dans cette circonstance était la volonté des communes, qui, après une longue oppression, étaient impatientes de vengeance. Ces circonstances favorables ne portèrent pas les fruits qu'on en pouvait attendre. Guillaume III venait enfin d'être reconnu roi d'Écosse (11 mai) ; moyennant l'abolition de l'épiscopat et la suppression de la torture, le royaume primitif des Stuarts adhérait à leur expulsion. Presque .en même temps Guillaume et Marie déclaraient la guerre à la France (17 mai). Ils alléguaient pour griefs les hostilités des Français en Amérique contre les possessions anglaises du Nouvel-York et de la baie d'Hudson, le refus de salut dans les mers Britanniques[15], et surtout les tentatives de Louis XIV pour détruire leur royaume d'Irlande par des voies ouvertes de violence et par l'invasion actuelle. Mais là n'était pas le plus grand mal pour Jacques II. Ce qui le ruinait, c'était sa confiance absolue en son ministre Melford, toujours opposé aux conseils des Français ; c'étaient ses habitudes de promenades où il perdait de longues heures, son entêtement à laisser le siège de Londonderry aux soins d'un général incapable, sa négligence à mettre en usage les secours que la France lui envoyait. Le 13 juin Louvois exprimait la crainte que les armes débarquées le 11 mai par Château-Renaud n'eussent pas encore été distribuées aux jacobites[16]. D'autre part, Louis XIV avait riposté à la déclaration de Guillaume par une déclaration non moins fière où il s'engageait à faire la guerre aux Anglais complices de l'usurpateur (juin), jusqu'à ce que la nation repentante se fût soumise à son roi légitime. Mais les embarras qui grandissaient chaque jour du côté de l'Allemagne ne lui laissaient pas à lui-même la libre disposition de ses forces. Il dut refuser d'envoyer des troupes françaises en Irlande avant l'hiver suivant[17]. Sur mer, il se réduisait à la défensive et à prévenir une descente des ennemis sur les côtes de Normandie, Picardie et Boulonnais. Les flottes anglaise et hollandaise étant venues croiser, vers la fin de juin, à la hauteur d'Ouessant, Seignelay alla prendre le commandement de la flotte de Brest, avec l'ordre d'attendre l'arrivée de l'escadre de Toulon commandée par Tourville. Leur réunion devait composer la plus formidable armée que le roi eût jusqu'à présent mise en mer[18] et les ennemis, disait-on à la cour, n'avaient pas ensemble plus de cinquante vaisseaux[19]. Cependant, même après l'arrivée de Tourville, on ne combattit pas. Le roi donnait secrètement à Seignelay l'ordre de ne pas sortir, mais de toujours faire croire qu'on était prêt à sortir au besoin. C'est se conduire, écrivait-il, avec le même esprit qui me fait agir sur terre, tenir l'ennemi en échec, et l'empêcher de rien faire contre mon royaume de bien considérable[20]. D'abord le vent écarta les ennemis. Seignelay fit alors une promenade militaire en mer ; puis, poussé à son tour par un gros temps sur Belle-Isle, il rentra à Brest, et, l'ennemi ayant lui-même disparu, il revint à Versailles. Ces incertitudes avaient fort avancé la ruine de Jacques II. En Écosse, les jacobites vainqueurs à Killicrankie avaient presque immédiatement été désorganisés par la mort de Dundee, leur chef, tué dans sa victoire (7 juillet). En Irlande, Londonderry, mal attaqué, et ravitaillé du dehors par des amis intrépides qui n'avaient pas voulu laisser périr la Londres irlandaise[21], avait forcé les agresseurs à lever le siège (10 août). Dans le même mois, une armée anglaise, commandée par Schönberg, débarquait dans l'île. Il est vrai qu'à cette nouvelle, l'ardeur des Irlandais jacobites se ranima, que Jacques comprit mieux ses intérêts, et se mit en mesure de profiter des services qui lui étaient offerts. De son côté Schönberg, se défiant de la saison avancée, se réduisit à la défensive. Mais il n'était pas difficile de prévoir que la lutte directe, ajournée à la campagne suivante, était déjà une partie perdue pour Jacques II. Du côté de l'Allemagne les difficultés dont nous parlons avaient pour origine les mesures même par lesquelles on avait cru les prévenir. C'est ici que se dresse contre Louvois l'accusation la plus terrible et la plus répandue dans l'opinion et dans l'histoire. Nous n'admettons pas, et nous l'avons déjà dit (Voir ci-dessus ch. XXIX, § 3), qu'il ait fait entreprendre la guerre d'Allemagne et le siège de Philipsbourg pour se maintenir au pouvoir en se rendant nécessaire. Mais il est plus difficile de ne pas lui imputer en grande partie la résolution coupable d'incendier le Palatinat. Après la prise de Philipsbourg, Mme de Maintenon écrivait (4 novembre 1688)[22] : M. de Louvois veut qu'on aille en Allemagne et qu'on ravage sans pitié le Palatinat. Cependant d'habiles gens prétendent qu'il ne faudrait faire la guerre qu'à l'empereur et qu'il est de la prudence de ne pas attaquer l'Empire. Si ce témoignage peut paraître suspect, par cette raison que, dans la même lettre, Mme de Maintenon avoue qu'il y avait antipathie entre elle et Louvois, il faudra bien toujours en croire la correspondance de Louvois avec ses agents les plus accrédités, et ses ordres impitoyables. Déjà pendant la conquête du Palatinat, et avant qu'elle fût achevée, la pensée qu'il serait difficile de s'y maintenir avait poussé Chamlay à proposer le rasement de plusieurs places qu'on mettrait ainsi hors d'état de servir dorénavant à l'ennemi. Louvois, comme ses lettres en font foi[23], entendit par rasement non-seulement la destruction des ouvrages propres à la défense, mais encore celle des habitations jusqu'à ne pas y laisser pierre sur pierre[24]. Une fois l'exécution commencée, et sa colère s'irritant par les résistances ou les vengeances des victimes, il ne connut plus de bornes vis-à-vis des choses ni des personnes, repoussant avec dureté tout conseil de modération et de ménagement, expulsant sans pitié des populations entières, et menaçant même de mort ceux qui se cramponnaient par un dernier effort au séjour de leur patrie. Depuis le retour triomphal du dauphin, chaque jour avait fait mieux comprendre que, l'Allemagne aspirant à la vengeance, il était sage d'abandonner la nouvelle conquête, mais aussi comme moyen de défense, d'en faire un désert qui ne pût servir à l'ennemi ni d'avant-poste ni de citadelle. On commença donc par raser et piller plusieurs villes du Wurtemberg, on tira de fortes contributions des habitants par la crainte des incendies (janvier 1689). En ramenant les quartiers les plus avancés sur Pforzheim, Heidelberg et Manheim, on pilla tous les points abandonnés sur le haut et le bas Necker pour en tenir l'ennemi éloigné par la pénurie absolue de vivres et de fourrages (février 1689). Les Allemands s'enhardirent alors à tenter des représailles. Des dragons en garnison à Cologne ayant pris un écuyer du comte de Furstenberg, l'emmenèrent dans un bois, et, après l'avoir percé de cinquante coups de lance, l'écorchèrent. On saisit en France le prétexte de cette barbarie pour en justifier d'autres. Cette guerre commence cruellement, écrivait Dangeau[25], et apparemment nous leur rendrons la pareille pour les corriger. La correction fut la condamnation de Heidelberg et de Manheim. Il y avait à Heidelberg un magnifique château sur la hauteur, composé. de plusieurs palais, une des merveilles de l'Allemagne, et résidence préférée des électeurs palatins. Le comte de Tessé l'attaqua par la mine et n'en laissa debout que d'énormes et imposants débris. La tour ronde du palais de Frédéric IV se fendit dans toute sa hauteur, en deux morceaux, dont l'un resta immobile, et l'autre, glissé d'un seul bloc sur la pente, demeure encore aujourd'hui couché sur le flanc. Le ravageur se faisait gloire d'avoir détruit le pont et incendié plus de quatre cents maisons dans la ville. Cependant il ne prit pas le temps d'assurer la destruction complète ; son départ précipité rendit aux habitants la liberté d'éteindre le feu, et le désastre se borna à la destruction totale de trente-cinq maisons. Manheim fut moins heureuse. Le 4 mars les habitants avaient été avertis que leurs maisons allaient être rasées ; on leur offrait en retour un asile en Alsace. Ils eurent beau réclamer et s'obstiner à ne pas partir, la force les y contraignit bien. On a entièrement rasé la ville de Manheim, écrivait Dangeau le 12 mars, on travaille à raser la citadelle ; on n'y laissera pas pierre sur pierre non plus qu'à la ville. Nous avons brûlé Ladenbourg et tout ce qui est entre Heidelberg et Manheim. La plupart des habitants de Manheim se retirent en Alsace. Ainsi pas une émotion, pas un mot de pitié pour ces malheureux : un simple enregistrement des faits accomplis, aussi froid et impassible que les ordres du maître. Vaines cruautés ! les Allemands se soulevaient de toutes parts. Après un succès de surprise près de Neuss sur quelques détachements français (12 mars), l'électorat de Cologne se donna, sauf deux villes, au prince Clément de Bavière ; seules Kayserswerth et Bonn demeuraient encore au cardinal de Furstenberg. Alors n'était-il pas à craindre que le duc de Lorraine vînt s'établir dans les villes du Palatinat qui restaient debout, Spire ou Worms ? De là, il pourrait étendre ses ravages jusqu'à Saverne et Haguenau. Ces pensées, soufflées par Chamlay et communiquées par Louvois à Louis XIV, furent l'arrêt de ces vieilles cités germaniques. Malgré les scrupules du maréchal de Duras, l'ordre fut donné de les détruire. On accorda aux habitants six ou sept jours pour retirer leurs effets, on leur promit un asile en Alsace avec le libre exercice du protestantisme, en Bourgogne ou en Lorraine. Le 31 mai et le 1er juin Oppenheim, Worms et Spire furent livrées aux flammes ; les palais, les églises mêmes périrent comme les maisons des particuliers. La destruction de la petite ville de Bingen compléta ces opérations. Finissons par un détail ignoble que l'impartiale histoire a déjà enregistré, et qui fut certainement pour Louvois une punition sensible. Les soldats avaient été gorgés de vin pour les animer à cette œuvre de mort. L'ivresse continuée pendant plusieurs jours les emporta aux excès les plus dégradants. Non contents du butin qu'ils trouvaient dans les maisons, ils devinrent voleurs dans les campagnes et par les grands chemins ; les officiers, loin de les contenir, étaient atteints de la même frénésie. Le métier d'exterminateurs ruinait la discipline française[26]. Voilà le premier acte, le principal, de l'incendie du Palatinat, le grand grief de l'Allemagne dans le temps même contre Louis XIV, et sa rancune toujours vivante contre la France. Jusqu'à ces dernières années, les habitants du Palatinat montraient avec affectation les ruines d'Heidelberg, à nous comme un reproche mêlé de menaces, aux autres comme une raison de haine contre nous. Nous ne leur contestons pas des plaintes trop bien fondées ; loin même de leur reprocher la persistance de leurs souvenirs, nous voudrions que la France eût une aussi longue mémoire de ses fautes et de ses griefs, pour s'instruire par les unes à n'y plus retomber désormais, et par les autres à en préparer une légitime et opportune satisfaction. Mais l'Allemagne, à l'heure qu'il est, a-t-elle encore le droit de renouveler ses accusations, et si nous lui devions quelque chose, n'avons-nous pas largement payé notre dette ? Une invasion préparée par une ruse de cinquante années, le volontaire fusillé pour avoir défendu son pays, l'assiégé menacé de la peine des criminels s'il cherchait à s'évader de la ville investie, les lieux ouverts dévastés par des déménageurs enrégimentés, qui emballaient par calcul le butin que le Français gaspille par jactance, le pétrole admis parmi les moyens nouveaux de ravage, le château de Saint-Cloud brûlé sans excuse stratégique, une nationalité odieuse imposée au vaincu, sous peine d'exil ou de ruine : n'y a-t-il pas dans tout cela une compensation suffisante, un égal abus de la force brutale, un égal désastre pour les populations ? Les justiciers qui se présentaient au nom de Dieu pourraient même avoir excédé leur mission prétendue, et dépassé les excès des coupables qu'ils se croyaient chargés de punir. En même temps que le ravage de leur territoire, Louis XIV travaillait à opposer au soulèvement belliqueux des Allemands la continuation de la guerre des Turcs. Les infidèles, constamment vaincus et humiliés depuis quelques années, avaient demandé audience à l'empereur pour traiter avec lui de la paix. Leurs ambassadeurs venaient d'obtenir la permission d'entrer dans Vienne, par la promesse de se prosterner trois fois devant l'empereur chrétien et de baiser son manteau (9 février 1689). Le prince d'Orange et les Hollandais agissaient aussi auprès du sultan pour le convaincre, par sa propre faiblesse, de la nécessité de poser les armes[27]. Si ce conseil était suivi, l'Autriche était libre, avec, toute l'Allemagne, de tourner ses forces sans réserve contre la France. Mais à peine les négociations étaient-elles ouvertes, qu'il surgit des difficultés de toute sorte. L'empereur, par ses engagements avec la Pologne et Venise, ne pouvait traiter sans ces alliés ; or les Polonais ne se pressaient pas d'arriver. Aux premières demandes de restitution de territoire faites par l'empereur, les Turcs répondirent par des demandes semblables et par des fanfaronnades sur leur puissance. D'où venaient ces retards et cette assurance inattendue ? On n'hésita pas à soupçonner que la lenteur des Polonais, était due à l'influence française ; on répétait même en France, et avec un contentement manifeste, que le roi de Pologne allait déclarer la guerre à l'empereur pour des griefs particuliers[28]. La confiance revenue aux Turcs s'expliquait aussi par les relations directes de Louis XIV avec la Porte Ottomane. Il y a quelque apparence, dit Mme de La Fayette, que le roi fit avertir la Porte qu'il la soutiendrait, et Tékély, dont on ne parlait plus, commença de se remuer. On envoya, dit Villars, des corvettes et des bâtiments légers à Constantinople, pour avertir la Porte de notre résolution : on mit tout en usage pour le faire savoir à Maurocordato, le plénipotentiaire des Turcs à Vienne[29]. Par une coïncidence remarquable, l'empereur lui-même ne se prêtait aux négociations qu'à contre-cœur. C'est un calcul familier à l'Autriche de se servir des autres pour partager avec eux, et de n'agir effectivement elle-même que pour elle seule. La guerre des Turcs était sa guerre propre ; elle en aurait seule le profit. La ligue d'Augsbourg était la guerre de tous ; tout en paraissant y participer, elle en laisserait le poids aux autres, sous prétexte de la lutte en Orient, et profiterait avec eux de l'abaissement de la France. Léopold ne demandait donc qu'à continuer les hostilités contre la Porte. Selon Berwick, il cédait à un noble conseil : le duc de Lorraine, si intéressé à la guerre contre la France pour reprendre son duché, mais sacrifiant une inimitié particulière au bien général de la chrétienté, pressait le chef du saint-empire d'employer toutes ses forces contre les infidèles, et osait presque répondre de les chasser d'Europe en quelques campagnes[30]. Selon Villars, Léopold était infatué de prophéties bizarres, qui promettaient l'empire de Constantinople à un de ses fils, et il en poursuivait obstinément l'accomplissement[31]. Grâce aux intrigues des uns, aux arrière-pensées des
autres, les négociations n'aboutirent pas. Tout languit pendant deux mois,
et, au commencement de juin, tout fut rompu. Les plénipotentiaires européens
en furent quittes pour rejeter la faute sur les Ottomans. A la joie qu'on en
témoigna en France, il est facile de comprendre que ce résultat était
considéré comme un triomphe de la politique française. Quand la rupture
n'était encore qu'une espérance, on en calculait avec empressement les
avantages. Les Turcs n'ayant pas fait la paix,
disait-on[32],
et le roi de Pologne déclarant la guerre à
l'empereur, les bords du Rhin ne seront pas trop à craindre. On
annonçait le mouvement rétrograde des troupes impériales et du duc de
Lorraine vers la Hongrie[33]. Le fort de la guerre sera en Flandre, disait un
autre[34], parce que l'empereur sera occupé par les Turcs et le
Tékély. Lorsque la rupture fut officielle, l'intérêt des Turcs se
confondit avec celui de la France. On lit dans les Mémoires de Villars
: On réussit au point que la paix, si avancée, se
rompit, et que la guerre des Turcs a duré encore onze ans de plus. Pendant
toute la durée de cette guerre, le Journal de Dangeau est rempli de
connivences semblables. C'est avec doute et regret qu'il enregistre les
nouvelles défavorables aux Turcs ; avec une joie manifeste qu'il les dément,
quand il le peut, par des nouvelles contraires[35]. Louis XIV,
toujours aux aguets, ne permet pas à ses troupes de douter de leurs alliés
musulmans. Sur un bruit qui se répand, après la prise de Mons, que la paix
des Turcs est presque faite, il rassure le maréchal de Luxembourg par le
nombre des Turcs qui sont en armes et par la vigueur des soixante mille
Tartares, leurs alliés, et il ordonne de lire sa lettre à la troupe[36]. Racine, le
moins politique des hommes, et d'ailleurs partagé entre ses sentiments chrétiens
et l'obéissance au roi, se réjouit pourtant de l'échec des Allemands devant
Belgrade, non pas qu'à parler bien chrétiennement on
doive se réjouir des avantages des infidèles, mais parce que l'animosité des
Allemands est si forte contre nous, qu'on est presque obligé de remercier
Dieu de leurs mauvais succès, afin qu'ils soient forcés de consentir au repos
de la chrétienté[37]. Le marquis de
Feuquières, moins scrupuleux, et tout dévoué, en bon égoïste, à l'intérêt
positif, approuve sans réserve et justifie par ses avantages l'alliance avec
les Turcs : L'empereur, dit-il[38], faisait si avantageusement la guerre contre les Turcs,
et l'empire ottoman était si bas, qu'il était fort à craindre que, si nous
avions différé à le soutenir par une diversion contre l'empereur, ce prince
n'eût porté ses conquêtes jusqu'à Constantinople, et n'eût chassé les Turcs
de toute l'Europe. Le roi devait donc, en bonne politique, empêcher la ruine
totale des Turcs en Europe. Par là, nous prévenions les suites fâcheuses de
leur chute, et nous prenions des mesures contre l'établissement d'une
puissance supérieure à toutes les autres, qui aurait été celle de la maison
d'Autriche, notre ennemie. Les négociations de Vienne duraient encore que le roi déclarait la guerre à l'Espagne (15 avril 1689). Il reprochait à cette puissance sa conduite équivoque vis-à-vis de Jacques II et du prince d'Orange ; après avoir promis la neutralité tant que le succès de l'usurpateur avait été douteux, elle avait depuis adhéré à la politique de Guillaume et levé des troupes dans les Pays-Bas pour les joindre à l'armée hollandaise[39]. L'Espagne riposta (3 mai 1689) par une déclaration semblable et par des griefs non moins fondés ; elle dénonçait la désolation inhumaine, les cruautés et les barbaries inouïes exercées contre les États de l'empire, au mépris des lois de la religion et de la guerre et du droit sacré des capitulations, toutes les ruses de la négociation employées pour troubler l'harmonie de la chrétienté, et les obstacles apportés à la conclusion de la paix entre Sa Majesté Impériale et la Porte Ottomane[40]. On voit que, pour cette fois du moins, l'Espagne était bien renseignée sur la situation. Il lui en prit mal de faire la fière et de parler si haut. C'était sa destinée, dans toutes les luttes européennes contre la France, d'être toujours frappée de plus près et plus profondément que ses alliés, et de payer leurs succès ou leurs revers par des pertes sensibles de territoire. Le duc de Noailles, expédié aux Pyrénées avec un petit corps d'armée, neuf bataillons, cinq régiments de cavalerie et douze bouches à feu, commença vite les hostilités. Il se plaint lui-même que Louvois n'ait pas voulu prendre cette guerre au sérieux, et se soit proposé bien plutôt de fermer le Roussillon aux Espagnols que de conquérir l'Espagne ; de là l'insuffisance des ressources qu'on lui fournit, et le peu de conséquence des avantagés qu'il remporta[41]. Néanmoins il donna sans retard une leçon aux Espagnols. Il connaissait les dispositions hostiles des Catalans contre leurs maîtres ; il s'assura leur amitié en déclarant qu'il faisait la guerre aux Espagnols, non aux Catalans. Sur cette assurance la ville de Puycerda, les villages qui en dépendaient et plusieurs villages du Lampourdan, se mirent sous la protection du roi de France, et lui prêtèrent serment de fidélité. Mais il fallait un coup d'éclat pour troubler sérieusement l'ennemi. Les troupes espagnoles dépérissaient par l'indiscipline ; les autorités locales, en bravant à leur gré les ordres supérieurs, gênaient les opérations de résistance. Seulement le pays se défendait de lui-même par les difficultés des chemins. C'était à travers les neiges des montagnes et le danger des précipices que les Français devaient avancer. Cela n'arrêta pas l'envahisseur. Noailles voulait prendre Campredon, entreprise difficile que Louvois n'approuvait pas. Le général ne tint pas compte de cette contradiction. Arrivé rapidement devant Campredon, il prit en cinq jours cette place qui avait résisté à plusieurs sièges (27 mai). De là il s'avança jusqu'à une lieue de Gironne. C'était glorieusement ouvrir une guerre, dont chaque année devait être marquée par quelque opération importante. Un des ennemis déclarés de la France était bien averti que sa témérité pouvait lui coûter cher. Cependant, si Louvois n'était pas favorable à une guerre à fond contre l'Espagne, il n'en avait qu'une trop bonne raison, la nécessité impérieuse de réserver ses meilleures ressources contre des ennemis plus redoutables. Nous avons vu comment l'expédition d'Irlande languissait déjà à cette époque. Du côté de l'Allemagne et des Pays-Bas, ni le ravage du Palatinat ni la rupture des négociations avec les Turcs ne ralentissaient ni l'activité ni le développement de la coalition. Les Liégeois, un si petit peuple, refusaient la neutralité demandée par la France ; bien plus, ils avaient reçu dans leurs murs des troupes hollandaises et livré à ces auxiliaires un convoi français d'argent, de poudre et de bombes, destiné à la défense de Bonn, et qu'on avait cru mettre en sûreté chez eux : perfidie sans exemple dont on demandait en France un châtiment qui servît d'exemple à l'avenir[42]. Les états généraux de Hollande traitaient avec l'empereur (12 mai) ; les contractants s'engageaient à faire rétablir les traités de Westphalie et des Pyrénées ; la Hollande allait même jusqu'à promettre, en cas de mort du roi d'Espagne, l'intégrité de son héritage à l'empereur[43]. On ne craignait plus l'agrandissement de l'Autriche, tant on craignait l'agrandissement de Louis XIV. Dès le mois de juin, Louis XIV lui-même annonçait que l'intention des Allemands était d'assiéger Mayence, Bonn et Kayserswerth. Outre l'armée hollandaise commandée par le prince de Waldeck, on allait avoir sur les bras l'électeur de Brandebourg et le duc de Lorraine, c'est-à-dire plus de cent mille hommes auxquels la France pour le moment n'en pouvait opposer que quarante mille. Pour compenser cette infériorité de nombre, on en revint aux mesures violentes. Le maréchal de Duras eut ordre, dès qu'il verrait les villes du Rhin investies, de ravager le pays de Bade et ce qui restait encore debout dans le Palatinat. Pour empêcher les Allemands d'avancer de la ligne du Rhin à la ligne de la Meuse, une ordonnance royale prescrivit une dévastation d'un nouveau genre sur les terres françaises de Verdun à Mézières. Le meilleur moyen de tenir l'ennemi à distance de la Meuse paraissait être de ne pas lui laisser de grain pour subsister. Il fut donc interdit aux habitants, sur tout le parcours indiqué village par village, de semer aucuns grains de froment, méteil, seigle et épiot pendant le reste de la présente année et la suivante. La désobéissance était passible d'une amende de cinquante livres par arpent en contravention. Si dans le mois de novembre prochain, dit textuellement l'ordonnance, il reste aucun blé semé qui n'ait pas été retourné par les soins desdites communautés, il sera envoyé une compagnie de cavalerie ou de dragons dans chacune desdites communautés pour y demeurer pendant le reste du quartier d'hiver prochain[44]. Triste nécessité, qui répugnait même aux confidents de Louvois ; mais le ministre répondait que, le blé étant seul interdit et les habitants restant libres de semer de l'avoine, du millet, du blé d'Inde, du sarrasin, de la vesce et des pois, le préjudice était au moins atténué des deux tiers[45]. Le remède ne prévint pas le mal. Dès le 26 juin, Kayserswerth était occupé par l'électeur de Brandebourg. Le cardinal de Furstenberg ne conservait plus que Bonn. Brandebourg s'y porta immédiatement, et commença par bombarder une place trop forte pour être prise du premier coup. Le duc de Lorraine investit Mayence le 17 juillet, et ouvrit la tranchée le 24. Parallèlement à ces mouvements offensifs des alliés, le maréchal de Duras, en vertu de ses instructions, recommença une tournée de ravages dans le Palatinat. II pilla, brûla ou détruisit Sinzheim, Wisloch, Bruchsal, Pforzheim, Durlach, Bade. Il acheva de rendre odieux le nom français dans ces contrées, et, par une juste punition, il n'obtint pas même la soumission du pays. Heidelberg, qu'on croyait avoir ruinée cinq mois plus tôt, avait réparé son désastre et s'était remise en état de défense. Duras la menaça en vain et ne put y rentrer. Dans les campagnes, la résistance renaissait à chaque pas par l'audace et les attaques partielles des schnapans[46] ou maraudeurs, paysans intraitables qu'on retrouvait à tous les buissons, à tous les coins des chemins, à tous les passages difficiles, et dont l'acharnement indomptable a conservé leur nom dans l'histoire et dans la langue française. Pendant qu'ils se défendaient pied à pied, les revers des Français se succédaient sur d'autres points avec une continuité désolante. D'abord aux Pays-Bas, le maréchal d'Humières se faisait battre sottement à Valcourt (25 août). A la suite d'une campagne défensive vis-à-vis des armées régulières, mais assez féconde en contributions sur le territoire espagnol, il se trouva tout à coup près de la Sambre, à petite distance du prince de Waldeck. Quelques-uns de ses escadrons avaient facilement dispersé des bandes de fourrageurs ennemis qui avaient couru se renfermer à Valcourt. Sur un rapport obscur des gens du pays, il crut que cette petite ville n'avait que des murs en ruine et pouvait être facilement occupée. Il s'y présenta sans prudence du côté où les murs, étaient bons, élevés et percés de meurtrières favorables au tir des assiégés. Il y subit un feu très-vif, auquel la valeur des Français ne put répondre ; il pointa en vain des canons de petit calibre contre des pierres trop solides pour être brisées ; il ne se retira que lorsqu'une manœuvre de son adversaire lui fit craindre d'être cerné ; il laissait un millier d'hommes sur le carreau, sans avoir fait lui-même aucun mal à l'ennemi. L'avantage du prince de Waldeck, bien ménagé par lui, eut un grand retentissement, et la bataille de Valcourt compta comme la première victoire de la coalition. Il est vrai que le même jour, 25 août, sur la Moselle, Boufflers occupait, par un brillant coup de main, la petite ville de Kocheim ; mais quel faible dédommagement de la supériorité décisive que l'ennemi prenait sur les bords du Rhin ! Assurément rien ne fait plus d'honneur au courage et à l'énergie des Français que le siège de Mayence en 1689. Le marquis d'Huxelles avec ses neuf mille hommes, tous césars comme il les appelait, opposait depuis le 17 juillet une résistance agressive qui ne laissait à l'ennemi ni repos ni jouissance réelle de ses avantages. Mais il aurait fallu que cette valeur ne fût pas abandonnée à elle-même, et qu'on l'entretînt par une assistance indispensable. Les princes d'Empire n'avaient jamais été plus unis, et leur engagement au siège de Mayence était terrible. Or, à la cour de France, on avait si bonne opinion des défenseurs, qu'on riait de la vanité des prétentions allemandes, et qu'on négligea pendant tout le mois d'août d'envoyer au secours des assiégés des renforts ou des diversions. A répondre coup pour coup aux nombreux canons de l'ennemi, à reprendre pas à pas les positions conquises par l'assiégeant, à exécuter vingt-deux sorties, le marquis d'Huxelles consommait ses munitions, sacrifiait ses hommes et, faute de ravitaillement, se mettait, par chaque fait d'armes glorieux, hors d'état d'en tenter de nouveaux. Qui fut coupable de ce délaissement, Louvois ou Louis XIV ? Il semble ressortir de plusieurs lettres du ministre que ce fut le roi. Ensuite, quand après Valcourt et Kocheim, on se décida à secourir Mayence, le maréchal de Duras, au lieu d'obéir, perdit le temps à se plaindre du mauvais état et de l'insuffisance de ses troupes. Pendant ces lenteurs fatales, d'Huxelles accomplit son dernier exploit. Dans la nuit du 6 septembre, il repoussa de deux côtés une attaque de trente bataillons. Deux heures de lutte incomparable forcèrent l'assiégeant à reculer en laissant cinq mille des siens dans les boues ensanglantées. Après quarante-six jours de tranchée ouverte, les Français n'étaient pas vaincus, mais, dépourvus des moyens de combattre, ils ne pouvaient plus vaincre. Il fallait se résigner. Après avoir défendu Mayence en héros, d'Huxelles capitula en homme d'esprit, selon le mot de Louis XIV. Bien convaincu de sa propre détresse, il profita de l'illusion que la dernière bataille faisait encore aux. Allemands sur ses forces ; il exigea et obtint des conditions honorables (10 septembre). Il sortit tambour battant, drapeaux déployés, avec ses canons, les cinq mille hommes qui lui restaient valides et ses blessés ou malades à qui le passage était laissé libre par le Rhin jusqu'à Philipsbourg. L'honneur militaire était sauf pour la France ; mais la supériorité matérielle de l'ennemi était une atteinte profonde à la politique et à la considération du roi. Mayence rendue aux Allemands, Bonn ne pouvait plus tenir. Un autre brave, le baron d'Asfeld, enfermé dans Bonn, avait d'abord fait payer cher à l'électeur de Brandebourg son premier établissement devant cette ville. Il avait ensuite subi un bombardement sans en être ému, un blocus sans perdre patience, un siège en forme sans être contraint de céder. Après trois mois de cet héroïsme, il vit l'armée du conquérant de Mayence renforcer les Brandebourgeois ; il attendit en vain qu'un général français vînt lui apporter à lui-même une raison et un moyen de prolonger la lutte ; cette fois l'éloignement, plus que la mauvaise volonté, rendait ce secours impossible. Après une dernière et honorable épreuve de son impuissance, il capitula avec les honneurs de la guerre (10 octobre), et sortit de Bonn pour aller mourir de ses blessures à Aix-la-Chapelle. Le cardinal de Furstenberg, le protégé de la France, était ainsi dépossédé de son dernier reste d'électorat. Louis XIV, pour le dédommager, lui accorda la riche commende de Saint-Germain des Prés[47], qui valait 80.000 livres de rente, une belle maison dans Paris, et celle de Berny à la campagne[48]. Par un entrain de revers, en quelque sorte fatal, entre la perte de Mayence et celle de Bonn, la fortune avait tourné même en Espagne contre la France. Le duc de Noailles n'avait pu garder sa position avancée. Les eaux taries, ou devenues rebutantes pour les chevaux, le forçaient à rétrograder. L'ennemi, profitant de cette circonstance, assiégea Campredon. Noailles montra, par une brave résistance, qu'il en coûterait beaucoup aux Espagnols pour la reprendre. Mais la continuation de la lutte, dans l'état de ses forces, le menaçait lui-même d'un affaiblissement dangereux. Sur l'ordre de Louvois il se décida à ne rien garder et à ne rien laisser à l'ennemi. Il démantela Campredon et se retira volontairement ; la ville ainsi ouverte ne pouvait plus servir de barrière aux Espagnols eux-mêmes ; mais les Français n'en battaient pas moins en retraite et perdaient un poste avantageux[49]. La situation était grave pour la France ; elle rappelait assez bien la fin de 1673, ce temps d'arrêt dans la grandeur française, où Louis XIV se repliait devant la première coalition (Voir t. IV, ch. XXII). Pour compléter la comparaison, de nombreux mécontents à l'intérieur du royaume donnaient à craindre la complicité de la guerre civile avec la guerre étrangère. Beaucoup de nouveaux convertis, qui ne voulaient pas demeurer catholiques, et qui n'osaient pas quitter la France, applaudissaient aux victoires de l'ennemi. Leurs ministres leur avaient promis la délivrance pour 1689 ; des lettres venues de leurs coreligionnaires émigrés les fortifiaient dans cet espoir. L'événement d'Angleterre semblait leur donner tout à fait raison[50]. Ils essayaient donc de se rassembler pour prier Dieu, et s'exerçaient à la lutte. En Normandie, l'intendant Foucauld les faisait disperser par des dragons. Dans le Midi, ces démons, comme les appelle Sévigné, s'élançaient des montagnes du Dauphiné, disparaissaient à la vue de forces supérieures, puis revenaient dès que M. de Grignan tournait le dos ; c'était toujours à recommencer[51]. Deux mille huguenots, les uns sujets de France, les autres du duc de Savoie, payés à 40 sous par jour par le prince d'Orange, étaient sortis de Suisse pour attaquer le Dauphiné, et tenaient en éveil la garnison de Pignerol[52]. Enfin on apprenait avec effroi que, dans le pays de Vendôme, plusieurs nouveaux convertis avaient dit qu'il se trouverait encore en France un Ravaillac[53]. Il y avait en outre, ajoute Mme de La Fayette, beaucoup d'autres gens mal contents qui se joindraient aux huguenots, si la fortune penchait plus du côté des ennemis que du nôtre. Le roi voyait tout cela, et l'on eût été inquiet à moins. Ses préoccupations le rendaient sombre, et retombaient quelquefois en mauvaise humeur sur ceux dont il avait autrefois le mieux apprécié les services. Ce fut un moment de crise pour Louvois. L'opinion, irritée de la perte de Mayence, en rejetait la faute sur le ministre de la guerre qui, à la première vue, paraissait avoir manqué de prévoyance. Le roi eut bien l'air d'autoriser ces murmures par les faveurs qu'il affecta de prodiguer aux rivaux de l'inculpé. Il se retourna vers la famille de Colbert ; il conféra à Seignelay le titre de ministre et l'entrée au conseil ; il accorda au jeune marquis de Torcy, neveu de Colbert, la survivance de son père Croissy au ministère des affaires étrangères. Alors il y eut déchaînement contre Louvois, qu'on croyait perdu. Ce fut à cette occasion que la tragédie d'Esther par Racine devint subitement un pamphlet politique. Depuis un an qu'on la connaissait et qu'on l'admirait à la cour, on n'y avait vu que ce qu'elle est véritablement : l'histoire d'Esther et d'Assuérus. Tout à coup on y reconnut, dans le personnage d'Aman, le ministre de Louis XIV, et Racine passa pour l'interprète poétique et biblique des sentiments de la nation. Mme de La Fayette, dans le temps même, a fait justice de cette sottise[54] ; l'historien de Louvois réfute aussi très-agréablement la profonde et un peu lente pénétration des politiques de la chambre de Mme de Maintenon. Mais c'étaient les dispositions mêmes de cette dame et de Louis XIV pour Louvois qui accréditaient ces commérages. Cependant le prétendu Aman échappa à une disgrâce que la cour elle-même n'aurait pas tardé à regretter, et Louis XIV, une fois remis de sa première émotion, chercha et trouva de plus sûrs moyens pour tenir tête une seconde fois, avec vigueur et non sans gloire, à toute l'Europe. |
[1] Œuvres de Louis XIV, tome VI. Lettre de Louis XIV à Villars, 16 décembre 1688 : J'ai reçu la déclaration qui vous a été donnée de la part de l'électeur de Bavière. La cour où vous êtes aurait bien pu s'épargner la peine de dresser cet écrit, et il semble qu'elle ait plutôt voulu par là vous donner votre congé que d'entrer dans aucune négociation avec vous..... Il est néanmoins de mon service que vous y demeuriez jusqu'à ce que l'électeur se soit déclaré ouvertement contre ma couronne..... Servez-vous de tous ces moyens et de tous ceux que je vous ai ci-devant écrits pour empêcher l'électeur de se déclarer pour l'empereur.....
[2] Voir Sévigné, Saint-Simon, La Fayette. Mme de La Fayette, qui avait démenti si énergiquement l'empoisonnement de la duchesse d'Orléans en 1670, est une des plus explicites à soutenir que la reine d'Espagne, fille de cette duchesse, est morte par le poison.
[3] Dangeau, Journal, 3 janvier 1689.
[4] Dangeau, Journal.
[5] Mémoires de Foucauld, alors intendant à Caen : Une femme, pour exempter son fils, déclare qu'il est bâtard, et que, le roi ne voulant pas de bâtards dans ses troupes, il faut le lui rendre.
Le régiment des milices de Fontenay a été trouvé si beau, qu'il a été commandé pour servir hors de la généralité et tenir la campagne.
[6] Voir la chanson de Pavillon, envoyée par Bussy à Sévigné, 13 mai 1689.
[7] Dangeau, Journal, mai 1689.
[8] Dangeau. Au 1er avril, la course sur les Hollandais avait déjà rapporté quatre millions. M. de Seignelay nous a dit aujourd'hui qu'il a déjà eu 20.000 pistoles pour sa part.
[9] Isambert, Anciennes Lois françaises, tome XX.
[10] Isambert, Anciennes Lois françaises, tome XX. Dangeau, Journal, 18 janvier, 17 février 1089.
[11] Dangeau, du 17 mars au 19 avril.
[12] Mémoires du maréchal de Noailles.
[13] La Bruyère, ch. XII : Des jugements. Il faut lire ces pages curieuses ajoutées aux Caractères dans une des dernières éditions, et qui sont, à cent ans de distance, comme une prophétie de la chute du principe monarchique en Europe.
[14] Sévigné, La Fayette, Dangeau.
[15] Dumont, Corps diplomatique, tome VII ; buté de la déclaration : Il a disputé à la couronne le droit de pavillon ; ce qui viole la souveraineté que nous avons sur les mers Britanniques, que nos prédécesseurs ont de tout temps maintenue, et que nous avons aussi résolu de maintenir pour l'honneur de notre couronne et de la nation anglaise.
[16] Lettres de Rosen à Louvois, 20 mai, et de Louvois à d'Avaux, 13 juin, citées par Rousset.
[17] Lettre de Louvois à d'Avaux, 13 juin.
[18] Mémoires de La Fayette.
[19] Dangeau, 9 juillet.
[20] Œuvres de Louis XIV, tome VI : lettre à Seignelay, août ; la date du jour manque.
[21] Ce lieu s'appelait primitivement Derry et avait peu d'importance. La colonie saxonne lui ayant donné un grand développement, surtout avec le concours du commerce de Londres, on le décora du nom de la capitale de l'Angleterre sans lui ôter le sien : il devint ainsi Londonderry. (Burnet, Histoire de Guillaume III.)
[22] Lettres de Maintenon.
[23] Rousset, Histoire de Louvois, tome IV, ch. X.
[24] Il est curieux de rapprocher deux témoignages qui n'ont pu se concerter : une lettre de Louvois et un passage du Journal de Dangeau.
Le 17 novembre 1688, Louvois écrit à l'intendant Lagrange : Je vois le roi assez disposé à faire raser entièrement la ville et la citadelle de Manheim, et en ce cas d'en faire détruire entièrement les fortifications, de manière qu'il n'y et pas pierre sur pierre qui puisse tenter un électeur, auquel on pourrait rendre ce terrain pendant une paix, d'y faire un nouvel établissement. Sa Majesté ne juge pas encore à propos que ce projet vienne à la connaissance de personne.
Il parait que le secret ne fut pas bien gardé, car, le 26 nov. 1688, Dangeau écrivait dans son Journal : Ordre de raser Manheim, non-seulement les fortifications, mais même toutes les maisons tant de la ville que de la citadelle, pour empêcher que les Allemands ne puissent plus se servir de ce poste-là, qui est dans l'angle du Necker et du Rhin.
[25] Dangeau, Journal, 3 février 1689.
[26] Rousset, Histoire de Louvois, tome IV, ch. X. C'est là qu'on peut bien constater, par les pièces officielles, les sentiments et les ordres de Louvois que nous avons essayé de résumer, et la part que les généraux et les agents du ministre prirent à son œuvre par leurs conseils et leur coopération.
[27] Hammer, Histoire des Turcs, tome XII. Mémoires de La Fayette.
[28] Sévigné, 13 avril 1689.
[29] Mémoires de Villars.
[30] Mémoires de Berwick, pour 1688.
[31] Lettre de Villars à Louis XIV, 23 octobre 1688 ; c'est le récit d'un entretien de Villars avec l'électeur de Bavière :
L'électeur me dit : Il faut connaître l'empereur comme je le connais, pour pouvoir croire les raisons qui l'ont empêché de faire la paix avec les Turcs ; mais vous qui avez été à Vienne, cela vous surprendra moins. Il y a des moines qui ont prédit à l'empereur que l'impératrice deviendrait grosse, qu'elle accoucherait de deux jumeaux, et quo dans le même temps l'empire turc serait détruit, et qu'un de ces jumeaux régnerait à Constantinople. La grossesse de l'impératrice a paru dans le temps que nous avons pris Belgrade ; l'empereur a cru le reste de la prophétie, et n'a pas voulu entendre parler de paix en ce temps-là. Voilà, sire, ce que l'électeur m'a conté et je n'en doute pas du tout. Œuvres de Louis XIV, tome VI.
[32] Sévigné, 13 avril 1689.
[33] Dangeau, Journal, 7 et 20 avril.
[34] Bussy à Sévigné, mai 1689.
[35] Voir le Journal de Dangeau, passim de 1689 à 1697.
[36] Œuvres de Louis XIV, tome IV, 19 juillet 1691.
[37] Racine, Lettre à son fils, octobre 1693.
[38] Mémoires de Feuquières, ch. L.
[39] Isambert, tome XX. Dangeau, Journal, 18 avril.
[40] Dumont, Corps diplomatique, tome VII.
[41] Mémoires de Noailles.
[42] Dangeau, Journal. Bussy-Rabutin, 13 mai.
[43] Dumont, Corps diplomatique, tome VII.
[44] Ordonnance du 23 juillet 1689. Isambert, Anciennes Lois françaises, tome XX.
[45] Lettre de Louvois à Chamlay, citée par Rousset.
[46] Ce mot s'écrit en allemand Schnapphahn ; l'étymologie ne serait-elle pas schnappen, happer, et hahn, coq ? La traduction, pour garder la trivialité du sens, pourrait être dans ce cas chippe-coq.
[47] C'est par là que s'expliquent les noms des deux rues Cardinale et de Furstenberg dans le voisinage de Saint-Germain des Prés.
[48] Dangeau, Journal, 9 janvier 1690.
[49] Mémoires de Noailles, sept. 1689.
[50] Mémoires de La Fayette. Mémoires de Foucauld pour 1689 : il cite la lettre du sieur de Bellefontaine à la femme du nommé Jue, orfèvre de Caen, par laquelle il lui mande qu'elle prenne courage, et que le prince d'Orange vengera dans peu les tyrannies que l'on fait ici. Foucauld fut commis par arrêt du Conseil pour faire le procès aux auteurs de ces lettres. Voir aussi les prédictions du ministre Jurieu, citées par Bossuet, Histoire des variations ; et l'Avis aux réfugiés, de Bayle, en 1690.
[51] Sévigné, 9 et 16 mars 1689.
[52] Dangeau, 10 septembre.
[53] Lettre de Seignelay à Creil. Voir Depping, Correspondance administrative.
[54] Mémoires. Racine n'avait pas voulu le (Louvois) marquer, dit-elle.