HISTOIRE DU RÈGNE DE LOUIS XIV

DEUXIÈME PARTIE. — L'ÉPOQUE DE PUISSANCE ET DE GLOIRE SOUS COLBERT ET LOUVOIS (suite)

 

CHAPITRE XXV. — Histoire intérieure de la France pendant la guerre de Hollande et à la suite de la paix de Nimègue, première partie. Affermissement du pouvoir absolu. Complément des institutions civiles : bienfaisance, commerce, industrie, travaux publics : inauguration du canal du Languedoc.

 

 

I. — Silence imposé définitivement aux parlements ; ordonnance de 1673 contre le droit de remontrances ; griefs fondés contre cm cours de justice. - Extension du pouvoir du roi sur l'Église ; déclaration de 1673 relative au droit di Régale ; distribution arbitraire des bénéfices. - Mesures d'ordre public ; sévérités contre les seigneurs de province ; édit contre les duels. - Importance des ministres.

 

Les victoires du dehors avaient toujours eu au dedans un contre-coup favorable à l'autorité du roi. Nous avons vu la marquise de Sévigné en ressentir un regret timide de n'avoir plus qu'à craindre et à honorer le maître. Nous avons entendu Colbert en triompher comme d'un appui pour ses entreprises financières et ses réformes administratives[1]. Soit, en effet, confiance en elle-même par l'entraînement du succès, soit nécessité de ne rien perdre de ses moyens d'action, de ne laisser à l'étranger aucune ressource dans les oppositions intérieures, jamais la royauté n'avait, autant que dans la guerre de Hollande, resserré les liens du pouvoir, étendu ses droits et subordonné à ses volontés les intérêts de la nation. Le résultat fut égal des deux côtés. L'établissement de la prépondérance française sur l'Europe consacra le pouvoir absolu en France.

C'est l'époque de l'abaissement le plus complet des parlements. Ces cours supérieures, déjà si rudement matées par les admonestations du roi et par l'Ordonnance civile, avaient tour à tour des complaisances vénales et des accès d'indépendance à contretemps. On voit celui de Paris obéir au roi pour de l'argent, lorsque, aux premiers jours de la guerre (mai 1672), il enregistre des édits relatifs à des aliénations de domaines, à la régence de la reine et au retranchement de la vaisselle d'argent. Colbert, satisfait, propose au roi de donner quelques gratifications aux rapporteurs et à quelques-uns des plus anciens conseillers qui ont le mieux servi. Peut-être, dit-il, douze ou quinze mille livres distribuées ainsi feraient un bon effet pour les autres affaires qui se pourront présenter à l'avenir[2]. Ailleurs, au contraire, à Rouen (janvier 1672), à Bordeaux (septembre 1672), ce sont des difficultés contre l'exécution des ordonnances royales, des oppositions de corps constitués ou de municipalités accueillies par les magistrats, des tentatives plus ou moins habiles de modifications aux édits. Colbert, en peine d'argent, et intraitable pour toute résistance contraire à ce besoin, réprimande cette audace, et signifie qu'elle attirera certainement quelque chose de fâcheux aux récalcitrants, Sa Majesté étant trop délicate sur cet article pour ne pas leur infliger des marques de son indignation[3].

La punition fut frappée quelques mois après (24 février 1673). Des lettres-patentes expliquèrent catégoriquement comment les édits royaux devaient être enregistrés, et dans quelle forme et proportion des remontrances pourraient encore se produire. Avant tout, obéissance silencieuse ; défense aux cours de recevoir aucune opposition à l'enregistrement des lettres du roi, aux greffiers d'enregistrer ces oppositions, aux huissiers de les signifier, à peine de suspension de leurs charges. Ordre aux cours d'enregistrer les lettres du roi sans aucune modification, restriction, ni autre clause qui en puisse surseoir ou empêcher l'exécution. Ce devoir rempli, si les cours croient avoir à présenter des remontrances, elles auront le droit de le faire, à Paris clans la huitaine, en province dans les six semaines qui suivront l'enregistrement. Mais ce droit n'entraîne que les conséquences qu'il plaira au roi. Si le roi trouve les remontrances mal fondées, la cour n'aura autre chose à faire que de continuer à observer les ordonnances contre lesquelles elle aura réclamé. Si le roi défère en tout ou en partie aux remontrances, la cour enregistrera sa réponse purement et simplement, sans qu'aucun des officiers puisse avoir avis contraire, ni nos cours ordonner aucunes nouvelles remontrances sur nos premières et secondes lettres, à peine de l'interdiction, laquelle ne pourra être levée sans nos lettres, signées de notre exprès commandement par l'un de nos secrétaires d'État[4]. Ainsi, les remontrances n'obligent pas le roi ; et qu'il les repousse ou qu'il n'en accepte qu'une partie, nulle remontrance n'est permise sur sa réponse.

Le droit de remontrances n'était donc pas entièrement supprimé : il était restreint à ne plus s'exercer qu'une fois à propos de chaque ordonnance royale. L'autorité souveraine se fit même honneur de le respecter. On voit le chancelier Le Tellier réprimander un premier président pour avoir empêché les Chambres de se réunir à l'effet de dresser des remontrances, et proclamer que c'est là une liberté qui leur appartient[5]. Mais enregistrer d'abord sans parler, ne plus écouter les particuliers avant d'avoir obéi au roi, ne plus pouvoir riposter au roi quand il ne cédait pas aux instances de ses officiers, ces nécessités ôtaient à la résistance toute popularité et tout attrait. Aussi, la résistance cessa. Depuis cette déclaration, dit avec un regret sensible d'Aguesseau, ce grand parlementaire, les remontrances furent non-seulement différées, mais par là même abolies. On n'en trouve plus aucun exemple jusqu'à la mort du feu roi ; et pendant le reste de son règne, c'est-à-dire pendant quarante-deux ans, l'enregistrement de tous les édits et déclarations devint tellement de style, que les conseillers au parlement ne prenaient pas même la peine d'opiner sur ce sujet. Les ministres de Louis XIV ne s'en affligèrent pas comme d'Aguesseau. En 1679, l'intendant de Grenoble donnait avis de quelques dispositions hostiles dans le parlement. Colbert lui répondit : A l'égard des discours qui pourront se faire au parlement, cela ne mérite ni d'en écrire ni d'en faire réponse. Car vous savez que les bruits de parlement ne sont plus de saison. Ils sont si vieux, qu'on ne s'en souvient plus, et il leur est même avantageux qu'il en soit ainsi[6].

Ce ne fut pas la seule atteinte portée aux droits ou aux prétentions des cours supérieures. Par certaines attributions de police et de surveillance elles intervenaient quelquefois dans l'administration. Plusieurs avaient pris l'usage de donner le privilège pour l'impression des livres, et dans toute l'étendue des privilèges du grand sceau. Cet empiétement sur une prérogative souveraine fut réprimé par une admonestation sévère adressée d'abord à un premier président, et appliquée ensuite à tous les procureurs généraux de province[7]. Elles avaient le droit de prononcer sur les demandes pour avoir des juges, quand il y avait doute sur la juridiction à laquelle un procès devait ressortir. Elles apprirent qu'il y avait des juridictions émanant plus directement du roi, dont l'action ne devait pas être gênée par les parlements. Il leur fut interdit de troubler la juridiction prévôtale en évoquant ou en renvoyant devant le juge ordinaire les accusés poursuivis par le prévôt[8]. Le chancelier établit nettement le principe à cet égard : Le parlement, dit-il, a deux voies par lesquelles il peut être saisi des différends des sujets du roi : l'une est celle de l'appel ; l'autre, lorsqu'il y a des conflits entre les juges subalternes. Mais quand il en arrive quelqu'un entre les maréchaux ou leurs subdélégués, ou le gouverneur de la province ou les lieutenants généraux, avec les juges ordinaires, la compagnie n'a pas le droit de juger le conflit, ni de faire des défenses aux parties de procéder ailleurs que devant elle. Il faut en ce cas attendre que le roi en ait ordonné[9].

Ces rappels à la soumission paraîtront moins despotiques si l'on considère un moment les irrégularités, les routines, les injustices, la corruption même que les ministres étaient en droit de reprocher fréquemment aux magistrats. Ces gardiens des lois ont dû leur popularité bien plus à leur résistance envers le pouvoir, dont ils procédaient, qu'à l'intégrité de leur conduite. N'était-ce pas un scandale que, au Châtelet de Paris, un accusé convaincu de fausse-monnaie obtint une atténuation de sa peine parce qu'il appartenait à une famille considérable dans la robe[10] ? Les cours supérieures ne donnaient pas moins de prise contre elles. Votre parlement, écrivait le chancelier au président de Rouen, rend des arrêts contraires aux règles de la justice ; vous devez veiller à ne pas laisser diminuer la réputation de votre compagnie.

Le parlement de Toulouse, dit-il ailleurs, laisse trop de facilités aux accusés de crimes. Si la preuve manque pour juger les accusés, le roi ne gehenne pas les juges, mais quand les juges mêmes délinquent ou n'exécutent pas l'ordonnance touchant la procédure, le roi veut qu'ils soient châtiés avec rigueur. En Guyenne, la rapacité des magistrats retardait l'exécution des sentences. Les rapporteurs ne remettaient les arrêts au greffe qu'après avoir été payés eux-mêmes de leurs épices. Un conducteur de chaîne, passant à la Réole pour prendre trois condamnés aux galères, ne put les avoir parce que le rapporteur n'avait pas revu son argent[11]. En Béarn, tout était en confusion, comme nous l'apprennent les Mémoires si curieux de l'intendant Foucault.

Lorsque Foucault arriva en Béarn (1684), avec la mission de réformer les abus dans l'administration de la justice, et d'empêcher les injustices et la corruption, l'Ordonnance civile de 1667 n'y était pas encore en vigueur, le nombre des présidents n'était pas au complet, les magistrats ne gardaient pas dans leurs habits la gravité prescrite, et ce qui était bien pire, toutes les affaires languissaient par la négligence du procureur général que personne ne songeait à blâmer. Ce procureur général vivait publiquement avec la femme d'un avocat malgré les plaintes du mari. Il ne paraissait dans les bureaux que pour les troubler, dans les chambres que pour distraire les juges par des propos frivoles, des prises de tabac, ou des sollicitations d'affaires au profit de ses parents ou amis. Il laissait les accusés languir plusieurs années dans les prisons sans instruire leurs procès : il abandonnait la poursuite des affaires criminelles où il n'y avait pas de partie. Un jour pourtant, l'évêque de Lescar, membre du parlement, l'apostropha devant toutes les chambres, lui reprocha ses désordres, et le menaça de l'excommunication s'il ne renvoyait pas sa concubine. Le coupable ne se déconcerta pas, remercia ironiquement l'évêque de ses bons avis, et promit de renvoyer cette femme, pourvu que l'évêque s'engageât, devant la compagnie, à ne pas la prendre pour lui[12].

Une telle insolence fut la fin des excès. Le procureur général, mandé par le roi sur la plainte de l'intendant, eut à rendre compte de sa conduite et à donner satisfaction. Cet appel, dit Foucault, produisit un grand bien dans le Parlement où chacun commença à s'observer. La discipline reparut jusque dans la décence des habits, et l'ordonnance de 1667, réclamée d'ailleurs par les États de la province, fut mise en pratique. Ce résultat suffirait à justifier l'institution des intendants ; il témoigne encore que dans la docilité imposée aux parlements il y avait autant d'avantage pour le public que de satisfaction pour l'orgueil du souverain.

On n'en peut pas dire autant des entreprises de Louis XIV sur le domaine spirituel dont l'éclat fut si retentissant à cette époque. Il s'enhardissait de plus en plus à mettre sous sa main l'administration de l'Église comme celle de l'État. Il existait en France un usage spécialement appelé la Régale, d'origine fort incertaine, usurpé par la convoitise barbare et consenti par la prudence de l'Église, en vertu duquel le roi s'arrogeait le droit de saisir le temporel de certains archevêchés et évêchés vacants, de jouir du revenu pendant la vacance, et de conférer dans le même temps les bénéfices secondaires qui étaient à la nomination de l'évêque. Tout esprit calme et impartial reconnaîtra qu'il y avait dans cette pratique deux dangers considérables. Premièrement le roi, pour jouir plus longtemps du revenu, pouvait être tenté de prolonger indéfiniment la vacance ; on sait à quels abus de ce genre s'emportaient les rapaces rois normands d'Angleterre au ne siècle. Secondement le roi conférant directement les bénéfices, comme un bon nombre entraînaient charge d'âmes, il conférait ainsi la puissance spirituelle qu'il n'avait pas lui-même ; il rétablissait réellement à son profit l'investiture par l'anneau et par la crosse tant combattue et supprimée par Grégoire VII. Ce fut ce droit de Régale que Louis XIV prétendit étendre et développer à l'avantage de son autorité.

La Régale n'existait pas en vertu d'un principe général, mais de conventions particulières et locales entre les deux puissances. Elle ne pesait que sur les diocèses où elle avait été établie et concédée partiellement. Un bon nombre d'églises, en Guyenne, en Languedoc, en Dauphiné, en Provence, et dans les provinces récemment annexées, en étaient exemptes. Ce n'est pas que les rois de France n'eussent éprouvé quelquefois la tentation de l'étendre partout. Un arrêt de parlement, sous Henri IV (1608), avait déclaré que le droit de Régale appartenait au roi dans toutes les provinces de son royaume[13]. Cette doctrine, combattue avec succès par le clergé, fut reprise tout à coup par Louis XIV. En février 1673, également pressé de rassembler de l'argent pour la guerre et d'imposer partout sa domination, il déclara que le droit de Régale, un des plus anciens de sa couronne, lui appartenait universellement dans tous les archevêchés et évêchés de son royaume, terres et pays de son obéissance. En conséquence, toutes les églises jusque-là exemptes étaient soumises à la Régale ; les archevêques et évêques de ces diocèses devraient, dans les deux mois du jour de leur serment de fidélité, demander la permission d'entrer en possession de leurs revenus, autrement ils perdraient leurs droits, et les bénéfices conférés par eux seraient considérés comme vacants, et le roi y nommerait d'autres sujets. Pour simplifier les débats à cet égard, et rendre la juridiction uniforme sur tous les points, la connaissance de toute contestation et différends mus et à mouvoir pour raison dudit droit de Régale, demeurait et appartenait à la Grand'Chambre du parlement de Paris, à laquelle l'ordonnance en attribuait toute juridiction et connaissance, et icelle interdite à tous autres juges[14]. Cette dernière clause faisait assez comprendre que le roi entendait surveiller de près tous les procès en cette matière, et supprimer toute interprétation contradictoire à ses volontés.

Jusqu'alors le clergé s'était montré contraire à l'extension du droit de Régale. Pour prévenir une résistance publique et commune, le roi travailla à composer la prochaine assemblée du clergé dans un sens favorable à ses desseins. Certains ecclésiastiques avaient pris la malheureuse habitude de se faire recommander par le roi ou ses ministres pour être élus membres de l'assemblée du clergé, et l'on ne s'étonnait plus de l'intervention royale dans ces choix[15]. Le roi élimina ceux qui lui étaient suspects[16]. Il fit donner la présidence à Harlay de Champvallon, archevêque de Paris, dont la servilité lui était assurée. Il chargea Colbert de surveiller toutes les opérations, et lui-même, quoique occupé de sa campagne de Limbourg (mai 1675), il suivit les délibérations avec une vigilance et une roideur de volonté dont sa correspondance est le meilleur témoignage. Ces lettres à Colbert sont presque toujours partagées entre les recommandations relatives aux plaisirs et au luxe de Mme de Montespan, et la marche à suivre pour que l'assemblée finisse vite, et que tout réussisse comme il le peut désirer. L'évêque d'Agen s'étant permis de parler librement, Colbert est presque blâmé de n'avoir pas renvoyé ce récalcitrant dans son diocèse ; il devra au moins le punir si sa conduite était contraire à ses devoirs. Cependant Pavillon, évêque d'Alet, atteint particulièrement par l'ordonnance, réclamait l'assistance de l'assemblée. Harlay détourna la question, promit vaguement de faire examiner la requête et de charger la compagnie d'une affaire qui n'était pas sans difficulté. Il n'y eut pas d'autres protestations. Le roi félicita l'assemblée d'avoir fait avec tant de bonne grâce ce qu'il désirait, et promit des marques de sa satisfaction à l'archevêque de Paris et aux particuliers qui avaient agi selon ses intentions[17]. Bientôt une nouvelle déclaration confirma ce que celle de 1673 avait réglé.

Pendant que l'épiscopat paraissait se taire, deux évêques seulement continuèrent à réclamer, Pavillon d'Alet, et Caulet de Pamiers. Quelle qu'ait été leur participation aux affaires du jansénisme et leur extravagance de sainteté[18], il serait injuste de ne pas reconnaître la légitimité de leurs plaintes. Investis de leurs diocèses depuis plus de trente ans, ils n'avaient, dans ces églises jusque-là exemptes, rempli aucune des formalités du droit de Régale et n'avaient pas prêté le serment de fidélité. Cette condition faisant défaut, on leur contestait la possession de leurs sièges et la valeur des nominations qu'ils avaient faites aux bénéfices relevant de leur collation. Le roi prétendait nommer à la place de ceux qu'ils avaient choisis et qui étaient encore vivants. Ils tenaient bon. Pavillon n'y gagna que de se faire appeler par le roi un homme bien entêté[19] ; il mourut en 1677, sans avoir rien cédé ni rien obtenu. Caulet, toujours indomptable, finit par susciter contre lui des rigueurs dont nous parlerons plus bas, quand le Saint-Siège interviendra pour sa cause. Mais le roi passait outre. Il se mettait déjà en lutte avec le Saint-Siège. Dès 1675, il ranimait dans la Sorbonne les débats sur le pouvoir du pape, sur l'infaillibilité, sur l'indépendance des couronnes vis-à-vis du Saint-Siège. C'était une manière de se venger du pape Clément X, qui ne se pressait pas de donner le chapeau aux candidats présentés par la France. On trouvait dans ce retard une preuve de la connivence du Saint-Siège avec l'Espagne. On s'enhardissait dans la cour à parler contre Clément X, à le représenter comme livré à l'influence fâcheuse de son neveu Altieri. On demandait si, dans cet état regrettable, les princes chrétiens n'étaient pas autorisés à pourvoir au gouvernement de l'Église. D'autres proposaient d'envoyer les galères françaises de Messine à Rome[20]. Le roi défendait aux prélats d'aller voir le nonce ; et Mme de Sévigné craignait qu'on n'expédiât à son gendre l'ordre d'aller pousser par les épaules le vice-légat hors d'Avignon[21].

Non content de nommer aux bénéfices vacants en Régale, le roi forçait l'élection là où l'élection existait encore. On en peut citer quelques exemples décisifs. Les religieux de l'Oratoire, ayant élu un assistant qui déplaisait au roi, durent s'empresser de le 'révoquer et se faire un mérite de cette soumission (1672). A Reims, chez les Dominicains, le roi voulait pour prieur un religieux réformé (1674). L'intention pouvait être bonne, mais les procédés furent tyranniques. L'intendant assista à l'élection ; il dit aux religieux qu'il ne venait pas les contraindre, qu'il souhaitait que l'élection se fit canoniquement et selon leurs constitutions, mais que son intention était d'être témoin de leur obéissance, et de donner l'exclusion à tout religieux non réformé. La congrégation de Saint-Maur venait d'élire son général (1682). Le roi, écrivait Colbert, trouve mauvais qu'on ait procédé si vite. Quoique le choix soit bon, il aurait été plus sage et d'un meilleur ordre de donner avis à Sa Majesté du temps qu'on devait procéder à cette élection. Elle vous fait savoir qu'Elle estime du bien de son service que tous les définiteurs qui y ont assisté demeurent jusqu'à nouvel ordre dans le couvent de Saint-Germain-des-Prés ; sans doute pour être tout prêts à procéder à un nouveau choix, si le roi l'ordonne[22].

Il y avait plus d'excès encore dans la répartition des biens ecclésiastiques, telle que le roi se la permettait en vertu du concordat, et à la faveur de l'expédient si lucratif des commendes. On n'insistera jamais trop sur cet abus, qui, en dotant des revenus de l'Église les séculiers, les femmes, les favoris, les alliés, les domestiques du roi, atténuait le patrimoine des pauvres et livrait l'ordre monastique à l'anarchie. Louis XIV s'abstenait de donner les évêchés en commende ; mais il les grevait de pensions dont la charge n'avait jamais été prévue par les fondateurs des églises. On a rapporté ailleurs[23] les plaintes d'un évêque de Mende, obligé de servir plus de onze mille livres de pension à divers personnages très-peu gens d'église à coup sûr, tels que Benserade, le secrétaire du duc de Nevers et le bibliothécaire de Mazarin. Sévigné a rendu non moins célèbres les charges qui pesaient sur l'archevêque d'Albi (1676). On a, dit-elle[24], donné Albi à M. de Mende, mais à douze mille francs de pension : trois mille au chevalier de Nogent, trois mille à M. d'Agen, son ami, et six mille à M. de Nevers, je ne vois pas bien pourquoi, si ce n'est pour une augmentation de violons dont il se divertit tous les soirs. Entre le roi, qui stipulait ainsi la part de ses favoris sur le revenu des évêchés, et les anciens simoniaques du moyen âge, tant combattus par Grégoire VII, la différence n'est vraiment que dans la forme. Si l'on veut savoir maintenant quel effet les commendes produisaient dans l'ordre monastique, on n'a qu'à lire les plaintes d'un évêque de Lodève contre un commendataire de son voisinage (1673). Ce chevalier Du Bose, investi d'un prieuré de l'ordre de Grammont, avec mille écus de revenu, y détruisait la vie religieuse et dénaturait la propriété. Il n'y veut faire aucun service, dit l'évêque, ni y tenir aucun religieux, bien que sa fondation l'oblige d'en avoir douze. Il a fait couper et vendre tout le bois d'une forêt dans laquelle j'ai mon chauffage ; et le roi, qui est collateur de ce bénéfice, y est intéressé comme moi[25]. Ce danger n'empêchait pas les faveurs royales de s'exercer à tort et à travers aux dépens des monastères.

En 1672, le roi payait l'alliance du palatin de Neubourg en donnant au second fils de ce prince l'abbaye de Fécamp[26]. En 1677, il donnait une abbaye à Mme de La Fayette, en grande partie en retour des compliments que cette marquise lui écrivait sur la prise de Valenciennes[27] ; et une autre de vingt mille livres de rente à une femme recommandée par Mme de Montespan, et dont l'indignité excitait un murmure général[28]. L'usage s'établit si bien de considérer les abbayes comme le prix des services rendus au roi, que les hommes les plus sérieux et les plus graves ne rougissaient pas de les solliciter. Vauban avait d'abord reçu l'abbaye de Brantôme. Plus tard (1684), il trouva commode de solliciter un échange. Une abbaye voisine de Sens était devenue vacante. S'il plaisait au roi, écrivait-il à Louvois, de me l'accorder en reprenant celle de Brantôme, il pourrait faire plaisir à quatre personnes en même temps, premièrement à moi, qui suis son très-zélé sujet, et qui fais humainement ce que je puis pour mériter le pain qu'il a la bonté de me donner ; 2° à mon neveu Dupuis, en lui accordant une pension dessus ; 3° à mon frère l'abbé ; 4° à celui à qui il lui plairait de donner l'abbaye de Brantôme[29].

On a pu dire sans exagération que peu à peu les biens ecclésiastiques étaient sécularisés par l'autorité royale, et ne servaient qu'à fournir au prince les moyens de récompenser les ministres de sa puissance arbitraire[30]. Louis XIV fortifiait ce reproche en ne respectant pas même, dans la collation des bénéfices, les formes extérieures prescrites par le concordat. Si le pape refusait les bulles aux élus, le roi passait outre par un arrêt de son Conseil, comme l'intendant Foucault[31] nous l'apprend à propos de l'abbaye donnée à l'une de ses sœurs (1673). Arnauld de Port-Royal écrivait à ce sujet : On demande la dispense au pape, et l'on ne se souvient plus alors qu'il ne peut rien que pour l'édification et non pour la destruction ; c'est au contraire pour autoriser le mal qu'on reconnaît en lui une puissance sans bornes. Mais s'il ne la veut employer que pour s'opposer à ce désordre, ce sera alors qu'on trouvera bien moyen de la borner. Il aura beau refuser ses bulles, on s'en passera bien. On jouira de l'abbaye sur un arrêt du Grand-Conseil, sans aucun titre canonique, et on ne se contentera pas de voler le bien des pauvres, mais on s'attribuera, contre toute sorte de règles, la nomination aux bénéfices, qui devrait, en ce cas, appartenir ou aux religieux ou à l'évêque.

Nous passons volontiers à un autre ordre d'idées plus favorable à la gloire de Louis XIV, parce qu'il nous fait voir l'autorité souveraine mise au service de l'intérêt général. Il s'agit de la paix publique déjà rétablie par l'utile sévérité des Grands-Jours, mais violée encore partiellement partout où l'éloignement, le moindre relâchement de surveillance, encourageait l'espoir de l'impunité. Il y avait toujours dans les gouverneurs de provinces, dans là noblesse, dans les seigneurs de campagne, dans les soldats rassemblés au milieu des populations, des instincts d'arbitraire, de violences, de rapines, d'insolence, qui s'émancipaient à l'occasion et ne cédaient qu'à une répression supérieure. Il y eut toujours aussi dans le roi énergie et fidélité à exercer, au profit de la tranquillité publique, la puissance qui grandissait chaque jour entre ses mains.

Çà et là reparaissaient les guerres privées du moyen âge. Nogent-Trelans ayant été assassiné en Languedoc par Sénégas Saint-Pierre, les parents de la victime et les vassaux du meurtrier venaient en Rouergue assiéger Sénégas dans une métairie, et l'assassinaient à son tour sans jugement. Un sire de Cantobre, avec des amis et des bandits à sa solde, ravageait le marquisat de Roquefeuille, et levait sur les tenanciers de la terre plus de vingt mille écus. Un sieur de Saint-Léonard enlevait l'argent de la taille sur les grands chemins des mains mêmes des consuls qui le portaient à Montauban ; puis, rentré dans son château, il attendait fièrement qu'on vînt lui demander compte. Un chevalier de Broues ravageait l'Armagnac, volait aussi l'argent de la recette ; et les vice-sénéchaux, intimidés par son audace, n'osaient pas l'arrêter. Un sieur de Castel-Ferrus favorisait les crimes du lieutenant de sa justice pour en partager les profits. Les détails de cette histoire, exposés par l'intendant Foucault, paraîtront sans doute un tableau de mœurs assez curieux.

Le sieur du Sol, lieutenant de la justice de Castel-Ferrus, avait à ses ordres quatre notaires et quatre témoins avec qui il tenait bureau de faussetés. Grâce à leur ministère, il enlevait le bien d'autrui par de faux testaments, obligations, contrats de vente et autres actes. Plus de sept cents actes de cette fabrique avaient rempli de procès toutes les juridictions de Gascogne et même le parlement de Toulouse. Toujours au courant des morts qui arrivaient dans leur voisinage, les faussaires, selon ce qu'ils savaient des affaires de chaque défunt, passaient immédiatement un acte par lequel ils le faisaient disposer d'une partie de son bien et quelquefois du tout. D'abord quelques voix s'étaient élevées pour dénoncer du Sol ; mais, en sa qualité de lieutenant de justice, il avait poursuivi si rudement quiconque s'attaquait à lui, que personne n'osait plus ouvrir la bouche. Le sieur de Castel-Ferrus, son supérieur, y joignait son autorité, parce que du Sol avait fait un faux codicille au bénéfice de ce gentilhomme. Les prévarications des notaires étaient énormes. Un d'entre eux, âgé de plus de cent ans, m'a avoué, dit Foucault[32], qu'il n'avait jamais fait un acte véritable.

Foucault, investi de l'intendance de Montauban, ne se contenta pas de châtier les fabricateurs de fausse monnaie et de faux timbre qui opéraient publiquement à Cahors, et d'assurer les rentrées du fisc en vengeant sa cause. Il jugea très-important au repos des peuples de faire des exemples en la personne des oppresseurs les plus coupables, et de rendre la joie à tous, comme il le dit, en assurant à chacun la véritable propriété de son bien. Il débuta par mettre à la raison des troupes convaincues de violences à Cahors, à Auch, à Villefranche ; des officiers furent châtiés, des cavaliers, dragons et soldats pendus. Il fit, dès la première année (1675), des exemples sur des gentilshommes accusés d'oppression surtout dans le voisinage des Pyrénées, et sur des notaires et sergents faussaires. Le comte de Foix, gouverneur du pays de ce nom, vexait la province, et soulevait les murmures des États ; tous les gens de bien, et Caulet, évêque de Pamiers, protestaient contre lui. Foucault obtint qu'il fût révoqué et relégué à Sisteron. Il avait arrêté les meurtriers de Sénégas qui furent renvoyés devant l'intendant de Languedoc. Il jugea les sieurs d'Albignac, d'Aire, de Ferrière, de Cantobre et leurs complices (1676) ; ils furent condamnés à être rompus vifs, ou décapités, pendus, ou envoyés aux galères ; le château de Cantobre fut rasé. Il alla résolument assiéger, malgré leurs murs, les de Broues et les Saint-Léonard, les prit et les mit en prison. Un peu plus tard, un vicomte de Vaillac, accusé d'assassinat qualifié et de rapt d'une femme, était incarcéré et décapité (1679-1680). Un gentilhomme avait reçu des Bohêmes dans son château. L'intendant le condamna à l'amende, et demanda au roi de remettre en vigueur les anciennes ordonnances qui punissaient ce crime de la perte du droit de justice et de la confiscation des biens du coupable. Un marquis d'Ambres prétendait imposer aux communautés et surtout à la ville de Moissac le choix des candidats présentés par lui aux fonctions de consuls. Colbert envoya à l'intendant l'ordre de détruire tout ce que le marquis d'Ambres avait fait, et de ne pas laisser opprimer les villes par les seigneurs du voisinage[33].

Ce que les intendants faisaient dans les provinces, le roi le faisait chez lui, sans souci de la dignité ou de la faveur des personnes, par lui-même, par Colbert ou par le lieutenant de police La Reynie dont la célébrité n'est que le juste prix de sa fermeté et de sa vigilance. On en trouve la preuve dans quelques documents de la police du temps qui sont aujourd'hui de l'histoire. Les grands personnages abritaient quelquefois de leur nom les violences de leurs gens de service auxquels ils croyaient que l'honneur de leur appartenir assurait l'impunité. Le roi les détrompa. Les gens de l'hôtel de Soissons — Olympe Mancini — s'étaient permis d'enlever un prisonnier à des archers (1675) ; un ordre du roi renvoie les coupables devant la justice. Les domestiques du prince d'Elbeuf attaquaient les brigades du guet (1681) ; un ordre exprès du roi les met en arrestation (1681). Un tumulte et des violences avaient eu lieu au jeu de paume ; les pages de la grande écurie en étaient les premiers auteurs ; les autres coupables étaient au service des principales maisons de la cour (1679) ; le roi met ses pages à la Bastille, et enjoint à Mademoiselle, à la duchesse de Guise, à M. le duc, de faire justice des gens de leur livrée qui se trouveront coupables[34].

Le même esprit le porta à renouveler son édit contre le duel. En dépit des répressions de Henri IV, de Richelieu, de Louis XIV, le duel restait encore pour la noblesse un péché d'orgueil, une forme de domination et de justice indépendante ; par ces motifs, il n'était aux yeux du roi qu'un appel à la force, une menace aux faibles, une bravade à l'autorité supérieure. Il le proscrivit donc de nouveau et sans pitié par l'édit du 25 août 1679. Il présentait cette interdiction comme une marque de sa bienveillance pour les nobles, comme un gage de conservation de sa noblesse, qui se décimait elle-même par les combats singuliers. Il entendait concilier à l'avenir tous les différends par la persuasion. Les maréchaux de France, les gouverneurs de provinces et leurs lieutenants avaient ordre de s'appliquer d terminer tous les différends qui pourraient arriver entre ses sujets, de mander devant eux tous ceux qui auraient quelque différend. Quiconque assisterait ou se rencontrerait, quoique inopinément, aux lieux où se commettraient des offenses d'honneur, était tenu d'en avertir les maréchaux, gouverneurs et lieutenants, sous peine d'être réputé complice. Si, en dépit de ces mesures protectrices, quelqu'un s'estimant offensé faisait un appel à qui que ce fût, il demeurait déchu de pouvoir jamais avoir satisfaction de l'offense, objet de sa plainte ; il tiendrait prison pendant deux ans, payerait en amende, à l'hôpital le plus voisin de sa demeure, la moitié de son revenu annuel, serait suspendu de toutes ses charges et de leur revenu pendant trois ans. Si enfin, quelqu'un osait se battre en duel, il encourrait la peine de mort et l'infamie ; il serait dégradé de noblesse et déclaré roturier ; ses biens seraient acquis au roi, ses bois de haute-futaie coupés en certaine hauteur, ses successeurs obligés à changer leurs armoiries. Le temps même et une longue impunité ne pouvaient rendre aucune assurance au coupable. Le crime de duel, dit l'Ordonnance, ne peut être éteint ni par la mort, ni par aucune prescription de vingt, de trente ans, ni autre, encore qu'il n'y ait ni exécution, ni condamnation, ni plainte, et pourra être poursuivi, après quelque laps de temps que ce soit, contre la personne ou sa mémoire[35]. Tel était le langage que, au sortir de la guerre de Hollande, le dominateur de l'Europe croyait avoir le droit de tenir à cette noblesse jadis si fière et si turbulente, et maintenant soumise à toutes ses volontés. Tout se taisait au dedans comme au dehors.

Par une coïncidence favorable, les dernières traces de résistance disparaissaient à ce moment même avec les noms les plus illustres des anciennes factions politiques ou religieuses. Nous ne parlons pas de la vieille duchesse de Chevreuse, morte en 1679, parce que depuis vingt ans elle était enchaînée au roi et à Colbert. Mais il avait existé longtemps, autour de Mme de Sévigné, une petite société frondeuse, qui, çà et là, par des malices, des réticences, des entêtements, rappelait les hardiesses de l'époque précédente. Ces débris tombent enfin et les uns sur les autres, la duchesse de Longueville et le cardinal de Retz (1679), La Rochefoucauld (1680), Fouquet lui-même, cette vieille rancune du roi et de Colbert, meurt au moment de sortir de captivité (1680). Je n'ai jamais vu perdre tant d'amis, écrit Sévigné ; cela donne de la tristesse de voir tant de morts autour de soi[36]. Cela faisait le vide dans des rangs suspects, et cela ne devait pas affliger le roi de ne voir plus autour de lui d'autre importance que la sienne.

Par une rémunération légitime, les ministres, dont les talents et l'activité contribuaient pour une si forte part à la prospérité royale, grandissaient à l'ombre du roi et s'élevaient par-dessus les anciens nobles. La splendeur de Louvois et de Colbert est alors dans tout son éclat. La guerre de Hollande, par les grands succès des armes, avait consolidé la faveur de Louvois au point d'en rendre Colbert inquiet. Louvois en jouissait pleinement lui et les siens. Son frère était archevêque de Reims. Son père, Michel Le Tellier, n'avait quitté définitivement l'administration de la guerre que pour monter à la dignité de chancelier (octobre 1677), aux applaudissements même des jaloux[37]. Les grands seigneurs recherchaient son alliance ; le mariage de sa fille avec le duc de La Roche-Guyon, petit-fils de La Rochefoucauld, mettait en mouvement, par les préparatifs et par la cérémonie, toute la haute société, toute la France. Son importance s'étalait ouvertement dans les richesses de son château de Meudon, ancienne demeure des Guise et de Servien, qu'il embellissait à l'imitation des maisons royales, et préparait à suffire un jour à la résidence du dauphin.

Colbert n'était pas moins bien traité. Lui, aussi, il avait son château de Sceaux, que les siens devaient transmettre au plus chéri des fils naturels du roi. Ses alliances avec les familles les plus illustres s'étaient multipliées depuis le mariage de sa fille aînée avec le duc de Chevreuse (1669) ; il avait marié la seconde avec le duc de Beauvilliers (1671) ; il maria la troisième (1679) avec le duc de Mortemart. Les noces de la nouvelle duchesse de Mortemart coûtèrent au roi quatorze cent mille livres, huit cent mille pour les dettes du mari, six cent mille pour la dot de la femme[38]. Il avait fait un de ses frères évêque d'Auxerre, il fit un de ses fils coadjuteur de Rouen à l'âge de vingt-six ans (1680). Il partageait depuis longtemps déjà les soins si laborieux de ses nombreuses charges avec son fils aîné, le marquis de Seignelay, qu'il destinait à lui succéder. Après la paix, il obtint le ministère des affaires étrangères pour son frère, Colbert de Croissy, diplomate médiocre, mais père du marquis de Torcy. Pomponne venait d'être révoqué de cette charge par un caprice du roi, pour un manquement d'exactitude. Louvois et Colbert avaient ensemble contribué à sa disgrâce, chacun espérant disposer de la succession. Ce fut Colbert qui l'emporta, et par là il parut avoir effacé son rival. Faites réflexion, disait Sévigné, à toute la puissance de cette famille, et joignez les pays étrangers à tout le reste, et vous verrez que tout ce qui est de l'autre côté où l'on se marie — noce Mlle de Louvois — ne vaut pas cela. C'était, en effet, la puissance de Colbert qui occupait en ce moment les esprits. Racine, recevant à l'Académie française l'abbé Colbert, étalait avec complaisance toutes les illustrations de cette famille, depuis l'infatigable génie du chef pénétrant dans les moindres besoins de l'État, jusqu'à l'ardeur, la vigilance de ses enfants, de ses frères, de ses neveux à le seconder[39]. Quelques mois plus tôt, la marquise de Seignelay, riche héritière tant souhaitée, étant morte prématurément, Sévigné disait[40] : La fortune a fait là un coup bien hardi d'oser fâcher M. Colbert.

 

 

 



[1] Voir plus haut, ch. XXII, paragraphe I, la lettre de Sévigné après le passage du Rhin, et ch. XXIII, paragraphe I, la lettre de Colbert à l'intendant de Bordeaux, après la prise de Besançon.

[2] Œuvres de Louis XIV, tome V : Colbert à Louis XIV, 5 mai 1672.

[3] Depping, Correspondance administrative, tome II. Colbert à Pellot, à Rouen, janvier 1672. Ibid., au parlement de Bordeaux, septembre 1672.

[4] Voir le texte : Isambert, Anciennes Lois françaises, tome XIX.

[5] Le Tellier, 10 juin 1682 : Vous savez que l'ordonnance permet aux compagnies de faire des remontrances après l'enregistrement des lettres-patentes ; et il est juste de les maintenir dans cette liberté. Depping, tome II, Correspondance administrative.

[6] Œuvres de Louis XIV, tome V : Lettre de Colbert à l'intendant de Grenoble, 1679.

[7] Le Tellier à Pellot, 4 octobre 1678 ; aux procureurs généraux, 11 novembre 1683. Depping, tome II.

[8] Lettre au parlement de Grenoble, septembre 1679.

[9] Le Tellier au président de Rouen, 1884. Depping, tome II.

[10] Procès de M. de Maupeou, dénoncé à Colbert, 1677.

[11] Voir les lettres du chancelier, dans Depping.

[12] Mémoires de Foucault, à partir de la fin de 1684, publiés par M. Baudry : Collection des documents relatifs à l'histoire de France.

[13] A l'occasion de l'église de Belley, dont le territoire venait d'être acquis sur le duc de Savoie.

[14] Voir le texte : Isambert, Anciennes Lois françaises, tome XIX.

[15] Depping, Correspondance administrative, tome IV. L'évêque de Lodève convient avec Colbert de faire nommer l'abbé Desmarest, son neveu, député à l'Assemblée. Il s'y prendra si bien, que le nom de Colbert n'y sera pas compromis. Ceux de Carcassonne et de Béziers recherchent également la faveur de Colbert, et lui promettent de donner leur assistance à son neveu (1672).

Pellot, premier président de Rouen, consulte Colbert sur les députés à élire par le clergé, et lui dénonce ceux qu'il trouve indignes quoique recommandés aux évêques.

[16] Depping, Correspondance administrative, tome IV. Le roi signifie aux agents du clergé de France qu'il ne veut pas de l'abbé de La Mivoye pour représentant à l'assemblée du clergé (mai 1675).

[17] Œuvres de Louis XIV, tome V : Lettres à Colbert du 5 au 22 juin 1675.

[18] On voit, dans une lettre de Louvois à l'intendant Foucault, que Caulet avait défendu aux prêtres et religieux de son diocèse, de confesser et d'absoudre aucun officier, cavalier, ou soldat, même dans le temps de Pâques. Il exhortait ceux qui lui en portaient plainte à quitter le service de la guerre comme étant contraire au salut. Voir pièces annexées aux Mémoires de Foucault, édition de M. Baudry.

[19] Œuvres de Louis XIV : Lettre à l'archevêque de Paris, 10 mars 1678.

[20] Œuvres de Louis XIV, tome VI : Lettre omise dans le recueil de Pellisson, 1er mai 1675 ; fragment d'une autre lettre appartenant au 14 juin 1875.

[21] Sévigné, Lettres, 1er mai 1678.

[22] Voir, dans Depping, les lettres dont nous avons tiré ces faits.

[23] M. Gérin, Recherches historiques sur l'assemblée du clergé de 1682 : excellent ouvrage auquel nous aurons plus bas à faire des emprunts plus considérables, et à rendre un hommage bien mérité.

[24] Sévigné, 12 août 1676.

[25] Depping, tome IV.

[26] Mémoires de Pomponne.

[27] Lettres de Louis XIV, 27 avril 1677, tome V.

[28] Sévigné, 22 octobre 1677.

[29] Voir Histoire de Louvois, tome III.

[30] Soupirs de la France esclave, cités par M. Gérin.

[31] Mémoires de Foucault.

[32] Voir les Mémoires de Foucault, et, dans les pièces annexées, la lettre à Colbert du 9 septembre 1676.

[33] Mémoires de Foucault, de l'an 1674 à 1683.

[34] Depping, Correspondance administrative, tome II.

[35] Voir Isambert, Anciennes Lois françaises, tome XIX.

[36] Sévigné, 3 avril 1680.

[37] Sévigné, 3 novembre 1677 : Le roi a fait M. Le Tellier chancelier, cela a plu à tout le monde... Cela donne de grandes espérances de l'exacte justice ; cela fait plaisir aux gens de bien.

[38] Souvenirs de Mme de Caylus.

[39] Discours de Racine, 30 octobre 1678.

[40] Sévigné, 18 mars 1678.