I. — EXPOSÉ DES FAITS. M. Fulcinius avait été banquier à Rome. Au moment des guerres civiles, voulant sans doute assurer la position de sa famille pour le cas de mauvaises spéculations et faire un emploi utile de la dot de sa femme, qui lui avait été remise en numéraire, il vendit à Césennia, son épouse, un domaine qu'il possédait à Tarquinies, lieu de sa naissance. Césennia devenait ainsi propriétaire d'un immeuble qui cessait de faire partie de l'avoir du banquier, au lieu d'être, parle fait qu'elle avait reçu une dot, simplement créancière d'une somme d'argent, au même titre que les autres clients de M. Fulcinius[1]. La fortune de Césennia échappait donc à tous les risques qu'elle pouvait courir en restant confondue avec celle du banquier. Fulcinius se retira quelque temps après et il fit l'acquisition des terrains avoisinant le fonds vendu à Césennia. A sa mort, il institua son fils héritier ; il légua à sa femme la moitié de l'usufruit de tous ses biens. Le jeune homme ne survécut pas longtemps à son père. Il choisit pour héritier P. Césennius ; mais il laissa à sa mère une très grande partie de ses biens et à sa femme une somme d'argent importante. Pour faciliter le partage, on vendit, suivant l'usage, les meubles et les immeubles de la succession. Les parents et les amis de Césennia, lui conseillèrent d'acquérir, dans cette vente, les terres attenant à sa propriété, désignées, dans ce procès, sous le nom de fonds Fulcinien, en souvenir probablement de M. Fulcinius, qui les avait achetées d'abord et les avait laissées ensuite à son fils. Césennia ne pouvait mieux employer l'argent qu'elle allait retirer de la succession de son fils, comme principale légataire. Elle chargea donc un ami, Ebutius, du soin de cette affaire. Les enchères ont lieu. Ebutius se présente devant la table du banquier qui préside à la vente[2], il enchérit[3] ; et, comme tout le monde, soit par sympathie pour la veuve, soit à cause du prix élevé où montent les enchères, se retire, il est déclaré adjudicataire[4]. Ebutius, pour payer comptant, emprunte au banquier l'argent nécessaire et s'engage à le rembourser dans un temps donné[5]. Césennia, à son tour, s'acquitte envers Ebutius. Mais celui-ci trouve moyen de faire disparaître les livres de la veuve, où mention de cette opération était faite, et, s'appuyant au contraire sur les tablettes du banquier qui a présidé à la vente et qui lui a avancé de l'argent, il soutient qu'il a traité l'affaire en son nom et que le fonds fulcinien a été acheté pour son propre compte. Il était évident que les registres du banquier ne pouvaient pas établir autre chose, le mandat qu'avait reçu Ebutius n'ayant aucun trait avec les enchères elles-mêmes. Césennia, cependant, agit en propriétaire ; elle afferme le fonds. Elle épouse en secondes noces A. Cécina. Elle meurt peu après. Elle institua trois héritiers : A. Cécina pour la presque totalité de sa fortune, pour les onze douzièmes et demi (facit heredem ex deunce et semi-uncia) ; M. Fulcinius, affranchi de son premier mari, pour deux soixante-douzièmes (ex duabus sextulis) ; Ebutius, pour un soixante-douzième : Æbutio sexhilam aspergit, dit avec mépris Cicéron. C'était un souvenir. Mais celui-ci se prévalut de cette aumône pour commencer un procès et renouvela ses chicanes : iste hac sextula se ansam retinere omnium controversiarum putat. Cécina va au-devant de son adversaire, qui conteste sa qualité de citoyen et d'héritier et qui cherche à augmenter la misérable part qui lui a été laissée ; Cécina, qui était en possession des biens, demande le partage de l'hérédité[6]. Ebutius, comprenant que Cécina ne se laissera pas intimider, déclare solennellement dans le Forum que le fonds fulcinien a été acheté par lui et pour lui, qu'il doit, dès lors, n'être pas compris dans la succession et que Cécina est obligé de lui en faire la remise pure et simple. A l'objection que Césennia a possédé ces terrains pendant quatre ans, qu'elle les a affermés, comme si elle en eût été propriétaire, Ebutius répond que Césennia a pu agir ainsi et qu'il l'a laissée agir ainsi, parce qu'elle était usufruitière de tous les biens de son premier mari conjointement avec son fils, mais qu'elle n'a jamais été propriétaire, puisque c'est lui, Ebutius, qui a acquis le fonds fulcinien[7]. Cécina, sans contester le dire d'Ebutius, après sa déclaration, convient avec lui du jour, où ils se rendront sur le domaine, objet du litige, pour qu'Ebutius affirme devant témoins sa prétention d'en faire sortir Cécina[8]. Tandis que Cécina, arrivé près du fonds fulcinien, veut franchir une rangée d'oliviers, limite de la propriété, une troupe de gens, apostée par Ebutius, se jette sur lui. Devant cette violence et les menaces d'Ebutius et de ses esclaves, Cécina se retire avec les siens (amici advocatique). Le préteur F. Dolabella ordonne, suivant l'usage, que Cécina sera rétabli dans le domaine d'où il a été chassé avec violence, sans qu'on puisse lui opposer aucune exception. Ebutius répond : restitui, j'ai rétabli Cécina, manière adoucie de dire : je ne l'ai pas expulsé, comme le pense le préteur ; je ne suis pas dans les termes de son ordonnance, son interdit ne me concerne point. Pour trancher cette question, une sponsio a lieu entre Cécina et Ebutius. Si vous avez contrevenu à l'édit du préteur, dit Cécina à Ebutius, me promettez-vous cette somme ? Ebutius fait cette promesse et lie, à son tour, Cécina par un engagement semblable, dans le cas où il n'aurait pas contrevenu à l'édit, spondet ac restipulatur Æbutius. Les juges (ici récupérateurs) condamneront donc, une fois le fait établi, l'une des parties à payer à l'autre le montant de la sponsio[9]. Ce premier point vidé, la question de la propriété du fonds fulcinien et celle du partage de la succession de Césennia pourront être abordées. II. — RECUPERATORES. Ce procès est de 685 ; Cicéron avait 38 ans. Il eut lieu devant des récupérateurs. Que faut-il entendre par ce mot ? Le magistrat, après avoir dit le droit, renvoyait les
parties devant un juge ou un arbitre, suivant que le jugement était, ou non,
restreint par la formulé. A l'origine de la procédure per formulam, l'unus
judex ne pouvait être donné, à ce
qu'on suppose, que dans les débats entre citoyens. Il semble, au contraire,
que dans les procès entre romains et pérégrins, les parties étaient
renvoyées, non plus devant un seul juge, mais devant plusieurs juges qui
recevaient le titre de recuperatores[10]. Keller pense
que dans le recuperatorium judicium,
un des juges était choisi parmi les cives, un autre, parmi les socii et qu'un tiers arbitre leur était adjoint[11]. L'institution
des récupérateurs, après s'être développée d'abord dans la juridiction des
pérégrins, fut transportée dans la juridiction provinciale, puis dans la
juridiction civile ordinaire. La compétence des récupérateurs est
très-difficile à déterminer ; le plus souvent, ils étaient en concurrence
avec le judex[12]. Il semble
néanmoins que devant les récupérateurs la procédure était plus expéditive,
plus sommaire[13].
Recuperatores dare, dit Cicéron, ut quamprimum res judicaretur. — Recuperatoribus suppositis, ut qui non steterit, protinus
a recuperatoribus condemnetur, dit Gaius. La procédure était alors
et plus simple et moins favorable à la défense. Le fait rapidement constaté,
les juges condamnaient sévèrement le perdant, sans admettre aucun moyen
d'exception. Le jugement rendu par des récupérateurs avait quelque chose d'un
jugement correctionnel et la condamnation contenait le plus souvent une sorte
d'amende[14].
C'est du moins ce que nous serions portés à inférer d'un passage du pro
Tullio[15].
Tandis que le judex devait être choisi
dans l'ordre des sénateurs ou dans l'ordre des chevaliers, les recuperatores pouvaient être pris parmi les
premières personnes présentes devant le préteur. Ils étaient immédiatement
désignés, quasi repente apprehensi.
Les recuperatores siégeaient au nombre
de trois ou de cinq[16]. A. Cécina nous est connu par quelques lettres de Cicéron. Quant à Sextus Ebutius, il n'en est parlé que dans ce discours. Son défenseur, C. Calpurnius Piso, était juge dans la cause de Roscius. III. — PROPRIÉTÉ ET POSSESSION. - INTERDITS. - VIS PUBLICA ET PRIVATA. VIS ARMATA ET VULGARIS. - DEDUCTIO QUÆ MORIBUS FIT. Cécina s'appuyait, dans sa revendication contre Ebutius, sur ce fait qu'il était possesseur. Rappelons donc, avant tout, la distinction qu'il y a lieu de faire entre la possession et la propriété. La propriété comprend le jus utendi, fruendi, abutendi ; c'est le droit le plus étendu qu'on puisse avoir sur une chose. Les citoyens seuls, au début, jouissent du droit complet de propriété, que les jurisconsultes nomment dominium[17]. La possession est l'exercice, la manifestation du droit de propriété, du moins en général. Il ne suffit pas de détenir un objet pour le posséder. Ainsi le locataire ne possède pas et cependant il occupe l'immeuble loué ; il a seulement la possession matérielle, mais non la possession légale (nuda detentio, naturalisa corporalis possessio). Pour posséder, d'après le droit civil, civiliter possidere, jure civili possidere, possidere, non-seulement il est nécessaire d'avoir un objet à sa libre disposition, mais encore il faut le regarder comme sien, animo domini detinere. On distingue donc deux éléments dans la possession : un fait, une intention. Ce n'est pas seulement de l'idée de pouvoir que dérive l'idée de possession. Dans la pensée des Romains, la possession vient à la suite de la conquête : posséder, c'est s'asseoir en maître sur la terre, dont on s'est emparé les armes à la main[18]. Toutes les législations ont protégé non-seulement la propriété, mais aussi la possession. Bien des raisons expliquent cette sollicitude de la loi. D'abord la possession est le plus souvent le signe de la propriété. Le possesseur, par le fait qu'il possède, repousse, sans avoir besoin d'aucun titre, les prétentions de ceux qui n'auraient pas à lui opposer des preuves irréfutables établissant qu'il n'est pas le légitime propriétaire. Jusqu'à démonstration contraire, celui qui possède actuellement est regardé comme propriétaire. La nécessité de défendre la possession se fit sentir à Rome d'une manière toute particulière, par suite des dispositions étroites de la loi. Les citoyens romains étaient seuls propriétaires ; en dehors de l'ager romanus, il n'y avait pas de dominium. Les détenteurs de fonds provinciaux, de même que les concessionnaires de l'ager publicus, n'étaient, aux yeux du législateur, que de simples usufruitiers. Ni les uns, ni les autres n'avaient le droit de revendication, réservé aux seuls propriétaires. Des raisons d'ordre général amenèrent les préteurs à déclarer qu'ils protégeraient par leurs interdits le domaine des particuliers, comme ils défendaient déjà le domaine public, les temples, les voies, etc., contre toute entreprise illégale. De là les interdits adipiscendœ, retinendœ, recuperandœ possessionis, pour acquérir, conserver, recouvrer la possession. Ces interdits avaient leur effet dans les causes urgentes, susceptibles de faire naître des rixes. C'était le magistrat substituant la vindicte des lois aux vengeances privées. L'interdit (inter duos edictum) était la loi de la cause, promulguée, pour les parties, par le préteur[19]. Même après que l'édit général et annuel eut spécifié les cas clans lesquels l'interdit serait donné, l'usage subsista de venir pour chaque cause de même nature demander et recevoir du magistrat l'interdit promis. Si celui, contre qui l'interdit était accordé, s'y soumettait, l'affaire était terminée. Sinon, la contestation devenait procès et le magistrat renvoyait les parties devant un juge ou des récupérateurs. Ce renvoi avait lieu de deux manières : per formulam arbitrariam, c'est-à-dire, par une formule, dans laquelle le préteur invitait le juge à condamner celui qui avait, à tort, résisté à l'interdit, à des dommages intérêts envers l'autre partie, quanti ea res est ; ou per sponsionem, suivant Gaius, cum pœna et periculo, c'est-à-dire, après un engagement des parties à payer telle somme à celle des deux qui obtiendrait gain de cause. Le juge n'appréciait alors que la question de fait et condamnait ensuite l'une des parties à payer à l'autre le montant de la sponsio ; il n'y avait pas lieu à des demandes reconventionnelles. Ainsi, pour nous résumer, l'interdit était une disposition générale et éventuelle contenue dans l'Édit du préteur, promulguée à nouveau par ce magistrat pour chaque cas soumis à sa juridiction. Il est certain que le préteur pouvait refuser l'interdit qu'on sollicitait de lui et qu'il n'était pas lié par la lettre de l'édit, en d'autres termes, qu'il avait un pouvoir d'appréciation et qu'il ne se bornait pas à lire un texte aux plaideurs. Il voyait si l'on était bien dans les cas où l'interdit pouvait être accordé, si l'on ne cherchait pas à surprendre sa religion, si celui qui invoquait la protection de la justice en était digne. On usait des interdits pour prévenir ou réprimer les
violences. On distinguait différentes sortes de violences. Il était très
important pour l'avocat de déterminer exactement dans quelle catégorie
rentraient les faits de la cause. Au moment où fut plaidé notre procès, on
connaissait la vis quotidiana ou vis vulgaris, ou violence exercée sans armes,
et la vis armata ou violence avec
armes ; la vis publica et la vis privata. La vis
publica était toute entreprise illégale d'un magistrat ou contre
un magistrat, à l'occasion d'un fait politique. Cette accusation se confondit
plus tard avec l'accusation de majestate[20]. Les procès
relatifs à la vis publica étaient
extrêmement fréquents. Cicéron plaida pour Sestius, pour L. Sylla, pour
Cselius, accusés d'avoir troublé la paix publique. La loi Plautia de vi,
la première sur la matière, est du tribun Plautius Silvanus et se place en
664. En 675, Q. Lutatius Catulus en aggrava les dispositions ; la procédure
commencée ne pouvait pas être interrompue par les jours de fête et les jeux
publics[21]. La vis privata
était un délit plus ou moins grave, suivant qu'elle avait été vulgaris, ou armata.
Voici quels étaient les termes de l'interdit qui réprimait la vis quotidiana : Unde
tu, Numeri Negidi, autfamilia, aut procurator tuus, Aulum Agerium, aut
familiam, aut procuratorem illius in hoc anno dejecisti, qua de re agitur, cum
ille possideret, quod nec vi, nec clam, nec precario a te possideret, eo restituas[22]. Dans le cas de
la vis armata, le préteur rédigeait ainsi
l'interdit : Unde tu, Sext. Æbuti, aut familia,
aut procurator tuus, A. Cœcinam, aut familiam, aut procuratorem illius vi hominibus
coactis armatisve dejecisti, qua de re agitur, eo restituas[23]. C'était
l'interdit que Dolabella avait délivré à Cécina. On désignait le premier
interdit sous le nom de interdit unde vi
et le second, sous celui de interdit unde vi
hominibus coactis armatisve. On voit la différence entre ces deux interdits. Dans le premier, trois exceptions tirées d'une violence antérieure, de la clandestinité, de la précarité étaient recevables ; dans le second, elles ne l'étaient pas. Celui qui avait été expulsé sans qu'on eût recours à une troupe de gens armés, pouvait craindre, quand il revendiquerait ses droits, que l'auteur de l'agression ne lui opposât qu'il possédait lui-même par suite de violences, ou d'une manière clandestine, ou à titre précaire, vi, clam, precario. La première exception est toute naturelle ; le magistrat ne pouvait pas protéger par ses interdits celui qui s'était rendu coupable à l'égard de son adversaire du même fait qu'il lui reprochait. Dans cette hypothèse, chacune des deux parties ayant été spoliatrice et spoliée, aurait pu demander l'interdit unde vi contre l'autre ; c'était simplifier les débats que de maintenir la possession au défendeur. La possession clandestine consiste dans le fait d'avoir possédé à l'insu du propriétaire. Là encore l'exception est naturelle. Le propriétaire qui ne sait pas et qui ne peut pas savoir qu'un autre possède son immeuble, est dans l'impossibilité d'agir contre le possesseur. Enfin on entendait par précaire, le contrat, en vertu duquel le créancier laissait entre les mains du débiteur le gage qui garantissait le paiement de la dette. L'exception est légitime, celui qui ne possède une chose que par la permission d'autrui, ne possède pas en réalité[24]. Lorsqu'il y avait eu violences à main armée, l'interdit n'admettait pas d'exception. On ne pouvait, avec une troupe de gens armés, ni reprendre le gage laissé en la possession du débiteur, ni rentrer dans sa demeure, sous prétexte qu'on en avait été chassé par le possesseur actuel, ou que la possession de celui-ci était clandestine. L'intention du préteur avait été de supprimer les désordres de la rue et les vengeances particulières, il ne pouvait donc prendre, sous sa protection, ceux qui donnaient l'exemple de violences, quelque bien fondé que fût leur droit. Nous devons pourtant faire une réserve : celui qui avait chassé avec des hommes armés son adversaire et qui, quelques instants après, subissait le même sort, ne pouvait évidemment obtenir l'interdit unde vi hominibus coactis armatisve. L'adversaire aurait opposé très légitimement l'exception : Quod tu prior hominibus armatis non veneris. Repousser la force par la force est de droit naturel, Les faits de l'attaque et de la défense se produisent au même temps, in eodem congressu, suivant l'expression des juristes[25]. A l'époque de Justinien, toute différence est effacée entre la vis privata et la vis publica. — C'est ainsi que sont désignées, dans les Institutes, la vis quotidiana et la vis armata[26] —. Dans les deux cas, le possesseur doit être réintégré, sans qu'il y ait lieu d'examiner s'il a été expulsé violemment ou simplement, et sans qu'on puisse recevoir aucune exception du défendeur. Ce sont les principes de la vis armata qui sont toujours adoptés. Si les magistrats, à l'origine, s'étaient montrés moins sévères pour la vis quotidiana, c'est que la loi elle-même avait consacré une sorte de violence. Nous voulons parler de la deductio quœ movibus fit. En nous reportant aux actions de la loi et plus spécialement à l'actio sacramenti, nous trouvons un simulacre de violence, appelé par Aulu-Gelle vis civilis et festucaria[27]. On sait que l'actio sacramenti était ainsi nommée parce qu'une somme d'argent (ordinairement 500 as) était remise par l'une et l'autre partie entre les mains des pontifes, de telle sorte que cette somme était perdue par la partie qui succombait et restait acquise au trésor public (œrarium) pour le service des sacrifices (sacra publica)[28]. Dans la suite, au lieu du dépôt réel, les plaideurs garantissaient par des répondants, devant le préteur, perprœdes sacramenti, le paiement de la somme. La partie qui obtenait gain de cause, voyait déclarer par le magistrat le sacramentum justum pour elle ; celle qui perdait, perdait, outre le principal, la somme déposée ou qu'elle s'était engagée à payer au début des débats ; son sacramentum était injustum[29]. Ces expressions de sacramentum justum, injustum, devinrent synonymes de obtinere et perdere causam ; elles se conservèrent longtemps après que l'actio sacramenti fut tombée en désuétude. Primitivement les parties se provoquent au dépôt légal par une lutte simulée, la lance au poing : plus tard une baguette (festuca, vindicta) remplace la lance, symbole de la force en même temps que de la propriété civile. On distinguait, dans cette formalité, la manuum consertio et la vindicatio. S'agit-il d'un esclave ? Le demandeur, le saisissant, d'une main, et le touchant, de l'autre, avec une baguette disait : Hunc ego hominem ex jure Quiritium meum esse aio, secundum suant causant, sicut dixi. Ecce tibi vindictam imposui. Le défendeur en faisait et en disait autant. — Mittite ambo hominem, ordonnait le préteur. Là se terminait la manuum consertio, souvenir de la lutte que, dans l'origine, devait amener tout différend. Venait ensuite la revendication. Le demandeur reprenait : Postulo anne dicas qua ex causa vindicaveris. — Jus peregi, sicut vindictam imposui, répondait le défendeur. — Quando tu injuria vindicavisti, D œris sacramento te propoco, disait le demandeur. — Similiter ego te, repartait le défendeur. Le préteur attribuait la possession de l'esclave, pour jusqu'à la fin des débats, à l'une des deux parties, à charge de fournir par elle des répondants, prœdes litis ac vindiciarum qui garantiraient que dans le cas d'insuccès, elle rendrait non-seulement l'objet en litige (lis) mais encore les fruits et revenus perçus pendant l'instance (vindiciœ). Lorsque la liberté d'une personne était contestée, elle devait être laissée libre, jusqu'à preuve contraire. On disait alors que le préteur était obligé d'accorder la possession intérimaire dans le sens de la liberté[30]. Quand il y avait procès au sujet d'un immeuble, le magistrat, dans les débuts, se transportait sur les lieux, et là, avaient lieu la manuum consertio et la vindicatio. Peu à peu la vindicatio prit une forme particulière. Elle consista à forcer, en l'expulsant, l'adversaire à venir devant le préteur. Cet enlèvement de l'un des plaideurs par l'autre fut nommé deductio. Comme le but était d'amener les plaideurs in jure, il importait peu d'être expulsé ou expulsant. Des témoins assistaient à la deductio : utriusque superstitibus prœsentibus[31]. En même temps, on prenait une glèbe, une tuile, on revenait devant le préteur et, en sa présence, s'accomplissait la vindicatio. Telle était la deductio quœ moribus fit, ainsi nommée, parce que l'usage l'avait consacrée[32]. Les parties ne se présentèrent bientôt plus devant le préteur qu'après la deductio. On supprimait ainsi des allées et venues qui ne laissaient pas de prêter à la critique[33]. Mais la deductio, imaginée par les préteurs pour arrêter les disputes, n'atteignait pas toujours ce but. Elle rappelait trop à l'esprit guerrier des Romains l'emploi de la force, moyen le plus sûr et le plus rapide pour un peuple belliqueux d'arriver à la reconnaissance d'un droit contesté. La deductio, loin d'empêcher les violences, n'en fut le plus souvent que l'occasion et le commencement. Tels sont les principes qu'il fallait nécessairement résumer pour comprendre le procès de Cécina contre Ebutius. IV. — L'INTERDIT UNDE VI HOMINIBUS COACTIS ARMATISVE EST APPLICABLE À EBUTIUS. Cicéron, dans son exorde, suivant son habitude, fait un parallèle entre son client et son adversaire. Puis il reproche aux juges d'avoir renvoyé plusieurs fois la cause, sœpius prolatum judicium. Quel scrupule a fait retarder ainsi le jugement définitif ? Sans doute, celui qui succombe dans l'interdit unde vi est noté d'infamie. Mais cette aggravation de peine a lieu aussi dans les condamnations pour tutelle, mandat, fiducie, société, infidèles et elle n'est que trop légitime. D'ailleurs il ne faut pas que, plus un délit est grave, plus lent soit le châtiment. Les récupérateurs n'avaient pas besoin de plusieurs actions pour pouvoir formuler un jugement ; ils ont eu tort de prolonger les débats inutilement. Non-seulement la justice vient tard, mais encore on reproche à Cécina- le procès qu'il intente à Ebutius. On devrait plutôt le remercier de sa modération. En effet, il avait à choisir entre trois actions : l'action résultant de l'interdit unde vi, ou action civile en revendication ; l'action injuriarum, action privée, afin d'obtenir réparation d'un dommage illégalement causé ; enfin une action publique, capitale, publicum, capitis judicium, pour demander justice d'un assassinat prémédité. Par l'action privée d'injure, Cécina aurait obtenu une réparation pécuniaire. Par l'action publique, il aurait pu faire prononcer contre Ebutius une condamnation rigoureuse. La loi Cornelia de sicariis accordait spécialement Faction publique d'injure dans le cas d'expulsion avec violence d'un immeuble et la loi Julia de vi privata et publica infligeait la peine de la confiscation du tiers des biens, lorsqu'il y avait eu violence sans armes et la peine de la déportation, si l'on avait eu recours à une troupe de gens armés[34]. Mais ni l'une, ni l'autre de ces actions ne conduisaient Cécina à son but. Il voulait être réintégré dans le domaine, dont il avait été chassé. L'action de vi, accordée par l'interdit, pouvait seule donner satisfaction à Cécina[35]. Les faits étaient bien spécifiés ; l'interdit unde vi semblait avoir été rédigé tout exprès pour le cas. Cécina avait donc procédé de la manière la plus légitime et la plus régulière[36]. Après avoir démontré qu'on ne peut reprocher à Cécina d'avoir été trop dur pour Ebutius, Cicéron raconte les faits et met dans sa narration l'habileté d'un avocat, le talent d'un peintre, l'émotion d'un honnête homme parlant au nom de la vérité. Cicéron excelle dans cette partie du discours. Pour s'en convaincre, il suffit, sans parler de l'admirable récit de la Milonienne ou des grands tableaux des Verrines et des Catilinaires, de lire l'exposé des faits dans le Pro Quinctio et dans le Pro Cœcina, discours purement judiciaires, où il semble que la carrière à parcourir s'ouvre moins large et moins belle pour l'orateur. Cicéron comprenait l'importance de la narration. Une narration obscure, disait-il, jette un voile sur tout le reste ; la narration est la source de tout le discours[37]. A la clarté, à la brièveté, Cicéron joint une autre qualité non moins essentielle : l'intérêt. Les faits sont confirmés par les témoins. Ebutius lui-même ne nie pas que Cécina ait été victime de ses violences. Quant aux témoins, ce sont presque tous des parents, des amis, des serviteurs d'Ebutius et ils déposent contre lui. Malheur d'ailleurs à ceux qui font entendre une parole discordante. Si l'avocat de Cécina distribue généreusement à Ebutius les épithètes de stultus, d'improbiis, de viduarum cognitor[38], il n'épargne pas non plus les amis de son adversaire. P. Rutilius est tout étonné qu'on croie une fois à ce qu'il avance ; P. Césennius est un homme dont le corps a plus de poids que la parole ; le banquier Clodius est aussi noir de visage et d'âme que l'acteur chargé du rôle de Phormion. Falcula, que Cicéron appelle avec une amère ironie, l'honneur du sénat, la gloire et l'ornement des tribunaux, un modèle d'antique loyauté, est bien connu. Dans l'affaire d'Albius Oppianicus, accusé d'empoisonnement, il est venu siéger alors que ce n'était pas son tour et que les débats étaient presque terminés. Il n'a pas hésité cependant à condamner celui qu'il n'a pas pu entendre. Aujourd'hui le témoin déclare qu'il n'y a pas eu de violence exercée contre Cécina. Il ne faut pas lui en vouloir, s'il ment. Il est distrait, il songe à ce que lui rapportera bientôt la condamnation de quelque malheureux. C'est ainsi que les témoins partagent toujours, dans une certaine mesure, le sort de celui en faveur de qui ils déposent. L'avocat épousait avec passion la querelle de son client ; cette manière peu courtoise de traiter les témoins était générale au barreau. Plus tard, dans le Pro Cluentio (§ 37 et 41), revenant de son opinion sur Falcula, Cicéron faisait l'éloge de ce personnage et rappelait qu'il avait été acquitté relativement au fait d'avoir reçu de l'argent pour condamner un innocent. Mais je doute que Cicéron regrettât même alors les traits qu'il avait lancés contre lui dans le Pro Cœcina. Si Ebutius ne pouvait nier l'ensemble des faits, il soutenait du moins qu'il n'y avait pas eu dejectio. A tous les arguments de Cicéron l'avocat d'Ebutius, Pison, répondait : rejeci, non dejeci, nous avons repoussé un intrus, nous n'avons expulsé personne. Avec ces deux mots, l'adversaire de Cicéron croyait parer tous les coups et dire sous une forme brève : Vous perdez votre temps, vous plaidez une question étrangère au procès ; je ne vous réponds pas, car il ne s'agit pas de dejectio. C'était une scène analogue à celle d'Aristophane, dans les Grenouilles, quand, à tous les raisonnements d'Euripide, Eschyle se contente de répondre : Ληκύθιον άπολέσεις, tu vides ta petite fiole, tu épuises tes forces, tu perds ton temps. Le plaidoyer de Pison a dû être fort court. Il opposait une fin de non-recevoir : Ebutius n'est pas dans les termes de l'interdit[39]. L'interdit unde vi est un interdit destiné à protéger la possession. Or Cécina n'a jamais possédé le fonds fulcinien. Ce fonds, au contraire, a été acheté par Ebutius, payé par lui, sans qu'il ait été remboursé par Césennia. Cécina est donc mal venu de se présenter au nom de Césennia ; il n'est même pas l'héritier de cette femme ; il a perdu le droit d'hériter en même temps que le droit de cité. Si Césennia a loué pendant quatre ans ce fonds, c'est qu'elle était usufruitière de ce domaine, en vertu du testament de son premier mari. Elle morte, l'usufruit s'est éteint. Cécina n'a donc aucun titre pour réclamer la propriété du fonds fulcinien ; c'est en vain qu'il se couvre de l'interdit ; il n'a jamais possédé. A ces arguments Pison ajoutait sans doute un récit différent de celui de Cicéron : Cécina était l'agresseur, Ebutius n'avait fait que se défendre. Pison concluait que Cécina pouvait demander des dommages-intérêts, s'il avait reçu quelque blessure, en vertu de l'actio injuriarum ou bien intenter un judicium publicum à Ebutius, pour tentative d'assassinat, mais qu'il ne pouvait en aucune manière revendiquer un fonds, qui ne lui avait jamais appartenu et d'où, par conséquent, il n'avait pas pu être expulsé. Avant d'examiner cette proposition, —pour pouvoir se dire dejectus, il faut avoir possédé, — Cicéron
explique les termes de l'interdit. Il déploie dans cette discussion une
grande finesse d'esprit jointe à beaucoup d'agrément dans l'expression[40]. Montrer dans
quel sens devait être entendu l'interdit unde vi
hominibus coactis atmatisve, c'était, d'après Cicéron, résoudre
toutes les difficultés du procès. Aussi consacre-t-il à cette interprétation
la plus grande partie de son plaidoyer (vingt
chapitres sur trente-six, du ch. XI au ch. XXXII). Tota causa pro Cœcina, a-t-il dit lui-même, de verbis interdicti fuit : res involutas definiendo
explicavimus, jus civile laudavimus, verba ambigu a distinguimus[41]. Dans ce long
commentaire, Cicéron est excellent jurisconsulte ; il explique les mots avec
science et clarté, accumule les exemples et, par surcroît, répand sur tout ce
qu'il dit une grâce infinie. Ebutius disait : Non dejeci
sed obstiti ; non enim te sum passus in fundum ingredi ; sed armatos homines opposuiut
intelligeres, si pedem posuisses, statim tibi esse pereundum. — Je ne t'ai pas expulsé, j'ai résisté ; je n'ai pas
souffert que tu entrasses dans ce domaine et j'ai placé des hommes armés pour
te menacer de la mort, si tu mettais le pied sur le fonds fulcinien. Cicéron
tire de ces paroles mêmes l'aveu de violences exercées contre Cécina. En effet
celui-ci n'était venu avec ses amis que pour accomplir une formalité exigée
par le droit civil, la deductio quœ moribus fit.
Rien n'était, au contraire, plus illégal que de réunir des gens et de les
armer pour s'opposer à la deductio. Nullam actionem esse dicas ; audire cupio : qui in pace et
in otio, quum manum fecerit et copias pararit, multitudinem hominum cœgerit,
armant, instruxerit, homines inermes qui ad constitutum experiundi juris gratia
venissent, armis, viris, terrore periculoque mortis reppulerit, fugaverit,
everterit, hoc dicat : Feci equidem quæ dicis omnia et ea sunt et turbulenta
et temeraria et periculosa. Quid ergo est ? Impune feci : nam quid agas mecum
ex jure civili ac prætorio non habes ? — Il
n'y a pas d'action contre moi, disait Ebutius. C'est ce que nous allons voir, répond Cicéron. Celui qui, pendant la paix et la tranquillité, a réuni des
forces, rassemblé des gens, lésa armés, équipés et qui a mis en fuite, qui a
repoussé, éloigné avec des armes et des hommes rassemblés pour cela, par la
crainte d'un péril extrême, des gens sans armes, qui venaient pour accomplir
une formalité convenue, pourra-t-il se borner à dire : j'ai fait tout ce que
tu dis ; tout cela est une action condamnable, d'où pouvaient naître des
troubles et des accidents ; mais quoi ! je l'ai fait impunément. Ni le droit
civil, ni le droit prétorien, ne t'autorisent à agir contre moi. — Il n'existe pas d'interdit unde vi prohibitus, alléguait probablement Ebutius. Or je vous ai seulement empêché d'entrer. Donc vous ne pouvez invoquer contre moi l'interdit unde vi dejectus. C'est une subtilité. Le préteur, par l'interdit unde vi, dans le désir de protéger la possession, donne son assistance aussi bien à celui qui a été empêché d'entrer chez lui, qu'à celui qui en a été chassé. Dans les deux cas, il y a atteinte au même droit, le droit de possession. Il n'est pas nécessaire que la violence ait été exercée contre le propriétaire lui-même ; il suffit qu'un de ses gens ait été attaqué ou repoussé, pour qu'il puisse se dire dejectus. Ce sont les termes mêmes de l'interdit ; Ebutius n'y contredit pas. Par violences, il faut entendre non-seulement les coups et blessures, mais aussi les menaces : Non ea sola vis est quæ ad corpus nostrum vitamque pervenit, sed etiam multo major ea, quæ, periculo mortis injecto, formidine animum loco sæpe et certe de statu demovet[42]. — Avait-on vu venir à soi des gens armés ? Sans attendre leur attaque, on se retirait, en faisant constater le fait par des témoins, et l'on se retranchait derrière l'interdit unde vi hominibus coactis armatispe. S'il y avait débat sur la manière dont l'événement s'était passé, on avait recours à la procédure per sponsionem[43]. La manière dont Cicéron entendait la vis, avait prévalu[44]. Si la distinction entre l'introitus, l'aditus et la dejectio n'était pas une vaine subtilité inventée par Pison pour les besoins de la cause d'Ebutius, si, pour que l'interdit fût accordé, il était nécessaire que la violence eût été consommée, la loi aurait engagé elle-même les plaideurs à en venir aux mains, objet évidemment contraire à celui qu'elle s'était proposé et le préteur, loin de se montrer favorable à ceux qui ont évité l'ennemi, accueillerait les agresseurs. D'ailleurs où s'arrêterait-on, si l'on acceptait la manière de voir de Pison. Pour se dire detrusus[45], il faudrait avoir été frappé ; pour avoir été dejectus, on aurait dû être précipité d'un lieu supérieur dans un lieu inférieur. Cette interprétation est bien étroite. En fait, Cécina voulait-il entrer dans le fonds fulcinien ? Ebutius l'en a-t-il empêché ? La réponse est évidemment affirmative. Tout ce qu'on peut accorder à Pison c'est qu'il n'y a pas eu peut-être violence entièrement consommée ; mais il y a eu certainement violence commencée et cela suffit pour que Cécina ait eu raison de demander l'interdit unde vi armata, pour qu'il soit bien dans les termes de cet interdit. Il faut s'en tenir à l'esprit plutôt qu'à la lettre de la loi, dit Cicéron et il cite, à ce sujet, quelques exemples qu'affectionnait la jurisprudence romaine. M. Curius avait été institué héritier dans le cas où un posthume mourrait. Or ce posthume ne naquit pas. Que décider ? Curius devait bénéficier de la disposition testamentaire qui le faisait héritier ; l'intention du testateur était évidente : le posthume devait être préféré à Curius, mais celui-ci devait l'être à tous les autres. C'est ce que prouva aisément Crassus contre M. Scévola[46]. Autres cas. La loi des XII tables dit qu'on devient propriétaire d'un champ par une possession continue de deux ans (usucapio). Quoiqu'il ne soit pas parlé des maisons, il est certain que cette disposition leur est applicable. La loi des XII tables dit encore que, lorsqu'une voie est impraticable, on peut mener une bête de somme, par où l'on voudra. Si via sit immunita, jubet lex qua velit agere jumentum. Parce qu'une route sera mauvaise dans le Bruttium, pourra-t-on passer par la propriété de Scaurus à Tusculum ? Non. La loi veut parler des riverains ; elle permet de passer sur le bord de la propriété de ceux qui sont de chaque côté de la voie obstruée[47]. Dans l'action sacramento, le créancier disait au débiteur : quandoque te in jure conspicio... Appius Cæcus n'aurait jamais pu employer cette action, puisqu'il était aveugle. Cornélius, étant pupille, est institué héritier. La succession ne s'ouvre que lorsqu'il est arrivé à sa vingtième année. Il y a six ans qu'il n'est plus en tutelle. Il n'en doit pas moins hériter. C'est bien lui qui est l'héritier choisi par le testateur. Ces différents exemples montrent qu'il faut voir la volonté des parties et non seulement la lettre des écrits. Cicéron revient à l'interdit et en continue l'interprétation. Unde tu, aut familia, aut procurator tuus.... Le terme familia doit s'entendre aussi bien d'un seul esclave que de plusieurs ; il comprend, avec les esclaves proprement dits, toute la domesticité. De même, par procurator, on veut dire toute personne libre représentant le dejectus, le colon, un voisin, un client, un affranchi, et non pas seulement un véritable procureur, is qui legitime procurator dicitur, omnium rerum ejus qui in Italia non sit, absitve reipublicœ causa, quasi quidam pœne dominus, hoc est, alieni juris vicarius[48]. Peu importe que les gens qui ont fait subir la dejectio au plaignant, aient été réunis à cet effet, ou qu'ils se soient trouvés là par hasard. Il n'est pas nécessaire, en d'autres termes, qu'il y ait eu complot ; il suffit qu'il y ait eu action simultanée, concourante[49]. Enfin arma s'applique aussi bien aux bâtons et aux pierres qu'aux glaives et aux lances. Cicéron se résume par cette remarque vraie pour toutes les législations et pour tous les temps : la loi ne vise que les cas les plus généraux. C'est ainsi que l'interdit unde vi a été rédigé d'après la manière dont les choses se passent d'ordinaire, mais il s'applique à tous les événements du même ordre[50]. Cicéron qui vient d'expliquer l'interdit aride vi, en adoptant les principes de l'équité, s'indigne cependant contre Pison qui, lui aussi, invoquait le droit naturel. C'est qu'il faisait, en réalité, reposer toute son argumentation sur les termes mêmes de l'interdit, qu'il s'enfermait dans cette réponse laconique : rejeci, non dejeci, et qu'il cherchait à prendre son adversaire comme dans un filet[51], en rappelant sans cesse la lettre de la loi. Il était donc peu convenable de venir parler ensuite aux juges, de droit naturel et d'équité. Dans cette cause, d'ailleurs, le droit naturel et le droit civil sont d'accord ; c'est en vain que Pison voudrait infirmer l'autorité des lois et des préteurs. Cicéron est heureux de montrer que l'équité naturelle et la justice la plus stricte ne sont pas opposées. Bien qu'il explique souvent les vieilles formules dans un sens large, élevé, Cicéron, professe le respect le plus entier pour le droit civil, pour les antiques institutions de Rome. En jurisconsulte habile, il tendait bien moins à innover qu'à déduire les conclusions légitimes des lois existantes. Le droit civil est le lien des hommes qui vivent en société, vincula societatis vitœque communis ; c'est le plus bel héritage que leurs ancêtres aient légué aux Romains : major hereditas venit unicuique nostrum in iisdem bonis a jure et a legibus, quam ab iis a quibus illa ipsa bona nobis relicta sunt. Cet héritage, les jurisconsultes l'ont reçu en dépôt pour le développer et lui faire produire tous ses fruits. La cité tout entière est donc intéressée dans chaque procès à ce que la justice triomphe, la justice qui s'appuie sur la morale et la loi. Que Cécina perde sa cause, il se consolera ; mais la cité aura reçu une atteinte grave ; les biens de tous les citoyens se trouveront impunément exposés aux entreprises des malhonnêtes gens. Cicéron agrandit ainsi le débat. A la manière de Démosthène, son maître, il rattache la cause présente à celle de la cité dans son ensemble, de telle sorte qu'il puisse parler, non plus seulement pour son client, mais au nom de Rome même et qu'il ne semble pas soutenir une thèse particulière, mais se faire le défenseur de la justice, du droit traditionnel et universel. Comme les orateurs savaient habilement mêler l'intérêt général à l'intérêt privé, les débats judiciaires avaient pris à Rome une grande importance. C'était dans les tribunaux que les lois s'expliquaient, se complétaient, s'achevaient, se transformaient même parfois, par suite d'une jurisprudence qui prévalait contre le texte écrit. Dans la cause de Cécina, Cicéron, se défiant de ses seules lumières, est allé consulter son ancien collègue dans la préture, celui devant qui il a plaidé sa première cause et qui est depuis longtemps son ami, C. Aquilius Gallus, un de ces hommes qui ignorent les chicanes stériles, qui ne mettent pas aux prises l'équité et le droit civil, dont les avis sont généralement goûtés et suivis[52]. En vertu de cette loi de la sympathie qui nous fait aimer chez les autres les qualités que nous possédons, Cicéron, en traçant le portrait d'Aquilius, se peint lui-même. Nous avons déjà eu l'occasion de le remarquer. On sent combien est habile cet éloge de la loi civile et des jurisconsultes. On aurait pu croire que Cicéron parlait seulement au nom du bon sens naturel et de l'équité, parce que le droit était obscur, contestable, parce que l'avocat faisait trop bon marché des textes. En manifestant ce respect profond pour le droit et pour ceux qui l'interprètent, Cicéron semblait dire qu'il était incapable de tourner la loi, de profiter d'une surprise des juges et de chercher à produire la conviction, en excitant la sensibilité. Nous avons insisté sur ces idées, parce qu'elles expriment bien la doctrine de Cicéron et qu'il n'y a pas là simplement un artifice oratoire. L'adversaire de Cécina était, de son côté, allé trouver Aquilius. Celui-ci lui avait répondu simplement qu'il fallait s'en tenir aux termes de ce qui avait été dit et fait, omnibus quidque verbis actum pronuntiatumque sit. Cette réponse était à double sens et quelque peu malicieuse. Pison cependant cherchait à en tirer avantage[53]. En apprenant quelle avait été l'opinion de celui à qui il venait demander conseil, Cicéron, à l'en croire, fut d'abord atterré. Mais Aquilius, après avoir réfléchi longtemps, s'écria tout à coup : Les mots sont pour vous ! En résumé, Cécina a été expulsé d'un lieu, tout au moins du lieu d'où il a fui, sinon de celui où il se rendait, dejectus est aliquo ex loco, sinon ex eo loco, quem in locum venire voluit, at certe ex eo loco unde fugit. — Le préteur n'ayant pas dit de quel endroit il fallait avoir été chassé, Cécina doit être ramené là d'où Ebutius l'a repoussé. Cette consultation plaisante est un épisode piquant de ce curieux procès. Cicéron bat son adversaire avec ses propres armes[54]. Bien des commentateurs se sont montrés sévères pour cette petite comédie[55]. C'est qu'en général, on n'a pas vu le but que poursuivait Cicéron : jeter le ridicule sur une thèse peu sérieuse d'ailleurs et qui ne méritait pas d'autre réfutation. Après avoir démontré qu'Ebutius est malhonnête, Cicéron prouve que c'est un sot. Les termes de l'interdit sont clairs : unde signifie a quo loco et ex quo loco, d'auprès de, hors de. Les Gaulois ont été chassés du Capitole : a Capitolio. Ils n'y sont pas entrés, mais ils ont voulu y entrer et on dit qu'ils en ont été chassés. Quand les vents nous éloignent du port, a portu, nous demandons aux dieux de nous ramener dans ce port et non pas en vue de ce port, quoique nous ne connaissions même pas le rivage : comparaison charmante par laquelle Cicéron clôt cette puérile discussion. Ebutius insiste. Pour se prétendre dejectus, il faut avoir
possédé. Autrement on est rejectus et l'édit du préteur ne peut être invoqué.
Cette objection est plus grave. Cicéron y répond en distinguant les deux
interdits, l'un relatif à la vis quotidiana,
l'autre à la vis armata. Dans le premier,
il y avait ces mots : quam ille possideret
; dans le second, ils ne s'y trouvaient pas. Lorsqu'il y a eu violence à main armée, il ne s'agit pas de l'interdit ordinaire unde vi, admettant certaines exceptions, mais de l'interdit spécial unde vi hominibus coactis armatisve, lequel ordonne la réintégration dans tous les cas. Le fait d'une réunion d'hommes armés, de menaces de mort, de lutte illégale, fait présumer au préteur que l'auteur de l'agression est dans son tort ; aussi décide-t-il qu'en l'espèce il n'y a pas lieu de rechercher si le dejectus possédait ou ne possédait pas. Unde dejecisti, eo restituas, dit impérativement le texte. Cette théorie a été généralement admise par l'école française, à l'exception d'Hotman. Cujas et Pothier, notamment, ont adopté l'opinion émise par Cicéron. L'école allemande, au contraire, s'est rangée à l'avis de Pison. Savigny fait cette remarque : — Si
Cécina n'avait jamais possédé, il ne pouvait gagner son procès qu'à la
condition que le juge n'estimerait pas la possession indispensable.
Conséquemment la tâche de son avocat consistait à rendre aussi vraisemblable
que possible cette fausse proposition. C'est précisément ce qu'a fait
Cicéron. Dans les cas ordinaires, on réclamait l'interdit unde vi par
cette formule : unde ille me vi dejecerit, cum ego nec vi, nec clam, nec
precario ab illo possiderem. Toute l'addition consistait dans les trois
exceptions connues, et les mots cum ego possiderem n'y sont qu'à cause
de ces exceptions, sans avoir nullement pour but de désigner la possession,
en général, qui était déjà assez clairement exprimée par les mots : unde
me dejecisti. Mais lorsqu'on avait fait usage d'armes, ce n'était point
le lieu d'appliquer les exceptions et l'on supprimait toute l'addition, cum
ego.... possiderem, sans que la possession fût moins nécessaire à
l'existence de l'action. Il est donc très probable que Cicéron sait mettre à
profit cette suppression pour en tirer une conséquence aussi fausse qu'indispensable
à la cause de Cécina[56]. Nous sommes loin d'accepter ces conclusions. Il y a mauvaise grâce à ne pas reconnaître la différence de rédaction des deux interdits. Cicéron était bien fondé à dire à ses adversaires : Libre à vous de soutenir que, pour être réintégré, il faut
avoir possédé. Je n'y contredis pas. Là n'est pas la question. Je m'en tiens
au fait de violences avec armes, le seul visé par l'édit. Le préteur ne
s'occupe pas de la possession, ni moi non plus. Le préteur s'était proposé de mettre un terme à l'habitude d'armer les esclaves et de se faire justice soi-même ; il s'était donc montré sévère et ordonnait le rétablissement dans tous les cas. Nous croyons ces principes vrais, conformes à l'histoire et au droit. Que dit en effet Gaius, que l'on cite à tort contre Cicéron ? Après avoir parlé de l'interdit unde vi ordinaire, il ajoute : interdum tamen a prcetore ei, quem vi dejecerim quamvis a me vi, aut clam, aut precario possiderct, cogor rei restituere possessionem : peint si armis eum vi dejecerim ; nam prœtor proprium interdictum compa-rapit quo restitui omnimodo jubet, si quis armis aliquemdejecit. Armorum autem appellatione non solum scuta et galeas significari intelligimus, sed et fustes et lapides. — Ce texte, malheureusement altéré, mais dont la restitution nous paraît excellente[57], vient pleinement confirmer la théorie de Cicéron. Il est certain, en effet, d'après Gaius, qu'il faudrait restituer un domaine à celui qui ne le possédait pas, lorsque l'expulsion a eu lieu avec violence et armes. Ordonner au défendeur de rétablir le demandeur dans un immeuble alors même que le défendeur en a été expulsé lui-même avec violence par le demandeur en personne, ou que celui-ci a possédé à l'insu du défendeur, ou à titre précaire, n'est-ce pas déclarer précisément que le défendeur est obligé de restituer dans tous les cas, même à celui qui ne possédait pas en réalité ? Dire que le défendeur se soumettra à l'interdit, malgré tout, n'est-ce pas décider aussi que, le fait de la violence prouvé, le demandeur obtiendra fatalement gain de cause ? Qu'on ne prétende pas que la possession existe, quelque soit le vice dont elle ait été entachée. La conséquence de cette manière de voir serait de placer dans une situation meilleure celui qui posséderait même par suite de violences, que celui qui ne posséderait pas du tout. Détenir un immeuble vi, clam, precario ab adversario, n'est pas posséder, et dans le cas de la vis quotidiana, une possession reposant sur une origine aussi peu légitime n'était point suffisante pour obtenir la réintégration. L'interdit unde vi ordinaire était donné seulement pour faire recouvrer une possession perdue. Il ne devait donc sortir son effet qu'à la condition que la possession existât. Aussi cet interdit recuperandœ possessionis, admettait-il des exceptions. Elles étaient au nombre de trois. La possession vi, clam, precario, n'est qu'une simple détention, une possession apparente tout au plus, et, puisqu'elle est insuffisante, dans le cas de la vis quotidiana, elle ne saurait suffire dans le cas de la vis armata, ou il faudrait alors admettre que l'idée de la possession varie suivant les hypothèses où se place le législateur. En résumé, si l'interdit unde vi armata ne permet aucune exception, c'est que le préteur a laissé de côté la question de possession, pour ne viser que le fait de violence. Justinien a supprimé, avons-nous déjà vu, toute différence entre la vis quotidiana et la vis armata ; dans les deux cas, la réintégration est obligatoire sans exception. Il faut reconnaître dans cette confusion le développement du droit déjà en vigueur à l'époque de Cicéron. Le législateur réprime rigoureusement tout ce qui peut amener des désordres. Il est évident qu'il s'agit dans les Institutes de cet interdictum proprium, dont parle Gaius, et non de l'ancien interdit unde vi, quoique le texte rappelle seulement ce dernier, puisque ce sont les dispositions du premier qui ont été adoptées. En droit strict, Cécina n'a donc pas à prouver qu'il était possesseur. Cicéron est prêt cependant à faire cette démonstration. V. — CÉCINA A POSSÉDÉ. Le passage, où Cicéron établissait que Cécina avait possédé, ne nous est pas parvenu. La lacune ne doit pas être considérable. Dans la pensée de l'avocat, ce point était secondaire ; il devait donc être bref et se contenter d'énumérer quelques faits. Pison avait reconnu à Césennia un simple droit d'usufruit, suffisant pour expliquer la location du fonds fulcinien consentie par elle pendant quatre ans. Mais Ebutius aurait eu, en même temps, la nue propriété. Sans doute, soutenait Cicéron, Césennia a hérité de l'usufruit par testament de son premier mari, mais elle a acquis en outre la nue propriété, quand elle a chargé Ebutius d'acheter pour elle le fonds fulcinien. Pendant toute sa vie, elle a été considérée comme propriétaire et, après sa mort, le fermier convaincu qu'elle avait transmis à Cécina une propriété pleine et entière, est resté ; le bail a continué. Si Césennia n'avait été qu'usufruitière, son droit se serait éteint avec elle. Mais il n'en était pas ainsi ; personne ne le pensait. Le fermier a rendu ses comptes à Cécina, comme à l'héritier de la propriétaire. Cicéron voit dans ce fait, sinon une preuve, du moins une présomption que, lors du décès de Césennia, la transmission de la propriété s'est faite dans les mains de Cécina. Nulle part, dans le plaidoyer de Cicéron, nous n'avons trouvé que l'avocat soutînt que Césennia possédait parce qu'elle était usufruitière[58]. Ce sont, au contraire, ses adversaires qui, pour nier la possession, répondaient : possedit Cesennia propter usufructum, elle n'a possédé que dans la mesure d'un usufruit, en d'autres termes, elle n'a pas possédé réellement et véritablement. Car il est certain que celui qui ne possède que l'usufruit, ne possède pas : c'est un principe de droit. Ce ne fut que postérieurement à Cicéron qu'on connut la quasi-possession et qu'on accorda aux quasi-possesseurs des actions utiles[59] par opposition aux actions directes, données seulement aux vrais possesseurs. En admettant d'ailleurs que Césennia eût eu une quasi-possession en qualité d'usufruitière, elle n'aurait pu transmettre ce droit à son héritier. Cras voit dans ces mots : deinde ipse Cæcina quum circuiret prædia, venit in istum fundum, rationes a colono accepit..., l'acte par lequel Cécina s'établit comme possesseur. Ce serait dès lors une possession nouvelle succédant à la possession ancienne de Césennia[60], ou plutôt renouvelant cette possession, et l'héritier ayant saisi naturaliter la possession, ce droit aurait non pas survécu, mais reparu en sa personne. Cette idée est ingénieuse, mais nous ne croyons pas que ce soit la pensée de Cicéron. Césennia, pour lui, a toujours été légitime propriétaire et tous ses droits ont passé par héritage à Cécina. Au fait que le bail avait continué venaient s'en ajouter deux autres : c'est Ebutius qui a fait à Cécina la denuntiatio ; c'est, au contraire, ce dernier qui a demandé la deductio. Ce sont encore des présomptions plutôt que des preuves, mais les présomptions se soutiennent l'une l'autre et produisent aussi la conviction dans l'esprit des juges. On entendait par denuntiatio la déclaration de son droit, de ses prétentions, faite à son adversaire devant témoins[61]. Cras, d'après Hotman, avance que la denuntiatio est faite par le demandeur, c'est-à-dire, par celui qui ne possède pas[62]. Rien n'est moins établi. Ces denuntiationes in foro étaient très fréquentes et ressemblaient assez à nos significations : aucune des deux parties n'y entendait jouer un rôle plutôt qu'un autre. Il pouvait très bien se faire que, prévoyant un procès, on prît les devants et que, quoique possesseur, on fît le premier la denuntiatio. Ainsi dans le pro Quinctio[63], Alfénus déclare à Névius qu'il représente Quinctius, précisément pour l'empêcher de saisir les biens ; Quinctius cependant est défendeur et possesseur. On ne peut donc conclure avec certitude de ce qu'Ebutius a fait le premier la denuntiatio, qu'il ne possédât pas. Cependant, si l'on applique la règle, cui bono res sit[64], c'est celui qui ne possède pas actuellement, c'est le demandeur qui doit ordinairement commencer les hostilités, faire le premier la denuntiatio. Si nous ne voyons pas dans cet acte d'Ebutius, la preuve manifeste que Cécina possédait, au moins y trouvons-nous un indice favorable pour le client de Cicéron. Mais Keller[65], contrairement à Hotman et à Cras, estime que la démarche d'Ebutius établit qu'il était possesseur. Il possédait, dit-il, ayant acheté le fonds fulcinien pour lui et de ses deniers. Lorsqu'il faisait la denuntiatio, il affirmait sa possession et manifestait fortement la volonté de repousser, quant au fonds fulcinien, l'action familiœ herciscundœ, que lui avait intentée Cécina. Cette action ne peut être donnée entre cohéritiers que relativement aux choses qui sont à partager, parce qu'elles sont comprises dans la succession. Or le fonds fulcinien ne pouvait pas être compté parmi les biens de la défunte, d'après Ebutius du moins ; il opposait donc une fin de non-recevoir. Il n'attaquait pas, il se défendait et, quoique défendeur et possesseur, il avait intérêt à faire le premier la denuntiatio[66]. Cette hypothèse ne serait admissible que si Ebutius avait acquis pour lui les terrains qu'il avait mandat d'acheter pour Césennia. On peut faire pour la deductio
la même observation que pour la denuntiatio.
Cette formalité ne préjuge rien ; elle est destinée à amener les deux parties
devant le magistrat. Peu importe d'être le dejiciens,
ou le dejectus. C'est ce qu'on peut
inférer de ces lignes : Ad villam suam erat
Tullius. Appellat Fabius ut, aut ipse Tullium deduceret, aut ab eo deduceretur.
Dicit deducturum se Tullius, vadimonium Fabio
Romam promissurum[67]. Nous voyons cependant que Cécina tenait à subir la deductio[68]. Cicéron en conclut qu'en jouant un rôle passif, Cécina avait voulu établir qu'Ebutius était venu le troubler dans sa possession, qu'il avait porté les premiers coups. Keller pense, au contraire, qu'en demandant à être dejectus, Cécina reconnaissait qu'il ne possédait pas, car c'est le non-possesseur qui revendique contre le possesseur. Hypothèse pour hypothèse, je préfère celle de Cicéron, qui me paraît s'accorder mieux avec l'ensemble de la cause et le caractère des adversaires. Cicéron avait démontré rigoureusement que Cécina était dans les termes de l'interdit, unde vi hominibus coactis annatisve, et qu'il n'était pas indispensable d'avoir possédé, pour obtenir cet interdit. Allant plus loin, il établit rapidement que Cécina, d'ailleurs, a possédé. Si cette seconde partie paraît moins solide que la première, c'est qu'elle est incomplète. Cicéron rappelait peut-être d'autres faits que ceux que nous connaissons. En tous cas, c'est avec raison qu'il a parlé de la denuntiatio et de la deductio, puisque Cécina pouvait tirer parti de ces deux circonstances contre Ebutius avec assez de vraisemblance. VI. — DROIT DE CITÉ[69]. Restait une accusation plus grave. Ce n'était pas seulement en ce qui concerne le fonds fulcinien, qu'Ebutius avait contesté les droits de Cécina ; il avait aussi soutenu que celui-ci ne pouvait pas hériter, parce qu'il n'était pas citoyen. Une loi de Sylla a enlevé aux habitants de Volaterres, patrie de Cécina, le droit de cité[70]. Il ne saurait s'élever de droit
contre le droit, répond Cicéron. La loi de Sylla, qu'on invoque, rappelle
elle-même ce principe : Si quid jus non esset
rogarier, ejus ealege nihilum rogatum, — si
dans cette loi quelque chose est contraire au droit, la loi sera considérée
comme non avenue sur ce point[71]. En effet la loi a des limites ; il y a des choses que le peuple ne peut ordonner ou défendre. Devrait-on par exemple, obéir à la loi qui ferait de Cicéron l'esclave de Pison, ou réciproquement ? Non. Personne ne peut être privé de la liberté d'une manière arbitraire. Il en est de même du droit de cité, si intimement lié au droit d'être libre que, sur certains points, il en est inséparable. Qui pourrait être libre, d'après le droit des Quintes, s'il n'était d'abord au nombre des Quintes ? Le droit de cité est sacré comme la liberté ; une fois acquis, ce droit ne peut être perdu, suivant le caprice d'un dictateur. Sous Sylla lui-même, Cicéron a fait décider contre Cottaque le droit de cité n'avait pu être enlevé aux habitants d'Arretium. Une loi peut accorder à une ville, à un peuple, le droit de cité, mais, après que ce droit a été octroyé, il ne peut être retiré. Il semble que parfois la loi prononce la déchéance du droit de cité. Il n'y a là qu'une apparence. Ceux qui partent pour les colonies latines, sont, il est vrai, dépouillés du droit de cité. Mais ils le veulent bien. C'est, pour se soustraire à une peine, qu'ils acceptent de quitter Rome. Le citoyen, livré par les féciaux, ne perd le droit de cité, que si l'ennemi le reçoit. Sinon, comme il est arrivé pour Mancinus, il reste citoyen[72]. Quand le peuple vend celui qui s'est soustrait au service militaire, il ne lui reprend pas la liberté et le droit de cité : le lâche est un esclave. On vend encore l'homme qui ne s'est pas fait inscrire sur les registres du cens. Pourquoi ? Parce qu'il est réputé s'être retranché lui-même du nombre des citoyens, avoir abdiqué son titre de citoyen. Si l'inscription au cens est un des modes de l'affranchissement, la non-inscription, conséquence d'un refus ou d'une négligence, fait tomber l'homme libre aussi bas que l'esclave. L'exil n'est pas compris au nombre des peines[73]. Ceux qui ont été condamnés au dernier supplice s'exilent d'eux-mêmes. Beaucoup cependant préfèrent la mort à l'exil. Mais l'exilé ne perd le droit de cité romaine qu'autant qu'il a été adopté par une autre cité, qui possède le jus exilii, parce que, d'après le droit romain, on ne peut être citoyen de deux villes en même temps. Cette manière d'expliquer la privation du droit de cité, est quelque peu subtile, mais il y a de la grandeur dans cette conception. La loi ne fait sortir personne de la cité ; l'abdication est volontaire[74]. Sylla ne pouvait donc pas faire décider par une loi que les habitants de Volaterres ne seraient plus citoyens romains. Quoique nouveaux[75], ils étaient citoyens au même titre que les anciens, que les patriciens eux-mêmes. En supposant que la loi n'eût pas été révolutionnaire, Sylla n'avait entendu priver les citoyens de Volaterres que de leurs droits politiques et non de leurs droits civils. En effet, le texte même de la loi contient une proposition, où le jus commercii est laissé à Volaterres. Or le jus commercii c'est le droit de s'obliger juridiquement dans les contrats et d'hériter, nexa et hereditates. Lors même donc que l'acte de Sylla devrait être respecté, Cécina n'en serait pas moins l'héritier de Césennia. Le droit de cité était plus ou moins étendu. En général, Rome n'accordait le jus suffragii qu'aux villes les plus fidèles, à celles qui, après avoir été vaincues, avaient ensuite adopté sa politique et l'avaient aidée dans ses conquêtes. Volaterres était sans doute, optimo jure, c'est-à-dire qu'elle jouissait des prérogatives les plus larges du droit de cité. Sylla, pour punir ses habitants de lui avoir résisté, décréta que désormais ils seraient dans la même situation que celle où se trouvaient les habitants d'Ariminium, avant la loi Julia de 663, qui donna aux Latins le droit de cité. Ariminium avait été au nombre des douze colonies privilégiées, dont les citoyens pouvaient hériter de citoyens romains. Il est donc évident que Volaterres avait conservé le jus commercii[76]. Dans ces conditions, on ne voit pas comment la qualité d'héritier et de citoyen pouvait être contestée à Cécina par Ebutius. Celui-ci n'avait-il pas, dès le début, reconnu que Cécina était citoyen, puisqu'il avait accepté la sponsio, forme d'engagement spéciale aux Romains[77] ? Il n'y avait là probablement qu'une mauvaise chicane de la part d'un adversaire à bout d'arguments. VII. Il nous faut conclure. Dans ce procès, quelques points resteront obscurs. En définitive, Ebutius avait-il acquis pour lui, ou pour Césennia, le fonds fulcinien ? C'est ce qu'en l'absence de preuves matérielles, on ne pouvait parfaitement établir. Mais, sans parler des présomptions nombreuses qui militent pour Cécina, il y a un fait, mis hors de doute par les débats, qui devait faire pencher la balance de son côté. Ebutius avait usé de violences contre Cécina : il ne le niait pas. Pourquoi avait-il ainsi compromis une bonne cause et ne s'était-il pas simplement soumis à la deductio ? L'explication était difficile. Il alléguait seulement qu'il avait cherché à prévenir une attaque de la part de son adversaire. L'acte d'Ebutius n'en restait pas moins illégal et, si les juges ont respecté les termes de l'interdit, il n'est pas douteux qu'il ait été condamné. Relativement à la question de propriété, on peut se demander pour quel motif Ebutius, mandataire de Césennia, aurait acheté pour lui-même le fonds fulcinien. Il ne pouvait en acquérir que la nue-propriété et l'usufruit de Césennia devait, selon toute probabilité se prolonger assez longtemps, puisqu'elle n'était pas très âgée et qu'elle se remariait. On supposera peut-être qu'Ebutius fut obligé de garder pour lui une acquisition qu'il avait d'abord faite pour le compte d'une autre personne, parce que Césennia se refusa à rembourser le prix d'achat, le trouvant trop élevé. Mais Ebutius avait contre Césennia l'actio mandati contraria pour la contraindre à s'acquitter envers lui. Il n'y avait donc pour lui aucune nécessité d'acquérir le fonds fulcinien. Au contraire, Césennia avait tout intérêt à racheter la nue-propriété du fonds, dont elle avait déjà l'usufruit. De plus, il est présumable que, si les rapports entre Césennia et Ebutius avaient été aussi tendus qu'on veut bien le dire, elle n'aurait pas, à sa mort, laissé un souvenir à Ebutius. C'est pour Césennia qu'Ebutius s'est rendu adjudicataire du fonds fulcinien et c'est pour, reconnaître ce service et d'autres, qu'elle n'oublie pas son mandataire dans son testament. Ebutius, mécontent, s'attendant à un legs plus considérable, s'ingénie, après le décès de Césennia, à susciter des difficultés à Cécina, dans l'espoir d'intimider celui-ci et d'obtenir une transaction avantageuse[78]. Cicéron soutenait donc la bonne cause. Il est certain qu'il gagna son procès. En effet, dans plusieurs lettres, que lui adresse Cécina, on voit celui-ci revendiquer avec orgueil et reconnaissance lé titre de client de Cicéron[79]. Cécina, ainsi que nous le montre cette correspondance, était un homme timide, contre lequel les manœuvres d'Ebutius auraient pu réussir, sans le savoir et l'éloquence de son défenseur[80]. Dans cette plaidoirie, Cicéron apporte une connaissance profonde du droit. Il discute en maître les termes du texte dont on veut se servir contre lui. Il prouve ensuite, avec finesse, que la lettre et le sens de la loi sont en faveur de la cause dont il s'est chargé. Il saisit enfin l'occasion que lui fournit Pison de sortir d'une argumentation pleine d'intérêt, mais un peu trop technique, pour s'élever à de nobles considérations sur la liberté et le droit de cité. Son éloquence s'épanche alors librement sur des sujets qu'il affectionne. Discussions minutieuses, mouvements oratoires, plaisanterie fine, pathétique, Cicéron met tout en œuvre pour faire triompher son client et nous donne ainsi une haute idée de ce que devaient être, dans l'antiquité romaine, les débats judiciaires. Mais il y a, dans ce discours, plus que de la science, de l'habileté, de l'éloquence ; un amour véritable pour la justice et pour le droit s'y révèle à toutes les pages et il résulte de la lecture de ce plaidoyer une émotion pénétrante qui fait que Cicéron gagne encore sa cause devant la postérité, comme il a dû la gagner devant les récupérateurs. |
[1] Ulpien, Reg. 66, de dotibus.
[2] Ad tabulam adest. Cf. pro Quinct., VI, 25.
[3] Licetur.
[4] Fundus
Æbutio addicitur.
[5] Pecuniam
argentario promittit.
[6] In bonorum possessione cum esset et cum iste sextulam suam nimium exageraret, nomine heredis arbitrum familial herciscundæ postulavit. Pro Cœc., VII, 19. Le texte iste, au lieu de ipse, est celui d'Ernesti, de Keller, de Klotz, etc. Ce ne peut être Ebutius qui réclame le partage, puisque en procédant ainsi, il aurait reconnu à Cécina la qualité d'héritier, que précisément il lui déniait. Quant à Cécina, il était tout naturellement en possession des biens de sa femme. Ce passage a été pourtant l'objet de vives controverses.
[7] Pro Cœc., IV, 11.
[8] C'était là ce qu'on appelait la deductio quæ moribus fit, V. Gaius, II, 219 ; IV, 42.
[9] Nous croyons inutile d'ajouter que nous acceptons la narration de Cicéron. Supposer, comme certains critiques, que Cécina a été l'agresseur, c'est bouleverser les conditions du procès, c'est ôter toute justesse aux arguments de Cicéron.
[10] Reciperatio est, ut ait Gallus Ælius, cum inter populum et reges nationesque et civitates peregrinas lex convenit quo modo per reciperatores reddantur res reciperenturque resque privatas inter se persequantur. (Festus.) — Cf. le plébiscite de Thermessibus, § 4, et Tite-Live, XLIII, 2.
[11] Tite-Live, XXVI, 48.
[12] Gaius, IV, 46, 141, 183, 185, 187.
[13] Cicéron, Pro Tullio, 2 ; In
Cœcil., 17 ; Gaius, IV, 185.
[14] Comparez chez nous la procédure en appel et en cassation.
[15] Pro Tull., XVII, 41.
[16] Cf. Pline, Epist. III, 20 ; Tite-Live, XXVI, 48 ; XLIII, 2 ; Cicéron, In Verr., III, 13, 28, 59, 60 ; V, 54 ; pro Flacc., 21 ; de Invent., II, 20. V. aussi Collman, de judicio recuperatorio, Berlin, 1835.
[17] V. Gaius, II, 40 ; Digeste, XLI, 2 ; code VII, 32.
[18] Possidere est un composé de sedere. Les étymologistes reconnaissent dans la première partie du mot la préposition pro du grec προτι, ποτι, qu'on retrouve dans porricio, dans pono, etc. (V. Corssen, Kristische nachträge zür lateinischen formenlehre, p. 248 ; Curtius, Grundzügeder Grieschischen Etymologic, p 265-268.) J'inclinerais à croire que possidere se compose avec l'adjectif potis, comme le verbe sum, dans possum. Dès lors possidere signifierait s'établir souverainement dans un domaine. De cette manière s'allieraient les idées de libre disposition et de conquête, contenues dans le mot possidere.
[19] Gaius, IV, 138-166 ; Instit., IV, 15 ; Digeste, XLIII, 1.
[20] Cujas, ad legem Juliam de vi.
[21]
C'est en vertu de cette loi que fit Clodius accuser P. Sestius et M. Cælius.
Ces procès sont purement politiques et Cicéron y trouve l'occasion d'exercer
son esprit contre Clodius et Clodia. V. In Verr., act. I, 10 ; pro Mil., 13 ; Ad famil.,
VIII, 8 ; pro. Cœc., I, etc.
[22] Pro Cœc., 30, 31, 32 et 19 ; pro Tull., 44-45 ; Lex Thoria, 7
; Gaius, IV, 104 ; Cf. Keller, Sem., II, p. 293.
[23] Pro Cœc., 21, 22 et 8 ; pro Tull., 48 ; Ad famil., XV, 16, 3
: in hoc interdicto non solet addi, in hoc anno
; Gaius, IV, 155.
[24] Cicéron, Topic., X, 41 ;
Gaius, II, 60.
[25] Cicéron dans une lettre à Trébatius fait une allusion plaisante à cette procédure (Ad famil., VII, 13) : Tantum metuo ne artificium tuum parum prosit ; nom, ut audio, istic :
Non
ex jure manum consertum, sed mage ferro
Rem
repetant,
et tu soles ad vim facieniam adhibcri ne que est quod illam exceptionem in interdicto pertimescas : quod tu prior vi hominibus armatis non veneris ; scio enim te non esse procacem in lacessendo. Il faut entendre ainsi ce passage : Auprès de César ta science du droit te sera peu utile. Car, à la guerre, ce n'est pas en argumentant, ce n'est pas par des combats fictifs, mais par le fer que tout se décide. On ne te laissera pas d'ailleurs le temps d'étudier, on t'entraîne malgré toi au combat. Mais tu y vas avec si peu d'ardeur que tu n'as pas à craindre que l'ennemi t'oppose jamais, après la victoire de César, cette exception admise pour le cas de violence à main armée : — à moins que tu ne sois venu le premier avec des gens armés. En effet si tu frappes un ennemi, c'est que tu ne peux pas faire autrement pour te défendre toi-même. Nous voyons combien Cicéron sait être enjoué même avec un jurisconsulte austère, en continuant à parler de la façon la plus exacte la langue si expressive du droit.
[26] Instit., IV, 15, 6.
[27] Gaius, IV, 16 et suiv. ; Aulu-Gelle, XX, 10 ; Varron, de ling. lat., V, 7.
[28] Gaius, IV, 12 ; Festus ; Varron, de ling. lat., IV, 36.
[29] Pro Cœc., 33 ; pro domo, 29 ; de orat., I, 10 ; pro Mill.,
27.
[30] V. Tite-Live, III, 44-48, procès de Virginie ; Denys d'Hal., XI, 30 ; Cicéron, de Rep., III, 32 ; In Verr., I, 43 ; Texte des XII tables, 6 § 6 et 12 § 3. Gaius, IV, 16 ; Digeste, I, 1, de origine juris 2 § 24 f. Pomponius.
[31]
Superstes signifie testis prœsens, suivant Festus. Cf. Cicéron, pro Tull., c. 20.
[32] Cf. Aulu-Gelle, XX, 10 ; Gaius, VI, 17 ; pro Cœc., I, 7, 8, 32 ; pro Tull., 16.
[33] Pro Murena, 12. Il fallait, en effet, primitivement obtenir du préteur l'autorisation de procéder à la deductio. Cela s'appelait ex jure manum consertum vocare et inde in jus revocare. A Athènes, on connaissait aussi la deductio ou εξάγώγη. V. R. Dareste, Trad. de Démosthène, t. I, p. 289 et t. II, p. 81, Paris, 1875.
[34] Loi des XII tables 8, 2 ; Gaius, III, 220 et suiv. Paul, Sent., V, 4 : Instit., IV, 4, 7, 8 ; Digeste, XLVIII, 6 ; ad leg. Jul. de vi et 7 ad leg. Jul. devi privata.
[35] Quant à l'action de vi bonorum raptorum, il n'y fallait pas songer, puisqu'elle ne s'appliquait qu'aux meubles. Ce n'est qu'assez tard que les constitutions impériales étendirent cette action au cas d'invasion illégale d'un immeuble. — C'est cependant cette action que Keller aurait voulu voir intenter à Ebutius par Cécina. V. Sem., p. 411, Cf. Gaius, III, 209, 217 ; Instit., IV, 12 et 13 et IV, 2. — La peine était du quadruple.
[36] Si l'avocat de Cécina appelle quelquefois l'action qui a été intentée, action capitale, alors qu'il fait ressortir que son client s'en tient à une action civile, il ne se contredit pas. La condamnation pouvant entraîner l'infamie pour Ebutius, Cicéron disait avec raison que sa personne, caput, était compromise par ces débats. Un judicium capitis n'est donc pas synonyme d'un judicium publicum. Nous savons que Cicéron qualifiait de même de capital le procès fait à Quinctius, parce qu'il y allait de l'honneur de ce client. —
[37] Narratio obscura totam obscurat orationem ; omnis orationis relique fons est narratio. De orat., II, 80, 81, 330 et 329.
[38] Homme d'affaires qui cherche à tromper des personnes ignorantes, en s'imposant comme mandataire.
[39] Le raisonnement de Pison était analogue à celui de Cicéron dans le pro Quinctio.
[40] Les adversaires posthumes de Cicéron, notamment Savigny et Keller, trouvent, dans tout ce discours, plus de minutie que de sagacité. Ils prétendent, que c'est, pour Cicéron, une habitude, lorsqu'il a une cause mauvaise, de s'étendre sur les questions secondaires et de glisser sur les plus importantes, pour détourner l'attention. Ces reproches nous paraissent peu mérités ; nous avons déjà eu l'occasion de nous expliquer sur la valeur de ces critiques.
[41] Orator, XXIX, 102.
[42] Pro Cœc., XV, 42.
[43] At vero hoc quidem jam vêtus et majorum exemplo multis in rébus usitatum : quum ad vim faciendam (allusion à la violence symbolique, à la deductio quas moribus fit), si quos armatos quamvis procul conspexissent, ut statim testifïcati discederent, quod optime sponsionem facere possent, ni adversus edictum prætoris vis facta esset. — On voit par ce passage du pro Cœc., XVI, 55, que l'expression sponsionem facere s'applique aux deux parties, à celle qui stipule (stipulator, actor) comme à celle qui promet (sponsor, reus). Dans notre texte, la leçon si indique la question du stipulant : dans le cas où le fait est vrai ; la leçon ni celle du promettant dans la restipulatio : dans le cas où le fait n'est pas vrai... — Sur la forme de la sponsio, V. pro Quinct., VIII, 30 ; et cf. Keller, Sem., p. 3-43, etc.
[44] V. Digeste, XLIII, de vi et de vi armata.
[45] Terme employé autrefois par les préteurs à la place de dejectus.
[46] Cf. Top., X, 44 ; ibid.,
IV, 23.
[47] Cf. Festus au mot amsegetes (possesseurs d'un champ qui doit un chemin). Si via per amsegetes immunita escit, qua volet, jumentum agito (Reconstitution du texte de la table vu par Godefroy). — Digeste, VIII, 6, quemadmodum servitutes amittantur : cum via publica, vel fluminis impetu, vel ruina amissa est, vicinus proximus viam præstare debet.
[48] Cf. Top., X, 42 et Pro
Quinct., VII, 29.
[49] Cf. C. P. art. 381 et suiv.
[50] Quibus enim rebus plerumque vis fit ejusmodi ese res appellantur in interdicto. Si per alias res eadem facta vis est, ea tametsi verbis interdicti non concluditur, sententia tamen juris et auctoritate retinetur. — Cf. C. C. art. 4.
[51] Litterarum tendiculæ ; verbi laquei.
[52] Les paroles de Cicéron n'ont rien d'exagéré. Pomponius, énumérant les jurisconsultes dit : Ex quibus Gallum maximœ auctoritatis apud populum fuisse.... Digeste, I, 2, 42, de orig. jur.
[53] Aquilius voyant qu'Ebutius jouait sur les mots, avait répondu en termes équivoques, pour montrer le cas qu'il faisait de ce plaideur. — Tout ce passage est altéré et fort peu compris en général. Il faut suivre les excellents textes de Keller et de Klotz.
[54] Aut tuo, quemadmodum dicitur, gladio, aut nostro defensio tua conficiatur necesse est.
[55] Notamment Hotman : quibus omnibus respondet Cicero, mea sententia, calumniose et ad tempus causamque nimis accommodate. — t. III, p. 1118, édit. 1600.
[56] Traité de la possession.
[57] L. II, 155, édition Giraud.
[58] C'est le raisonnement que Savigny prête à Cicéron, parce qu'il n'a pas bien entendu tout ce discours. Si telle avait été l'argumentation de Cicéron, Hotman eût eu raison d'écrire : quod aperte falsum et nugatorium est, vel eis qui primoribus labris jus civile degustarunt, facile intellectu est. — V. le traité de la possession de Savigny : celui de la propriété de Pellat, p. 73. — Cf. Gaius, II, 93-94.
[59] Une action utile est une action étendue par le droit prétorien à des cas, auxquels, d'après le droit civil, elle ne s'appliquerait pas directement.
[60] Quod per colonum possideo, heres meus nisi ipse nactus possessionem non poterit possidere : retinere enim animo possessionem possumus, apisci non possumus. Cum heredes instituti sumus, adita hereditate, omnia quidem jura ad nos transeunt : possessio tamen, nisi naturaliter comprehensa, ad nos non pertinet. Digeste, XLI, 2, l. 39, § 5 et l. 23.
[61] Gaius, IV, 18-20 ; Aulu-Gelle, X, 24, 9.
[62] Op. cit. p. 33 : denunciare esse litem et judicium ostentare nisi petitioni satisfiat ; petere autem ejus esse qui non possideat.
[63] Pro Quinct., VI, 27 et XXI, 66.
[64] Règle Cassienne. V. pro Mil., XII, 32. Cette règle n'est pas plus absolue au civil qu'au criminel.
[65] Sem., p. 360.
[66] Si quid contendis ex hereditate mihi tecum commune esse, quod ego ex alia causa meum proprium esse dico, id in familiæ herciscundæ judicium non venit... Quod pro emptore, vel pro donato, puta, coheres possidet, in familiæ herciscundæ judicium venire negat Pomponius. — Digeste, XLV, 27 ; pro famil. hercisc., § 7 frag. Pomp. et Paul.
[67] Pro Tull., VIII, 20.
[68] Pro Cœc., VII, 20 et XXXII, 95.
[69] Voir notre étude sur le pro Balbo Paris. Thorin. 1886.
[70] Cicéron, pro dom., 29 et 30 ; pro Balb., passim.
[71] C'était la formule qui accompagnait ordinairement la promulgation des lois.
[72] Cicéron, Top., VIII.
[73] Id autem ut esset faciendum, non ademptione civitatis, sed tecti et aquæ et ignis interdictione faciebant. Pro dom., XXX, 78.
[74] Hoc juris a majoribus proditum est ut nemo aut libertatem, aut civitatem possit amittere, nisi ipse auctor factus sit. Pro domo, XXX, 78.
A l'époque de Cicéron, la liberté et le droit de cité ne se séparent pas ; on ne connaît pas encore la minor capitis deminutio. Plus tard, les jurisconsultes reconnurent que la déportation (peine qui avait remplacé l'interdiction de l'eau et du feu) faisait perdre au condamné le droit de cité, mais non la liberté. — Cf. Gaius, I, 128 ; Instit., I, 12, 1 ; et 16, 2. Horace, Od. III, 5, 41.
[75] On entendait par nouveaux, les citoyens entrés dans la cité romaine après la guerre sociale.
[76] Jubet eodem jure esse quo fuerint Ariminenses ; quos quis ignorat duodecim coloniarum fuisse et a civibus romanis hereditates capere potuisse. — Pro Cœc. XXXV, 102. — Quelles étaient ces douze villes ? On ne saurait les nommer exactement. On a proposé de lire duodeviginti. En effet, en 543, sur trente colonies, dix-huit seulement fournirent les contingents demandés pour combattre les Carthaginois en Sicile et le sénat accorda à ces colonies les plus grands honneurs. Ariminium est citée parmi les fidèles. Nous ne savons en quoi consistaient précisément les avantages octroyés par le sénat. Quant à Volaterres, elle se distingue, en 547, parmi les villes qui donnèrent généreusement à Scipion tout ce qui était nécessaire à la flotte qui allait transporter en Afrique le futur vainqueur d'Annibal. — Tite-Live, XXVII, 9 et 10 ; XXVIII, 45 ; XXIX, 15.
La loi de Sylla ne fut pas adoptée : Volaterranis, quum etiam tune essent in armis, L. Sulla victor, re publica recuperata, comitiis centuriatis civitatem eripere non potuit, hodieque Volaterrani non modo cives, sed etiam optimi cives fruuntur nobiscum hac civitate. Pro domo, XXX, 79.
Cicéron avait voué une affection particulière à cette petite ville d'Etrurie. Il empêcha qu'on partageât ses terres entre les soldats de Sylla. Il fut toujours le protecteur de cette cité et, sur la fin de sa vie (octobre 709), il la recommandait encore à la bienveillance d'un lieutenant de César, Valérius Orca. Ad Att., I, 19, 4 et ad Famil., XIII, 4.
[77] Gaius, III, 92.
[78]
L'affranchi Philotimus joua le même rôle auprès de Terentia, femme de Cicéron. V. ad Att., VII, I, 3 ; XI, 2
; XI, 24 ; ad famil., IV, 14.
[79] V. ad famil., VI, 5, 6, 7, 8, 9 et XIII, 66. Ces lettres sont de 708 et le procès de 685. Je pense que ces épîtres sont bien de l'adversaire d'Ebutius, et non de son fils. — V. Drumann, t. I, p. 335.
[80] Il déplut, un jour, à César par un libelle assez méchant et fut obligé de s'exiler. Il demanda avec instance son rappel et Cicéron, qui n'avait pas oublié son client, s'y employa avec beaucoup de zèle.