LES TRANSFORMATIONS DE LA ROYAUTÉ PENDANT L'ÉPOQUE CAROLINGIENNE

LIVRE PREMIER. — L'AFFAIBLISSEMENT DE L'AUTORITÉ PUBLIQUE [SOUS LES DERNIERS MÉROVINGIENS]

 

CHAPITRE VII. — [LA LUTTE ENTRE LES ASSOCIATIONS DES GRANDS].

 

 

Vers le milieu du VIIe siècle, c'est-à-dire au même temps où se forme cette sorte d'aristocratie dont nous venons de parler, nous voyons commencer aussi une série de guerres civiles. Elles aboutiront à la chute de la dynastie mérovingienne. Nous devons chercher quelle fut la nature de ces guerres civiles.

 

1° [QUE LES GUERRES CIVILES DU VIIe SIÈCLE N'ONT ÉTÉ DES LUTTES NI DE CLASSES, NI DE PARTIS, NI DE RACES, NI DE PAYS.]

 

Et d'abord, sont-elles des luttes de partis, ou des luttes de classes ? Qu'on observe les documents, qu'on lise les Chroniques, los Vies de saints et tous les écrits qui nous mettent sous les yeux les mœurs et les préoccupations de ces générations d'hommes ; on n'y trouvera jamais la mention de l'existence de deux partis politiques. Aucun texte ne signale qu'il y ait eu alors deux façons de concevoir le gouvernement des hommes. Nous allons voir de longues luttes, mais il faut d'abord constater que l'existence de deux partis politiques n'est jamais signalée, même par voie d'allusion. Ce serait se tromper beaucoup que de porter dans ces siècles si différents du nôtre les idées et les sentiments de notre îiècle. Les noms mêmes d'aristocratie, de démocratie, de monarchie, pour désigner des formes diverses de gouvernement, ne se rencontrent pas une seule fois dans ces deux mille pages de documents du VIIe siècle.

Pas une ligne non plus ne fait allusion à une haine de races. Jamais on ne voit Romains contre Germains. Non seulement nous ne trouvons jamais ces deux races en antagonisme, mais les deux mots mêmes ne se rencontrent pas une seule fois dans les textes employés au pluriel, et pour désigner deux catégories d'hommes opposées l'une à l'autre[1]. La haine de races est devenue un sentiment si général au XIXe siècle, que l'on est tenté d'attribuer le même sentiment aux hommes des siècles passés. Un historien ne peut pas le faire. Si vous cherchez un symptôme d'une haine de races, vous ne le trouvez ni dans les écrits de Grégoire de Tours, qui peint si bien le cœur de ses personnages, ni dans la Chronique de Frédégaire, où les intentions des hommes sont volontiers indiquées, ni dans les hagiographies, qui décrivent fort bien l'âme humaine, ni dans aucun texte ni dans aucune charte. Une lutte entre Romains et Francs ne s'aperçoit jamais. Vous trouvez beaucoup de guerres civiles ; des deux côtés, toujours les écrivains disent que ce sont des Francs.

Quant à un conflit entre deux classes sociales, cela ne paraît pas non plus dans les textes. Sans doute nous pouvons penser que les classes inférieures, surtout celle des petits propriétaires, souffrirent beaucoup de l'affaiblissement continu où elles tombaient ; mais qu'elles se soient plaintes, qu'elles aient protesté collectivement, qu'elles aient fait un effort pour échapper à la ruine, c'est ce que les textes ne laissent pas supposer ; et certainement elles ne sont pas intervenues dans les luttes que nous allons raconter.

Je sais bien que les documents du temps, Chroniques ou Vies de saints, sont souvent écrits sans intelligence. Il n'est pourtant pas admissible que ces écrivains aient ignoré ce qui se passait autour d'eux. Ces moines ne vivaient pas en dehors du monde. Ceux qui ont continué Frédégaire, ceux qui ont écrit la Vie de saint Léger, de sainte Bathilde, d'Arnulf, de saint Éloi, étaient assez en rapport avec les hommes de leur temps pour savoir la cause et le caractère des grands combats qui se livraient. Ils étaient même fort mêlés à ces combats ; leurs intérêts y étaient en jeu, et l'on voit à la manière même dont ils racontent les faits que leurs passions étaient en éveil. Si ces faits avaient été des luttes de partis politiques, ou des luttes de races, ou des luttes de classes, ils l'auraient su et l'auraient dit.

Une autre explication qu'on a donnée de ces longues guerres civiles est qu'un conflit naturel aurait existé entre les deux parties géographiques de l'État franc, entre l'Austrasie et la Neustrie[2]. Les textes semblent d'abord appuyer cette explication. Les chroniqueurs en effet parlent fréquemment de combats entre Francs Austrasiens et Francs Neustriens. Il semble donc qu'il ait existé une antipathie constante entre les deux régions de l'Est et de l'Ouest ; et l'on comprend le système des historiens modernes qui ont cru reconnaître dans ces faits une lutte de deux nationalités jalouses, lutte se terminant par le triomphe d'une famille austrasienne sur une dynastie devenue neustrienne.

Toutefois, si l'on regarde les textes avec un peu plus d'attention, on reconnaît que cette opinion est peu juste. Les chroniqueurs, en rapportant les combats entre Austrasiens et Neustriens, ne disent jamais qu'une haine nationale en soit la cause. Quand Grégoire de Tours raconte les guerres entre le roi d'Austrasie et le roi de Neustrie, ses récits ne contiennent pas un mol qui indique une antipathie entre les deux peuples ; et lui-même ne voit dans ces événements que des luttes personnelles entre deux frères ou entre deux reines. Une lettre de saint Germain, évêque de Paris, montre que ce personnage n'attribuait aussi ces guerres qu'à des haines personnelles[3]. Observons comment les chroniqueurs s'expriment : Frédégonde envoya une armée contre les deux fils de Childebert[4]. Quatre ans plus tard, les fils de Childebert conduisirent une armée contre Clotaire[5]. Le chroniqueur ne parle pas de peuples, mais de rois qui se font la guerre.

Voici qui est plus significatif. En 613, le roi d'Austrasie lève une armée et la conduit contre le roi de Neustrie ; mais il meurt inopinément ; aussitôt les Austrasiens refusent de combattre les Neustriens et retournent dans leur pays[6]. Quelques mois se passent, et nous voyons les Austrasiens rejeter leur roi Sigebert pour se donner au roi de Neustrie[7].

Comment voir en tout cela une antipathie de deux peuples ? Ne perdons pas de vue que les deux régions portaient également le nom de Francia, et les deux populations celui de Franci[8]. Il n'est pas douteux pour nous que la population de l'Austrasie ne fût plus germanique que celle de la Neustrie. Mais nous sommes forcé de constater que cette différence de population n'est jamais signalée par les chroniqueurs et les écrivains de l'époque. Or, si les contemporains n'apercevaient pas cette différence, s'ils ne s'en rendaient pas compte, s'ils ne la trouvaient pas assez saillante pour la noter, c'est qu'apparemment cette différence de population avait peu d'influence sur les sentiments des hommes, sur leurs actes, sur les événements.

Après la mort de Clotaire II, la Neustrie pouvait se donner un roi particulier ; elle aima mieux prendre pour roi celui-là même qui régnait en Austrasie[9]. Dagobert, devenu maître de tout l'État franc, manifesta une préférence pour le séjour de la Neustrie[10]. Il fit roi de ce dernier pays son fils Sigebert, mais les documents ne disent pas que les Austrasiens eussent demandé à avoir un roi particulier[11]. Quand ce Sigebert mourut, vers 656, les Austrasiens aimèrent mieux obéir au roi de Neustrie qu'à une famille austrasienne[12]. Plus tard, les Neustriens, après la mort de leur roi Clotaire III, prenaient volontairement pour roi celui qui régnait en Austrasie, Childéric II[13]. A partir de ce moment, les deux pays furent presque toujours réunis, sinon sous un même roi, du moins sous un même maire, sans que nous voyions jamais que les populations se soient plaintes de l'être.

On se fait une idée inexacte de l'Austrasie lorsqu'on se la figure comme un État tout germanique de mœurs et d'idées. On oublie qu'une grande partie de l'Aquitaine faisait partie de ce royaume d'Austrasie. On oublie surtout qu'à cette époque les hommes se déplaçaient aisément et que les races se mêlaient. Qu'on lise les Vies des saints et l'on sera surpris du grand nombre d'Aquitains qui venaient se fixer en Austrasie[14]. Goar et Basolus qui y furent de grands personnages, Ragnégisile, évêque de Troyes, Hadalin, Berchaire, Rémacle, évêque de Maëstricht, étaient des Aquitains[15]. Saint Amand, qui était né en Aquitaine et d'une famille romaine, était très honoré en Austrasie[16]. Il semble qu'il y ait eu, au VIe et au VIIe siècle, une immigration continue d'Aquitains en Austrasie. Ce royaume n'était donc pas un État purement septentrional : c'était une association du Nord et du Midi[17].

On a dit que la famille carolingienne représentait l'esprit germanique en lutte contre l'esprit romain. Regardez pourtant Arnulf et Pépin qui, à eux deux, forment la tige de cette famille. Il se trouve qu'Arnulf est l'élève d'un Aquitain nommé Gundulf qui appartenait à une famille sénatoriale romaine et était parent de Grégoire de Tours[18]. Pépin le Vieux épousa une Aquitaine de grande famille, qui lui apporta en dot de nombreux domaines[19].

On ne peut donc pas affirmer que l'Austrasie fût plus germaine, plus barbare, plus ennemie des traditions romaines que la Neustrie. Ne pensons pas non plus qu'elle fût plus belliqueuse ni qu'elle contînt une population plus guerrière. Ce sont là des idées préconçues, auxquelles les faits apportent souvent un démenti. Nous voyons dans Grégoire de Tours que Sigebert ne pouvait pas lutter contre Chilpéric avec ses seuls Austrasiens ; c'est avec des armées de mercenaires levés en Germanie qu'il envahissait la Neustrie[20]. En 596, les Austrasiens furent vaincus à Latofao par une armée neustrienne ; ils furent vainqueurs à leur tour à Dormelles. Ils furent battus encore en 612 et leur pays conquis par les Bourguignons[21]. En 613, le roi de Neustrie entrait en Austrasie et la traversait en maître avec une singulière facilité[22]. Plus tard, en 631, une grande armée austrasienne fut vaincue par les Thuringiens[23]. L'année suivante, Dagobert, marchant contre un ennemi étranger à la tête de l'armée austrasienne, prenait la précaution d'avoir avec lui une troupe d'élite de guerriers neustriens[24]. Huit ans encore après, une armée austrasienne fut vaincue par les Thuringiens[25]. Tous ces faits ne permettent guère de se représenter l'Austrasie comme un pays plus viril, qui aurait continué la conquête et l'invasion.

Les guerres civiles que nous allons voir n'ont donc eu pour cause ni un conflit entre des idées politiques divergentes, ni une haine de races, ni une antipathie de la Neustrie et de l'Austrasie. On ne peut pas d'ailleurs les attribuer, ainsi qu'au VIe siècle[26], à des haines ou à des ambitions personnelles des rois, puisque ces rois sont presque toujours des enfants et que souvent même il n'y a qu'un seul roi pour les deux pays. Celle cause est ailleurs ; c'est dans le détail des faits et dans la manière dont les contemporains les racontent, que nous la trouverons.

 

2° [LES GUERRES CIVILES ENTRE ÉBROIN ET SAINT LÉGER.]

 

Une première série de guerres civiles est celle qui est remplie par les deux noms de saint Léger et d'Ébroin. Nous en connaissons les traits essentiels par deux Chroniques[27], et les détails caractéristiques par plusieurs Vies de saints écrites par des contemporains[28].

Leodégarius (saint Léger) appartenait à une de ces grandes familles qui de père en fils étaient en possession des hauts emplois du Palais ou des dignités de l'Église[29]. Tout enfant, il fut élevé dans le Palais et fut commendé au roi Clotaire[30], ainsi que son frère Gérin. Ses parents destinèrent Gérin aux fonctions publiques et Léodger aux dignités de l'Église. Léodger quitta donc, tout jeune encore, le Palais avec la permission royale, pour recevoir l'instruction ecclésiastique par les soins de son oncle, évêque de Poitiers[31]. Il devint archidiacre du même diocèse[32], et à ce titre il exerça les fonctions de juge ; connaissant aussi bien les lois civiles que les lois ecclésiastiques, il avait à juger même des laïques[33]. Il se montrait, disent ses biographes, juge sévère[34]. Pendant six années, il gouverna comme abbé le monastère de Saint-Maixent. Nous le voyons ensuite rentrer dans le Palais. Suivant un de ses biographes, il y aurait été rappelé[35], comme si par sa famille et par sa commendatio première il lui eût appartenu de droit. Il y vécut quelque temps, nous ne savons dans quelle fonction, probablement au milieu des clercs de la chapelle, et certainement dans un rang élevé[36]. Il y connut de près Ébroin, qui était maire du Palais à la même époque.

L'évêché d'Autun devint vacant ; deux candidats se le disputèrent et l'on se battit jusqu'à effusion de sang. L'un des deux candidats fut tué dans la bataille, l'autre fut expulsé par jugement comme meurtrier[37]. La royauté se chargea alors de nommer l'évêque, en le choisissant dans le Palais même. Ce fut Léodger que la régente et les grands choisirent[38] (659).

A la même époque, Ébroin était maire du Palais. C'étaient les grands eux-mêmes, c'est-à-dire les membres du Palais, qui l'avaient choisi[39]. Il exerça une première fois cette fonction durant tout le règne de Clotaire III[40], c'est-à-dire pendant une période d'environ treize années.

Quelques historiens modernes lui ont attribué une grande politique : ils l'ont présenté comme un ministre monarchiste et démocrate à la façon d'un Richelieu. Ni les chroniqueurs ni les hagiographes contemporains ne le représentent sous ces traits[41]. Nous lisons seulement, chez un hagiographe très postérieur et hostile à Ébroin, le jugement qui suit : Né de bas lieu, il voulait du mal à tous ceux qui étaient nés d'une grande famille de la noblesse des Francs ; il s'efforçait de les mettre à mort ou de les chasser et il transférait leurs honneurs à des hommes qui, par leur mollesse, leur inintelligence, ou la bassesse de leur famille, fussent liés à lui au point de n'oser jamais contredire à ses volontés[42]. Ceux qui transportent dans le VIIe siècle les idées du XVIIIe ou du XIXe, pensent trouver dans cette phrase la preuve qu'Ébroin aurait travaillé, constamment et par dessein arrêté, à abaisser l'aristocratie. L'hagiographe n'a pas cette pensée. Il dit seulement qu'Ébroin se plaisait à remplacer dans les hauts emplois les hommes des anciennes familles par des hommes nouveaux ; et il faisait cela sans autre but, dit l'auteur, que d'avoir des fonctionnaires plus dévoués à sa personne. Au fond, l'hagiographe qui fait l'éloge du duc Ragnebert, veut simplement expliquer pourquoi il fut destitué par Ébroin. Ce Ragnebert appartenait à une famille qui était depuis longtemps du Palais, puisque son père Ratbert était déjà un duc du plus haut rang[43]. Ébroin osa le révoquer et donner sa place à un autre qui était d'une famille nouvelle.

Ce qu'on peut dire d'Ébroin, c'est que, d'une part, il ne changea rien au système du gouvernement, il conserva l'organisation du Palais et sa toute-puissance, mais que, d'autre part, il osa destituer ces fonctionnaires et frappa particulièrement les familles qui prétendaient se perpétuer dans le Palais. Ce qu'il combattait, c'était l'hérédité des familles palatines.

De là les haines. Comme il avait ses amis dévoués, Ébroin eut ses ennemis. Les premiers étaient ceux qu'il élevait aux emplois ou à qui il les promettait. . les seconds étaient ceux qu'il avait révoqués, ou qui craignaient de l'être, ou à qui l'avancement dans la arrière était refusé, ou qui n'obtenaient pas la situation que leur père avait eue[44]. Il renouvelait le Palais et se faisait autant d'ennemis que d'amis[45]. Léodger et son frère Gérin, qui appartenaient à une ancienne famille du Palais, 'étaient parmi ses adversaires[46].

L'occasion de le renverser se présenta peu de temps après la mort de Clotaire III. Thierry fut aussitôt fait roi par Ébroin, qui garda ses fonctions de maire ; mais le parti adverse, pour se débarrasser d'Ébroin, nomma un autre roi, Childéric II[47].

Un chroniqueur qui n'a vu et rapporté que le gros des événements, dit seulement que les Francs, voulant renverser Ébroin, s'insurgèrent contre Thierry et le détrônèrent[48]. Un hagiographe qui veut expliquer cette révolution et surtout la justifier, ajoute des détails significatifs. En premier lieu, il remplace le terme vague de Francs par les deux mots optimates et nobiles[49], ce qui indique assez que ce sont des grands, c'est-à-dire des hommes appartenant au Palais mérovingien, qui ont fait cette révolution. En second lieu, il donne le prétexte que les auteurs de l'acte invoquèrent : Ébroin mettant Thierry sur le trône s'était abstenu de convoquer les grands du royaume, comme il l'aurait dû, pour procéder à l'installation du nouveau roi[50]. Même, ces grands s'étant mis en roule spontanément pour se rendre suivant l'usage auprès du nouveau roi, un ordre d'Ébroin leur enjoignit de renoncer à ce voyage[51]. Nous pouvons juger à ce trait du caractère précis de l'événement. Quand nous avons décrit le Palais mérovingien, nous y avons distingué la partie centrale qui reste autour du roi et la partie externe qui occupe les duchés, les comtés, les évêchés. Les deux catégories d'hommes devaient, suivant l'usage, se réunir en assemblée solennelle au début de chaque règne. Cette fois, Ébroin et l'entourage immédiat avaient nommé roi Thierry et n'avaient pas convoqué les optimates des provinces. Cette partie externe du Palais proteste contre son exclusion. L'intérêt de ces hommes se devinerait sans peine, mais l'hagiographe l'indique clairement : Ils craignaient qu'Ébroin, retenant le nouveau roi sous son autorité, ne fût le maître défaire tout le mal qu'il voudrait à ses adversaires[52]. Cela signifie que les intérêts ou les droits de ces hommes, que leurs fonctions plaçaient loin du Palais du roi, n'avaient plus aucune garantie si le droit de s'assembler quelquefois autour de lui ne leur était pas conservé.

Au lieu de retourner chez eux, comme Ébroin leur en intimait l'ordre, ils se réunirent, déclarèrent qu'ils ne voulaient pas de Thierry pour roi et choisirent Childéric II[53]. Léodger et Gérin étaient les principaux auteurs de cette révolution[54]. Elle n'était certainement pas dirigée contre la royauté : on ne changeait de roi que pour changer de maire. Ébroin cessa de l'être, et ce fut Léodger qui, sans en prendre le titre, en exerça le pouvoir à sa place[55].

Léodger, à la fois homme d'église et chef de gouvernement, avait-il des vues politiques qui lui fussent particulières ? Les moines qui ont écrit sa Vie ne nous le font pas savoir. Ce qui est certain, c'est que Léodger, Gérin et leur parti obligèrent Childéric II à signer trois décrets[56]. Mais on ne voit pas que ces décrets ressemblent à une charte de liberté ou à une constitution. — Le premier est le seul qui paraisse avoir une portée générale, et aussi est-il assez vague : Que chaque pays conserve sa loi et sa coutume[57]. S'agit-il ci de droit privé ou de droit public, on ne saurait le dire, et l'on souhaiterait quelque renseignement précis sur la portée de cette formule. — Quant aux deux autres articles, ils ne concernaient que la classe des fonctionnaires et des membres du Palais. L'un renouvelait la règle déjà établie par Clotaire d'après laquelle les hauts fonctionnaires, ducs et comtes, ne pouvaient pas être envoyés d'un pays dans un autre[58]. Cela visait à deux choses, d'abord à empêcher le nouveau roi, qui venait précisément d'Austrasie, de nommer des Austrasiens dans les comtés ou duchés de la Neustrie, et aussi d'envoyer des Neustriens comme fonctionnaires en Burgondie ; de cette façon les hommes en possession de fonctions dans l'un des trois pays étaient sûrs de ne pas être dépossédés par des étrangers. Puis ce texte assez vague pouvait avoir une autre portée : interdire la nomination de fonctionnaires étrangers à un pays, c'était à peu près assurer la perpétuité des gouvernements et toutes les hautes places aux familles qui les détenaient actuellement. Cet article pouvait donc avoir pour conséquence d'établir, non pas ce qu'on a appelé plus tard l'hérédité des fiefs, mais l'hérédité des fonctions publiques.

Par le troisième décret, la mairie du Palais était supprimée[59]. Il est bon de noter que cette suppression ne fut demandée que par les Bourguignons et les Neustriens ; Wulfoald demeura maire du Palais pour l'Austrasie[60]. Le parti de Léodger ne voulait plus qu'aucun homme fût en possession de cette puissance tyrannique ; ils ne voulaient pas qu'un homme ce regardât comme ses inférieurs ceux qui étaient ses compagnons et ses égaux[61]. Ils prétendaient enfin se succéder les uns aux autres dans l'exercice du pouvoir de maire par une sorte de roulement, afin qu'aucun ne fût supérieur aux autres[62]. L'abolition de la mairie n'était pas faite pour fortifier le pouvoir royal. Personne jusqu'alors n'avait vu dans les maires des ennemis de la royauté. D'ailleurs le texte même du chroniqueur montre que les pouvoirs du maire ne furent pas supprimés et qu'ils devaient seulement être exercés à tour de rôle par les grands du Palais. Le fond de cette réforme était que le Palais allait former désormais une sorte de république à peu près égalitaire autour des rois impuissants et au-dessus des peuples opprimés.

Mais la réforme ne dura que trois ans[63]. Pour des raisons que les chroniqueurs ne disent pas, Léodger, véritable chef de ce nouveau Palais[64], tomba en disgrâce. Apparemment Childéric II, qui arrivait alors à l'âge d'homme, voulut régner et gouverner[65]. Une implacable querelle surgit entre le roi et Léodger. Léodger finit par être exclu du Palais, dépouillé même de son évêché, et enfermé au monastère de Luxeuil[66]. Ce qui est curieux, c'est que la peine qui frappa Léodger résulta d'un jugement régulier prononcé parles grands du Palais. Le roi Childéric consulta les optimates et les évêques ; ceux qui étaient les premiers du Palais jugèrent de concert avec plusieurs évêques que Léodger devait être enfermé à perpétuité à Luxeuil[67]. Ainsi dans l'espace de trois ans il s'était opéré un revirement dans l'entourage royal, et il s'était formé une coterie nouvelle qui combattait Léodger, comme Léodger avait combattu Ébroin. Childéric, débarrassé de l'influence dominatrice de Léodger, paraît avoir exercé l'autorité directement. On ne voit pas qu'il ait eu d'autre maire que le maire d'Austrasie, Wulfoald. De nouveaux mécontentements se produisirent, non pas dans la population, mais parmi les optimates du Palais[68]. Ces hommes conspirèrent[69] et l'un d'eux [Bodilo] assassina Childéric[70]. On prit alors pour roi Thierry III, le même qu'on avait autrefois chassé, et la mairie du Palais fut rétablie.

Mais aussitôt cette mairie fut disputée. On le comprend. C'était le maire qui devait être le chef du Palais tout entier ; c'était lui surtout qui nommait aux places et qui distribuait les dignités et les gouvernements. Or les faits que nous venons de rapporter ont déjà montré qu'il y avait plusieurs ou tout au moins deux associations de grands en concurrence pour les fonctions et les honneurs. La suite le montre encore mieux.

Les amis de Léodger d'une part, les amis d'Ébroin de l'autre, se portèrent simultanément vers Luxeuil pour les délivrer[71]. On les vit sortir tous les deux du monastère, chacun avec une suite nombreuse de clients, de serviteurs, d'amis, d'associés[72].

Il s'agissait de savoir lequel des deux s'emparerait de la mairie. Déjà Léodger, qui vraisemblablement avait été prévenu le premier, avait fait nommer maire Leudésius, fils d'Erchinoald[73]. Apparemment il pouvait compter sur Leudésius, dont le fils avait épousé sa nièce[74]. Ce personnage devait sans doute favoriser l'association dont Léodger et Gérin étaient les chefs[75]. Mais Ébroin à la tête de son armée d'amis[76] arriva rapidement à l'endroit où se trouvait le nouveau roi, s'empara de sa personne et du trésor royal, tua Leudésius et se fit maire du Palais (entre 675 et 675)[77].

Ce triomphe d'Ébroin ne paraît pas avoir introduit une politique nouvelle, une nouvelle façon de gouverner ; il amena seulement un immense déplacement dans les fonctions et les dignités. C'est du moins la seule chose que mentionnent les textes, et ils y insistent. Ébroin commença par enlever l'évêché d'Autun à Léodger et donna cet évêché à l'un de ses partisans, lequel avait été lui-même dépossédé d'un évêché par le gouvernement précédent[78]. De même, dans une autre partie du pays, un évêque d'Utrecht, saint Lambert, qui avait été nommé par Childéric et par ses optimates, et qui était resté l'un des prélats du Palais, fut chassé de son siège, qui fut donné à un ami du nouveau maire[79]. Il est vraisemblable que les dignités laïques, à plus forte raison, furent retirées aux partisans de Léodger pour être données à ceux d'Ébroin. Gérin fut condamné à mort et son comté de Poitiers devint vacant. On voulut donner de même le patriciat de Bourgogne au duc Adalric ; mais l'opposition de l'archevêque de Lyon, Génésius, fit manquer l'affaire[80]. En général, tous ceux qui avaient fait partie de l'association dont Léodger et Gérin étaient les chefs furent chassés ; les uns durent s'enfuir au loin, les autres furent enfermés, et on ne les vit plus reparaître[81]. Ceux qui avaient été auparavant optimates furent poursuivis de toutes les manières ; il mit les uns à mort, il força les autres à s'enfuir à l'étranger, et confisqua leurs biens[82]. Les optimates de l'entourage immédiat du roi furent renouvelés. Nous en avons la preuve dans ce fait que le nouveau tribunal royal condamna à mort Léodger[83].

On voit que la victoire d'Ébroin sur saint Léger fut, non le triomphe d'un principe ou d'une politique, mais la victoire d'une bande d'optimates, de ducs, d'évêques, sur une autre association de ducs, d'évêques et d'optimates. Un contemporain ajoute ce détail que, dans cette sorte de curée, les monastères de femmes ne furent pas négligés, et que plusieurs abbesses de grandes familles furent chassées pour céder leur place à d'autres[84].

Les moines qui ont écrit nos documents n'insistent pas sur ce système de révocation des optimates laïques ; mais ils laissent bien voir que l'habitude s'établit de déposséder les évêques qui déplaisaient. L'épiscopat fut suffisamment renouvelé par Ebroin pour qu'au bout de deux ans il pût réunir un synode[85] et en obtenir la révocation et même la mort de plusieurs évêques qu'il lui désigna[86]. Il y avait si longtemps que le corps de l’épiscopat était composé à peu près des mêmes éléments que le corps des optimates, que l'un et l'autre se trouvaient entraînés indistinctement dans les mêmes querelles et les mêmes révolutions[87].

Trois ans après, Ébroin fut assassiné. Devons-nous penser qu'il tomba sous les coups d'un parti politique ? Son assassin était un optimale, qui, ayant été chargé d'une fonction financière, n'avait pas pu rendre ses comptes[88].

Dans ces événements, ce qui frappe le plus, c'est l'absence d'idées politiques. Il n'est jamais question d'intérêts généraux, de principes de gouvernement. Il n'est jamais parlé de droits populaires. La nation n'apparaît jamais. Nous n'avons sous les yeux que des, grands du Palais et des évêques qui leur ressemblent. Les luttes viennent uniquement de ce que cette classe d'hommes est divisée en coteries ou groupes qui, sous deux chefs (différents, se disputent les fonctions, les dignités, le pouvoir[89].

 [Peu après, l'autorité suprême allait passer, en Neustrie, aux mains de Pépin d'Héristal, déjà maître du pouvoir en Austrasie[90]. Maire du Palais comme Ebroin, issu, comme Léodger, d'une famille palatine, il devait, plus heureux que l'un et l'autre, perpétuer dans sa maison l'exercice de la toute-puissance. Cette maison, dans moins d'un siècle, finira même par s'emparer de la royauté : la Mairie du Palais n'aura été pour elle qu'un marchepied vers la monarchie.

La famille dite Carolingienne, qui a grandi dans le Palais et qui y a été d'abord maîtresse, représente, dans les dernières luttes de la décadence mérovingienne, la vassalité et comme l'élément féodal ; elle gouverna longtemps par l'esprit de fidélité et de patronage ; c'est à cet esprit qu'elle devait de commander aux hommes et d'être plus forte que la royauté même ; son installation sur le trône semblera surtout l'avènement du chef de cette aristocratie dont nous avons expliqué la formation et que les grands du Palais forment en face de la vieille royauté affaiblie.

Sous les derniers Mérovingiens, l'autorité royale était tombée aussi bas que possible. Les Carolingiens la relèveront tout d'abord. Ils la renforceront même, à l'aide de ces principes de patronage et de fidélité qui ont fait la grandeur et assuré le triomphe de leur famille. Ils les appliqueront aux choses de l'État. Ils en feront en partie la base de leur gouvernement. De ce qui n'était que des pratiques d'ordre privé, ils feront des institutions d'ordre politique. Ils compléteront ainsi cette transformation de la royauté, dont nous venons de montrer l'origine.

Pour comprendre le caractère de ce changement de dynastie et les principes nouveaux à l'aide desquels va gouverner la nouvelle monarchie franque, il importe de revenir un instant en arrière et de rechercher l'origine et les tendances de la famille carolingienne.]

 

 

 



[1] On rencontre quelquefois au singulier, appliqués par conséquent à des individus ; Frédégaire, 24, 29, 78 [cf. Nouvelles Recherches, cinquième mémoire, 4e partie]. Mais ces exemples mêmes prouvent le contraire d'une haine de races, puisqu'ils nous montrent des Romains partageant les dignités des Francs.

[2] Les mots Neustrie et Austrasie, inconnus à l'époque romaine, apparaissent à la fin du VIe siècle. Ils sont déjà dans Grégoire de Tours (Historia Francorum, V, 14, in fine ; V, 18, in fine ; De virtutibus S. Martini, IV, 29), puis ils deviennent fréquents dans l’Epitomata, dans la Chronique dite de Frédégaire, dans les Gesta, et dans les Vies de saints. — C'étaient visiblement deux termes géographiques. Mais, comme les deux régions ont eu presque toujours des rois différents, les deux termes en sont venus bientôt à désigner deux royaumes et deux peuples distincts : Regnum Austrasiorum, regnum Neutrasiorum sont des expressions assez fréquentes (Continuateur de Frédégaire, 136 [53] ; V. Walarici, etc.). De même les mots Austrasii et Neutrasii sont employés pour désigner deux peuples.

[3] Bouquet, IV, p. 80.

[4] Frédégaire, c. 17.

[5] Frédégaire, c. 20.

[6] Frédégaire, c. 39.

[7] Frédégaire, c. 40-42.

[8] In Francia, dans le Continuateur de Frédégaire, 96 [p. 169, 11, édit. Krusch], désigne la Neustrie. On peut même remarquer dans la Vita Pipini (Bouquet, II, p. 604) que l'hagiographe applique le mot Francia spécialement à la Neustrie, et l'oppose à Austria. De même dans les Gesta, 43, les Francs d'Austrasie livrent Grimoald Chlodoveo regi Francorum ; ici rex Francorum désigne le roi de la Neustrie. Neustriam sive Franciam, dit l'auteur de la Vie de saint Rigomer, Bouquet, III, p. 426. — [Autres] exemples de Franci appliqué spécialement aux Neustriens. Frédégaire, 104, 101 [8 et 6]. Annales de Saint-Amand, année 687. Annales de Moissac, a. 715. Vita S. Balthildis, 5 (Migne, LXXXVII, col. 869 [p. 487, édit. Krusch]) : Franci désigne les Neustriens par opposition aux Austrasiens et aux Burgondes. Continuateur de Frédégaire, 92, 94, 95 ; idem, 101 [6]. Dans un fragmentum auctoris incerti, Bouquet, II, p. 692, les trois parties sont désignées par les mots tria regna Burgundionum, Austrasiorum et superiorum Francorum. Gesta Francorum, 40. — Il est à peine besoin de dire que dans leurs actes officiels les rois qui règnent en Neustrie ne s'intitulent jamais rex Neustriæ, mais rex Francorum.

[9] Cela ressort bien du récit de Frédégaire, c. 56. Caribert n'eut que très peu de partisans.

[10] Frédégaire, c. 60.

[11] Frédégaire, c. 75. Il dit seulement omnes primatis regni sui consencientebus. — Les Gesta, sur cela, ne disent pas un mot des Austrasiens, c. 42. — Les Gesta Dagoberti, 31, s'expriment comme Frédégaire.

[12] Gesta, 43. — La Chronique de Moissac s'exprime de même. — Ce fut après la mort de Clovis II que la reine Bathilde fit son second fils Childéric roi d'Austrasie, Vita Balthildis, 5 ; Acta Sanctorum ordinis Benedicti, II, p. 779 [p. 487 de l'édit. Krusch]. Suivant la Chronique de Sigebert de Gembloux, ce serait Clovis II lui-même qui aurait fait son fils roi d'Austrasie.

[13] Continuateur de Frédégaire, 94. — Gesta, 45. — Vita Leodegarii ab Ursino, 2. — Après lu mort de Childéric, les Austrasiens prirent Dagobert II, le fils de leur ancien roi Sigebert ; cela nous est dit formellement par l'auteur de la Vita Wilfridi (Bouquet, III, p. 601) qui est un contemporain, mais qui est un moine de la Grande-Bretagne. Cela est confirmé par un diplôme de Dagobert, fils de Sigebert, qui ne peut être que ce Dagobert II, confirmant une donation au monastère de Stavelot ; mais il est bien singulier qu'aucun chroniqueur franc n'ait nommé ce prince. Toutefois la Vie de Subberga, c. 15, dit qu'en 677 il y eut guerre entre les rois Thierry et Dagobert (Bouquet, III, p. 607). On croit qu'il mourut en 678, victime d'un complot des grands (Vita Wilfridi, 51).

[14] [On reviendra à ce sujet liv. II, c. 2, en étudiant les origines de la famille carolingienne.]

[15] Vita S. Goaris (Acta Sanctorum ordinis Benedicti, II, p. 276). — Vita Basoli (ibidem, p. 65). Vita Frodoberti (ibidem, p. 629). Vita Bercharii (ibidem, p. 832). Vita Remacli (ibidem, p. 490). Vita Hodalini (ibidem, p. 1013).

[16] Vita Pippini, ibidem, t. II, p. 606.

[17] Encore au milieu du VIIe siècle l'Auvergne en faisait partie (dans l'armée de Sigebert II, Frédégaire mentionne le duc d'Auvergne Bobo ; Frédégaire, 87) ; de même la Provence (Vita S. Boniti. Bollandistes, 5 janvier, p. 352) ; de même Cahors (voir la lettre de Sigebert II pour défendre à l'évêque Désidérius de réunir un synode, Pardessus, II, p. 82).

[18] Vita Arnulfi, c. 4 [alias 3] (Acta Sanctorum ordinis Benedicti, II, p. 150 [édit. Krusch, 1889, p. 435]) entre les années 590 et 600. — Ce Gundulf avait commencé par être domesticus (Grégoire de Tours, Historia Francorum, VI, 11), puis dux (ibidem) en 581. On le retrouve vers 595 au premier rang dans le Palais, bien que ce soit certainement à tort que l'hagiographe l'appelle rector palatii. — Ce Gundulf était de genere senatorio et oncle de Grégoire de Tours (Grégoire, VI, 11). [Plus loin, liv. II, c. 3.]

[19] Vita Pippini (Bouquet, II, p. 606). [Plus loin, liv. II, c. 3.]

[20] Grégoire de Tours, Historia Francorum, IV, 50, édit. Arndt, c. 49 : Sigebert fit marcher les nations qui habitent au-delà du Rhin, et, se préparant à la guerre civile, forma le projet de s'avancer contre son frère Chilpéric. L'historien raconte ensuite les ravages de ces barbares sur qui Sigebert n'avait aucune autorité.

[21] Frédégaire, c. 38

[22] Frédégaire, c. 40.

[23] Frédégaire, c. 68.

[24] Frédégaire, c. 74.

[25] Frédégaire, c. 87.

[26] [Cf. plus haut, c. 1.]

[27] Continuateur de Frédégaire, c. 94 et suiv. ; Gesta regum Francorum, c. 45 et suiv.

[28] Vita Leodegarii ab Ursino, écrite sur l'ordre de l'évêque Ansoald, parent de saint Léger, et peu de temps après sa mort. — Vita Leodegarii ab Anonymo, écrite par un moine d'Autun sur l'ordre de l'évêque Ermenaire, successeur immédiat de saint Léger au siège d'Autun. Ces deux biographies sont dans les Acta Sanctorum ordinis S. Benedicti, t. II, p. 680 et suiv., dans Bouquet, t. II, dans Migne, t. LXXXVI. — [On attend de ces deux Vies l'édit. critique de Krusch ; voir l'étude qu'il en a faite, Neues Archiv, 1894.] On consultera aussi : Vita Præjecti, hostile à saint Léger (Acta Sanctorum ordinis Benedicti, II, p. 644) ; Vita Filiberti, c. 22 (ibidem, p. 822) ; Vita Waningi (ibidem, p. 873, 874) ; Vita Anstrudis (ibidem, p. 879).

[29] Vita Leodegarii ab Ursino.

[30] Vita Leodegarii ab Ursino, 1. — Il s'agit du roi Clotaire II. On croit que Léodger est né en 616.

[31] Vita Leodegarii ab Ursino, 1.

[32] Vita Leodegarii ab Ursino, 2. — Vita Leodegarii ab Anonymo, 1.

[33] Vita Leodegarii ab Anonymo, 1.

[34] Ursinus, 2. — Anonyme, 1.

[35] Ursinus, 3.

[36] Ursinus, 3.

[37] L'Anonyme d'Autun, 4. Les troubles durèrent deux années.

[38] L'Anonyme d'Autun, 1. — Ursinus, 3.

[39] Continuateur de Frédégaire, 92 ; Gesta, 45.

[40] L'Anonyme d'Autun, 2.

[41] Pas même la Vita Drausii, ni celle de saint Præjectus, qui lui sont assez favorables (Bouquet, II, p. 610 ; Acta Sanctorum ordinis Benedicti, II, p. 644).

[42] Vita Ragneberti, dans Bouquet, III, p. 619.

[43] Vita Ragneberti, c. 2 ; Bouquet, III, p. 619.

[44] Les hagiographes mentionnent fréquemment des grands qui sont dévoués à Ebroin ; Ursinus nomme Diddo et Waimer (c. 8), Waringus (c. 13), Chrodobert (c. 15) ; l'auteur de la Vie de saint Ragnebert cite Theudefrid, Bodon et Guiscaud, qui sont des proceres palatii.

[45] Les accusations contre Ébroin sont vagues et ressemblent à toutes celles qu'inspirent la haine et l'envie contre un homme qui dispose de toutes les grandeurs. Suivant les hagiographes hostiles, il aurait été cupide, et surtout cruel.

[46] L'Anonyme d'Autun, admirateur de saint Léger, ne dit pas formellement que saint Léger fut l'adversaire d'Ébroin ; il exprime la chose autrement : Les envieux de l'évêque l'accusaient auprès d'Ébroin d'être malveillant à son égard et de ne pas obéir à tous ses ordres, c. 2 ; et plus loin : Saint Léger était suspect à Ébroin, c. 3.

[47] Ce court règne de Thierry, que plusieurs chroniqueurs omettent, est attesté par le Continuateur de Frédégaire, c. 93, et par le Breve Chronicon (Bouquet, III, p. 365).

[48] Continuateur de Frédégaire, 94 [2]. — [Gesta Francorum, 45.]

[49] L'Anonyme d'Autun, c. 3. L'ensemble de la phrase marque sans doute possible que ce sont ces optimates et ces nobiles qui substituent Childéric à Thierry.

[50] L'Anonyme d'Autun, c. 3.

[51] L'Anonyme d'Autun, c. 3.

[52] L'Anonyme d'Autun, c. 3.

[53] Anonyme d'Autun, c. 3.

[54] Ursinus, c. 4, mentionne seulement la présence de saint Léger au milieu de ces événements et annonce aussitôt son influence sur le nouveau roi. — Voir ce que dit plus tard, Hariulf, dans le Chronicon Centulense. — Cf. Hugues de Flavigny (Bouquet, III, p. 364).

[55] Suivant Ursinus, il aurait eu même le titre de maire, c. 4. — Voir ce que dit l'Anonyme d'Autun, c. 4. — Le Continuateur de Frédégaire ne dit pas que saint Léger ait été maire du Palais ; il semblerait plutôt que l'on n'ait pas nommé de maire pour la Neustrie et la Bourgogne, et que saint Léger en ait eu le pouvoir. C'est ce que dit Hugues de Flavigny (Bouquet, t. III, p. 361).

[56] Anonyme d'Autun, c. 4.

[57] Anonyme d'Autun, c. 4.

[58] Anonyme d'Autun, c. 4. Le langage du moine manque ici de clarté. Rectores désigne certainement les gouverneurs des duchés et des comtés. Introire signifie littéralement entrer, mais il ne s'agit certainement pas d'interdire à un comte l'entrée personnelle dans un autre comté, fût-ce en voyage. Je crois que le moine entend qu'un homme appartenant à une provincia ne pourra pas être fonctionnaire dans une autre. Quant au mot provincia, je ne crois pas qu’ici plus que dans l'édit de 614 il signifie un comté ou un duché ; il a, ce me semble, le sens plus étendu de région, de grand pays.

[59] Anonyme d'Autun, c. 4.

[60] C'est ce qui résulte de Frédégaire, c, 95 et c. 97 ; Gesta, 45.

[61] Anonyme d'Autun, c. 4.

[62] Anonyme d'Autun, c. 4.. — Toute cette réforme est omise par Ursinus. Le moine qui écrit, ou l'évêque pour qui il écrit, est prudent. Comme la réforme a échoué, il pourrait être imprudent d'en parler. L'hagiographe n'y fait donc qu'une allusion discrète ; il n'ose même pas attribuer à son héros une réforme ; c'est au contraire un retour aux règles antiques.

[63] Ursinus, 5.

[64] C'est sans doute pour cela que son biographe l'appelle major domus et rector palatii, quoique saint Léger eût précisément aboli le titre de maire. — Dans la Vita Lantberti (Bouquet, III, p. 585) nous voyons que Léodger et Gérin signent des diplômes avec le roi.

[65] Les moines, dont l'esprit est toujours prévenu par le martyre de saint Léger, accusent Childéric. Continuateur de Frédégaire, 95. — L'Anonyme d'Autun dit que les envieux accusèrent saint Léger auprès du roi ; suivant lui, le roi aurait voulu tuer l'évêque.

[66] Suivant Ursinus, il se serait dépouillé volontairement.

[67] Anonyme d'Autun, c. 6.

[68] Anonyme d'Autun, c. 7. — Continuateur de Frédégaire, 95.

[69] Continuateur de Frédégaire, 95. — Gesta, 45. — Chronique de Moissac. — Cet Amalbert est peut-être celui qui était seniscalcus en 659 (Diplomata, n° 354). La Vita Lantberti, c. 5, appelle Ingolbert et Amalbert satellites regis (Bouquet, III, p. 585). — L'auctor incertus (Bouquet, II, p. 695) dit que Childéric fut assassiné a conspiratoribus in aula.

[70] Bodilo est qualifié francus nobilis par le Continuateur de Frédégaire, 95, unus ex palatinis optimatibus par l'Anonyme d'Autun, c. 7, satellis regis par la Vita Lantberti.

[71] Ursinus, 7.

[72] La suite d'Ébroin est assez bien caractérisée par l'Anonyme d'Autun ; elle se compose surtout de tous les anciens amis d'Ébroin que Childéric, sous l'influence de saint Léger, avait dépossédés et exilés (du Palais) ; tous ces hommes, qui avaient vécu cachés pendant les dernières années, reparurent comme les reptiles après l'hiver, c. 7. — Ibidem, c. 8. — Le Continuateur de Frédégaire montre que cette suite d'Ébroin, chacun apparemment étant venu avec quelques hommes en armes, formait une véritable armée. — Gesta, 45.

[73] Continuateur de Frédégaire, 95. — Gesta, 45. — Cela s'était fait avant le départ de Luxeuil. — Fragmentum auctoris incerti, Bouquet, II, p. 692.

[74] Fragmentum auctoris incerti, dans Bouquet, II, p. 695.

[75] Il ne faut jamais séparer Gérin de Léodger. — Fragmentum auctoris incerti (Bouquet, II, p. 693).

[76] On peut admettre que la plupart de ces amis ou clients d'Ébroin étaient des Neustriens ; toutefois Ursinus dit qu'il avait avec lui beaucoup d’Austrasiens. De même l'Anonyme, c. 8. Et, en effet, les deux seuls de ces amis dont nous avons les noms se trouvent être deux Austrasiens, Diddo et Waimer ; ils venaient à la suite d'Ébroin pour chercher fortune (Anonyme, c. 10). Cf. Chronique de Saint-Waast, p. 585.

[77] Continuateur de Frédégaire, 96. — Gesta, 45. — Ursinus, 7, 8. — Suivant l'Anonyme, les faits se seraient passés un peu autrement. Ébroin et ses amis auraient d'abord pris pour roi un enfant, ne voulant sans doute pas avoir pour roi celui que les amis de Léodger avaient nommé ; ils auraient donc proclamé Clovis III, qu'ils auraient supposé fils de Clotaire III. Pendant quelque temps ils auraient exigé le serment au nom de ce Clovis, et c'est même parce que saint Léger aurait refusé de violer son serment envers Thierry qu'il aurait été mis en prison par les partisans d'Ébroin (Anonyme d'Autun, 8-13). Quoi qu'il en soit, Ébroin n'aurait pas tardé à rejeter ce Clovis et à rétablir Thierry III à condition d'être maire.

[78] Anonyme d'Autun, 10.

[79] Vita Lantberti, Acta Sanctorum ordinis Benedicti, III, p. 70-71. Ce Lantbert était d'une grande famille de fonctionnaires. Avant d'être évêque il avait vécu in aula regia : in domo regia militavit. Il était resté l'un des conseillers du roi Childéric. Dès qu'Ébroin fut redevenu maire, il mit la main sur son évêché.

[80] Anonyme d'Autun, 11.

[81] Continuateur de Frédégaire, 96 [2].

[82] Anonyme d'Autun, 12. — Annales Fuldenses.

[83] Il est à noter, en effet, que Léodger ou saint Liger fut mis à mort par un jugement suivant les formes. Cela ressort de l'Anonyme d'Autun, c. 14. On y voit d'abord que saint Léger fut amené au Palais, par l'ordre d'Ébroin, qu'à titre d'évêque, il fut jugé par un synode d'évêques, que l'accusation portée contre lui était d'avoir trempé dans le meurtre de Childéric II, que le synode le déclara déchu du rang épiscopal, qu'il tut enfermé provisoirement, et qu'au bout de quelques jours un arrêt du Palais ordonna sa mort.

[84] Anonyme d'Autun, 12. — La Vita Anstrudis (13, Acta Sanctorum ordinis Benedicti, p. II, 976) raconte comment Ébroin veut chasser sainte Anstrude de son monastère, et n'est arrêté que par un miracle.

[85] Anonyme d'Autun, 14. Cf. Tardif, n° 21.

[86] Anonyme d'Autun, 14.

[87] L'Anonyme d'Autun, 8, in fine, accuse ces évêques qui magis terrenis desideriis vel lucris temporalibus augenda pecunia vigilant...

[88] Cela ressort du récit de l'Anonyme d'Autun, qui, bien entendu, donne tort à Ébroin et presque raison à l'optimate, c. 17. — Cf. Ursinus, 19 ; Continuateur de Frédégaire, 98 ; Gesta, 47.

[89] Nos documents n'attribuent jamais à Ébroin un système politique. Ils ne disent ni qu'il voulût relever la monarchie ni qu'il songeât à élever un parti populaire en face de l'aristocratie. Ces documents, rédigés presque tous par des moines, lui sont le plus souvent hostiles. Ce qu'ils lui reprochent, c'est sa cruauté (Vita Filiberii, Bouquet, III, p. 599) ; c'est d'avoir fait périr par le glaive beaucoup d'évêques et de proceres pour se venger d'eux (Anonyme d'Autun, c. 17) ; c'est de n'avoir pas pardonné à ses ennemis et d'avoir par vengeance fait plusieurs martyrs (Ursinus, c. 19) ; c'est d'avoir opprimé les Franci (Continuateur de Frédégaire, 98) ; c'est d'avoir fait beaucoup de maux et d'avoir accumulé ruine sur ruine (Vita Amandi, Bouquet, III, p. 556) ; c'est d'avoir fait disparaître les plus grands afin de n'avoir aucun rival (Vita Ragneberti, Bouquet, III, p. 619). Mais il ne suit pas de là qu'Ébroin fût ennemi de l'Église et du clergé. L'auteur de la Vie de saint Drausius, celui de la Vie de Præjectus lui sont favorables. L'Anonyme d'Autun-lui-même le représente comme un homme pieux, c. 16, in fine. Comme tous les grands de son époque, il faisait des donations aux couvents (Bouquet, III, p. 610-611). Il avait beaucoup d'évêques parmi ses partisans ; l'Anonyme d'Autun le reconnaît, c. 8, in fine. Il n'est pas davantage l'ennemi des ducs ; il a des ducs avec lui : s'il en révoque, c'est pour en créer d'autres. Les optimales l'entourent, et, s'il en a contre lui, il en trouve qui lui sont dévoués.

[90] [Pour la suite des événements, voir plus loin, liv. II, c. 5, § 1.]