II. — Conditions de la paix. - Défection de la Hollande ; satisfactions données à la France et à ses alliés. - Efforts de la France pour conserver les principautés ecclésiastiques. - Abaissement de la puissance impériale par les droits accordés aux États de l'Empire. On répète, comme un axiome, que la France a faite la loi au congrès de Westphalie. On l'affirme plutôt qu'on ne le prouve. Pour l'affirmer à notre tour, mais avec la preuve nécessaire, nous reprendrons quelques faits déjà cités ; nous y ajouterons ceux qui les complètent et en fixent le sens. Cet exposé établira que, tout en faisant quelquefois des concessions inévitables dans une dispute si longue et si acharnée, la politique française domina, dirigea tous les intérêts, et que les deux traités de Munster et d'Osnabrück, furent la notification de la supériorité de la France. Ce débat européen, cette complication inextricable d'exigences de toute sorte, se réduisait pourtant à quatre questions principales : 1° Les conditions de la paix entre la France et la maison d'Autriche ; 2° Les satisfactions réclamées par les alliés de la France, princes allemands ou étrangers ; 3° Le règlement de l'état de la religion en Allemagne, tolérance et propriété des biens ecclésiastiques ; 4° Le remaniement de la constitution de l'Empire, au détriment de l'unité, au profit des souverainetés territoriales. Les deux premiers points étaient la cause même de la France. Elle avait à les traiter directement pour son accroissement et l'honneur de son alliance. Elle n'intervenait qu'indirectement dans le troisième, autant que la satisfaction de ses alliés pouvait se confondre avec la question religieuse. Elle semblait absolument étrangère au quatrième, véritable querelle de famille ; mais au fond il n'était pas indifférent à ses projets de prépondérance d'affaiblir l'Empire par le morcellement, et de substituer à l'unité d'action et de volonté les tendances diverses, hostiles, isolées, impuissantes, de tant d'indépendances locales. Elle embrassa donc l'ensemble de toutes ces questions, prit en main toutes les causes, et laissa partout des traces visibles de ses desseins et de sa considération. La lutte avec la maison d'Autriche était double. Pour y mettre fin, il fallait s'entendre avec l'Espagne et avec l'empereur ; le consentement de l'un paraissait indispensable au consentement de l'autre ; aussi les Français avaient toujours travaillé à faire avancer de concert les deux traités. L'Espagne empêcha l'accord ; elle crut que l'empereur ne traiterait pas sans elle, et ; pour ne pas traiter, elle réussit à se réconcilier avec la Hollande. Au moment où les conditions de la France étaient acceptées par l'empereur, où, par des concessions raisonnables Mazarin enlevait aux Espagnols tout prétexte de reculer encore, l'Espagne, alléguant les droits de la Lorraine, accusa les Français de ne pas vouloir la paix ; les Provinces-Unies saisirent cette excuse apparente pour faire défection, et conclurent avec Philippe IV leur paix particulière. Le 30 janvier 1648, l'indépendance de la Hollande fut reconnue par le roi d'Espagne ; les États généraux obtinrent l'abandon de toutes les villes qu'ils occupaient hors de leur territoire primitif, en Brabant et dans le Limbourg, y compris Maëstricht, ainsi que des colonies qu'ils avaient acquises en Asie et en Amérique. Par un article plus lucratif encore, l'Escaut fermé désormais leur livrait le monopole du commerce, ruinait Anvers et les grandes villes des Pays-Bas espagnols. A ce prix, ils devaient cesser de seconder la France dans la guerre avec l'Espagne. Ainsi fut constituée, par le consentement de ses anciens maîtres, la nation de Hollande, destinée à prendre rang immédiatement parmi les grandes puissances, à être, jusqu'à la fin du règne de Louis XIV, le lieu de ralliement de tous les ennemis de la France, le centre des négociations, le point de départ des guerres européennes ; petit peuple, peu guerrier, mais avantageusement placé pour recevoir des renforts de toutes parts ; enrichi par le succès d'un commerce actif, insatiable, sans scrupule ; et animé de renie et de la haine de ses chefs pour la nation qu'il avait appris à craindre en profitant de sa protection. Les services de Henri IV et de Richelieu s'effacèrent de la mémoire des Hollandais, dès qu'ils se crurent en état de se passer de tutelle ; loin d'engager leur avenir par la reconnaissance, ils ne s'inquiétèrent même pas de payer leurs dettes avant de se retourner contre leurs anciens bienfaiteurs. Après cela, on peut dire que la rancune de Louis XIV avait le droit de remonter plus haut que la triple alliance de 1667. Mais ce fut le seul succès de l'Espagne, le seul échec sérieux de la diplomatie française. Mazarin l'avait prévu, et n'en ressentait pas une grande émotion. Servien exprimait vraiment la pensée du ministre quand il disait à ses collègues : Si nous perdons messieurs les États, nous aurons deux autres alliés à leur place, le roi de Portugal et la république de Naples, et il vaut, mieux continuer la guerre sans les États, que de restituer la Lorraine. Il avait raison. Quoique la république de Naples ne fût qu'un feu de paille, la bataille de Zumarshausen, et surtout celle de Lens, rendit vaine toute l'opposition des Espagnols. Ils refusaient de rien conclure avec la France ; ils agissaient à la fois à Munster et à Osnabrück pour arrêter la signature de l'empereur ; mais ce prince subissait maintenant une pression plui forte que celle de sa famille. Déjà, les députés des États allemands, consultés furtivement par l'Autriche, avaient, à son grand dépit, déclaré qu'il était juste d'accorder une satisfaction à la France, et c'était par suite de cette démonstration, que l'empereur avait successivement consenti à promettre, pièce à pièce, la frontière du Rhin[1]. Après avoir cédé aux alliés nouveaux que la France s'était acquis dans l'empire, Ferdinand III pouvait encore moins résister à la puissance de ses armes ; l'obstination du vaincu ne servait qu'à mieux révéler, par sa pénurie, la nécessité de ne plus combattre. Aussi le traité de Munster donna tort aux espagnols en dirigeant contre eux ses premières stipulations. Après la proclamation de la paix entre l'empire et l'empereur d'une part, et le roi très-chrétien de l'autre, il y est dit que ni l'empereur, ni aucun prince de l'empire ne pourra assister les Espagnols dans les guerres qu'ils font présentement ou qu'ils pourront faire à l'avenir, contre la France, dans le cercle de Bourgogne, c'est-à-dire les Pays-Bas et la Franche-Comté. Ainsi la branche allemande de la maison d'Autriche abandonne pour la première fois la branche espagnole, et lui laisse le soin de défendre seule son patrimoine. L'article de la Lorraine suit immédiatement et n'est pas moins explicite. Le différend touchant la Lorraine sera soumis à des arbitres, ou se terminera par un traité entre la France et l'Espagne, ou par quelque voie amiable ; il sera libre à l'empereur et aux princes d'empire d'aider et d'avancer cet accord par une amiable interposition et autres offices pacifiques, mais non pas d'user de la force des armes ou d'autres moyens de guerre. Ainsi l'allié si cher aux Espagnols est vraiment abandonné des Allemands, et, quoique prince de l'empire, il perd l'espoir d'être défendu par leurs armes. Si l'Espagne ne parvient, pas toute seule à le rétablir, il demeurera à la merci de la France. L'Espagne est également isolée en Italie. Le dernier
paragraphe du traité de Munster, obtenu au dernier moment par la fermeté de
Servien, promet l'impunité aux ducs de Savoie et de Modène pour la guerre qu'ils ont faite ou font encore en Italie
avec le Roi très-chrétien[2]. Les Espagnols
auraient voulu placer leur duché de Milan, comme fief impérial, sous la
protection de l'empire. Servien représenta que si la France avait commencé la
guerre pour les persécutions faites au duc de Mantoue, elle ne souffrirait
jamais qu'on inquiétât le duc de Modène. Il fit comprendre aux Allemands
qu'ils étaient intéressés à ne pas laisser écraser ce duc de Modène, prince
d'empire comme eux, pour le contentement des Espagnols. Les députés des États
allemands déclarèrent que si l'empereur ne donnait pas les sûretés demandées,
ils les donneraient eux-mêmes[3]. L'empereur céda
malgré l'Espagne. Les Espagnols une fois écartés, la France règle en vainqueur ses intérêts avec l'empereur et l'empire. Elle abandonne ce qu'il n'est pas raisonnable de garder ; elle restitue ce qui excède ses frontières naturelles, les villes forestières, le Brisgaw, l'Ortenaw, ses conquêtes provisoires au delà du Rhin, dans la Souabe ; mais elle retient tout ce qui confirme ses acquisitions antérieures, tout ce qui arrondit son territoire, tout ce qui lui assure la rive du Rhin et le libre passage de ce fleuve. L'empereur, depuis cent ans, s'obstinait à contester à la France la possession des trois évêchés de Lorraine, conquis par Henri II ; le traité de Munster reconnaît à la France les droits de souveraineté et tous autres, perpétuellement et irrévocablement, sur ces évêchés, les villes du même nom, sur leur territoire, nommément sur Moyenvic. L'empire, par une vieille habitude, se disait encore suzerain du Piémont, où la France avait acquis Pignerol ; l'empereur et l'empire abandonnent au roi très-chrétien tous les droits qui peuvent leur appartenir sur cette ville. La maison d'Autriche possédait, sur la rive gauche du Rhin, les landgraviats de la haute et de la basse Alsace ; l'empire tenait le Suntgaw au sud de ces landgraviats, la préfecture de Haguenau, comprenant dix villes impériales, entre autres Colmar et Weissembourg. Les deux landgraviats, le Suntgaw, la préfecture de Haguenau, sont incorporés à la couronne de France avec toute sorte de juridiction et de souveraineté, sans que l'empereur, l'empire, la maison d'Autriche, ni aucun autre, y puissent prétendre aucune contradiction ni jamais usurper ni même prétendre aucun droit ni puissance sur lesdits pays. Sur la rive droite du Rhin, la France avait occupé Brisach, la dominatrice du Rhin, la clef de l'Alsace, la forteresse de prédilection, l'objet des opiniâtres efforts de l'empereur[4]. Elle ne voulait pas s'en dessaisir ; l'empereur abandonne à la couronne de France la ville de Brisach avec quatre villages appartenant à la communauté de la ville, avec tout le territoire et la banlieue, selon son ancienne étendue. Mais la liberté de passer le Rhin sur un point ne suffit pas. La France a fait restituer à l'électeur de Trèves, évêque de Spire, la souveraineté de Philipsbourg ; elle veut se maintenir dans ce poste, autant pour observer ses ennemis que pour protéger son allié. Le traité lui reconnaît le droit de tenir garnison dans Philipsbourg, et lui donne de ce côté le libre passage par terre et par eau dans l'empire, toutes les fois qu'il sera besoin d'y conduire des soldats, des munitions et autres choses nécessaires. Enfin, il importe qu'entre les deux garnisons de Brisach et de Philipsbourg, le Rhin ne puisse jamais être coupé, et que l'Allemagne reste ouverte pendant qu'en face d'elle la France se couvre de remparts. Le traité défend d'élever aucun fort sur les bords du Rhin en deçà (rive droite), depuis Bâle jusqu'à Philipsbourg, de détourner ou empêcher, en aucune façon, le cours de la rivière d'un côté ni de l'autre. Le Rhin devient un fleuve français. En présence de pareilles conditions, la France pouvait ne pas réclamer encore la ville de Strasbourg, et se contenter du libre passage de ses troupes dans la ville de Saverne, déclarée neutre et démantelée. Elle ne devait pas trouver trop élevée l'indemnité de trois millions, réclamée d'elle au profit de l'archiduc qui perdait l'Alsace. Elle n'avait pas à. s'inquiéter d'une réserve vague, incompréhensible, insérée à la suite de toutes ces concessions, pour garder aux territoires abandonnés une apparence de relation avec l'empire[5]. Elle triomphait, à la face de l'Europe, de sa vieille rivale ; elle forçait le vaincu à signer sa supériorité. Brisach est à nous, Brisach est à nous, disait Richelieu à l'oreille du père Joseph, pour réconforter la faiblesse du moribond par la joie d'un grand succès. Qu'aurait-il dit, à Munster, s'il avait vu la dernière consécration de cette conquête, l'Alsace, avec Brisach, reconnue province française, l'empire acceptant la surveillance du conquérant, l'Autriche réduite à passer par les conditions qu'elle avait jadis imposées à tant de rois. Elle, qui avait composé sa puissance des dépouilles de ses rivaux, usurpé en Italie les droits des princes français, amoindri-le territoire du captif de Madrid, elle était contrainte à son tour à perdre son patrimoine, à livrer à l'étranger les domaines primitifs de sa race, le berceau de Rodolphe de Habsbourg. La prépondérance passait manifestement de la famille de Charles-Quint à l'héritier de François Ier, et l'humiliation de l'Espagne, ajournée mais inévitable, allait bientôt compléter cette révolution dans les grandeurs souveraines. L'Autriche, en garda un profond ressentiment ; elle ne pardonna jamais à la majesté nouvelle qui osait éclipser la sienne. L'antipathie de l'empereur Léopold pour Louis XIV, son cousin et son beau-frère, n'aura pas d'autre origine ni de plus vive excitation que la conscience de cet abaissement. La supériorité de la France n'apparaissait pas moins dans le règlement des satisfactions accordées à ses alliés et aux princes allemands. Ici elle se montrait médiatrice entre ses amis et ses ennemis, vigilante à ne pas trop élever les uns, à ne pas trop abaisser les autres, fidèle à ses engagements les plus anciens, aux intérêts les plus humbles, aussi ferme à protéger les petits princes d'Italie que les électeurs de l'empire, à faire restituer des biens-meubles confisqués qu'à distribuer la souveraineté des provinces. Avec l'aide de la France, qui en avait fait une condition formelle, la Suède obtient un établissement en Allemagne : la Poméranie citérieure, avec l'île de Rugen, quelques villes de l'ultérieure, la ville et le port de Wismar, l'archevêché de Brême et l'évêché de Verden ; le droit d'envoyer des députés à la diète, enfin, une somme de cinq millions de rixdales pour le payement de sa milice. Mais les Suédois, non contents de devenir puissance continentale, de dominer sur les deux bords de la Baltique, auraient voulu les deux Poméranies, vingt millions d'indemnité, et entre autres terres ecclésiastiques l'évêché d'Osnabrück, conquis par leurs armes. La France contient cette ambition, les oblige à quitter Osnabrück, à laisser la Poméranie ultérieure à l'électeur de Brandebourg, et pour dédommager ce prince de la Poméranie citérieure, elle lui fait céder, faute de la Silésie, l'archevêché de Magdebourg, les évêchés de Minden, d'Halberstadt et de Camin, déjà occupés, en grande partie, par les protestants. La France, de. concert avec les Suédois, fait rétablir le comte palatin Charles-Louis dans le Palatinat. Il le fallait pour l'honneur des engagements pris envers, la cause générale des princes, pour dépouiller les Espagnols de ce qu'ils avaient acquis dans cette contrée, pour relever une barrière contre la maison d'Autriche. On le pouvait d'ailleurs sans craindre désormais les intelligences des calvinistes du Palatinat avec les calvinistes de France, devenus incapables de former un parti. Mais le rétablissement complet du palatin eût été trop agréable à la Suède, trop préjudiciable au duc de Bavière, le chef sincère des catholiques allemands que Richelieu et Mazarin n'avaient combattu qu'à contrecœur. La France avait eu, dès l'ouverture des négociations, la pensée de conserver au Bavarois tous les avantages et honneurs que lui avait livrés la ruine du palatin Frédéric V[6]. Rien n'avait pu la détourner de ce projet, ni la fidélité du Bavarois à l'Autriche, ni son infidélité au traité d'Ulm, ni l'opposition entêtée des Suédois[7]. Même après la dernière victoire remportée sur lui (Zumarshausen), la France fait prévaloir le système qu'elle a la première proposé. Les deux traités de Munster et d'Osnabrück rendent au palatin le bas Palatinat, et la dignité électorale, mais au huitième rang. Le Bavarois, qui n'a rien perdu de ses domaines primitifs, conserve le haut Palatinat et la dignité de premier électeur. En 1645, la France et la Suède, chacune dans ses propositions particulières, avaient réclamé une satisfaction pour le landgrave de Hesse, en te nommant Seul entre leurs alliés. Ce prince avait contre lui les Impériaux, le landgrave de Darmstadt, l'électeur de Saxe, qui lui faisait concurrence personnelle. Il avait aussi l'exagération de ses propres demandes au détriment des évêchés et des abbayes du voisinage, qui déplaisaient naturellement au comte d'Avaux[8]. La France, en les réduisant à une mesure convenable, lui obtient un agrandissement de territoire, l'abbaye de Hirschfeld en particulier, et des indemnités pécuniaires garanties par le droit de tenir garnison dans les villes de ses débiteurs jusqu'au payement. En retour, il est tenu de rendre les provinces et évêchés, avec leurs villes, bailliages, forteresses, biens immeubles, acquis par lui pendant la guerre[9]. C'est aussi à la France que le margrave Frédéric de Bade, la maison de Wirtemberg, et un grand nombre de petits princes, doivent le succès de leurs réclamations. Elle n'est pas étrangère à l'article des deux traités qui déclare les cantons suisses, ses vieux alliés, en possession d'une quasi-pleine liberté et exemption de l'empire, avec affranchissement des tribunaux et jugements du même empire. Elle exige que les biens-meubles de l'archevêque de Trèves, transportés dans le Luxembourg, par suite d'une saisie impériale, soient relâchés et rendus avec les fruits séquestrés, et que si, par hasard, quelque chose en avait été détournée, elle soit rapportée .et pleinement restituée[10]. Enfin, revenant au point de départ de sa lutte contre Ferdinand II, elle fait renouveler le traité de Chérasque de 1631, en faveur des ducs de Savoie et de Mantoue, et assure au dernier, par l'investiture impériale, la possession de Reggiolo et de Luzzara au détriment du duc de Guastalla[11]. Assurément tous ces avantages n'avaient pas été enlevés d'autorité ni d'un seul coup. Il y eut bien des résistances, des protestations, des tentatives pour échapper à cette domination. On divisait, on semait les soupçons et la défiance, on courait d'une assemblée à l'autre, on réclamait le droit de réserver aux Allemands seuls la solution des affaires d'Allemagne. On croyait par moment avoir réduit les Français à l'impuissance en les isolant ; eux-mêmes étaient quelquefois effrayés de la grandeur des obstacles, et incertains du succès. Mais presque toujours il fallait en revenir à ce qu'ils avaient proposé ou se contenter de ce qu'ils concédaient ; leur position d'ennemis se changeait en office de médiateurs. Le comte d'Avaux le constatait après les conférences d'Osnabrück, qui avaient déterminé en grande partie les arrangements réciproques des Suédois et des princes de l'empire : En tout cela, dit-il, la France a eu très-grande part, les affaires ayant passé par les mains de ceux qui ont l'honneur de servir Leurs Majestés en cette assemblée, et certainement on attribue à la reine toute la gloire du progrès que l'on voit au traité de paix. Les États de l'empire protestants nous en ont remercié solennellement, et témoigné qu'ils en avaient grande obligation à Sa Majesté ; et les catholiques y sont venus aussi par une grande députation du collège électoral, de celui des princes et des villes : les uns et les autres disant ouvertement que, à moins de l'autorité de la France, ils ne pouvaient espérer ce qu'ils voient, et qu'un mois auparavant il n'y avait rien de si froid et de si languissant que le traité de la paix..... Il fait bon voir à présent comme chacun se remue pour son intérêt, comme les heures sont chères, et comme toute la ville est pleine de monde[12]. Ce mémoire est un des meilleurs titres de la diplomatie française dans les affaires politiques du siècle. L'intervention de cette diplomatie dans les intérêts religieux, sans être aussi décisive, n'en arrive pas moins à un succès estimable. Les griefs de La religion, comme on disait alors, semblaient être un débat intérieur, particulier aux seuls Allemands, dont les ennemis et les alliés du dehors n'avaient pas à s'occuper. La France n'était pas fâchée de le dire, pour se débarrasser de l'obligation d'appuyer ses alliés protestants dans leurs exigences luthériennes ou calvinistes. Les Impériaux, d'autre part, voyaient dans cette exclusion une manœuvre avantageuse pour eux-mêmes ; en satisfaisant, pour ainsi dire, à huis-clos les princes d'empire dans leurs intérêts personnels, on les détachait du parti des étrangers, dont le secours leur devenait moins utile. Mais, au fond, la France ne prétendait pas rester indifférente au sort de l'Église catholique même en Allemagne ; les Suédois, en se portant partout comme les défenseurs des protestants, lui rendaient le droit et l'obligation d'intervenir. Aussi, quoiqu'elle négociât surtout à Munster, elle se montrait souvent à Osnabrück, parce que c'était dans cette ville qu'on affectait de traiter la cause de la religion et les détails de l'administration de l'empire. Sa froideur entrava constamment les Suédois ; sa médiation valut aux catholiques allemands plusieurs avantages qu'ils ont eux-mêmes reconnus à la fin. Le traité d'Osnabrück proclame la liberté de conscience pour les calvinistes aussi bien que pour les luthériens. Dans les pays où les religions sont mêlées, il ordonne aux autorités catholiques de tolérer patiemment les réformés, aux autorités protestantes de tolérer patiemment les catholiques. Les sujets, de quel. que religion qu'ils soient, ne doivent être en aucun lieu méprisés à cause de leur religion, ni exclus de la communauté des marchands, des artisans et des tribus, non plus que des successions, legs, hôpitaux, léproseries, aumônes, et autres droits ou commerces. Cependant, le droit de réformer n'est pas aboli ; c'était le pouvoir laissé à chaque prince, par la paix de 1555, de ne pas souffrir chez lui de religion contraire à la sienne, et de forcer les dissidents à émigrer, après con délai convenable. Ce droit est maintenu contre toms ceux qui, après la paix, changeraient de religion ; le prince, s'il ne veut pas les tolérer, leur accordera cinq ans pour se disposer au départ. Les protestants, en gardant pour eux cette faculté, auraient voulu l'enlever à la maison d'Autriche dans ses États héréditaires. L'Autriche résista, avec menace de rompre toute la négociation. La France, par l'organe du comte d'Aveux, la seconda si bien que les Suédois durent se désister[13]. Le traité d'Osnabrück fixe l'an 1624 pour l'année décrétoire de l'état de la religion, et de la propriété des biens d'Aise. Le culte doit être rétabli partout dans l'état où il était au 1er janvier de cette année ; les biens ecclésiastiques doivent être rendus à ceux qui les possédaient en ce moment. C'est encore à la France que cette décision peut être rapportée. Les Suédois demandaient l'an 1618, afin d'anéantir tout ce que Ferdinand II avait pu prononcer contre les partisans du palatin Frédéric. La France les déconcerta en leur représentant que la bienséance ne lui permettait pas de favoriser la propagation de la religion protestante, ensuite que ses traités particuliers avec la Suède portaient expressément que la religion demeurerait au même état qu'elle était lorsque les deux couronnes avaient commencé la guerre. Les Suédois se promirent de passer outre : Ces messieurs les Français, disait Oxenstiern, sont circonspects ; eh bien, nous romprons la glace, nous autres Suédois[14]. Mais, si ardente que fût leur confiance en eux-mêmes, ils perdaient an moins la moitié de leurs forces, quand ils agissaient sans leur grand allié. Entre le terme réclamé par eux, et celui que la France indiquait, le congrès choisit à peu près le milieu, et le châtiment infligé aux violences des Bohémiens par l'empereur ne fut pas révoque. Dans cette nécessité de satisfaire les réclamations des vainqueurs,. et de ne pas dépouiller tout à fait les vaincus, dans ce remaniement de territoires décoré du nom de compensations, il était bien difficile qu'une partie au moins des principautés ecclésiastiques ne fût pas sacrifiée. Elles avaient été le but de tant de convoitises, le motif de tant d'abjurations ! Elles n'avaient pas, d'ailleurs, de dynasties pour les défendre comme un patrimoine, de collatéraux intéressés à se garder la perspective de l'héritage. Nous avons déjà dénoncé la facilité de l'Autriche à les laisser prendre, pour conserver elle-même l'intégrité de ses domaines. Le traité d'Osnabrück livre, en effet, des évêchés, des abbayes, en toute souveraineté, à des princes protestants, spécifiant que la religion n'y sera pas changée, mais abandonnant les revenus ecclésiastiques au nouveau seigneur avec toutes les juridictions temporelles. La France cependant met un frein à cet envahissement. Elle ne fait pas trop de difficulté pour abandonner aux réformés les biens d'Église qui sont déjà entre leurs mains, et que le terme de l'année décrétoire leur confirme, tels que Magdebourg, Halberstadt ou Brême ; elle ne voit pas une perte sensible à les laisser passer de la Suède au Brandebourg, ou du Danemark à la Suède. Mais elle obtient des restitutions importantes, elle prévient des sécularisations que ses alliés attendaient de son concours. Elle fait rendre Osnabrück à l'évêque catholique, quoique les Suédois, après l'avoir conquis, l'eussent livré à un bâtard de Gustave-Adolphe. S'il faut consentir, par un arrangement princier, pour dédommager la maison de Lunebourg de la perte de Wismar, à ce que l'évêché d'Osnabrück soit occupé alternativement par un catholique et par un luthérien, elle fait régler que, pendant la durée de l'épiscopat luthérien, les affaires de la religion seront administrées par l'archevêque de Cologne. Le landgrave de Hesse voulait s'agrandir aux dépens des archevêchés de Mayence et de Cologne, de l'évêché de Paderborn et de l'abbaye de Fulde. La France, par un article inséré dans les deux traités, l'oblige, au contraire, à rendre tout ce qu'il a occupé de territoire dans ces principautés, y compris les provisions de guerre et de bouche qu'il y a trouvées ; il aura une indemnité de guerre pour le dédommager de ces restitutions ; il tiendra garnison dans trois villes jusqu'au payement de l'indemnité, mais, la paix une fois conclue, il rendra tout le reste même avant le payement. Cette fermeté honore en particulier le comte d'Aveux, qui, dans ces questions, allait plus vite que Mazarin, et se plaignait quelquefois de l'indifférence du ministre à cet égard. Elle le désigna à la haine de ses adversaires, jusqu'à ce point qu'on l'avertit un jour que sa vie n'était pas en sûreté à Osnabrück. Aussi les catholiques d'Allemagne finirent par apprécier les services que la France leur rendait. Les députés de Bavière avouaient que, si Trautmansdorff avait voulu mieux profiter des dispositions de la France, il aurait conservé à l'Église la plupart des biens qu'elle perdit, et que ce qu'on en avait sauvé était dû au zèle des Français[15]. Enfin, pour ce qui concerne le quatrième point des négociations, la France laisse aux États allemands, dans le règlement de leur gouvernement intérieur, le gage d'une limitation rigoureuse de la puissance impériale, et de leur propre indépendance. C'était elle qui avait appelé les États au congrès, et elle avait aussitôt réclamé pour eux leur rétablissement dans leurs anciens droits, prérogatives, libertés et privilèges, le droit de suffrage dans toutes les affaires, le droit de s'allier entre eux et avec l'étranger. Le texte des deux traités n'est pour ainsi dire que la copie des propositions françaises de 1645 : Que tous et chacun des électeurs, princes et États de l'empire romain, soient tellement établis et confirmés en leurs anciens droits, prérogatives, libertés, privilèges, libre exercice du droit territorial tant au spirituel qu'au temporel, seigneuries, droits régaliens... qu'ils ne puissent jamais y être troublés de fait par qui que ce soit, sous aucun prétexte que ce puisse être... — qu'ils jouissent sans contradiction du droit de suffrage dans toutes les délibérations touchant les affaires de l'empire, surtout où il s'agira de faire ou interpréter des lois, résoudre une guerre, imposer un tribut, ordonner des levées et logements de soldats, construire au nom du public des forteresses nouvelles dans les terres des États, ou renforcer les anciennes de garnisons, et où aussi il faudra faire une paix et des alliances, et traiter d'autres semblables affaires ; qu'aucune de ces choses ou de semblables ne soit faite ou reçue ci-après sans l'avis et le consentement d'une assemblée libre de tous les États de l'empire... que surtout chacun des États de l'empire jouisse librement et à perpétuité du droit de faire entre eux et avec les étrangers des alliances pour la conservation et sûreté d'un chacun, pourvu néanmoins que ces sortes d'alliances ne soient ni contre l'empereur et l'empire, ni contre la paix publique, ni principalement contre cette transaction. Un article spécial étend ces droits aux villes libres, et spécifie pour elles les libertés, privilèges de confisquer, de lever des impôts, entière juridiction dans l'enclos de leurs murailles et dans leur territoire, etc., etc. La France avait essayé de pousser l'Autriche encore plus loin ; elle avait insisté sur la nécessité d'observer à l'avenir, dans l'élection des empereurs, les formes prescrites par la Bulle d'or, les actes et capitulations résolues pour ce sujet ; elle insistait, enfin, pour qu'on ne procédât plus à l'élection du roi des Romains du vivant de l'empereur, parce que c'était le moyen de perpétuer la dignité impériale dans une seule famille. Quoique les traités ne donnent pas ici une satisfaction complète et immédiate, ils font voir que l'Autriche ne se sent pas assez forte pour rejeter la réclamation, puisqu'elle l'ajourne. L'empereur assemblera une diète dans les six mois à partir de la ratification de la paix ; cette diète corrigera les défauts des précédentes assemblées, ordonnera de l'élection des rois des Romains, rédigera en termes désormais immuables la capitulation impériale, fixera l'ordre à observer pour mettre un ou plusieurs États au ban de l'empire, et traitera du renouvellement des cercles, de la réformation de la police et de la justice, du vrai devoir des directeurs dans les collèges de l'empire. Ce n'est plus qu'une affaire de temps, le résultat est immanquable. Ce programme sera exécuté en grande partie du vivant même de Ferdinand III, et la France, qui l'a donné, en recueillera l'avantage, qu'elle en espérait, d'achever la dissolution de la puissance impériale d'Occident. Telle est, en effet, dans l'ordre politique, la conclusion de la guerre de Trente Ans et de la paix de Westphalie. L'Allemagne, divisée en trois cent soixante États, ne fait plus corps ; l'empereur n'est plus qu'un grand nom, et son autorité un souvenir suspect. La supériorité territoriale reconnue à chacun des États les arme de défiance contre le rétablissement de l'unité, et le concours utile de la France les incline à mériter sa protection par leurs services. Dans les luttes qu'elle aura encore à soutenir contre l'Autriche, la France pourra compter sur l'assistance de l'Allemagne. Heureux Louis XIV s'il avait su ménager cette situation, si le sentiment de sa force ne lui avait pas donné la tentation d'abuser, et s'il n'eût pas réduit ces auxiliaires à chercher, dans un retour à l'union, le moyen de résister au nouveau dominateur du monde. Le 24 octobre 1648, la plupart des plénipotentiaires des deux villes étaient réunis à Munster ; les Français et les Suédois se rendirent chez les Impériaux, et signèrent les deux traités. Les Impériaux à leur tour vinrent les signer chez les Français et les Suédois. Ensuite, les secrétaires d'ambassade les portèrent à la signature de tous les députés assemblés. A cette nouvelle, la ville retentit de cris de joie et du bruit du canon pendant une heure. Le lendemain, au son des timbales et des trompettes, et des salves de mousqueterie, le secrétaire de la ville publia partout le rétablissement de la paix. Les mêmes démonstrations eurent lieu à Osnabrück. Quoiqu'on prévît bien que les ratifications se feraient attendre, que le désarmement et le licenciement des troupes seraient soumis à de longues formalités, la certitude de la fin de la guerre donna cours à des réjouissances sans mélange. |
[1] Mémoire des plénipotentiaires, 17 mars 1646.
[2] Pour cet article et les précédents, voir le texte du traité.
[3] Mémoire de Servien, 20 octobre 1648.
[4] Schiller, Guerre de Trente Ans, liv. V.
[5] Voici cet article : Que le roi très-chrétien soit tenu de laisser non-seulement les évêques de Strasbourg et de Bâle et la ville de Strasbourg, mais aussi les autres États qui sont dans l'une et l'autre Alsace, immédiatement soumis à l'empire romain la noblesse de toute la basse Alsace, lesdites villes qui reconnaissent la préfecture de Haguenau, dans cette liberté de possession d'immédiateté à l'égard de l'empire romain dont elles ont joui jusqu'ici ; de manière qu'il ne puisse prétendre sur eux aucune souveraineté royale, mais qu'il demeure content des droits quelconques qui appartenaient à la maison d'Autriche..... De sorte toutefois que, par cette présente déclaration, on n'entende pas qu'il soit rien ôté de tout ce droit de suprême seigneurie, qui a été accordé ci-dessus. Comment accorder cette suprême seigneurie et la possession d'immédiateté à l'égard de l'empire ? On est tenté de croire, comme nous l'avons dit plus haut, que le roi très-chrétien trouvait lui-même quelque avantage dans cette confusion de termes, pour se présenter, au besoin, comme prince de l'empire et aspirer, à ce titre, à la couronne l'Impériale.
[6] Lettres des plénipotentiaires et du duc de Bavière, avril 1644. — Mémoire des plénipotentiaires, août 1645.
[7] Discussion de juillet 1647.
[8] Bougeant, Histoire du traité de Westphalie, t. III, liv. VIII, p. 294.
[9] Texte des traités de Munster et d'Osnabrück.
[10] Texte du traité de Munster.
[11] Texte du traité de Munster.
[12] Mémoire du comte d'Avaux, 22 février 1647.
[13] Bougeant, t. III, liv. VIII.
[14] Relation du voyage de Saint-Romain, à Osnabrück, 17 juin 1645.
[15] Mémoire du roi, 6 juillet 1647.