IV. — Restes d'agitation dans Paris, à l'instigation de Gondi et de Beaufort. - Résistance des parlements de Bordeaux et d'Aix. - Apaisement apparent. La reine apprit, avec un soulagement réel, que la paix avait été reçue par le Parlement, les généraux et le peuple. Pendant quelques jours, de favorables apparences purent entretenir cette illusion. Les ennemis se rapprochèrent. Conti vint à Saint-Germain, et, sur le conseil de Condé, il embrassa le cardinal. D'Elbeuf vint ensuite, puis Bouillon, puis Marsillac, puis de Maure, puis Vitry, Noirmoutiers et Laigues. Longueville s'y rencontra avec d'Harcourt, son adversaire heureux en Normandie. La duchesse de Longueville s'y laissa conduire par sa mère ; un peu embarrassée et ne sachant que dire, elle saisit l'occasion de deviser sur la distance qui séparait Paris de Saint-Germain. Le duc de Vendôme s'accommoda sans résistance ; pour preuve de sa bonne volonté, il proposa le mariage de son fils Mercœur avec une nièce de Mazarin. Enfin la duchesse de Chevreuse, qui n'avait pu envoyer la guerre des Pays-Bas en France, accourut à Paris pour profiter de la paix conclue malgré elle ; éconduite d'abord, elle obtint, au bout de quelques semaines, un arrangement qui fit cesser son exil. De leur côté, les défenseurs du roi voulurent faire leur visite aux Parisiens ; le duc d'Orléans fut bien traité ; le Parlement lui députa deux présidents et six conseillers pour le féliciter d'avoir contribué à la paix. Condé, reçu moins chaudement, eut pourtant aussi sa députation ; seulement, pour observer l'infériorité de son rang, on ne lui envoya qu'un président et deux conseillers[1]. Mais il n'était pas difficile de reconnaître que tout n'était pas fini. D'abord, le coadjuteur et Beaufort refusèrent d'être compris dans l'amnistie, par cette raison qu'ils n'avaient rien fait que pour le service du roi. Gondi s'obstina à ne pas paraître à Saint-Germain ; plus tard, quand il consentit à visiter la reine à Compiègne, il affecta de ne pas voir le ministre. Beaufort se déclara ouvertement contre le mariage de son frère avec mademoiselle Mancini. Dans un accès de colique, qui inquiéta l'amour des Parisiens pour lui, il prit du contrepoison pour faire croire qu'il avait tout à craindre de Mazarin. Ces deux hommes restaient sur la défensive pour ranimer la Fronde. Ce fut même une manœuvre de leur part, qui donna à ce nom une popularité et une importance que l'histoire lui prête trop tôt ; selon Retz, on avait bien déjà, avant et pendant la guerre de Paris, désigné du nom .de frondeurs les ennemis du premier ministre ; mais cette comparaison refleurit particulièrement lorsque, la paix étant faite entre le roi et le Parlement, on trouva lieu de l'appliquer à la faction particulière de ceux qui ne s'étaient pas accommodés avec la cour. Nous remarquâmes, dit-il, que cette distinction de nom échauffe les esprits... Nous résolûmes de prendre des cordons de chapeau qui eussent quelque forme de fronde. Un marchand affidé nous en fit une quantité, qu'il distribua à une infinité de gens qui n'y entendaient aucune finesse. L'effet que cette bagatelle fit est incroyable. Tout fut à la mode (de la Fronde), le pain, les chapeaux, les canons, les gants, les manchons, les éventails, les garnitures, et nous fûmes nous-mêmes à la mode encore plus par cette sottise que par l'essentiel[2]. Ce qui les enhardissait, c'est qu'ils avaient pour longtemps encore, comme il le dit, de la provision dans l'imagination des peuples. La guerre civile n'avait rien conquis de considérable ; ce droit de vérifier les édits de finances accordé au Parlement par la déclaration du 31 juillet, cette première garantie de la liberté individuelle, donnée par la déclaration du 24 octobre et confirmée par la paix de Ruel, n'était pas une réforme bien sensible aux masses. La paix, non plus, n'avait pas fait cesser la misère publique. Si les amis du roi se plaignaient de sa pauvreté et rapportaient aux violences de la guerre la suppression de ses revenus, les pamphlétaires amis du peuple justifiaient le refus de payer par les surcharges intolérables que les provinces subissaient encore. D'un côté, les contemporains représentent le roi dans la misère, sans officiers grands et petits, parce qu'il ne peut les rémunérer ; sans pages, parce que les premiers gentilshommes n'ont plus de quoi les entretenir[3]. Le faux-saunage, qui a duré deux mois, empêche les adjudicataires des gabelles de rien rapporter ; le sel soustrait aux greniers, colporté par des hommes armés, même avec du canon, se vend à la porte des églises comme une marchandise ordinaire[4]. Mais, de l'autre côté, les peuples, lissés et accablés de tant d'impositions, ne peuvent plus payer ni aides, ni gabelles, ni tailles, à vingt lieues de Paris ; la pénurie est telle que les sergents n'osent plus exécuter les paysans dans les villages. Des cris s'élèvent de toutes parts ; on dénonce la Champagne désolée par l'armée d'Erlach[5], les horribles cruautés faites dans les provinces de France par les gens de guerre d'Erlach. Une requête des provinces et des villes de France, à nos seigneurs du Parlement, parle de ravages et de brûlements faits dans les provinces depuis la paix publiée, et signifie au jeune roi de quelle manière il doit exercer l'autorité. La leçon est d'autant plus curieuse, qu'elle repose sur une distinction dont les révolutions modernes ont eu tort de s'attribuer le mérite : Quand un âge plus avancé lui aura donné connaissance des lois et de la forme du gouvernement que Dieu lui a commis, il apprendra qu'il a la conduite d'un peuple libre, sur lequel il doit régner plus par l'amour de la justice que par la terreur de ses forces, et que ses pères ont fait leur gloire de se dire rois des Français plutôt que de la terre qu'ils habitent, parce qu'ils ont cru que la véritable grandeur des souverains était de régner dans les cœurs de leurs sujets, dont ils se sont toujours acquis les affections par la modération de leurs règnes. Sous l'action de pareils instigateurs, il était difficile qu'il ne restât pas dans le peuple de Paris une rancune toujours prête contre ceux qui l'avaient fait souffrir. La paix même ; en diminuant la lassitude de la lutte, ranimait l'esprit de provocation par l'espoir de mieux réussir une autre fois. La haine contre Condé éclata dans la publication du Discours sur la députation du Parlement à Monsieur le Prince, et dans l'inutilité des poursuites judiciaires dont il fut l'objet. Ce libelle (mai 1649) accusait le Parlement d'avoir commis des lâchetés, les députés de la Compagnie de s'être laissé corrompre dans les négociations de la paix, le prince de Condé d'impiété et de sacrilège, et de porter avec impatience le nom de sujet. Le prince y était qualifié de fléau préparé par Dieu pour affliger le royaume ; de monstre né pour la ruine et la désolation de son pays. On lui annonçait la vengeance du peuple : Le temps viendra que vous aurez besoin de réclamer la protection du Parlement que vous avez voulu opprimer.... Vous implorerez en vain l'ordonnance de la sûreté publique que vous avez violée, et ce peuple innocent, que vous avez voulu faire périr par la faim, se rira de votre disgrâce, et écoutera avec joie la nouvelle de votre prison. La menace s'est vérifiée à la lettre quelques mois plus tard ; mais déjà la sympathie d'un grand nombre était acquise aux interprètes de ces sentiments hostiles. Cet appel aux vengeances populaires était l'œuvre d'un magistrat, du conseiller Portail, un des conquérants de la Bastille ; l'impunité fut assurée aux délinquants 'par une minorité parlementaire que la paix de Ruel n'avait pas déconcertée. Portail échappait par l'anonyme, l'imprimeur par la fuite. Le seul complice qu'on put saisir, un avocat au conseil, accusé d'avoir participé à l'impression, fut sauvé moins par l'insuffisance des preuves que par l'activité de ses amis. Condé perdit sa peine à requérir une condamnation au Châtelet d'abord, ensuite à la chambre criminelle (la Tournelle) du Parlement. Guy Joly, conseiller au Châtelet, le confident de Gondi, visitait l'accusé dans sa prison pour l'instruire des moyens de se défendre ; le président Nesmond entraîna à un acquittement les conseillers de la Tournelle[6]. Le respect n'était pas mieux rétabli pour la reine et pour son ministre. Par de petites audaces de gens mal élevés, par des violences dans le goût de la populace, les frondeurs obstinés s'entretenaient la main pour la lutte, et désignaient à la multitude l'ennemi à combattre. Ici Beaufort venait tirer la nappe et renverser les plats d'une troupe de mazarins attablés chez Renard au jardin des Tuileries ; la grosse plaisanterie dégénérait en combat, le sang coulait, sans que le Premier Président jugeât opportun d'évoquer l'affaire devant la Cour. Ailleurs Brissac, Matha, Fontrailles,, à moitié ivres, 'assommaient deux valets de pied du roi, malgré leurs livrées, et, comme les battus se réclamaient de leur habit pour se faire respecter, les assaillants frappaient plus fort, en disant : Portez cela à votre maître, à la reine, et au cardinal Mazarin. Il fallait encore renoncer à punir les coupables, dans la crainte que le procès ne donnât lieu à quelque assemblée des chambres du Parlement, et par suite à un tumulte public. Les pamphlets, loin de se taire, semblaient redoubler d'audace. Le Silence au bout du doigt (mai 1649) énumérait les amants de la reine, Montmorency, Buckingham, Leganez, Mazarin, ceux des deux princesses de Condé, la mère et la belle-fille ; il flagellait le Premier Président, le chancelier, le lieutenant-civil. Les magistrats parvinrent à sévir, à emprisonner la veuve et les enfants de l'imprimeur. Mais à quelques semaines de là, leur bonne volonté échoua contre une démonstration populaire (juillet 1649). Il s'agissait de la Custode du lit de la reine qui dit tout, publication, ignoble, dont le titre suffit en effet à tout dire. La reine envoya le duc d'Orléans se plaindre au Parlement ; on arrêta l'imprimeur Morlot. Condamné par le Châtelet à être pendu et étranglé, et la sentence confirmée immédiatement par la Cour, il marchait au supplice, lorsqu'une multitude se rua sur le cortège, à coups de pierres, de bâtons et d'épées. Les archers, en petit nombre, se dispersèrent ; le lieutenant-criminel, -qui les commandait, reçut plusieurs coups de bâton avant de pouvoir fuir ; Morlot fut délivré et ne reparut plus. Cependant une autre bande courait à la place de Grève pour détruire l'instrument du supplice. Elle abattit la potence, rompit l'échelle en plusieurs morceaux, brisa à coups de pierres les vitres de l'Hôtel-de-Ville, et ne cessa le désordre qu'à neuf heures du soir. Les émeutiers, qualifiés de gens de néant, vagabonds, sans nom, sans lieu, par les registres de l'Hôtel-de-Ville, étaient, selon Guy Joly et Retz, des garçons libraires ou imprimeurs. Tous les efforts furent inutiles pour retrouver Morlot ; les échevins, les colonels et quarteniers ne purent qu'exprimer à la reine le regret de leur impuissance[7]. Si la, paix n'était pas observée à Paris, la guerre recommençait en province. Bordeaux, Aix, Toulouse même, vivaient en état d'hostilités continuelles contre le gouvernement. Le gouverneur de Guienne, le duc d'Épernon, avait soulevé, par son arrogance, tous les états de la province. Il vivait en prince, traitant la noblesse et le Parlement de haut en bas, et battait monnaie à son effigie[8]. Il prenait les qualités de très-haut et très-puissant prince et d'altesse, sans doute parce qu'il avait épousé en premières noces une sœur bâtarde de Louis XIII. Le jour même où la paix de Ruel était signée définitivement (30 mars), le Parlement de Bordeaux s'arrogeant, comme celui de Paris, l'autorité souveraine, avait interdit aux troupes commandées par Épernon d'approcher de Bordeaux, enjoint à tous les gentilshommes de la sénéchaussée de Guienne de se rendre dans la ville pour le service du roi, enfin défendu de continuer la construction de la citadelle de Libourne[9]. Aussitôt les scènes de Paris se renouvelèrent en Guienne. Les Bordelais occupèrent le château Trompette avec la même joie que les Parisiens avaient pris la Bastille ; le Parlement leva des troupes pour le service du roi ; le marquis de Sauvebœuf fut fait commandant de l'armée du roi sous l'autorité du Parlement. Les batailles durèrent plusieurs mois. Vaincus à Libourne, canonnés dans leur ville, les Bordelais durent un premier traité de paix à l'intervention de leur archevêque (28 mai, 1 juin). Mais la discorde continua, le Parlement de Bordeaux réclama la protection du Parlement de Paris, et pour prévenir cette union inquiétante, le roi se contenta d'infliger aux magistrats de Guienne un semblant d'interdiction qui devait être levé au bout de huit jours (12 juillet 1649). Aix ne jouit pas longtemps de la satisfaction que ses magistrats avaient obtenue de la paix de Ruel. Le comte d'Alais, odieux à la population, et continuellement dénoncé par elle, fut-il l'auteur de cette recrudescence de haine ; fit-il, en effet, comme une pièce du temps l'en accuse, pendre plusieurs magistrats, même après la publication de la paix[10] ? Quelle qu'en ait été la cause, la Provence remuait encore pendant tout l'été de 1649. Le Parlement d'Aix levait des troupes, proscrivant les troupes royales pour être entrées sur son territoire sans l'ordre du roi, c'est-à-dire des magistrats qui semblaient le représenter. Il s'arrogeait la levée des deniers publics, que le comte d'Alais réclamait pour lui. Il y avait des batailles comme en Guienne ; il y avait échange continuel de manifestations entre le roi et le Parlement : le roi lançait des lettres contre les rebelles de Provence ; le Parlement d'Aix renvoyait au roi des remontrances contre le gouvernement du comte d'Alais (juin, juillet 1649). Aucune conclusion définitive ne se dégageait de ces débats ; bien plus, pour accroître les embarras, le Parlement de Toulouse, s'ingérant dans les affaires d'autrui, adressait des lettres à la régente sur les troubles d'Aix et de Bordeaux. Les trois Parlements du Midi semblaient faire cause commune ; cette union, par le voisinage des contractants, constituait un danger qu'il n'était pas prudent de dédaigner. Ainsi, la guerre civile n'est que suspendue ou ralentie ; tout se prépare pour une reprise d'agitations ou d'hostilités plus longues que celles que nous venons d'étudier. Il faudra en subir l'histoire. Toutefois nous aurons le droit de lui donner moins de développements. Déjà nous avons expliqué pourquoi la vieille Fronde, ou guerre de Paris, méritait une attention particulière. Il y avait là des essais de réforme gouvernementale, des tentatives de révolution, l'apparition de principes politiques de la plus haute portée, et parfois un soulagement pour les contribuables ; les intérêts des personnes n'occupaient que le second rang. Dans la jeune Fronde, ou Fronde des princes, les questions de personnes se substituent trop souvent aux questions de principes. On y retrouve bien de temps en temps le même langage, les mêmes aspirations, et des réminiscences du passé dans les Parlements ou dans les populations ; mais ce ne sont le plus souvent que des prétextes pour les meneurs, des déceptions pour la foule ; l'intérêt du peuple est sacrifié sans embarras au succès des affaires des particuliers. Ces ambitions, ces rivalités de grands seigneurs et de femmes galantes, ne peuvent réclamer dans l'histoire que la part secondaire qui convient à la biographie. |
[1] Motteville.
[2] Mémoires de Retz.
[3] Motteville.
[4] Omer Talon. — V. aussi les Gabelles épuisées à Mgr le duc de Beaufort (1649) : Deux cents ouvriers en soie de Tours sont allés querir du sel à Nantes ; ils en ont rapporté une quantité telle que le prix en est tombé à 30 sols le boisseau ; enfin, ils ont fait un second voyage avec des ouvriers d'Orléans, malgré la défense expresse du conseil, et ils se sont ouvert le passage à coups de canon.
[5] Trois lettres publiées les 3, 6, 7 mai 1649.
[6] Mémoires de Guy Joly et d'Omer Talon. — Lettres de Guy Patin.
[7] Mémoires de Retz, de Guy Joly. — Registres de l'Hôtel-de-Ville. — Lettres de Guy Patin. — Mémoires de Montglat.
[8] Mémoires de Montglat. — Arrêt du parlement de Bordeaux, 24 mai 1649.
[9] Texte des arrêts du parlement de Bordeaux du 30 mars et du 3 avril.
[10] Union des trois Parlements de Bordeaux, Toulouse et Provence, 1649.