I. — Mariage du dauphin et naissance du duc de Bourgogne. - Projets d'agrandissements. - Les chambres de réunion. - Occupation de Strasbourg et de Casal. Guerres contre les Barbaresques. - Sobieski et le siège de Vienne. - Prise de Luxembourg. - Bombardement de Gênes. - Trêve de Ratisbonne. Que le nom de période de l'orgueil convienne à la série d'années écoulées entre la paix de Nimègue et la ligue d'Augsbourg, c'est un fait déjà clair quand les tableaux de gloire ou de mœurs que nous venons de tracer, et qui va tirer une nouvelle évidence des relations politiques du grand roi avec ses voisins, et de la domination qu'il s'arroge dans les questions religieuses. Jamais encore il n'avait eu de foi aussi robuste en lui-même, en sa force, en son droit de supériorité sur les autres rois. Jamais aussi il n'y avait été plus confirmé par l'empressement de ses ministres, l'adoration des courtisans et la complicité de ces fougues d'enthousia.sme populaire qu'il est si facile de prendre pour le sentiment national. Redoutable aveuglement qui devait conduire aux écueils, aux misères et aux affronts, et justifier ce mot de Louis XI : Quand orgueil chemine devant, honte et dommage suivent de près. Le dernier traité était à peine conclu, que le roi, à propos du prochain mariage du dauphin, célébrait sa gloire présente et sa confiance en l'avenir en ces termes superbes : Après que Dieu a béni si heureusement l'application continuelle que nous avons donnée au bien de notre État, soit par l'ordre que nous avons établi au dedans, soit par les conquêtes dont nous l'avons augmenté au dehors, l'unique soin qui nous reste pour le bonheur de nos sujets est de nous donner des successeurs qui puissent, à notre exemple, et touchés du même amour pour nos peuples, perpétuer dans l'avenir la félicité dont ils jouissent sous notre règne, et soutenir avec la même gloire ce haut point de grandeur et de puissance où nous avons élevé notre couronne[1]. Il s'agissait d'un mariage avec la fille de l'électeur de Bavière, le seul prince allemand qui n'eût pas pris part à la coalition contre la France, chose rare assurément, même dans les annales bavaroises. Le roi, qui en désirait' fort là conclusion, sans doute comme une nouvelle victoire sur l'empereur, n'y pouvait souffrir le moindre retard, et le marquis de Pomponne, qui lui fit attendre quelques heures la nouvelle du succès, en fut puni immédiatement par une disgrâce. Pomponne, ministre des affaires étrangères, n'était pas à Paris au moment où arriva la réponse chiffrée du négociateur, et, comme il pouvait seul la lire, le roi ne put en savoir le contenu que le lendemain ; le ministre négligent fut aussitôt remplacé par le négociateur heureux, Colbert de Croissy, frère du grand Colbert[2]. Dans les explications que Louis XIV a données lui-même de cet acte de sévérité, il n'avoue pas le caprice qui en fut la cause immédiate ; mais les raisons qu'il y substitue sont un aveu plus froid et plus complet de l'infatuation où il était monté. L'emploi que je lui avais donné, dit-il de Pomponne, s'est trouvé trop grand et trop étendu pour lui. J'ai souffert plusieurs années de sa faiblesse, de son opiniâtreté, de son inapplication. Il m'en a coûté des choses considérables, je n'ai pas profité de tous les avantages que je pouvais avoir, et tout cela par complaisance et par bonté. Enfin, il a fallu que je lui ordonnasse de se retirer parce que tout ce qui passait par lui perdait de la grandeur et de la force qu'on doit avoir en exécutant les ordres d'un roi de France qui n'est pas malheureux[3]. S'il pouvait y avoir mie excuse à ce ton d'insolence, elle serait sans doute dans l'ardeur des courtisans à commencer l'apothéose de leur maître. Quelques mois auparavant[4], M. de La Feuillade, passant tous les courtisans passés, avait fait venir un bloc de marbre pour en tirer la statue du roi. Ce bloc, embarrassant toute la rue Saint-Honoré, ne voulait pas céder le passage au carrosse de Monsieur le Prince, qui était dedans ; les soldats, qui le traînaient, se battirent avec les valets de Condé. M. de La Feuillade cherchait à ressusciter Phidias ou Praxitèle pour l'œuvre qu'il méditait, et il y destinait trente mille écus. Nous verrons plus bas quel monument, quelle place il consacra au bout de six ans à la déité de son souverain. Le roi n'avait-il pas encore raison de croire à la supériorité, à l'importance de sa race, lorsque la joie qu'il ressentait de sa propagation était partagée non-seulement par la cour, mais encore par des masses populaires ? Le premier fruit du mariage du dauphin, la naissance du duc de Bourgogne (août 1682), fut le signal de l'ivresse dans le palais de Versailles, au dehors, et dans Paris. On devint presque fou, dit un contemporain. Chacun se donnait la liberté d'embrasser le roi, et il se laissait faire sans répugnance. Les porteurs de chaises jetèrent dans les feux de joie une partie des lambris et des parquets destinés à la grande galerie, et le roi disait : Laissez-les faire, nous aurons d'autres parquets. Quel bruit, quelle effusion de vin, quelle danse de deux cents Suisses autour des muids, quels cris de vive le roi ![5] A Paris, la joie fut encore plus vive et de plus longue durée. Pendant trois jours les boutiques furent fermées, et les rues remplies de tables où les passants étaient conviés et forcés à boire sans payer. Tel artisan mangea cent écus dans ces trois jours, qui n'en gagnait pas autant dans une année[6]. Sur la foi de ces acclamations, le roi se croyait libre de tout entreprendre. Mais il avait surtout à cœur de faire sentir sa domination au dehors. Comme ramait bien prédit le prince d'Orange, il avait conclu la paix pour dissoudre la coalition ; maintenant il se proposait d'user de la paix pour étendre ses avantages bien au delà de ce que lui avait rapporté la guerre. Cette tentation était aussi la passion de ses ministres ; il n'était pas homme à les contenir dans la modération. Il avait fait la paix avec l'Espagne, et bientôt, pour y donner une consécration plus apparente, il força sa nièce, une des filles du premier mariage du duc d'Orléans, d'aller au delà des Pyrénées épouser ce moribond de roi Charles II. Ni les supplications, ni les larmes de la jeune princesse, ni la compassion muette des témoins de cette douleur, ne purent le détourner d'une décision calculée pour le bien de son service. Mais cette alliance couvrait des dispositions hostiles. Dès le lendemain du traité de Nimègue avec l'Espagne (30 sept. 1678), Colbert donnait à ses chefs d'escadre des instructions peu pacifiques. La paix étant faite pour l'Europe, et non dans les autres parties du monde, le roi pouvait bien avoir la résolution de troubler le grand commerce des Espagnols avec les Indes occidentales. Il lui importait donc de connaître les temps de départ des flottes et galions d'Espagne, leurs routes ordinaires, leurs points de relâche, leurs aiguades, les ports d'où ils repartaient pour l'Europe, la force de leurs galions et vaisseaux de guerre, le nombre de leurs canons et le personnel de leurs équipages. Il n'importait pas moins d'étudier quels changements, quels progrès seraient nécessaires dans les flottes françaises pour attaquer sûrement les ennemis. Comme il n'y a rien de si important dans cette entreprise que le secret, vous devez, ajoutait Colbert[7], prendre l'extrait de cette lettre sur vos tablettes et la brûler. Je vous envoie, par l'ordre du roi, un chiffre, afin que si vous avez occasion de me rendre compte de ce détail, étant en mer, vous puissiez vous en servir. La réconciliation avec l'empereur n'était pas plus sincère. Par le traité de Nimègue, le roi s'était en-.gagé à ne pas assister les ennemis de Léopold. Pour satisfaire à cette parole, il cessa de solder les mercenaires qu'il avait introduits en Hongrie et les officiers qui tenaient de lui leurs commissions. Ce gage extérieur une fois donné, il continua à cultiver l'amitié du prince de Transylvanie, le constant allié des mécontents hongrois. A la fin de 1679, Acaquia, son agent, portait à Apafy, entre autres présents, un service de vermeil doré gravé aux armes du roi de France, et un beau cadeau à la princesse. Les Hongrois Tekely et Wesselini recevaient des pensions de la même main. Acaquia, résident de France en Transylvanie, devait entretenir commerce avec les mécontents de Hongrie. L'intention transparente de ces manœuvres est d'ailleurs déclarée catégoriquement, sans gêne et sans critique, par le marquis de Pomponne le disgracié. Sa Majesté, dit-il[8], se conservait en cette sorte de la confiance et de l'autorité dans un parti capable de donner toujours une grande inquiétude à l'empereur, et pourra aisément se rendre plus considérable par les mêmes assistances, toutes les fois que le besoin s'en présentera. Depuis plusieurs années, la France exerçait en Savoie une domination insupportable. La régence d'une femme, la faiblesse d'un prince mineur — Victor-Amédée II — avaient été saisies par Louvois comme une occasion favorable pour tenir dans la dépendance un État qui servait de barrière entre la France et le Milanais espagnol. On avait imposé à la régente le rétablissement dans ses biens et honneurs d'un exilé — le marquis de Livourne — protégé par la France ; on s'était opposé aux fiançailles du jeune duc avec une princesse autrichienne ; on avait obtenu le libre passage pour une armée française, dans le cas où il plairait à Louis XIV d'introduire des troupes dans le Milanais (1677). On favorisait un projet de mariage entre le jeune duc et une princesse de Portugal, afin de l'éloigner de ses États, afin de brouiller sa mère avec l'Espagne et avec ses sujets, afin de le réduire à n'avoir plus de ressources que dans la protection française[9]. La France poursuivait en. outre le projet de s'établir à Casal avec le consentement du duc de Mantoue à qui le Montferrat appartenait. Un traité, ou plutôt un marché à cette intention, avait été secrètement négocié à Versailles (décembre 1678) entre le roi et Matthioli, ministre de Mantoue. Enfin la France traitait les Gênois en ennemis. Dans les derniers jours de la guerre de Hollande, ces marchands avaient refusé le salut à l'étendard royal élevé sur la patronne des galères, contrairement au règlement de 1670. Aussitôt le roi avait ordonné à Duquesne d'arrêter partout les vaisseaux gênois et de les conduire dans les ports de France, de s'approcher le plus qu'il pourrait de Gênes et d'en bombarder au moins un faubourg[10]. En vertu de ce commandement, vingt galères étaient venues canonner San-Piero d'Arena, le fanal et deux forts. Cette exécution, et un peu plus tard la découverte du projet de Casal par la trahison de Matthioli qui le révéla au duc de Savoie et au gouverneur espagnol de Milan (avril 1679), faisaient connaître suffisamment quels étaient les desseins de Louis XIV sur l'Italie. Au surplus, le roi ne tarda pas beaucoup à déclarer ses intentions. Dès septembre 1679, il agit au grand jour. D'une part il se fit rendre par les électeurs de Trèves et de Mayence deux petites villes de Lorraine, Bitche et Hombourg, où ces princes tenaient garnison pour le duc dépossédé, par cette raison que, ce duc ayant refusé d'adhérer à la paix de Nimègue, son duché demeurait, légitimement au roi de France, et qu'aucune partie, si petite qu'elle fût, n'en pouvait être contestée au conquérant. D'autre part, il remettait à ses cours de justice, aux parlements de Metz et de Besançon, et au conseil souverain d'Alsace, le soin de fixer la frontière à laquelle les traités lui donnaient droit, en interprétant la paix de Nimègue et celle de Munster, en tranchant par des arrêts sans appel les chicanes que les termes plus ou moins obscurs de ces traités pouvaient susciter et prolonger entre négociateurs de partis opposés. Cependant il acceptait, à Courtray, une conférence entre commissaires français et espagnols pour déterminer la frontière des deux nations aux Pays-Bas. C'est là ce qu'on appelle improprement les chambres de réunion ; car il n'y eut que le parlement de Metz où une chambre spéciale fut ajoutée pour cet objet à celles qui existaient déjà ; les cours de Besançon et de Brisach ne reçurent aucune augmentation. Jamais acte de domination aussi arrogant ne s'était produit en Europe : une seule des parties imposer comme arrêt irrévocable son jugement à toutes les autres Cette audace n'eut d'égale que la stupeur où elle jeta les vaincus, et la faiblesse des efforts tentés pour s'y opposer. Louvois était l'inventeur de cette nouvelle diplomatie ; ses lettres en font foi[11]. Elle plut si fort à Louis XIV et par l'autorité qu'elle lui attribuait, et par les profits qu'elle lui valut d'abord, que Louvois devint dès lors le ministre prépondérant, et ruina en partie le crédit de Colbert. Les juges négociateurs comprirent bien leur mission et ne firent pas attendre leurs sentences. Entre autres considérants, ils invoquaient le principe, déjà soutenu à Munster par les Français, que les vassaux relevant, à quelque titre que ce fût, des territoires cédés au roi, étaient soumis à sa souveraineté[12]. Ils lui adjugèrent ainsi tout ce qui avait relevé, en quelque temps que ce fût, de la Franche-Comté, de l'Alsace, des Trois-Évêchés. En septembre 1679, le parlement de Besançon, par un premier arrêt, donnait à Sa Majesté plus de quatre-vingts villages, et réduisait la souveraineté de Montbéliard à une très-petite étendue : premier triomphe vivement senti et lestement exalté par Louvois[13] ; l'année suivante (août 1680), le même parlement réunit au domaine du roi le Montbéliard tout entier. Le conseil souverain d'Alsace, vu les paragraphes 73 et 74 de la paix de Munster et la généralité des termes de l'acte qui cédait cette province à la France, arrêta que les villes impériales de la préfecture de Haguenau ne pouvaient conserver leur immédiateté envers l'empire, et donna Strasbourg au roi comme un membre de l'Alsace (22 mars 1680). La chambre de réunion de Metz fit valoir ce titre non-seulement spécieux, mais légal aux yeux mêmes des adversaires, à savoir que les anciens évêques souverains de Metz, Toul et Verdun, avaient trop souvent, au profit de leurs propres familles, affaibli une seigneurie dont ils étaient gardiens et non maîtres, en affranchissant leurs vassaux de toute dépendance. Elle assigna, à la requête des évêques et des abbés, les maires et échevins des lieux ainsi détachés de leurs suzerains primitifs et légitimes. Par ce rétablissement d'un droit ancien et imprescriptible, elle adjugea au roi les principautés de Saarbrück, de Saarwerden, le duché de Veldenz (avril 1680), un peu plus tard le duché de Deux-Ponts quoique réclamé par la Suède, et le comté de Chiny (juillet 1681) qui embrassait par ses dépendances presque tout le Luxembourg. Cependant ces façons procédurières n'avaient pas entièrement corrigé Louis XIV de l'emploi de la ruse ou de la force. Au commencement de 1680, il gagnait deux villes pour une dans le Pays-Bas. Les Espagnols devaient, conformément à la paix de Nimègue, lui céder Charlemont, si les états de Liége ne le laissaient pas en possession de Dinant. Il réclama hautement Charlemont en vertu de ce droit incontestable, mais en même temps il négocia tout bas la soumission volontaire de Dinant à son autorité ; et quand les Espagnols lui abandonnèrent enfin Charlemont par respect pour la paix, il resta maître de Dinant par un accommodement annexe qui ôtait à la paix son véritable caractère. Il accueillit contre Guillaume III les réclamations élevées sur la principauté d'Orange par la duchesse de Nemours, prit la place pour lui et mit la principauté sous le séquestre (1680) ; aux plaintes de Guillaume, Louvois répondit en menaçant de la Bastille le Hollandais Heinsius, représentant des intérêts du prince[14]. Le roi entreprit encore d'établir sa préséance sur l'Espagne dans la Méditerranée, et de ruiner du même coup la marine espagnole. Colbert envoya à Vivonne l'ordre de forcer au salut les galères d'Espagne. De droit, il en trouva un bien simple. Depuis l'acte de 1662, disait-il[15], où l'ambassadeur d'Espagne a donné l'assurance que son maître ni ses ambassadeurs ne concourraient jamais avec ceux de Sa Majesté, l'ancienne primauté de la France a été rétablie. L'Espagne ne peut pas faire difficulté de saluer tout ce qui porte le caractère de la dignité du roi mon maître. Quant au bénéfice espéré, Colbert et Louis XIV s'en ouvraient à Vivonne. Plutôt que de se soumettre au salut, ou d'encourir des hostilités supérieures à leurs forces, les galères d'Espagne resteraient dans leurs ports, et se ruineraient inévitablement dans cette inaction. Considérez, ajoutait Colbert, quelle gloire le roi et vous vous recevrez d'être entièrement maître dans la Méditerranée, et de n'avoir jamais aucune puissance dans cette mer qui puisse ni égaler ni balancer celle du roi. Dans le même but le consul de la nation française à Gênes reçut l'ordre de déclarer à la république (26 mars 1680) que, si elle donnait entrée et retraite aux galères espagnoles dans ledit port, Sa Majesté enverrait ses trente galères et ses vaisseaux pour les attaquer[16]. De tels coups d'autorité ne se passaient pas en menaces. L'action suivait rapidement la parole. Les nouveaux sujets du roi avaient à lui faire immédiatement leur soumission. On voit un comte de Linange, seigneur de Stadeck et de Landberg, dans le duché de Veldenz, ancien vassal de l'évêché de Verdun, rendre hommage à son nouveau souverain (28 avril 1681), à genoux sur un carreau, dans la chambre royale de Metz[17]. Les villes de la préfecture de Haguenau, conformément aux arrêts du conseil souverain d'Alsace, prêtaient serinent au roi seul, et abjuraient à perpétuité tout lien de dépendance envers l'empire ; l'Alsace était bien réduite en province, comme dit une médaille du temps. Mais l'exécution la plus considérable, la plus capable d'émouvoir l'Europe, fut l'occupation de Strasbourg. Assurément il était bizarre que Strasbourg, en deçà du Rhin, avec un pont sur ce fleuve, demeurât seule indépendante de la France depuis la paix de Westphalie. Il n'était pas tolérable qu'elle pût encore, par ses relations avec l'empire, susciter à la France les embarras qu'avaient eu à écarter Turenne et le maréchal de Créqui dans la dernière guerre, et servir impunément de porte aux invasions germaniques. Il était seulement bien audacieux de s'attribuer un poste de cette importance, dont l'indépendance était garantie par les traités, sans autre autorité que la volonté du roi, sans souci des colères qu'une telle présomption pouvait soulever chez les voisins. Louvois et Louis XIV n'hésitèrent pas. Toutefois, comme il faut à l'orgueil son châtiment, et à l'ambitieux le sentiment et l'inquiétude de son insuffisance au moment même où il fait trembler les autres, l'occupation de Strasbourg fut un acte de dissimulation, de ruse, plutôt que de force et de supériorité ouverte. D'abord l'argent fut employé pour corrompre les magistrats et les bourgeois les plus influents, et gagner par eux le reste au parti d'une soumission pacifique. Le moment venu d'agir, Louvois couvrit de mystère toutes ses menées. Il envoya ses instructions à l'intendant et au gouverneur d'Alsace par des chemins détournés. Il fit disperser, par la province, de petits corps de troupes, assez faibles pour n'inspirer nulle part la crainte de la guerre, assez rapprochés pour se réunir tout d'un coup en une armée respectable. Il cacha sous les apparences les plus variées ses provisions d'argent, d'armes et de farines. Il appela Vauban en cas de nécessité d'un siège, en lui recommandant de faire croire qu'il partait pour Lyon et le Dauphiné. Il ordonna un mouvement offensif de troupes aux Pays-Bas dans la direction de Bruxelles pour donner le change au prince de Parme, gouverneur espagnol, et au prince d'Orange. Enfin, il se mit lui-même en route sans aucun appareil, sans escorte, précédant le roi de quelques jours, le 25 septembre 1681[18]. Deux jours après, trois régiments de dragons s'approchèrent brusquement de Strasbourg, et, occupant la redoute la plus voisine du Rhin et le pont, coupèrent toute communication avec l'Allemagne. Les habitants stupéfaits, mais sans troupes, cherchèrent en vain une explication auprès du résident de France, qui, ne sachant rien, n'avait rien à leur dire. Ils essayèrent par deux fois d'écrire à l'empereur et à la diète de Ratisbonne, mais leurs lettres furent saisies par les dragons. Enfin, ils apprirent que M. de Louvois arrivait, et que, de concert avec le baron de Montclar, gouverneur d'Alsace, il était chargé de leur faire connaître les intentions du roi[19]. Il ne pouvait plus être question de siège. Malgré le zèle belliqueux d'une partie des habitants, les magistrats avaient eu la prudence de laisser les canons sur les remparts dépourvus de poudre, afin d'ôter à quelques insensés le moyen de commencer un jeu qui finirait mal pour la ville[20]. Le meilleur parti à prendre parut être de céder. Une députation alla trouver Louvois et en obtint des conditions assez habilement combinées pour contenter tout le monde. Strasbourg reconnaissait Sa Majesté très-chrétienne pour son souverain seigneur et protecteur, et le roi recevait la ville et toutes ses dépendances en sa royale protection. Il laissait à la ville ses anciens privilèges, droits, statuts et coutumes, l'exercice de la religion tel qu'il était en 1624, le droit d'élire ses magistrats, l'exemption de toute contribution et autres payements, la jouissance du pont du Rhin. Il n'exigeait que la remise des canons, Inanitions de guerre et armes des magasins publics entre les mains de ses agents, et le désarmement des particuliers. L'appel de certains jugements du magistrat serait porté au conseil souverain de Brisach ; le dôme ou cathédrale serait rendu aux catholiques, Sa Majesté trouvant bon néanmoins que les habitants puissent se servir des cloches de ladite église pour tous leurs usages ci-devant pratiqués hors pour sonner leurs prières. Le dernier article stipulait que les troupes du roi entreraient ce jour même, 30 septembre 1681, dans la ville à quatre heures après midi[21]. La condition fut remplie ponctuellement. Les troupes firent leur entrée à quatre heures, à travers des haies de bourgeois qui les regardaient passer avec une tranquillité surprenante, dit Louvois. Le roi n'eut pas même le temps d'arriver pour jouir de ce spectacle. Le défaut de gloire n'ôte rien au fait accompli de sa valeur positive et matérielle. Ici la valeur était considérable. L'Alsace fermée aux Allemands, l'empire ouvert à la France, telle devait être la conclusion douloureuse des Allemands consternés. Louvois, méditant déjà les fortifications à élever autour et dans le voisinage de la conquête, écrivait à Louis XIV : Votre Majesté peut compter, quand la citadelle sera faite, et qu'il y aura au bout du pont, du côté du Brisgau, un fort à quatre bastions, qu'il n'y a pas de puissance dans l'Europe qui soit en état d'ôter de force ce poste-ci à Votre Majesté[22]. Assurance téméraire, comme toutes les prévisions humaines, et dont nous n'avons que trop éprouvé la fragilité Il appelait Chamilly, l'ancien défenseur de Grave, à quitter immédiatement Fribourg dont il était gouverneur, pour venir prendre le commandement de Strasbourg. Il vengeait des haines de l'Allemagne le cardinal de Furstenberg, en l'invitant à rentrer en possession des revenus de son évêché, et d'une église dont les catholiques étaient chassés depuis plus de cent ans. Le roi, dispensé de combattre, se donna au moins la satisfaction d'un voyage triomphal à travers une province où il venait de dégager ses droits et son autorité de toute réserve douteuse et de toute entrave. A Schelestadt, il reçut l'hommage des députés de Strasbourg, qui lui parlèrent à genoux, le nommèrent leur souverain et eux-mêmes ses sujets. Après avoir visité Brisach, Fribourg, Ensheim, les fortifications de Huningue, Colmar et Benfeld, il entra à Strasbourg le 23 octobre. L'évêque, qui l'avait précédé, le reçut dans la cathédrale, lui prêta serment et le harangua ; pendant ce discours le roi affecta de tenir lui-même la crosse, comme pour signifier que l'évêque la devait au roi[23]. Trois jours de réjouissances suivirent, et apprirent à la population émerveillée que son nouveau maître égalait la magnificence à la force. C'en était bien assez, pour épouvanter l'Europe, de cette invasion si brusque, de cette soumission si facile ; et cependant ce n'était pas tout. Il s'y joignait un attentat d'autant plus fécond en alarmes, qu'il n'avait pas pour origine une chicane de droits ou d'interprétation de traités, mais un caprice qui ne permettait plus de prévoir où pourraient s'arrêter les prétentions du roi de France. Le jour même de l'occupation de Strasbourg, à deux heures de distance, les Français avaient occupé Casal, dans le Montferrat, entre le Piémont et le Milanais. Ce projet, manqué en 1679 par la trahison du négociateur Matthioli[24], n'avait jamais été abandonné par Louis XIV. Il y voyait le moyen de tenir le Piémont captif entre Pignerol et Casai, et de menacer sur leurs frontières les Espagnols, maîtres du Milanais, et les États italiens, les Gênois par exemple, qui se défiaient de ses intentions. Plus la régente de Savoie se débattait contre sa domination, plus il croyait nécessaire de rompre toute intelligence entre elle et ses voisins. Il lui avait interdit en dernier lieu de recevoir à sa cour un ambassadeur d'Espagne[25]. Mais c'était par Casal qu'il espérait la mater irrévocablement. Le duc de Mantoue, compromis aux veux des princes italiens par les révélations de Matthioli, ne voulait plus de cet arrangement funeste ; il s'obstinait dans son refus depuis plus de deux ans, lorsque à la fin, pressé par l'amour des plaisirs et le besoin d'argent, il consentit (8 juillet 1681) à livrer la citadelle de Casal au prix de cent mille pistoles d'Espagne. Il y joignit cette condition singulière, que la France assemblât beaucoup de troupes en Dauphiné, et parût menacer l'Italie, afin qu'il pût lui-même, aux yeux de ses voisins, alléguer pour son excuse la crainte bien naturelle d'être écrasé par des forces supérieures[26]. L'expédition fut conduite comme celle de Strasbourg. Catinat alla attendre à Pignerol, avec toutes les apparences d'un prisonnier d'État, le moment de prendre le commandement. Le marquis de Boufflers rassembla les troupes près de Briançon le 22 septembre. Le 27, il arrivait sous Pignerol et faisait porter à la duchesse de Savoie la demande du libre passage par ses États. La duchesse surprise l'accorda bien à contre-cœur, mais avec de bonnes paroles[27], et sur ses terres les troupes du roi furent reçues avec des honnêtetés qui passent toute imagination[28]. Le 30 septembre, Boufflers était devant Casal à la pointe du jour, et montrait au gouverneur stupéfait l'ordre par lequel le duc de Mantoue, son maître, lui prescrivait de sortir avec la garnison, et de remettre la place aux Français. Le pauvre marquis de Caurian, écrit Boufflers, jetait de grands soupirs en lisant l'ordre de M. de Mantoue, et voyant sortir la garnison, et comme pour justifier ces regrets de l'Italien, le Français ajoute : En vérité, ce lieu est un beau poste et bien digne de la grandeur du roi. Deux jours après, Catinat prenait le commandement de la place, et entamait des négociations avec le duc de Mantoue pour obtenir, non plus seulement la citadelle, mais le château indispensable à la sûreté de la garnison. Le duc de Mantoue n'ayant pas voulu s'y prêter, Louvois finit par envoyer à Catinat l'ordre formel d'exiger la cession, en montrant au marquis de Gonzague, gouverneur, une lettre de Sa Majesté à l'inspection de laquelle il n'était pas douteux que le marquis ne remît le château[29]. Dès que les nouvelles eurent pu être échangées des bords du Rhin aux bords du Pô, la coïncidence entre la prise de Strasbourg et la prise de Casal frappa tout le monde. Le marquis de Boufflers, dans l'enthousiasme, écrivait à Louvois : Quel jour pour toute l'Europe que le 30 septembre ! Et quel point de gloire dans toute l'éternité pour le roi et pour vous ! Dans le vrai, un événement si extraordinaire servira à l'avenir d'exemple et de raison à tout le monde pour se soumettre, dès les premières semonces, à tout ce que Sa Majesté désirera. De simples particuliers pensaient de même. Un curé proche de Valence, après avoir lu les articles de la reddition de Strasbourg, disait à Catinat : Il faut avouer que le roi est un grand prince, et il paraît n'y avoir pas eu depuis Charles-Quint un plus grand personnage dans le monde ; et il répétait : Casal et Strasbourg dans un même jour et presque à la même heure ! Mais l'admiration était-elle l'unique sentiment de l'Europe, et Louis XIV avait-il le droit de se fier à l'importance et à la facilité de ces triomphes ? Le nom seul de Casai eût pu provoquer, dans un esprit plus froid et plus prévoyant, un rapprochement instructif et salutaire. Là où Richelieu, vengeur du duc de Mantoue contre l'ambition de l'Espagne, s'était fait reconnaître pour un ami secourable, et avait fondé sur l'intérêt des petits princes ces alliances si longtemps favorables à la France, le roi, changeant la politique de protection en tyrannie de conquérant, n'allait-il pas changer aussi les cœurs et les rattacher pour toujours aux intérêts de ses ennemis ? Richelieu, libérateur de Casal, avait pu s'établir ; du gré de ses protégés, dans la forte position de Pignerol ; Louis XIV, reniant l'esprit de Richelieu, devait un jour perdre Pignerol pour avoir occupé Casal. Déjà il se heurtait à une difficulté moins retentissante que ses succès, mais suffisante pour lui rappeler l'infirmité des puissances humaines. Il y avait en Europe une cour où Louis XIV n'était pas le grand roi, où sa volonté ne troublait pas les conseils : c'était Constantinople. Soit mépris des fidèles croyants pour les giaours, soit rancune de Saint-Gotthard et de Candie, le sultan rabaissait les ambassadeurs du roi de France au-dessous de ses ministres. A l'audience du grand vizir, pendant que le représentant du Grand-Seigneur trônait au haut d'une estrade sur un sofa, le Turc prétendait ne faire asseoir le représentant de Louis XIV qu'au bas de l'estrade à la place d'un inférieur. Pour avoir voulu supprimer cette distinction, et monter à côté du grand vizir (1677), l'ambassadeur Nointel avait été culbuté par les tschaouchs et chassé avec ce mot insolent : Décampe, giaour ![30] Son successeur Guilleragues (1680) réclamait vainement comme lui les honneurs du sofa, et ne parvenait à se faire respecter d'ailleurs que par la dignité de son énergie personnelle. Cependant Louis XIV, si sensible à la préséance, n'exigeait pas de réparation du sultan comme autrefois du roi d'Espagne. Il s'ingéniait au contraire à ménager les Turcs, soit pour ne pas faire éclater son offense au dehors, soit pour se conserver dans les infidèles un instrument contre ses ennemis. En 1681, Duquesne reçut de Colbert l'ordre de parcourir toute la Méditerranée pour contenir les Barbaresques par une démonstration de forces supérieures. En retour des avantages que cette protection assurait aux petits États d'Italie, le roi n'avait pas hésite à interdire aux Gênois, aux Vénitiens, au duc de Toscane, tout commerce avec les corsaires pendant la durée de la guerre. Il avait invité même le Grand-Seigneur à ne pas abriter ces forbans sous ses forteresses, ou à ne pas trouver étrange que les vaisseaux français les poursuivissent jusque dans cet asile[31]. Duquesne prit la mission au sérieux. Des corsaires de Tripoli ayant enlevé un bâtiment français sur les côtes de Provence, il leur donna la chasse avec sept vaisseaux à travers toute la Méditerranée et l'Archipel, jusque dans le port de Chio. Selon une relation française, le pacha fit tirer le premier sur la flotte du roi. Duquesne aussitôt lança contre la ville quatre mille boulets, qui endommagèrent les maisons, tuèrent quatre-vingts musulmans, en blessèrent huit cents ; le pacha épouvanté demanda du secours à Constantinople. A la nouvelle qu'une nation amie, puisqu'il n'y avait pas de déclaration de guerre, avait canonné une de ses villes, le sultan entra dans une grande colère. On s'en prit à l'ambassadeur Guilleragues ; avec cette cupidité brutale qu'on reproche aux Turcs depuis quatre siècles, on lui signifia qu'il eût à se racheter par une rançon de 750 bourses (375.000 écus). Il rejeta cette exigence et fut arrêté. Sa ferme contenance étonna l'ennemi. Dans sa prison, il prétendit ne pas recevoir des Turcs même la nourriture qu'on lui présentait ; il fit venir de son hôtel tout ce qui lui était nécessaire ; il ne consentit qu'à offrir, en son nom personnel, un cadeau bien inférieur à la somme exigée, et qui fut accepté. On le remit en liberté, et le sultan, frappé d'admiration pour tant d'énergie, voulut, dit-on, avoir son portrait[32]. Néanmoins le capitan-pacha fut expédié avec quarante-huit galères et une armée au secours de Chio. En France, cette colère des Turcs parut en susciter une autre non moins fière. Duquesne reçut la promesse de renforts ; Colbert fit publier par toute la Provence que le roi allait armer cinquante vaisseaux et trente galères pour en finir avec les gens de Tripoli. Au fond le roi n'avait aucune envie de se brouiller avec la Porte ; pour prévenir un pareil embarras, il était prêt plutôt à toutes les concessions. L'histoire en est curieuse. Le 16 octobre 1681, le jour de sa rentrée à Saint-Germain après son voyage d'Alsace, il écrivit à Duquesne pour le louer de ce qu'il avait fait, de ces nouvelles marques de sa profonde capacité, de son zèle envers le service du roi. Mais, ajoutait-il, pour le commerce de mes sujets dans le Levant, et en considération de l'état présent des affaires en Europe, il ne faut pas de guerre ouverte avec le Grand-Seigneur. Il faut donc persuader les officiers de la Porte que le roi ne veut pas de guerre avec leur maître, et ne rien faire à l'égard des barques et vaisseaux turcs qui naviguent dans l'archipel, quand même vous sauriez que ces barques porteraient des marchandises aux vaisseaux de Tripoli qui sont dans Chio. A l'égard du capitan-pacha qui arrivait pour dégager les corsaires, la prudence était encore poussée plus loin. Le capitan-pacha, disait le roi[33], voudra faire sortir les vaisseaux corsaires sous prétexte que le Grand-Seigneur les a achetés. Il faut décider par raison le capitan-pacha à renoncer à ce projet, en lui remontrant que, malgré l'alliance entre la France et la Porte, vous retiendriez les vaisseaux. Si pourtant le pacha persistait à vouloir les faire sortir, il vaut mieux céder que d'engager un combat. Le capitan-pacha arriva en effet ; heureusement pour l'honneur français, il manqua de vivres ; il dut s'accommoder, il força les pirates à rendre leur prise, et à conclure (4 décembre) une paix dont le roi trouva les conditions avantageuses à ses sujets. Pour jouer jusqu'au bout cette comédie de satisfaction, il donna à Duquesne une gratification de cent mille livres, et érigea en sa faveur la terre du Bouchet en marquisat[34]. Cet état présent des affaires en Europe, en vue duquel le roi, si arrogant vis-à-vis des princes chrétiens, abaissait ses armes devant les musulmans, n'était autre chose que l'agitation provoquée dans les esprits par l'œuvre des chambres de réunion, qu'il devenait utile de contenir par l'alliance secrète et les diversions des Turcs. Aux prétentions inouïes du roi, l'Europe n'avait d'abord opposé que des plaintes, des demandes d'explications comme celles de la diète allemande à Ratisbonne, ou des protestations de droit inaliénable, comme celles du roi de Suède pour son duché de Deux-Ponts. Les Hollandais eux-mêmes, au commencement, rassurés sur l'intégrité de leur territoire par les bonnes promesses de Louis XIV, avaient laissé le prince d'Orange déclamer sans écho contre son ennemi personnel ; il ne déplaisait pas à la bourgeoisie de contredire ce stathouder impérieux et toujours suspect. Cependant peu à peu les mécontents essayaient de se rapprocher ; les plaintes du roi de Suède, en augmentant la défiance chez les moins inquiets, ranimaient un peu d'audace. Le 30 septembre 1681, autre coïncidence remarquable, un traité avait été signé à La Haye entre la Suède et la Hollande pour le maintien de la paix de Nimègue. Les contractants encore timides ne parlaient que de cette paix, sans nommer personne, de leur zèle à en maintenir l'observation, de leur entente pour ramener les violateurs à la concorde ; ils protestaient de leur désintéressement et contre tout esprit de parti — ab omni partium studio alienum —. Puis d'un ton un peu plus haut, mais en termes vagues et par allusion anonyme, ils déclaraient que si quelqu'un, quel qu'il fût — quicumque etiam ille sit —, attaquait pour raison de ce traité les contractants ou l'un des deux, aussitôt les deux alliés se secourraient mutuellement par terre et par mer[35]. Tel fut le premier anneau d'une chaîne qui allait s'allonger en peu de temps et serrer en faisceau contre la France l'empereur, le roi d'Espagne, les électeurs et les cercles allemands, et jusqu'à l'Angleterre. Il y eut même un moment où le roi comprit la nécessité de faire une avance à l'opinion publique, et d'atténuer, s'il était possible, la gravité de ses empiétements par un acte solennel de générosité. De prétentions en prétentions, il avait à peu près réuni tout le Luxembourg comme fief de l'évêché de Metz, et quant à la ville capitale qu'il ne pouvait occuper au même titre, il la réclamait des Espagnols en équivalent de différents territoires de Flandre. Pour les décider à cet arrangement, il bloquait Luxembourg par le ravage des environs, si étroitement que les habitants et la garnison commençaient à souffrir de la faim. Tout à coup (mars 1682), il annonça qu'il levait le blocus par amour de la chrétienté. Les Turcs menaçaient la Hongrie ; le roi ne voulait pas diviser les chrétiens, ni empêcher le roi d'Espagne de secourir l'empereur. Ici se place un des épisodes les plus célèbres de l'histoire du XVIIe siècle. Le chef des mécontents de Hongrie, peu satisfait des concessions que l'empereur venait de leur faire à la diète d'Œdenberg, avait publié leurs cent griefs, et réclamé le secours direct et efficace des Turcs. Tekely, aspirant à la couronne, promettait au sultan Mahomet IV un tribut annuel en retour d'une royauté subalterne[36]. Les Turcs, rompant la trêve de vingt ans conclue après Saint-Gotthard, entrèrent en Hongrie, et, maîtres de Fülek, remirent à Tekely l'étendard, les queues de cheval et le diplôme qui lui conférait la dignité royale[37]. On a de fortes raisons pour croire que Louis XIV n'était pas étranger à cette invasion[38]. Il lui importait de mettre l'Allemagne en danger, afin d'avoir à lui offrir un secours qui serait plus complet et plus décisif que celui de Saint-Gotthard, et de réclamer d'elle en retour la reconnaissance de ses dernières conquêtes et l'élection du dauphin en qualité de roi des Romains. Il tut trompé dans cette attente[39]. Léopold préféra l'assistance de Sobieski, roi de Pologne. Au nom même de la paix de Zurawno que les Turcs avaient plusieurs fois enfreinte, au nom de la paternelle sollicitude du souverain pontife Innocent XI, qui ne cessait d'exhorter les chrétiens à l'union contre les infidèles[40], Léopold et Sobieski (31 mars 1683) se garantirent un secours mutuel : dans le cas où Vienne ou Cracovie serait menacée d'un siège, l'un des alliés joindrait ses forces à celles de l'autre pour délivrer la capitale de son voisin. Cette promesse eut son effet au siège de Vienne (sept. 1683). L'arrivée opportune de Sobieski, la terreur de son nom et son impétuosité culbutèrent l'armée ottomane, et ouvrirent à l'Autriche, à la Pologne et à Venise une période de gloire et de succès que ne doit pas faire oublier l'intérêt qui s'attache pour nous à l'histoire de l'Occident (12 septembre 1683). Jean Sobieski, entrant dans Vienne, y fut salué de ce mot déjà appliqué à Jean Huniade : Fuit homo missus a Deo cui nomen erat Joannes. Le pape annonça l'intention de lui ériger une statue avec cette inscription : Au libérateur de la chrétienté. Aujourd'hui encore nous gardons comme un trophée la chaîne du Danube qui figurait dans le butin du vainqueur, et que nous avons, en des temps plus heureux que celui-ci, transportée de Vienne à Paris. La politique double de Louis XIV, loin de lui rapporter une gloire semblable, ne lui avait pas même rendu la confiance de ses voisins. Depuis la levée du blocus de Luxembourg, il avait observé la paix promise sur le continent ; on ne le voit, en 1682 et jusqu'en septembre 1683, faire la guerre qu'aux Barbaresques. Mais encore de ce côté le succès ne répond pas à l'impatience de son orgueil. Il voudrait avoir le droit de se montrer à la chrétienté comme un libérateur en détruisant entièrement les repaires des pirates[41] ; il ne parvient qu'à les humilier et à les affaiblir. Duquesne bombarda Alger en 1682, à trois reprises, sans soumettre la ville. Le roi n'eut que la satisfaction (c'est lui qui parle) de voir que le petit nombre de bombes qui avaient été jetées dans la ville n'avait pas laissé d'y mettre une grande terreur. L'année suivante, en faisant plus, on ne termina encore rien. Après un bombardement de deux nuits (26 et 27 juin 1683), le dey parlementa et rendit six cents prisonniers chrétiens ; mais une sédition qui le renversa ranima aussi la résistance des habitants. Malgré l'effet terrible des bombes françaises, les pirates tenaient encore sous les ruines : Duquesne revint sans les avoir domptés, les laissant sous la surveillance de Tourville. Ces actes de force incomplets n'étaient pas propres à ôter tout espoir de vengeance aux Espagnols et à leurs amis. De plus en plus ils se rapprochaient, et leur langage gagnait en netteté et en précision. L'empereur avait adhéré en février 1682 à l'alliance de la Hollande avec la Suède pour le maintien de la paix de Nimègue ; l'Espagne en fit autant (2 mai 1682), tout en regrettant que la paix de Nimègue eût été conclue à son préjudice. Bientôt (10 juin 1682) l'empereur s'entendait avec les cercles de Franconie et du Haut-Rhin citérieur et quelques autres États allemands, pour s'opposer aux injustes demandes et prétentions formées contre l'empire et ses membres. Il convenait avec le roi de Suède (12 octobre 1682), de ne pas souffrir qu'on soulevât des difficultés à cause de l'ambiguïté du sens desdits traités. Enfin, le 6 février 1683, l'empereur, le roi d'Espagne, le roi de Suède, les Provinces-Unies, réglaient leurs voies et moyens pour se tenir leur promesse réciproque de conserver les traités ; chaque contractant promettait à chacun des autres un secours de six mille hommes de pied et douze vaisseaux de guerre[42]. C'était déjà la ligue d'Augsbourg en petit. Louis XIV ne leur laissa pas le loisir de s'organiser. Déjà, pendant qu'il affectait l'inaction, on l'avait vu établir des camps en Flandre, sur la Sarre, sur la Saône, près de Strasbourg. C'était, au dire de Louvois, une manière d'instruire les troupes, qui n'avait rien de nouveau, ni de menaçant. C'était, selon l'Europe, une manœuvre pour empêcher les Espagnols et les princes d'empire d'envoyer leurs secours à l'empereur, ou pour forcer l'empereur lui-même à diviser ses forces par la nécessité de bien veiller sur le Rhin. Des pamphlets accusaient la cour de France de s'être turbanisée, et le petit Turc des Français de favoriser le grand Turc des Ottomans[43]. Ces soupçons devinrent bientôt une certitude. Le 1er septembre 1683, douze jours avant la délivrance de Vienne, alors que l'anxiété était au plus haut point, et la liberté de secourir l'empereur plus urgente que jamais, la guerre recommença contre les Espagnols. Le roi leur fit signifier que, puisqu'ils avaient tant tardé à répondre à ses propositions d'abandon de territoires ou d'équivalent, il envoyait trente-cinq mille hommes vivre sur leurs terres. Dans la prévision de représailles, en cas que les Espagnols eussent l'audace de piller les villages français ou de les mettre à contribution, il leur annonçait pour châtiment les exécutions les plus impitoyables. Il faut lire, dans une lettre de Louis XIV au maréchal d'Humières, ces emportements d'une volonté qui n'entend ni permettre ni pardonner la contradiction. Aux sujets français qui auraient donné par force de l'argent aux Espagnols, la peine des galères ; aux hommes de loi qui auraient laissé faire des impositions par l'étranger, le rasement de leurs maisons. Aux Espagnols vingt fois ou cinquante fois autant de dommage qu'ils en auront commis : Parce qu'il pourrait arriver que quelque partie des troupes d'Espagne, se dérobant à la vigilance des gouverneurs des places de mon obéissance, entrerait dans les villages de ma domination pour y faire des exécutions ou y prendre des prisonniers, je désire que vous en fassiez faire vingt fois autant dans les terres de l'obéissance d'Espagne ; en sorte que les sujets du Roi Catholique souffrent vingt fois plus de préjudice que les miens n'en auront reçu ; que si, pour induire mesdits sujets à satisfaire aux mandements envoyés par les intendants de la domination d'Espagne, les gouverneurs de la même domination faisaient mettre le feu à quelque maison ou village de mon obéissance, je vous ordonne de faire toujours brûler cinquante maisons ou villages pour un qui l'aurait été dans mes États. Cependant il y avait un point où ces vengeances n'étaient pas possibles, le duché de Luxembourg où les Espagnols ne possédaient plus guère que la capitale. En ce cas la Flandre payerait pour le Luxembourg. J'ordonne au marquis de Lambert, commandant pour mon service dans le comté de Chiny, de vous informer exactement des désordres que la garnison de Luxembourg pourrait faire sur les terres de mon obéissance, afin que vous puissiez faire faire, sur les villages du franc de Bruges et de la châtellenie d'Ath, les représailles des désordres que ladite garnison de Luxembourg y aura faits, sans vous en dispenser sous quelque prétexte que ce puisse être[44]. Les Espagnols exaspérés demandèrent aux Hollandais l'assistance promise par la dernière convention, et, l'ayant reçue, ils s'enhardirent jusqu'à déclarer la guerre à la France (26 oct. 1683) ; ils ne virent pas comment ils entraient dans le plan de leur ennemi. Cet acte de dignité dans la faiblesse ne fut accueilli en France que par des rires, comme un appel désespéré à des alliés qui ne répondraient pas, ou une façon honnête de se défaire de provinces que l'Espagne ne pouvait plus garder. Louis XIV en comprit tous les avantages et ne perdit pas un moment pour en profiter. En lui déclarant la guerre, l'Espagne lui donnait un droit à la place de prétextes mal fondés ; il ripostait à la déclaration par la conquête sans avoir rompu lui-même la paix : il était prêt et fort ; l'ennemi ni ses alliés ne l'étaient pas. Il y avait bien les Hollandais qui envoyaient des troupes au secours de l'Espagne, et le prince d'Orange qui les poussait à de nouveaux armements ; mais décidément les Hollandais ne rentraient que malgré eux dans la lutte : pour rendre vaines toutes les excitations du stathouder, le roi n'eut besoin que de renouveler sa promesse d'observer strictement la paix faite avec les Provinces-Unies. Pendant que les Hollandais se contentaient d'assurer les villes espagnoles les plus rapprochées de leur territoire, le roi prit Coudray le 6 novembre, Dixmude le 10, ravagea à son aise le plat pays, et fit un premier essai de bombardement sur Luxembourg (décembre). Ce fut l'augure de la campagne de 1684, où il allait triompher par la guerre, par le bombardement, par la diplomatie, et envelopper tous ses envieux dans l'humiliation des Espagnols. C'étaient les Espagnols qu'il avait eu pour objet d'atteindre en Savoie, en dépossédant pièce à pièce du pouvoir la régente au profit de son fils, en qui il espérait trouver un adversaire de l'Espagne. Pour mieux affermir cette suprématie, il mariait le jeune prince avec sa nièce, une autre fille du duc d'Orléans (février 1684). C'étaient encore les Espagnols qu'il prétendait frapper dans les Gênois. A ses anciens griefs avoués contre cette république, s'ajoutait l'accusation d'avoir fourni tout récemment des armes et des munitions aux Algériens ; au fond, ces marchands étaient coupables aux yeux de Colbert de faire concurrence au commerce français dans la Méditerranée, aux yeux du roi d'avoir recherché la protection de l'Espagne, augmenté le nombre de leurs galères, et construit des galères pour l'Espagne. Dès le mois de juillet 1683, après le bombardement incomplet d'Alger, Colbert annonçait à l'intendant de Toulon que le roi avait l'intention de bombarder Gênes ; il envoyait un ingénieur pour bien examiner le môle de cette ville, le nombre des canons, les endroits de mouillage, en un mot tout ce qui pouvait contribuer au succès d'une entreprise de cette conséquence. Il disait encore : Il n'y a point eu d'affaire dans la marine que le roi ait eue si fort à cœur que celle de Gênes, et je vous avoue que si nous pouvions parvenir, par nos soins, à lui donner la satisfaction de voir l'insolence des Gênois punie de la même manière que l'a été celle des Algériens, ce serait une très-grande joie pour moi[45]. Colbert était mort quelques semaines après avoir écrit cette lettre ; mais son fils Seignelay, héritier du ministère de la marine, n'était pas homme à renier ses desseins, ni à modérer la rancune du roi. Pendant que Louvois organisait le siège de Luxembourg, Seignelay préparait le bombardement de Gênes. Il y avait beaucoup d'agitation en Europe au commencement de 1684, plus de bruit que de décision dans les conseils, mais un bruit qui affectait la menace contre la France et semblait un souffle de guerre. Quelle apparence, dit un admirateur du roi[46], de pouvoir dissiper sitôt tant de ligues ? Comment accorder tant d'intérêts si contraires ? Comment calmer cette foule d'États et de princes bien plus irrités de notre puissance que des mauvais traitements qu'ils prétendaient en avoir reçus ? N'eût-on pas cru que vingt années de conférences ne suffiraient pas pour terminer toutes ces querelles ? L'activité de Louis XIV montra la vanité de ces oppositions et donna à ses panégyristes toute liberté d'insolence. Pendant que le maréchal de Bellefonds attaquait les Espagnols en Catalogne, le roi alla en Flandre prendre le commandement d'une armée de trente-six mille hommes aux environs de Condé, pour menacer à volonté Mons ou Bruxelles, et le maréchal de Créqui, renforcé de Vauban, se dirigea vers Luxembourg avec plus de trente mille hommes. L'armée de Flandre, en retenant chez eux les Espagnols et le prince d'Orange, couvrait le siège de Luxembourg de toute diversion, et l'armée de Luxembourg, après la prise de la ville, pourrait se rabattre sur la Flandre et contribuer à de nouvelles conquêtes. Le siège de Luxembourg fut rude par la force de la position, par l'énergie de ses défenseurs, vieux soldats et officiers indomptables, par la nature des ouvrages souterrains qui permettait de bouleverser le sol sous les pas des assiégeants. Après l'investissement (28 avril) il fallut quinze jours pour achever la circonvallation. La tranchée ouverte le 8 mai, on n'avait encore le 27 occupé que les deux chemins couverts. On ne resta maître de l'ouvrage à cornes, qui était la contre-garde du bastion nord, que par un combat impitoyable, l'action la plus mémorable qui se soit passée en ce beau siège, et peut-être du règne du roi ; l'assiégé, malgré ses pertes, revint à la charge pendant trois heures, acharné à reconquérir la position ou à mourir sur les pertuisanes et les baïonnettes. Malgré cet insuccès, l'Espagnol ne céda pas encore, et quand, dans la nuit du 31 mai au 1er juin, il offrit de capituler, c'était à condition qu'on lui donnerait huit jours pour avertir le gouverneur des Pays-Bas. Le maréchal de Créqui lui ayant refusé cette dernière chance de secours, la lutte recommença pendant quatre vives journées ; enfin la capitulation fut signée le 4 juin, laissant aux vaincus les honneurs de la guerre. Le succès était assez beau pour que Vauban lui-même en triomphât : Voilà enfin, écrivait-il à Louvois, ce terrible Luxembourg réduit au point que vous désiriez ; je m'en réjouis de tout mon cœur pour le grand bien qui en reviendra au service du roi. C'est la plus belle et la plus glorieuse conquête qu'il ait jamais faite en sa vie, et celle qui assure le mieux ses affaires de tous côtés[47]. En effet, les Espagnols ne bougèrent sur aucun point ; ils assistèrent immobiles aux mouvements des troupes françaises dans les Pays-Bas, et aux ravages des lieux qui essayaient de refuser les contributions. En France on renouvela les vieilles adulations. Nous vous donnons Luxembourg, disait Sévigné, pour sujet d'admiration et de méditation. Cette conquête ne perdra rien de son prix en s'éloignant. Le roi revient triomphant à son ordinaire. Ce que Vauban et Créqui faisaient dans le nord en prenant
Luxembourg, Seignelay et Duquesne le faisaient dans la Méditerranée, en
bombardant Gênes, avec moins de mérite, mais non moins de retentissement. Par
défiance des hésitations et des lenteurs trop souvent reprochées à Duquesne,
Seignelay, tout en n'éloignant pas de l'action l'illustre marin avait pris
pour lui-même le commandement supérieur. Il prit aussi, comme Louvois,
vis-à-vis de l'ennemi, ce ton de maître impérieux qui allait rendre Louis XIV
insupportable à l'étranger. Qu'on en juge par le mémoire qu'il remit aux
nobles gênois en arrivant devant leur ville (17
mai 1684) : La conduite de votre
république à l'égard du roi mon maître devait vous faire prévoir depuis
longtemps les effets de sa juste indignation, puisque vous avez fait paraître
en toutes occasions la part que vous preniez à l'intérêt de ses ennemis, et
que depuis peu vous en avez voulu donner encore des témoignages manifestes,
lorsque vous avez permis que le roi d'Espagne prit la qualité de votre
protecteur. Pour acheter cette protection, vous avez augmenté le nombre
de vos galères, dans le dessein de les joindre avec les siennes ; vous avez
refusé de désarmer vos galères neuves, et affecté de les mettre en mer l'an
passé, malgré ce qui vous avait été notifié de la part d'un prince de qui
seul vous devez attendre une solide protection, et dont le bon plaisir doit
servir de règle à vos actions, si vous aimez votre repos. Il
exigeait en conséquence que la république remît aux officiers français les
casques des quatre galères équipées, en donnât une garnie de ses galériens et
en état de voguer, et envoyât quatre de ses principaux conseillers demander
pardon et assurer le roi de sa soumission entière. Par un dernier effet de clémence, il accordait aux
coupables un délai jusqu'à cinq heures après midi pour répondre. Autrement, disait-il[48], la vaine protection de l'Espagne ne pourra empêcher que
vous ne voyiez, par la désolation entière de votre ville et la ruine de votre
commerce, combien sont épouvantables les effets de la colère d'un si grand
roi. Pendant que le conseil délibérait, un mouvement en avant des vaisseaux français et une décharge générale de l'artillerie génoise engagea la lutte. Le bombardement, immédiatement commencé, dura sans interruption jusqu'au 22. mai. Le feu de l'incendie devint bientôt si grand, qu'à sa lueur on pouvait lire, pendant la nuit, sur les vaisseaux du roi ; la maison du doge était renversée, la moitié de Saint-Georges, le magasin aux armes, et plus de trois mille maisons. C'est Louvois lui-même qui rend ainsi compte du savoir-faire de son collègue. Le 22, Seignelay voulut éprouver si les Gênois étaient domptés ; il offrit de nouveau des négociations, se vantant d'avoir encore dix mille bombes, et menaçant de les diriger sur les parties de la ville restées intactes. Mais les Gênois répondirent fièrement que, le conseil ne devant s'assembler que le lendemain, ils demandaient un délai jusque-là, et, quant au dommage, ils dirent que ce n'était rien en comparaison de la constance inébranlable que tous les habitants témoignaient pour la défense de leur liberté. Aussitôt le bombardement reprit et dura tant que les Français eurent des bombes. En même temps, une descente de trois mille hommes à Saint-Pierre d'Arena tuait ou dispersait les Espagnols et les Suisses chargés de défendre la position ; au moyen de feux d'artifice, ce beau faubourg tout rempli d'édifices de marbre fut totalement brûlé. Les munitions françaises étant épuisées, Seignelay laissa les décombres sous la garde de cinq ou six vaisseaux pour enlever tout ce qui voudrait entrer dans le port ou en sortir. Le roi, dit Dangeau, apprit à la fois la capitulation de Luxembourg et la fin de la bombarderie de Gênes. Quelques jours auparavant, il avait été informé que les Algériens venaient de se soumettre à la paix imposée par Tourville, qu'ils rendaient tous les esclaves français et ceux qu'ils avaient pris sous la bannière de la France, et que leurs ambassadeurs étaient déjà arrivés à Toulouse. Dans les conditions faites à ces pirates, il faut noter cette clause spéciale que, quand un vaisseau français viendrait mouiller dans la rade d'Alger, il serait salué, à proportion de l'importance de son commandant, d'un plus grand nombre de coups de canon que ceux des autres nations[49]. Cette suite de succès et d'hommages sembla ôter à toute l'Europe la pensée ou la force de lui résister désormais. Non content d'avoir dépouillé l'électeur de Trèves d'une grande partie de ses États, Louis XIV ne prétendait pas même lui laisser le droit de se défendre dans sa capitale. Pendant le siège de Luxembourg, il l'avait fait inviter à détruire les fortifications de Trèves, l'assurant que la protection de la France était son meilleur rempart, qui rendait tous les autres inutiles. L'électeur n'avait pas déféré à cette insinuation ; quelques jours après la prise de Luxembourg, la force lui fit comprendre que les avis du roi de France étaient des ordres. Le maréchal de Créqui, envoyé à Trèves, se mit sans délai à en détruire les fortifications, entassant les débris des remparts dans les fossés pour les combler ; il termina l'exécution en abattant le pont de Kons-Saarbrück, témoin de son ancienne défaite, afin de fermer le chemin à la fois aux Hollandais et aux Espagnols. Il fut, par là, signifié à l'Europe que le roi de France disposait à son gré des villes et des volontés des princes indépendants, même en temps de paix, et sans qu'un seul voisin osât protester. Les Espagnols s'obstinaient encore à se défendre à l'entrée de leur pays ; ils avaient même empêché le maréchal de Bellefonds de prendre Giron ; mais bientôt le maréchal, malgré le petit nombre de ses troupes, se vengeait par d'autres conquêtes. Le roi ne daigna pas continuer la guerre ; il réduisit les Espagnols en faisant accepter et soutenir ses volontés par les Hollandais. Ceux-ci estimaient inutile ou plutôt dangereux d'irriter un ennemi si redoutable. La province de Hollande, sauf Rotterdam, voulait la paix avec Louis XIV ; elle le déclara aux États Généraux ; les provinces d'Utrecht, de Frise et de Groningue furent du même avis[50]. Le 29 juin, les Provinces-Unies traitèrent avec la France, s'engageant à faire accepter par l'Espagne un arrangement définitif ou une trêve de vingt ans qui laisserait au roi de France celles de ses dernières conquêtes qu'il lui plairait de garder, et à retirer au roi d'Espagne les troupes qu'elles lui avaient envoyées, s'il refusait cet accommodement. L'Espagne n'avait plus de recours que dans l'empereur et dans l'empire ; mais, de ce côté, l'indécision et le défaut de forces interdisaient toute autre résistance que l'emploi des délais et des lenteurs allemandes. Comme l'a dit Racine, après trois ans de discussions à propos de l'interprétation des traités, la diète de Ratisbonne en était encore aux préliminaires. Le roi voulait de l'Allemagne, comme de l'Espagne, un arrangement définitif ou une trêve de longue durée. Dans l'impuissance de dire non, l'empereur commença par promettre d'accepter la trêve pour vingt ans, et répondit de l'acceptation du roi d'Espagne[51]. Mais il tentait un dernier répit, voulant voir s'il ne viendrait pas quelque secours. Louis XIV lui ôta ce suprême espoir en faisant marcher cent vingt escadrons en Alsace. M. de Schonberg, écrit Sévigné[52], marche en Alsace avec vingt-cinq mille hommes ; c'est pour faire venir plus sûrement la signature de l'empereur. L'Espagne se serait crue moins humiliée, si elle avait pu faire comprendre les Gênois dans la trêve. Le roi lui refusa absolument cette consolation ; il daigna seulement promettre au pape de ne pas prendre les villes des Gênois et de ne faire aucune conquête sur eux, mais il se réserva le droit de les punir de leur insolence, et de ne leur pardonner que quand le doge serait venu en personne avec quatre sénateurs lui demander pardon[53]. Tout s'inclina devant l'arrêt du plus fort. Ce qu'on appelle la trêve de Ratisbonne se compose de deux
traités. Le premier (15 août 1684),
entre la France et l'empire, porte que Sa Majesté très-chrétienne demeurera
pendant vingt ans en libre et tranquille possession de la ville de Strasbourg
et du fort de Kehl, comme aussi de tous les autres territoires qu'Elle a occupés
dans l'empire jusqu'au 1er août 1681, en vertu des arrêts de Metz, de Brisach
et de Besançon. Le second (20 août 1684)
est la ratification de cette trêve par le roi d'Espagne. Il stipule que,
pendant vingt ans, le roi de France gardera Luxembourg et sa préfecture et
les quatorze ou quinze villages qui en dépendent, Beaumont et Chimay avec
leurs dépendances, Bovines sans dépendances ; en retour il rendra Courtray et
Dixmude démantelées, et ce qu'il a occupé depuis le 20 août 1683 ; il
s'abstiendra de toute hostilité dans les Pays-Bas contre les villes et le
plat pays[54].
C'étaient là les propositions fixées par Louis XIV ; ses adversaires n'en
avaient pas pu éviter une seule. Il voyait donc ses ennemis, après bien des conférences, bien des projets, bien des plaintes
inutiles, contraints d'accepter ces mêmes conditions qu'il leur avait
offertes, sans avoir pu en rien retrancher, y rien ajouter, ou pour mieux
dire sans avoir pu avec tous leurs efforts s'écarter d'un seul pas du cercle
étroit qu'il lui avait plu de leur tracer[55]. La suprématie
du roi de France paraissait mieux établie, mais devenait en même temps plus
odieuse, qu'après la paix de Nimègue. L'usage que le roi fit de ce triomphe n'était pas propre à calmer les dépits des vaincus et l'ardeur de la vengeance. Il se posa avec arrogance en régent des princes et des rois. Il commença par protéger un prince contre ses sujets. La ville de Liège, depuis que les Français en avaient eux-mêmes abattu les fortifications, avait à peu près échappé à l'autorité de l'électeur de Cologne ; le roi trouva bon de ne pas souffrir cette émancipation ; les troupes du maréchal de Schonberg allèrent détruire les libertés des Liégeois, et réinstaller le prince allié de la Prince (fin d'août 1684). Ailleurs, ce fut à un prince d'être averti de sa dépendance. Le duc de Savoie avait épousé la nièce de Louis XIV ; le roi lui fit sentir qu'il ne l'avait introduit dans sa famille que pour enchaîner tous ses pas. Non content de surveiller de près le libertinage précoce du jeune homme, il entendit ne lui permettre aucun mouvement suspect de politique. Victor-Amédée ayant annoncé le projet d'un voyage à Venise, le roi y mit bon ordre en le menaçant d'envoyer dans ses États sept ou huit mille hommes, et le protégé se soumit en regrettant l'inquiétude qu'il avait donnée au roi (septembre et octobre 1684). Mais le chef-d'œuvre de l'orgueil dans la tyrannie serait le châtiment des Gênois, si on ne pouvait y comparer la réparation imposée au pape Alexandre VII en 1664. Gênes, plus aisée à détruire qu'à
humilier, a dit Boileau dans un compliment à Louis XIV[56], demeurait
fièrement dans ses ruines, sans se reconnaître coupable d'aucun crime, sans
faire aucune avance à son bombardeur. Cette attitude était intolérable à
l'honneur du roi, tel qu'il l'entendait. Puisque les Gênois refusaient de
s'incliner, il se mit en mesure de les écraser tout à fait. Une armée de
vingt-quatre mille hommes d'infanterie, de six mille chevaux, de vingt-cinq
mortiers, de douze mille bombes, de six cent mille livres de poudre, était
prête, dans les premiers jours de 1685, à passer les Alpes. Tant de forces
contre tant d'épuisement ! la gloire du roi était bien assurée d'avoir
raison. Les Gênois en étaient réduits à cette impuissance flagrante qui sauve
de tout déshonneur les capitulations. Par l'intermédiaire du nonce du pape,
ils subirent l'accommodement inévitable (12
février 1685). Le premier article du traité contenait l'humiliation de
tout le peuple dans la personne de ses magistrats : Le
doge à présent en charge, et quatre sénateurs aussi en charge, se rendront au
lieu où Sa Majesté sera ; et lorsqu'ils seront admis à son audience, revêtus
de leurs habits de cérémonie, ledit doge, portant la parole, témoignera,
au nom de la république de Gênes, l'extrême regret qu'elle a d'avoir déplu
à Sa Majesté, et se servira dans son discours des expressions les plus
soumises et les plus respectueuses, et qui marquent le mieux le désir
sincère qu'elle a de mériter à l'avenir la bienveillance de Sa Majesté et de
la conserver soigneusement. Ainsi, le doge et les sénateurs conservant
leurs charges hors de chez eux, contrairement aux lois de a la république,
les voir en France, c'était, comme dit Sévigné, voir
la république en personne[57] ; et leur acte
de soumission était l'acte de tous leurs concitoyens. Par les articles
suivants, les Gênois s'engageaient à congédier leurs auxiliaires espagnols, à
réduire leurs galères au nombre qu'ils avaient trois ans plus tôt ; à rendre
à un comte de Fiesque, descendant du conspirateur de 1547, mais protégé de la
France, les biens confisqués du coupable avec les arrérages d'intérêts depuis
cent quarante ans. Par un mouvement de sa piété, le roi voulait bien que les
sommes dues aux Français pour les dommages de guerre fussent employées à la
réparation des églises et autres lieux sacrés endommagés par les bombes, dans
la proportion que le pape réglerait[58]. Toutes ces volontés royales furent faites à la lettre. Le doge et les sénateurs comparurent à Versailles en grand costume et en attitude de vaincus. Remarquons cependant que le doge, dans cette suprême humiliation, eut l'art de conserver la dignité du malheur. Son discours est un mélange de soumission profonde et de réserve pour ne pas demander pardon. Il déclare qu'il n'est rien arrivé de plus funeste à la république que d'avoir déplu au roi ; mais il n'en attribue la cause qu'à leur infortune. Il voudrait que tout ce qui a pu donner lieu au mécontentement du roi fût effacé de toutes les mémoires ; il proclame l'estime infinie que la république fait de sa bienveillance royale ; mais il ne dit pas expressément qu'elle ait mérité de la perdre. Il ne donna pas même à l'oppresseur la satisfaction d'admirer la magnificence dont Louis XIV était si fier. Comme on lui demandait ce qu'il trouvait de plus étonnant dans Versailles, il répondit : C'est de m'y voir ! Mais ces nuances se perdaient dans l'effet général d'une représentation destinée à servir de leçon à l'Europe. Après le bombardement, Louvois avait dit : Il y a bien de l'apparence qu'un si rude châtiment donnera une grande terreur à tous les princes qui ont des villes au bord de la mer. Sévigné disait, à propos du doge à Versailles : Qui peut résister aux volontés de Sa Majesté ? Cette volonté s'imposait, en effet, aux plus anciennes, aux plus fières puissances. A ce moment même, on soupçonnait l'Espagne de vouloir abandonner les Pays-Bas à l'électeur de Bavière, à l'occasion de son mariage avec une fille de l'empereur, le roi fit savoir qu'il s'opposait à ce dessein, et des troupes s'avancèrent vers le Béarn afin de montrer aux Espagnols les verges toutes prêtes pour leur châtiment. L'Espagne s'empressa de désavouer les intentions qu'on lui prêtait et renonça même, sur l'injonction du roi, à donner à l'électeur de Bavière, non pas la propriété des Pays-Bas, mais le simple gouvernement de ces provinces. Enfin, pour qu'aucune satisfaction ne manquât à l'orgueil de Louis XIV, les Turcs, qui s'étaient montrées si rudes à son égard, lui faisaient à leur tour leur soumission. Chassés de Vienne par Sobieski, battus en Hongrie, à Weitzen (1684), par le duc de Lorraine, ils étaient encore plus inquiets de la ligue formée contre eux entre l'empereur, le roi de Pologne et Venise. Ils s'efforcèrent de regagner les bonnes grâces de la France par des privilèges, et d'abord en accordant à son ambassadeur les distinctions si longtemps refusées. Au mois d'octobre 1684, Guilleragues faisait une entrée solennelle dans Andrinople, en compagnie de tous les négociants de sa nation, avec huit voitures d'apparat et cinquante-deux chariots. Vingt maisons furent affectées à son logement et à sa suite ; et, pour la première fois, et le premier des ambassadeurs européens, il fut admis aux honneurs du sofa. Bientôt, après de nouveaux succès de l'Autriche, il obtint des firmans favorables au commerce français et à l'honneur du roi ; le sultan interdit aux États barbaresques d'attaquer les vaisseaux français sous le canon des ports ottomans, exempta l'ambassadeur français à sa cour des droits de douane, et accorda au roi de France la protection des Lieux Saints[59]. Malgré ce dernier titre, ce bon accord entre la France et les Infidèles qui se fortifiait à mesure que les Turcs perdaient du terrain, n'était-il pas, à juste raison, suspect aux autres puissances ? Les Turcs, évidemment, cherchaient un protecteur contre les armes de la chrétienté : le grand roi ne dédaignait pas d'en prendre au moins les apparences pour effrayer les rois chrétiens. En vérité, c'était un singulier rôle pour le roi très-chrétien. |
[1] Plein-pouvoir donné à Colbert-Croissy pour négocier ce mariage.
[2] Sévigné, Lettres, fin de 1679.
[3] Note de Louis XIV. Voir les Mémoires de Louis XIV, éd. de Charles Dreyss.
[4] Sévigné, juillet 1679.
[5] Sévigné, 7 août 1682.
[6] Extrait à peu près mot à mot des Mémoires de l'abbé de Choisy, liv. IV.
[7] Instructions de Colbert à Gabarret, 30 sept. 1678 : Collection Clément.
[8] Mémoires de Pomponne,
[9] Si l'on veut savoir tout ce qu'avait de tenace et d'intolérable la volonté de Louis XIV à s'imposer comme maître ou protecteur aux petits États, il faut lire dans l'Histoire de Louvois, par M. Rousset, ch. II et III du IIIe volume, le récit des relations diplomatiques de la France avec la maison de Savoie jusqu'au jour où Victor-Amédée épouse la nièce de Louis XIV. Ce tableau vif, et en même temps complet, des exigences, des tyrannies, des abus de la force, dont se compose la politique française, explique surabondamment l'antipathie de ce prince pour le grand roi. Nous ne pouvons ici, et plus bas, qu'en résumer les principaux traits. Personne ne regrettera d'en avoir lu l'histoire détaillée dans un livre spécial.
[10] Louis XIV à Duquesne, 12 juillet 1678.
[11] Rousset, Histoire de Louvois, tome III, ch. I.
[12] Œuvres de Louis XIV, tome IV, page 191.
[13] Lettres de Louvois à Louis XIV, Rousset : tome III.
[14] Ce n'est pas seulement Saint-Simon, mais le marquis de Torcy qui atteste ce fait.
[15] Colbert à Vivonne, 1er sept. 1680.
[16] Lettres de Louis XIV et de Colbert à Vivonne, en 1879 et 1680 : Collection Clément.
[17] Dumont, Corps diplomatique, tome VII.
[18] Œuvres de Louis XIV, tome IV : Lettres de Louis à Lagrange, intendant, à Vauban, à Montbrun, commandant en Flandre.
[19] Réponse de Montclar au magistrat de Strasbourg. Œuvres de Louis XIV, tome IV.
[20] Lettre de Fritschmann à Louvois.
[21] Œuvres de Louis XIV, tome IV. Dumont, Corps diplomatique, tome VII.
[22] Rousset, Histoire de Louvois, t. III.
[23] Œuvres de Louis XIV, tome IV.
[24] Ce Matthioli avait été arrêté par Louis XIV et jeté dans une captivité d'où il n'est jamais sorti. Plusieurs historiens, non sans vraisemblance, croient retrouver on lui le fameux Masque de Fer.
[25] Mémoires du marquis de Pomponne. Rousset, Histoire de Louvois, tome III.
[26] Mémoire de Louvois à Boufflers, en lui confiant le commandement. Œuvres de Louis XIV, tome IV.
[27] L'abbé d'Estrades, envoyé de France à Turin : Elle m'a dit qu'elle s'estimait heureuse de pouvoir contribuer à ce qui est du service de Sa Majesté... A dire le vrai, l'on obéit ici parce qu'on ne peut s'opposer à ce que l'on désire ; mais le chagrin y est grand et visible, et ce n'est pas d'aujourd'hui que je me suis aperçu de l'extrême appréhension que l'on avait du succès de cette affaire.
[28] Lettre de Boufflers à Louvois.
[29] Œuvres de Louis XIV, tome IV. Lettre de Louvois à Catinat, 2 janvier 1682.
[30] Hammer, Histoire des Turcs, tome XII.
[31] Instruction de Colbert à Duquesne, 28 mars 1681.
[32] Hammer, Histoire des Turcs, tome XII.
[33] Louis XIV à Duquesne : collection Clément
[34] Colbert à Duquesne, 28 janvier 1682.
[35] Dumont, Corps diplomatique, tome VII.
[36] V. le firman dans Hammer, tome XII, et le texte du traité dans Dumont, tome VII.
[37] Quelques extraits de ce firman sont curieux par l'insolence du langage : C'est un usage ancien que tous ceux qui frottent leur visage dans la poussière au siège de notre Sublime-Porte, le pôle de tous les rois et le refuge de tous les possesseurs de l'autorité et du pouvoir, jouissent en tout temps d'une sécurité et d'une tranquillité parfaite... Tekely Emeric nous a prié de l'investir de la domination de la Hongrie... Sa prière a reçu notre sanction... sous la condition qu'il continuera à marcher d'un pas ferme dans le chemin de l'obéissance et qu'il se montrera roi soumis.
[38] Rousset, tome III. Voyez surtout les passages qu'il cite des pamphlets par lesquels Louvois croyait répondre aux accusations des Allemands.
[39] Cette intention de Louis XIV, et le refus que fit Léopold du secours de la France, ne se retrouvent-ils pas dans cette exclamation de Bossuet (Oraison funèbre de la Reine, 1er sept. 1683) : Puisse la chrétienté ouvrir les yeux et reconnaître le vengeur que Dieu lui envoie ! Pendant, ô malheur ! qu'elle est ravagée par les infidèles qui pénètrent jusqu'à ses entrailles, que tarde-t-elle à se souvenir du secours de Candie et de la fameuse journée du Raab, où Louis renouvela dans le cœur des infidèles l'ancienne opinion qu'ils ont des armes françaises fatales à leur tyrannie, et par des exploits inouïs devint le rempart de l'Autriche dont il avait été la terreur. Le grand orateur qui, en général, s'appliquait peu à pénétrer la politique du roi, n'était-il pas ici l'écho d'une opinion suscitée et entretenue dans le peuple par la dissimulation royale ?
[40] Dumont, tome VII : Stimulante ad id paterna universalis Pastoris Innocentii sollicitudine qua tam aliquot ab annis pro sacrosanctæ fidei et religionis zelo, pro tot populorum salute et Christiani nominis gloria, sacrum fœdus ineundum institit adhortationibus.
[41] Colbert écrivait à Duquesne, juillet 1683 : Sa Majesté serait, beaucoup plus touchée de la gloire qu'elle retirerait et du profit que toute la chrétienté recevrait de la destruction entière de cette ville (Alger) que des avantages qu'on pourrait retirer de ces corsaires par un traité de paix.
[42] Dumont, tome VII : texte de tous ces traités.
[43] Roussel, Histoire de Louvois, tome III, ch. IV.
[44] Œuvres de Louis XIV, tome IV : Lettre de Louis XIV à d'Humières, 24 octobre 1683.
[45] Colbert, à l'intendant de Toulon, 25 juillet 1683 : collection Cément.
[46] Racine, Discours à l'Académie pour la réception de Thomas Corneille.
[47] Rousset, Histoire de Louvois, détails du siège de Luxembourg.
[48] Dumont, Corps diplomatique, tome VII.
[49] Dumont, Corps diplomatique, tome VII : texte du traité avec Alger, du 25 avril 1684.
[50] Journal de Dangeau.
[51] Dangeau, 15 juillet.
[52] Sévigné, 5 août 1684.
[53] Journal de Dangeau, 23 juillet 1684.
[54] Dumont, tome VII. Nous donnons ici les dates qui se trouvent dans le texte de ces deux traités.
[55] Racine, Discours à l'Académie.
[56] Discours de réception à l'Académie, 1684.
[57] Sévigné, Lettres, 4 février 1685.
[58] Dumont, tome VII. On y trouve aussi in extenso le discours prononcé par le doge à Versailles.
[59] Hammor, Histoire des Turcs, tome XII.