HISTOIRE DE L'EMPEREUR NAPOLÉON Ier

 

CONCLUSION. — NAPOLÉON II. - RETOUR DES CENDRES.

 

 

Le 22 juillet 1832, Napoléon-Charles-François-Joseph, duc de Reichstadt, né roi de Rome, proclamé empereur sous le titre de Napoléon II, et fils du captif de Sainte-Hélène, décédait au palais de Schœnbrunn, en Autriche.

Dans cette courte existence, l'illustre exilé fit remarquer plus d'une fois la haute intelligence de son esprit et la bonté de son cœur. Il se promenait souvent seul sur les bords du Danube, il aimait l'isolement et l'étude, et ceux qui l'observaient de près sentaient bien qu'il était dévoré par le sentiment intime de ce qu'il était et de ce qu'il aurait pu être !. Ses oncles, les archiducs, et son aïeul, l'empereur d'Autriche, lui avaient voué une affection touchante qui ne le consolait pas. Un jour, au cercle de la cour de Vienne, on l'avait prié de lire des vers, et il ouvrit un volume de Lamartine. Quand il eut fait entendre ces quatre vers :

Courage, enfant déchu d'une race divine,

Tu portes sur ton front ta céleste origine ;

Tout homme, en te voyant, reconnaît dans tes yeux

Un rayon éclipsé de la grandeur des cieux !

il fut interrompu par des applaudissements sympathiques qui éclatèrent de toutes parts.

Le duc de Raguse, exilé par la révolution de 1830, s'étant rendu à Vienne, eut avec le fils de Napoléon de longues entrevues, et l'initia de plus en plus au souvenir de son père. Napoléon II envoya un jour son portrait au maréchal Marmont, après y avoir inscrit ces vers de Racine :

Amené près de moi par un destin sévère,

Tu me contais alors l'histoire de mon père ;

Tu sais combien mon âme, attentive à ta voix,

S'échauffait aux récits de ses nobles exploits.

En 1832 il tomba malade d'une fluxion de poitrine, et sa complexion délicate ne put résister à ce mal. L'impératrice Marie-Louise, duchesse de Parme, vint en toute hâte auprès de son fils mourant, mais elle ne pouvait que recevoir ses derniers soupirs.

Le fils de Napoléon, élevé dans le respect de la religion catholique, reçut avec une piété vive les secours de l'Église, et s'éteignit plein de confiance en Dieu. Ma mère ! ma mère ! furent les dernières paroles qu'il prononça en tournant les yeux vers Marie-Louise, agenouillée au pied de son lit.

Napoléon II, archiduc et captif, mourut à Schœnbrunn, dans la même chambre où son père avait dicté les conditions de la paix de Wagram. Aujourd'hui le jeune prince repose dans le sépulcre des empereurs d'Allemagne : une courte inscription annonce au monde que Dieu manifesta une fois de plus en lui le néant des espérances humaines.

Le 29 juillet 1833, la statue de Napoléon le Grand fut replacée sur la colonne de la place Vendôme, aux acclamations de tous les partis. Cette réparation en appelait une autre.

Le 21 mai 1840, M. de Rémusat, ministre de l'intérieur, parut à la tribune de la chambre des députés.

Messieurs, dit-il, le roi a ordonné à S. A. R. Mgr le prince de Joinville de se rendre avec sa frégate à l'île de Sainte-Hélène (mouvement général), pour y recueillir les restes mortels de l'empereur Napoléon (applaudissements).

Nous venons vous demander les moyens de les faire recevoir dignement sur la terre de France, et d'élever à Napoléon son dernier tombeau.

..... Ces restes seront déposés aux Invalides. Il importe, en effet, Messieurs, à la majesté d'un tel souvenir, que cette sépulture auguste ne demeure pas exposée sur une place publique, au milieu d'une foule bruyante et distraite. Il convient qu'elle soit placée dans un lieu silencieux et sacré, où puissent la visiter avec recueillement tous ceux qui respectent la gloire et le génie, la grandeur et l'infortune.

Il fut empereur et roi ; il fut souverain légitime de notre pays. A ce titre, il pourrait être inhumé à Saint-Denis ; mais il ne faut pas à Napoléon la sépulture ordinaire des rois. Il faut qu'il règne et commande encore dans l'enceinte où vont se reposer les soldats de la patrie, et où iront toujours s'inspirer ceux qui seront appelés à la défendre. Son épée sera déposée sur sa tombe.

L'art élèvera sous le dôme, au milieu du temple consacré par la religion au Dieu des armées, un tombeau digne, s'il se peut, du nom qui doit y être gravé. Ce monument doit avoir une beauté simple, des formes grandes, et cet aspect de solidité inébranlable qui semble braver l'action du temps.

 

Les deux chambres s'associèrent à ce vœu, et le prince de Joinville ne tarda pas à mettre à la voile, ayant sous ses ordres deux bâtiments de guerre, la Belle-Poule, frégate de soixante canons ; et la corvette la Favorite.

S. A. R. avait voulu choisir, pour la seconder dans cette funèbre et noble mission, les personnes qui avaient partagé l'exil de Napoléon à Sainte-Hélène. Leur nombre s'élevait à peine à dix. Les autres étaient infirmés ou mortes. Un prêtre fut adjoint à l'expédition pour qu'aucun caractère de piété religieuse ne manquât à l'œuvre expiatoire.

Dans les premiers jours d'octobre, le prince de Joinville et ses compagnons abordèrent au rivage de Sainte-Hélène.

Le tombeau de Napoléon, encore placé sous la garde d'un sergent anglais, était ombragé d'un grand saule pleureur et entouré d'une modeste grille de fer. L'habitation de Longwood, le dernier palais et la dernière prison de l'empereur, commençait à tomber en ruine. Les murs étaient lézardés, les fenêtres dégarnies de vitres ; près de la place où Napoléon avait rendu le dernier soupir, on avait élevé un moulin ; la chambre à coucher et le cabinet de travail de l'empereur avaient été changés en écurie.

Le 15 octobre et le vingt-cinquième anniversaire du jour où Napoléon avait pour la première fois posé le pied sur le rivage de l'île, fut marqué pour la cérémonie de son exhumation.

Une proclamation du gouverneur anglais annonça aux habitants de Sainte-Hélène cette imposante solennité. Les travaux commencèrent à minuit : à dix heures du matin ils étaient terminés. Le cercueil d'acajou, encore intact et parsemé de clous d'argent, fut hissé du caveau et porté par douze soldats, marchant tête nue, malgré la pluie, et précédés de la croix et du prêtre.

On ouvrit le cercueil avec précaution, et alors eut lieu parmi les assistants un mouvement universel de surprise et d'attendrissement : plusieurs fondirent en larmes. L'empereur lui-même était là ; la mort l'avait respecté. Les traits de la figure, bien qu'altérés, étaient parfaitement reconnaissables, les mains merveilleusement belles ; le costume si connu, si souvent reproduit, avait peu souffert, les couleurs en étaient facilement distinguées ; les épaulettes, les décorations, le chapeau, semblaient entièrement conservés ; la pose elle-même était pleine d'abandon, et sauf les débris de la garniture de satin qui recouvrait comme d'une gaze très-fine plusieurs parties de l'uniforme, on aurait pu croire Napoléon étendu encore sur son lit de parade. On remarqua même que la main gauche, que le général Bertrand avait prise pour la baiser une dernière fois, au moment où l'on fermait le cercueil, était restée légèrement soulevée. Entre les jambes, auprès du chapeau, on apercevait les deux vases qui renfermaient le cœur et l'estomac. Les ongles avaient poussé après la mort ; ils étaient longs et blancs. L'une des bottes était décousue, et laissait passer quatre doigts des pieds d'un blanc mat.

Il était une heure et un quart. Au bout de quelques instants, l'identité du corps ayant été reconnue, le cercueil fut refermé et soudé avec soin, ainsi que les trois autres cercueils qui lui servaient d'enveloppes. A trois heures, au signal du canon, le char funèbre, attelé de chevaux caparaçonnés de deuil et couverts d'insignes impériaux, se remit en marche vers le port. Le canon des forts et celui de la frégate retentissaient de minute en minute. Tous les bâtiments de guerre et de commerce, quelle que fût la nation, étaient pavoisés de deuil. A six heures et demie, le prince de Joinville avait reçu le funèbre dépôt, et les restes mortels de l'empereur reposaient enfin sur une frégate française, à l'ombre du drapeau français.

On fit l'absoute ; le corps resta toute la nuit en chapelle ardente ; le lendemain, à dix heures, une messe solennelle fut célébrée sur le pont, et tout l'équipage, S. A. R. en tête, vint jeter l'eau bénite sur le cercueil. A onze heures, pendant que le prêtre achevait le psaume 109e, une bordée de cinquante coups de canon annonça la fin des solennités pieuses. L'exil de Napoléon Bonaparte était terminé !...

Le 30 novembre, après une traversée de quarante-trois jours, la Belle-Poule laissa tomber l'ancre devant Cherbourg.

Pendant les huit jours que les restes de l'empereur séjournèrent dans ce port, la foule encombra le pont de la frégate. Près de cent mille personnes, accourues de tous les points, vinrent successivement s'agenouiller devant le cercueil. Le 8 décembre, la Normandie, escortée de deux autres bâtiments à vapeur, et ayant à son mât le pavillon impérial, quitta la rade et emporta le cercueil jusqu'à l'embouchure de la Seine.

Le lendemain, à six heures du matin, la flottille entra dans les bassins du Havre : le temps était fort rigoureux, mais les rives de la Seine n'étaient pas moins couvertes d'une population innombrable. Arrivée au Val de la Haye, la Normandie, ne pouvant plus remonter la Seine, confia son précieux dépôt à la Dorade n° 3. Le prince avait ainsi fixé la décoration de ce bateau :

Il sera peint en noir, à la tête du mât flottera le pavillon impérial ; sur le pont, à l'avant, reposera le cercueil couvert du poêle funèbre rapporté de Sainte-Hélène, MM. de la mission aux cornières ; l'encens fumera ; à la tête s'élèvera la croix, le prêtre se tiendra devant l'autel, mon état-major et moi derrière ; les matelots seront en armes, et le canon tiré à l'arrière, annoncera le bateau portant les dépouilles mortelles de l'empereur.

 

A Rouen, la ville déploya un grand apparat pour recevoir le cercueil : S. E. le cardinal archevêque, suivi de son clergé, et en présence des corps constitués, des magistrats, de la garnison et du peuple, bénit le sarcophage et donna l'absoute. A Elbeuf, aux Andelys, à Vernon, à Mantes, partout même empressement, même enthousiasme.

Le 12, la flottille doubla le pont de Poissy pour y passer la nuit ; les deux rives du fleuve se couvrirent alors de bivouacs, de feux et de tentes : la garde nationale et la troupe de ligne voulurent faire la veillée des armes. Le 13 était un dimanche ; M. l'abbé Coquereau, aumônier de l'expédition, célébra la messe ; le duc d'Aumale était venu se joindre au cortège ; les princes, les marins et les habitants de Poissy et des communes voisines, assistaient debout et découverts au saint sacrifice.

Après la messe, suivie de l'absoute, on fit route pour Maisons ; le lendemain, à dix heures, la flottille longeait Saint-Germain, puis Saint-Denis Plus l'on approchait de Paris, plus l'affluence était grande. Près de Neuilly, le prince de Joinville aperçut de loin la reine, sa mère, qui le saluait en agitant son mouchoir. Un moment se passa encore, et la Dorade vint mouiller au pont de Courbevoie.

Le mardi, 15 décembre, le convoi funèbre fit son entrée à Paris. A onze heures le canon retentit : c'était le moment où la dépouille mortelle de l'empereur s'arrêtait sous la grande voûte de l'arc de triomphe élevé à nos gloires militaires. A deux heures le corps était introduit aux Invalides, après avoir, porté sur un char funèbre d'une éblouissante richesse, traversé, depuis Neuilly jusqu'à la cour du Dôme, une haie immense formée de plus de douze cent mille personnes de tout âge, de tout sexe, de toute condition, de tout pays, qui avaient voulu assister à cette imposante solennité, malgré la rigueur du froid.

Ceux qui ont assisté à cette cérémonie, dit le Moniteur, n'oublieront jamais l'impression profonde que faisait soudainement autour de lui, en passant sous tous les regards, ce cercueil impérial drapé de velours violet, ce cercueil dans lequel la pensée pouvait voir Napoléon le Grand, calme et endormi, dans son costume de guerre.

Le prince de Joinville a présenté le corps au roi, en disant : Sire, je vous présente le corps de l'empereur Napoléon. Le roi a répondu, en élevant la voix : Je le reçois au nom de la France. Le général Athalin portait sur un coussin l'épée de l'empereur. Il l'a donnée au maréchal Soult, qui l'a remise au roi. S. M. s'est alors adressée au général Bertrand et lui a dit : Général, je vous charge de placer la glorieuse épée de l'empereur sur son cercueil.

L'émotion a été solennelle, et les regards se portaient tour à tour vers le corps et vers les soldats mutilés qui ont été une part de cette gloire. Les vieux officiers essuyaient des larmes le long de leurs joues, et l'attendrissement se mêlait à l'admiration.

Les hommes de l'empire se sont trouvés rajeunis de vingt ans, parmi les pompes, parmi les fastes, parmi l'ombre éclatante d'une époque de prodiges.

La génération nouvelle a pensé un moment qu'elle assistait à la seconde épopée qui lui a été dite tant de fois, et qu'elle pouvait dater à son tour de la gloire de ses pères !...

 

L'empereur repose maintenant sous le marbre des Invalides, non loin de la Seine, au milieu de ce peuple français qu'il avait tant aimé ; mais si ce dernier vœu de Napoléon a été exaucé, nous osons dire que l'art, la statuaire et la prodigalité nationale de la France ne parviendront jamais à lui élever un tombeau si poétique et si grand que celui que lui avait infligé l'exil. L'île de Sainte-Hélène, élevée au milieu de l'Océan, loin du passage des révolutions et loin des monuments vulgaires, était un immense sarcophage sorti de la main de Dieu. Du haut de ce rocher, le fantôme de Napoléon le Grand semblait apparaître au monde, et les marins le saluaient de loin avec un respect mystique que le temps, les années, les siècles allaient redoubler. Ce rocher avait gardé intacte la dépouille de l'empereur, et la mort semblait n'avoir point osé altérer ces traits héroïques. Ce corps était là, loin des cendres vulgaires, loin des admirations d'une foule curieuse, et si grand, que l'imagination ne pouvait le mesurer. En le plaçant aux Invalides, le roi Louis-Philippe obéit à une secret calcul ; il voulut confondre Napoléon avec Vauban et Turenne, et l'honorer comme un général : une étroite jalousie ne lui permit pas de marquer sa tombe parmi les monuments de Saint-Denis. La France regretta que Napoléon le Grand n'eût point été couché dans le cercueil impérial que par le décret de 1806 il avait voulu se réserver.

La famille de l'empereur n'était point entièrement éteinte.

Une tempête populaire ayant rejeté en exil la dynastie des Bourbons-Orléans, Louis-Philippe alla mourir en Angleterre, et le gouvernement républicain fut rétabli en France par la révolution de février.

Le 10 décembre 1848, le peuple français, agissant avec intelligence et liberté, malgré la pression que cherchait à exercer sur lui le pouvoir, éleva à la présidence de la république française le prince Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l'empereur, et fils du feu roi de Hollande, Louis Bonaparte.

Pendant trois ans d'un gouvernement vigoureux et réparateur, ce prince établit l'ordre en France, et comprima l'anarchie qui menaçait notre patrie et l'Europe d'une destruction complète ! Une république impie et démagogique s'étant installée à Rome et ayant chassé le pape, Louis-Napoléon envoya une armée française qui délivra les États pontificaux et rétablit le vénérable Pie IX dans la plénitude de ses droits.

Cependant une catastrophe sociale menaçait la France ; les factions, dans le sein du parlement et dans le pays, ne savaient que s'entre-déchirer, et aucun parti n'avait la générosité ni le courage de se dévouer à la seule cause de la patrie. En face de cet immense danger, Louis-Napoléon prit en main, le 2 décembre 1851, la dictature souveraine, et cette tentative hardie et préservatrice fut approuvée par la France. Le 20 décembre 1851 sept millions cinq cent mille suffrages, émanant des comices populaires, ratifièrent l'acte de Louis-Napoléon et sanctionnèrent ses pouvoirs.

L'année suivante, au mois de novembre, la nation française, consultée par le Sénat, émit près de huit millions de suffrages en faveur du rétablissement de l'Empire, et le 2 décembre 1852 commença le règne de Napoléon III.

 

FIN DE L'OUVRAGE