I. — Misères de la Lorraine et des provinces ravagées par la guerre. - Assistance de Vincent de Paul. - D'Emery, surintendant des finances. - Impôt du toisé. - Discussion du tarif. L'invasion de la misère avait précédé l'établissement de la régence, par une suite lamentable de la prolongation des hostilités. La Lorraine surtout, plus exposée au passage et aux excès des armées, présentait depuis quelques années le spectacle le plus déchirant. Les Trois-Évêchés, et les contrées récemment enlevées au duc Charles IV, subissaient à la fois ou successivement la guerre, la peste et la famine. Les récoltes manquées, les blés mangés en herbe par les chevaux, ou les exactions des soldats, réduisaient à la mendicité ceux qui avaient auparavant de quoi vivre, et à l'abandon absolu les pauvres, dont les protecteurs ordinaires étaient ruinés. Ecclésiastiques, nobles et bourgeois, ne souffraient pas moins que le simple peuple. Les paysans s'enfuyaient vers les villes et laissaient la campagne libre aux animaux carnassiers, qui interceptaient les chemins. Les villes, obérées elles-mêmes et encombrées de ces nouveaux hôtes, ne pouvaient pas toujours leur donner même un abri contre les intempéries des saisons. Aux portes de Metz, on comptait les pauvres affamés par quatre ou cinq mille, et chaque matin on en trouvait dix ou douze qui avaient. péri de misère pendant la nuit. A Bar-le-Duc, ils étaient couchés sur le pavé, dans les carrefours, devant les .portes des églises et des bourgeois, mourant de faim, de froid ou de maladie. A Pont-à-Mousson, ils étaient si exténués et si languissants, qu'ils expiraient même en mangeant. A Saint-Mihiel, on mettait en vente la chair des chevaux morts de maladie, et ceux qui pouvaient s'en procurer l'échangeaient pour de petits morceaux de pain. Il y a là, dit en toute simplicité un témoin oculaire, plus de cent pauvres qui semblent des squelettes couverts de peau, et si affreux que, si Notre-Seigneur ne me fortifiait, je n'oserais pas les regarder. Ils ont la peau comme du marbre basané, et tellement retirée, que les dents leur paraissent toutes sèches et découvertes, et les yeux et le visage tout refrognés. Ils cherchent de certaines racines aux champs qu'ils font cuire et les mangent. Ajoutons, pour compléter ce tableau, des prêtres réduits à s'atteler à la charrue, des femmes, des enfants dévorés ou à moitié déchirés par les loups jusque dans l'enceinte des villes, des pauvres honteux, de la noblesse principalement, supportant les plus atroces privations sans rien demander, et bien des jeunes filles tentées de tout sacrifier pour échapper au moins à la mort[1]. Un homme s'était trouvé tout prêt pour combattre ce fléau. C'était Vincent de Paul. Avant que Mazarin eût reçu la charge officielle du gouvernement de l'État, un simple prêtre avait organisé l'administration de l'assistance publique. Loin de nous la pensée de jouer sur les termes, et de chercher un effet de mots dans le contraste de ces deux importances "si diverses. Mais la charité chrétienne a le même droit sur l'histoire que les succès de la diplomatie ou le bruit des combats. Et surtout s'il arrive que la vertu soit plus habile et plus heureuse dans ses entreprises que le génie ou la ruse, il y a là une bonne leçon à recueillir pour la consolation de la société, et pour l'honneur de ceux qui paraissent petits aux yeux du monde. La vie des saints ne doit pas être confinée dans l'hagiographie, elle entre souvent dans l'histoire politique par l'influence que ces hommes ont exercée sur les masses, et par l'efficacité durable des institutions qu'ils ont laissées après eux. Or, Vincent de Paul, quoique sans caractère public, n'a pas eu moins de puissance que Mazarin, et il a légué à ses successeurs plus de bien accompli. Réformateur des mœurs dans le clergé et dans le peuple, il donne au bien-être la garantie la plus sûre que Dieu lui ait faite, l'amélioration morale. Ministre des finances de la charité privée, il lève des impôts sans exciter de murmures, et il les répartit sans remontrances, à la satisfaction commune de ceux qui payent et de ceux qui reçoivent. Père d'une nombreuse famille de missionnaires, de dames et de filles de la Charité, il transmet aux générations suivantes des institutions toujours fécondes, toujours capables de rendre les hommes meilleurs et la vie plus commode. Il ressemble à ces grands papes du vue et du vue siècle, qui administraient Rome par leurs vertus plus heureusement que les lieutenants de Byzance par l'autorité de leurs fonctions, qui tiraient de leur dévouement plus de considération que les empereurs de la majesté stérile de leur nom, et qui sauvaient la ville de la famine ou des Barbares en dépit de la négligence ou de la tyrannie de ses maîtres. C'est avec cette puissance d'action que, depuis 1639, Vincent de Paul combattait la misère en Lorraine. Pendant que lui-même demeurait à Paris, au centre de ses ressources, pour les rassembler et les répartir dans les diverses directions, ses missionnaires, débutant par Toul, se répandaient ensuite à Metz, Verdun, Bar-le-Duc, Pont-à-Mousson, Saint-Mihiel, Lunéville, etc. Ils s'y faisaient tout à tous ; jamais le mot n'a été plus vrai. Confesseurs et consolateurs des âmes, ils étaient en même temps infirmiers, chirurgiens, distributeurs de vivres et de vêtements, blanchisseurs et raccommodeurs de linge. Ils donnaient du pain, du potage[2], de la viande aux affamés, de la farine aux nourrices, des habits, des chaussures à ceux qui étaient nus, des outils à ceux qui pouvaient retourner au travail et y gagner leur vie. Ils pansaient de leurs mains les ulcères ; ils soignaient particulièrement les teigneux ; ils payaient les chirurgiens dont ils ne pouvaient faire eux-mêmes l'office, ils remboursaient aux hôpitaux la dépense des malades qui ne trouvaient pas de place dans les maisons particulières. Quand ils donnaient des chemises, ils reprenaient les vieilles, soit pour les mettre en pièces et en faire de la charpie ou des bandes, soit pour rapprocher les morceaux encore bons et en faire des objets presque neufs pour le service d'autres malheureux. Pendant un temps, c'étaient 500 pauvres qu'ils avaient à assister par jour à Verdun et à Pont-à-Mousson. Il s'en trouva 1132 à une distribution de pain à Saint-Mihiel, sans compter les malades. Aussi l'admiration et la reconnaissance éclataient partout. Un missionnaire, à Bar-le-Duc, ayant succombé à la fatigue, au mauvais air, au contact des plaies malsaines, tous les pauvres assistèrent à son convoi, et l'instinct populaire l'enterra à côté de son confessionnal, comme au foyer des inspirations de sa charité. Un vénérable ecclésiastique écrivait à Vincent de Paul : Je loue le bon Dieu de la providence paternelle qu'il a sur a ses créatures, et je le prie de continuer ses grâces à vos prêtres qui s'emploient à cet exercice divin. Il ne me reste que le regret de voir ces ouvriers charitables qui gagnent le ciel, pendant que moi, par ma misère, je ne fais que ramper sur la terre comme une bête inutile. Les magistrats des villes, maires, échevins, gens de justice, lui envoyaient, de tous les points de la province, leurs remercîments pour les services déjà rendus, et de nouvelles demandes pour l'avenir. Ils le proclamaient le seul conservateur de tant d'existences qui auraient succombé sans lui, et le principal auteur, après Dieu, d'un si grand bien. Ceux de Metz lui disaient : C'est un sujet de grand mérite pour ceux qui font une si bonne œuvre, et pour vous, Monsieur, qui en avez la conduite, et qui vous acquerrez un grand loyer au ciel. Ceux de Pont-à-Mousson, après avoir énuméré leurs besoins, ajoutaient : Ce sont des motifs autant puissants que véritables, pour animer la tendresse de votre cœur, déjà plein d'amour et de pitié, pour continuer ses bénignes influences sur cinq cents pauvres, qui mourraient en peu d'heures si par malheur cette douceur venait à leur défaillir. Nous supplions votre bonté de ne pas souffrir. ces extrémités, mais de nous donner des miettes de ce que les autres villes ont de superflu. Enfin ceux de Lunéville l'exaltaient comme le réparateur de la peste, de la guerre et de la famine : Il semblait que le ciel n'avait plus que de la rigueur pour nous, lorsqu'un de vos enfants en Notre-Seigneur, étant arrivé ici chargé d'aumônes, a grandement tempéré les excès de nos maux, et relevé notre espérance en la miséricorde du bon Dieu[3]. On évalue à 15 ou 1.600.000 livres les sommes d'argent que Vincent de Paul fit passer en Lorraine ; ce qui équivaut bien à quatre millions de notre monnaie actuelle. Il convient d'ajouter les dons en nature, tels que 14.000 aunes d'étoffes de plusieurs sortes, pour l'habillement des pauvres religieuses, de nobles réduits aux haillons, de malheureux de tout état et de tout âge. Il ne serait pas juste non plus d'oublier les secours donnés à la Lorraine dans Paris même. Car une fois la source connue d'où venaient tant de soulagements, un grand nombre d'individus voulurent remonter jusqu'à elle. On quittait un pays désolé pour se rapprocher du consolateur. On vous considère ici, écrivait un religieux de Nancy à M. Vincent, comme l'asile des pauvres affligés. Plusieurs se présentent à moi pour que je vous les adresse, et que, par ce moyen, ils ressentent les effets de votre bonté. C'étaient tantôt des nobles ruinés, tantôt des travailleurs qui espéraient gagner leur vie dans une contrée moins malheureuse, tantôt de jeunes filles qui réclamaient un asile contre les insolences de la soldatesque. Vincent de Paul ne manqua à aucune de ces calamités. Pour les premiers, il forma une association spéciale de seigneurs, qui apportaient tous les mois à Saint-Lazare leurs cotisations pour fournir à la distribution mensuelle réclamée par les réfugiés. Il y joignait ses propres dons ; il y consacra un jour la dernière somme d'argent dont il pût disposer pour sa maison même. Aux seconds il offrit un asile, une instruction religieuse, des instruments de travail, des placements chez de bons maîtres. Quant aux jeunes filles, il avait eu de lui-même la pensée de les recueillir. Sur le rapport d'un missionnaire, et après s'être assuré du concours des dames de la Charité, il fit venir à Paris toutes celles à qui ce refuge pouvait convenir. A leur arrivée, elles étaient reçues dans la maison de mademoiselle Legras, qui pourvoyait à tous leurs besoins en attendant une position définitive ; puis, par l'intermédiaire des dames de la Charité, elles passaient dans de bonnes familles comme femmes de chambre ou servantes ; et, mises ainsi en d'honnêtes conditions, elles se trouvaient garanties des malheurs où la nécessité les avait exposées. Au commencement de la régence, le mal était sensiblement atténué. Les maladies disparaissaient ; la guerre s'éloignant de la contrée permettait de reprendre les travaux nécessaires à la vie de l'homme. Vincent de Paul rappela la plupart de ses missionnaires, mais il continua d'expédier des aumônes dont le besoin se prolongeait. La régente, Anne d'Autriche, se mit au nombre des bienfaiteurs ; touchée du dénuement où demeuraient encore des personnes de haute position et des familles entières, elle leur envoya toutes ses tapisseries et lits de deuil ; elle fit même, pendant deux ans, étendre cette assistance sur d'autres villes conquises, telles qu'Arras, Landrecies et Gravelines. Quelquefois Vincent de Paul paraissait n'agir que par ses ordres ; il la consultait comme il avait l'habitude de faire les dames de la Charité ; ne s'attribuant pas d'autre importance que celle d'un intermédiaire, il voulait que l'intention des bienfaiteurs réglât toujours l'emploi de leurs dons. Mais, si grande que fût son humilité, il ne parvenait pas à s'effacer derrière des auxiliaires dont la bonne volonté dut céder à l'impuissance. La reine-mère elle-même eut bientôt d'autres embarras qui tarirent ses aumônes. La guerre continuant toujours, malgré les victoires, les revenus publics, loin de suffire aux besoins de la politique, devinrent un fléau pour les populations. Vincent de Paul avait lutté avec avantage contre les misères des provinces nouvellement conquises ; une autre misère commença à se faire sentir aux anciennes provinces de France, et le gouvernement ne sut point trouver le secret de la soulager. Les finances, voilà, sous l'ancienne monarchie, l'embarras perpétuel du gouvernement, le ver rongeur de toutes les prospérités, le trouble-jouissance de toutes les gloires. Toujours des contributions onéreuses et insuffisantes ; toujours le contribuable souffrant, et l'État manquant du nécessaire. Bien des causes entretenaient ce mal. Inégale répartition des charges publiques : la taille, l'impôt direct, le plus sensible, le plus exigeant de tous, dont les privilégiés étaient exempts, écrasait de tout son poids les roturiers, la partie la plus nombreuse, mais la moins riche de la population ; et la taille elle-même, ici réelle, là personnelle, portait dans les Pays d'états sur les biens-fonds seulement, et dans les Pays d'élections sur les biens-fonds et les biens mobiliers à la fois[4]. Nulle régularité dans l'établissement des contributions indirectes, dans les aides, qui par leur nature, et le mode de rentrée, pouvaient porter sur toutes les classes ; c'étaient presque toujours des expédients temporaires, selon le besoin du moment, qui cédaient la place, après un usage plus ou moins long, à d'autres expédients également imprévus et inaccoutumés, c'est-à-dire une succession de surprises qui ne variaient les motifs du mécontentement que pour l'irriter davantage. Enfin pas d'autre système de perception que celui des publicains romains : le revenu public était affermé à quiconque se chargeait de l'avancer, et consentait à prendre sur soi l'odieux des mesures nécessaires à son recouvrement. En retour de ce service, le collecteur gardait pour lui une bonne part des sommes exigées, quelquefois le quart, quelquefois davantage, différence déplorable dont le contribuable était grevé ou le trésor public appauvri. Ainsi se formait cette race impopulaire des financiers, seuls contents au milieu de la détresse commune, et bravant de leur faste la pénurie des particuliers, et celle même du roi. Qu'on joigne aux défauts d'une semblable organisation le mauvais emploi des fonds qui arrivaient enfin dans les caisses royales, les dépenses en fêtes et en plaisirs, les prodigalités capricieuses aux favoris et aux princes du sang, les malversations des agents du fisc, sans en excepter les surintendants, et l'on comprendra quelle surcharge la guerre, avec ses besoins toujours renaissants, apportait au fardeau de l'administration ordinaire, à quel prix montait la gloire des armes et de la politique, avec quelle impatience la paix devait être attendue et sollicitée de ceux qui ne profitaient pas de la gloire. D'Émery était le véritable administrateur des finances, quoiqu'il eût au-dessus de lui un surintendant en deux personnes. Ambitieux sans conscience, il ne travaillait qu'à s'affermir dans la confiance du premier ministre pour devenir surintendant lui-même, et à se faire des amis de tous ceux dont le crédit ou la position pouvait l'appuyer. A tout prix il lui fallait trouver de l'argent pour Mazarin, et gagner les princes et les financiers par ses complaisances. Ses maximes avouées l'affranchissaient de tout scrupule ; c'est lui qui a dit que, les surintendants n'étant faits que pour être maudits, il fallait laisser la bonne foi aux petits marchands, c'est-à-dire se consoler, par le profit réel, d'une mauvaise renommée inévitable : Fruitur dis iratis. Il trouvait tous les fonds épuisés pour les années 1643, 1644, 1645 et 1 646 ; il recourut sans honte à tous les moyens d'avoir l'argent nécessaire à ces exercices. Il débuta par une création de rentes au denier 4, c'est-à-dire à 25 p. 100, justifiant l'opération par cette singulière excuse, que, si l'intérêt était fort élevé, c'était à ses peuples que le roi le payait, et que le peuple s'enrichissait aux dépens du roi ; raisonnement doublement faux, et parce que c'est en réalité le contribuable qui paye l'intérêt aux détenteurs des rentes, et parce qu'on attirait les étrangers à rechercher ces valeurs par l'appât de la spéculation. Il porta cette singulière générosité pour quelques-uns des sujets du roi dans les traités, qu'il fit pour le renouvellement des tailles et des fermes ; il donnait aux traitants le quart de remise, et comme le payement de ce qui devait revenir au Trésor ne se faisait qu'en dix-huit mois, il donnait quinze pour cent à ceux qui pouvaient en faire l'avance ; ressource onéreuse qui le réduisait à consommer la recette d'une année et demie en une année de dépense[5]. Son faible pour les grands était encore moins profitable à l'État, qui n'en retirait pas même une avance à gros intérêt. Un jour il permit à la Rochefoucauld de faire sortir du Poitou 800 tonneaux de blé, sans payer les droits de traite ; il y ajouta 200 tonneaux au profit de Gourville, l'homme d'affaires, qui y gagna dix mille livres. Pour satisfaire aux besoins d'un grand seigneur prodigue et à la cupidité d'un courtier de bas étage, il renonçait à une rentrée légitime et à l'abri de toute réclamation. Ce gaspillage des revenus publics, dont le temps pouvait seul dénoncer la gravité, ne fut pas ce qui excita les premiers murmures. Il en advint autrement des expédients inattendus, des inventions fiscales qui venaient s'ajouter aux charges régulières, et qui se faisaient sentir immédiatement aux individus, comme l'augmentation des aides sur les vins, la révocation des biens domaniaux, la création de nouveaux offices vendus à l'enchère. Il y en eut un surtout, dès 1651, qui commença l'opposition, ce fut l'Édit du toisé. Il s'agissait de faire revivre, à quatre-vingt-seize ans de distance, et après une longue désuétude, un édit de 1548, sous Henri II, défendant aux Parisiens de bâtir des maisons au delà de certaines limites. Quiconque avait enfreint ce règlement oublié par le fisc lui-même, devait ou démolir sa maison ou supporter une taxe calculée par toise. On espérait retirer de cette mesure sept ou huit millions. Le parlement s'agita. Deux présidents, Barillon et Gayant, deux importants, deux anciens amis de la reine, s'élevèrent contre le chancelier, contre le premier président, trop commode, selon eux, aux volontés de la cour, contre le gouvernement qui n'avait plus pour eux autant de considération qu'autrefois. La reine leur envoya l'ordre de se retirer, Barillon fut même relégué et enfermé à Pignerol. Le parlement, qui voulut réclamer en leur faveur, ne fut pas admis à l'audience de la reine, et l'on crut pouvoir rire de ces barbons qui prétendaient faire peur au souverain. Mais le mal n'était que dissimulé, non guéri ; il fermentait au dedans, pendant qu'il agissait au dehors sur la guerre même dont il augmentait les embarras. Des prisonniers espagnols, après la prise de Gravelines, avouèrent à Gaston d'Orléans que l'espérance de voir diminuer les forces des Français, par ces agitations intérieures, les encourageait à ne pas céder même à leurs défaites. Ensuite le peuple de Paris réclama par l'émeute. Pendant que la reine était à Ruel, à se divertir aux chants de la signora Leonora, les mutins battirent le tambour, arborèrent un mouchoir au bout d'un bâton, et parcoururent les rues en propageant la sédition. Le retour du roi, dit un contemporain, dissipa bientôt cette résistance, mais l'apaisement n'était pas une victoire, car il fallut composer avec les mécontents, et révoquer l'édit du toisé[6]. Le gouvernement, vainqueur en Flandre et en Allemagne, était déjà vaincu en France même. Ce n'est pas qu'il y eût, ni dans le Parlement, ni dans les Parisiens, un patriotisme bien sincère, ni un grand amour de l'utilité publique. Chacun pensait à soi, et n'était sensible qu'à ses charges personnelles. Malgré la nécessité universelle du royaume, Paris seul voulait être riche, et ne voulait pas entendre parler de donner de l'argent au roi[7]. D'Émery l'accusait assez explicitement, et non sans raison, de prétendre rejeter tout le fardeau sur les campagnes[8]. Le Parlement, de son côté, se montrait plus facile dès qu'il pouvait stipuler une exemption en sa faveur. L'édit du toisé supprimé, il fallait bien le remplacer par quelque ressource nouvelle. Le Parlement consentit à une augmentation de cinq à six millions sur les tailles, à la condition que la surcharge ne porterait pas sur les officiers de justice, magistrats, notaires, procureurs, avocats, ou membres des universités. Au milieu de tant d'égoïsmes en lutte, lorsque chacun ne tendait qu'à ériger ses intérêts en principes, on se demande dans quel esprit, dans quel cœur s'était réfugiée l'idée saine du bien commun, et si, de tant de libérateurs qui s'offrirent avec fracas à la confiance populaire, il en était un seul qui valût mieux que le gouvernement qu'ils promettaient de réformer. On traversa encore assez paisiblement l'année 1655. Lorsque, après la bataille de Nordlingen, il fallut régler le compte de la gloire, c'est-à-dire demander, comme toujours, de l'argent pour le passé et pour l'avenir, il y eut quelques démonstrations de mauvaise volonté, mais pas de résistance formelle et effective. La reine alla au Parlement pour y faire vérifier en sa présence de nouveaux édits, malgré les représentations de quelques magistrats qui avaient voulu lui contester le droit de venir au milieu d'eux. Au chancelier qui exaltait les victoires et concluait par une demande de subsides, l'avocat général Talon répondit hardiment par le tableau des souffrances publiques. Il représenta le peuple ruiné par tant de guerres, dénonça la suprême autorité des favoris comme la cause de ces maux, et, tombant à genoux, il demanda grâce pour les opprimés d'une voix pathétique dont l'accent poursuivit la reine jusque dans son palais. Mais le premier président avait, dans la même séance, loué la régente, exagéré le bonheur de la France, la valeur des princes, la conduite du ministre. Les édits furent vérifiés. C'est vers la fin de 1646 que s'engagea définitivement la lutte. Là apparurent, sans dissimulation, les deux principaux mobiles du Parlement dans toutes ces querelles, à savoir les prétentions politiques du corps qui aspirait au gouvernement, et l'égoïsme des individus qui prétendaient se décharger personnellement des obligations communes. La résistance avait pour elle le prétexte du bien public, les murmures de Paris et des provinces, et surtout l'indécision d'un ministre, que troublaient à la fois l'impopularité de son origine étrangère et la conscience de ses embarras ; elle obtint une première victoire qui lui en fit espérer de plus grandes. Tel est l'intérêt que présente la longue discussion du tarif. En octobre 1646, un arrêt du conseil des finances établit un tarif sur les denrées et marchandises qui entraient à Paris pour la consommation des habitants. Ce mode d'impôts indirects, si bien accepté aujourd'hui, et si fécond en ressources, était alors une nouveauté, et dut paraître une oppression. En outre, puisqu'il s'agissait, non pas de tailles, mais d'aides, et d'une ville en particulier, l'édit fut envoyé à l'enregistrement de la cour des aides, et non à celui du Parlement. Les parlementaires s'émurent aussitôt. Leur première pensée était de se garantir eux-mêmes de la nouvelle taxe ; comme le tarif était exigé de toutes les denrées qui entraient dans Paris, ils avaient à le payer pour les fruits de leurs maisons de campagne, qu'ils faisaient apporter à la ville[9]. Ils cachèrent si peu ce calcul que le conseil des finances, pour les gagner par une faveur directe, modifia l'édit et dispensa du paiement tous les fruits du cru. Mais ce premier avantage obtenu enhardit les magistrats à en réclamer un autre. Ils prétendirent que la cour des aides n'avait pas le droit d'enregistrer les édits de finances, que tout édit, pour la levée d'impositions sur toutes sortes de personnes, était de la compétence du Parlement, et le président de Mesmes, qui tenait les vacations, défendit provisoirement la mise en vigueur du tarif. La cour, réunie au complet après les vacances, confirma ce que ce président avait fait, et décida que de très-humbles remontrances seraient adressées à Sa Majesté. Ainsi commença un débat qui devait durer plus d'un an. Le moment était favorable pour entreprendre sur l'autorité de Mazarin. Tandis que l'argent manquait pour la guerre, le ministre savait bien en trouver pour sa comédie à machines ; ce contraste, relevé par un contemporain, n'échappait pas à la malveillance. Malgré les victoires antérieures, les Espagnols ne cédaient pas ; ils purent même un instant croire que la supériorité allait leur revenir ; 1647 compta autant d'échecs que de succès. Les fautes de Rantzau compromettaient l'armée de Flandre ; le grand Condé échouait devant Lérida. Bientôt l'armée d'Allemagne allait se révolter contre Tu renne. Les madrigaux circulaient dans Paris contre Monsieur le Prince ; les murmures publics imputaient à Mazarin tous les événements fâcheux. On répétait cent sottises dans les cabarets. L'opinion populaire, toujours si brusque dans ses changements, tournait de l'admiration on de l'estime au mépris et à la haine. Le ministre commençait à n'être plus qu'un étranger, ignorant des usages français, indifférent à la bonne administration de la justice et au bien public. S'il était infatigable au travail, il se rendait en même temps invisible, et ce mystère prêtait à bien des interprétations. Si on ne lui connaissait pas de vices, on ne lui connaissait pas de vertus. Si on le soupçonnait d'avarice, on pouvait l'accuser de gaspillage. Les âmes pieuses n'étaient pas plus contentes de lui ; ce cardinal n'accomplissait aucun acte de religion, et disposait des biens ecclésiastiques selon ses intérêts. A la cour, on gardait encore vis-à-vis de lui les formes de flatterie familières aux courtisans, mais l'opposition se formait au fond des cœurs et déjà se manifestait en paroles libres. Aussi en venait-il à la nécessité de sévir ; il lui fallait renoncer à cette affectation de douceur qui ne s'était guère démentie depuis l'arrestation de Beaufort, d'ailleurs très-légitime. Il exila (1647) le comte de Fiesque, l'abbé de Bélebat et le poile Sarasin coupable de vers satiriques. Une ordonnance défendit de parler des affaires d'État, et la régente, qu'il dominait, signifia qu'elle était résolue de punir tous ceux qui parleraient contre le gouvernement[10]. Les provinces n'étaient pas en meilleure disposition que Paris ; là aussi les charges publiques devenaient insupportables, et les magistrats étaient également suspects d'aider au mécontentement populaire. Dans cette même année, il fallut réprimer par la force une émotion dangereuse en Languedoc. Cette province avait déjà plusieurs fois refusé le don gratuit. A l'opposition des états se joignit un soulèvement du peuple. A Montpellier, on tua ceux qui levaient les droits du roi, et on pilla une de leurs maisons. La cour des aides fut accusée de n'avoir pas agi, dans cette circonstance, avec toute l'affection qu'elle devait au souverain. Le maréchal du Plessis fut chargé de la réparation. II frappa d'abord la cour des aides, la sépara de la chambre des comptes de Montpellier, en la reléguant à Carcassonne. Il fit ensuite le procès aux auteurs de l'émeute, et mit à mort de misérables femmes tout aussi coupables d'autres crimes que de révolte. Après cette exécution, il rassembla les états, et demanda l'argent qu'on ne pouvait plus lui refuser sans danger. Il fit entendre qu'il aurait pu introduire dans la province assez de troupes pour tout réduire sans pitié, se parant d'un certain mérite de modération pour n'avoir pas usé de toutes les .rigueurs dont il disposait. Sous l'impression de cette crainte, il tira de l'assemblée un don gratuit de trois millions pour le roi, et un présent de quarante mille livres pour lui-même[11]. L'emploi de pareils moyens n'était pas encore possible à Paris, tandis que les misères qui les avaient provoqués servaient d'arguments aux plaintes des magistrats ; double avantage dont le Parlement de Paris tira un parti habile. Il s'obstinait contre le tarif et contre l'importance que le gouvernement voulait donner à la cour des aides. Vainement le ministre alléguait l'usage des quarante dernières années, pendant lesquelles toutes les impositions, qui portaient le nom d'aides, n'avaient été vérifiées qu'à la cour des aides, et non au Parlement. Vainement le roi déclarait qu'il lui semblait utile de ne rien changer à cette règle avant sa majorité. Les magistrats, le premier président Molé, opposèrent, outre des usages antérieurs, la nécessité de conserver à tous les actes du pouvoir les formes d'une justice populaire. Pour rabaisser la cour des aides, ils soutenaient que cette compagnie n'avait que le droit de juger les différends des particuliers avec le fisc, et de redresser les excès qui pouvaient se commettre dans la perception des taxes, mais que ce n'était pas à elle de vérifier ces taxes ni d'en autoriser la levée. Pour établir leur droit exclusif à cette vérification, ils expliquaient comment, dans l'intérêt même du roi, les Parlements avaient remplacé les États-généraux. Il est sage aux rois, disait un président (Lecogneux) de laisser le plus de liberté possible aux peuples, afin que l'obéissance soit plus volontaire. Aussi, pour rendre les impôts agréables, les rois les faisaient jadis voter par les États-généraux. Mais cette manière ayant peu à peu disparu, les Parlements avaient suppléé la fonction des États du royaume, et les peuples avaient trouvé dans ce changement une garantie rassurante. Les sujets exécutaient comme justes les volontés du roi, quand elles étaient déclarées telles par les hommes chargés de leur rendre la justice et d'avoir soin de la police générale et particulière. Il eût été facile de leur répondre qu'ils avouaient par là une véritable usurpation, et l'origine subreptice de ce qu'ils appelaient leur droit. Mais, sans s'inquiéter de la difficulté, et pour renforcer leur raisonnement, ils n'hésitaient pas à se placer bien au-dessus de la cour des aides, à s'attribuer au dehors une considération bien plus grande, à promettre un appui bien plus efficace que l'approbation d'une juridiction inférieure. La qualité des juges, disait encore Lecogneux, contribue beaucoup à faire accepter ou maudire les décisions par le public. Les maux des hommes ne peuvent être adoucis que quand ils leur sont faits par une main amie et qui ne leur est point odieuse. Les remèdes violents, qui passeraient pour une injure, se souffrent par ceux auxquels ils sont appliqués, lorsqu'ils ont cette croyance qu'ils procèdent de personnes qui travaillent pour leur bien, ce qui arrive dans l'esprit des peuples, lesquels étant bien informés de l'affection que le Parlement porte à l'État et au bien public, reçoivent avec moins de déplaisir les impositions, quand elles sont autorisées par le ministère de ceux en la probité et en l'affection desquels ils ont une assurance tout entière[12]. La lutte, commencée en octobre 1646, durait encore en août 1647. Le tarif contesté ne se percevait pas. Cette lenteur pouvait satisfaire la vanité lies magistrats, mais elle multipliait outre Mesure les embarras du royaume. Une conversation de Mazarin avec Omer Talon (25 août) nous révèle, par les observations du ministre et la réponse de l'avocat général, l'étendue des maux intérieurs et extérieurs dont le pays était accablé. Considérez, dit Mazarin, les désordres arrivés en Catalogne par la levée du siège de Lérida, en Allemagne par le soulèvement et la mutinerie des troupes de M. de Turenne, en Flandre par l'opiniâtreté du duc d'Orléans qui n'a pas voulu que le roi se hâtât de mettre en campagne, soutenant que le pays ne peut nourrir les troupes que dans le mois de juin, auquel temps l'herbe commence à être bonne. Les Espagnols, ajoute-t-il, d'abord disposés à la paix, après la perte de la Bassée et de Dixmude, et après la promesse faite par les plénipotentiaires français d'abandonner le Portugal, ont ensuite changé d'avis sur la pensée qu'ils ont eue que les Hollandais ne mettront pas en campagne, sur l'imagination qu'ils ont que le peuple est mal affectionné à cause des impositions fréquentes. D'autre part, les mauvais Français donnent tous les jours des avis à l'ennemi de ce qui se passe. Les conseils de M. de Vendôme s'y joignent ; son secrétaire a été nouvellement pris à Heilbronn, chargé de lettres de créance à l'empereur, au duc Charles, à l'archiduc Léopold et à madame de Chevreuse. Mais ces difficultés au traité de paix seraient bientôt levées, si les Espagnols pouvaient croire que le Parlement voulût assister le roi pour faire la guerre pendant dix années. Talon ne répond pas aux plaintes sur le refus d'argent et les conséquences politiques qui s'ensuivent. Il récrimine par le tableau des souffrances qu'imposent au peuple les contributions déjà consenties, des scandales qui éclatent tous les jours dans le maniement des finances. Il s'en prend aux richesses immenses et prodigieuses des particuliers qui manient les revenus du roi, à leurs dépenses inutiles et publiques, témoignage de leurs rapines, et offense pour les gens de bien. Il ne faut pas juger de la France par la ville de Paris ; la présence du roi y attire l'abondance de toutes choses ; les marchands, les artisans y sont à leur aise, et la tranquillité s'y maintient encore, parce que la misère ne s'y fait pas sentir. Mais il n'en est pas de même dans les provinces. Là tout est réduit à l'extrémité ; c'est là surtout que les levées de deniers se multiplient, moins redoutables encore par la nécessité de payer que par la manière dure et fâcheuse dont on procède au recouvrement. On rend les habitants des villes et des villages solidaires les uns pour les autres ; on soutient les collecteurs par des compagnies de gendarmes ; on exécute, en vendant leurs meubles, ceux qui n'ont pas l'argent exigé. Les deux interlocuteurs avaient également raison, et la situation n'en était que plus déplorable. Chacun se croyant fondé à ne pas transiger, on ne pouvait prévoir le terme de la lutte, ou, en cas de concession, le triomphe de l'un aboutissait à l'accroissement des maux du parti opposé. Mazarin céda, se consolant par la pensée d'obtenir au moins quelque subside. Une conférence fut tenue au Palais-Royal le 31 août, entre le conseil du roi et le Parlement. La reine n'y assista pas, parce que c'est l'ordre que les sujets ne confèrent pas avec leurs maîtres. Le duc d'Orléans prit la première place, le cardinal en face de lui. Au-dessous de Monsieur était le chancelier, et au-dessous du cardinal le premier président. D'Émery y parut comme surintendant des finances ; il venait d'obtenir ce titre si convoité ; d'Avaux et Bailleul ayant donné leur démission, le véritable administrateur avait pris le nom des fonctions qu'en réalité il remplissait seul. Le chancelier ne voulut pas parler dans cette séance, parce que Mazarin lui avait envoyé un discours tout fait par de Lyonne, et qu'un Séguier trouvait indigne de sa gloire d'orateur de ne faire que lire le travail des autres[13]. Mazarin se laissa d'abord battre sur la question de la cour des aides. Il s'excusa d'avoir si longtemps soutenu cette juridiction, par son ignorance des usages, représentant qu'il avait bien pu prendre pour un droit une pratique qui remontait déjà à quarante années. Il protesta qu'il n'avait aucune intention de méconnaître les anciens droits du Parlement ; c'était consacrer la prétention opiniâtre de ces magistrats à enregistrer seuls les édits des finances. D'Émery aborda ensuite la question du tarif. Comme ce genre d'aides paraissait déplaire, et que pourtant le roi ne pouvait se passer d'aides, il proposa d'y substituer la création de menus officiers de police, tels que monteurs de bois, mesureurs de charbons, vendeurs de marée, contrôleurs des poids et mesures, dont les charges produiraient une ferme considérable, et dont la rémunération, formée par un léger droit sur les individus, n'aurait rien d'oppressif pour les contribuables. Il justifiait cette proposition par la pénurie des finances, par l'impossibilité de renouveler les emprunts à gros intérêts, par l'obligation de réduire les tailles pour soulager les populations, que le passage des gens de guerre et la continuation des hostilités avaient obérées. Il insistait avec force sur la nécessité de ménager le menu peuple, et de demander enfin des secours aux habitants des villes et grandes bourgades, qui n'avaient pas une part assez équitable dans le fardeau des charges publiques. C'était, il faut en convenir, dévoiler une des causes les plus actives de la misère des campagnes, et dénoncer l'égoïsme et la mauvaise volonté des Parisiens en particulier. Il proposait en outre d'égaler les prévôts des maréchaux aux lieutenants criminels, moyennant une somme à laquelle chaque prévôt serait taxé ; d'instituer un second Châtelet à Paris pour faire la police dans l'Hôtel de Ville, et de vendre les nouvelles charges ; enfin de créer 150.000 livres de rente pour distribuer aux gens aisés, c'est-à-dire de lever un emprunt forcé, sans exception d'aucune personne, si ce n'est des officiers des quatre compagnies souveraines. Le surintendant connaissait bien l'égoïsme de la magistrature ; il la tentait par une concession personnelle, comme déjà après l'édit du toisé et dans la première discussion du tarif, de trahir les intérêts des autres classes de la population[14]. Toutes ces demandes étaient formulées en cinq édits. Le Parlement se mit à délibérer sur chacun d'eux, rejetant celui-ci, adoptant celui-là, modifiant les autres à son gré. On lui proposait, au lieu du tarif, la création de nouvelles charges à vendre ; il préféra accorder le tarif pour deux ans, parce que ce ne serait qu'une contribution passagère, puis il rejeta toutes les nouvelles charges qui auraient été perpétuelles. Il ne voulut pas des monteurs de bois, vendeurs de marée, mais il admit les contrôleurs des poids et mesures, à la condition qu'ils ne seraient établis que dans les villes où il y avait un présidial. Il repoussa l'édit relatif au nouveau Châtelet, et la répartition des nouvelles rentes ; mais il consentit à égaler les prévôts des maréchaux aux lieutenants criminels. Il termina par une déclaration qui défendait à la cour des aides de s'immiscer dans l'établissement de ces nouveaux impôts. Telle fut la conclusion de la querelle du tarif. Le Parlement de Paris venait d'agir en maitre ; sa supériorité sur la cour des aides était reconnue ; il se faisait législateur en matière de finances et unique législateur ; son droit de remontrances devenait tout à coup le droit d'amender les édits sans le concours du roi. Il y avait bien à réfléchir sur de si graves empiétements. Mais, en dernier résultat, ce parlement donnait quelque argent ; avec de l'argent la reine fut contente ; elle évitait par cet accommodement la fatigue d'aller au Parlement en personne faire passer ces mêmes édits. Sa paresse trouva une explication honnête dans cette apparente voie de douceur[15]. Le cardinal fut content comme la reine, parce que les esprits parurent apaisés pendant quelques jours. Mais il venait de se trahir lui-même. Il avait laissé voir cette incertitude de volonté, ce manque d'aplomb, qui devait être sa grande faiblesse dans toutes les agitations civiles. C'était comme le point mal fortifié de la place, qui, une fois reconnu par ses adversaires, allait devenir le but de toutes leurs attaques. |
[1] Extrait des relations envoyées à saint Vincent de Paul par les missionnaires de sa Congrégation, et des lettres de remercîment envoyées au même, après que ces misères eurent été soulagées, par les corps de ville de Toul, de Metz, de Pont-à-Mousson, de Saint-Mihiel, de Lunéville. (V. Abelly, liv. II, ch. XI.)
[2] Nous ne consentons pas plus à supprimer ce mot vulgaire qui se trouve d'ailleurs dans toutes les relations, qu'à effacer le nom, de sœurs-du-pot, qui a été le premier titre populaire des filles de la Charité.
[3] Lettre des corps de ville de Lorraine, adressées à Vincent de Paul, et rapportées textuellement dans Abelly.
[4] Nous expliquerons plus loin ces différents usages et ces différents noms.
[5] Colbert, Mémoire autographe et inédit, cité par Chéruel : Histoire de l'administration monarchique en France.
[6] Mémoires de Montglat, Omar Talon, Motteville, Montpensier.
[7] Motteville, commencement de 1648.
[8] Omer Talon, à propos de la discussion du tarif.
[9] Omer Talon. — Les Mémoires de ce magistrat vont nous servir, pendant quelque temps, d'autorité principale pour expliquer les sentiments et la conduite du Parlement dans toutes ces querelles.
[10] Motteville, 1647.
[11] Mémoires du maréchal du Plessis.
[12] Mémoires d'Omer Talon, aussi bien que pour ce qui va suivre.
[13] Motteville, Omer Talon.
[14] Mémoires d'Omer Talon.
[15] Motteville.