HISTOIRE DU RÈGNE DE LOUIS XIV

PREMIÈRE PARTIE. — LA FRANCE POLITIQUE, RELIGIEUSE, LITTÉRAIRE SOUS MAZARIN

 

CHAPITRE VI. — La guerre de Paris ou la vieille Fronde.

 

 

III. — L'alliance des généraux frondeurs avec l'Espagne détache de leur parti les magistrats. - Préliminaires de la paix de Ruel. - Difficultés qui retardent sa conclusion. - Accord du Parlement et de la reine. - Réclamations exorbitantes des chefs frondeurs. - Conclusion de la paix.

 

Déjà une catastrophe sans pareille avait donné à penser aux deux partis. Le 9 février 1649, la tête du roi d'Angleterre, Charles Ier, était tombée sous la hache du bourreau devant son palais de Whitehall. La reine, sa femme, réfugiée à Paris, avait fait porter à la régente, par madame de Motteville, le conseil d'écouter la vérité, et de ne pas pousser à bout le peuple par trop d'obstination. Les frondeurs eux-mêmes tenaient à honneur de flétrir un attentat dont ils n'avaient pas eu l'idée, mais dont l'emportement populaire pouvait rêver l'imitation. Il est curieux de constater, en ce moment, dans un grand nombre de pamphlets, l'indignation contre les meurtriers de Charles Ier, contre la barbarie anglaise, et même contre les dangers du gouvernement parlementaire[1]. On demandait la paix à l'intérieur pour avoir la liberté de faire deux guerres légitimes, l'une contre le Turc, l'autre, contre l'Anglais. L'apparition des Espagnols fortifia ces dispositions pacifiques.

Un des principaux griefs contre Mazarin, c'était de n'avoir pas traité avec l'Espagne ; l'abstention de cette seule puissance annulait, aux yeux des mécontents, tous les avantages de la paix d'Allemagne. Aussi, pour ravir à la guerre civile son prétexte le plus spécieux, le ministre avait repris les négociations avec les Espagnols, et travaillé à compléter sa plus grande œuvre politique. Par contre, les princes fondeurs cherchaient, dans l'alliance de l'étranger, la force nécessaire pour chasser Mazarin, et, dans une paix définitive conclue par eux, une grande recommandation auprès du peuple. Leurs émissaires, entre autres le marquis de Laigues, s'étaient rendus à Bruxelles, où l'entremise de la duchesse de Chevreuse leur avait assuré un accueil favorable de l'archiduc Léopold. L'Espagnol n'hésita pas ; il gagnait plus à entretenir les troubles en France qu'à raffermir le gouvernement régulier ; en affaiblissant encore le roi, il le forçait à rabattre de ses prétentions ; en soutenant les rebelles, il imposait à leur reconnaissance des conditions plus favorables pour lui-même. Il écarta donc les propositions de la régente de France, et accepta le conseil d'envoyer un message au Parlement de Paris.

Au même moment, par suite d'une de ces petites formalités qui font sourire, et qui souvent, à la confusion des politiques, déterminent les résultats les plus décisifs, il se préparait un rapprochement entre la régente et les magistrats. Le Parlement avait refusé de recevoir un héraut du roi, et de lire ses dépêches, donnant pour raison que les hérauts ne s'envoyaient qu'aux ennemis, et que la compagnie n'était pas ennemie du roi ; il avait jugé plus convenable d'envoyer lui-même les gens du roi à Saint-Germain pour apprendre de la bouche de Sa Majesté ses intentions. Ce subtil mélange de résistance et de soumission ne déplut pas à la reine ; elle accueillit assez bien les députés des magistrats, pour faire craindre aux généraux de la Fronde un changement dans les dispositions de la Compagnie. Si le Parlement se réconciliait avec le roi, que deviendraient les princes et les seigneurs ? Il fallait à tout prix prévenir cette scission redoutable ; le prince de Conti espéra d'y réussir en offrant aux magistrats l'alliance de l'étranger, avec des avantages qu'ils ne pouvaient pas attendre d'ailleurs. Le 18 février, il présenta au Parlement un envoyé vrai ou supposé d'Espagne, don Joseph d'Illescas, moine déguisé, fort expert en intrigues. Cet agent déclara que la cour d'Espagne refusait de traiter avec Mazarin ; un ministre condamné n'offrait aucune garantie sérieuse ; elle préférait l'entremise du Parlement de Paris ; un corps si célèbre était l'arbitre le plus équitable qu'elle pût choisir. Si pourtant la paix n'était pas encore possible, l'Espagne mettait à la disposition de la Compagnie une armée de vingt mille hommes, toute prête à franchir la frontière. Ainsi le Parlement réunirait tous les avantages et tous les honneurs ; au dedans la puissance souveraine et le triomphe sur son ennemi, au dehors la gloire de consacrer la pacification générale.

Une tentation si pressante fut comme la crise suprême qui sauve ou tue immédiatement le malade. Le Parlement, à une forte majorité, la repoussa. Les grands étaient donc incorrigibles. L'alliance avec l'étranger ne leur inspirait aucun scrupule, quand ils se croyaient sûrs de l'impunité. Encore une fois la guerre civile se mettait à la solde de la guerre extérieure, comme au temps de Cinq-Mars ; l'ambition et le libertinage risquaient, à leur profit, la ruine du pays ; et pour qu'on ne pût s'y tromper, c'était encore le même agent, la duchesse de Chevreuse, qui menait cette intrigue criminelle. Le Parlement de Paris laissa la trahison aux princes et aux seigneurs ; il se sépara des généraux de la Fronde. On décida qu'on ne lirait pas les dépêches de l'envoyé d'Espagne, qu'on les porterait à la reine, qu'une nouvelle députation irait remercier Sa Majesté des paroles obligeantes dites à la première, et presser la conclusion de la paix. Pour n'être pas mauvais Français, le Parlement se résignait à perdre de son importance, de ses prétentions, de sa popularité ; la reine, de son côté, pour déconcerter les intrigues espagnoles par la promptitude et par le retour du calme intérieur, devait abandonner quelque chose de ce qu'elle appelait les droits du roi. La paix, fruit de ces concessions mutuelles serait trop incomplète, trop indécise pour trancher souverainement les questions, fixer nettement les limites des différents pouvoirs, et prévenir désormais tout conflit. Mais c'était toujours la paix, et le premier mérite en revenait à une pensée patriotique des magistrats.

Le sentiment du danger national se réveilla du même coup, hors du palais, au moins dans une partie du peuple. Il y avait, même parmi les frondeurs, bon nombre de gens qui en voulaient à Mazarin, mais qui n'entendaient pas le renverser au profit de l'Espagne. En s'efforçant de lutter pour eux-mêmes contre les exigences fiscales du pouvoir, ils ne s'accommodaient pas de faire les affaires des princes, des seigneurs, de leurs femmes ou de leurs maîtresses. Les pamphlets vinrent bien vite en aide au Parlement contre la mission du seigneur de Illescas. On repoussa dédaigneusement ses offres de service. On l'accusait de n'être qu'un Français déguisé, mis en avant par quelques mauvais Français. On parlait d'une levée en masse contre l'étranger ; les ennemis même de Condé se vantaient de lui et de ses exploits pour faire peur aux Espagnols qu'il avait si bien battus. C'était un frondeur qui lançait dans le public les strophes suivantes :

Je vous crois fils d'un ligueur,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Vous êtes mal déguisé

Français espagnolisé.

Vous nous porteriez malheur,

A son nom (Condé) l'Espagne tremble,

Et malgré notre valeur,

Nous serions battus ensemble.

Lorsque nous faisons les fous

Cela se passe entre nous :

Ce n'est que vapeur de bile.

Mais si vous vous faites voir,

Adieu la guerre civile,

Tout ira vous recevoir[2].

Enfin, à défaut de ces sentiments bien capables de faire tomber les armes des mains des deux partis, les Parisiens devaient au moins être sensibles aux dommages réels de la guerre civile, et aux avantages d'une paix qui en supprimerait les charges. Les pamphlets royalistes leur remettaient sous les yeux, avec une vérité impitoyable, le contraste de leurs espérances et de leurs déceptions, de la liberté qu'on leur avait promise, et de la tyrannie que le Parlement avait exercée jusque-là. Car s'il est juste de reconnaître que les magistrats eurent les premiers la bonne pensée d'arrêter les hostilités, il n'en était pas moins vrai que, pour les soutenir, ils n'avaient reculé devant aucun moyen d'oppression. Ils se plaignent, disait un de ces pamphlets[3], des grandes charges du peuple, et ils ont plus dépensé en deux mois que le roi ne faisait en six pour une armée de cent mille hommes. Ils ont voulu qu'un prisonnier d'État ne pût être détenu plus de vingt-quatre heures sans être interrogé, et ils ont rempli la Bastille de plus d'accusés qu'il n'y en a eu durant les six années de la régence. — Ils ont blâmé les partisans d'avoir ruiné les affaires du roi, et ils ont fait rafle sur toutes les tailles et tous les deniers publics, vendant le sel des greniers de Sa Majesté à moitié prix, sans oublier l'argent des particuliers sur lequel ils ont pu mettre la main. — Ils se sont plaints qu'on leur ôtait leur liberté, et ils ont tenu jusqu'aux ambassadeurs et aux évêques prisonniers dans leur ville. — Ils devaient commencer par eux-mêmes, ôtant ou du moins diminuant leurs épices et autres droits, puisqu'ils sont obligés de rendre la justice gratuitement, abrégeant la longueur des procès et jugeant sommairement ceux qu'on peut vider sur-le-champ, au lieu de les appointer, comme ils font contre l'ordonnance, et les rendre immortels. A de pareilles attaques la réponse n'était pas facile. Quel parti les bons Français devaient-ils tenir dans les mouvements présents ? N'était-ce pas, après avoir suivi le Parlement dans une guerre malheureuse, de le seconder dans ses efforts pour la paix ? Malheureusement cette paix, qui s'offrait comme d'elle-même, n'était pas d'une exécution aussi facile que les hommes de bonne volonté pouvaient se le promettre. L'accord général avait contre lui une multitude de petites prétentions particulières. La perspective d'une entente si prompte suscita une recrudescence de disputes et de guerre. Tout en négociant, on resta armé et en hostilités ouvertes. Ii n'est pas sans intérêt de démêler les principales causes de ce retard.

Les meneurs et les généraux, Gondi et Beaufort, ne voulaient pas d'une paix dont ils n'avaient pas eu les premiers la pensée, dont ils n'espéraient pas pour eux-mêmes le profit exclusif.

Le peuple de Paris était las, mais, comme dit Retz, les peuples sont quelquefois las avant de s'avouer leur lassitude, et, d'ailleurs, le désir devient moins pressant quand il croit toucher à la chose désirée. Le Parisien ne croyait à sa délivrance que si Mazarin disparaissait. Ce nom odieux suffisait à tenir encore en haleine ces bandes plus redoutées que puissantes, toujours dupes d'espérances vagues, toujours prêtes aux clameurs et aux menaces ; les généraux conservaient en elles un auxiliaire tumultueux, dont le bruit leur exagérait la valeur.

Les magistrats, en dépit de leur retour aux pensées de conciliation, restaient également hostiles à Mazarin. Pendant que leurs négociateurs conféraient avec ceux du roi, ils accueillaient les plaintes contre le ministre, renouvelaient leurs arrêts contre lui, prenaient sous leur protection les agitations populaires, les révoltes armées, sous prétexte que ces démonstrations n'en voulaient qu'à l'étranger usurpateur de l'autorité royale, et non au roi. Les Parisiens et les généraux trouvaient un encouragement dans cette distinction ou chicane judiciaire, dont l'effet le plus sûr était d'entraver les négociations.

Le mouvement, déjà vieux à Paris, était tout jeune dans les provinces, où, comme la mode, il ne s'était communiqué que successivement. Tandis que la capitale commençait à en souffrir, les autres villes, les campagnes, n'y voyaient encore que l'espérance d'un soulagement. Des gouverneurs, des généraux d'armées éloignées se mettaient en train de révolte, et promettaient d'appuyer ceux qui leur en avaient donné l'exemple. Parlement, Parisiens, généraux de la Fronde, chacun selon ses pensées propres, et même les uns contre les autres, attendaient de ce concours le succès de leurs prétentions contradictoires.

Par-dessus toutes ces oppositions, dominait la voix multiple des pamphlets, plus active, plus variée, plus retentissante encore qu'au début de la lutte. Outre les injures renouvelées de tant d'autres contre la reine et Mazarin, les théories politiques les plus hardies venaient en aide aux réclamations. Invoquant à la fois la loi divine et la raison, elles justifiaient la résistance par l'examen de l'origine du pouvoir, expliquaient les devoirs des souverains par les droits des peuples, et poussaient les négociateurs à demander des réformes radicales. Les Parisiens n'étaient pas sans doute pré parés à tirer toutes les conséquences de ces doctrines, les chefs frondeurs surtout auraient trop perdu à leur application ; les magistrats eux-mêmes auraient condamné comme rebelles quelques-uns de ces écrivains. Mais le bruit qui se faisait autour de ces petits livres servait d'épouvantail pour amener l'autorité royale à composition.

Les deux contractants véritables, la reine et le Parlement, y avaient mis, dès le premier jour, une fermeté, une bonne volonté, capables d'aplanir bien des obstacles. Les magistrats s'étaient roi dis contre les généraux. Mathieu Molé ne s'était laissé effrayer ni par les agitations de Beaufort, ni par les attroupements populaires, ni par les cris : Nous ne voulons pas de Mazarin, il faut aller chez le premier président, le piller, le punir de ses trahisons. Le courage civil de cet homme s'égalait parfois, et tout simplement, à l'héroïsme des plus hardis capitaines. Un grand coquin, le menaçant du pistolet, dans la galerie du Palais : Mon ami, répondit Molé, quand je serai mort, il ne me faudra que six pieds de terre ; et la Compagnie, confirmée dans ses desseins par la résolution de son chef, arrêta qu'une députation choisie dans les Cours souveraines irait auprès de la reine traiter de la paix. La reine, à son tour, tout en faisant ses réserves, en grondant le Parlement pour le passé, avait consenti à se désarmer, au moins en partie ; elle accordait aux Parisiens cent muids de blé par jour, tant que dureraient les conférences : c'était renoncer à prendre les rebelles par la famine. Elle fixa ensuite le lieu des négociations au château de Ruel, c'est-à-dire à moitié chemin de Paris et de Saint-Germain, et délivra des passeports aux députés. Les conférences commencèrent dès les premiers jours de mars.

Mais, comme nous venons de le dire, la question de Mazarin demeura la grande difficulté : la reine ne voulait à aucun prix se séparer de son ministre ; le Parlement aurait voulu ne le plus souffrir. De là des lenteurs, qui laissèrent se produire ou provoquèrent même de nouvelles oppositions, de nouveaux soulèvements. L'armée du roi, par la prise de Brie-Comte-Robert, venait d'enlever aux Parisiens leur meilleur poste[4]. Ce succès n'arrêta pas d'autres tentatives inquiétantes. Reims se souleva contre le marquis de la Vieuville ; on le fit prisonnier, comme le comte d'Alais à Aix ; le peuple voulait le pendre. On le promena en chemise, nu-pieds, par un grand froid, jusqu'à un gibet hors de la ville. Les magistrats du lieu lui sauvèrent la vie en promettant de lui faire son procès dans les formes[5] ; mais ceux de Paris se croyant libres encore tant que la paix n'était pas conclue, et autorisés à poursuivre un ministre odieux, rendirent un arrêt en faveur des habitants de Reims contre le cardinal Mazarin, le marquis de la Vieuville et leurs adhérents[6]. En Normandie, Longueville avait donné l'exemple d'ouvrir les greniers à sel pour faire de l'argent en vendant à bas prix cette denrée si précieuse et si chère ; le peuple y avait couru avec son horreur habituelle des impôts, et en particulier de la gabelle. Le marquis de la Boulaye, sur un autre point, tira bon parti de cette tentative populaire. Il était sorti de Paris pour fourrager un peu ; empêché de rentrer par la cavalerie royale, il se sauva en Beauce, de là dans le Perche et le Maine, proclamant la liberté et l'exemption de tout subside[7]. Les populations accueillirent le libérateur. Le Mans chassa son évêque[8] ; les greniers à sel furent ouverts, et un véritable pillage commença, dont les finances royales furent compromises pour le reste de l'année[9]. A peu près, au même moment, le Parlement de Paris accueillait un député de Lyon qui annonçait l'arrivée de dix mille cavaliers armés et équipés, et de quinze mille muids de blé que les Lyonnais avaient mis sur la Loire[10].

On put croire que cette seconde période de la guerre serait plus sérieuse que la première. Le peuple allait déjà tout droit à la ruine des formes les plus onéreuses de l'administration. Le parti des nobles, un peu déconsidéré à Paris, rassemblait de nouvelles forces dans les provinces. Un des plus hardis, le duc de la Trémouille, issu par les femmes des rois d'Aragon, voulait être prince, et n'en trouvait pas de meilleur moyen que de faire quelque mal ou quelque peur au ministre. En dépit de Condé, qui avait répondu de lui, poussé par les instigations de sa femme, il pressait les levées dans sa province, où ses grands domaines assuraient son crédit. Pendant qu'il préparait le triomphe de ses intérêts, d'autres parodiant la galanterie chevaleresque, se déclaraient pour l'honneur des femmes engagées dans la lutte. D'Hocquincourt n'était que ridicule quand, de Péronne, tournée par lui contre le roi, il écrivait à madame de Montbazon : Péronne est à la belle des belles. Mais Turenne, adhérant à la révolte, était le danger le plus redoutable du moment. L'histoire enregistre avec regret une pareille erreur d'un tel homme ; il lui est plus pénible encore d'en avouer le motif scandaleux. Frère du duc de Bouillon, ce n'était pas même pour conquérir le dédommagement réclamé par sa famille que le vainqueur de Zumarshausen s'alliait aux vaincus de Charenton. La galanterie avait tourné cette tête si sage ; il aspirait, après tant d'autres, aux bonnes grâces de la duchesse de Longueville, et, pour mériter la succession de Marsillac, il renonçait à la gloire de pacificateur de l'Empire. Il mit au service de l'intrigue l'armée qui avait décidé la conclusion de la paix, et qu'il commandait encore en Allemagne. Le Parlement, qui avait refusé le secours de l'étranger, ne dédaigna pas l'assistance d'une armée française si- illustre. L'insurrection se justifiait à ses yeux par le résultat, qui devait être l'expulsion du ministre. Le 8 mars, sur la demande de Gondi, la Cour, toutes les chambres assemblées, donna un arrêt en faveur du maréchal de Turenne, pour autoriser l'entrée de son armée en France[11]. Le ministre fut assez abattu de cette menace pour douter de sa fortune, et la régente de la conclusion de la paix.

On comprend enfin, par l'audace des libellistes, jusqu'où durent aller les appréhensions de la royauté. Dès que la paix eut été annoncée, ceux qui ne la voulaient pas ou qui ne la voulaient qu'à leur manière protestèrent contre les contractants ou contre des conditions redoutées. En quelques jours, les publications pullulèrent sous toutes les formes. Requête civile contre la conclusion de la paix, amas d'injures contre Condé, Molé, le Parlement, la reine ; l'excuse même y prend le ton de l'outrage : S'il est vrai ce qu'on dit, que le cardinal et la reine sont liés par un mariage de conscience et que le père Vincent ait ratifié le contrat, ils peuvent tout ce qu'ils font, et davantage ce que nous ne voyons pas. La France perdue par les favoris et les reines amoureuses ; ici l'accusation est fortifiée par l'exemple de Marie de Médicis, et par la menace d'un sort pareil pour Anne d'Autriche :

Régente qui souillez l'honneur du diadème,

Présagez votre arrêt signé des mains de Dieu,

Ou de vivre autrement, ou de mourir de même.

Le roi n'est pas mieux traité que sa mère ; on lui fait entrevoir le sort de Jacques (pour Charles) Stuart : Entretien du roi et de la reine régente ; le roi fait de sottes questions à sa mère ; celle-ci y répond crûment, dans le sens des opinions de l'auteur, et s'accuse de cruauté, d'hypocrisie et de libertinage.

A côté circulent les théories sur la souveraineté du peuple. Le Théologien politique, par Brousse, curé de Saint-Roch prêche la légitimité de l'insurrection : Comme nous devons toute sorte d'obéissance aux rois qui n'exigent de nous que des choses justes et raisonnables, comme étant les véritables lieutenants de Dieu, nous ne devons aussi aucune obéissance à ceux qui, suivant les pernicieuses maximes du démon, ne nous commandant qu'injustices et cruautés. Dieu et la nature nous ont appris que la conservation de la vie et de la liberté contre l'oppression inique est non-seulement licite, mais aussi équitable et sainte. La Lettre d'avis par un provincial devient le centre de discussions où ce n'est pas la voix des défenseurs du roi qui a le plus de retentissement. La Lettre d'avis disait : Les rois cessent d'être rois quand ils abusent de leur autorité ; les sujets sont déliés de leur serment quand les rois contreviennent aux leurs... Il y a bien de la différence entre ces deux propositions : le prince peut prendre et disposer de nos biens à sa fantaisie ; et nous devons employer vies et biens pour le prince. Une Lettre d'avis à messieurs du Parlement et le Donjon du droit naturel divin veulent riposter et défendre le roi quand même... Mais le Rétorquement du foudre de Jupinet répète que les peuples ont le droit de déposséder les rois qui ne font pas bien leurs charges. Il faudrait, à l'imitation de saint Ambroise, siffler les princes temporels et spirituels, leur fermer les portes des églises, ou les chasser s'ils y sont, parce que tout est rempli de sacrilèges, d'athées, d'impiétés, de concussions, de lubricités. Le Discours chrétien et politique confirme la théorie de Brousse : Ce ne sont pas les rois qui ont fait les peuples, ce sont, au contraire, les peuples qui ont fait les rois. Les rois doivent, comme tous les hommes, obéir aux commandements de Dieu ; les royautés se perdent par la tyrannie[12].

Entre ces théories plus ou moins compréhensibles ou applicables alors, entre les prétentions hostiles des partis ou des fractions de partis, se dressent encore les réclamations de ceux qui ne connaissent que le peuple, et s'en prennent à tout le monde du mal présent. Terminons cette revue par l'Avis de huit paysans de huit provinces, composé par Misère et imprimé en Calamité. Les huit paysans sont Bourguignon, Picard, Champenois-Briois, Poitevin, Breton, Tourangeau, Normand, Manceau. Leurs demandes sont formulées en plus de quarante articles : Assemblée des États. La noblesse remise en sa première splendeur ; néanmoins la porte sera toujours ouverte à la vertu pour les charges, de quelque condition qu'on soit. — Tous les juifs seront bannis du royaume, ou on ne chantera plus messe. — Plus d'étrangers pour faire la guerre, un Suisse dépense plus que six Français ; honte et dommage pour la France, qui a tant d'hommes et ne saurait se passer de ses voisins. Les financiers, gens d'Église et de chicane, contribueront tour achever le Louvre. — Les princes et seigneurs n'auront plus de pensions. — Aucun valet ne pourra quitter son maître sans billet, sous peine des galères. — Les charges de gouverneurs de provinces ou de villes ne seront plus héréditaires. — Les jésuites ne hanteront plus la cour et n'iront plus en carrosse. — Il n'y aura plus d'ambassadeurs ordinaires vers les étrangers, ni d'eux à nous, etc., etc. Cette pièce est adressée au Parlement de Paris, et aux députés assemblés à Ruel ; elle les presse de conclure la paix ; mais, précisément parce qu'elle frappe de tous côtés, elle ne peut convenir à personne, et semble plus capable de retarder que de hâter l'œuvre de la pacification.

Mais voilà qu'une nouvelle inattendue trancha la question en faveur du roi, à la grande stupéfaction de la résistance. On espérait tout du concours de Turenne ; l'armée de Turenne refusa de le suivre dans sa défection ; elle le laissa avec quelques hommes seulement, et courut se placer sous le commandement d'Erlach, Allemand au service de la France. Jamais peut-être un grand homme coupable n'avait reçu une leçon plus juste et plus opportune. Déconcerté, confus, Turenne, réfugié à Heilbronn, annonça son châtiment au prince de Condé, en le priant de solliciter sa grâce. On avait d'assez bonnes nouvelles de Normandie. Longueville, gêné par d'Harcourt, repoussé par quelques populations, ne pouvait s'établir à Quillebœuf, à Neubourg, à Pont-Audemer, ni inquiéter le roi à Saint-Germain. Mais les revers de Longueville n'avaient pas assez d'importance pour rassurer ou intimider personne. Le désarmement de Turenne était une solution tout autrement décisive. Les frondeurs le sentirent si bien, qu'ils firent de grands efforts pour cacher cette aventure à leurs partisans. En dépit de leur dissimulation, la vérité, bientôt connue, brisa toutes leurs oppositions à la paix.

Mazarin, qu'on avait exclu des conférences avec les magistrats, voyageait de Saint-Germain à Ruel, et de Ruel à Saint-Germain, pour guetter les avis des uns et des autres, pour saisir l'occasion. Il revint à Ruel plein d'espérance et de joie, et trouva ses adversaires moins déterminés contre lui. D'autre part, le duc d'Orléans décida Condé à faire quelques concessions, dans la crainte que les magistrats ne fussent tentés de se joindre à l'archiduc. Grâce à ces transactions, la paix fut convenue le 12 mars. Il n'était plus question de l'éloignement de Mazarin ; mais il était accordé une amnistie à tous les chefs du mouvement s'ils acceptaient le traité dans quatre jours. Interdiction pour toute l'année des assemblées du Parlement, et tenue d'un lit de justice à Saint-Germain pour la publication de la paix ; en retour, confirmation des déclarations antérieures, et principalement de celle du 24 octobre. Suppression des arrêts du Parlement, mais satisfaction aux parlements de Rouen et d'Aix par la révocation du semestre. Licenciement des gens de guerre levés par la Fronde, désarmement des Parisiens, restitution de la Bastille au roi, renvoi du député de l'archiduc sans réponse, faculté pour le roi d'emprunter au denier douze, etc. Évidemment, le roi avait la plus grosse part, et les courtisans pouvaient chanter ces vers composés et imprimés par Renaudot sous les yeux du jeune prince :

Embrassez-vous, Français ; Espagnols, à genoux

Pour recevoir la loi ; car la paix est chez nous.

Toutefois, ce nouvel échec ranima l'ardeur des oppositions. Il y eut celle des magistrats de Paris, qui avaient à ratifier l'œuvre de leurs commissaires. Il y eut surtout celle des généraux et seigneurs qui ne pardonnaient pas à la magistrature sa défection. Quand on sut que la paix était faite, sans que Mazarin fût exclu, la populace, aux ordres des frondeurs, exhala en menaces le mécontentement de ses chefs : Point de paix, point de Mazarin, il faut aller à Saint-Germain querir notre bon roi. Il faut jeter à la rivière tous les Mazarins. Quand le premier président lut aux chambres assemblées le traité de Ruel, plusieurs magistrats y demandèrent des modifications, l'éloignement du ministre, la continuation des assemblées, et la suppression du lit de justice de Saint-Germain. Les généraux plus furieux criaient à la trahison. Le peuple, autour du palais, faisait un bruit terrible, on envoyait chercher le bourreau pour brûler le traité, on menaçait de mort le premier président. Molé domina toutes ces fureurs de son impassibilité. Elle ne a parut jamais plus complète ni plus achevée qu'en ce rencontre, dit le cardinal de Retz. Il se voyait l'objet de la fureur et de l'exécration du peuple ; il le voyait armé ou plutôt hérissé de toutes sortes d'armes en résolution de l'assassiner ; il était persuadé que M. de Beaufort et moi avions ému la sédition avec la même intention. Je l'observai et je l'admirai. Je ne lui vis jamais un mouvement dans le visage, je ne dis pas qui marquât de la frayeur, mais qui ne marquât une fermeté inébranlable, et une présence d'esprit presque surnaturelle, qui est encore quelque chose de plus grand que la fermeté. Elle fut au point qu'il prit les voix avec la même liberté d'esprit qu'il avait dans les audiences ordinaires, et qu'il prononça du même ton et du même air l'arrêt qui portait que les députés retourneraient à Ruel. On lui proposait de sortir par les greffes pour éviter la multitude : La cour ne se cache jamais, répondit-il ; si j'étais assuré de périr, je ne commettrais pas cette lâcheté, qui de plus ne servirait qu'à donner de la hardiesse aux séditieux. Ils me trouveraient bien dans ma maison s'ils croyaient que je les eusse appréhendés ici. Il passa ferme et respecté à travers le danger. Seulement, derrière lui quelques voix crièrent : République[13].

Ce que l'énergie d'un homme avait commencé, la révélation des intentions véritables des frondeurs l'acheva. Les commissaires du Parlement devaient retourner à Ruel pour obtenir quelques modifications au traité ; les princes et les généraux, craignant de tout perdre si la magistrature s'accommodait définitivement avec le roi, s'empressèrent de rédiger leurs demandes personnelles, comme les seules conditions de leur traité particulier. Ils se portèrent par-là un coup irréparable. Ils demandaient toute la France, dit madame de Motteville ; leurs prétentions, dit Retz, furent d'un ridicule qu'on aurait peine à s'imaginer. C'est tout vous dire que le chevalier de Fruges en c eut de grandes, que la Boulaye en eut de considérables, et que le marquis d'Alluye en eut d'immenses. Le Premier Président tira un bon parti de cette maladresse. En publiant les réclamations des généraux, il faisait connaître pour ce qu'elle valait cette nouvelle ligue du bien public ; en les présentant avant celles du Parlement, il atténuait par la comparaison la résistance des magistrats, et inclinait la reine vers le parti qui devait coûter le moins cher à satisfaire.

Quel singulier spectacle, en effet, que celui de ces solliciteurs, princes et grands seigneurs, qui se ruent au pillage et à la vengeance, pour la seconde fois, comme après la mort de Louis XIII. Leur franchise va jusqu'au cynisme ; pas un mot pour le peuple, tout pour eux, pour leurs femmes, leurs enfants, leurs amis : des gouvernements, de l'argent, des titres. A Conti une place dans le conseil d'en haut et une ville forte en Champagne. A Marsillac le tabouret pour sa femme, pour lui-même 400.500 livres. A d'Elbeuf, les sommes qui regardent l'entretenement de madame sa femme, le gouvernement de Montreuil pour d'Harcourt son fils, 100.000 livres pour son autre fils Rieux, emploi dans la guerre pour Lillebonne son troisième fils. A Bouillon un dédommagement pour Sedan, et le gouvernement d'Auvergne. A Turenne le gouvernement de la haute et de la basse Alsace, et la propriété des domaines que le roi possède dans ladite Alsace. A la Trémouille le Roussillon, la seigneurie d'Amboise, le comté de Laval indépendant de la justice royale. A Beaufort et à Vendôme son père l'amirauté, le rétablissement de leurs pensions, le dédommagement de leurs châteaux rasés en Bretagne. Au maréchal de la Mothe cent mille livres d'un côté, cinq cent mille d'un autre, cent mille d'un troisième, total sept cent mille livres, sans compter le payement de ses pensions et appointements, et la restitution de son régiment de cavalerie. Au duc de Retz la restitution de sa charge de général des galères, ou le complément de la somme qui devait en être le prix. A Noirmoutiers, à Matha, à Cugnac, à Fruges, des pensions, des pensions. Au sévère duc de Luynes, l'arriéré de ses appointements de grand fauconnier, et 20.000 écus pour la perte de ses meubles et l'incendie de sa basse-cour de Lisigny ; le janséniste comptait juste ; il se faisait un égal scrupule de demander trop ou de ne pas demander assez. Le plus modeste semble être le comte de Maure ; il lui fallait le cordon bleu, la révision du procès de Marillac, et, en cas de justification de cette victime de Richelieu, le gouvernement de Verdun ou les 50.000 écus payés par le feu maréchal pour ladite charge[14].

Ils sentirent bien eux-mêmes qu'ils se perdaient par cette révélation ; pour en amortir l'effet, ils essayèrent d'une comédie dont personne ne fut dupe. Ils vinrent au parlement déclarer que, s'ils réclamaient des places et des grâces, ce n'était que pour leur sûreté et provisoirement, tant que Mazarin demeurerait en France, mais que, l'ennemi public une fois chassé, ils se contenteraient de la gloire d'avoir affranchi l'État. Ils insistèrent même pour que leur protestation fût gardée au greffe comme le témoignage authentique de leur désintéressement[15]. Mais à qui auraient-ils persuadé que ces privilèges, ces couronnes ducales, ces tabourets, ces survivances, ces charges, ces sommes immenses qu'ils avaient demandées, ces places d'assurance, ces révisions de procès, et toutes ces belles prétentions fussent autant de marques d'amour à l'endroit du peuple ?[16] C'était, un fait sur lequel les remontrances des royalistes, lancées dans le peuple, ne permettaient pas d'illusion. Aussi Beaufort était-il d'avis de ne compter que sur la force ; la confiance belliqueuse lui reprit. Puisque le Parlement abandonnait les généraux, il fallait chasser le Parlement, fermer les portes de Paris à ses députés déjà retournés à Ruel, occuper l'Hôtel-de-Ville, et faire avancer l'armée d'Espagne dans les faubourgs. Le Catholicon d'Espagne n'était pas, selon Retz, étranger à cet accès. Vingt mille écus comptant, et une pension de six mille, promis à madame de Montbazon par l'archiduc, avaient déterminé cette résolution du grand Beaufort[17]. Les imitateurs de Cinq-Mars ne voulurent pas en être dédits, ils firent entrer les Espagnols en France (22 mars). L'armée étrangère, commandée par Noirmoutiers et Fuensaldague, s'approcha de Guise, comptant sur des intelligences annoncées ; puis étonnée d'apercevoir, dans le commandant, des dispositions belliqueuses, elle n'osa pas même commencer un siège. Ce fut la fin des frondeurs ; ils avaient, à la fois, dénoncé l'impuissance de leurs alliés, et, par leur trahison ouverte, donné au Parlement un motif de plus pour les abandonner tout à fait.

D'abord les députés du Parlement, revenus à Ruel, avaient réclamé au nom de leurs confrères l'expulsion de Mazarin ; la compagnie elle-même, assemblée à Paris, renouvelait ses arrêts contre le ministre et mettait ses meubles à l'encan. Sur ce point il y avait accord entre le Parlement et les généraux. Avertis de l'inutilité de leurs efforts par le refus formel de la reine, et par les déclarations d'Orléans et de Condé, les députés insistèrent au moins sur les deux autres réclamations, le droit de tenir des assemblées jusqu'à la fin de 1649, et la suppression du lit de justice de Saint-Germain. Quand on apprit l'entrée des Espagnols, le murmure fut à peu près unanime parmi les magistrats, à Ruel et dans le Palais ; ils protestèrent contre Conti, la duchesse de Longueville, le coadjuteur, fauteurs perfides de la guerre étrangère ; sauf quelques emportés, ils se montrèrent de moins en moins hostiles à Mazarin ; le ministre, qu'ils consentaient à souffrir encore, laissa voir l'intention de leur accorder celles de leurs demandes qui ne le touchaient pas personnellement. Tout tendait à la paix définitive entre le Parlement et la royauté. Que pouvaient espérer lés généraux ? L'Espagne ne leur avait pas donné de secours efficace. Longueville était battu partout en Normandie. La Boulaye, après avoir soulevé le Maine, était désarmé par les troupes royales ; son vainqueur, animé de l'esprit de Condé[18], punissait la province de sa révolte par des violences et des extorsions qui en achevaient la ruine. Il devenait urgent pour les princes et seigneurs de traiter de leur côté. Ils le tentaient depuis le 16 mars, jour où ils avaient fait connaître leurs demandes ; ils s'y portèrent avec plus d'ardeur quand ils virent qu'avant peu ils ne compteraient plus pour rien ; ils agissaient par eux-mêmes, ou par députés à basse note, les uns pour les autres, les uns contre les autres ; ils obtinrent ou des concessions immédiates ou des promesses évasives ; publiant ou cachant leurs succès, selon qu'ils croyaient indifférent de braver l'opinion ou utile de la ménager pour la retrouver plus tard. Devant ces nécessités, ils promirent de ne plus s'opposer à la paix.

La reine accordait au Parlement les conditions déjà convenues le 12 mars ; elle consentait à en retrancher deux articles, celui qui interdisait les assemblées de la Compagnie en 1649, et celui qui prescrivait la tenue d'un lit de justice à Saint-Germain. La satisfaction des frondeurs fut moins explicite. On accordait à madame de Montbazon de l'argent et des abbayes, dans l'espoir qu'elle contiendrait le duc de Beaufort dans la docilité. On livrait de bons bois en Normandie au duc d'Elbeuf[19] pour rétablir ses affaires. On gratifiait Vitry d'un brevet de- duc. Mais, en général, les princes et seigneurs devaient se contenter pour le moment de promesses plutôt que d'effets immédiats. La lettre-patente qui les concernait laissait à la royauté le droit de prendre son temps. Voici quelques-uns de ces engagements élastiques. Sa Majesté, ayant toujours affectionné la maison de Vendôme, désire la favoriser en toutes les occasions qui se présenteront, et emploiera son autorité pour faire que les États de Bretagne exécutent ce qui a été promis pour le dédommagement de la démolition de ses châteaux.... Sa Majesté trouve très-juste la prière que fait le duc d'Elbeuf qu'on lui paie la somme due à sa femme, et elle y fera pourvoir à son contentement Sa Majesté fera en faveur des comtes d'Harcourt, de lieux et de Lillebonne, tout ce qui sera possible, et leur donnera les emplois que méritent leurs services. Le comte de Rieux surtout sera payé aussitôt que les affaires de Sa Majesté pourront le permettre.... On fera au duc de Bouillon un contrat de la valeur de sa principauté de Sedan, qu'il cède au roi.... Quand Sa Majesté mettra quelque armée en campagne, elle considérera le sieur maréchal de Turenne et le gratifiera, dans toutes les occasions qui se trouveront, de ce qui lui conviendra selon sa qualité.... Le maréchal de la Mothe-Houdancourt continuant à rendre des services à Sa Majesté, elle y fera toute la considération qui se doit, tant pour le passé que pour l'avenir, et lui répartira les grâces qu'il pourra mériter.

Le 1er avril, le Parlement assemblé entendit la lecture de la déclaration royale, qui acceptait et promulguait la paix de Ruel ; elle fut vérifiée et enregistrée par les magistrats. On entendit aussi la lettre-patente concernant les généraux et les princes ; mais on ne lui donna pas d'autre authenticité que cette lecture. Comme ceux-ci témoignaient quelque mécontentement du peu d'avantages obtenus par eux, la Compagnie les consola par une promesse dérisoire, accompagnée d'un avertissement bien capable de les porter à la paix. Elle arrêta qu'il serait fait instance pour les intérêts particuliers de tous les généraux, et qu'au surplus il serait donné ordre au licenciement des troupes. Quelques jours après, un arrêt en forme portait injonction à tous les sujets du roi d'obéir à la déclaration, et aux troupes étant dans l'Anjou et autres lieux de poser les armes, avec défense de commettre aucune hostilité, sous peine d'être déclarés perturbateurs du repos public. Le peuple, et en particulier celui de Paris, était le seul des combattants qui ne gagnât rien aux stipulations du traité. Le Parlement, pour ne pas laisser les Parisiens étrangers à la joie de la pacification, rendit plusieurs arrêts, qui déchargeaient les locataires et sous-locataires, des maisons de Paris et des faubourgs, du loyer de Pâques ; petit attentat à la propriété, très-populaire dans tous les temps, mais qui n'en est pas moins un acte de despotisme, le sacrifice de la justice à la bienfaisance, et l'approbation de la jalousie du pauvre contre le riche. Mais le peuple a toujours eu les mêmes passions, et les pouvoirs qui ont voulu le flatter n'ont fait que se transmettre les mêmes moyens.

 

 

 



[1] Diræ in Angliam ob patratum scelus.

Exhortations de la Pucelle d'Orléans, à tous les princes de la terre, de faire une paix générale tous ensemble, pour venger la mort du roi d'Angleterre par une guerre toute particulière (1649).

Intérêts et motifs des princes chrétiens pour rétablir le roi de la Grande-Bretagne :

Cette convocation d'Etats a été établie par des rois ambitieux et avides du sang de leurs peuples, parce que c'était un moyen d'opprimer leurs sujets sans être chargés de leurs plaintes, ni perdre leurs affections.

Il s'est rencontré d'assez méchants esprits pour tirer des conséquences de l'insolence et de la barbarie des Anglais, en des termes capables d'animer une populace déjà altérée et aigrie par l'abstinence et par les veilles.

[2] Ode sur don Joseph de Illescas, prétendu envoyé de l'archiduc Léopold.

[3] Le Bandeau tiré de dessus les yeux des Parisiens, pour bien juger des mouvements présents et de la partie qu'eux et tous les bons Français y doivent tenir (Saint-germain, 27 février 1649).

[4] Relation officielle du 3 mars. — Lettre de Bussy-Rabutin à madame de Sévigné.

[5] Mémoires de Montglat.

[6] Arrêt du 11 mars.

[7] Mémoires de Montglat.

[8] Mémoires de Retz.

[9] Omer Talon.

[10] Harangue du député de la ville de Lyon à nos seigneurs du Parlement et à messieurs les prévôts des marchands et échevins de la ville de Paris, 1649. — L'indication du jour manque ; mais la pièce est antérieure à la paix de Ruel.

[11] Mémoires de Retz. — Texte de l'arrêt du 8 mars.

[12] Déjà, en janvier, le pamphlet : STOMACHATIO BONI POPULARIS, écrit en latin pour ne pas s'adresser plebeculœ, avait dit : Solum Christum sic decebat loqui : Non vos elegistis me, sed ego elegi vos. — Reges cœteros populi elegerunt. Que faut-il faire aux rois qui oppriment leur peuple ? Petite ista a theologis et politicis superiorum temorum. Revocate in mentem Dei ultoris judicia lui aufert spiritum principum, balteum regum dissolvit, et prœcingit fune renes eorum.

L'auteur, cependant, concluait qu'il ne fallait pas imiter Londres ni Naples, mais simplement expulser Mazarin.

[13] Mémoires de Retz. — Motteville.

[14] Motteville.

[15] Retz. — Motteville.

[16] Remontrance au peuple par L. S. D. N. L. S. C. E. T.

[17] Mémoires de Retz.

[18] Mémoires d'Omer Talon.

[19] Mémoires de Montglat.