DEUXIÈME PARTIE ÉTAT DE L'ÉGLISE EN FRANGE. — Réforme du clergé, Bérulle et les Oratoriens, Bourdoise. — Réforme des ordres religieux ; congrégation de Saint-Maur, le cardinal de la Rochefoucauld. — Vincent de Paul, réformateur du clergé et organisateur de la charité. — Commencements du jansénisme.L'Église, éprouvée plus rudement encore que la royauté, apportait une activité plus féconde, un zèle plus pur, à relever ses ruines. Trois causes principales avaient fait le succès du protestantisme : la mauvaise vie des prêtres, le désordre des cloîtres, l'ignorance des populations. Aussi le concile de Trente, le vrai réformateur du XVIe siècle, avait rétabli les règles de la vie sacerdotale, prescrit le retour des religieux à leurs constitutions primitives, et commandé une distribution exacte de l'enseignement religieux à toutes les classes, aux enfants comme aux adultes[1]. De là étaient sortis, en Italie, la congrégation de l'Oratoire établie par Philippe de Néri, les séminaires fondés par Charles Borromée, les actes de l'Église de Milan, les règlements ecclésiastiques du diocèse de Genève. A côté de l'ordre des Jésuites (1540), voué à la prédication et à l'enseignement, les Carmélites d'Espagne, réformées par Thérèse d'Avila, ranimaient dans les monastères la ferveur des anciennes austérités, et la Visitation, plus récemment instituée par Jeanne de Chantal, se proposait de mettre la vie monastique à la portée des âmes douces, des santés débiles, des infirmes même qui cherchaient le calme dans la prière, et l'activité dans les œuvres de miséricorde praticables à toutes les bonnes volontés[2]. La prédication reprenait son empire ; des populations entières reconnaissant la vérité, qui venait les visiter, couronnaient par leur adhésion les efforts des missionnaires. Rien n'est plus célèbre, à la fin du XVIe siècle, que les missions de François de Sales, qui s'était fait une loi de ne refuser sa parole à personne, les règles prescrites par lui à son clergé pour l'enseignement du peuple, et les catéchismes de jeunes enfants auxquels il présidait lui-même[3]. Les guerres de religion, avec leurs violences, leur incertitude, leurs passions, avaient retardé pour la France l'application de ces réformes. Au commencement du XVIIe siècle, le mal était considérable dans ce royaume, et, comme toute habitude enracinée dans plusieurs générations, on pouvait prévoir qu'il opposerait une longue résistance. Non-seulement en beaucoup de lieux les temples étaient détruits, les autels abattus, les choses les plus saintes profanées, mais en dépit des prescriptions des Synodes, de grands défauts subsistaient dans le clergé, qui ôtaient tout honneur au sacerdoce et le changeaient en une condition dédaignée. C'était, selon l'expression d'un contemporain, une espèce de contumélie et d'injure que de dire à un ecclésiastique de qualité qu'il était un prêtre. Le peuple, et particulièrement celui des campagnes, n'était ni instruit des vérités de la foi, ni assisté dans ses besoins spirituels ; il ignorait jusqu'aux mystères essentiels et quelquefois jusqu'à l'existence de Dieu, et ne comprenait plus rien aux devoirs du chrétien ni aux pratiques de la religion. Quant aux habitants des villes, s'ils tiraient de quelques prédications plus suivies un peu plus de connaissance et de lumière, cette connaissance était stérile et cette lumière sans chaleur, on n'y voyait presque aucune marque de cette véritable charité qui se fait connaître par les œuvres ; les exercices de miséricorde spirituelle envers le prochain n'étaient point en usage parmi les personnes laïques, et pour les aumônes et les assistances corporelles on ne s'y adonnait que fort petitement[4]. Cependant il y avait beaucoup de bonnes volontés qui étaient prêtes à porter remède à un si grand mal. Le rétablissement de la paix leur en donna la liberté ; sous le souffle de réformateurs sincères et dévoués, on vit apparaître des institutions qui inaugurèrent un temps nouveau. Déjà, depuis 1592, César de Bus, justement qualifié de vénérable, s'était attaqué avec succès à l'ignorance des masses. La congrégation de la Doctrine Chrétienne, dont il est reconnu pour le premier instituteur en France, s'était répandue d'Avignon, son berceau, dans les contrées voisines. Pour en faire partie, il n'y avait d'autre condition que d'être de bonne vie et de pratiquer le célibat ; l'œuvre consistait à rassembler, le dimanche et les jours de fête, les enfants, les ignorants de tout âge, et à les former aux bonnes mœurs, et à la connaissance des articles de foi[5]. Les maîtres ne manquèrent pas non plus au clergé. Pierre de Bérulle, poussé par les conseils de François de Sales, entreprit de fonder, à l'exemple de Philippe de Néri, une congrégation qui se vouât à l'éducation des aspirants au sacerdoce. Il y réussit assez promptement, puisqu'une congrégation de l'Oratoire fut érigée en France (1613) par une bulle de Paul V, avec cette destination principale et particulière de travailler à la perfection de la vie sacerdotale, d'instruire les aspirants aux ordres sacrés, non-seulement de la science mais de l'usage de la science, des mœurs et des rites ecclésiastiques[6]. Les Oratoriens y joignirent bientôt l'enseignement des lettres et l'éducation de la jeunesse, comme on le voit par leurs collèges de Luçon, de Mâcon et du Mans. Un admirateur de Bérulle, un pauvre prêtre, Bourdoise, ne fut pas un restaurateur moins zélé de la discipline ecclésiastique. A la tête de quelques amis réunis par la pratique de la vie commune (1618), il établit (1620) la communauté de Saint-Nicolas du Chardonnet avec ce triple objet, sanctifier ses propres membres, travailler au service des paroisses et à l'instruction des jeunes garçons dans les petites écoles, former des ecclésiastiques sous la dépendance de l'archevêque de Paris. Leur manière de vivre toute seule consacrait leurs leçons dans tous les esprits ; ils étaient si pauvres qu'ils n'avaient pour tables que les volets qui servaient à les garantir du froid pendant la nuit : Bourdoise prêchait la régularité, non-seulement au dedans, mais au dehors, non-seulement les vertus morales et religieuses, essentielles au prêtre, mais encore la dignité dans tous les actes du ministère, et la bonne tenue dans les personnes si utile au respect de la religion et à la considération de ses ministres. Il blâmait les ecclésiastiques bottés et éperonnés, aux cheveux longs, parés de manteaux au lieu de soutanes, et il en convertit plusieurs avec un éclat qui fit du bruit. Il ne pouvait souffrir les chants incohérents, les églises malpropres, les sacrements administrés sans la gravité convenable ; il fut ainsi un des réparateurs du culte extérieur qui est comme le signe sensible et la sauvegarde de l'autre. On a compté, à partir de 1621, plus de 500 ecclésiastiques, sortis de sa petite communauté, avec toutes les vertus de leur état[7]. Le renouvellement de la vie monastique s'accomplit avec la même rapidité. Ordres nouveaux, appelés du dehors, ordres anciens réformés spontanément, relevèrent les cloîtres du discrédit où les avaient fait tomber cabus de la prospérité, l'introduction des abbés commendataires, et cette mollesse humaine à laquelle les plus saintes choses semblent être abandonnées de temps en temps pour leur épreuve. En 1604, les Jésuites, bannis de France après l'attentat de Chatel, y furent rappelés par la volonté formelle de Henri IV, et remis en possession du droit d'enseigner. Ils profitèrent de cette faveur, pour assurer aux femmes les soins qu'ils se chargeaient de donner aux hommes. Par leur intervention, dans cette même année, les disciples d'Angèle de Brescia, dites Ursulines, vinrent d'Italie à Paris fonder une première maison de leur ordre, qui commença à mettre en honneur l'éducation des filles. Les Carmélites de Sainte-Thérése inspiraient de l'émulation à plus d'une âme française, un vif désir d'opposer au relâchement obstiné des mœurs l'exemple et l'influence des vertus sévères. Ces vœux furent exaucés en 1604. Madame Acarie, secondée par la duchesse de Longueville, par François de Sales, par Bérulle, par le consentement du roi, parvint à établir à Paris la première maison du Carmel français. Bérulle fut le plus actif promoteur de l'entreprise ; il alla lui-même chercher en Espagne les fondatrices, les amena en dépit des dangers que lui offraient la terre et la mer, et il demeura toute sa vie le protecteur et comme la providence du nouvel ordre. Il fallait bien que l'institution répondit à un besoin réel, puisque les novices affluèrent et que, à la mort de Bérulle (1629), on comptait déjà 40 monastères de Carmélites en France. La Visitation ne trouva pas un accueil moins empressé. Dès qu'elle eut paru à Lyon (1610), on demanda de toute part des filles de François de Sales. Lui-même, il écrivait : Vraiment la moisson est bien grande, et il se faut confier que Dieu enverra des ouvrières. Voilà Toulouse qui veut de nos filles de Sainte-Marie, et aussi Moulins, Riom, Montbrison, Reims. C'est que l'opinion, qui est toujours juste quand elle est calme, sentait dans le Carmel une protestation contre la sensualité qui minait le monde ; on allait bientôt y reconnaître un refuge nécessaire aux désabusées, aux repenties des grandes séductions, et, dans l'éclat de certaines pénitences, un hommage légitime aux lois éternelles de la vertu. On n'appréciait pas moins l'esprit de douceur et de charité qui ouvrait la Visitation à d'autres âmes, travaillées du goût et du besoin de la vie religieuse, sans avoir la force de supporter les macérations corporelles. On applaudissait au fondateur quand il recommandait de recevoir non-seulement les vierges, mais aussi les veuves, à condition qu'elles fussent légitimement déchargées de leurs enfants ; les âgées, pourvu qu'elles eussent l'esprit sain ; les estropiées, si elles ne l'étaient pas de cœur ; les malades même, excepté celles qui seraient atteintes de quelque mal contagieux[8]. Je suis, écrivait François de Sales, partisan des infirmes. L'opinion publique se retrouvait elle-même dans cette sensibilité. Un signe plus manifeste encore du retour aux saines traditions chrétiennes, c'est la réforme spontanée des anciens ordres, qui semblaient avoir contracté l'habitude commode de l'irrégularité, et qui revinrent à leurs anciennes constitutions évidemment sans autre attrait que l'espérance de rentrer dans leur devoir. On distinguait particulièrement en France les ordres de Saint-Benoît, de Cluny, de Cîteaux, et de Saint-Augustin. Les Bénédictins commencèrent. A l'exemple et avec le concours de la congrégation de Saint-giton et de Saint-Hidulphe, fondée en Lorraine en 1605, un bon nombre de monastères bénédictins de France organisèrent entre eux la Congrégation de Saint-Maur (1618), avec l'approbation du roi et la consécration du Saint-Siège. Par le nom de saint Maur, introducteur de la règle de saint Benoît en France, ils se rattachaient aux plus anciens souvenirs de l'ordre, et annonçaient l'intention d'en faire revivre la ferveur primitive ; ils en reprirent en effet la régularité dans les offices, les abstinences, la pauvreté personnelle, la pratique du travail. Les adhérents furent nombreux ; on y compta bientôt Saint-Germain-des-Prés, à Paris, et Saint-Denys en France. Le siège en fut établi à Paris, et à Saint-Germain-des-Prés la résidence du supérieur général. La bulle de Grégoire XV, qui les constitua (17 mai 1621), les garantit des difficultés que pourrait leur susciter le régime des commendes. II était difficile d'ôter aux rois la nomination des abbés, et aux favoris des rois le droit encore plus apprécié de détourner à leur profit une partie des revenus monastiques ; mais il n'était pas moins urgent d'empêcher qu'un supérieur intrus et nominal contrariât par sa cupidité l'observation des règles saintes. La bulle décida que tout monastère bénédictin qui entrerait dans la congrégation de Saint-Maur, pourrait, comme par le passé, avoir un abbé commendataire nommé par le roi ; que cet abbé aurait sa mense abbatiale, c'est-à-dire sa part des revenus, mais qu'il n'exercerait aucune autorité sur les religieux, au spirituel surtout. Un prieur conventuel, dans chaque maison, aurait le soin de la régularité ; un chapitre général de toutes les maisons adhérentes, et un vicaire général élu par ce chapitre pour un, deux ou trois ans, gouvernerait la congrégation entière. Dans ces conditions commença l'importance bien méritée de la congrégation de Saint-Maur. Ses membres redevinrent de vrais religieux ; seulement, au lieu du travail manuel prescrit par le fondateur, et en dehors des soins domestiques nécessaires au service de la communauté, ils s'adonnèrent principalement à l'étude, aux recherches savantes, aux publications qui dépassaient les forces des particuliers ; ils fondèrent l'érudition où leur souvenir garde encore aujourd'hui tant d'autorité. Grégoire Tarisse, leur supérieur général, continuellement réélu jusqu'en 1648, inaugura la célébrité de Saint-Germain-des-Prés où il résidait, et prépara cette pléiade de moines savants, dont les noms, donnés aux rues du voisinage, témoignent que Paris les compte encore parmi ses illustrations[9]. Les Cisterciens n'échappèrent pas non plus aux bonnes inspirations qui ranimaient autour d'eux le zèle de la régularité. A la fin du siècle précédent, il était sorti d'une de leurs maisons la congrégation régénérée des Feuillants (1586-1592), qui se propageait en France et en Italie. A côté des fondateurs de Saint-Maur, l'abbé de Clairvaux, Denis l'Argentier, suscita, par son exemple et ses exhortations, l'Étroite observance de Cîteaux en France. Meaux avait été un perfectionnement de la règle de saint Benoît, puisqu'il érigeait en lois obligatoires les conseils du législateur. Il s'agissait donc de rétablir le genre de vie prêché et pratiqué par saint Bernard, en particulier l'abstinence poussée à ses dernières limites, et l'humble et salutaire travail des mains. Le succès parut ne pas se faire attendre. En 1618, l'Étroite observance comptait huit monastères ; l'abbé de Meaux se croyait obligé à lui accorder une approbation provisoire ; puis soutenue par le cardinal de la Rochefoucauld, dont nous allons parler, et spécialement protégée par. Richelieu, elle en vint assez rapidement à régner sur quarante maisons. Malheureusement elle aura contre elle l'obstination de relâchés incorrigibles, et, opposition plus redoutable encore, les manœuvres cupides des commendataires ; elle n'obtiendra ni une constitution régulière, ni l'autonomie nécessaire à son affermissement. Toutefois elle obligera ses adversaires eux-mêmes à remettre au moins de l'ordre extérieur et de la décence dans leurs monastères, et elle triomphera dans la réforme de la Trappe, qui est son produit le plus célèbre, et qui passe encore aujourd'hui pour la plus énergique réforme monastique du dix-septième siècle[10]. De tels effets de l'effort volontaire des particuliers prouvaient assez que, en bien des lieux, beaucoup de bonnes volontés n'attendaient qu'un signal pour bien vivre. Le pape Grégoire XV en conçut la confiance d'exiger la réforme par voie d'autorité, au nom du droit de l'Église, et du devoir qu'imposaient aux religieux leurs engagements. En 1622, il désigna le cardinal François de la Rochefoucauld, évêque de Senlis et aumônier du roi, pour réformer en France les ordres de Saint-Benoît, de Saisit-Augustin, de Meaux et de Cluny. Il lui conférait le pouvoir de visiter tous les monastères, d'y rétablir la règle primitive, d'ériger en congrégations distinctes les maisons restaurées, de faire entrer dans ces congrégations celles qui n'avaient pas de chef, et que cette indépendance avait affranchies jusque-là de tout contrôle[11]. La Rochefoucauld était digne de cette mission, et assuré de trouver dans Louis XIII tout l'appui nécessaire à l'entreprise. Un jour, dans une visite à Marmoutiers, près de Tours, le roi frappé, affligé du désordre qui déformait cette maison antique, conférait avec l'évêque de Paris, Henri de Gondi, et la Rochefoucauld son aumônier, des moyens à prendre pour supprimer un relâchement qui semblait avoir envahi toutes les institutions monastiques. Au milieu de cette conversation, arriva la nouvelle que l'abbaye de Sainte-Geneviève à Paris était devenue vacante. Louis XIII se tournant vers la Rochefoucauld : Je vous donne cette abbaye, lui dit-il. Mais l'aumônier voulait refuser par une raison de conscience ; il lui semblait impossible de concilier ces nouvelles fonctions avec celles qu'il avait à remplir ailleurs. Je veux, reprit le roi, vous récompenser des services que vous m'avez rendus. Et comme la Rochefoucauld lui représentait plus vivement encore qu'il n'était pas permis de payer des services personnels avec les biens de l'Église : Ne me refusez pas, dit enfin le roi ; Saint-Geneviève m'est encore plus chère que Marmoutiers, prenez-la, et vous y mettrez la réforme[12]. A ces conditions, et dans cet espoir seulement, la Rochefoucauld avait accepté la commende, et pour prouver sa sincérité, il s'était mis sans délai à l'œuvre comme un véritable abbé convaincu de ses obligations. Il était ainsi tout préparé à la mission réparatrice que le Saint-Siège lui confia en 1622. Il la remplit avec une noble et heureuse fermeté. Il poussa dans la congrégation de Saint-Maur plusieurs monastères bénédictins. Il favorisa l'Étroite Observance de Meaux jusqu'à donner le gouvernement de l'ordre à un vicaire général choisi dans cette observance, et à défendre à toute maison relâchée de recevoir des novices. Quant aux Augustins, il en ramena un grand nombre par l'exemple et par l'alliance de Sainte-Geneviève qui appartenait à cette règle. En 1634, il érigea en congrégation de Sainte-Geneviève toutes les maisons d'Augustins qui avaient obéi à ses instances, et qui méritaient leur nom par un retour sérieux aux constitutions de leurs fondateurs. Il couronna ses services par un acte d'honnêteté, qui était en même temps un des remèdes les plus efficaces du mal qu'il travaillait à guérir. Il n'avait accepté l'abbaye de Sainte-Geneviève que pour y mettre la réforme. Quand la régénération fut accomplie, il annonça qu'il voulait la garantir pour toujours par le rétablissement d'un abbé régulier, seul capable de supprimer les abus inhérents à la présence d'un abbé imposé du dehors. Louis XIII renonça au droit de nomination qu'il avait dans cette abbaye[13]. Rome permit que les religieux de Sainte-Geneviève et de la congrégation élussent parmi eux un abbé triennal, un abbé vrai et non fictif, dit la bulle[14]. Ce fut d'abord un coadjuteur du cardinal, et comme un essai du nouveau régime, puis au bout de quelques années, quand l'expérience parut suffisante, la Rochefoucauld donna sa démission d'abbé, abandonna des avantages temporels qu'il n'avait jamais exploités à son profit, et d'un titre que tant d'autres recherchaient par cupidité, il ne conserva que le contentement de sa conscience et l'honneur d'un désintéressement incomparable[15]. Quelque précieux que soient ces résultats, quelque honneur qu'ils fassent à leurs auteurs, c'est à peine s'ils égalent dans leur ensemble les œuvres d'un seul homme, leur contemporain, à qui il a été donné de trouver des remèdes contre tous les désordres, des consolations contre toutes les misères. Chacun de ces pieux ouvriers a une spécialité dans les réformes accomplies par tant d'ardeurs généreuses ; lui, il a pour caractère d'être à la fois le réformateur de l'ignorance populaire, et des mœurs du clergé, le promoteur de la vie monastique, l'organisateur de la charité, le défenseur de la vérité contre les doctrines de l'hérésie ; et de tous ces mérites il a recueilli une popularité si pure et si forte, que le cours des siècles n'a pu l'affaiblir, que l'incrédulité même la respecte, que ceux qui ne révèrent pas le saint, s'inclinent au moins devant le grand homme de bien. Le lecteur reconnaît Vincent de Paul. Ce qui marque ses œuvres d'un sceau particulier, c'est qu'il ne les cherche pas, et qu'il s'y trouve tout préparé dès qu'elles se présentent d'elles-mêmes à lui. Il n'a pas de plan préconçu, mais à chaque besoin qu'il découvre, à chaque faiblesse qui réclame son assistance, il s'y dévoue sans calcul, et, par le charme de son exemple, il gagne et attache à l'entreprise le concours d'auxiliaires persévérants. Il ne se propose pas de grands succès, il n'a pas l'impatience du résultat rapide et complet ; mais ce calme même lui laissant toute sa liberté d'esprit, il trouve du temps et des lumières pour diriger ensemble les fondations les plus diverses, et des ressources pour leur assurer, en peu d'années, les conditions de la puissance et de la durée. Personne peut-être n'a inspiré plus de confiance aux populations et aux âmes charitables, personne aussi ne s'est plus défié de la témérité cachée sous les apparences du zèle. Il semblait avoir le privilège de réussir à son gré ; c'était l'éloge que répétaient à l'envi ses collaborateurs, surtout les femmes ; pour lui, il s'ignora toujours lui-même ; ou quand il ne pouvait se dissimuler les avantages obtenus, les progrès évidents, le bien accompli, il n'avait qu'un mot pour expliquer ces merveilles, la Providence de Dieu : Ô Sauveur, qui eût jamais pensé que cela fût venu en l'état où il est Maintenant ! Qui m'eût dit cela pour lors, j'aurais cru qu'il se serait moqué de moi.... Eh bien, appellerez-vous humain ce à quoi nul homme n'avait pensé ? Fils d'un paysan des Landes, gardeur de troupeaux — il disait volontiers : de pourceaux — dans son enfance, prisonnier et esclave des Barbaresques quelque temps après son admission au sacerdoce, il avait accepté, à son retour en France, la modeste cure de Clichy qui fut son début dans le ministère ecclésiastique. Il consentit à la quitter sur les instances de Bérulle pour prendre les fonctions de précepteur des enfants d'Emmanuel de Gondi, général des galères de France (1613). Il ne savait pas où le conduirait cet emploi au service d'un particulier, et qui n'avait de sacerdotal que la direction spirituelle qu'il donnait à la maîtresse de la maison. Mais en prêchant dans les campagnes qui appartenaient aux seigneurs de Gondi, il reconnut l'ignorance déplorable où languissaient les paysans ; il conçut aussitôt la pensée de les tirer des vices qui découlaient d'un pareil état, en les instruisant par la parole, en les dirigeant dans une meilleure voie par des conseils personnels. Il fit ainsi pendant huit ans (de 1617 à 1625) de nombreuses missions, auxquelles coopéraient çà et là quelques docteurs et prêtres zélés, attirés par son exemple. Témoin du succès obtenu surtout dans ses domaines, madame de Gondi fit les fonds nécessaires (40.000 livres) pour organiser une maison, où vivraient en commun les prêtres qui voudraient travailler aux missions sous la conduite de M. Vincent ; et par son beau-frère, l'archevêque de Paris, elle lui fit donner la principauté du collège des Bons-Enfants. Il fut stipulé que ceux qui entreraient dans la communauté renonceraient à tous bénéfices, charges et dignités de l'Église, et s'appliqueraient entièrement et purement au pauvre peuple des campagnes, allant de village en village, aux dépens de leur bourse commune, prêcher, instruire et catéchiser ces pauvres gens. Ainsi commença (1625) la Congrégation de la mission. Ils étaient trois au début, et quand ils partaient pour accomplir leur œuvre, comme ils n'avaient pas de serviteurs à qui remettre la garde de leur maison, ils en laissaient la clef chez un voisin digne de confiance. Ils furent bientôt cinq, puis sept, puis assez nombreux ou assez actifs pour suffire, dans les sept premières années, à cent quarante missions. En 1632 une bulle d'Urbain VIII les érigea en congrégation ; la même année le prieur de Saint-Lazare leur en abandonna le Prieuré, la maison et ses dépendances, ce qui doubla leurs ressources et étendit leur renommée. Les évêques commencèrent à les appeler comme des auxiliaires indispensables. Deux d'entre eux s'étaient déjà montrés en 1630 au diocèse de Montauban, ils arrivent bientôt à Bordeaux, à Saintes, à Cahors, à Mende, à Saint-Flour, à Luçon (de 1631 à 1638). Partout on les réclame, on les retient comme un exemple vivant pour le clergé, comme les régénérateurs des populations. Ainsi s'expliquent les 25 succursales de Saint-Lazare fondées, en autant de diocèses, pendant la vie de Vincent de Paul. Cette institution en fit naître une seconde, accessoire, dit modestement Vincent de Paul, et pourtant, de son aveu même, indispensable à la conservation de la première. Pour maintenir. les peuples en bon état, et conserver les fruits des missions, il fallait faire en sorte qu'il y eût de bons ecclésiastiques parmi eux, imitant en cela les guerriers conquérants qui laissent des garnisons dans les places qu'ils ont prises, de peur de perdre ce qu'ils ont acquis avec tant de peine[16] ; en d'autres termes plus précis, il fallait travailler à la régénération du clergé. Ce fut encore une circonstance inattendue qui engagea Vincent de Paul dans Ce nouveau service. Un jour qu'il s'entretenait avec Augustin Potier, évêque de Beauvais (1628) des mesures à prendre contre des dérèglements qui n'étaient que trop communs et trop visibles, il avait conclu que, s'il était difficile de convertir et de changer les vieux prêtres, il fallait s'attacher à en former de bons pour l'avenir. L'évêque, après une longue réflexion, s'arrêta au projet de faire venir chez lui les aspirants aux ordres sacrés, de les interroger, examiner, instruire pendant quelques jours, pour ne consacrer que ceux qui lui paraîtraient avoir la science et les dispositions requises. Il sollicita en même temps Vincent de Paul de venir à Beauvais, diriger ces exercices. L'essai, heureux et remarqué, fut bien vite imité. L'archevêque de Paris (1631) signifia que dorénavant les ordinands de son diocèse seraient soumis à une épreuve semblable, et il désigna les prêtres de la Congrégation de la mission pour y procéder. L'autorité pontificale se joignit pour cet effet à celle de l'ordinaire. Urbain VIII, dans la même bulle, qui établissait les prêtres de la mission pour le service des campagnes, leur confia spécialement le soin de diriger les exercices spirituels qui devaient précéder pendant quinze jours les ordinations[17]. Vincent de Paul fut par là constitué le préparateur aux ordres ecclésiastiques et le maitre du clergé. Il s'acquitta de cette charge avec d'autant plus d'empressement qu'il ne s'y était pas porté de lui-même, que cela, disait-il, ne lui était jamais tombé dans l'esprit, avec d'autant plus de ferveur, qu'il rapportait aux mauvais prêtres les épreuves, les humiliations, les pertes dont souffrait l'Église[18], avec un désintéressement qui ne regretta jamais le surcroît de dépense imposé à sa maison, par la présence et l'entretien de ces hôtes ; tant il avait à cœur de faire de la pauvreté la base du dévouement sacerdotal, et d'en donner l'exemple ! En remettant sous les yeux des ordinands, en leur expliquant toute la théologie morale, toutes les vertus, toutes les fonctions de la vie ecclésiastique, il animait à la persévérance les cœurs déjà sincèrement préparés, il corrigeait ou il éloignait ceux qui n'avaient pas les dispositions nécessaires. Les fruits de vertus qui sortirent de là furent si complets et si frappants, que l'émulation gagna, de proche en proche, les autres diocèses. Un grand nombre d'évêques établirent chez eux les exercices des ordinands, et demandèrent, pour les diriger, des prêtres de la congrégation de Vincent de Paul ; telle fut par moments la multiplicité des demandes, que les ouvriers manquèrent au travail. Jusqu'à l'établissement régulier des séminaires, ces exercices furent la meilleure préparation au sacerdoce ; le père Bourgoing, qui devait être le troisième supérieur de l'Oratoire, dans un ouvrage spécialement composé sur ce sujet, conjurait les évêques d'introduire chez eux cette salutaire coutume ; pour obtenir ce résultat, disait-il, j'offre tous mes sacrifices, mes vœux et mes prières. (1633.) Une fois appelé dans cette voie, Vincent de Paul ne pouvait plus s'arrêter, puisque toute œuvre bien commencée cherche d'elle-même son perfectionnement, et qu'il avait l'habitude de se prêter à toutes celles qui venaient solliciter une direction de sa prudence et de son zèle. Aux exercices des ordinands, il joignit les conférences des ecclésiastiques (1633). Plusieurs prêtres, nouvellement ordonnés, s'étant adressés à lui pour savoir par quels moyens ils pourraient entretenir en eux la persévérance et la pratique du bien, il leur proposa de se réunir une fois par semaine à Saint-Lazare, pour y conférer entre eux des choses qui regardaient leur état, des vertus ecclésiastiques, des fonctions du ministère ; excellent moyen, assurément, pour chacun de ne jamais perdre le souvenir de ses obligations personnelles, de retremper sans cesse son ardeur dans le conseil et dans l'exemple, et pour tous de s'encourager et de se surveiller réciproquement sans apparence de reproche et sans affectation d'autorité. Les conférences établies à Saint-Lazare furent bientôt remarquées par le nombre des assistants, et plus encore par les services auxquels ils s'appliquaient dans la ville et aux environs, dans les prisons et dans les hôpitaux. Richelieu, espérant y trouver de bons évêques, invita Vincent de Paul à lui désigner ceux qu'il croyait les plus dignes de l'épiscopat ; l'historien remarque que le ministre écrivit leurs noms de sa main. De Paris, l'institution passa dans les provinces. Olier, qui avait été un des fondateurs, la porta en Auvergne et l'établit au Puy (1636). Heureux du succès, il écrivait à la conférence de Saint-Lazare : Vous êtes établis comme des lumières, posées sur un grand chandelier dans la ville de Paris, pour éclairer tous les ecclésiastiques de France. Godeau partant pour son évêché de Vence (1637) leur promettait de se régler sur leur exemple. L'exemple fructifia d'abord à Noyon (1637), puis à Pontoise, à Angoulême (1642), puis dans bien d'autres diocèses. On lui doit, au témoignage d'un contemporain, plusieurs archevêques et évêques qui s'acquittent très-saintement de leurs charges, un grand nombre de vicaires généraux, officiaux, archidiacres, chanoines, curés et autres ecclésiastiques qui remplissent très-dignement les bénéfices, offices, et dignités de l'Église[19]. Ajoutons que Bossuet lui-même est un élève des conférences de Saint-Lazare. Il y fut admis, par un choix spécial de Vincent de Paul, au sortir de ses études théologiques. Il en garda toujours le souvenir avec reconnaissance et vénération. Deux ans avant sa mort, dans le procès de la canonisation de Vincent de Paul, il protestait qu'il avait reçu, de ce pieux personnage, les sentiments de la piété chrétienne dans toute leur pureté, et le véritable esprit de la discipline ecclésiastique[20]. Il manquait pourtant à la régénération du clergé la condition capitale, recommandée à tous les évêques par le concile de Trente, l'établissement de séminaires pour disposer par avance la jeunesse au sacerdoce. En vain on proclamait, dans les synodes, dans l'assemblée du clergé (1629), que, avec les séminaires, on verrait avant peu d'années refleurir dans l'Église l'érudition sacrée, la piété et la pureté de la vie ; tous les efforts tentés en suite de ces exhortations venaient échouer, soit contre le manque d'argent, soit contre le défaut d'organisateurs capables, soit contre le calcul égoïste des familles, qui présentaient bien leurs enfants à l'instruction gratuite, puis les reprenaient dès qu'ils étaient assez instruits pour en profiter personnellement. Les Oratoriens formaient çà et là quelques prêtres parmi leurs élèves. Bourdoise, au milieu d'autres soins, dirigeait personnellement les individus qui se croyaient appelés au ministère, et qui venaient lui demander ses conseils. Mais il n'existait encore aucune école spéciale, où tout fût organisé pour réunir et retenir ensemble les aspirants au sacerdoce, leur distribuer dans la mesure suffisante, avec le temps nécessaire, la science de la théologie, la connaissance des lois et de la discipline ecclésiastique, et constater les aptitudes et les intentions par une épreuve prolongée et certaine. Vincent de Paul donna enfin l'impulsion décisive. Il avait établi, en 1636, au collège des Bons-Enfants, une école de jeunes clercs à qui on enseignait les humanités et les bonnes mœurs, dans l'espoir de trouver un jour des prêtres parmi eux ; c'était, comme nous disons aujourd'hui, un petit séminaire. Mais outre qu'il fallait attendre que les élèves eussent grandi, il n'était pas bien sûr qu'à un âge plus avancé, et en connaissance complète des obligations sacerdotales, le grand nombre s'engageât volontiers dans une carrière où la fidélité et la vertu ne procèdent que d'une vraie vocation et d'un choix parfaitement libre. Il lui semblait urgent d'ouvrir un autre séminaire à ceux qui, déjà en âge de recevoir les ordres, s'y présenteraient d'eux-mêmes, et de les soumettre à une préparation préalable de deux années, ou au moins d'un an. On les exercerait à la vertu, à l'oraison, au service divin, aux cérémonies, au chant, à l'étude des cas de conscience et des parties les plus nécessaires de la théologie. Il en conféra avec Richelieu ; le ministre ne se contenta pas de l'approuver ; il le pressa d'entreprendre lui-même l'exécution de ce plan, et pour premier moyen il lui envoya une somme de mille écus. Au mois de février 1642, Vincent de Paul établit au collège des Bons-Enfants douze aspirants aux ordres, qu'il fit nourrir et instruire, comme il se l'était proposé, pendant deux ans. Il essayait, disait-il selon son usage, avec douze sujets seulement ; il résistait à ceux qui voulaient aller plus vite, parce que l'esprit de Dieu n'est ni violent ni tempestatif. Mais l'essai fut une fondation durable, à laquelle ne manquèrent ni les élèves, ni les ressources, et la première création de ce genre qui ait subsisté[21]. Par une heureuse coïncidence, Olier rassemblait alors une petite communauté de prêtres qui allaient organiser le séminaire de Saint-Sulpice, et l'archevêque de Paris érigeait en séminaire la communauté de Saint-Nicolas du Chardonnet (1644). L'heureuse influence de ces résultats encouragea beaucoup d'évêques à ouvrir dans leurs diocèses de semblables écoles, et plusieurs appelèrent, pour les diriger, les prêtres de la mission. Ainsi, dit Abelly, depuis que M. Vincent se fut appliqué à l'emploi des séminaires, et que l'expérience en eut fait voir plus clairement la nécessité, l'utilité et la facilité, ils ont été établis en plusieurs diocèses du royaume ; ce qui a beaucoup contribué au bien de tout le clergé de France, qui commence, par la miséricorde de Dieu, à reprendre sa première splendeur, laquelle semblait avoir été un peu ternie dans les siècles passés. Par les missions dans les campagnes (1617-1625), par l'établissement des prêtres de la mission (1625), par les exercices des Ordinands (1631), les conférences pour les ecclésiastiques (1633), la fondation de séminaires (1636-1642), Vincent de Paul prenait, sans la chercher, une place éminente parmi les réformateurs de l'Église, clergé et fidèles. Il s'en était fait une plus haute encore, parmi les bienfaiteurs des hommes, par ses institutions charitables. Sa compassion pour les souffrances corporelles lui était venue en même temps que le zèle des âmes, et du même mouvement, c'est-à-dire de la vue et du ressentiment[22] des misères publiques. Elle lui inspira d'abord les Confréries de Charité. En prêchant, à Châtillon-les-Dombes (1617), il remarqua que ceux même qui avaient l'élan de la charité ne savaient pas en régler l'exercice par une distribution vraiment utile de leurs bienfaits. Il avait recommandé à son auditoire une famille nombreuse tombée dans la misère ; les assistants coururent en grand nombre porter à ces pauvres du pain, du vin, de la viande, des provisions de toute sorte bien au delà de ce qui était nécessaire pour le moment. Il les rencontra revenant par troupes, ou assis sous des arbres pour se reposer de la chaleur. Ces bonnes gens, se dit-il, sont comme des brebis sans pasteur. Voilà une grande charité, mais qui n'est pas bien réglée ; ces pauvres malades auront trop de provisions à la fois dont une partie sera perdue, et puis après ils retomberont en leur première nécessité. Cette pensée qui le saisit à l'improviste sur le grand chemin, était, quelques jours plus tard, convertie en une institution destinée à se répandre par toute la France. Ayant donc rassemblé quelques femmes de Châtillon, celles qui avaient le plus d'aisance, il leur proposa de former entre elles une confrérie, qui soulagerait la misère par des efforts communs, par des habitudes régulières d'offrandes et de réserves, et réglerait ses dons de manière à ne pas absorber toutes les ressources pour une seule famille et en un jour, mais à les répartir entre les besoins de tous, entre tous les temps qui se succéderaient avec les mêmes nécessités. Il leur donna des règlements- pour la visite et le soulagement des malades, fixa les fonctions des officières, les devoirs de boutes les associées, et surveilla pendant quelques mois la marche de leurs opérations, qui fut si prospère que la confrérie de Châtillon, au bout de cinquante ans, était citée comme le modèle de toutes les autres, dont elle avait été l'origine. Le succès ayant justifié l'entreprise, Vincent de Paul la renouvela aussi heureusement à Villepreux, à Montmirail, à Joigny, dans plus de trente paroisses qui relevaient de la maison de Gondi. Les prêtres de la mission, dès leur commencement, travaillèrent, partout où ils prêchaient, à produire des confréries de charité comme un des meilleurs fruits de leur parole. Le fondateur n'avait aspiré qu'à les former dans les campagnes, où les hôpitaux manquaient, où les aumônes étaient moins abondantes. Mais les villes ne restèrent pas en arrière. L'évêque Augustin Potier en établit dix-huit, une par chaque paroisse de la ville de Beauvais. Vincent de Paul ne put refuser d'en organiser une à Paris (1629) sur la paroisse de Saint-Sauveur, et il dut bien vite en laisser naître quinze autres dans la ville et dans les faubourgs. Ces confréries admettaient dans leur sein toutes les femmes, de bonne volonté et de tout rang, qui avaient dessein de servir les pauvres. Elles tiraient leurs ressources de quêtes faites en leur nom dans les paroisses, de dons en argent ou en nature, tels que blé, linge, meubles et ustensiles de ménage, offerts par les associées ou Or leurs amies. Une trésorière avait la garde de l'argent, une garde-meuble celle du linge et autres objets qui devaient être à la disposition des malades ; un procureur tenait le contrôle des quêtes et des dons, le catalogue des membres de la confrérie, la liste des pauvres assistés. Les associées visitaient les malades, leur portaient la nourriture souvent apprêtée par elles ou chez elles, faisaient leurs lits, leur administraient les remèdes, et ne reculaient devant aucun soin vulgaire. Ainsi les malades trouvaient dans leur pauvre chambre toute la vigilance, tous les services qu'aurait pu leur offrir l'hôpital le mieux administré, et, ce qui valait bien plus encore, ils n'étaient pas à l'hôpital, mais dans leur domicile et dans leur famille. On leur apportait tous les remèdes corporels et spirituels, sans séparer le mari d'avec la femme, ni la mère d'avec les enfants[23]. Vincent de Paul n'avait pas dédaigné les galériens ; il les eût bien plutôt préférés aux autres malheureux, parce qu'ils étaient plus malheureux. Nommé aumônier général des galères (1622), il les avait visités à Marseille, à Paris, à Bordeaux. Non content de les évangéliser avec fruit, il avait obtenu du roi et de Richelieu le soulagement de leurs misères corporelles, par la création de deux hôpitaux dont le régime parut à ces infortunés le paradis. Il se laissa donc inviter à prendre soin d'un autre hôpital, dont il semblait que les malades eussent encore plus de droit à la compassion du public ; et ici, comme en bien d'autres circonstances de sa vie, il arriva qu'en déférant à la pensée d'autrui il rencontra l'occasion de développer plus largement autour de lui le zèle de la charité, et de rassembler des ressources plus abondantes pour la souffrance. L'Hôtel-Dieu de Paris n'était pas alors aussi bien administré qu'il importait aux besoins de sa nombreuse population. Une riche veuve qui avait remarqué cette insuffisance, et qui voulait contribuer de sa fortune à y remédier, pria Vincent de Paul de chercher les moyens d'assurer cette réparation (1634). Il ne l'entreprit qu'après s'être assuré du consentement des supérieurs, mais dès ses premiers pas, on put pressentir de grands résultats. Il réunit plusieurs assemblées de Dames, où l'on comptait bon nombre de présidentes, comtesses, marquises, duchesses et princesses, et il les constitua en compagnie des Dames de la charité. Elles s'engageaient à recueillir l'argent nécessaire aux aumônes, à visiter les malades de l'hôpital, à leur parler de leurs devoirs spirituels, à leur porter un supplément de nourriture, des bouillons le matin, une collation dans l'après-midi. On ne tarda pas à voir ces femmes du monde changées en infirmières, ceintes du tablier de service, parcourir les salles, passer d'un lit à l'autre, et présenter aux infirmes les aliments substantiels, ou les petites douceurs, préparés quelquefois par elles-mêmes, dans une chambre qu'elles avaient louée pour cet objet dans le voisinage. Les conséquences s'en montrèrent bientôt dans le changement de mœurs de ces malheureux ramenés à la religion et à la vertu, comme dans l'heureuse influence de ces soins charitables sur leur santé. Mais ce qui n'est pas moins admirable, c'est que la compagnie des Dames de la charité, créée dans le principe pour une seule œuvre, devint en peu de temps la mère et le soutien de beaucoup d'autres. Dès qu'elles eurent pris l'habitude de consacrer aux pauvres une partie de leur fortune, d'attirer à elles les dons de leurs amies, et de doubler les revenus de la Compagnie par ce concours, Vincent de Paul s'enhardit à leur recommander d'autres infortunes. Il commença par les Enfants trouvés (1638). Ces petites créatures, produit et victimes d'une débauche aussi lâche qu'effrénée, périssaient presque toutes, par l'abandon ou par l'insuffisance des soins qu'elles recevaient dans une pauvre maison où les faisaient porter les commissaires du Châtelet. Vincent de Paul invita les Dames de la charité à visiter cette maison, sachant bien que ce qu'elles y verraient éveillerait en elles une grande pitié, un vif désir de supprimer un si grand mal. Ce pieux calcul ne fut pas trompé. Dès la première vue, les Dames de la charité prirent à leur charge douze de ces enfants qu'elles logèrent dans une maison de louage ; peu à peu elles en admirent un plus grand nombre, et jamais elles ne se découragèrent malgré le surcroît considérable de dépenses que l'accroissement des besoins faisait peser sur elles. Souvent menacée de déficit, mais toujours relevée par une série d'exhortations et d'efforts qui sont restés célèbres, l'œuvre des Enfants-Trouvés finira par devenir une institution publique ; elle est encore aujourd'hui un des types les plus populaires des bons services de Vincent de Paul. Il emploiera de la même manière les Dames de la charité à fonder la maison des filles de la Providence, retraite offerte à d'honnêtes filles trop exposées dans le monde. Ces auxiliaires lui trouveront encore l'argent nécessaire à ses pauvres galériens, puis ces millions qui seront la principale assistance des provinces ravagées par la guerre, puis les premiers matériaux de l'hôpital général. Nous raconterons, à leurs dates, toutes ces merveilles de la charité. Cependant il fallait à ces belles créations des agents réguliers, qu'une pratique constante rendit habiles dans l'art de servir les pauvres, et capables de l'enseigner aux autres, des gardiens spéciaux et permanents qu'aucun autre soin ou devoir légitime ne vint distraire de cette occupation. Louise de Marillac, veuve de Legras secrétaire de Marie de Médicis, si connue sous le nom de Mademoiselle Legras[24], s'était mise entièrement sous la direction de Vincent de Paul, au mérite duquel son souvenir est resté glorieusement uni. Comme elle était libre de son temps et de sa fortune, il la chargea (1629) de visiter les confréries de charité établies dans les campagnes, de raffermir celles qui chancelaient, de dresser les inexpérimentées, d'assurer, par des tournées régulières, l'effet de ses bons conseils. Ce système d'inspection réussit à merveille ; mais, à mesure que l'œuvre s'étendit, de nouvelles mesures parurent indispensables à sa conservation. Les femmes qui composaient les confréries de charité, surtout dans les villes, et d'abord à Paris, avaient quelquefois plus de bonne volonté que de liberté ; il leur était plus facile de contribuer de leur argent que de leurs personnes. L'opposition de leurs maris, le soin de leurs familles, leurs devoirs domestiques, l'inégalité même des forces et des santés, ne leur permettaient pas de consacrer toujours et également aux malades une part de leur temps. On sentit qu'il faudrait à chaque confrérie une ou plusieurs servantes des malades, qui n'auraient pas d'autre emploi, seconderaient les associées, et seraient toujours prêtes à les remplacer au besoin. Vincent de Paul, loin de rejeter cette proposition (1630), la trouva opportune, et d'autant plus facile à réaliser qu'il avait souvent rencontré de bonnes filles à qui le mariage ne convenait pas, à qui la vie des cloîtres était peu abordable, mais qui seraient bien aises de se donner pour l'amour de Dieu au service des pauvres. Telle est l'origine des filles de la Charité. Il n'avait jamais songé à créer un ordre religieux. Ce n'est pas qu'il ne fût un très-habile maître de la vie monastique. On le voit amplement à tant de monastères protégés par sa vigilance et préservés de supérieurs incapables ou indignes. Il était, en compagnie de Grégoire Tarisse, le conseiller de la Rochefoucauld, depuis que le pieux cardinal avait commencé sa réforme. Il avait accepté, en 1622, à la prière de François de Sales, la direction des monastères de la Visitation établis à Paris, et Jeanne de Chantal ne se lassait pas d'admirer son intelligence autant que ses vertus. Mais le nom même de la Visitation devait lui rappeler que cette aimable institution était restée incomplète, que le fondateur avait été empêché de faire tout ce que son cœur lui inspirait pour les nécessités de son siècle, et que sa bonne pensée, arrêtée à la porte de l'Église, attendait toujours un introducteur. François de Sales en effet s'était proposé d'appliquer ses religieuses à la visite des malades — de là le nom de Visitation — ; mais il y avait renoncé bien malgré lui sur les représentations réitérées, et encore trop puissantes, de certaines âmes timorées ou routinières, qui ne comprenaient pas une religieuse sans cloître, ni la contemplation dans les œuvres de charité extérieure. Vincent de Paul fut amené insensiblement à exécuter ce que François de Sales n'avait eu que la liberté de concevoir. Il y réussit avec une approbation qui a dignement justifié l'évêque de Genève, et l'a couronné lui-même de sa gloire la plus connue et la plus durable. Deux servantes des pauvres, mises au service de deux confréries de Paris, voilà tout le commencement. Ensuite un petit noviciat, établi dans la maison de mademoiselle Legras (1633), bientôt transféré à la Chapelle et ramené définitivement au faubourg Saint-Lazare, constitua la corporation. Dès que le nombre eut augmenté sensiblement, il y eut concurrence à qui obtiendrait ces auxiliaires ; d'abord les confréries de Charité de Paris, puis les dames de la Charité pour l'Hôtel-Dieu et pour leurs Enfants-Trouvés, puis une protectrice de l'hôpital des galériens qui fit, à cet effet, une rente de six mille livres, puis par imitation naturelle, les confréries et les hôpitaux de province. En 1644, la cause était gagnée. Vincent de Paul rédigea les constitutions, et l'archevêque de Paris érigea la Compagnie des filles de la Charité, servantes des pauvres, sous la direction du supérieur général de la Congrégation de la mission. Ainsi naquirent ces religieuses d'un nouveau genre, à qui notre siècle s'étonnerait avec tant de raison que l'on contestât le nom de religieuses ; car elles le sont par tous les sacrifices qui multiplient le dévouement, par l'obéissance, le célibat, la pauvreté. Vincent de Paul lui-même, pour ménager encore les scrupules de quelques-uns de ses contemporains, consentait à dire : Ce ne sont pas des religieuses, mais des filles qui vont et viennent comme des séculières ; elles n'ont pour monastères que les maisons des malades, pour cellule quelque pauvre chambre, pour chapelle l'église paroissiale, pour cloître les rues de la ville, pour clôture l'obéissance, pour grille la crainte de Dieu, et pour voile la sainte modestie. Mais s'il sacrifiait le nom, il ne diminuait pas les devoirs : Une fille de la Charité, écrivait-il encore, a besoin de plus de vertus que les religieuses les plus austères. Il n'y a point de religion de filles qui ait autant d'emplois qu'elles en ont ; car les filles de la Charité ont presque tous les emplois des religieuses ; elles ont à travailler à leur perfection comme les Carmélites et autres semblables, au soin des malades comme les religieuses de l'Hôtel-Dieu de Paris et autres hospitalières, à l'instruction des pauvres filles comme les Ursulines. La reconnaissance publique a solennellement confirmé ce témoignage, et de toutes les institutions monastiques il n'en est pas de plus respectée parmi nous. Les filles de la Charité sont devenues et demeurent par excellence les religieuses du peuple. A ne considérer que la liste déjà longue des réformateurs depuis César de Bus jusqu'à Vincent de Paul, et la série d'œuvres excellentes que le public accueille avec tant d'empressement, on reconnaît qu'un esprit de renaissance religieuse soufflait sur la société du dix-septième siècle, et pénétrait profondément les masses, malgré bien des résistances partielles. Le mouvement s'étendra encore ; il justifiera par ses bienfaits le renom d'âge religieux, que cette époque mérite, surtout quand on la compare aux hérésies du seizième siècle et à l'incrédulité du dix-huitième. Cependant le succès ne sera pas complet. L'Église, comme l'homme, n'est jamais sans épreuve ici-bas ; dès qu'elle commence à triompher, de nouvelles attaques viennent l'avertir qu'elle ne doit jamais cesser de veiller et de combattre. La contradiction, au XVIIe siècle, eut pour origine l'ardeur même dont l'Église donnait l'exemple, le zèle pour le rétablissement de la foi et des mœurs, mais un zèle exagéré et dégénéré en orgueil. A côté de la régularité se place la rigueur, à côté de Bérulle et de Vincent de Paul apparaît l'abbé de Saint-Cyran, à côté des filles de la Charité les théologiennes de Port-Royal. Le jansénisme est la semence de division jetée dans le champ des travailleurs évangéliques. Un Flamand et un Gascon, Jansénius — Cornelis Jansen — et Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, s'étaient rencontrés dans des études communes à Louvain vers 1611. Ils s'appliquèrent à retrouver à l'originels doctrine perdue, à ressaisir la vraie science intérieure des sacrements et de la pénitence[25], et ils crurent la reconnaître dans une conception exagérée du péché originel et de la grâce[26], qui anéantissait la liberté humaine et rendait inutile la vertu. C'est ainsi qu'ils entendirent la doctrine de saint Augustin contre Pélage. Pendant que Jansénius élaborait un gros livre qui ne devait paraître qu'après sa mort, Saint-Cyran cherchait en France des adeptes capables de représenter et de défendre ses théories. Il échoua auprès de Bérulle ; il fut inflexiblement repoussé par le doux Vincent de Paul que son orgueil épouvanta[27]. Il réussit mieux auprès d'un monastère célèbre par sa réforme récente, et d'une famille composée de têtes obstinées, dont tous les membres, hommes et femmes, embrassèrent sa cause avec le courage de l'opiniâtreté et de la passion[28]. Le monastère était Port-Royal, de l'ordre de Cîteaux, près
de Chevreuse, qui avait Angélique Arnault pour abbesse ; la famille était
celle des Arnault. Angélique instituée abbesse à onze ans, par une de ces
faveurs royales qu'autorisait le système des commendes, avait pris plus tard
ses fonctions au sérieux ; elle avait réformé Port-Royal avec une énergie que
François de Sales admirait. Son frère Arnault d'Andilly, l'aîné de vingt
enfants, ayant rencontré Saint-Cyran à Poitiers (1620),
fut frappé du savoir et des dehors de sainteté de cet homme austère ; il
ternit en rapport avec sa sœur et bientôt avec sa mère. Saint-Cyran tenait
beaucoup, bien plus que Jansénius lui-même, à se former un parti dans les
religieuses, parce que les femmes ont plus d'emportement vers la perfection,
plus d'ardeur de propagande, peut-être aussi parce que, en cas de
persécution, l'intérêt qui s'attache à leur faiblesse rejaillirait sur la
doctrine soutenue par elles. Il devint sans délai le directeur d'Angélique et
de sa sœur Agnès qui la secondait avec une vertu sincère dans le
rétablissement des constitutions de saint Bernard. Il entra ainsi dans
Port-Royal pour en altérer la destination : Homme fatal,
dit à ce sujet un philosophe de nos jours[29], qui introduisit dans Port-Royal une doctrine particulière,
imprima à une œuvre sainte et grande le caractère étroit de l'esprit de
parti, et fit presque d'une réunion de solitaires une faction. L'ascendant de cet homme dominait sans peine des esprits mal préparés aux questions théologiques ou sensibles aux apparences généreuses. Balzac lui écrivait[30] : Il n'y a pas moyen de conserver son opinion si elle n'est pas conforme à la vôtre... C'est vous seul qui m'avez donné de l'amour pour les choses invisibles, et m'avez dégoûté de mes premières et plus violentes affections. En même temps qu'il exaltait la confiance des religieuses, il inspirait à des ecclésiastiques, à des hommes du monde, la pensée de se mettre sous sa direction, de se retirer dans la solitude pour y étudier ou se consacrer à l'éducation des enfants. Il enleva Lancelot à Bourdoise, Singlin à Vincent de Paul, et tout d'abord il les établit dans un domicile 'commun avec quelques enfants dont il leur confia l'instruction. Antoine Lemaitre, neveu d'Angélique Arnault, avocat brillant, renonça avec faste (1637) à sa gloire, pour expier dans la retraite les crimes de sa vie[31]. Ses deux frères ne tardèrent pas à le suivre, et le second qui s'appelait Isaac, affecta de se cacher sous ce prénom retourné et de n'être plus que M. de Saci. Tels furent les premiers solitaires de Port-Royal, qui purent en effet prendre dès le début le nom de ce monastère, parce qu'ils y firent un premier essai d'établissement (1638), en l'absence des religieuses que l'accroissement de leur nombre avait forcées de se transporter à Paris dans une maison plus vaste. Quelle était donc la doctrine qui saisissait avec tant de force dei esprits honnêtes et passionnés pour le bien ? Plus tard on a distingué dans le jansénisme quatre caractères principaux, qui ne sont pas également saillants à l'origine, mais dont chacun se laisse déjà reconnaître à des traits plus ou moins sensibles : Opposition à l'autorité des rois de France, contradiction à la suprématie pontificale, rigueurs outrées dans la pénitence et la morale, manière d'entendre la grâce divine qui rétablit le fatalisme. L'opposition aux rois de France se manifesta pour la première fois dans le Mars Gallicus, pamphlet publié en Flandre contre l'alliance des Français avec la Hollande (1635). Jansénius en est l'auteur. A l'occasion des excès commis dans la guerre des Pays-Bas, il s'attaque à tous les rois de France depuis Clovis jusqu'à Louis XIII, et ne leur épargne aucune accusation. Richelieu en fut blessé ; il fait allusion, dans un de ses écrits, à cette insulte aux armes du roi[32] ; la suite prouva qu'il en gardait bonne mémoire. Ses successeurs n'ont pas non plus perdu un souvenir que ravivaient d'ailleurs assez fréquemment les hostilités plus directes de la secte[33]. La contradiction à la suprématie pontificale se laisse
entrevoir dans le Petrus Aurelius, œuvre incognito de Saint-Cyran,
composée de 1631 à 1636. Un conflit avait éclaté en Angleterre entre un
vicaire apostolique, investi de l'autorité épiscopale, et les jésuites, qui
ne relevaient que du Saint-Siège. Saint-Cyran prit en main la cause des
évêques contre les ordres religieux. Il les releva au niveau des anges, et
présenta leur dignité comme égale ou supérieure à celle des rois[34]. L'idée dominante
du Petrus Aurelius, c'est que l'Église était,
non pas une monarchie, mais une aristocratie sous la conduite des évêques
qu'il semblait égaler aux papes et dont en même temps il rapprochait les curés[35]. Dans l'ensemble
de son système, la domination s'exerçait par l'autorité infaillible des
conciles généraux ; le pape n'apparaissait au-dessus que comme une couronne un peu honoraire[36]. Le livre fit
grand bruit, soit par la rudesse même de la pensée qui procédait moins de la douceur de saint Augustin que de la bile de
saint Jérôme, soit parce qu'une sentait pas les compositions du siècle, et
qu'il représentait une Église que personne n'avait vue[37]. Il eut même un
moment la faveur du clergé de France, qui se laissa prendre à ce respect
affecté pour les évêques, et paya l'impression. Mais ce n'est pas le goût de la résistance politique, ni le besoin d'abaisser le Saint-Siège, qui attira d'abord des adeptes à Saint-Cyran. La principale attraction était dans la sévérité de sa morale, et dans le mystère inquiétant de sa doctrine sur la grâce divine. Il prêchait sans cesse la profonde dégradation cl l'homme depuis le-péché originel ; il en exagérait même les conséquences, et ne trouvait, comme moyen de contrebalancer l'offense, que l'immolation complète de la personnalité humaine par de profondes humiliations, par des sacrifices, des abstentions de toute nature dans l'ordre temporel et même dans le spirituel. Il condamnait, il exagérait la corruption de l'Église de son temps, en des termes qui avaient révélé en lui, à Vincent de Paul, un hérétique redoutable, et, comme unique remède, il enseignait la nécessité d'opposer à ce mal des excès de vertu, pour reconstruire une nouvelle église qui serait enfin fidèle à son époux. Par là il entrainait des âmes ardentes, comme les réformatrices de Port-Royal, empressées de se dévouer à la perfection et d'y attirer les autres, capables d'embrasser toute nouveauté extraordinaire pourvu qu'elle eût l'apparence d'une réforme. Il insinuait en même temps, sur la grâce divine et sur la prédestination, la doctrine que le livre de Jansénius a développée plus tard, la doctrine que tous les hommes ne sont pas appelés au salut, que Dieu choisit à son gré et gratuitement ses élus, que nul ne peut résister à ce choix, mais que nul ne peut y contribuer par lui-même. Il donnait ainsi à ceux qui l'écoutaient la crainte de n'être pas élus ; et quand au contraire ils se sentaient appelés à le suivre et à pratiquer ses conseils, ils croyaient voir dans ce mouvement même, auquel tant d'autres restaient étrangers, une preuve de leur prédestination au salut. Tel est bien le sentiment de Lemaitre, dans la lettre triomphante où il exalte, comme un des plus grands miracles de Dieu, sa translation du monde dans la solitude. Dans cette première époque, où rien n'est encore écrit, rien formulé en système, on peut cependant dégager déjà de certains actes ou paroles des adeptes, comme des plaintes ou des soupçons de leurs adversaires, les tendances, les pratiques qui ont constitué le jansénisme. Dans une conversation de Saint-Cyran avec Vincent de Paul, rapportée par ce dernier, Saint-Cyran soutient en partie la doctrine de Calvin sur la prédestination : Le sentiment de Calvin, dit-il, était bon, c'est l'expression qui est mauvaise : bene sensit, male locutus est. Dans une autre il rejette l'autorité du concile de Trente, parce que c'était un concile du pape et des scolastiques, où il n'y avait que brigues et que cabales[38]. Voilà pourquoi Vincent de Paul, qui l'avait d'abord recherché sur sa réputation de vertu, se sépara de Saint-Cyran quand il connut sa doctrine. On le voit encore auprès des premiers enfants rassemblés par Lancelot, tout en leur expliquant les beaux vers de Virgile, prononcer que ces vers ont contribué à la damnation du poète parce qu'il les a faits sans penser à Dieu. C'est bien le système qui tourne en péchés toutes les œuvres des infidèles, et en vices leurs vertus. A Port-Royal, et aux Filles du Calvaire, où Saint-Cyran fut quelque temps directeur, les religieuses s'éloignaient de la communion par un sentiment excessif de la sainteté du sacrement et de l'indignité de l'homme. Elles croyaient que, dans la pénitence, l'attrition et l'absolution ne suffisaient pas à remettre les péchés, s'il ne s'y joignait un amour parfait de Dieu, que tout homme n'est pas capable de ressentir du premier coup, que d'ailleurs personne n'est jamais assuré d'avoir au degré nécessaire. On honorait moins les saints : et il faut bien avouer que c'était là une conséquence inévitable de la doctrine nouvelle de la grâce : La prédestination exclut l'intercession[39], dit un ami de Port-Royal. Saint-Cyran attaquait ce culte dans sa plus pure expression, dans la dévotion à la Sainte Vierge ; il se tenait à distance par respect et tremblement : La grandeur de la Sainte Vierge, disait-il, est terrible. Quant à la morale, on dédaignait, non-seulement les casuistes coupables d'avoir mis trop de facilité dans l'interprétation du devoir, mais encore les docteurs qui s'en tenaient au nécessaire accessible à tous les hommes. On prétendait monter au-dessus de la nature humaine ; on en venait à dégrader comme méprisable l'accomplissement des lois de l'humanité. En 1634, Agnès Arnault ayant appris que son neveu Lemaitre voulait se marier — ce qui assurément n'a rien d'immoral ni d'anti-chrétien —, l'avertissait qu'il ne devait plus compter sur son affection, et elle en donnait pour raison que le mariage était une condition commune, profane et abjecte[40]. Ces nouveautés, quoique restreintes à un cercle peu
considérable d'initiés ou d'adversaires, commençaient à recevoir assez de
publicité pour que Richelieu s'en émût. Il traita les novateurs comme les nobles
qui lui étaient suspects. Il fit arrêter Saint-Cyran et l'envoya à Vincennes (1638). Il mettait à cette résolution une
importance capitale. Il avait prévu les réclamations que susciteraient la
vertu et la science du prisonnier. Mais,
disait-il, je suis persuadé que l'Église et l'État
me doivent savoir gré de ce que j'ai fait. Car j'ai été bien averti que cet
abbé a des opinions particulières, et dangereuses, qui pourraient quelque
jour exciter du bruit et de la division dans l'Église, et c'est une de mes
maximes que tout ce qui peut faire du trouble dans l'Église en peut exciter
dans l'État[41]. Il résista aux
instances de Molé, alors procureur général. Il n'écouta pas davantage le
prince de Condé : Savez- vous bien, lui
répondait-il, de quel homme vous me parlez ; il est
plus dangereux que six armées. Notre siècle n'admet plus l'intervention du bras séculier dans les questions de doctrine religieuse, ni la défense de la foi par la force. Mais tout juge compétent reconnaîtra, même de nos jours, que Richelieu avait raison de voir un danger sérieux pour la religion dans les doctrines de Saint-Cyran. La preuve ne tarda pas à se faire pour les esprits capables de juger les questions théologiques, de reconnaître les conséquences en germe dans leur principe, de prévoir les applications pratiques par les théories de l'enseignement. En 1640 parut enfin l'Augustinus, le grand ouvrage de Jansénius sur la grâce divine, cet énorme commentaire qui devait, en expliquant la doctrine de l'évêque d'Hippone contre Pélage, donner à la réformation de la foi et des mœurs sa base la plus solide. Or voici le résumé des théories de l'Augustinus. Jansénius considère que, depuis
la chute, tout l'homme est infecté et tombé par lui-même dans une habitude
incurable et constante du péché ; que toutes les actions en cet état sont
autant de péchés, même les plus spécieuses, le principe et la source
étant empoisonnés ; qu'il n'y a, dans une telle misère, de ressource et de
remède que moyennant une grâce souveraine, infaillible, qui descende en nous
et se fasse victorieuse ; qu'elle seule peut relever et déterminer au bien la
volonté malade et désormais incapable, par elle seule, de rien autre que du
mal ; que tous n'ont pas cette grâce, que Dieu la donne à qui il veut
dans la profondeur redoutable de ses mystères ; qu'il ne la doit à personne, tous
en masse étant tombés, et qu'il ne fait que justice en les y laissant et
n'opérant rien ; que la réprobation n'est que cette stricte justice, ce
laisser faire, ce statu quo d'une chose accomplie par le fait de
l'homme ; que la prédestination, l'élection au contraire est le décret
éternel et insondable par lequel Dieu a résolu d'excepter et de retirer qui
il lui plaît, et de donner au gracié secours pour persévérer ; qu'enfin
sans ce continuel et renaissant secours toujours gratuit et toujours
victorieux, on sera nécessairement dans l'insuffisance de remplir les
commandements[42]. Il résulte évidemment de cette doctrine, qu'il y a des hommes que Dieu ne veut pas sauver, même quand ils le voudraient, et qui demeurent dans le mal malgré eux ; que ceux que Dieu veut sauver ne sont pas libres de résister à cette impulsion toujours victorieuse, et entrent et demeurent dans le bien sans y concourir par eux-mêmes ; que les réprouvés ne peuvent pas mériter le choix de Dieu par leurs œuvres, que les élus ne sont sauvés que par la' grâce sans aucun mérite de leur part. Ainsi l'homme n'est pas libre et ses œuvres sont inutiles. Dès lors la conséquence pratique n'est-elle pas l'indifférence et l'inaction en matière de religion ? Il ne reste qu'à attendre une décision souveraine sur laquelle et contre laquelle on ne peut rien. Voilà le premier danger de cette doctrine. Aussi l'Augustinus dénoncé à Rome, aussitôt après son apparition, y fut condamné dans son ensemble par une bulle d'Urbain VIII (1613). D'autre part, si, en considération de l'indignité de l'homme, on lui enseignait à s'éloigner des sacrements qui produisent la grâce, n'était-ce pas lui ôter les occasions de s'exercer à la vertu et les moyens de s'y maintenir ? Si enfin, comme le faisait Saint-Cyran, et comme ses successeurs le prêcheront plus ouvertement encore, l'homme devait s'infliger une morale inflexible, érigeant en mal les actions les plus indifférentes, des pénitences supérieures à ses forces et à sa bonne volonté, ne le poussait-on pas à l'inaction par la lassitude, comme la prédestination l'y poussait par la certitude de l'inutilité de ses mérites ? C'était le second danger. Tels seront aussi les résultats du jansénisme. Il détruira la foi par l'indifférence, la pratique par la surcharge des devoirs ; à ce double titre, il sera, comme l'a dit un écrivain moderne, plus funeste à la religion que toute la philosophie de Voltaire. |
[1] Concile de Trente. Session VII : défense à un évêque d'avoir à la fois plusieurs églises. Session XXII : du choix des évêques. Session XXV, décret de réforme, chap. I : Non dubitandum est fideles reliquos ad religionem innocentiamque facilius inflammandos, si prœpositos snos viderint non ea qute mundi sont, sed animarum salutem ae cœlestem patriam cogitantes... admonet episcopos omnes, ut... factis edam ipsis, ac vitæ actionibus, quod est veluti perpetuum prædicandi genus, se muneri suo conformes ostendant... imprimis vero ut ita mores suos omnes componant, nt reliqui ab eis frugalitatis, modestie, continentim, se, qum nos tantopere commendat Deo, humilitatis exempla petere possint. Session XXV, de regularibus et monialibus, 22 chapitres ; entre autres prescriptions, des supérieurs et visiteurs donnés à tons les monastères ; défense de donner en commende les monastères qui sont chefs d'ordre. Session XXIII, ch. XVIII : décret relatif à la création des séminaires. Session XXIV, ch. IV, de la prédication : lidem saltem dominicis et aliis festivis diebus, pueros in singulis parochiis fidei rudimenta et obedientiam erga Deum et parentes diligenter ab iis, ad quos spectabit, doceri curabunt.
[2]
Hamon, Vie de saint François de Sales, t. II, liv. V, ch. I.
[3] Hamon, t. I, liv. IV, ch. II.
[4] Abelly, Vie de saint Vincent de Paul, liv. I, ch. I.
[5] Bulle de Paul V, 1616 : Venerabilis Cæsar de Bus, vir pietatis eximiæ... congregationis patrum doctrinæ christianæ, in regno Galliæ, primus parens et institutor habeatur... Probatæ vitæ homines, dummodo in continentia vivendi firmum propositum habeant...
[6] Le nom d'oratoire vient de la dévotion particulière des membres de la congrégation à Jésus-Christ priant pour les hommes... Sub nomine oratorii congregationem in honorem orationum quas in diebus carnis suas fudit, ut ii qui congregationem istam ingredientur, eumdem Jesum Christum pro nobis orantem et pernoctantem revereantur. Bulle de Paul V, 1613.
[7] V. Gallia christiana, t. VII, et la Vie d'Olier, notes des livres VI et VII.
[8] Bougaud, Vie de sainte Chantal, t. I, ch. XVII.
[9] V. Gallia christiana, t. VII, article Saint-Germain-des-Prés, où se trouve une longue notice sur l'origine de la congrégation de Saint-Maur, et, dans les pièces justificatives, la bulle de Grégoire XV.
[10] V. Notre histoire de la Trappe, t. I, ch. III.
[11] Bulle de Grégoire XV, 1622 : Monasteria a se invicem independentia, quœ sine capite sunt.
[12] Gallia christiana, t. VII, article de l'abbaye et de la congrégation de Sainte-Geneviève.
[13] Lettres patentes de Louis XIII, 1626.
[14] Bulle d'Urbain VIII, 1634 : Ut electio, sic dicto Francisco cardinale vivente facta, statum electivum dicti monasterii sanctæ Genovefæ abbatis triennalis stabiliat, ejusque conventum et congregationem hujusmodi, illiusque religiosos, in possessionem juris eligendi abbatem vere et non ficte constituat. V. Gallia christiana, t. VII.
[15] Procès-verbal de la démission du cardinal, 1644. (Ibid.)
[16] Instruction de Vincent de Paul, rapportée par Abelly.
[17] Præcipuus hujus congregationis finis, et peculiare institutum sit, in eorum salutem incumbere qui in villis, pagis, terris, et oppidis humilioribus commorantur ; in civitatibus autem et urbibus sacerdoces dictas congregationis nulla publica eorum instituti munera obeant, privatim tamen eos qui ad ordines promovendi fuerint, et spatio quindecim dierum ante promotionis tempus ad spiritualia exercitia mittentur ad eosdem ordines digne suscipiendos, instituant. Bulle d'Urbain VIII, 1632.
[18] Discours de Vincent de Paul à sa congrégation à propos des exercices des ordinands, en 1655, à l'époque de l'invasion de la Pologne par Charles-Gustave.
[19] Abelly, Histoire de Vincent de Paul, liv. I, ch. XXVII ; liv. II, ch. III, section V.
[20] Bossuet, lettre latine à Clément XI, 1702.
[21] Ce n'est pas une témérité que d'attribuer à Vincent de Paul la création en France du premier séminaire qui ait subsisté. L'historien d'Olier réclame cet honneur pour le fondateur du séminaire de Saint-Sulpice ; mais les dates le réfutent formellement. En février 1642, Vincent de Paul admet les premiers élèves au grand séminaire des Bons-Enfants. A ce moment, la communauté d'Olier ne se composait encore que de trois prêtres, qui avaient bien l'intention d'établir à Vaugirard le séminaire qu'ils n'avaient pu former à Chartres, mais on ne voit pas qu'ils eussent encore un seul élève ; on ne leur en voit pas davantage dans les premiers temps de leur séjour à Paris, fin de 1642 et commencement de 1643.
[22] Pourquoi a-t-on à peu près abandonné ce mot qui, comme ressentir, signifie le sentiment partagé du mal d'autrui ? On sent pour soi, on ressent pour les autres.
[23]
Abelly, liv. II, ch. VIII.
[24] A cette époque, le nom de dames était encore réservé aux femmes de la noblesse. Dans la bourgeoisie, les femmes mariées n'étaient que des demoiselles, des diminutifs de dames.
[25] Sainte-Beuve, Histoire de Port-Royal.
[26] Cousin, Jacqueline Pascal, avant-propos.
[27] Saint-Cyran disait un jour à saint Vincent de Paul : Je vous confesse que Dieu m'a donné et me donne de grandes lumières. Il m'a fait connaître qu'il n'y a plus d'Église. Autrefois, l'Église était comme un grand fleuve qui a ses eaux claires. Mais maintenant, ce qui nous semble l'Église n'est plus que de la bourbe. Le lit de cette belle rivière est encore le même, mais ce ne sont plus les mêmes eaux.... Il est vrai que Jésus-Christ a édifié son Église sur la pierre, mais il y a temps d'édifier et temps de détruire. Elle était son épouse, mais c'est maintenant une adultère ; c'est pourquoi il l'a répudiée, et il veut qu'on lui en substitue une autre qui lui sera fidèle. (V. Abelly, liv. II, ch. III.)
[28] Cousin, Jacqueline Pascal.
[29] Cousin, Jacqueline Pascal.
[30] Balzac, Lettres, 1626.
[31] Il est difficile de prendre pour un acte d'humilité l'hommage que Lemaitre lui-même rend à sa conversion : On n'a point oui dire peut-être depuis un siècle, qu'un homme au lieu et en l'étal où j'étais, dans la corruption du palais, dans la fleur de mon âge, dans les avantages de la naissance et dans la vanité de l'éloquence, lorsque sa réputation était le plus établie, ses biens plus grands, sa fortune plus avancée et ses espérances plus légitimes, ait laissé tout d'un coup bous ces biens, ait brisé toutes ces chaînes, se soit rendu pauvre au lieu qu'il travaillait à acquérir des richesses ; qu'il soit entré dans les austérités, au lieu qu'il était dans les délices ; qu'il ait embrassé la solitude, au lieu qu'il était assiégé de personnes et d'affaires ; qu'il se soit condamné à un silence perpétuel, au. lieu qu'il parlait avec assez d'applaudissements. Cependant, quoique ce miracle soit plus grand et plus rare que celui de rendre la vue aux aveugles et la parole aux muets, notre siècle est si peu spirituel, que l'on a seulement considéré comme une chose extraordinaire ce qu'on devait révérer comme une chose sainte.
Déjà Balzac avait souri des exagérations de l'humilité de Lemaitre : Je veux croire qu'il n'a pu résister à la violence de la grâce qui l'a enlevé du monde, et que Dieu a été vainqueur dans le combat qui s'est fait entre lui et l'homme. Mais pourquoi parle-t-il tant de ses infidélités et de ses crimes, dans la lettre qu'il a écrite à M. le chancelier ? Je sais bien que c'était le style de saint François. Mais ce style ne peut pas être tiré en exemple, et nous savons, vous et moi, qu'il n'a jamais fait d'excès qu'à étudier. (Balzac à Chapelain, 1638.)
[32] Mémoires de Richelieu, 1635.
[33] En 1660, le Mars gallicus était représenté comme une des preuves de l'antipathie des jansénistes pour les rois. V. Zacharie de Lisieux, dans sa carte de Jansenie : On prétend que les Janséniens ont reçu l'Évangile d'un certain Margallicus, ennemi si déclaré de nos rois, qu'on ne peut lire sans horreur ce qu'il en a écrit.
[34] Balzac, Lettres, 1634 : Quand je n'aurais appris dans son livre que le respect que les hommes doivent à un caractère révéré des anges, je n'aurais pas perdu mon temps à le lire. Si les évêques sont princes, et si leur dignité est égale ou supérieure à celle des rois, ferons-nous difficulté d'appeler un prélat Monseigneur, et l'estimerons-nous moins qu'un grand d'Espagne ou un comte d'Angleterre ?
[35] Sainte-Beuve, Histoire de Port-Royal.
[36] Sainte-Beuve, Histoire de Port-Royal.
[37] Balzac, Lettres déjà citées.
[38]
Abelly, liv. II, ch. XII.
[39] Sainte-Beuve, Histoire de Port-Royal.
[40] Cette lettre mérite d'être citée, parce qu'elle est un des premiers documents qui font voir comment l'excès de la vertu conduisait Port-noyai à l'excès de l'orgueil :
Mon cher neveu, ce sera la dernière fois que je me servirai de ce titre. Autant que vous m'avez été cher, vous me serez indifférent, n'y ayant plus de reprise en vous pour y fonder une amitié qui soit singulière. Je vous aimerai dans la charité chrétienne mais universelle, et comme vous serez dans une condition fort commune, je serai pour vous aussi dans une affection fort ordinaire. Vous voulez devenir esclave, et avec cela demeurer roi dans mon cœur ; cela ci n'est pas possible. Vous direz que je blasphème contre ce vénérable sacrement auquel vous êtes si dévot, mais ne vous mettez pas en peine de ma conscience qui sait bien séparer le saint d'avec le profane, le précieux de l'abject, et qui enfin vous pardonne avec saint Paul, et contentez-vous de cela, s'il vous plaît, sans me demander des approbations et des louanges.
N'a-t-on pas le droit de rire d'une pareille outrecuidance de perfection ? Une femme, qui n'a pas voix dans l'Église, en remontre à saint Paul. Une humble religieuse se croit d'une condition trop haute pour reconnaître son neveu dans une condition commune. La fille d'une famille, dont elle est fière, rejette sans façon sa mère dans l'abjection pour avoir eu vingt enfants. Il ne lai reste plus qu'à prescrire à Dieu de trouver un moyen plus décent pour propager l'espèce humaine :
Mais vous ne seriez pas ce dont vous vous vantez
Si ma mère n'eût eu que de ces beaux côtés ;
Et bien vous prend, ma sœur, que son noble génie
N'ait pas vaqué toujours à la philosophie.
[41] Conversation de Richelieu avec Péréfixe, rapport de par ce dernier. (V. Sainte-Beuve, t. IV, p. 87.)
[42] Sainte-Beuve, Histoire de Port-Royal. Nous n'avons pas voulu analyser nous-même cette doctrine, dans la crainte qu'on ne nous soupçonnât de l'altérer pour en rendre la réfutation plus facile. Nous avons laissé ce soin à un ami de la secte, qui ne peut être suspect.