I. — GOÛT DES ROMAINS POUR LES FORMES JURIDIQUES. - PRINCIPAUX CARACTÈRES DU DROIT ROMAIN. - INFLUENCE DU DROIT SUR LA LITTÉRATURE. Les Romains ne furent pas seulement un peuple de laboureurs et de soldats[1]. Les travaux des champs et la passion de la guerre ne les occupaient pas tout entiers ; l'amour de l'éloquence et le goût des discussions juridiques se développèrent de bonne heure chez eux. La nature semblait avoir disposé leur corps aux plus rudes labeurs et leur esprit aux études les plus subtiles, de telle sorte que le même homme fût apte à soutenir la lutte et contre l'ennemi du dehors, pour l'extension de la puissance de Rome, et contre un adversaire privé, pour affirmer son droit. Que ce fût au forum, ou sur le champ de bataille, l'ardeur des combattants était la même, l'intérêt de la victoire également vif. Né pour dominer, le Romain voulait non seulement conquérir, mais encore administrer ses conquêtes. Des traditions habilement entretenues par les historiens et par les poètes rappelaient sans cesse au peuple son rôle, de conquérant et de législateur[2]. Cette conviction où les Romains étaient de leur supériorité, fit toute leur force. Ils apportaient d'ailleurs dans l'administration des provinces le même soin, la même science, que dans l'administration de leur fortune et de leur maison. En effet à l'esprit de domination se joignait l'esprit d'ordre. Les plus illustres d'entre eux furent à la fois de grands hommes de guerre et de sages pères de famille. Ils présidaient eux-mêmes aux travaux de leurs esclaves et surveillaient la vente des denrées au marché. Toujours prêts à prendre les armes pour une nouvelle guerre, ils trouvaient cependant le temps de tenir un compte exact de leurs recettes et de leurs dépenses : ils avaient leurs livres et longtemps ces titres privés jouirent, à Rome, de l'autorité la plus incontestée. L'économie allait parfois jusqu'à la parcimonie[3] et l'art de faire rapporter de gros intérêts à l'argent, jusqu'à l'usure. Ces défauts mêmes étaient un stimulant pour ceux qui cherchaient dans les spéculations une richesse que la terre ne pouvait plus directement leur donner. Chaque père de famille était de la sorte un commerçant et les contestations, nées à la suite des échanges, des ventes, des prêts, le forçaient à devenir quelque peu légiste[4]. En même temps qu'elle se soumettait aux exercices militaires la jeunesse étudiait l'art oratoire et les lois. Elle savait que le pouvoir dans Rome et le commandement des armées, à l'extérieur, n'était confié qu'à ceux qui maniaient la parole aussi bien que l'épée. C'était dans le texte des XII tables qu'elle avait appris à lire : c'était là le premier livre, le carmen necessarium, comme chez nous, les fables[5]. Le style concis des lois se gravait aisément dans la mémoire, dès l'enfance. L'éducation était pratique. La Muse a donné aux Grecs le génie et l'éloquence, disait Horace, aux Grecs amoureux seulement de gloire. Nos enfants apprennent par de longs calculs à diviser un as en cent parties.... Quand une fois cette avidité du gain, cette rouille a pénétré les esprits, peut-on espérer des vers, dignes d'être parfumés avec de l'huile de cèdre, ou serrés dans des cassettes de cyprès ?[6] Si l'éducation, si des considérations d'intérêt privé encourageaient l'étude du droit, le patriotisme, la conscience que chaque citoyen avait de son rôle dans la République, faisait à tous un devoir de connaître la loi, de chercher à l'expliquer, à l'amender. Ces réflexions nous aident à comprendre comment naquit et se développa le droit civil jus civile, droit strict, jus strictum, spécial aux Quirites, souvent en opposition avec le droit naturel, jus gentium. Les différents peuples de l'antiquité prétendaient avoir reçu leurs codes des dieux mêmes, ou par l'intermédiaire des oracles ; les Romains n'avaient pas eu besoin des conseils de la divinité. Leur droit civil, création originale du génie romain, élevait entre Rome et le reste du monde une barrière infranchissable, plus solide que l'enceinte de Servius. Etre admis dans la cité romaine paraissait aux autres nations une faveur suprême, et les Romains faisaient de la participation à leurs droits, la plus haute des récompenses. Sans doute, il y avait quelques points communs entre la législation de Rome et certaines législations de la Grèce ; mais le droit civil n'en reste pas moins quelque chose de propre, de particulier aux Romains jus proprium ac peculiare. Au début, les Romains sont les hommes à la lance, les Quirites, ne reconnaissant d'autre droit que le leur[7]. Les lois romaines rappelleront longtemps ces commencements guerriers. Un procès est un combat dans lequel l'un des deux adversaires doit employer la force pour triompher de l'autre. Aussi la procédure primitive admet-elle la lutte corps à corps. Les termes de la jurisprudence sont ceux de la conquête. La propriété prend le nom de mancipium, la vente, celui de mancipatio, deux mots qui désignent une acquisition violente (manu capere). La main, symbole de force, marque le pouvoir du mari sur sa femme, du maître, sur ses esclaves. Quand un père émancipe son fils, celui-ci s'échappe, pour ainsi dire, des mains qui le retenaient captif (e manu mittitur). Les Romains semblaient vouloir établir que l'origine du droit est dans la conquête et qu'ils ne devaient leur puissance qu'à leur force, à leur courage (virtus). Le père est le chef absolu de la famille (gens), base de l'organisation civile : il a mainmise sur sa femme, ses enfants, ses esclaves, droit de vie et de mort sur tous ceux qui sont soumis à son pouvoir. Egnatius Mécenius fait périr sous le bâton sa femme, parce qu'elle a bu du vin. Il est absous par Romulus et ce fait ne paraît pas extraordinaire aux historiens qui le racontent. Un mari répudie sa femme, qui a osé assister sans voile aux jeux. Lors de la découverte du complot des Bacchanales, deux mille Romaines furent mises à mort, après avoir été jugées par leurs parents réunis en conseil dans leurs demeures. Du temps de Catilina, un père se montra aussi barbare que Brutus et que Manlius, et fit égorger son fils, quoique sénateur, pour le punir d'avoir conspiré contre sa patrie. Le père pouvait d'ailleurs vendre ses enfants, les abandonner à ceux à qui ils avaient causé quelque dommage (noxali causa mancipare)[8]. Le chef de famille dispose de ses biens, comme il l'entend ; aucune restriction n'est apportée à sa volonté. Uti legassit super pecunia tutelave suœ rei ita jus esto[9]. Solon n'avait pas permis au père de déshériter les enfants légitimes. A Rome, au contraire, il suffit que le nom d'un enfant ait été omis dans un testament pour que cet enfant soit privé de la succession paternelle. La volonté du père doit être expresse. Le pouvoir paternel avait donc quelque chose d'inhumain et les jurisconsultes eux-mêmes rappelaient que cette puissance des pères sur leurs enfants doit consister plutôt dans l'indulgence que dans la rigueur : patria potestas in pietate, non in atrocitate, debet consistere[10]. Le cercle de la famille était fermé aux profanes. Chaque gens avait même son culte propre qui la distinguait et qui l'isolait : sacra gentilicia. Entre citoyens et étrangers, patriciens et plébéiens, le mariage n'était pas autorisé. Si la loi était sévère pour la femme, les enfants, les esclaves, elle était dure pour l'étranger. Celui-ci ne peut jamais acquérir la propriété par la possession, quelque longue qu'elle soit ; contre lui on peut toujours revendiquer : adversus hostem æterna auctoritas[11]. Le même mot désigne l'étranger et l'ennemi, hostis. Les Romains n'avaient en effet le plus souvent avec les peuples de l'antiquité d'autres rapports que ceux de la guerre[12]. Aussi conservèrent-ils longtemps leurs mœurs premières. Tandis que les Grecs s'enquéraient des lois de l'Egypte, les Romains empruntaient peu aux autres nations. Ils adoptèrent seulement les dispositions les plus rigoureuses des lois grecques. A l'exemple de Lycurgue, les décemvirs ordonnèrent au père de mettre à mort l'enfant né difforme. Comme Dracon, ils punirent du dernier supplice les délits contre la propriété. Pour tous les crimes, le talion ou la mort était le châtiment[13]. Solon avait été indulgent pour les dettes ; les décemvirs permirent aux créanciers d'emprisonner leur débiteur, de le tuer et de se partager son corps. La modération de ce sage ne pouvait convenir aux Romains et les magistrats de Rome ne se souvinrent guère du législateur d'Athènes que dans quelques règlements concernant le droit sacré, ou les funérailles. Les Romains professaient d'ailleurs le plus souverain mépris pour toutes les autres législations ; l'opinion de Crassus était l'opinion générale : Incredibile est quam sit omne jus civile, prœter hoc nostrum, inconditum acpœne ridiculum ; de quo multa soleo in sermonibus cotidianis dicere, quum hominum nostrorum prudentiam ceteris hominibus, et maxime Grœcis, antepono[14]. Ce n'étaient pas seulement l'originalité, la dureté, qui caractérisaient le droit Romain, c'était encore et surtout, le symbolisme. A Rome, au lieu de naître de l'intention des parties, le droit résulte d'un fait, d'une cérémonie civile. En présence d'un nombre de témoins déterminé, dont un, nommé libripens (porte-balance), pèse le métal, signe de l'engagement, les contractants récitent des formules, auxquelles il leur est interdit de changer un seul mot. On se sert d'une balance non seulement dans la vente, mais pour beaucoup d'autres contrats. Le mari achète sa femme (cœmptio) ; le père, pour l'émanciper, vend trois fois son fils. Il faut aux Romains une représentation matérielle de l'acte qu'ils accomplissent. Ils apportaient, dans la vie civile, le même goût pour les solennités, le même respect pour les textes consacrés, que dans la vie publique ; ils se soumettaient avec la même docilité aux paroles d'un préteur, qu'aux ordres d'un consul ou d'un augure[15]. Tel était, dans ses traits essentiels, le droit Romain. Mais il était trop particulier, pour ne pas se modifier, à mesure que s'agrandirait l'empire. Les lois se transformèrent d'autant plus rapidement, que la philosophie pénétra davantage dans le monde romain. Le pouvoir d'interprétation accordé aux préteurs contribua aussi dans la mesure la plus large à ces changements : les textes subsistaient, mais le magistrat, en déclarant dans son édit qu'il les entendrait de telle ou telle manière substituait, en réalité, sa volonté à celle de la loi. Il semblait ainsi au peuple romain qu'il était toujours le même et que ses lois ne changeaient pas non plus. On parlait encore de puissance paternelle, de tutelle perpétuelle des femmes, de droit absolu de vie et de mort du chef de famille sur tous ceux qui étaient sous sa dépendance, alors que les mœurs et le droit prétorien avaient apporté des adoucissements tels aux dispositions primitives qu'elles n'étaient plus qu'un souvenir. L'esprit formaliste des Romains se manifestait en cela : les magistrats conservaient le cadre accepté et faisaient entrer, dans ce cadre, toutes les modifications devenues nécessaires. Le droit civil se rapprochait insensiblement du droit naturel et, de Romain, il devenait universel. Les écrits des philosophes et les travaux des jurisconsultes s'amoncelèrent, jusqu'au moment où Justinien, résumant tout ce qui avait été fait avant lui, fixa la législation depuis longtemps incertaine et exposée à de perpétuelles variations. Étudier le droit Romain dans les ouvrages de cet empereur, c'est à peu près la même chose que d'essayer de reconnaître la société du moyen-âge dans notre code civil. Treize cents ans après la fondation de Rome, deux siècles après que le siège de l'empire avait été transporté à Constantinople, il ne restait presque rien du droit Romain proprement dit, et, si l'œuvre de Justinien a servi de base à tous les législateurs suivants, il n'en est pas moins vrai qu'avec elle ont disparu les derniers restes du droit antique. Si, d'ordinaire, nous n'allons pas au delà de Justinien, ou de Gaius, jurisconsulte plus véritablement romain, c'est que nous cherchons seulement dans le Droit Romain, les principes du Droit Français. Retrouver les lois de Rome républicaine, connaître l'organisation des tribunaux dans un siècle qui entendit Hortensius et Cicéron, est une étude pleine d'intérêt. Il est bon de remonter aux origines d'un peuple, de suivre son développement à travers les âges ; il est plus utile encore peut-être de faire revivre ce peuple à l'époque où il fut le plus grand, en pénétrant mieux ses mœurs, en s'efforçant de comprendre et de reproduire quelques-unes des scènes qui lui étaient le plus familières. Une connaissance plus exacte du droit nous conduit à une intelligence plus complète des auteurs. Il n'y eut pas, en effet, à Rome deux langues : une langue littéraire et une langue judiciaire[16]. La langue latine, avec ses formes sonores, ses tournures brèves et impératives, paraissait être l'organe naturel du droit ; elle était faite pour les inscriptions, pour exprimer rapidement et fortement un ordre, un décret. Cet instrument un peu lourd, fut cependant manié avec habileté non seulement par les jurisconsultes, par les orateurs et par les historiens, mais encore par les poètes. Loin de s'être développée lentement et à la suite d'autres genres littéraires, l'éloquence judiciaire brilla en même temps que l'éloquence politique, c'est-à-dire, dès le début de la période classique. La foule s'intéressait aux procès et se pressait pour entendre les Sulpicius et les Crassus. Une partie de l'existence se passait à écouter les avocats, à prendre part aux débats, comme accusateur ou défenseur, comme magistrat. On devait être prêt à jouer ces différents rôles, à être tour à tour orateur, jurisconsulte, préteur[17]. Les Romains aimaient donc ces luttes oratoires, où les uns voyaient commencer leur renommée future, où d'autres venaient chercher des modèles et des enseignements. Leur allure et leur langage se ressentaient de ces habitudes. Même ceux qui fuient la foule et le bruit, les philosophes, les poètes, s'arrêtent malgré eux au forum, et dans leurs écrits retentit encore un écho-de la lutte. Tous les auteurs latins sont plus ou moins juristes. La littérature, reflet de la vie d'un peuple, tire ses peintures des faits qui frappent le plus les esprits. Quoi d'étonnant que les ouvrages des écrivains latins soient comme imprégnés de souvenirs juridiques, puisque le droit, les magistratures, tout ce qui concernait les tribunaux, tenait dans la vie des Romains une si large place ? Aussi n'est-ce pas seulement aux savants, à Varron, à Aulu-Gelle, à Valère-Maxime, à Festus qu'il faut s'adresser pour connaître dans ses détails les plus intéressants le droit Romain, c'est à toute la littérature latine, aux historiens, aux philosophes, aux comiques, à Virgile même quelquefois, souvent à Horace[18]. Les écrivains latins aimaient les expressions de la langue judiciaire, ils les employaient comme étant plus significatives, plus claires, plus élégantes. Ce n'étaient pas seulement quelques termes expressifs qu'ils demandaient au droit, c'étaient encore des scènes, des descriptions. Quand les bergers de Virgile se provoquent à chanter, ils imitent ceux qui engagent un procès : ils font une sponsio et une restipulatio. Sur le bouclier d'Énée comme sur ceux d'Hercule et d'Achille, sont représentés des faits de la vie judiciaire. Pour Lucrèce, les éléments sont liés entre eux par des lois, par des traités, leges ac fœdera. Dans une image pleine de poétique tristesse, en même temps que très-juste, ce poète rappelle que la vie n'appartient à personne, qu'elle, ne nous a été donnée qu'en usufruit et que nous transmettrons à d'autres l'héritage de force et de lumière que nous avons reçu de nos prédécesseurs : Vitaque mancipio nulli datur, omnibus usu[19]. Le poète s'exprime ici de la même manière que le philosophe : natura quidem dedit usuram vitœ, tanquam pecuniœ, nulla prœstituta die, la nature nous a donné l'usage de la vie comme d'une somme d'argent que nous sommes obligés de rendre à un terme qui n'est pas fixé. A ces formes de langage viennent s'ajouter chez la plupart des écrivains une vivacité de style, un entrain, une vigueur qui font penser à l'avocat défendant une cause. Lucain était déjà mis par les anciens au nombre des orateurs. Les historiens se passionnaient pour les faits qu'ils rapportaient, ils écrivaient bien plus pour prouver que pour raconter, contrairement aux règles du genre. Tite-Live mettait en relief la grandeur romaine, dissimulant les petits côtés, les injustices, les défaites : il défendait la gloire de Rome. Tacite, au contraire, est un accusateur. Dans chaque écrivain on retrouve ainsi une cause qui lui est chère. Les auteurs latins ramènent donc sans cesse notre esprit vers les débats judiciaires : ce sont les mêmes expressions chez les philosophes, les historiens, les poètes, que chez les avocats ; c'est encore la même passion pour soutenir une thèse, le même goût pour l'argumentation, la même science de ce que les maîtres de Rhétorique avaient appelé si justement, l'action. II. — CICÉRON JURISCONSULTE. - UTILITÉ DE SES OUVRAGES POUR LA CONNAISSANCE DU DROIT ROMAIN. Cicéron, parmi les écrivains de l'époque classique, est celui dont la lecture est le plus profitable au jurisconsulte. C'est par ses ouvrages surtout, qu'on peut voir les progrès de la philosophie dans la jurisprudence et comprendre la procédure savante, appelée procédure formulaire. Non seulement les plaidoyers de Cicéron sont des chefs-d'œuvre oratoires ; mais ils doivent encore être médités par ceux qui veulent connaître, sous un de ses aspects les plus intéressants et les plus originaux, l'antiquité romaine. Le mérite de la forme n'enlève rien au mérite du fond : on peut admirer à la fois le savant et l'orateur. Un coup d'œil sur la vie et les œuvres de Cicéron[20] nous montrera tout d'abord quelle importance il donnait à l'étude des lois. Elevé dans le quartier opulent des Carènes, où son père était venu s'établir près de la demeure des Scévola et de celle de Pompée, au milieu d'une société élégante et sérieuse, Cicéron fut naturellement porté vers les lettres[21]. La carrière des armes lui souriait peu : il ne fit qu'une courte campagne chez les Marses. A 18 ans, il traduit en vers les phénomènes d'Aratus[22]. Mais le forum exerce bientôt sur lui une irrésistible attraction. Il se prépare à la lutte par l'étude de la philosophie et du droit. En même temps qu'il suivait les leçons de Phèdre l'Epicurien et de Philon l'Académicien, il demandait à Scévola l'augure et à Scévola le grand pontife de l'initier à la science des lois[23]. Lorsqu'il rédigera ses premiers essais sur l'art oratoire, c'est à l'avocat principalement qu'il pensera ; il se souviendra moins peut-être des conseils de Molon de Rhodes que de ceux des jurisconsultes et ira chercher dans la jurisprudence la plupart de ses exemples[24]. A 26 ans, il débutait au barreau. Son plaidoyer dut révéler à ses contemporains non seulement un grand talent oratoire, mais encore une science rare. On peut, en effet, appliquer à Cicéron les paroles de Scévola sur Crassus : visus est oratoris facultatem non illius artis terminis, sed ingenii sui finibus immensis pœne describere[25]. L'universalité, comme la précocité, est un des caractères du génie. Cicéron essaya d'embrasser toutes les connaissances de son temps, allant jusqu'à Athènes pour entendre Zénon, après Diodote et Posidonius, les Epicuriens après les Stoïciens, et les rhéteurs Ménippe, Xénoclès, Eschyle de Cnide, Denys de Magnésie. Il accumulait ainsi des richesses, qui embarrasseront parfois le philosophe, mais dont l'avocat fera le plus brillant usage. S'il concevait une constitution nouvelle de l'Etat, si, à l'exemple de Platon, il écrivait le traité de la République et le traité des lois, Cicéron se plaisait aussi à des études plus pratiques ; les questions de gentilité, de clientèle, de tutelle, d'hérédité, lui étaient familières. Suivant Aulu-Gelle, il aurait songé à réunir en un corps les éléments épars du droit civil et il aurait même composé un ouvrage intitulé : De jure civili in artem redigendo[26]. Mais les idées de Cicéron sur cette matière sont suffisamment développées dans les ouvrages que nous avons, et il n'est pas impossible de les mettre en relief. Ce serait même un travail très considérable que de relever et d'expliquer tous les passages relatifs à la science du droit[27]. On aura de précieux renseignements dans les Topiques, le de Oratore, la République, les Lois, le De officiis, dans le Pro Quinctio, le Pro Roscio comœdo, le Pro Cœcina, le Pro Tullio, les Verrines, le Pro Archia, enfin dans les Lettres, spécialement dans celles à Trébatius. Par sa correspondance avec Quintus on verra la haute idée que Cicéron se faisait d'un préteur[28]. Jurisconsulte, Cicéron tenta de concilier la tradition avec les besoins nouveaux, apportant le même esprit de modération que dans ses conceptions philosophiques ou politiques. Egalement ennemi de la routine et des réformes trop radicales, il savait prendre un juste milieu, mixtum ac temperatum genus. Les principes du Droit civil, la loi des Douze Tables furent toujours pour lui un objet de respect. Il voyait dans les douze tables une sorte de résumé de toute la sagesse antique. Qu'on s'indigne, je le veux bien, je dirai ce que je pense. Tous les ouvrages réunis des philosophes, si l'on remonte à l'origine, à la source du Droit, sont surpassés en sagesse et en utilité pratique par cet opuscule des douze tables. — Fremant omnes licet, dicam quod sentio : bibliothecas mehercule omnium philosophorum unus mihi videtur XII tabularum libellus, si quis legum fontes et capita viderit, et auctoritatis pondere et utilitatis ubertate superare[29]. Les Douze Tables, de même que le texte des lois royales, avaient péri dans le sac de Rome par les Gaulois. Cicéron voulait qu'elles eussent disparu d'une manière plus noble : la foudre avait fondu l'airain sur lequel ces lois vénérées avaient été gravées[30]. Les institutions premières de Rome, la cité, la famille, avaient, aux yeux de Cicéron, un caractère saint. Avec quelle indignation ne reprochera-t-il pas à Clodius de s'être fait adopter par un plébéien et d'avoir ainsi déserté la religion de ses ancêtres patriciens[31] ? Mais s'il accepte, s'il défend les lois qui ont fait de Rome la plus remarquable des républiques anciennes, il ne craint pas de montrer ce que d'autres lois peuvent avoir d'injuste, d'inutile, de dangereux et d'en demander l'abrogation. Il déclare inique la prohibition de mariage entre plébéiens et patriciens ; il condamne la procédure des actions de la loi, devenue peu à peu ridicule et qui tombe d'elle-même en désuétude[32]. L'équité lui paraît être le guide le plus sûr. Lorsqu'il s'agit d'interpréter un contrat, on ne doit pas, suivant la doctrine de Cicéron, s'en tenir au droit strict ; il faut, au contraire, s'attacher à la volonté des parties. Il importe peu qu'il y ait obligation légale, verbis ou litteris ; s'arrêter à la lettre de la loi, en mépriser l'esprit, est indigne d'un jurisconsulte et d'un magistrat. Toutes les fois qu'il y a dol, il ne saurait y avoir d'engagement valable. Pour la vente, Cicéron adopte l'opinion stoïcienne. Le vendeur est tenu d'indiquer à l'acheteur non seulement les vices cachés de la chose vendue, mais même les vices apparents pour tout le monde, mais que l'acheteur ne voit pas : il ne doit pas profiter de l'imprudence ou de la sottise de celui-ci[33]. Ces règles sont nouvelles ; elles sont contraires au droit civil. C'est au nom de la justice naturelle que Cicéron défend Milon, accuse Verres, parle pour Cécina et pour Tullius. Les opprimés sont ses clients[34]. Cicéron devait sans doute à ses études philosophiques cette supériorité de vue. Il se plaisait d'ailleurs lui-même à rappeler qu'il était sorti non de l'école des rhéteurs, mais des jardins de l'Académie[35]. La loi n'est plus quelque chose d'arbitraire, un ordre émané de la puissance populaire : jus, jussum. La loi humaine n'a d'autorité que celle qu'elle tient de la loi divine. Cette justice éternelle est toujours présente à l'esprit de Cicéron et il en parle en termes éloquents. Il y a une loi véritable, droite raison, conforme à la nature, répandue chez tous les peuples, constante, éternelle, qui, par ses ordres, nous rappelle au devoir, et, par ses prohibitions, nous détourne du mal. On ne peut rien ajouter à cette loi, rien en retrancher ; elle ne peut pas être abrogée dans son ensemble ; ni le sénat, ni le peuple n'ont assez de puissance pour briser ce joug auquel nous sommes soumis. Cette loi n'a besoin ni de commentaire, ni d'interprète. Elle ne sera pas différente à Rome, différente à Athènes ; telle aujourd'hui, telle dans la suite ; mais tous les peuples, dans tous les temps seront les esclaves de cette loi universelle, éternelle, immuable et Dieu sera le souverain chef de tous les peuples, Dieu qui est l'auteur de la loi et qui juge d'après elle. Celui qui désobéit à cette loi se fuit lui-même, méprise la nature humaine ; par cela même, s'expose à de terribles châtiments, alors qu'il aurait pu échapper aux supplices ordinaires[36]. Opposons aux paroles de Cicéron celles de Pascal. Trois degrés d'élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. Un méridien décide de la vérité ; en peu d'années de possession, les lois fondamentales changent, le droit a ses époques... La justice est sujette à disputes ; la force est très reconnaissable et sans dispute[37]. Le scepticisme moderne est bien inférieur au spiritualisme ancien. La justice n'est pas, pour Cicéron aussi capricieuse. Il ajoutait : le magistrat obéit à la loi ; il n'est que son organe ; l'éloquence doit être au service de la bonne cause et il semble que l'avocat ait reçu de la divinité même la faculté de parler, qu'il tient de la nature[38]. Convaincu de l'importance et de la dignité de l'éloquence, il exigeait de l'orateur un vaste savoir[39]. L'homme éloquent qui possède seulement une vaine rhétorique et qui n'a pas étudié longtemps, s'expose lui-même aux coups, loin de protéger personne. Les plus hautes destinées sont réservées sans doute à l'orateur dans une république. Mais c'est déjà une mission suffisamment belle que de sauvegarder devant les tribunaux la fortune, l'honneur, la vie de ses concitoyens. Pour remplir dignement cette mission, il faut être, avant tout, jurisconsulte. Autrement l'avocat n'est qu'un homme d'affaires, qui vend son talent, qui trafique de la parole, causidicus, proclamator, rabula, πραγματικός..., car les termes de mépris affluent dans la bouche de Cicéron et quand il a épuisé le latin, il a recours au grec. Quelle impudence insigne, s'écrie-t-il, que d'aller et de venir dans le forum, de se présenter tous les jours devant les tribunaux où siègent les préteurs, d'y parler dans les causes les plus importantes, où souvent il s'agit, non pas de questions de fait, mais de droit, de traiter, devant les centumvirs, des prescriptions, des tutelles, des droits de parenté, des alluvions, des atterrissements, des obligations, des servitudes, de murs mitoyens, de jours, de droit d'égout, de testaments annulés ou confirmés sans connaître les lois qui établissent notre propriété, notre qualité d'étranger ou de citoyen, d'esclave ou d'homme libre[40]. Cicéron résume ainsi les devoirs des jurisconsultes : Respondere, donner son avis sur une contestation, sur un fait important de la vie (un mariage, l'achat ou la vente d'un immeuble, etc.) ; cavere, indiquer au client la marche à suivre pour obtenir gain de cause ; agere, intervenir activement devant le magistrat et devant le juge, plaider, aider de ses conseils, appuyer de sa présence la personne dont on défend les intérêts ; enfin scribere, publier des commentaires sur le Droit. Le jurisconsulte n'est donc pas, comme en Grèce, un homme sans crédit, qui, pour de faibles honoraires, prête à un avocat le secours de son savoir, ut apud Grœcos infimi homines mercedula adducti ministros se prœbent in judiciis oratoribus[41]. Le jurisconsulte et l'orateur ne se séparent pas. Avant le jour les clients assiègent en foule la porte de cet homme que l'on considère à la fois pour son talent oratoire et pour ses connaissances juridiques ; ils viennent lui rendre hommage et implorer son assistance. Assis dans son atrium, il écoute chacun ; puis il prononce quelques paroles, accueillies comme un oracle[42]. Sa demeure est parfois trop étroite, quoique le sénat lui ait accordé une maison sur la voie sacrée, et il se rend au forum afin qu'on l'approche plus facilement[43]. D'ailleurs les jurisconsultes ne se bornent pas à des consultations et à des plaidoiries. Ils écrivent des ouvrages. Dès l'an de Rome 220, Papirius recueillait les lois royales sous le titre de jus Papirianum[44]. Les publications ne se multiplièrent que le jour, où l'on eut arraché aux patriciens le secret et le monopole du droit. Un siècle et demi après les douze tables, en 450, Flavius, scribe d'Appius Claudius Cascus, auteur lui-même d'un traité sur les moyens d'interrompre la prescription (de usurpationibus), divulgue les fastes et les formules des actions de la loi, crevant ainsi les yeux aux corneilles, dit Cicéron par dérision des pontifes et des patriciens[45]. Les liens de la clientèle se trouvèrent relâchés. Les patriciens pensèrent ressaisir leur influence première, en employant un langage chiffré (notœ, siglœ). Mais Sextus Ælius Catus révéla une seconde fois les formules qu'on voulait cacher au peuple. Son livre reçut le titre de Tripertita, parce qu'on y trouvait : 1° le texte des douze tables, 2° leur interprétation, 3° les actions[46]. La science du droit fut alors cultivée au grand jour. Caton avait écrit des ouvrages qui existaient encore à l'époque de Pomponius. Son fils aîné laissa un livre estimé De juris disciplina[47]. Les Scévola, les Tubéron s'illustrèrent par les mêmes études. Cicéron s'attacha d'abord à Q. M. Scévola, l'augure et acheva de se former avec P. M. Scévola. Le grand pontife composa un traité sur le droit civil en 18 livres. Son opinion est citée avec honneur plusieurs fois dans le Digeste. C'était le plus éloquent des jurisconsultes et le plus savant des orateurs. Son enseignement n'avait rien de solennel. Les jeunes gens assistaient à ses consultations, les recueillaient et les méditaient : nemini se ad docendum dabat, tamen consulentibus respondendo, studiosos audiendi docebat[48]. Parmi les jurisconsultes de cette époque féconde, il convient de citer en première ligne : Manilius, auteur d'un traité sur la vente[49] ; M. Junius Brutus, qui avait écrit trois livres sur le droit civil, plus célèbre encore par son fils qui lui ressembla peu et qui, renouvelant à Rome les violences de Lycurgue à Athènes, mérita le surnom d'accusateur ; P. Rutilius Rufus, élève des Scévola, qui eut l'honneur d'encourir la colère des chevaliers pour avoir protégé les habitants de l'Asie Mineure contre les exactions des publicains[50] ; C. Aquilius Gallus, dont Cicéron a tracé le portrait dans son plaidoyer pour Cécina, le premier qui enseigna à repousser la fraude par l'exception de dol[51] ; C. Aculéon, oncle de Cicéron, ami de Gras-sus, chez qui il apprit à connaître ceux qui l'avaient précédé et qu'il devait éclipser[52] ; Servius Sulpicius, dont le talent rappelait celui de Mucius Scévola, rival de Crassus et d'Antoine, accusateur de Murena contre Cicéron, qui, ce jour-là, malmena la jurisprudence et les jurisconsultes, auteur d'un ouvrage sur la dot[53] ; Trébatius Testa, avec qui Cicéron entretenait une correspondance enjouée, et qu'Horace choisit comme personnage d'une de ses satires. Au second rang, il faut placer : Drusus, aveugle comme Appius[54], L. Q. Ælius Tubéron, lieutenant de Quintus Cicéron en Asie ; Quintus Cornélius Maximus, maître de Trébatius ; Labéon Antistius[55], père de l'émule d'Ateius Capiton, auteur de 18 livres, intitulés Πειθανά ; Granius Flaccus, qui avait commenté le jus Papirianum ; Ælius Gallus, Aulus Ofilius, Aulus Cascellius, Q. Ælius Tubéron, disciple d'Ofilius[56]. A cette liste déjà longue on pourrait ajouter la plupart des orateurs dont il est parlé dans le Brutus : orateur et jurisconsulte étaient devenus des termes presque synonymes. Les travaux si nombreux des jurisconsultes exerçaient une grande influence sur la législation. Peu à peu les lois orgueilleuses faites par les patriciens furent abrogées. L'autorité des assemblées plébéiennes, des assemblées par tribus, est reconnue et.les plébiscites ont force de loi en 305[57]. Quatre ans, plus tard, le tribun Ganuleius obtient que les plébéiens puissent s'unir par le mariage aux patriciens[58]. Les dispositions rigoureuses disparaissent. La loi nouvelle abolit l'engagement corporel du débiteur[59] ; elle apporte des restrictions à la liberté de tester, d'abord absolue[60]. La loi Æbutia[61] achève la transformation du droit civil en remplaçant par la procédure formulaire les actions de la loi[62]. Le droit criminel, comme le droit civil et les lois politiques, subit aussi des modifications. Il y eut même quelque confusion dans cette activité générale. Crassus concevait déjà le plan d'un ouvrage embrassant tout le droit civil ; Cicéron commença un travail d'ensemble ; César, à son tour, souhaitait d'associer son nom à la gloire d'un Code Civil. La coordination de tant de lois devenait donc nécessaire[63]. Ainsi l'étude des lois était indispensable. Elle paraissait d'ailleurs pleine de charme ; après avoir fait l'une des principales occupations de la vie, elle était encore la consolation et l'honneur de la vieillesse. Senectuti celebrandœ et ornandœ quid honestius potest esse perfugium quam juris interpretatio ? Le jurisconsulte jouissait de la considération la plus légitime. Les clients venaient à lui, comme les suppliants qui cherchent asile auprès des autels. Je soutiens, disait
Cicéron d'Aquilius Gallus, qu'on ne peut trop
déférer à l'autorité d'un homme, dont le peuple romain a connu les lumières
par les sages formules qu'il indiquait aux plaideurs et non par de vaines
subtilités, qui n'a jamais séparé le droit civil de l'équité naturelle, qui
depuis tant d'années, consacrant au peuple romain son génie, ses travaux, ses
vertus, tient sans cesse ouverts pour lui ses trésors. Il est si juste, si
honnête que ses décisions paraissent dictées par la nature même et non par la
science seule ; il est si sage qu'il semble devoir au Droit civil, non
seulement les qualités de son esprit, mais encore celles de son cœur : c'est
enfin un homme doué d'un génie si étendu et d'une candeur si franche qu'on
sent soi-même qu'on ne puise rien que de limpide et de pur à une telle source[64]. C'est le portrait de Cicéron même. Il avait, lui aussi, engagé, en quelque sorte, sa parole ; il s'était voué à la défense des honnêtes gens. Une critique malveillante n'a voulu cependant voir en lui qu'un avocat habile sans doute, mais sans conviction, sans doctrine, plaidant avec la même facilité le pour et le contre[65]. On fait un crime à Cicéron d'avoir hésité entre les partis politiques, allant de César à Pompée, flattant, un jour, le peuple, et, le lendemain, cherchant à reconquérir les sympathies de la noblesse. Là ne se bornent pas les critiques. Le même orateur, remarque-t-on volontiers, force Verres à s'exiler et se charge de la défense de Fonteïus, coupable d'excès tout semblables en Gaule ; le même avocat, tour à tour, invoque ou combat le droit de légitime défense, suivant qu'il plaide pour Milon ou pour Cécina. Cicéron méprise le barreau, il déclare que la plaidoirie est d'autant meilleure que l'avocat sait que la rémunération se fera moins attendre[66]. Il n'estime pas davantage la justice : Je ne sais ce que je dirai pour eux, avoue-t-il au sujet de Scaurus et de ses coaccusés ; mais ils seront absous et, après cela, on ne pourra plus condamner personne[67]. Il ne donne que la seconde place à la jurisprudence, et réserve la première pour la rhétorique pure. Trois jours lui paraissent suffisants pour devenir jurisconsulte ; la connaissance de quelques formules ridicules constitue à ses yeux toute la science du droit[68]. Sa morale n'est pas plus ferme que ses principes politiques ou ses convictions juridiques. Quel plaisir peut-on trouver à voir un homme faible déchiré par une bête très forte, ou un noble animal transpercé par un javelot ? Peu après avoir écrit ces paroles, il estime, au contraire, que les combats de gladiateurs sont une discipline excellente, qui fortifie contre la douleur et la mort ; il complimente Atticus sur le succès des gladiateurs qu'il vient d'acheter[69]. On relève ainsi des passages, où Cicéron a pu se contredire. Il n'est que trop facile, dans une œuvre aussi considérable, de prendre, çà et là, un mot, une pensée, et de s'en faire un argument contre Cicéron. Le peu de suite qu'on reproche à sa conduite est plutôt une preuve d'honnêteté, que d'inconstance ou de faiblesse. Quand la confusion est partout, n'est-ce pas un mérite que de se ranger toujours du côté de la modération ? Nous ne nous étonnons pas qu'un théâtre plus vaste et plus retentissant que l'enceinte étroite, où se déroulent d'ordinaire les débats judiciaires, ait plu à Cicéron et qu'il se soit mêlé aux luttes politiques. Il y avait en lui, comme chez Démosthène, un besoin d'embraser les esprits, d'allumer un vaste incendie[70]. L'orateur, dans les Républiques anciennes, pouvait justement prétendre à régner dans la cité[71]. Il est naturel qu'à l'exemple de ses prédécesseurs et de ses contemporains, Cicéron se soit préparé longuement à l'exercice de la parole et qu'il ait aimé ces études minutieuses, mais nécessaires, auxquelles il devait, en partie, ses triomphes. Mais nous sommes persuadés que le soin de la forme ne lui fit jamais négliger le fond et qu'en même temps qu'il étudiait la rhétorique, il cultivait avec passion la philosophie et la science juridique. A ceux qui se prévalent du pro Murena pour déprécier la valeur de Cicéron comme jurisconsulte, on peut répondre que l'orateur, ayant ce jour-là à plaider, contre un savant aussi distingué que Servius Sulpicius, pour un homme de guerre, s'efforçait de diminuer l'importance de la jurisprudence, pour exalter d'autant la gloire militaire. D'ailleurs le formalisme, les chicanes de mots, l'arsenal de lois tombées en désuétude, où son adversaire allait chercher ses traits, tout cela n'était pas sans raison l'objet des railleries de Cicéron et ce discours nous paraît conforme à une doctrine constante. Cicéron avait toujours répudié une procédure captieuse et essayé de rompre ces mailles, où se prenait la simplicité et qui laissaient échapper la fourberie. Comme il s'efforçait de faire pénétrer la raison dans les lois, il s'irritait de voir Sulpicius prendre la défense de principes opposés. Par là s'expliquent aisément les critiques du pro Murena contre les juristes et la jurisprudence. Les adversaires de Cicéron ne peuvent pas davantage tirer parti des lignes suivantes du pro Cluentio (c. 50, § 139) : C'est se tromper étrangement que de chercher, dans nos discours, des opinions définitives ; notre manière de voir dépend de la cause, des circonstances, non des hommes, des avocats. — Errat vehementer si quis in orationibus nostris, quas in judicio habuimus, auctoritates nostras, consignatas se habere arbitratur. Omnes enim illœ causarum ac temporum sunt, non hominum ipsorum aut patronorum. L'orateur reconnaît seulement que chaque cause doit être plaidée avec des arguments différents. L'avocat, en effet, est exposé à des contradictions journalières. L'avocat ne peut pas, en plaidant, faire un enseignement, ses plaidoiries ne sauraient être des leçons. Il doit avant tout sa protection au client. Le législateur a visé dans la loi le cas le plus général ; à l'avocat de faire voir au juge ensuite dans quelle mesure le texte doit s'appliquer. Il suffit de lire la fin de ce passage pour voir nettement la pensée de Cicéron : Car, si les causes pouvaient se défendre d'elles-mêmes, on n'aurait pas recours à nous ; on vient à nous, pour que nous présentions, non des arguments que consacrerait notre autorité, mais ceux que les faits, que la cause peuvent nous fournir. — Nam si causœ ipsœ pro se loqui possent, nemo adhiberet oratorem. Nunc adhibemur, ut ea dicamus, non quœ auctoritate notra constituantur, sed quœ ex re ipsa causaque ducantur. Ainsi s'évanouissent les accusations portées contre le
jurisconsulte ; les reproches adressés au philosophe ne sont pas plus
légitimes. Cicéron ne s'était pas contenté de traduire Platon ; il avait
extrait des doctrines de la Grèce un excellent traité de morale. Le De
officiis restera l'un des plus beaux ouvrages qu'ait produits l'antiquité[72]. Cicéron s'élève
bien au-dessus de la sagesse égoïste du monde ancien ; il a connu une charité
presque chrétienne. La nature prescrit à l'homme de
faire du bien à son semblable, disait-il, par
cette seule raison que c'est un homme comme lui. — N'écoutons pas ceux qui viennent nous dire qu'il faut en
vouloir mortellement à ses ennemis et que ces haines violentes indiquent
qu'on a du cœur ; au contraire, rien n'est plus digne d'éloge, rien ne
convient mieux à une âme généreuse que la douceur et le pardon[73]. L'âme de
Cicéron est, pour ainsi dire, à l'étroit dans Rome ; il se regarde comme un
citoyen du monde[74]. Sa bonté
s'étendait à ses esclaves et il accordait à l'un d'eux son amitié[75]. Dans les
ouvrages philosophiques de Cicéron, il y a plus qu'un éclectisme savant et
qu'un talent remarquable de vulgarisation ; il est injuste de prétendre que
Cicéron n'eut que du goût pour la philosophie ainsi que pour le Droit[76]. Il fut jurisconsulte, comme on l'était de son temps, c'est-à-dire qu'il étudia les lois, qu'il donna des consultations et surtout qu'il plaida. Il ne tint pas école, il ne chercha pas à former des disciples. Mais son influence ne fut pas moins très directe et très sensible. Tous les jurisconsultes qui regardent la loi civile comme émanant de la loi philosophique, Cujas, Montesquieu, Beccaria, sont des élèves de Cicéron. L'utilité des ouvrages de Cicéron pour l'étude du droit n'avait pas été méconnue. C'est à Cicéron qu'on demandait le commentaire élégant d'un texte aride, la confirmation d'une règle juridique, un renseignement parfois unique. Mais on s'est plus préoccupé de faire servir Cicéron à l'explication de textes classiques que de l'étudier à part, pour lui-même, et de faire ressortir ce que lui doivent l'histoire et la jurisprudence. On ne paye le plus souvent ce complaisant auxiliaire que d'ingratitude. Est-il en désaccord avec la législation de Justinien, au lieu d'expliquer la différence des jurisprudences par la différence des temps, on l'accuse d'erreur, de mauvaise foi même. Une telle méthode se juge d'elle-même. Le meilleur moyen de saisir la pensée de Cicéron, c'est de s'adresser à Cicéron, de lire ses ouvrages, de les comparer. Tel passage d'abord peu compris n'offre plus de difficulté, quand on l'a rapproché d'un autre. Il faut avoir recours ensuite aux auteurs antérieurs ou aux contemporains, rarement à ceux qui ont suivi. On reconnaîtra alors que Cicéron possédait une science véritable. Sans doute, il est le premier de tous les orateurs romains et, lorsqu'on le considère dans l'ensemble et dans la variété de ses ouvrages, il apparaît comme le plus grand écrivain du monde[77]. L'art chez Cicéron a frappé les esprits plus que la science[78], et l'admiration qu'on a accordée à l'artiste a nui à celle qu'on devait au savant : cependant, si de tous les auteurs latins, Cicéron seul nous était parvenu, ses œuvres suffiraient encore à nous donner de Rome une idée exacte, car c'est avec lui que l'antiquité romaine se montre sous sa forme la plus vraie et la plus belle. Deux manières s'offraient de traiter ce sujet. On aurait pu, après avoir marqué la place de Cicéron parmi les jurisconsultes, relever les passages relatifs au Droit et les réunir dans un cadre classique. On aurait essayé de montrer ce qu'étaient, pour Cicéron, la famille, la propriété, les contrats, de mettre en relief ses idées et les changements qu'elles ont préparés. Nous avons pensé qu'il était préférable de choisir, parmi les discours, ceux qui appartiennent plus spécialement au genre judiciaire et, les faits établis, le point de droit mis en lumière, de voir comment Cicéron a plaidé sa cause, comment il a réfuté les arguments de son adversaire. En adoptant cette méthode, nous aurons sous les yeux Cicéron lui-même, Cicéron se livrant à la plus noble des tâches réservées au jurisconsulte, agissant, c'est-à-dire, mettant au service de son client, sa science, son éloquence, toutes les ressources de son esprit. |
[1] Bossuet, Montesquieu, etc.
[2] Énéide, I, 278, VI, 851.
His ego nec metas rerum,
nec tempora pono,
Imperium sine fine dedi...
Tu regere imperio
populos, Romane, memento.
Cf. Georg., II, 473. Ovide, Met., I, 149.
[3] Cf. Xénophon, Économique, passim.
[4] Comparez Gaston Boissier, Promenades archéologiques, p. 263 : On ne montre ordinairement les Romains que sous un de leurs aspects, le plus beau et le plus brillant ; ils en ont deux tout à fait contraires. C'étaient des soldats, des conquérants auxquels la tradition ne donne plus que des attitudes héroïques ; mais dans ces demi-dieux, il y avait des négociants et des usuriers. Ils étaient avides autant que braves, ils aimaient la gloire, mais ils tenaient beaucoup aussi à l'argent ; ils savaient très bien calculer, et, sous des dehors dédaigneux, ils se gardaient bien de négliger les beaux profits qu'on tire du commerce.
[5] Cicéron, De leg., II, 23, 59 et Montesquieu, Esprit des lois, l. 29, c. 16.
[6] Art poétique, 323-332.
Graiis ingenium, Graiis dédit ore rotundo
Musa loqui, præter laudem nullius avaris.
Romani pueri longis rationibus assem
Discunt in partes centum diducere
... An hæc animos ærugo et cura peculi
Cum semel imbuerit, speramus carmina fingi
Posse linenda cedro, et levi servanda cupresso ?
[7] Jura negat sibi nata ; nihil non arrogat armis. Art. poét., 121.
[8] Pline l'ancien, XIV, 13; Val. Maxime, VI, 3, 9, et 10, 11. Salluste, Cat., 39.
[9] Loi des XII Tables ; Cf. Démosthène, contre Stéphanos, 2e disc. § 14 ; édit. Dindorf. ; v. Caillemer, Successions à Athènes (Revue de législ., 1874).
[10] Denys d'Hal., II, 97 : Gaïus, I, 55 ; Justinien, Inst., I, IX, 2 et Digeste, XLVIII, IX, 5.
[11] Table VI, § 5 ; De off., I,
12.
[12] Pennus et le tribun C. Papius proposèrent des lois qui obligeaient les étrangers à quitter la ville. Cicéron traite ces lois de contraires à l'humanité : usu vero urbis prohibere peregrinos sane inhumanum est. (De off., III, 12.) Cf. Tite-Live, XXVII, 37 et XXIX, 22. Sénèque, de ira, I, 15 ; Luc., I, 562, 563 ; Plutarque, Sol., 20, 22 ; Démosthène, Contre Timarque, 105 et 113.
[13] Cicéron, De leg., II, 23, 59.
[14] De orat., 44, 197.
[15] Berger et Cucheval, Histoire de l'éloquence latine, t. I, p. 35.
[16] C'est peut-être à ce fait qu'il faut attribuer la lenteur des progrès de l'éloquence judiciaire chez nous. Il n'y a pas un siècle, remarque Merlin, qu'un discours au palais n'était qu'un récit ennuyeux de faits étrangers, une abondance énorme de paroles, de citations inutiles, et surtout, de passages latins, un mélange indécent du sacré et du profane, un assemblage bizarre de traits de l'histoire et de la fable, un tissu ridicule de pointes, d'épigrammes et de figures. — Cité par Charrins, Disc. de rentrée de la cour de Cassation, 4 nov. 1878, p. 18.
[17] Les magistrats conservaient, pendant la durée de leurs fonctions le droit d'assister leurs clients. Edile, Cicéron plaida pour Cécina ; préteur, pour Cluentius ; consul, pour Murena.
[18] Sat., I, 9 et II, 1, etc.
[19] Lucrèce, III, 984 ; Cicéron, Tuscul., I, 39, 93 ; cf. consolat., 9.
[20] Sur la vie de Cicéron, V. Prévost, Drumann, Ampère (t. IV), Boissier, Berger, etc.
[21] V. Brutus, c. 58.
[22] Archias fut un de ses premiers maîtres ; il revint plusieurs fois à la poésie, mais sans succès.
[23] Ad famil., XIII, I ; Brutus, 89, 90 ; de orat., I, 45 ; de
senect., I.
[24] Le second livre de la Rhétorique à Herennius constituerait un excellent traité de procédure criminelle.
[25] De orat., I, 49, 214.
[26] D'après quelques critiques (notamment Teuffel, Litt. Rom.) le de jure civili formait le VIe livre du De legibus. Rien ne nous parait moins probable. Le De legibus est un ouvrage de philosophie spéculative auquel on pourrait donner pour titre : philosophie du droit ; le De jure civili devait être, au contraire, un ouvrage de pratique, un traité didactique.
[27] Ce travail a été fait par M. de Caqueray, Rennes, 1857.
[28] Cicéron fut préteur à l'âge de 40 ans.
[29] De orat., I, 43-44.
[30] Tite-Live, VI, 1 ; Cicéron, In Catil., III, 8, 19. — Les historiens partagent l'enthousiasme des jurisconsultes : corpus omnis Romani juris, fons publici privatique juris, disait Tite-Live (III, 4). Finis œqui juris, reprenait avec moins de raison Tacite (Annales, III, 27.)
[31] In Verr. ; pro Balb. ; pro Cœc. ; etc. Top., 5, 6 ; pro
domo, 49 ; de harusp. resp., 15 ; pro Balb., 20 ; de leg.,
I, 7, 8 ; II, 22, etc.
[32] De Rep., II, 37, 63 ; pro Muren., 12.
[33] De off., III, 12-15. Cette doctrine a paru exagérée à saint Thomas, Somme théologique, quest. 77, art. 33 ; et à Pothier, De la vente, n° 241.
[34] Qui lira sans émotion le récit des violences commises à Lampsaque ? In Verr., II, I, 24-34.
[35] Orator, III, 12.
[36] De Rep., III, 22, 33.
[37] Pascal, art. III, 8 et VI, 8, édit. Havet.
[38] De leg., III, 2 et I, 88 ; De orat., I, 45, 198 ; 46, 202.
[39] De orat., I, II, 46 ; et passim, v. la théorie de Crassus. Comparez Quintilien, XII, 3.
[40] De orat., I, 38, 173.
[41]
De orat., I, 45, 98. Cf.
I, 48, 212 ; III, 33, 133 ; pro muren., 9.
[42] Ad famil., XV. 4 ; Tuscul., IV, 19, 43 ; Pline, Epist. III, 13, 2 (officia antelucana). Lorsque Horace a tracé le portrait de Trébatius, il nous a conservé, sous une apparence plaisante, la manière de répondre des jurisconsultes. V. Sat., II, 1.
[43] Scipion Nasica eut une maison sur la voie sacrée (Digeste, l. I, t. II, Pomponius). V. de orat., III, 33, 133 ; 45 ; 48 ; pro Cœc., 27, etc.
[44] Le texte des lois royales est resté dans l'inconnu ; le code Papirien, en Osque, paraît imaginaire (Ortolan, t. I, p. 72, Giraud, Nov. Ench., p. 1-4).
[45] Dignitas in tam tenui scientia non potest esse ; res enim sunt parvæ, prope in singulis litterisatque interpunctionibus occupatœ. Deinde etiamsi quid apud majores nostros fuit in isto studio admirationis, id, enuntiatis vestris mysteriis, totum est contemptum et abjection. Posset lege agi, necne pauci quondam sciebant : fastos enim vulgo non habebant. Erant in magna potentia qui consulebantur : a quibus etiam dies, tanquam a Chaldœis petebantur. Inventus est scriba quidam Cn. Flavius, qui cornicum oculos confixerit et singulis diebus discendis fastos populo proposuerit et ab ipsis causis jurisconsultorum sapientiam compilarit. (Pro Murena, 11 ; cf. Tite-Live, IX, 66).
[46] Sextus Ælius mérita d'être appelé par Ennius : Egregie cordatus homo catus Ælius Sextus éloge que Cicéron répète souvent et qu'il commente en ces termes : egregie cordatus et catus fuit et ab Ennio dictus est, non quod ea quœrebat quœ nunquam inveniret, sed quod ea respondebat quœ eos qui quœsissent et cura et negotio solverent ; cuique contra Galli studia disputanti in ore semper erant illa de Iphigenia Achillis :
Astrologorum signa in cælo quœrit, observat, Jovis
Quum capra aut nepa, aut exoritur nomen aliquod belluœ,
Quod est ante pedes, nemo spectat, cœli scrutantur plagas.
De Rep., I, 18, 30. (Il s'agit ici de C. Sulpicius Gallus, orateur élégant, en même temps qu'astronome distingué ; de senect., 14, 49 ; de amicit., 27, 101 ; de off., I, 6, 19). Cf. de orat., I, 45, 198 ; 48, 212 ; 56, 240 ; II, 33, 133 ; Brutus, 30, 78 ; Tuscul., I, 9, 18 ; de senect., 9, 27 ; de leg., II, 23, 59 ; Top., 2, 10.
[47] C'est à ce dernier peut-être qu'il faut attribuer la règle catonienne, d'après laquelle un legs ne peut être valable lors du décès du testateur, s'il ne l'a été au moment où le testament a été fait : quod si testamenti facti tempore decessisset, inutile foret, ad legatum, quandocunque decesserit, non valere. (Digeste, XXXIV, 17. Cf. Aulu-Gelle, XIII, 20, 9). Rome eut ses sages : hanc cogitandi pronuntiandique rationem vimque dicendi veteres Grœci sapientiam nominabant. Hinc illi Lycurgi, hinc Pittaci, hinc Solones atque ab hac similitudine Corunciani nostri, Fabricii, Catones, Scipiones fuerunt, non tam fortasse docti, sed impetu mentis simili et voluntate. (De orat., III, 15, 56.)
[48] Quintus Scévola était l'auteur d'un traité sur les définitions, περί όρων. Nous avons dans la caution mucienne un exemple de sa sagesse. Il avait décidé que dans le cas où la condition suspensive pour la délivrance d'un legs pourrait se prolonger pendant toute la vie du légataire, celui-ci serait mis d'abord en possession du legs, à charge de donner caution à l'héritier et de s'engager à restituer l'objet légué, s'il contrevenait à la volonté du testateur. Digeste, XXXV, I, V, de orat., I, 37, 39 ; Brutus, 89, 306.
[49] Son style était sec ; les jeunes gens aimaient peu son livre. De orat., I, 58, 246.
[50] Brutus, 47, 170 ; 34, 130 ; de fin., I, 4, 12 ; ad famil., VII, 25
[51] De off., III, 14.
[52] De orat., I, 43, 191 ; II, 1,2 ; Brutus, 76, 264.
[53] Aulu-Gelle, IV, 3, 2.
[54] Tusculanes, V, 58, 112.
[55] Tacite, Annales, III, 75.
[56] Ernesti, dans sa Clavis Ciceroniana, n'a pas relevé moins de 41 noms de jurisconsultes jusqu'à Cicéron. Cf. Ange Politien, Lett., IV, 9, en tête du Digeste, le résumé historique fait par Pomponius, etc.
[57] Loi Valeria Horatia, votée sous les consuls Valérius et Horatius, immédiatement après le renversement des décemvirs. Le pouvoir des plébiscites est confirmé par la loi Publilia en 415 et par la loi Hortensia en 468. Tite-Live, III, 65 : ut, quod tributim plebes jussisset, populum teneret. Cf. Tite-Live, VIII, 12 ; Pline, Hist. nat., XVI, 16 ; Aulu-Gelle XV, 27.
[58] Sur la loi Canuleia de connubio patrum et plebis, v. Florus I, 25 ; Pline, Hist. nat., XVI, 10 ; Tite-Live, II, 1, et suiv. ; de Rep., II, 37.
[59] Loi Petilia Papiria, 428. V. Tite-Live, VI, 36 et VIII, 28.
[60] Loi Cincia, 550 ; loi Furia testamentaria, 571, loi Voconia, 585.
[61] On place cette loi entre les années 520, 577 et 583, v. Gaïus IV, 30 ; et Aulu-Gelle, XVI, 10.
[62] Les fonctions de juges étaient l'objet de discussions fréquentes entre sénateurs et chevaliers. Les lois judiciaires (leges judiciariœ), réglementant cette matière, sont au nombre de huit : la loi Sempronia de 632 est la première ; la dernière est la loi Julia, en 708, ou 729, suivant qu'on l'attribue à César, ou à Auguste.
[63] M. Tullius non modo inter agendum nunquam est destitutus scientia juris, sed etiam componere aliquid de eo cœperat : ut appareat posse oratorem, non dicendo tantum juri vacare, sed etiam docendo. (Instit. Orat., XII, 3). Jus civile ad certum modum redigere atque ex immensa diffusaque legum copia, optima quœque et necessaria in paucissimos conferre libros. (Suétone, César, 4). Cf. Aulu-Gelle, I, 22, 7 ; Cicéron, de orat., I, 42, 190.
[64] Quapropter hoc dicam numquam ejus auctoritatem nimium valere, cujus prudentiam populus Romanus in cavendo, non in decipiendo perspexerit, qui tot annos ingenium, laborem, fidem suam promptam expositamque populo Romano præbuerit : qui ita justus est et bonus vir, ut natura, non disciplina, consultus esse videatur, ita peritus ac prudens, ut ex jure civili non scientia solum quædam, verum etiam bonitas nata videatur, cujus tantum est ingenium, ita probata fides ut quicquid inde haurias, purum te liquidumque haurire sentias. Pro Cæcina, 27. Cf. ci-dessous.
[65] De conviction, de passion, Cicéron n'en a pas, dit Mommsen ; il n'est qu'un avocat et, pour moi, qu'un avocat médiocre. Il expose bien le point de fait, le relève d'anecdotes piquantes, il excite, sinon l'émotion, du moins la sentimentalité de son auditoire, il avive la sécheresse du sujet juridique par son esprit et par le tour souvent personnel de son esprit.... Ce que j'admire ici c'est moins le plaidoyer que l'admiration qu'il a fait naître... Hist. Rom., t. VI, p. 332, t. VIII, p. 273. — Cf. Ampère, Hist. Rom., t. IV, p. 16, p. 26, p. 430 et suiv.
[66] De off., II, 20, 69. Il n'y a qu'à lire tout le chapitre pour voir que tout autre est la pensée de Cicéron.
[67] Ad Att., IV, 16, et III, 22. Cf. Val. Max. VIII, I, 10.
[68] Pro Murena, XIII, 28.
[69] Ad famil., VII, I ; Cf. Ad Att., IV, 4. De off., II, 16 ; in
Verr., II, IV, 3, 59.
[70] Longin, Du subl., XII, 4.
[71]
Quintilien, Inst. Orat., X, I, 105-113.
[72] Montaigne, si sévère d'ordinaire pour Cicéron, goûte cependant ses œuvres philosophiques, quoique ce qu'il a de vif et de mouelle soit estouffé par ses longueries d'apprests. V. les Essais, passim.
[73] De off., III, 6, 27 et I, 25, 88 ; I, 23, 61.
[74] Comparez Lamartine : Je suis concitoyen de tout homme qui pense.
[75] Les idées se modifiaient d'ailleurs ; il y avait déjà longtemps que, dans une pièce de Plaute (Asin., II, 4, 83), on avait entendu un esclave rappeler à son maître qu'il était un homme comme lui : tam ego homo sum quam tu.
[76] Teuffel, Histoire de la littérature Romaine.
[77] Villemain, Notice.
[78] Fénelon, Lettre à l'Académie (Rhétorique) ; dialogue des morts, 3 ; Montesquieu, Grand. et décad., c. 12.